Angel Alonso 1923-1994 (extrait)

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Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition « Angel Alonso », organisée par le Conseil général d’Eure-et-Loir, la ville de Dreux et l’association Les Chatelliers des arts, présentée à l’Ar[T]senal de Dreux du 18 octobe 2013 au 16 mars 2014. Commissariat : Jean-Marc Providence, Gérard Laillet avec le soutien de Patricia et Juan Carlos Marset L’éditeur, le Conseil général d’Eure-et-Loir, les commissaires et les organisateurs de l’exposition tiennent à exprimer toute leur gratitude à Monique Rigaud Alonso, Thierry et Stéphanie Alonso ainsi qu’à Jules Alonso et à leurs proches pour l’aide et la somme d’informations et de documents qu’ils ont pu apporter, sans lesquels cet ouvrage n’aurait pas eu la même richesse. Leurs remerciements très chaleureux s’adressent également aux amis et collectionneurs de l’artiste. Leurs prêts, le temps qu’ils nous ont consacré auront permis à cette exposition comme à son catalogue de donner une vision plus complète de l’œuvre d’Angel Alonso. Que Pascal Bonafoux, Marc Bourgeot, Pierre Bouvier, Danielle Bouvier Worms, Bertrand Cayeux, Philippe Fuzeau, Alladine Guevara, Frédéric Guislain, Vivien et Aymar de Gunzburg, Romain Lacroix, Ludovic Maucarré, Camille Maujean, Valérie Monnet, Béatrice Rosenberg, André Schoeller soient particulièrement remerciés. Et bien sûr les équipes du Compa et de la Direction générale adjointe des Cultures.

Les œuvres reproduites proviennent de collections particulières. Dans les légendes, toutes les années suivies du signe « ( ?) » correspondent à des datations des œuvres non indiquées par l’artiste.

© Somogy éditions d’art, Paris, 2013 © Conseil général d’Eure-et-Loir, 2013 Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Conception graphique : Arnaud Roussel Coordination éditoriale : Astrid Bargeton Contribution éditoriale : Emmanuelle Montagnese Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros ISBN 978-2-7572-0754-3 Dépôt légal : novembre 2013 Imprimé en Italie (Union européenne)


Angel

ALONSO


Sans titre, années 1950 ( ?), huile sur toile, 100 × 73 cm 4


Sommaire p. 7 p. 8 p. 13 p. 21 p. 29

Préface [Albéric de Montgolfier et Olivier Marleix] Vingt ans déjà... [Gérard Laillet] Ne pas s’écarter des astres... (au risque du désastre) [Jean-Marc Providence] D’intransigeance et de pressentiment [Pascal Bonafoux] Portrait d’Angel Alonso [Juan Carlos Marset]

p. 44 p. 58 p. 74 p. 90

Catalogue Couleurs Matières – Matériaux Noirs Les dernières années

p. 103 p. 106 p. 109 p. 112 p. 113 p. 114 p. 115 p. 116 p. 118 p. 120

Témoignages et amitiés Il y a quelques années... [Monique Rigaud Alonso] Je me souviens [Thierry Alonso] Un grand solitaire [E. M. Cioran] Alonso [Jeannine Worms] Meraud Guinness Guevara Angel, ta terre est bien la nôtre [Marc Bourgeot] Une exposition tant attendue [Béatrice Rosenberg] Souvenir d’Alonso [Aymar et Vivien de Gunzburg] Apparition d’Angel Alonso [María Zambrano] Pierre Tal Coat

p. 122

Éléments biographiques

p. 136

Indications bibliographiques


Sans titre, début des années 1960 ( ?), technique mixte sur toile, 46 × 38,5 cm 6


ALBÉRIC DE MONTGOLFIER, Sénateur, président du Conseil général d’Eure-et-Loir OLIVIER MARLEIX, Député, président de la commission Cultures et Vie associative du Conseil général d’Eure-et-Loir

Préface Un jour, Angel Alonso a vu par la fenêtre de sa ferme-atelier de Genainvilliers, la plaine incendiée, le chaume brûlé, l’herbe, la paille et la terre calcinées. Il n’a eu de cesse, alors, de dire « ce désastre » qui appelle les recommencements : labours et semaisons selon le mot-titre du poète Philippe Jaccottet. Pour peindre cet effacement soudain, cette brûlure radicale, Alonso s’enferme peu à peu dans l’opaque, le sombre, atteignant les limites où les signes s’effondrent. Et de penser à Beckett qui écrivait « essayer encore, rater encore, rater mieux »... Angel Alonso insiste. Il commence et recommence, il couvre et recouvre ses toiles du gris de la cendre et du noir du charbon. Il oublie la figure. Il oublie la couleur. C’est désormais le fond qui importe, les épaisseurs s’étagent et dessinent de lents mouvements tectoniques. La matière semble naître de la matière. On pourrait ici appliquer la phrase d’Adorno : « lorsqu’on parle de choses extrêmes (...) on éprouve une sorte de doute à l’égard de la forme ». Cette peinture de la terre brûlée retrouve sa virginité et son salut hors des signes grégaires. Elle démode la perfection des noirs de Malevitch et dépasse l’ultime de la couleur pour installer un mystère, les signes d’une abstraction tellurique.

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GÉRARD LAILLET, président de l’association Les Chatelliers des arts

Vingt ans déjà… « Il peint les visages... et les âmes ». C’est le titre de l’article que la journaliste Anne-Lise David consacre au peintre Thierry Alonso Gravleur et que je viens de lire dans l’Écho républicain de ce matin de décembre 2011. L’association de collectionneurs d’art contemporain, Les Chatelliers des arts, que j’ai l’honneur de présider, a maintenant un an. Membre du comité de sélection, j’ai pour mission, avec quelques amis, de me rendre dans les salons, ateliers ou galeries pour rechercher, sélectionner et acquérir des œuvres d’art pour le compte de notre association. Je ne connais pas le peintre Gravleur mais ce reportage suscite ma curiosité et sera incontestablement à l’origine de notre rencontre. Dès le lendemain de la parution de cet article, rendez-vous est pris à son atelier de Genainvilliers, à quelques kilomètres de Chartres. Il faut que je rencontre l’artiste, l’homme et que je découvre son travail. Par ce soir de décembre, Thierry me reçoit dans une ancienne ferme sans grand confort, dont l’atelier se trouve niché au fond du jardin. L’atmosphère semble quelque peu irréelle, la lumière faible et le froid perçant. Dans l’atelier, le choc. La confrontation brutale avec les tableaux de Thierry, déroutants, bouleversants, qui ne peuvent laisser indifférents car de sa peinture se dégage une émotion rarement égalée. Je tombe en arrêt devant un tableau, l’achat sera immédiat. Commence alors une histoire d’amitié et d’admiration. Nous nous rencontrons souvent, Thierry n’est pas avare de mails, de coups de téléphone et aime la discussion quelle que soit l’heure. S’ensuivent alors de nombreuses visites à Genainvilliers où je fais la connaissance de Monique, sa mère, première épouse du peintre Angel Alonso et merveilleuse mémoire vivante de l’artiste. Lorsqu’en juin 2012, je leur fais part d’un prochain voyage en Andalousie, ils me suggèrent de rencontrer leur fidèle ami Juan Carlos Marset. Universitaire, il demeure à Séville et a été le biographe de María Zambrano,

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mais surtout l’ami proche du père de Thierry Gravleur, le peintre exilé espagnol Angel Alonso. Grâce à Monique et Thierry, je découvre Angel Alonso. Les quelques œuvres conservées à la ferme de Genainvilliers où il a vécu de nombreuses années, les photos, les anecdotes, ses relations et amitiés avec de grands peintres de sa génération ont déjà retenu toute mon attention. Juan Carlos Marset est aussi, à la demande d’Angel, le dépositaire d’une importante collection que le peintre a souhaité voir retourner dans son pays natal à la fin de sa vie. Lorsque j’arrive à Séville accompagné de Sylvie, l’accueil de Juan Carlos et Patricia, son épouse, est à la hauteur de la recommandation. La demeure est comme un petit palais au cœur de la ville, ses murs sont couverts des tableaux du peintre. La chaleur, la gentillesse de Juan Carlos et Patricia, la découverte de tant d’œuvres remarquables me permettent de vivre des moments d’exception. Grâce à Juan Carlos Marset, l’Espagne avait su rendre un magnifique hommage à Angel Alonso, après sa mort, à travers plusieurs grandes expositions dont le succès avait été bien entendu au rendezvous. Dès mon retour, encore émerveillé par ce que je venais de voir, je relate ma visite à Thierry et Monique et évoque l’idée qu’une exposition pourrait être réalisée en France, et pourquoi pas en Eureet-Loir, région à laquelle Angel était profondément attaché. Il est à mon sens temps, pour l’artiste, pour l’œuvre, pour sa famille et pour nos contemporains, de remettre enfin dans notre pays, cet artiste à la place qui aurait dû toujours être la sienne. Le défi est ambitieux mais j’obtiens rapidement l’adhésion de la famille. Pour autant, il me faut trouver de l’aide et c’est Albéric de Montgolfier, président du Conseil général d’Eure-et-Loir, qui sera le premier à partager avec enthousiasme ce projet pour lequel il m’apporte un réel soutien ainsi que la logistique nécessaire. Dans le cadre de cette exposition, très vite les tâches sont réparties et il me revient, entre autres, celle de rencontrer les collectionneurs historiques du peintre afin d’obtenir leur accord pour d’éventuels prêts d’œuvres. Pour leur accueil, leur gentillesse et leur enthousiasme, je souhaite particulièrement remercier Juan Carlos Marset, Béatrice Rosenberg, le regretté baron Pierre de Gunzburg, ses fils Vivien et Aymar, Danielle Bouvier Worms, Nicolas Neumann, Stéphanie Alonso, Jules Alonso, Ludovic Maucarré ainsi que Frédéric Guislain. Près de vingt ans après la disparition d’Angel Alonso, je suis particulièrement heureux d’avoir pu contribuer à la réalisation de cette exposition. J’émets le souhait que vous partagiez avec moi le talent de cet artiste qui, en nos terres beauceronnes, a su créer de nombreuses œuvres magistrales dont beaucoup n’ont encore jamais été présentées en France.

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Terre (sec-humide), 1966-1967, technique mixte (terre) sur toile, 82 × 131 cm 10


Humidité, fin des années 1970, technique mixte (terre et paille) sur bois, 77 × 105 cm 11



JEAN-MARC PROVIDENCE

Ne pas s’écarter des astres… (au risque du désastre) L’idée de bâtir une exposition autour du travail d’Angel Alonso dont l’atelier a été installé pendant trente ans à Genainvilliers, près de Courville, en Eure-et-Loir, n’est sans doute pas tout à fait étrangère à celle de réparer une injustice. Comment ce peintre dont Cioran disait, en 1987, qu’il était « le dernier peintre français », a-t-il pu sombrer dans un oubli quasi général, rompu seulement par quelques amis fidèles et quelques universitaires et intellectuels, essentiellement espagnols, le reconnaissant parmi les plus grands ? Nous sommes en présence d’un artiste qui fut l’ami très proche de deux illustres contemporains, Nicolas de Staël et Pierre Tal Coat, qui fut un peintre aussi exigeant qu’intransigeant, connu et reconnu par les plus grands collectionneurs, critiques et galeristes et qui fut sans doute l’un des hommes les plus charmeurs et les plus séduisants que l’on puisse imaginer, un beau et doux parleur qui savait comme personne retenir l’attention de son auditoire par la force de son propos, la fermeté de ses positions et « son inimitable tempo ». Et pourtant aucune exposition d’importance en France, aucun ouvrage et très peu d’articles qui lui soient consacrés. Rien. Le silence injuste et lourd du non-dit. C’est-à-dire de ce qui reste à dire : – Dire l’incroyable cohérence d’une œuvre qui court sur plus de quarante ans (1950–1994). Il décidera de recouvrir de son noir charbonneux ses toiles de toutes les couleurs, qui avaient rencontré le succès lors d’une exposition tenue dans une galerie niçoise, affirmant que « décidément, la couleur est une pute »... Il a toujours exclu de peindre avec de la peinture en tube achetée dans le commerce qui n’aurait pu l’amener qu’à produire « une peinture commerciale ».

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– Dire l’étonnant engagement de cet artiste généreux à l’extrême mais ombrageux et orgueilleux aussi. Il se fâche et s’écarte aussi facilement qu’il lie des amitiés neuves. Il restera très proche des enfants de Nicolas de Staël après le suicide de ce dernier. À la ferme de la Chapelle, il accueille, avec Monique, tous ceux qui ont besoin de faire une pause... qui peut durer plusieurs années. – Dire la rigueur qui accompagne son travail fait de recommencements plus que de répétitions et qui consiste à pousser toujours plus loin l’exigence. – Dire la culture de ce peintre qui cherche, de ce lecteur qui lit les poètes, qui manie les mots mieux que personne et qui aime les idées qui dérangent et les gens qui les portent. – Dire la fidélité de cet ami, qui reconnaît à l’autre sa capacité à l’aider à penser et à aimer mieux, telle la philosophe María Zambrano qu’il retrouvera toujours avec le même bonheur. – Dire une recherche permanente qui l’amène à essayer toutes les matières : la terre, la paille, la cendre, la poussière de charbon, le marbre broyé, le bois, le mégot écrasé, la pince à linge, les papiers déchirés, les chiffons blancs ou maculés... sans changer la manière. Et à tenter de sortir du cadre qui contraint, qui empêche que « ça déborde ». – Dire enfin une œuvre qui dit la radicalité d’un temps où les remises en cause ne semblaient pas vaines, où les modes ne disaient pas la futilité et la versatilité du paraître mais des choix d’être. Un temps où le cynisme était une façon de se protéger contre les préjugés et les idées toutes faites ou surfaites, où le nihilisme était une réponse à la douleur du vivre. – Dire la force de ses noirs cendreux venus des terres et des pailles brûlées, à l’automne, devant la ferme de la Chapelle ; de ses noirs tourbeux devenus si denses qu’ils gardent la trace des couteaux et des spatules, de la pièce de bois qui épand la matière et s’immobilise engluée, enlisée ; de ses noirs de velours où la pierre-repère affleure parfois ; de ses noirs avec « effet de gel », ultime « série noire » inspirée par l’Afrique qui s’éveille (Soweto). – Dire le titre immuable de beaucoup de ses toiles noires : Désastres, mot pour lui, de tous les jours, mot majeur, mot major, mis à toutes les sauces et commandant beaucoup de ses jugements sur le monde. – Dire cette belle série qui vient à la naissance de Jules, son petit-fils et qui lui fait épingler des maillots-oriflammes à un fil à linge qui court, joyeux, de toile en toile. – Dire une palette de couleurs longtemps éclatantes, franches et sans adjuvant, qui ajoute au jaune des citrons, le jaune des colzas, l’orange des oranges, le vert des pommes et de l’herbe bonne à presser, le bleu profond des eaux profondes, et le rouge rare des fruits déjà mûrs. Mais en dehors de

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ces grands aplats naturels que n’altère aucun naturalisme, dominent encore et toujours les noirs qui couvrent et recouvrent les surfaces et les supports avec les blancs qui les révèlent (les noirs). – Dire les deux fils, Jean-Jacques et Thierry, qui travaillent tôt avec lui, qui vont, pour lui, chercher et préparer les matériaux et les matières. Jean-Jacques qui devient, à la fin, ses bras, sa main, le souffle qui lui manque... Jean-Jacques et Thierry si proches et Stéphanie, sa fille, « la prunelle de ses yeux ». – Dire encore et toujours ce noir venu, peut-être, de l’Espagne sombre et des grands d’Espagne : Goya, Velázquez et qui ont fait du noir « l’origine et la fin de tout ». – Dire le refus de toute théorisation sur « sa » peinture avec toujours cette peur du cadre qui enferme, des mots qui emprisonnent, des critiques qui s’aveuglent et aveuglent, des possibles qui s’expliquent et des absolus qui se commentent. – Dire les femmes qui ont traversé, chaviré et accompagné sa vie. Femmes fidèles encore à une œuvre gardée à portée d’œil. – Dire enfin ses dernières pièces : petits embaumements, fragiles linceuls. Tout blanc. Et les flèches noires d’une signalétique essentielle qui mènent tout droit vers le ciel, simplicité digne des signes premiers quand vient la fin. Cendres sur la plaine...

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Rapaces, 1976-1978 ( ?), paille et matériaux mixtes sur papier, 65 × 48 cm 16


Sans titre, technique mixte, 105 × 78 cm (non exposé) 18


Désastres II, 1991, technique mixte, 152 × 100 cm 19


Sans titre, 1985-1986, technique mixte sur bois, 122 × 122 cm 27


Vert avec bois, 1990, technique mixte, 163 × 140 cm (non exposé) 41


Sans titre (Le Petit Jaune), 1992, technique mixte, 38 × 26 cm 43



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