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© Somogy éditions d’art, Paris, 2017 © Congrégation du Saint-Esprit, 2017 Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coéditions et développement : Véronique Balmelle Coordination et suivi éditorial : Christine Dodos-Ungerer Conception graphique : Élise Julienne Grosberg Contribution éditoriale : Sandra Pizzo et Caroline Bel Cartographie : Thierry Renard Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros
ISBN 978-2-7572-1166-3 Dépôt légal : mars 2017 Imprimé en Union européenne
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Afrique, à l’ombre des dieux Collections africaines de la Congrégation du Saint-Esprit
Sous la direction de Nicolas Rolland
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Remerciements
Comité de rédaction Nicolas Rolland P. Paul Coulon (CSSp) P. François Nicolas (CSSp) P. Francis Weiss (CSSp)
Nous remercions chaleureusement tous les membres de la Congrégation du Saint-Esprit pour leur ouverture d’esprit, leur bienveillance et leur confiance, sans lesquels jamais ce livre n’aurait vu le jour. Notre gratitude va également aux membres du comité de rédaction (P. Paul Coulon, P. François Nicolas, P. Francis Weiss), au P. Jean Savoie ainsi qu’à tous les auteurs ayant contribué à cet ouvrage. Nous exprimons aussi notre reconnaissance à Bernard Ducol, à Geneviève Karg et au père Roger Tabard, responsables des archives de la Congrégation, pour le temps (long) qu’ils ont bien voulu consacrer à nos recherches.
Que soient également remerciés tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont permis à ce livre d’être ce qu’il est : Pierre Amrouche, Yaëlle Biro, Julien Glauser, Yves Le Fur, Angèle Martin, Salomé Rolland-Viéville, Juliette Solvès, Bernard Salvaing, Galia Tapiero, Marie-Laure Terrin-Amrouche, Camille Viéville ; Auction Art-Remy Le Fur, Enchères Rive Gauche, Musée Barbier-Mueller (Genève), Musée Dapper (Paris), Musée d’Ethnographie de Neuchâtel, Musée du Quai Branly-Jacques Chirac (Paris), Sotheby’s. Nous remercions enfin toute l’équipe des éditions Somogy, pour l’enthousiasme dont elle a fait preuve à l’égard de ce projet et pour l’accompagnement sans faille qu’elle nous a apporté tout au long de sa réalisation.
Liste des abréviations utilisées dans cet ouvrage CSSp SMA Congo RDC RCA
Congregatio Sancti Spiritus (Congrégation du Saint-Esprit) Société des missions africaines de Lyon République du Congo République démocratique du Congo République centrafricaine
Avertissement Dans les légendes des illustrations, nous indiquons par des guillemets les commentaires originaux figurant sur les documents anciens (photographies, dessins, carnets, etc.) tels qu’ils sont conservés dans les archives de la Congrégation du Saint-Esprit.
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Sommaire
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Préface
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La Congrégation du Saint-Esprit et l’Afrique : une très longue histoire (de 1778 à nos jours)
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Des campagnes françaises aux terres africaines Gérard Vieira
20
L’arrivée et l’avancée des Spiritains en Afrique équatoriale Paul Coulon
42
Missionnaires et anthropologues, les Spiritains en Afrique équatoriale
44
À la découverte des Fang d’Afrique équatoriale : l’épopée ethnographique du père Henri Trilles Louis Perrois
66
Charles Knapp, le R.P. Trilles et le Gabon Roland Kaehr
72
L’ethnologue Alexandre Le Roy Philippe Laburthe-Tolra
84
Le rôle scientifique des missionnaires Alexandre Le Roy
94
Constant Tastevin, un missionnaire anthropologue en Afrique centrale Gwenaël Ben Aïssa
108
Les collections spiritaines, témoignages méconnus des cultures anciennes d’Afrique noire
110
De l’exposition missionnaire au musée scientifique Nicolas Rolland
126
L’art du Sud-Gabon dans les collections spiritaines Charlotte Grand-Dufay
148
Les statues-reliquaires Ambété Frédéric Cloth
164
Fétiches : sculptures magico-religieuses chez les Kongo et les Téké Charles-Wesley Hourdé
188
Témoignages
190
Les Spiritains et les cultures traditionnnelles africaines au XXIe siècle
192
Comprendre et recueillir les traditions orales Gérard Meyer
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Aider les Africains à vivre libres Bede Ukwuije
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Annexes
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Préface
À
une époque où se manifeste l’intérêt croissant du public pour l’histoire de l’Afrique, mais aussi sa culture et son art, le présent ouvrage propose de revenir sur un épisode passionnant et pourtant peu connu : celui de la contribution des missionnaires catholiques au champ de l’ethnologie africaine. Les illustrations qui l’accompagnent mettent en valeur des photographies rares conservées dans le fonds d’archives de la Congrégation du Saint-Esprit, mais également des objets d’art exceptionnels, restés jusqu’à ce jour confinés dans les maisons des Spiritains en France ou connus seulement d’un public restreint. Les missionnaires spiritains qui quittaient l’Europe pour évangéliser l’Afrique au cours de la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle partageaient les perspectives théologiques étroites de leur temps et les préjugés souvent négatifs de leurs contemporains sur les traditions religieuses africaines. Cependant, inspirés par la consigne de leur cofondateur François Libermann de « se dépouiller de l’Europe, de ses mœurs et de son esprit » et de se faire africains avec les Africains, ils ont considéré qu’il leur fallait acquérir une profonde connaissance des langues, des coutumes et des pratiques culturelles des peuples auprès desquels ils étaient envoyés s’ils voulaient leur communiquer la force transformante de l’Évangile. Les missionnaires avaient de ce point de vue un avantage sur les explorateurs et sur les ethnologues, qui séjournaient moins longtemps qu’eux en un même endroit et dépendaient d’interprètes pour saisir la signification des rites et des objets qui leur étaient associés. Les œuvres présentées dans cette publication proviennent pour la plupart de peuples d’Afrique centrale connus pour la très haute qualité de leurs productions artistiques, tels les Téké, les Kongo, les Punu, les Kota, les Fang et bien d’autres encore. Des articles scientifiques les accompagnent et visent à en expliquer le contexte et l’importance. Ils rappellent également qu’un certain nombre de missionnaires spiritains (Mgr A. Le Roy, le père Trilles, le père Tastevin, par exemple) acquirent très tôt une renommée internationale dans le champ de l’anthropologie et que leurs travaux méritent d’être connus et replacés dans l’histoire de cette science. Nous sommes profondément redevables à tous ceux qui, en collaboration avec les éditions Somogy, ont rendu cette collection unique accessible à un large public. Nous sommes particulièrement reconnaissants envers les missionnaires spiritains qui l’ont préservée pour la postérité. Cet ouvrage est d’abord un hommage aux artistes qui cherchaient, en leur temps, à donner expression à des concepts culturels et des croyances profondes. Les lecteurs, sans être nécessairement bien familiarisés avec ce contexte religieux, se laisseront à n’en pas douter toucher par leur sublime beauté et, espérons-le, se sentiront invités à approfondir leur connaissance des peuples qui les ont créés. En ce début de XXIe siècle où de multiples cultures se rencontrent au quotidien mais se contentent souvent de marcher côte à côte, cette publication est une invitation à nourrir le dialogue interculturel et l’estime mutuelle entre les peuples.
John Fogarty Supérieur général de la Congrégation du Saint-Esprit
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La Congrégation du Saint-Esprit et l’Afrique : une très longue histoire (de 1778 à nos jours)
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Page précédente Mgr Augouard avec le chef Bétou faisant le « pacte de sang », Oubangui, 1892.
L’Afrique contemporaine TUNISIE
Mer Méditerranée
MAROC
MADÈRE CANARIES
ALGÉRIE LIBYE ÉGYPTE
SAHARA OCCIDENTAL Tropique du Cancer
MAURITANIE NIGER
MALI
CAP VERT
SOUDAN
ÉR YTHRÉE
TCHAD
SÉNÉGAL GAMBIE GUINÉE BISSAU
DJ IBOUTI
BURKINA FASO GUINÉE SIERRA LÉONE
B ÉN I N TO G O CÔ TE D ’ I VO I R E G HA N A
NIGERIA
LIBERIA
SOMALIE
CAMEROUN
SAO TOME ET PRINCIPE
Équateur
ÉTHIOPIE
SUD SOUDAN
RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
G U I N ÉE ÉQ U A T.
GABON
OUGANDA KENYA CONGO RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
R WA N D A
O c é a n I n d i e n
BURUNDI
TANZANIE
COMORES
O c é a n A t l a n t i q u e S u d
ANGOLA
MA LA WI
ZIMBABWE
MOZAMBIQUE MADAGASCAR
NAMIBIE Tropique du Capricorne
MAYOTTE
ZAMBIE
BOTSWANA
S WA ZI LA N D N
1000 km
AFRIQUE DU SUD
LÉS O THO
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EUROPE
L’Afrique en 1920 TUNISIE
MAROC
ALGÉRIE
AF RIQUE DU NORD
MAURITANIE Saint-Louis du Sénégal - 1778 Dakar - 1846
SOUDAN FRANÇAIS
NIGER
AF RIQUE OCCIDENTALE FRANÇAISE
TCHAD
SÉNÉGAL Kita -1888
CÔTE FRANÇAISE DE SOMALIE
HAUTEVOLTA
GUINÉE
AFRIQUE ÉQUATORIALE FRANÇAISE
DAHOMEY
Boffa - 1877
TOGO CÔTE D’IVOIRE
NIGERIA Onitsha - 1885
OUBANGUI-CHARI CAMEROUN Bangui - 1894
Ngovayang -1916
KENYA
Libreville - 1844 GABON Franceville - 1883
Liranga - 1889
Nairobi - 1899
MOYEN CONGO CONGO BELGE
CABINDA Landana - 1873
Linzolo - 1883
Kindu - 1907
TANGANYIKA
Monbasa - 1892 Zanzibar - 1863 Bagamoyo - 1868
Ambriz - 1866
ANGOLA
O c é a n A t l a n t i q u e S u d
Majunga -1898 Mossamedes - 1866
SUD OUEST AFRICAIN
MADAGASCAR
Omaruru - 1879
M aurice
R éunion
Maleking - 1886
Kimberly - 1881 UNION SUD-AFRICAINE
Principaux points et flux de pénétration des spiritains entre 1778 et 1920 Frontières et dénominations des empires coloniaux en 1920
N
Cape Town 1000 km
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Des campagnes françaises aux terres africaines Gérard Vieira
L
François Libermann (1802-1852), dessin de Frèrebeau (1958) d’après un daguerréotype de 1847.
Mission Notre-Dame de Bagamoyo (Tanzanie), fondée par les Spiritains en 1868, telle qu’on pouvait la voir dans les années 1870, gouache sur papier, auteur inconnu. Détail.
a Congrégation du Saint-Esprit est fondée par Claude-François Poullart des Places (1679-1709), jeune tonsuré originaire d’une famille de notables de Rennes. Le 27 mai 1703, en la fête de la Pentecôte, avec douze séminaristes, il ouvre à Paris un séminaire dédié à l’Esprit saint permettant à des candidats pauvres de se préparer au sacerdoce par une formation intellectuelle et spirituelle solide. Bien que son fondateur soit décédé peu après, le séminaire recrute rapidement de nombreux postulants et est approuvé en 1734 par l’archevêque de Paris. À l’exemple de la Compagnie de Marie, fondée par Louis-Marie Grignion de Montfort, les « Spiritains » commencent leur ministère par des missions populaires dans les régions les plus abandonnées et les plus pauvres de France. Dès 1732, les prêtres formés par les Spiritains acceptent des missions en Asie, au Canada et en Guyane française. En 1766, le Saint-Siège leur confie la préfecture apostolique de Saint-Pierre-et-Miquelon, puis de la Guyane française (1768) et de Saint-Louis du Sénégal (1778), premier lieu de leur implantation sur le continent africain. La plupart des membres de l’institut ayant refusé de prêter serment selon la Constitution, le séminaire est supprimé en 1792, pour être rétabli en 1805 sous Napoléon puis de nouveau supprimé en 1809. Grâce notamment à l’énergie de son supérieur Jacques Bertout, la congrégation peut toutefois survivre jusqu’en 1816 – date du rétablissement par Louis XVIII – et se voir élevée en 1824 au rang de société canoniquement constituée, relevant immédiatement du Saint-Siège et agissant sous la juridiction de la Propagande « pour tout ce qui concerne les missions présentes et futures ». Mais le nombre de Spiritains reste faible, ce qui, à la longue, pose des problèmes pour le séminaire. En octobre 1841, François Libermann, juif converti, fonde à La Neuville (Nord), avec quelques jeunes issus du séminaire Saint-Sulpice de Paris, une nouvelle congrégation missionnaire intitulée « du Saint-Cœur de Marie », destinée à l’évangélisation des Noirs. Les premiers missionnaires partent en Haïti, à l’île Bourbon et à l’île Maurice. L’un d’eux, le bienheureux Jacques Laval, est considéré aujourd’hui comme le fondateur de la nation mauricienne. En 1843, Mgr Edward Barron (d’origine irlandaise, vicaire général du diocèse de Philadelphie, aux États-Unis), qui vient d’être nommé vicaire apostolique des Deux-Guinées1, rencontre le père Libermann et en obtient les premiers missionnaires du Saint-Cœur de Marie destinés à l’Afrique. Ce premier voyage aboutit à une catastrophe. Seuls survivants, le père Jean-Rémi Bessieux2 et le frère Grégoire Sey arrivent finalement à Libreville le 29 septembre 1844 et y fondent la mission Sainte-Marie du Gabon. C’est là le point de départ de toute la mission en Afrique équatoriale et centrale (Gabon, Angola, Congo, Oubangui) telle que les Spiritains la développeront tout au long du XIXe siècle.
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L’arrivée et l’avancée des Spiritains en Afrique équatoriale Paul Coulon
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ans le bref panorama d’ensemble donné dans l’introduction à ce volume sur l’histoire de la Congrégation du Saint-Esprit, on a souligné son implantation progressive sur le continent africain depuis son arrivée à Saint-Louis du Sénégal en 1778. Il nous faut maintenant nous attarder plus particulièrement sur le développement de la mission spiritaine en Afrique à partir du Gabon vers le sud et vers l’intérieur, puisque la majorité des cultures dont il sera question dans cet ouvrage relève de ce que l’on pourrait appeler l’Afrique équatoriale. Reprenons donc cette histoire au moment où le père Libermann envoie ses premiers missionnaires vers l’Afrique…
L’arrivée au Gabon après la catastrophe initiale La première équipe de Libermann part de Gorée, au Sénégal, vers le cap des Palmes, une rade stratégique plus au sud (entre l’actuel Liberia et la Côte d’Ivoire), alors sous influence anglophone1. Malgré une préparation minutieuse (vingt tonnes de matériel apportées par bateau et des marches d’entraînement en France allant jusqu’à soixante-dix kilomètres par jour !), l’expérience au cap des Palmes se termine en quelques mois par une véritable hécatombe : la dureté du climat avait été mal appréciée2.
Première implantation : Sainte-Marie de Libreville Les rescapés, le père Bessieux et les frères Grégoire et Jean – que l’on croyait disparus –, cherchent une meilleure base plus au sud et arrivent au Gabon en septembre 18443. L’équipe est d’abord hébergée au Fort d’Aumale, sur une colline cédée à la France en 1843 par le roi de Qaben4. Le port sert de relâche pour les navires de guerre surveillant le commerce (ivoire, ébène, bois rouge) et la traite des Noirs. La première mission du Gabon est créée à SainteMarie, près de l’actuelle Libreville. Les dix-huit premiers mois au Gabon se déroulent sans plan bien établi. La situation sur le continent africain n’est pas celle initialement envisagée « dans les îles » par les missionnaires du Saint-Cœur de Marie, et il ne s’agit plus pour eux maintenant de s’occuper des esclaves d’Amérique ramenés notamment au Liberia, mais bien plutôt d’annoncer l’Évangile sur des terres encore totalement inconnues.
Le père Léonard Allaire (1870-1947) et ses forgerons, Bessou, Congo, vers 1895.
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Missionnaires et anthropologues, les Spiritains en Afrique équatoriale
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À la découverte des Fang d’Afrique équatoriale : l’épopée ethnographique du père Henri Trilles Louis Perrois
H
Le père Henri Trilles, 1866-1949.
Homme Fang, Gabon, vers 1905. Cette photographie, ainsi que celles reproduites p. 48 (droite) et p. 49, font partie d’un ensemble de prises de vue publiées en 1911 dans l’ouvrage du docteur Poutin Travaux scientifiques de la mission Cottes au Sud-Cameroun (1905-1908). La Congrégation du Saint-Esprit, qui conserve dans ses archives des négatifs sur verre originaux de ces photographies, les a diffusées sous forme de cartes postales dès le début du XXe siècle en y adjoignant la mention « Mission des P. P. du Saint-Esprit », ce qui laisse penser qu’elles ont pu à l’origine être prises par un Spiritain.
enri Trilles, né en 1866, après « dix années de préparation religieuse au petit puis au grand séminaire », choisit de consacrer sa vie aux missions africaines de la Congrégation des Pères du Saint-Esprit. Il partit pour la première fois en Afrique noire en 1893, à vingt-sept ans donc, à destination du Congo français, une région de grande forêt encore largement inexplorée. Débarqué à Libreville, il fut aussitôt envoyé à la mission catholique de Lambaréné, sur l’Ogooué, afin, comme c’était l’usage chez les Spiritains, de se familiariser durant une année avec les langues du lieu, le myènè et le fang (betsi), et de s’accoutumer à la vie quotidienne d’un poste de « brousse ». Il existait déjà des travaux linguistiques à propos de ces langues, notamment les dictionnaires mpongoué-français (œuvre collective des spiritains du Gabon, 1877) et français-fang du père Lejeune (1892), un des fondateurs avec le père Delorme de la mission de Lambaréné, justement (février 1881). Dès 1894, revenu à la mission mère de Donghila, sur l’estuaire du Gabon, non loin de Libreville, le jeune père Trilles entama alors une longue série de « tournées » en pays fang, le plus souvent en pirogue et à pied dans la forêt et les marécages, parcourant inlassablement toutes les vallées comprises entre le Bas-Ogooué et les Lacs, l’estuaire du Gabon, l’estuaire de la Mondah et la côte atlantique de Coco-Beach, les monts de Cristal, enfin celles des affluents de la rive droite de l’Ogooué (Como, Abanga, Okano, etc.), ce qui lui permit de découvrir progressivement bien des aspects étonnants de la vie coutumière des Fang.
Le père Trilles, un missionnaire-explorateur En 1899, il fut désigné par Mgr Le Roy, le supérieur général de la congrégation, pour accompagner, à l’époque du « contesté franco-espagnol », une véritable expédition d’exploration. Celle-ci, entre août 1899 (départ de Libreville, le vrai départ ayant lieu le 28 novembre de Bata) et avril 1901 (retour par la vallée du Como), soit dix-neuf mois d’aventures sans aucune pause, avait pour but, sur des instructions plus ou moins officieuses du ministre des Colonies d’alors, Florent Guillain, de rallier au drapeau français le maximum de villages fang, kota,
Page précédente Un garçon circoncis de l’ethnie Bambari-Banda-Moroba, Oubangui, vers 1935. Photographie du père Charles Féraille (1907-1975).
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Effigie gardienne de reliquaire Peuple Fang, Gabon XIX e siècle Bois, cuivre, laiton, perle, écorce, os 51 cm Ancienne collection CSSp Ancienne collection André Fourquet Collection privée
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Charles Knapp, le R. P. Trilles et le Gabon ROLAND KAEHR
A
Figure de reliquaire byeri Peuple Fang, Gabon XIX e siècle Bois 65 cm Achat au père Trilles en 1907 Neuchâtel, musée d’Ethnographie, III.C.2002
lors qu’il n’était que sous-conservateur de la section ethnographique du musée des Beaux-Arts, le géographe Charles Knapp (1855-1921) (Évard, 2001), archivistebibliothécaire de la Société neuchâteloise de géographie depuis sa fondation en 1885 et dévoué rédacteur de son Bulletin, avait déjà établi des relations avec le père Trilles, dès 1899 probablement. Il annonce ainsi dans le tome XII du BSNG (1900) : « En 1901, nous espérons faire paraître les notices suivantes : […] Le Folklore des Fang, par le R. P. Trilles, missionnaire à Sainte-Marie du Gabon. » Si le missionnaire spiritain occupe une place particulière dans l’histoire du musée d’Ethnographie de Neuchâtel, c’est non seulement parce que l’institution lui doit une de ses pièces vedettes, la célébrissime tête fang (ill. p. 67) (Kaehr, Perrois et Ghysels, 2007), mais aussi à cause de son implication dans le cadre de la Société neuchâteloise de géographie, notamment par plusieurs conférences. Le professeur Knapp « affirme avec force l’importance d’associer les travaux des missionnaires de son canton à ceux des membres de la Société », prise de position non sans conséquence : « L’amalgame entre monde scientifique et monde religieux n’est pas innocent et va influencer par la suite tout le discours ethnologique et anthropologique » (Minder, 2011 : 43) ; « Science, religion, philanthropie et morale participent du même esprit et s’unissent pour aboutir à un dessein commun : le salut de l’Afrique passe par la civilisation occidentale à laquelle tout Suisse est légitimement invité à apporter sa contribution » (Minder, 2011 : 44). En date du 28 juin 1901, « C. Knapp, Prof.
Conservateur du Musée ethnographique », anticipant sur ses futures responsabilités, adresse au « Département fédéral des péages » à Berne une requête en vue d’obtenir l’exonération des droits d’entrée pour « une caisse renfermant des objets ethnographiques des îles Salomon » ; et aussi pour un autre envoi, dont l’expéditeur n’est autre que le père Trilles, renfermant « une centaine d’objets pahouins du Congo français » (copie de lettres I, fo 84). Manifestement, les deux hommes se connaissent et des rapports conviviaux existent déjà avant de devenir des liens amicaux, ce que confirme la lettre suivante, adressée le 2 juillet 1901 au « Révérend Père », où il apparaît que, jusque-là, il n’avait pas été question d’argent : « La caisse renfermant les objets fang que vous avez adressée à notre Musée vient de me parvenir. Je l’ai déballée et en ai opéré la reconnaissance. Malheureusement, j’ai eu de la peine à identifier toutes les pièces, plusieurs n’ayant ni nos ni étiquettes, mais vous nous donnerez un supplément d’informations l’hiver prochain quand vous viendrez à Neuchâtel nous faire les conférences promises. Mon Comité a très favorablement accueilli vos offres obligeantes. […] La collection des crânes est très intéressante. Je la ferai étudier. Veuillez encore, svp, me faire savoir à quel prix vous évaluez votre collection ? En attendant de vos bonnes nouvelles, veuillez agréer, Révérend Père, mes salutations et mes vœux les plus affectueux, ainsi que mes très sincères remerciements » (copie de lettres I, fo 85). Comme le laisse entendre la lettre, le père Trilles est attendu pour des conférences ;
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L’ethnologue Alexandre Le Roy Philippe Laburthe-Tolra1
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a cause parut entendue pour le scientisme triomphant de la fin du XIXe et du début du XXe siècle : on ne pouvait être à la fois savant et croyant, se réclamer de l’âge positif tout en demeurant dans l’âge métaphysique. Vu sous cet angle, Pasteur avait fait figure d’attardé. Et pourtant, l’Institut catholique de Paris établit que, à cette même charnière des deux siècles, il restait possible, comme le demandait Léon XIII, de concilier foi et raison, d’être à la fois bon chrétien et grand savant. L’Institut prouvait cette possibilité en hébergeant dans ses murs, par exemple, pour les sciences « dures », un Édouard Branly, inventeur de la TSF, et, pour les sciences humaines, un Mgr Le Roy, missionnaire de la Congrégation du Saint-Esprit. Ce second cas, moins connu que l’autre, mérite d’être examiné.
Autorité naturelle et qualités intellectuelles Mgr Alexandre Le Roy, 1854-1938.
Carnet de notes personnel de Mgr Alexandre Le Roy, Curiosités littéraires, tome 2, vers 1880-1890, détail.
Alexandre Le Roy naquit en janvier 1854 dans une famille d’exploitants agricoles normands. Il y fut soumis à une double influence : la mémoire d’un aïeul maternel fusillé pour sa foi sous la Révolution ; la présence d’un grand-père dit « Jambe de Bois », survivant des guerres napoléoniennes et acquis aux idées libérales. Il aimait explorer la campagne avec son instituteur. Plus tard, à l’Abbaye Blanche de Mortain, où il fit ses études secondaires, il jouait en grec les tragédies de Sophocle et d’Euripide. Grand lecteur, reçu à dixhuit ans au baccalauréat, il fut touché par le passage du père Horner2, fondateur de la mission du Zanguebar (actuelle côte du Kenya et de la Tanzanie). Il décida pour y aller de se faire missionnaire d’Afrique chez les Spiritains, où il fut ordonné prêtre en 1876. Tout de suite remarqué tant pour l’autorité naturelle que lui conférait sa prestance que pour ses qualités intellectuelles, il fut d’abord utilisé comme professeur à l’île de la Réunion et en France. À vingt-sept ans, il fut nommé à Pondichéry principal d’un collège cédé un an plus tard aux Missions étrangères, et alors enfin nommé au Zanguebar. Il traversa l’Inde et gagna l’Afrique sur un bateau qu’il trouva excellent, appartenant au sultan Bargash, qui devait le faire plus tard « grand officier de l’Étoile brillante de Zanzibar ». Il rejoignit Bagamayo : il devait rester onze ans sur cette côte, où l’on rachetait aux musulmans des esclaves à christianiser. Il fonda la mission de Mombasa, fit hautement proclamer la liberté dans ces villages de chrétiens qui se croyaient toujours esclaves, rédigea le premier dictionnaire ki-swahili-français et une grammaire, explora le pays, releva le cours des rivières, effectua l’ascension du Kilimandjaro, où il découvrit des plantes, insectes, escargots inconnus qu’il expédia au Muséum, et dont certains porteraient son nom. Il célébra une messe à 4 800 mètres d’altitude. Il manqua de perdre la vue.
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Le rôle scientifique des missionnaires ALEXANDRE LE ROY
Liminaire de Mgr Alexandre Le Roy pour le premier numéro de la revue Anthropos1 (1906)
L
e premier devoir du Missionnaire catholique est de remplir sa mission : propager l’Évangile, faire le catéchisme, mettre les vérités nécessaires au salut à la portée du plus grand nombre d’âmes possible. C’est là sa raison d’être, c’est le
but de sa vie. Pour cela, et pour cela seul, il a quitté sa famille et son pays, il a renoncé à tout ce qui enchanta sa jeunesse, il s’est condamné à un travail ignoré, il est allé au-devant de la maladie, des déceptions, de la barbarie, de la trahison, de l’abandon et de la mort. Toute sa vie, il saura se rappeler cette vocation, et pour en rester toujours digne, il entretiendra soigneusement en son âme le feu sacré de l’enthousiasme, que Dieu y alluma et que nulle invasion sacrilège ne doit plus éteindre.
Le père Camille Laagel (1880-1956) prêchant, un crâne humain posé sur ses genoux, Angola, 1932.
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Ces trois photographies ont été prises à Brazzaville en 1918, lors de l’enterrement d’un chef Téké. Elles constituent un témoignage exceptionnel des rites funéraires anciens alors en vigueur chez ce peuple. Le défunt était enroulé dans plusieurs centaines de mètres d’étoffe, jusqu’à la formation d’un énorme « ballot », décoré, transporté puis mis en terre. Ces photographies témoignent également de la manière dont les missionnaires spiritains tentèrent d’adapter le message et les rites chrétiens aux circonstances locales. Ici, le ballot funéraire a été orné d’une croix et le père Ange Dréan (1882-1933) adresse à l’assistance un sermon sur le thème de la mort.
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Constant Tastevin, un missionnaire anthropologue en Afrique centrale Gwenaël Ben Aïssa
Le père Constant Tastevin, 1880-1962.
Statue masculine konde représentant un ancêtre célèbre Peuple Bembé, Congo Bois, faïence, coton 67 cm Collectée en 1933 par le père Tastevin Paris, musée du Quai Branly, 71.1934.82.13
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onstant Tastevin est né à Lorient le 21 février 1880. Après des études secondaires brillantes, il entre au noviciat des Pères du Saint-Esprit, puis rejoint le Séminaire français de Rome et l’Université grégorienne, où il décroche une médaille d’or pour sa thèse sur l’Inspiration de la Sainte-Écriture. Il est ordonné prêtre le 2 août 1904, avant le grand départ pour l’Amazonie brésilienne l’année suivante. Envoyé dans la région de Tefé, alors surnommée l’« enfer vert », il est chargé de l’évangélisation du fleuve Jurua, long de plus de 3 500 kilomètres. Cette affectation marque le début de sa carrière scientifique. S’improvisant cartographe, il effectue grâce à sa seule boussole le relevé du Jurua et de l’un de ses affluents, le Japura, et permet ainsi au Brésil de délimiter ses frontières avec le Pérou et la Colombie. Il commence également à étudier la langue et les coutumes des Indiens Tupi. C’est au cours de cette période qu’il entre en contact avec Paul Rivet, futur directeur du musée de l’Homme, avec lequel il publiera un livre en 1920, Affinités du maku et du puinave. D’autres ouvrages suivront, notamment une grammaire et un dictionnaire de la langue tupi. Ses recherches lui valent la reconnaissance du monde savant et il sera fait chevalier de la Légion d’honneur en 1927 pour ses travaux en tant que « missionnaire explorateur ethnographique ».
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Les collections spiritaines, témoignages méconnus des cultures anciennes d’Afrique noire
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De l’exposition missionnaire au musée scientifique Nicolas Rolland
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e la seconde moitié du XIXe siècle aux premières décennies du XXe, les missionnaires de la Congrégation du Saint-Esprit ont rapporté d’Afrique des milliers d’artefacts, formant avec le temps des collections étonnantes, composées à la fois de fragments du monde naturel (échantillons géologiques, animaux naturalisés, insectes, spécimens botaniques) et de produits de l’industrie humaine : vêtements, bijoux, outils, armement, artisanat, mais aussi masques et statues appartenant à des cultes par ailleurs réprouvés1. Ces objets composent un véritable sondage dans la vie des populations africaines de l’époque. Ils racontent leur quotidien, leurs traditions et leurs croyances. Ils reflètent également, à travers la subjectivité de ceux qui les ont réunis, l’image que les missionnaires se faisaient en leur temps de ces peuples. La logique qui présida à l’édification de ces ensembles reste aujourd’hui difficile à appréhender, notamment en l’absence d’informations précises concernant leur acquisition sur le terrain2. L’étude de leur parcours en Europe, bien mieux documenté, se révèle ainsi d’autant plus importante. Elle éclaire de façon frappante la manière dont ces témoignages, à travers musées et expositions, furent réunis et utilisés pour servir la propagande missionnaire et comment ils nourrirent, au passage, les représentations exotiques de l’imaginaire populaire.
Musées missionnaires
Cartes d’exposant au nom d’Alexandre Le Roy, Exposition universelle de Paris, 1900.
C’est sans doute dans les années 1860-1870, alors que les retours de missionnaires vers la France se multiplient, que les Spiritains rapportent leurs premiers objets d’Afrique. En l’absence d’inventaire ancien, il est cependant impossible de préciser leurs typologies et leur nombre. Le besoin se fait en tout cas rapidement ressentir de les organiser et de les présenter. Vers 1885, les pères du Saint-Esprit aménagent un musée au scolasticat de Chevilly, dans l’ancienne salle commune du noviciat3. Si le musée n’accueille encore que des missionnaires ou des séminaristes, les collections n’en gagnent pas moins le champ de l’espace public. Bientôt, d’autres maisons provinciales de la congrégation rassembleront également leurs objets dans des « cabinets » rudimentaires (Langonnet, Mortain, Blotzheim, Piré). La démarche est commune à tous les grands ordres missionnaires de la seconde moitié du XIXe siècle4.
Musée missionnaire des Orphelins apprentis d’Auteuil, vers 1930-1940. Page précédente « Fétiche des Ba-tégué et case fétiche », crayon sur papier, extrait de En passant, croquis de route (Gabon), Alexandre Le Roy, 1895.
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L’art du Sud-Gabon dans les collections spiritaines Charlotte Grand-Dufay
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n 1965, Jacques Millot1, directeur du musée de l’Homme, publiait dans la revue du musée huit objets phares de la collection des pères missionnaires de l’Abbaye Blanche de Mortain (Manche). Selon l’auteur, cet excellent ensemble d’objets représentatifs de la culture matérielle du Congo et du Gabon mérite d’être connu non seulement des visiteurs de passage, mais aussi des spécialistes. Il souligne l’absence d’indication de provenance et de date d’acquisition, ainsi que l’état illisible des quelques rares étiquettes persistantes. Un certain nombre d’objets des musées de l’abbaye Notre-Dame de Langonnet (Morbihan) et de l’Abbaye Blanche de Mortain furent vendus dans les années 1960, et le reste partiellement transféré au nouveau musée d’Arts africains de Langonnet, dédié à la mémoire de tous les pères missionnaires qui étudièrent les mœurs, les langues et les religions indigènes du Congo et du Gabon, et en rapportèrent les objets témoins exposés. Cette collection est presque uniquement formée d’objets provenant de l’Afrique équatoriale française (bassin de l’Ogooué et Congo), dont nous allons étudier ici les plus emblématiques : masques Okuyi-Mukuyi des Punu-Lumbu, masques, statues, marionnette, harpe du Bwete des TsogoVuvi et masque Kidumu des Téké Tsayi ainsi qu’un soufflet de forge.
Contexte culturel
Masque de la danse okuyi Peuble Punu, Gabon XIX e siècle Bois, polychromie 34 cm Collection CSSp
On ne peut dissocier les artefacts de leur contexte culturel. Le masque, dépositaire du passé ancestral, figure au cœur des sociétés secrètes (Mwiri, Bwete) chargées d’assurer le lien actif entre ce passé ancestral et le présent. Il est un instrument au service de l’éducation et de la formation, à la fois image et symbole. Le masque peut être une représentation féminine ou zoomorphe, une apparition effrayante et fantastique, un revenant, un spectre. L’Okuyi-Mukuyi est la danse sur échasses du Mwiri, génie légendaire adoré par les hommes ; c’est aussi une société secrète répandue dans tout le Gabon. Remarqué au XIXe siècle par l’explorateur Paul Du Chaillu, il n’est pas seulement un divertissement mais une pratique rituelle destinée principalement à terrifier et à maintenir les femmes dans le droit chemin2. Le Bwete, la confrérie la plus importante, repose sur le culte des ancêtres élevés du cadre familial au cadre collectif. La cérémonie initiatique repose sur l’absorption de l’iboga, plante hallucinogène considérée comme un bois miraculeux permettant une expérience mystique au pays natal, c’est-à-dire dans l’au-delà d’où l’homme est issu et où il retournera après sa mort physique. Au point culminant de la vision, les masques font leur apparition, le néophyte entre en contact avec les ancêtres, le soleil, la lune et les étoiles. Racontant aux initiés sa perception du Bwete, il est alors admis dans l’Ordre car il a vu le Bwete avec ses propres yeux.
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Les statues-reliquaires Ambété Frédéric Cloth
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Statue reliquaire Peuple Ambété, Gabon/République du Congo XIX e siècle Bois, pigments Ancienne collection Pierre et Maria-Gaetana Matisse Dessin de Frédéric Cloth
es arts africains traditionnels, sans doute à cause de leur attachement au sacré, suggèrent de multiples lectures à qui sait les déchiffrer. On notera pour exemple les travaux remarquables publiés sur l’art dogon1, ou, plus proches de la région qui nous intéresse ici, ceux de Marie-Claude Dupré et Raoul Léhuard sur le masque kidumu des Téké2. Ainsi, le cimier en forme de croissant si typique des objets dits Kota (ill. p. 151) fait probablement référence à un style de coiffure en crête que l’on peut voir représenté de façon moins ambiguë sur la fantastique sculpture Ambété du maître d’Abolo (ill. p. 158, 159). Si ce style de coiffure se retrouve souvent représenté sur les reliquaires dits kota et dans la statuaire de leurs voisins Téké et Ambété, très peu de documents ethnographiques, tels que photos (ill. p. 156) ou gravures, en portent pourtant témoignage. Nous allons y revenir. Comparé à la statuaire Kota en général et même à l’ensemble de la statuaire gabonaise, le traitement extrêmement minimaliste des mbumba – c’est ainsi que les figures de reliquaires Sango se nomment (ill. p. 153, 155) – fait presque figure d’intrus. Une piste pour comprendre cet apparent dépouillement nous est toutefois offerte par André Raponda-Walker3, qui nous apprend que mbumba désigne l’arc-en-ciel4, un puissant fétiche qui se rattache également au python5. Sachant cela, l’aspect minimaliste et le nom du mbumba Sango semblent prendre sens : un serpent symbole d’éternité, d’infini, de contenant et de contenu (selon la même source), et une référence au « fétiche » que représente le reliquaire. Revenons donc au croissant si caractéristique de la statuaire de l’est du Gabon et dont nous avons vu qu’il indiquait un style de coiffure. Il me semble qu’une sorte de « jeu de mots » se produit, expliquant le choix de cet attribut capillaire si étrangement inusité : évoquer par sa forme et par son fréquent décor radial un arc-en-ciel, un mbumba indicatif du statut de fétiche de l’objet. On voit donc ici comment trois objets pourtant très différents d’un point de vue stylistique, la figure Ambété du maître d’Abolo, un mbumba Sango et une mbulu ngulu Ndassa6, donnent trois interprétations finalement très similaires d’un même message : « Je suis un fétiche important. » On s’en étonnera moins si on mesure que Sango, Ambété et Ndassa sont par bien des aspects des peuples de cultures apparemment proches.
Traversée d’un pont de liane lors d’une tournée en forêt entre Franceville et Lékéti, pays Ambété, frontière Gabon/Congo, premier tiers du XXe siècle
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Fétiches : sculptures magico-religieuses chez les Kongo et les Téké Charles-Wesley Hourdé
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Statue à pouvoirs nkondi Aire culturelle Kongo, Congo/Angola (province de Cabinda) Fin XIXe, début XXe siècle Bois, clous, verre, résine, tissu 51 cm Collection CSSp
tymologiquement, le mot « fétiche » dérive du portugais feitiço1, signifiant au haut Moyen Âge pratique magique ou sorcellerie, et du latin facticius, non naturel, fabriqué. Il est employé par les voyageurs portugais dès le début du XVe siècle pour désigner les amulettes et talismans que portent les autochtones. Entré au fil du temps dans le langage populaire, le terme sera adopté par les Africains eux-mêmes pour remplacer les expressions équivalentes, infiniment plus variées, des langues vernaculaires. Pour les Occidentaux, le mot « fétiche » est chargé d’une connotation négative et vise à dénigrer ce qu’ils considèrent relever de la sorcellerie, de la magie ou de la superstition. Le terme véhicule également, comme le précise Pietz, un jugement réducteur sur les peuples africains : « En d’autres termes, “l’homme simple” ne peut qu’adorer servilement la puissance abstraite du pouvoir exercé par ceux qui contrôlent la force chaotique de la Nature. Une telle idéologie […] servait de manière évidente à justifier le commerce des esclaves en les faisant passer pour des êtres serviles par nature. » Au XVIIIe siècle, Charles de Brosses2 invente le concept de « fétichisme », qu’il place au rang des religions les plus primitives. Les Africains sont alors considérés comme des « idolâtres » et la signification du fétiche s’élargit, pour englober toute statuette ou amulette constituée d’une combinaison de matériaux et destinée à produire des actions concrètes. Pendant la période coloniale, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, de nombreuses expéditions étrangères (géographiques, militaires, ethnographiques, religieuses) parcourent l’Afrique et entrent en contact avec sa population. En découvrant peu à peu les cultes locaux, les mentalités changent, ainsi que la conception que l’on avait du fétiche. Ce dernier désigne dorénavant la sculpture en bois, qui n’est finalement pas un dieu mais le réceptacle de génies. Les simples amulettes sont qualifiées de gris-gris3. Le mot « fétiche » est encore largement utilisé jusqu’au début du XXe siècle dans la littérature, autant par les premiers amateurs d’art africain que par ses détracteurs. Les petites annonces des marchands d’art de l’époque, à destination des anciens coloniaux et militaires, indiquent qu’ils étaient à la recherche de trois types d’objets « nègres » : le masque, le fétiche et « l’ethnographie », cette dernière catégorie rassemblant un vaste choix d’objets utilitaires (parures, armes, outils, etc.). Au cours du siècle dernier, les spécialistes précisent la définition du mot, celui-ci ne désignant peu à peu qu’un certain type d’œuvre : tout objet présentant une adjonction de matière (clous, miroirs, charges magiques constituées d’éléments divers, patines sacrificielles, etc.). Mais le terme, renvoyant à l’idée de sorcellerie et d’exotisme, demeure dans l’imaginaire populaire. Tintin ne part-il pas à la recherche d’un mystérieux fétiche arumbaya, peuple imaginaire inventé par Hergé ?
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Témoignages
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Les Spiritains et les cultures traditionnelles africaines au XXIe siècle
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es précédents chapitres ont été consacrés essentiellement à l’analyse des rapports développés par les missionnaires spiritains avec les cultures africaines traditionnelles au tournant des XIXe et XXe siècles. Pour clore cet ouvrage, il a paru également important de s’interroger sur la continuité et la discontinuité de ces rapports au XXIe siècle. Cinquante ans après les indépendances africaines, alors que les peuples du continent ont reconquis pour la plupart leur autonomie politique, la large implantation du christianisme confirme la réussite du travail d’inculturation mené par les premiers missionnaires. Mais, au cours de cette période, la mission a également beaucoup changé. Elle a dû repenser son approche des populations, apprendre à travailler aux côtés d’une Église africaine, mais aussi reconnaître la persistance des religions traditionnelles et le développement d’un syncrétisme proprement africain. Quel regard les missionnaires spiritains portent-ils aujourd’hui sur leur action en Afrique ? Comment appréhendent-ils la spiritualité africaine au XXIe siècle ? La missiologie peut-elle encore, comme au début du XXe siècle, aider l’anthropologie ? N’est-ce pas surtout le missionnaire qui, aujourd’hui, a besoin des connaissances de l’anthropologue ? Afin d’esquisser quelques éléments de réponse à ces questions – qui mériteraient à elle seules une étude approfondie –, nous avons choisi de donner la parole à deux missionnaires spiritains, un Français et un Nigérian, afin qu’ils témoignent de leur rapport singulier à la culture africaine.
Page précédente : Le père François-Marie Pichon (1898-1966) en moto, Cameroun, vers 1930.
Chef Téké, Congo, vers 1880-1900.
Statue nkondi, aire culturelle Kongo (Congo) Dessin du père Maurice Briault (1875-1953), vers 1930.
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Aider les Africains à vivre libres
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Le père Bede Ukwuije est le premier assistant du supérieur général des Spiritains à Rome. Originaire du Nigeria, il est docteur en théologie de l’Institut catholique de Paris et de l’Université catholique de Louvain. Il a été missionnaire en France pendant douze ans, durant lesquels il a travaillé notamment comme aumônier des communautés africaines dans les diocèses de Rennes et de Nanterre et comme professeur de théologie à l’Institut catholique de Paris. De retour au Nigeria en 2005, il a travaillé comme professeur de théologie et directeur de formation à la Spiritan International School of Theology, Attakwu-Enugu, avant d’être appelé à Rome pour le poste qu’il occupe maintenant. Il est l’auteur de Trinité et inculturation (2008) et de The Memory of Self-Donation, Meeting the Challenges of Mission (2009).
Le frère Engelmar Z’graggen (1870-1939) dans sa forge avec son aide Gabriel, Muloyé, Cameroun, vers 1920.
par Bede Ukwuije
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omme la plupart de mes contemporains africains, j’ai baigné dans la thèse selon laquelle les missionnaires venus d’Europe ont détruit les cultures des peuples africains qu’ils ont évangélisés. C’est ce qui est communément appelé la tabula rasa (table rase). Mais plus je découvrais le travail fait par les missionnaires, plus je me rendais compte de la complexité de la rencontre entre la mission chrétienne et l’Afrique. Aujourd’hui, j’ose affirmer que les missionnaires qui ont travaillé en Afrique ont contribué de manière inestimable à la préservation des cultures africaines1. Les missionnaires ont sauvé les langues vernaculaires africaines en composant des dictionnaires et des grammaires, en rassemblant des proverbes, des contes et des chants folkloriques. Ces outils les ont aidés à traduire la Bible, les missels et d’autres instruments pour l’évangélisation. Comment oublier que le travail des missionnaires a provoqué des débats et des réflexions qui ont abouti au changement du regard de l’Église sur les cultures ? Bien avant l’autorisation de l’introduction de la langue vernaculaire dans la liturgie (Sacrosanctum concilium 36.3 ; 63a ; 100) et l’adaptation de la liturgie aux cultures et aux traditions des peuples (ibid. 37-40), les Spiritains ont pris l’option d’intégrer les différentes langues des peuples dans la célébration du mystère de la foi2. Ce faisant, ils ont aidé à faire émerger des compositeurs indigènes et la création de riches recueils de chants et de cantiques. Affirmer cette conviction ne veut pas dire occulter le côté tumultueux de l’histoire de la rencontre entre la mission chrétienne et les cultures africaines. Je ne nie pas le fait que certains missionnaires aient été méprisants vis-à-vis des cultures africaines. D’autres ont eu des difficultés à se défaire des préjugés de leur époque vis-à-vis d’elles. Mais cela n’autorise pas à les condamner en bloc. Quand on examine leur contribution au cas par cas, on ne peut que s’émerveiller devant l’ingénuité et la créativité de beaucoup d’entre eux. Le travail inestimable fait par Mgr Le Roy, les pères Duparquet et Augouard, Mgr Shanahan, Mgr Charles Heerey, etc. met à plat la thèse de la « table rase ». D’ailleurs, le travail culturel destiné à l’évangélisation s’est révélé d’un grand bénéfice pour le développement de l’identité culturelle des peuples africains. Comment oublier que le développement des langues vernaculaire a aidé les Africains à se mettre debout et à revendiquer leurs droits ? Plus ils lisaient la Bible dans leurs propres langues et chantaient les hymnes et les cantiques, plus ils découvraient la différence entre la fraternité universelle des êtres humains en Christ et les injustices qu’ils subissaient dans les mains des colons. Cela les a conduits à revendiquer leur indépendance. Aujourd’hui, les Africains sont fiers de se tenir sur le front de la rencontre interculturelle comme des propriétaires inaliénables de leurs propres langues3. La vision évolutionniste de l’histoire rêvait d’une époque où les religions disparaîtraient au profit de la raison et la science. On croyait que les traditions spirituelles africaines portées par les religions africaines disparaîtraient avec l’évangélisation et la civilisation soutenues par la science et la technologie. Mais le contraire s’est produit. Plus la culture se développe en se mondialisant, plus les traditions spirituelles africaines résistent. Ces traditions
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