Antinoé. Momies, textiles, céramiques et autres antiques (extrait)

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ANTINOÉ MOMIES, TEXTILES, CÉRAMIQUES ET AUTRES ANTIQUES


À Chantal Orgogozo, qui initia ce récolement et qui eut l’idée de cet ouvrage sur les collections d’Antinoé.

Musée du Louvre

Somogy éditions d’art

Jean-Luc Martinez

Nicolas Neumann

Président-directeur

Directeur éditorial

Hervé Barbaret

Sarah Houssin-Dreyfuss, avec la collaboration d’Astrid Bargeton

Administrateur général

Juliette Armand Direction de la Production culturelle

Édition Musée du Louvre Direction de la Production culturelle Violaine Bouvet-Lanselle Chef du service des Éditions

Fabrice Douar

Coordination et suivi éditorial

Marion Lacroix Contribution éditoriale

Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros Fabrication

François Dinguirard Conception graphique

Coordination et suivi éditorial

Claire Raveau Cartographie

Service du R écolement des dépôts Lise Mész Suivi éditorial

En application de la loi du 11 mars 1957 (art. 41) et du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre. © musée du Louvre, Paris, 2013 © Somogy éditions d’art, Paris, 2013 www.louvre.fr www.somogy.fr ISBN musée du Louvre : 978-2-35031-449-5 ISBN Somogy éditions d’art : 978-2-7572-0666-9 Dépôt légal : octobre 2013 Imprimé en Italie (Union européenne)

En couverture : Momie d’homme, dite du « Fonctionnaire à la pourpre », Lille, palais des Beaux-Arts, momie no 2 (cat. 68).


ANTINOÉ

Momies, textiles, céramiques et autres antiques Envois de l’État et dépôts du musée du Louvre de 1901 à nos jours

Sous la direction de

Yannick Lintz Conservatrice en chef du patrimoine, chargée du service du Récolement des dépôts, musée du Louvre, Paris et de

Magali Coudert Collaboratrice scientifique de conservation – coptologie, service du Récolement des dépôts, musée du Louvre, Paris

HISTOIRE DES COLLECTIONS DU MUSÉE DU LOUVRE



Sommaire

Préface

9

Jean-Luc Martinez

Auteurs 10 Abréviations 13 Remerciements 14 Introduction

18

Yannick Lintz et Magali Coudert

ÉTUDES HISTORIQUES, ARCHÉOLOGIQUES ET SCIENTIFIQUES I – Historique des envois Les fouilles d’Antinoé d’hier à aujourd’hui : une mise en perspective

23

Florence Calament

Le rôle de l’État français dans les fouilles d’Antinoé et dans la répartition des collections en France et à l’étranger

30

Yannick Lintz et Sophie Kervran, avec les contributions de Catherine Graindorge et de Magali Coudert

II – Recherches scientifiques et nouvelles perspectives sur les populations romaine et byzantine d’Antinoé Historique des recherches scientifiques sur les œuvres d’Antinoé

49

Dominique Bénazeth

Des recherches pour mieux connaître la collection et pour mieux comprendre 51 les modes de vie de la population d’Antinoé à l’époque antique Magali Coudert et Yannick Lintz

1. Études scientifiques d’un corpus de quarante momies Paléopathologie des momies

56

Pierre-Léon Thillaud

Imagerie médicale des momies

61

Samuel Mérigeaud

Étude odontologique des momies

66

Laurent Dussarps

Datation par le radiocarbone : étude chronologique des momies et de leur matériel funéraire

74

Pascale Richardin, Magali Coudert, Nathalie Gandolfo et Julien Vincent

Reconstitution de l’alimentation de la population d’Antinoé 82 aux époques romaine, byzantine et islamique par les analyses d’isotopes stables du carbone, de l’azote et du soufre de la kératine de cheveux de momies Dorothée Drucker et Hervé Bocherens

Ingénierie de la peau et des cheveux des momies Roberto Vargiolu, Cyril Pailler-Mattei et Hassan Zahouani Archéobotanique : étude des végétaux associés aux momies Romain Thomas, Margareta Tengberg et Dario De Franceschi

89 94


Vers une étude paléogénétique des momies d’Antinoé conservées au palais des Beaux-Arts de Lille

99

Eva-Maria Geigl, Andrew Bennett, Laurent Cardin et Thierry Grange

Des résultats prometteurs pour l’étude des momies et pour la connaissance d’Antinoé à l’époque antique

103

Magali Coudert

2. Études et perspectives scientifiques dans la recherche sur les textiles coptes Les différents types de textiles coptes : historique, utilisation, matériaux, techniques

109

Roberta Cortopassi

L’apport de la recherche scientifique à la connaissance des tissus

114

Dominique Bénazeth, avec la collaboration de Pascale Richardin et de Nathalie Gandolfo

Étude d’un type vestimentaire : les coiffes

120

Fabienne Médard

Cheveux et couvre-chefs textiles : caractérisation des colorants

134

Witold Nowik

CATALOGUE DES COLLECTIONS Introduction 143 Yannick Lintz et Magali Coudert

Sarcophages 147 Françoise Dunand

Masques de momies

153

Françoise Dunand

Momies 175 Magali Coudert, Samuel Mérigeaud, Pierre-Léon Thillaud et Laurent Dussarps

Textiles 255 Magali Coudert, Roberta Cortopassi et Fabienne Médard

Figurines en terre cuite

379

Pascale Ballet et Lise Mész

Céramiques 399 Delphine Dixneuf

Lampes 421 Delphine Dixneuf

Verres 433 Véronique Arveiller

Bois 449 Marie-Hélène Rutschowscaya et Florence Calament

Cuirs 459 Véronique Montembault

Objets en métal Dominique Bénazeth

477


ANNEXES Carte des principaux sites d’époque romano-byzantine en Égypte 487 Chronologie 488 Tableau synoptique des études réalisées sur le corpus de quarante momies

490

Carte de répartition des envois de l’État et des dépôts du musée du Louvre des collections d’Antinoé en France de 1901 à nos jours

493

Lise Mész

Villes et institutions dépositaires actuelles des envois de l’État et des dépôts du musée du Louvre des collections d’Antinoé en France et à l’étranger

494

Lise Mész

Tableau des envois de l’État et des dépôts du musée du Louvre des collections d’Antinoé, en France et à l’étranger, de 1901 à nos jours

496

Lise Mész

Glossaire 569 Sources archivistiques et documentaires

575

Bibliographie 577 Crédits photographiques

600



Préface Jean-Luc Martinez, président-directeur du musée du Louvre

C’est en 1996 qu’a débuté l’ambitieux chantier du récolement des dépôts du Louvre, sous la conduite de la Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art, mise en place à la suite d’un rapport de la Cour des comptes. Il était difficile, à l’époque, d’estimer le nombre d’œuvres concernées par cette opération, en particulier pour les collections archéologiques. Issus de partages de fouilles, arrivés par caisses entières du pourtour méditerranéen ou de l’Orient, les objets étaient en effet souvent redistribués en France et à l’étranger et n’avaient parfois fait que transiter par les réserves du Louvre. La Commission de récolement s’était alors donné dix ans pour accomplir ce travail titanesque. Pourtant, dix ans après, il fallut constater l’ampleur de cette tâche, de l’identification des œuvres jusqu’à l’exploitation des résultats du récolement, incluant bien souvent d’épineuses questions juridiques. Cette mission, désormais inscrite dans le Code du patrimoine, concerne en effet trente mille œuvres dispersées dans plus de deux cents institutions en France et à l’étranger. Conscient de l’enjeu, au cœur même des missions du Louvre, le musée a créé dès le début de ce chantier une équipe dédiée à ce projet. Dès ma nomination à la tête du Louvre, j’ai souhaité que l’on valorise davantage l’extraordinaire richesse de nos collections permanentes et que tout soit fait pour rapprocher l’œuvre du visiteur. Les œuvres en dépôt dans les musées de région ou à l’étranger, même si elles ne sont pas physiquement au Louvre, font pleinement partie de ces collections qu’il convient de faire connaître. L’un des mérites du présent ouvrage est de permettre d’en découvrir un beau florilège et, plus encore, de témoigner de leur histoire parfois mouvementée. Résultat de quinze années d’un patient travail de récolement, ce livre vient rappeler la pertinence et la qualité de cette entreprise scientifique et patrimoniale du musée du Louvre, une tâche qui a donné lieu à de nombreuses découvertes grâce à l’étude minutieuse de ce patrimoine méconnu, et parfois même oublié, dont la valeur scientifique, culturelle et historique est pourtant essentielle. Je souhaite remercier toutes celles et tous ceux qui, par leur travail de recherche et de récolement, ont permis d’aboutir à ce résultat, et rendre hommage à la Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art et à son président actuel, Jacques Sallois, ainsi qu’au service des Musées de France pour leur précieux soutien. Tout au long de ces années, ils ont été convaincus de l’importance de ce chantier qui, au-delà du résultat quantitatif de l’avancement du récolement, appelle une exigence de rigueur et d’excellence scientifique.

9


Auteurs

Véronique Arveiller, ingénieure d’études, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, musée du Louvre, Paris

Magali Coudert, collaboratrice scientifique de conservation – coptologie, service du Récolement des dépôts, musée du Louvre, Paris

Pascale Ballet, professeure d’histoire de l’art et d’archéologie, université de Poitiers, Poitiers

Dario De Franceschi, doctorant en botanique, UMR 7207, Centre de recherche sur la paléobiodiversité et les paléoenvironnements, Muséum national d’histoire naturelle, Paris

Dominique Bénazeth, conservatrice en chef du patrimoine, département des Antiquités égyptiennes, section copte, musée du Louvre, Paris Andrew Bennett, chercheur, équipe Épigénome et paléogénome (recherche sur l’ADN), institut Jacques-Monod, Centre national de la recherche scientifique, université Paris VII-Diderot, Paris Hervé Bocherens, professeur, Institut für Geowissenschaften – Biogeologie Universität, Tübingen Florence Calament, conservatrice du patrimoine, département des Antiquités égyptiennes, section copte, musée du Louvre, Paris Laurent Cardin, étudiant en master 2, équipe Épigénome et paléogénome (recherche sur l’ADN), institut Jacques-Monod, Centre national de la recherche scientifique, université Paris VII-Diderot, Paris Roberta Cortopassi, conservatrice du patrimoine, Centre de recherche et de restauration des musées de France, Paris 10

Delphine Dixneuf, ingénieure de recherche, Centre d’études alexandrines, Alexandrie Dorothée Drucker, chercheuse, Institut für Geowissenschaften – Biogeologie Universität, Tübingen Françoise Dunand, professeure émérite d’histoire des religions, université Marc-Bloch, Strasbourg Laurent Dussarps, chirurgien-dentiste, Gradignan Nathalie Gandolfo, chercheuse, groupe Datation – datation par le carbone 14, département « recherche », Centre de recherche et de restauration des musées de France, Paris Eva-Maria Geigl, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique, coresponsable de l’équipe Épigénome et paléogénome (recherche sur l’ADN), institut Jacques-Monod, Centre national de la recherche scientifique, université Paris VII-Diderot, Paris


Thierry Grange, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique, coresponsable de l’équipe Épigénome et paléogénome (recherche sur l’ADN), institut Jacques-Monod, Centre national de la recherche scientifique, université Paris VII-Diderot, Paris Sophie Kervran, conservatrice du patrimoine stagiaire, service du Récolement des dépôts, musée du Louvre, Paris Yannick Lintz, conservatrice en chef du patrimoine, chargée du service du Récolement des dépôts, musée du Louvre, Paris Fabienne Médard, archéologue, spécialiste de l’étude technique des textiles anciens, Sierentz Samuel Mérigeaud, médecin radiologue, clinique du Parc, Castelnau-le-Lez, et gérant de Tridilogy SARL, Saint-Gély-du-Fesc Lise Mész, archéologue, chargée d’études documentaires, service du Récolement des dépôts, musée du Louvre, Paris Véronique Montembault, restauratrice spécialisée dans le traitement et l’étude des cuirs, Bayeux Witold Nowik, ingénieur de recherche, Centre de recherche et de restauration des musées de France, Paris Cyril Pailler-Mattei, chercheur, laboratoire de tribologie et dynamique des systèmes, UMR 5513, Centre national de la recherche scientifique, École centrale de Lyon, Lyon

Pascale Richardin, ingénieure de recherche, responsable du groupe Datation – datation par le carbone 14, département « recherche », Centre de recherche et de restauration des musées de France, Paris Marie-Hélène Rutschowscaya, conservatrice générale du patrimoine honoraire, musée du Louvre, Paris Margareta Tengberg, archéobotaniste, UMR 7209, Archéozoologie, archéobotanique : sociétés, pratiques et environnements, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Pierre-Léon Thillaud, docteur en médecine, paléopathologiste, chargé de conférences, École pratique des hautes études, Paris Romain Thomas, archéobotaniste, maître de conférences, UMR 7027, Centre national de la recherche scientifique, université Paris VI, département histoire de la Terre, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Roberto Vargiolu, ingénieur d’études, laboratoire de tribologie et dynamique des systèmes, UMR 5513, Centre national de la recherche scientifique, École centrale de Lyon, Lyon Julien Vincent, technicien de recherche, Centre de recherche et de restauration des musées de France, Paris Hassan Zahouani, professeur d’université, chercheur, laboratoire de tribologie et dynamique des systèmes, UMR 5513, Centre national de la recherche scientifique, École centrale de Lyon, Lyon 11


Avec la contribution de tous les collaborateurs anciens et actuels du service du Récolement des dépôts du musée du Louvre, Paris : Caroline Biro Marie-Josée Castor Anne-Elizabeth Dunn-Vaturi Anne-Laure Goisnard Catherine Graindorge Annabelle Mathias Lise Mész Anne Mettetal-Brandt Nathalie Michel Chantal Orgogozo Marine Raudin Caroline Tsagouris Christine Walter

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Et des stagiaires successifs, qui, au sein du service, ont su s’adapter aux tâches qui leur étaient dévolues à une étape précise du projet de publication en cours, en participant de manière efficace et productive : Marion Dangeon Marine Desormeau Géraldine Fondebilla Abigail Lafoucrière Julie Langlais Nicolas de Larquier Laure Parent Cécile Poulot Claire-Gaëlle Renaud Julien Rocha Odile Tankéré


Abréviations

archives du musée Guimet archives des musées AMN nationaux Archives nationales AN anc. ancien ap. J.-C. après Jésus-Christ av. J.-C. avant Jésus-Christ Bibl. bibliographie Bibl. de comp. bibliographie de comparaison Bibliothèque nationale BnF de France BP  Before Present, âge radiocarbone exprimé en années BP, c’est-à-dire avant le présent Centre des archives CADN  diplomatiques de Nantes cal. AD dates calibrées exprimées en années calendaires, abrégées cal. AD, c’est-à-dire ap. J.-C. cat. catalogue cm centimètre C2RMF Centre de recherche et de restauration des musées de France Diam. diamètre Dr docteur éd. édition (éd.) éditeur(s) emb. embouchure env.  environ AMG

Ép. épaisseur fasc.  fascicule fig. figure H.  hauteur H. cons.  hauteur conservée ill. illustration insc. inscription inv. inventaire L. longueur L. cons. longueur conservée l. largeur mètre m max. maximum min. minimum mm millimètre µm micromètre nm nanomètre o n numéro p. page P. périmètre pl. planche Pr professeur Pr. profondeur rééd. réédition RMN Réunion des musées nationaux s. d. sans date SFFA Société française de(s) fouilles archéologiques service du Récolement SRD des dépôts s. v. en latin sub voce ou sub verbo, « au mot » t. tome vol. volume

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Remerciements

Cet ouvrage constitue l’aboutissement d’un travail d’équipe mené par le service du Récolement des dépôts du musée du Louvre pendant les quinze dernières années. Il est le résultat de la mobilisation de plus d’une centaine de personnes, allant des différents opérateurs du Louvre et des scientifiques d’autres institutions aux divers dépositaires et à leurs partenaires. En tout premier lieu, parmi les membres du service, une place particulière revient dans ces remerciements à Chantal Orgogozo, qui fonda ce service et le dirigea avec passion et rigueur durant douze ans. Que soient aussi remerciés chaleureusement tous les autres membres de l’équipe, anciens et actuels (Caroline Biro, Marie-Josée Castor, AnneElizabeth Dunn-Vaturi, Anne-Laure Goisnard, Catherine Graindorge, Annabelle Mathias, Lise Mész, Anne Mettetal-Brandt, Nathalie Michel, Marine Raudin, Caroline Tsagouris, Christine Walter), pour la rigueur continue et la précision du travail accompli malgré la complexité et l’immensité de la tâche. L’aide de Marine Raudin à l’organisation en amont des opérations de scanner des momies, en termes de régie,a été bénéfique. Une mention particulière revient à Lise Mész pour le suivi éditorial de l’ouvrage au sein du service. Nous manifestons notre sincère reconnaissance à toutes les autres personnes du musée du Louvre qui ont permis la réalisation de notre projet pluridisciplinaire d’études scientifiques portant sur la collection d’Antinoé. Nous remercions Henri Loyrette, précédent président-directeur du Louvre, de 2001 à 2013, dont le soutien, manifesté dès l’émergence de l’idée d’une publication consacrée à la collection d’Antinoé récolée par nos soins, a rendu l’opération possible. Nous remercions également l’actuel présidentdirecteur du Louvre, Jean-Luc Martinez, de nous avoir permis de poursuivre et d’achever ce projet. Nous exprimons notre profonde gratitude à l’équipe de la section copte du département des Antiquités égyptiennes, à Florence Calament, qui, tout au long des années qu’aura duré le récolement des œuvres d’Antinoé, a régulièrement accepté de nous transmettre des documents archivistiques issus de ses propres recherches sur le sujet. Merci à Marie-Hélène Rutschowscaya pour son suivi régulier et les conseils qu’elle nous a prodigués au cours des différentes étapes de notre projet, ainsi qu’à Dominique Bénazeth pour sa bienveillante écoute, sa relecture attentive et minutieuse de l’ensemble du manuscrit et sa disponibilité durant les dernières semaines de réalisation de l’ouvrage. La confiance et les conseils avisés d’Hélène Guichard, du département des Antiquités égyptiennes, de même que les discussions productives que nous avons eues avec elle, nous ont été très précieux. Pour le suivi administratif, juridique et financier, nous sommes redevables à l’aide régulière de Germaine Chicaya et Brice Mathieu, qui ont su s’adapter avec ardeur et réactivité, malgré des délais parfois très courts, à nos différentes commandes de photo­graphies, de dessins et d’organisation de voyages à travers la France. Nous témoignons notre vive reconnaissance à Salima Amann, au département des Antiquités orientales, pour son aide précieuse. Nous sommes reconnaissants également au service des Éditions, notamment à Violaine Bouvet-Lanselle, chef de ce service, et à Fabrice Douar, chargé de cet ouvrage d’un point de vue éditorial, pour l’intérêt porté à notre projet et le choix d’une équipe éditoriale d’une efficacité remarquable chez notre coéditeur, Somogy éditions d’art : Sarah Houssin-Dreyfuss, Marion Lacroix et François Dinguirard. L’active collaboration de Virginie Fabre, du service Images et Ressources documentaires, nous a été très utile. 14


Les remarques avisées et précises de Yohann Thibaudault, qui a généreusement accepté de participer à la relecture, ont été pleinement constructives. Les compétences de Céline Boutantin ont aidé à l’identification de quelques figurines. Les photographes Carine Déambrosis et Daniel Lebée ont grandement participé à la concrétisation de l’ouvrage, grâce à leur talent, leur adaptabilité et leur généreux enthousiasme à faire un « tour de France » des collections d’Antinoé pour illustrer largement cette publication. Nous adressons par ailleurs nos plus vifs remerciements à l’ensemble de l’équipe pluridisciplinaire chargée de l’étude des quarante momies de la collection. Nos pensées vont tout particulièrement à Laure Cadot, dont le travail efficace, en collaboration avec les équipes des musées concernés, a jalonné les multiples étapes de notre étude, en garantissant la conservation optimale des différents individus. Ce projet ambitieux et complexe n’aurait pu aboutir sans l’engagement soutenu des chercheurs qui se sont profondément investis dans cette étude et ont su collaborer de manière productive et idéale : Hervé Bocherens, Laurent Dussarps, Nathalie Gandolfo, Eva-Maria Geigl, Samuel Mérigeaud, Pascale Richardin, Pierre-Léon Thillaud et Roberto Vargiolu. Que le personnel des différentes équipes de recherche dans lesquelles chacun de ces spécialistes est intégré reçoive notre sincère reconnaissance pour l’intérêt manifesté à notre projet et pour l’aide apportée. L’efficace assistance technique de Bernd Steinhilber et Christoph Wissing, du département des sciences de la Terre de l’université de Tübingen, de Christophe Moreau et de toute son équipe du Laboratoire de mesure du carbone 14 (LMC14 – UMS 2572) a été essentielle à la réalisation des analyses isotopiques et à celle des mesures de radiocarbone. L’assistance analytique et le traitement des données par Athénaïs Davantès ont fort bien contribué à la réussite des analyses de colorants. Nous témoignons notre sincère reconnaissance à François Bourlon (société Materialise Dental) et à Élisabeth Ducouret (société Dentsply) pour leur soutien au projet d’étude du chirurgien-dentiste de l’équipe, Laurent Dussarps, et pour avoir mis à sa disposition le logiciel SimPlant®. Cette contribution lui a permis de réaliser une étude odontologique plus précise et plus approfondie. La collaboration entre le musée du Louvre et le Centre de recherche et de restauration des musées de France s’est une fois encore révélée très riche et très productive, et a grandement facilité la réalisation de nombreuses analyses scientifiques. Au sein de ce centre, nous remercions Marie Lavandier, directrice, et les différents chercheurs qui ont participé à la réussite de notre projet pluridisciplinaire : Thierry Borel, Nathalie Gandolfo, Maria Filomena Guerra, Juliette Langlois, Jean Marsac, Claire Pacheco et Pascale Richardin. Que soient aussi remerciées les très nombreuses personnes faisant partie des institutions dépositaires d’œuvres ou de momies d’Antinoé, qui nous ont accordé leur confiance et ont collaboré avec beaucoup d’enthousiasme et d’intérêt, de manière efficace et productive. Nous tenons à remercier ici tous les conservateurs du patrimoine ou les responsables de collections des institutions suivantes : Amiens, musée de Picardie : Noël Mahéo ; Angers, musée Pincé : Catherine Lesseur et Nathalie Besson-Amiot ; 15


Avignon, musée Calvet : Odile Cavalier et Sylvain Boyet ; Beaufort-en-Vallée, musée d’art et d’archéologie Joseph-Denais : Sophie Weygand et Alexandra Bouriquet ; Besançon, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie : Emmanuel Guigon et Noémie Daucé ; Bordeaux, musée d’Aquitaine : Anne Ziéglé ; faculté de médecine Bordeaux II, musée d’Ethnographie : Olivier Thomas ; Boulogne-sur-Mer, château-musée : Anne-Claire Laronde et Céline Ramio ; Brive-la-Gaillarde, musée Labenche d’art et d’histoire : Claire Moser ; Cahors, musée Henri-Martin : Laurent Guillaut ; Carpentras, bibliothèque-musée Inguimbertine : Jean-François Delmas ; Châteaudun, musée municipal, musée des Beaux-Arts et d’Histoire naturelle : Sophie Bruniau ; Châteauroux, musée de l’Hôtel Bertrand : Michèle Naturel ; Colmar, Muséum d’histoire naturelle et d’ethnographie : Geneviève Fuchs ; Die, musée du Die et du Dois : Jacques Planchon ; Dijon, musée des Beaux-Arts : Sophie Jugie, Catherine Gras et Sandrine Balan ; Muséum d’histoire naturelle : Gérard Ferrière et Monique Prost ; Dunkerque, musée des Beaux-Arts : Aude Cordonnier, Sophie Warlop et Claude Steen ; Figeac, musée Champollion : Marie-Hélène Pottier ; Grenoble, musée de Grenoble : Guy Tosatto et Hélène Vincent ; Muséum d’histoire naturelle : Armand Fayard ; Guéret, musée d’Art et d’Archéologie : Catherine Wachs-Genest ; Le Mans, musée de Tessé : François Arné ; Le Puy-en-Velay, musée Crozatier : Gilles Grandjean ; Lille, palais des Beaux-Arts : Fleur Morfoisse-Guénault ; Limoges, musée national Adrien-Dubouché : Chantal Meslin-Perrier ; Lyon, musée des Beaux-Arts : Geneviève Galliano ; musées des Tissus et des Arts décoratifs : Maria-Anne Privat-Savigny ; Muséum d’histoire naturelle : Karine Madrigal, Deirdre Emmons, Olivier Bathellier et son équipe ; faculté de médecine Lyon-Est, musée d’anatomie Testut-Latarjet : Jean-Christophe Neidhardt et Daniel Ronzel ; Mâcon, musée Lamartine – académie de Mâcon et musée des Ursulines : Marie Lapalus ; Montpellier, faculté de médecine Montpellier I, musée d’Anatomie : François Michaud et François Bonnel ; université Paul-Valéry – Montpellier III : Anne Fraïsse, Marguerite Morfin et Annick Robert-Peyron ; Moulins, musée Anne-de-Beaujeu : Judith Henon et Maud Leyoudec ; Nancy, université de Lorraine, département d’histoire de l’art et d’archéologie : Marcel Paul-Cavallier ; Nantes, musée Dobrée : Marie-Hélène Santrot ; Nîmes, Musée archéologique : Dominique Darde ; Paris, musée de l’Homme, Muséum national d’histoire naturelle : Alain Froment, Philippe Mennecier, Anne Raggi et Christophe Lair ; musée du Quai Branly : Dominique Guillot et Céline Martin-Raget ; université Paris I, Institut d’art et d’archéologie : Alain Duplouy ; Périgueux, musée du Périgord, Francis Couturas et Véronique Merlin-Anglade ; Perpignan, musée Hyacinthe-Rigaud : Élisabeth Doumeyrou ; Reims, musée Saint-Remi : Marc Bouxin ; 16


Rennes, musée des Beaux-Arts : Francis Ribemont et François Coulon ; Roanne, musée des beaux-arts et d’archéologie Joseph-Déchelette : Brigitte Bouret ; Rodez, musée Fenaille : Aurélien Pierre ; Roubaix, musée d’art et d’industrie André-Diligent – La Piscine : Bruno Gaudichon ; Saint-Denis, Conservatoire national des arts et métiers, musée des Arts et Métiers : Pierre-Yves Gagnier et Laure-Élie Rodrigues ; Sens, musée municipal : Lydwine Saulnier-Pernuit ; Strasbourg, université Marc-Bloch, Institut d’archéologie classique : Jean-Yves Marc ; université Marc-Bloch, Institut d’égyptologie : Frédéric Colin ; Toulouse, musée Georges-Labit : Jean Penent ; musée Saint-Raymond : Évelyne Ugaglia ; Troyes, musée Saint-Loup : Chantal Rouquet et Philippe Riffaud-Longuespé. Nos remerciements s’adressent enfin à l’ensemble des personnels administratifs, médicaux et paramédicaux des différents centres hospitaliers (CH) et centres hospitaliers universitaires (CHU), qui ont immédiatement accepté de réaliser les scanners des momies étudiées à travers la France. L’enthousiasme, le professionnalisme et la compétence des personnels des établissements suivants ont permis à ce travail hors du commun dans le monde hospitalier d’être mené à bien en un temps record, soit un peu plus de trois mois pour l’ensemble des acquisitions au scanner, de février à mai 2011 : Châteaudun, CH : Dr Georges Hublard, Françoise Ellin, Laurence Boulanger et Sandrine Lavainne. Nous exprimons notre sincère reconnaissance à Pascal Ménager pour avoir rendu possible la première expérience de téléradiologie – transfert d’images en direct via Internet – appliquée à l’étude des momies ; Dunkerque, CH : Dr Mouldi Braham, Sophie Verlynde, Jean-Denis Bonduaeux et Stéphanie Roetynck ; Grenoble, CHU : Pr Gilbert Ferretti, Aurélie Cellier et Alain Ferafia ; Lille, CHU : Pr Philippe Puech, Dominique Deconinck, François Daumerie et Odile Bouriez ; Lyon, CHU Édouard-Herriot : nous remercions tout particulièrement le Pr Olivier Rouvière ainsi que Fabienne Broda et Véronique Montastier, membres de son équipe, pour leur disponibilité dans l’étude de la partie la plus volumineuse du corpus, composée de treize momies lyonnaises ; Montpellier, CHU Lapeyronie : nous tenons à exprimer notre sincère reconnaissance au Pr Patrice Taourel, dont l’équipe, composée du Dr Samuel Mérigeaud, d’Éric Jeannin, d’Aude Mahé et de Sandra Chabbert, a scanné le deuxième contingent en nombre de momies et dont les consoles d’interprétation ont été envahies par l’ensemble des images lors de la phase d’analyse. Que Bernard Gras reçoive également nos plus vifs remerciements pour avoir rendu possible une expérience de téléradiologie – transfert d’images en direct via Internet – appliquée à l’étude des momies ; Paris, CHU Pitié-Salpêtrière : Pr Philippe Grenier, Dr Isabelle Huynh-Charlier et Elsa Spetebroodt ; Rennes, CHU : Pr Yves Gandon, Pr Jean-Yves Gauvrit, Dr Jean-François Heautot, Chantal Louvel, Kelig Kervella, Maud Herbet, Karine Blot et Élodie Fauchet. Nous remercions enfin, pour leur aide à l’interprétation des images dans leurs domaines respectifs, les Drs Ahmed Larbi et Yann Thouvenin, ainsi que les Prs François Bonnel et Catherine Cyteval du CHU et de la faculté de médecine de Montpellier. 17


Introduction Yannick Lintz et Magali Coudert

Cette publication fait suite à l’ouvrage de notre service paru en 2007, dirigé par Chantal Orgogozo et Yannick Lintz : Vases, bronzes, marbres et autres antiques. Dépôts du musée du Louvre en 1875. Celui-ci inaugurait la diffusion scientifique de notre travail de récolement des dépôts archéologiques du musée du Louvre et des envois de l’État. Le premier volume concernait l’étude des collections antiques distribuées par le Louvre dans différentes villes françaises, en 1875, à la demande du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. Ce second ouvrage porte sur une collection d’œuvres provenant des nécropoles du site antique d’Antinoé, situé en Moyenne-Égypte. Notre service a commencé le récolement de cette collection d’œuvres en 1998. À l’issue de ce travail, un corpus de plus de cinq mille objets a pu être identifié, parmi lesquels quatre mille deux cent trente-huit ont été vus 1. C’est ce dernier ensemble des œuvres dispersées en France et à l’étranger qui constitue le cadre de notre étude, autrement dit l’ensemble des pièces que nous avons récolées, donc vues et étudiées, et pour lesquelles nous avons effectué d’importantes recherches, notamment archivistiques. Les limites de notre corpus, ainsi liées à un critère juridique, peuvent poser la question de la pertinence scientifique d’un tel groupe. Mais ce dernier, suffisamment important quantitativement et composé de l’ensemble des types d’œuvres découvertes dans les nécropoles d’Antinoé, illustre parfaitement la variété des objets retrouvés sur le site. Les momies étudiées représentent en outre la presque totalité du corpus de momies provenant d’Antinoé conservées dans les musées français. Dans certaines institutions, les collections avaient d’ores et déjà été valorisées avant notre récolement, à travers leur restauration en vue parfois d’une exposition dans les salles permanentes, ou le plus souvent à l’occasion d’expositions temporaires, ou encore grâce à leur publication. Mais la plupart du temps ces œuvres avaient été quelque peu oubliées. La cohérence de cet ensemble est liée à sa provenance d’un seul et même site : Antinoé. La grande majorité des œuvres est datée d’une période chronologique couvrant les époques romaine et byzantine. Certaines momies et certains objets sont toutefois plus anciens ou plus tardifs, comme des verres d’époque islamique. L’enjeu de cet ouvrage est de proposer la vision la plus exhaustive possible de cette collection finalement assez peu connue d’un point de vue strictement archéologique et anthropologique. Il permet également de préciser l’histoire de l’arrivée des produits de fouilles en France et les modalités de leur dispersion. Plusieurs investigations scientifiques ont été menées par le Louvre afin d’améliorer notre connaissance de la population et de la culture antique d’Antinoé. Le récolement a été pour nous l’occasion de travailler sur un groupe de quarante individus, source d’information a priori plus riche et plus fiable pour la connaissance d’une population que l’étude d’un seul corps. Une équipe pluridisciplinaire a ainsi été créée pour examiner ces personnes de la manière la plus complète possible, à l’aide des avancées scientifiques de différents domaines de recherche établissant des protocoles nouveaux adaptés à l’étude des momies. 18

1. Les objets provenant d’Antinoé,

conservés dans les musées français, acquis par d’autres biais que les envois de l’État ou les dépôts du musée du Louvre n’entrent pas dans le cadre de nos recherches. Les pièces d’Antinoé obtenues par achat, par legs, par don d’un particulier, comme les dons directs d’Émile Guimet sur sa collection personnelle ou les dons de la chambre de commerce de Lyon lorsqu’elle était mécène des fouilles, ne sont donc pas prises en compte dans la collection à partir de laquelle cet ouvrage a été réalisé. Il en est de même pour les pièces d’Antinoé conservées dans les institutions nationales, tels le musée national du Moyen Âge – thermes et hôtel de Cluny, le musée national de Céramique de Sèvres, le musée des Arts décoratifs et la manufacture nationale des Gobelins.


D’autres études scientifiques ont parallèlement été réalisées sur la collection, notamment en ce qui concerne la datation des objets, réputée difficile à établir précisément pour l’époque copte, en particulier pour la période de transition entre époque romaine et époque byzantine. Les approches historiques et archivistiques, accompagnées de nombreux documents de synthèse, ont vocation à fournir aux lecteurs, en particulier aux chercheurs, des repères et des outils issus de ce travail de dépouillement de fonds documentaires durant plus de quinze ans. Ces sources d’information devraient être précieuses pour des recherches futures. Celles-ci permettront sans doute de clarifier certains éléments restés incertains en raison de lacunes documentaires.

19



ÉTUDES HISTORIQUES, ARCHÉOLOGIQUES ET SCIENTIFIQUES Historique des envois Recherches scientifiques et nouvelles perspectives sur les populations romaine et byzantine d’Antinoé


Les fouilles d’Antinoé d’hier à aujourd’hui : une mise en perspective Florence Calament

Depuis sa redécouverte à l’extrême fin du xvie siècle et après l’élan initié par les membres de l’expédition d’Égypte 1, le site d’Antinoé a été exploré par différents fouilleurs, presque sans interruption de 1895 à nos jours. Déjà ruiné au milieu du vie siècle et en dépit d’inévitables fouilles clandestines, il a été ensuite relativement préservé durant la période moderne : « However it is possible that the presence of the French expedition has given an added security to the site against the treasure-seeker, and in any case the peculiar position of Antinoopolis in view of the privileges accorded to it by its founder Hadrian makes the work of excavation a peculiarly attractive one  2. » L’histoire des fouilles d’Antinoé, à travers les campagnes menées successivement par plusieurs pays, selon des axes de recherche différents qui correspondent aux choix des responsables ou des commanditaires comme aux mentalités d’une époque donnée, illustre une évolution de l’archéologie.

LES FOUILLES FRANÇAISES D’ALBERT GAYET OU LES ALÉAS D’UNE ARCHÉOLOGIE DE COMMANDE

1. Calament 2005, p. 82-93 :

« Les descriptions de voyageurs ». Le début du xixe siècle voit en effet les prémices de l’archéologie, sous l’autorité de l’expédition militaire et savante du général Bonaparte (1798-1801), suivie du monumental ouvrage de la Description de l’Égypte, inventaire scientifique de la vallée du Nil qui sera publié entre 1809 et 1822. 2. Johnson 1914, p. 170. 3. Calament 2005, p. 51-82 : « Toponyme et topographie » ; « La fondation d’Hadrien » ; « De l’apogée au déclin ». Calament et al. 2012, p. 1-5. 4. Calament 1997b, p. 60-67 ; Florence 1998, p. 15-16 ; Calament 2005, p. 95-110 : « Introduction des protagonistes » ; Lyon 2012, p. 17-27 : « Émile Guimet, l’homme », et p. 72-77 : « Guimet, Gayet et Antinoé ». Voir aussi le site Internet http://bibliotheque-numerique.inha.fr (deux notices leur sont consacrées dans le Dictionnaire critique des historiens de l’art actifs en France
 de la Révolution à la Première Guerre mondiale). 5. Celle-ci, née dès 1882 à Londres, sur l’initiative d’Amelia Edwards, est très active.

Pages précédentes : cat. 66 (détail)

Nous ne reviendrons pas ici sur la présentation générale de la ville d’Antinoé et sur le contexte politique de sa fondation, dans la première moitié du iie siècle de notre ère, déjà largement évoqué ailleurs, ni sur la longue postérité et le rayonnement de la cité antique jusqu’à l’époque arabe 3. Qu’il nous suffise de rappeler qu’Antinoé, présentée comme « mémorial » de l’empereur Hadrien à son favori Antinoos, fut surtout un témoin du pouvoir de Rome dans l’Égypte de l’Antiquité tardive. Parmi les savants de la Commission des sciences et des arts accompagnant l’expédition d’Égypte, le comte Gilbert-Joseph-Gaspard Chabrol de Volvic (1773-1843), ingénieur des Ponts et Chaussées, fit un précieux relevé de la ville et de ses environs (fig. 1). Sur ce plan d’ensemble, qui servira longtemps de référence, sont notés les différents vestiges observés sur le terrain ; y figurent aussi les bandes d’aires cultivées, les carrières et les grottes creusées dans la montagne, ainsi que les monastères établis aux alentours. À la topographie urbaine, et selon les époques, correspondent différentes zones de nécropoles. Nous ne nous attarderons pas davantage sur l’archéologue Albert Gayet (1856-1916), ni sur le personnage et l’œuvre d’Émile Guimet (1836-1918), principal commanditaire des fouilles d’Antinoé, déjà bien étudiés aussi 4. C’est en 1895 que leur rencontre et leur association, presque fortuite, sous les auspices du service des Antiquités en la personne de Jacques de Morgan (1857-1924), va sceller le destin archéologique du site durant presque vingt ans, soit jusqu’en 1914. Au moment de l’octroi de la concession de fouilles aux Français, le contexte général historico-politique est celui du protectorat britannique en Égypte (18821922), dans un climat de compétition et de rivalité politique et scientifique franco-anglaise. La prépondérance de l’archéologie nationale en Égypte y est contestée, malgré la mise en place d’un service des Antiquités à composante essentiellement française. Dans ces circonstances, l’attribution du chantier d’Antinoé à Albert Gayet est réalisée presque in extremis ; ses concurrents, de taille, ne sont autres qu’un Allemand, le comte de Neuffen, alias le prince Charles de Wurtemberg, et une société anglaise, l’Egypt Exploration Fund 5. Cet événement va marquer un tournant majeur dans sa carrière, le site d’Antinoé étant 23


1

presque indissociable de son nom. Le tandem incontournable formé dès lors avec Émile Guimet, son premier mécène, ne s’interrompra qu’avec la Première Guerre mondiale 6. L’idée première d’Émile Guimet (reprise ensuite par Albert Gayet) est de constituer une société de fouilles à l’aide de souscriptions privées, analogue à l’Egypt Exploration Fund, certes avec des moyens plus modestes. L’État en effet se contentera de jouer un rôle mineur, accordant à Albert Gayet des missions à titre gratuit et ne subventionnant que quatre campagnes en tout (1901, 1901-1902, 1903 et partiellement 1906). En dehors d’Émile Guimet, différents mécènes privés prendront le relais, ainsi que plusieurs sociétés : successivement, la chambre de commerce et d’industrie de Lyon, la Société du palais du costume, puis la Société française de fouilles archéologiques 7, et enfin une Société des fouilles d’Antinoé. Chacun de ces commanditaires allouera des moyens différents et poursuivra ses propres buts (par exemple recherche de documents isiaques pour Émile Guimet, de textiles pour la chambre de commerce de Lyon et son musée historique des Tissus), avec pour conséquence l’inévitable partition des fouilles 8. Dans certains cas, nous avons affaire ici à une véritable archéologie de commande, destinée à satisfaire des « fournisseurs ». Dirigées par Albert Gayet et centrées presque exclusivement sur les nécropoles, ces excavations livrent un incroyable matériel funéraire, dont l’exposition et la distribution dans divers musées sont confiées au musée Guimet. Parmi l’abondant matériel, on rencontre deux grandes nouveautés pour l’époque : les textiles coptes, dont certains n’ont été que très récemment identifiés ou étudiés 9, et les « momies » (fig. 2), le plus souvent vêtues, qui ne laisseront pas ensuite d’embarrasser les musées destinataires, peu habitués à organiser leur conservation 10. Arrivées en nombre en France 11, et surtout prisées dans les facultés de médecine, ces dernières, à l’exception des études de l’anthropologue Ernest Chantre (1843-1924) 12, n’ont véritablement commencé d’intéresser qu’à partir du milieu du xx e siècle 13. Depuis, une série d’études pluridisciplinaires incluant également leur mobilier funéraire leur a été consacrée 14, jusqu’au présent ouvrage.

DE BRÈVES EXPÉRIENCES DE TERRAIN : LES FOUILLES ALLEMANDES ET ANGLAISES On remarquera ici d’emblée que les contemporains d’Albert Gayet, avec lesquels il entretient des rapports souvent assez tendus, ne tiennent que peu de place, sans doute parce qu’il s’érige lui-même jalousement en « gardien du temple ». Aussi ne feront-ils 24 – Historique des envois

6. Sur la genèse des fouilles,

ses conditions et son bilan : Calament 2003, p. 115-144 ; Calament 2005, p. 154-161 : « La prospection et son évolution ». 7. Sur la création en 1904 de cette nouvelle société : Calament 2001, p. 45-57. 8. Calament 2005, p. 185-194 : « Les différents acteurs du partage ». Sur ce phénomène de la dispersion des collections : Calament 1989, p. 336-342 ; Calament et al. 1994, p. 207-214 ; Calament 1997a, p. 17-23 ; Florence 1998, p. 17-18 ; Calament 2000b, p. 109-122. 9. Calament 1996a, p. 27-32 ; Calament 1996b, p. 37-56 ; Rassart-Debergh 1997 ; Calament 2004, p. 37-72. 10. Calament 2005, p. 244-250 : « Vicissitudes et étude des momies ». À l’occasion de ce travail de thèse, toutes les momies d’Antinoé conservées en France, rescapées de leur sortie d’Égypte et des deux guerres mondiales, ont été étudiées entre 1996 et 1998, avec des moyens modestes d’observation et de manipulation. 11. Vingt-trois villes ont été dépositaires de « momies », ce sont par ordre alphabétique : Beauforten-Vallée, Bordeaux, Cahors, Calais, Châteaudun, Châteauroux, Dijon, Dunkerque, Figeac, Grenoble, Guéret, Le Havre, Lille, Lunéville, Lyon, Mâcon, Montpellier, Nancy, Paris, Périgueux, Rennes, Toulouse et Vendôme (voir Calament 2005, p. 438-448 et voir ici Magali Coudert et Yannick Lintz, « Des recherches pour mieux connaître la collection et pour mieux comprendre les modes de vie de la population d’Antinoé à l’époque antique », p. 51-55 ; « Études scientifiques d’un corpus de quarante momies », p. 56-108 ; Magali Coudert, introduction aux notices de momies p. 175-176). 12. Chantre 1904. Puis, la première radiographie réalisée sur une momie en France a lieu au musée Guimet à Paris : Leleu & Gouineau 1926, p. 3236 ; ce ne sera finalement pas celle de Thaïas : Calament 2005, p. 247.


fig. 1 Plan général des environs d’Antinoé, gravure par le comte Gilbert-Joseph-Gaspard Chabrol de Volvic, (d’après Description de l’Égypte, Planches, t. IV, 1822, pl. 54). fig. 2 Dégagement d’une momie

sur le chantier de fouille (d’après CALAMENT 2005, vol. 1, fig. 18a, p. 18). 2

13. Le 16 juin 1944 a lieu le transfert

de plusieurs momies, encore conservées au musée Guimet, vers le musée du Trocadéro sur des charrettes à bras ; elles y seront sommairement étudiées et dépouillées de leurs vêtements : Rassart-Debergh 1997, p. 68-71 et Calament 2005, p. 250. 14. Voir Janot 2011 ; Van Raemdonck et al. 2011 ; Van Strydonck et al. 2011 ; Calament et al. 2012. Certains éléments comme les dépôts de végétaux avaient également reçu peu d’attention : Calament 1999, p. 281-291. 15. Calament 2005, p. 154-155, 497-498, 503-504 et 519-520 notamment. 16. AN, F17 2969 (2), lettre d’Albert Gayet au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, Georges Leygues, en date du 3 janvier 1901. 17. Calament 2005, p. 476-478. 18. Bericht des Dr Phil. Carl Schmidt über das Stipendienjahr 1895/1896 an die CentralDirection des Kaiserlich-Deutschen Archäologischen Instituts (Archiv des Deutschen Archäologischen Instituts, Biographica-Sammlung, Carl Schmidt) ; son journal de l’année universitaire 1895-1896, manuscrit daté du 5 février 1897, relate son voyage d’étude qui a débuté le 1er octobre 1895 d’Alexandrie vers Le Caire, pour se terminer en Italie. 19. Schmidt 1897 ; Erman 1899 ; Volbach 1926. Voir Calament 2005, p. 608 ; Fluck 2007, p. 89-93. 20. Volbach 1949, p. 38 (spécialement les musées Guimet, du Louvre et de Lyon). 21. Calament 2005, p. 470-471. 22. Calament 2005, p. 117.

que de rapides incursions, au tout début puis vers la fin des campagnes de fouilles d’Albert Gayet, encore ce dernier n’est-il plus présent en personne sur le site à partir de 1912. Dans le contexte géopolitique de l’époque, il s’émeut d’ailleurs très vite de ces collègues qui pourraient rapidement devenir trop encombrants 15 : « Ces recherches, d’ailleurs, sont convoitées par l’étranger. Au lendemain des premières découvertes, l’Egyptian Exploration Fund a créé un service spécial, ne s’occupant que des monuments de l’époque gréco-byzantine, et qui, en trois années, s’est assuré plus de vingt chantiers. Si je ne suis en mesure de reprendre de suite les travaux, mon autorisation risque fort d’être annulée, et le Trésor d’Antinoë de lui être concédé 16. » Parmi les équipes étrangères qui se sont succédé sur le site, le premier à entreprendre des fouilles, presque simultanément avec Albert Gayet, est le philologue et coptologue allemand Carl Schmidt (1868-1938) 17, mandaté par le Deutsches Archäologisches Institut de Berlin. Jacques de Morgan lui ayant accordé un droit de fouille pour explorer une partie des nécropoles chrétiennes, il ouvre un chantier sur le site dès le 2 février 1896. Si le manuscrit autographe de son journal a bien été conservé 18, ses fouilles n’ont en revanche fait l’objet d’aucune véritable publication ; en l’absence de relation détaillée d’ensemble, nous ne possédons aucune indication précise ni sur leur localisation ni sur leur teneur. Un rapport succinct fait simplement état de costumes masculins orientaux garnis de soieries, prélevés in situ sur trois momies. Le produit de ces fouilles va enrichir les collections des musées de Berlin (Ägyptisches Museum et Schlossmuseum) de plusieurs dizaines de pièces, parmi lesquelles des vêtements entiers et ornements de tapisserie ou soieries, ainsi que d’intéressantes inscriptions funéraires, qui vont donner lieu à quelques études ponctuelles 19. Entreprise dans le cadre d’un voyage d’étude d’Alexandrie vers Le Caire avec pour terminus l’Italie, cette courte expérience de terrain ne sera pas réitérée. Pourtant, Carl Schmidt insistera sa vie durant sur la nécessité de reprendre les fouilles, pour établir les plans exacts des tombes avec leurs emplacements ; dans ce dessein, il souhaite d’ailleurs une collaboration avec les musées français 20. Lors de sa troisième campagne, de février à avril 1898, Albert Gayet ne reçoit qu’une autorisation de fouille partielle, limitée à la plaine ; le service des Antiquités égyptiennes traverse une période houleuse avec à sa tête Victor Loret (1897-1899) 21, qui s’arroge la fouille de la montagne elle-même et de ses contreforts, tandis qu’Urbain Bouriant, alors directeur de la mission du Caire (1886-1898), effectue un relevé topographique et archéologique 22. Malheureusement, nous ne disposons aujourd’hui d’aucun élément nous permettant de nous faire une idée tant soit peu précise des travaux menés. Les fouilles d’Antinoé d’hier à aujourd’hui : une mise en perspective –

25


Il faut attendre le Pr John de Monins Johnson (1882-1956), papyrologue de l’université d’Oxford, et sa mission de l’hiver 1913-1914 pour voir le terrain à nouveau occupé en dehors d’Albert Gayet, cette fois au nom de l’Egypt Exploration Society (The GraecoRoman Branch) 23. Dans sa séance du 3 avril 1912, le Comité d’égyptologie 24 approuve une demande de concession de fouilles « pour les ruines d’Antinoé à l’exception du temple et des nécropoles qui sont réservées à Gayet » (fig. 3). Cependant, John de Monins Johnson n’usera pas immédiatement de son droit mais viendra seulement sur le terrain à partir de début décembre 1913 et jusqu’en mars 1914, la fouille ne durant d’ailleurs véritablement que deux mois environ 25. Il réalise une belle moisson papyrologique : plus de deux cents papyrus en une seule et courte campagne, mettant également au jour des textiles 26, des poteries, quelques objets en os ou en cuir, etc. Une exposition d’antiquités et de papyrus découverts à Oxyrhyncos et Antinoé est organisée du 13 au 28 juillet 1914 à la Burlington House, siège de la Société des antiquaires de Londres. Si l’essentiel du matériel est aujourd’hui encore conservé à l’Ashmolean Museum, à Oxford, certaines pièces sont dispersées jusqu’à New York (Brooklyn Museum) ou Auckland (National Museum) par exemple. Ses trouvailles seront immédiatement relayées dans la presse 27 comme dans les organes spécialisés 28. Malheureusement, les résultats de ses fouilles à Antinoé ne seront jamais publiés, sauf quelques articles très ponctuels et un unique rapport, paru dans le premier numéro du Journal of Egyptian Archaeology dès janvier 1914. En outre, du fait de l’approche de la Première Guerre mondiale, le Pr John de Monins Johnson a des difficultés à faire publier ses travaux au Clarendon Press durant cette période ; ainsi The Antinoopolis Papyri paraîtront en trois volumes très tardivement, entre 1950 et 1967 seulement.

LES MISSIONS ITALIENNES À L’ŒUVRE : ENTRE RUPTURE ET CONTINUITÉ Contrairement aux expériences allemande et anglaise, la présence italienne à Antinoé s’inscrit, comme nous allons le voir, au sein d’une longue tradition. Dès la fin de l’année 1903, l’helléniste Girolamo Vitelli (1849-1935), professeur à l’Istituto Papirologico de Florence et membre de la vénérable Accademia dei Lincei, avait fait un court séjour à Antinoé, en compagnie d’Evaristo Breccia (1876-1967), futur directeur du Musée grécoromain d’Alexandrie 29, et avait manifesté un très vif intérêt. Puis, en 1910, c’est l’égyptologue Ernesto Schiaparelli (1856-1928), directeur du musée de Turin, qui obtient une concession partielle de fouilles, sous réserve d’entente avec Albert Gayet 30 ; il y renoncera finalement. Quand le site d’Antinoé est définitivement abandonné, aux abords de la Première Guerre mondiale, ce sont effectivement les Italiens qui y reprennent l’activité archéologique, au milieu des années 1930. En 1934-1935, l’Istituto Papirologico « G. Vitelli », qui succède à la Società Italiana per la Ricerca dei Papiri Greci e Latini, constituée à Florence en 1908, inscrit le site dans son programme de recherche. L’année suivante (1935-1936), il confie la direction des opérations au Pr Evaristo Breccia 31, qui commence l’exploitation du chantier, d’abord au sud de la ville (monnaies et ostraca des vie et viie siècles), puis découvre dans la nécropole nord de nombreuses stèles coptes et la chapelle sépulcrale de Théodosia, avec ses peintures murales (fig. 4). Les fouilles se poursuivent jusqu’en 1940 dans le même secteur par des recherches d’ostraca et de documents épigraphiques. En avril 1939, le Pr Sergio Donadoni, de l’université La Sapienza de Rome (Istituto di Studi del Vicino Oriente), vient en reconnaissance et consacre une heure à l’exploration des environs de Deir el-Dick, au nord-ouest d’Antinoé ; la zone du temple de Ramsès II lui est attribuée, tandis que des sondages ont lieu dans la nécropole septentrionale. Après une large interruption durant la Seconde Guerre mondiale, les deux équipes vont ensuite se partager la fouille du site à partir du milieu des années 1960 : au nord 26 – Historique des envois

23. Florence 1998, p. 19-22 ;

Calament 2005, p. 464. Gaston Maspero lui-même, revenu à la tête du service des Antiquités de l’Égypte (1899-1914), était vice-président honoris causa de la Société savante britannique (séance du 16 octobre 1886) ; voir Drower 1982, p. 299-317. 24. Il s’agit de l’administration du service des Antiquités. Le Comité d’archéologie, créé en 1881 et devenu en 1898 le Comité d’égyptologie, étudie en effet toutes les demandes de concessions de fouilles dans le pays. 25. Calament 2005, p. 150-153 et 467. 26. Voir notamment Pritchard (à paraître). 27. Un article du Times (16 mai 1914) annonce ainsi la découverte d’un rare papyrus de Théocrite, lors des fouilles du Pr John de Monins Johnson. 28. Hunt & Johnson 1930 ; Milne 1934 ; Roberts 1950 ; Barns & Zilliacus 1960/1967. Voir Calament 2005, p. 609. 29. Breccia 1935, p. 255-262 ; Breccia & Donadoni 1938, p. 290. 30. Calament 2005, p. 147, 155 et 520. 31. Pintaudi & Bresciani 2003.


fig. 3 Vue de la ville antique ruinée,

vers 1914 (négatif Johnson 5.9).

3

32. On trouvera également un

historique de ces fouilles italiennes (1935-1993) dans Florence 1998, p. 23-29. 33. Calament 2005, p. 609-612. 34. Donadoni 1974. 35. On se reportera ici à l’unique article d’Evaristo Breccia, où il décrit essentiellement les peintures murales : Breccia & Donadoni 1938, p. 285-310, et au plan sommaire de Mario Salmi : Salmi 1945, fig. d. 36. Notamment Salmi 1945, p. 157-169 pour les premières, et Guidotti & Pesi 2004 : une étude réalisée a posteriori du matériel exhumé par la mission de Manfredo Manfredi en 1965 et 1966. 37. Florence 1998.

la mission papyrologique florentine (Edda Bresciani et Manfredo Manfredi), au sud la mission archéologique romaine (Sergio Donadoni et Alessandro Roccati). En septembre 1965, les fouilles reprennent pour un mois dans la nécropole nord, ainsi que dans la zone du parvis du temple ramesside et de la nécropole protodynastique. En 1966 sont mises au jour les ruines d’une église paléochrétienne ; suivront d’autres découvertes d’églises ou de bâtiments à caractère chrétien. Un autre chantier s’ouvre, en novembre 1968, avec un premier sondage dans les nécropoles sud, à 200 mètres environ de l’enceinte de la ville, livrant une série de sépultures de différentes structures, des stèles et des décorations murales. Le double but de ces nouvelles fouilles est de rassembler des éléments se rattachant à une hypothétique « école de sculpture d’Antinoé », et de retracer avec plus de certitude une histoire de la nécropole, afin d’améliorer la datation des inhumations. Les campagnes vont ainsi se succéder, presque sans interruption, jusqu’en octobre 1993 32 ; l’essentiel des découvertes sera conservé soit sur place au Caire (Musée égyptien), soit à Florence (Museo Archeologico et Istituto Papirologico « G. Vitelli »). Mis à part quelques rapports préliminaires, comptes rendus de fouilles et articles divers parus dans des actes de congrès, des volumes de mélanges ou des revues spécialisées (dans les Annales du service des Antiquités de l’Égypte, Aegyptus, Vicino Oriente, Oriens antiquus, Atene e Roma, Orientalia, La ricerca scientifica, Bollettino d’informazioni, etc.) 33, les chercheurs italiens ont livré leurs résultats dans un ouvrage collectif, rétrospectif et pluridisciplinaire : Antinoe (1965-1968). Missione archeologica in Egitto dell’Università di Roma 34. Toutefois, pour ne prendre que l’exemple de la tombe de Théodosia, qui constitue l’une des découvertes majeures de l’équipe florentine (1936-1937), aucune véritable étude du matériel n’a été publiée, nous privant ainsi de toute source de comparaison utile 35. En dehors des découvertes architecturales dont nous reparlerons plus loin, les publications évoquent aussi deux nouveautés : les peintures murales et le matériel céramique, jusque-là très peu étudiés 36. Enfin, une très riche exposition rétrospective a été organisée par Loretta Del Francia Barocas au Palazzo Medici-Riccardi de Florence en 1998, dont le catalogue a été justement édité par l’Istituto Papirologico « G. Vitelli » 37. Les fouilles d’Antinoé d’hier à aujourd’hui : une mise en perspective –

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Depuis octobre 2000, de nouvelles fouilles italiennes ont recommencé sur le site 38 : dans la lignée de ses prédécesseurs, le Pr Rosario Pintaudi a repris en main les destinées du chantier, toujours sous l’égide de l’Istituto Papirologico « G. Vitelli » de Florence. Une vingtaine de campagnes ont d’ores et déjà eu lieu jusqu’en 2012, à raison d’une ou deux par an. L’équipe italienne s’est concentrée sur deux principaux terrains d’investigation : la nécropole septentrionale (kôm est, avec l’emplacement d’un « bâtiment péristyle » et de la tombe de Tgôl) et le secteur nord à l’intérieur de la ville antique (kôm II). Parmi les nouvelles trouvailles figurent notamment de nombreuses découvertes épigraphiques (stèles funéraires surtout) et papyrologiques (papyrus et parchemins grecs ou coptes, avec des textes littéraires ou documentaires), ainsi que des textiles 39. Un ouvrage paru en 2008 a inauguré une nouvelle collection, éditée par l’Istituto Papirologico « G. Vitelli » de Florence et premier volet d’une série consacrée aux fouilles modernes italiennes à Antinoé ; il dresse un large panorama des travaux déjà réalisés 40. Une deuxième publication est dédiée au matériel monétaire découvert entre 1937 et 2007 41 ; le prochain volume devrait concerner l’église et le complexe consacrés à saint Colluthos, avec notamment l’étude des billets oraculaires et des ex-voto de bronze.

LE BILAN HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE : VERS UNE NOUVELLE INTERPRÉTATION DU SITE On ne peut que constater l’énorme potentiel du site de cette grande métropole antique, inégalement exploité depuis les premières campagnes du Français Albert Gayet, à l’extrême fin du xix e siècle. Dans sa séance du 3 avril 1912, le Comité d’égyptologie indique d’ailleurs : « Le site étant très vaste et très important, il n’y a que des avantages à le diviser 42. » L’emprise d’Albert Gayet sur le terrain se révèle plutôt chaotique, mais elle se situe sur le long terme, tandis que ses contemporains n’ont effectué que de brèves campagnes : il s’agit dans ce cas de fouilles très ponctuelles et suivant des objectifs limités si ce n’est précis. On retiendra aussi de cette époque l’avis du byzantiniste Josef Strzygowski (1862-1941), quelque peu amer et déplorant d’une manière générale le vide archéologique en matière d’art copte 43, tandis que Giuseppe Botti (1853-1903) évoque au même moment le musée d’Alexandrie, dont il est directeur, comme une succursale aux recherches d’Albert Gayet, de Josef Strzygowski et de Carl Schmidt 44. À la période moderne, les fouilles italiennes s’inscrivent à nouveau dans la durée, en ciblant de nouvelles découvertes. Ce qui a véritablement changé, ce sont les moyens, et surtout les commanditaires ; n’oublions pas qu’Albert Gayet n’appartenait à aucune institution : ce simple fait l’a condamné à rechercher sans cesse de nouveaux subsides et à entrer dans une spirale infernale. Les buts poursuivis par les différentes missions ont accompagné une lente évolution : on est passé d’une vision de l’histoire des religions à la papyrologie puis à l’archéologie au sens moderne du terme, donc pluridisciplinaire et mêlant les divers aspects. À travers le type de matériel exhumé et avec son étude systématique, cette évolution a permis une nouvelle interprétation du site et de sa population, en glissant des nécropoles au tissu urbain antique avec son artisanat, puis à la ville byzantine et son centre de pèlerinage 45. Finalement, et à l’exception peut-être des Italiens, les nécropoles proprement dites d’Antinoé ont été délaissées par les archéologues étrangers, essentiellement à la recherche de monuments d’époque gréco-byzantine ou de documents épigraphiques : « Au bord de la ville s’étend une vaste nécropole, qui a reçu très peu d’explorations régulières : il s’agit d’une plaine couverte de débris de toute sorte, qui donne sur le Nil par une falaise escarpée 46. » Sur ce point, en effet, les résultats demeurent encore mitigés : l’état actuel de nos connaissances, à travers le bilan forcément incomplet et subjectif des fouilles d’Albert Gayet, ainsi qu’à la lumière de l’archéologie plus récente, 28 – Historique des envois

38. Calament 2010, p. 338-343. 39. Fluck & Froschauer 2011. 40. Pintaudi 2008. 41. Castrizio 2010. 42. Archives du centre Wladimir-

Golénischeff, Paris, dossier « Lacau », procès-verbal du Comité d’égyptologie du 3 avril 1912. 43. Opinion partagée par Carl Schmidt (pourtant surnommé « Kopten-Schmidt »), « cette partie de la recherche étant confiée à des égyptologues ou des fellahin !  » : Strzygowski 1903, p. 493-495 ; voir aussi Calament 2005, p. 183. 44. Botti 1900, p. 426. 45. Nous faisons volontairement abstraction ici de l’occupation précédant la cité antique, à savoir les nécropoles protodynastiques et le temple ramesside notamment. 46. Donadoni 1971, p. 8.


4

fig. 4 Chambre funéraire de Théodosia, découverte en 1936, aquarelle d’une peinture murale, Florence, Istituto Papirologico « G. Vitelli » (d’après SALMI 1945, pl. h, p. 157-169).

47. Cinq églises au total ont pu être

repérées à la fois sur le site et dans la documentation papyrologique : deux églises du ive siècle, l’une dans la nécropole chrétienne du nord, l’autre dans la nécropole sud ; une troisième église, située à l’intérieur de la ville, près de la porte est ; enfin, deux basiliques à trois et cinq nefs (des alentours du vie siècle), localisées dans deux quartiers distincts du contexte urbain. 48. Il accompagne aussi le premier volume de publication des fouilles italiennes modernes : Pintaudi 2008. 49. Pintaudi 2008, p. 533-537 avec plan ; Calament 2010, p. 342-343.

ne permet pas d’évoquer les problèmes d’occupation des nécropoles (selon la confession ou l’époque par exemple) ou d’extension (voire de réduction) de celles-ci. Le véritable apport se situe ailleurs : dans la découverte notamment de plusieurs églises (dont l’église épiscopale) 47 et d’un complexe dédié au saint martyr et anargyre local, Colluthos, qui nous livrent de précieux enseignements sur la ville d’époque byzantine, aujourd’hui mieux connue. Cette aire, partiellement dégagée dès 1966 et en cours de fouille actuellement, est le point névralgique de la ville chrétienne puisque centre d’un pèlerinage : on fréquentait son sanctuaire pour venir invoquer le saint et obtenir de lui sa guérison. Les fouilles italiennes ont ainsi révélé une pratique importante de pèlerinage autour de son tombeau jusqu’au début du viie siècle. La plus grande avancée enfin, depuis les observations et le plan réalisés pour la Description de l’Égypte, est la carte topographique du site dressée par les Italiens, qui décrit la ville et ses alentours immédiats ; un exemplaire au 1/4 000 avait été édité par l’Istituto Papirologico « G. Vitelli » et diffusé lors du XXIIe Congrès international de papyrologie à Florence (23-29 août 1998) 48. Il permet de mieux saisir la structure urbaine antique, avec le tracé des rues et l’implantation des édifices chrétiens. De même, les vestiges de l’hippodrome, monument significatif de la cité romaine, ont été soigneusement relevés (plan topographique et dessin de restitution) 49. Ces différents éléments concourent à une meilleure vision d’Antinoé, de l’époque romaine à la fin de la période byzantine en Égypte, vision dans laquelle se mêlent désormais la documentation papyrologique et l’archéologie de terrain pour une interprétation croisée, au plus juste de la réalité historique.

Les fouilles d’Antinoé d’hier à aujourd’hui : une mise en perspective –

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Le rôle de l’État français dans les fouilles d’Antinoé et dans la répartition des collections en France et à l’étranger Yannick Lintz et Sophie Kervran, avec les contributions de Catherine Graindorge et de Magali Coudert

L’État, par le biais du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, distribua, au début du xx e siècle, des milliers d’œuvres coptes provenant du site d’Antinoé, fouillé sous l’égide d’Albert Gayet entre 1895 et 1914. À ce jour, on estime ces envois à plus de cinq mille œuvres, réparties dans plus de soixante-quatre villes françaises, mais également dans des villes italiennes, allemandes et tchèques. Le récolement mené par le service du Récolement des dépôts (SRD) du musée du Louvre, à la demande du service des Musées de France, avec l’appui de la Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art, souleva plusieurs questions, au cours de son travail, sur le statut juridique de ces collections qui s’inscrivent dans l’histoire de l’archéologie en Égypte à la fin du xix e siècle et au début du xx e siècle, mais également dans l’histoire des collections publiques en France à la même époque. Les difficultés pour définir le statut juridique de ces collections sont de plusieurs ordres : tout d’abord, les objets provenant des nécropoles d’Antinoé distribués partout en France et à l’étranger par l’État lorsqu’il en était le propriétaire n’ont, pour la plupart, pas été affectés à un musée national et n’ont donc pas été inventoriés par l’État 1. C’est dans ce sens un cas comparable à la fameuse collection Campana. Par ailleurs, les fouilles d’Albert Gayet ne furent pas financées exclusivement par des fonds publics, mais, selon les campagnes, bénéficièrent du soutien de plusieurs mécènes privés qui, par leurs dons personnels, contribuèrent à l’enrichissement des collections publiques françaises. Émile Guimet reste le principal financeur des fouilles d’Antinoé. Directeur du musée Guimet, devenu national en 1889, il fut chargé par l’État de coordonner les distributions des objets provenant des campagnes de fouilles financées par l’État à partir de 1901, mais il donna aussi à plusieurs musées à titre personnel des objets de sa propre collection en provenance du site (mais pas uniquement, ce qui jette parfois le doute sur la provenance d’Antinoé). Ce mélange entre l’action privée et l’action publique pour une même personne était sans doute chose courante dans le contexte de la société française du xix e siècle et de la IIIe République. Ces situations peuvent cependant poser question aujourd’hui dans le cadre d’une gestion des collections publiques. Pour clarifier ces circonstances anciennes d’enrichissement des collections françaises par les fouilles d’Antinoé et de circulation de ces œuvres en France et en Europe, le SRD entreprit une véritable enquête archivistique. Il s’agissait de comprendre précisément le contexte historique et juridique de l’arrivée des objets archéologiques en France et de déterminer les modalités de répartition en analysant les rôles qu’ont pu jouer les différents acteurs, qu’ils soient privés ou publics. Il fallait aussi pouvoir mesurer l’évolution et le changement des situations dans le temps, puisque les fouilles d’Albert Gayet à Antinoé durèrent dix-neuf ans et que l’envoi de collections d’Antinoé dans diverses institutions en France et à l’étranger se déroula sur plus de vingt-six ans. Une recherche fut menée dans plusieurs fonds d’archives 2 afin d’identifier les documents 30 – Historique des envois

1. Le musée du Louvre en a toutefois

la responsabilité patrimoniale. 2. La monographie de Florence Calament, La Révélation d’Antinoé par Albert Gayet : histoire, archéologie, muséographie, publiée en 2005, est une précieuse source d’informations sur le déroulement des campagnes et la connaissance du site. Elle aborde également la question du financement des fouilles et celle de la répartition de ces collections, mais sans approfondir systématiquement ces sujets qui n’étaient pas au cœur de son étude. Nous tenons ici à remercier vivement Florence Calament d’avoir accepté systématiquement de nous communiquer, durant les années de récolement des œuvres d’Antinoé, les informations qu’elle avait recueillies au cours de ses recherches. Nous avons dépouillé par ailleurs plusieurs fonds d’archives déterminants pour cette recherche : les séries F17 et F21 aux Archives nationales, le fonds « Le Caire, Ambassade » aux archives diplomatiques du ministère des Affaires étrangères, les fonds Z66 et AE aux archives des musées nationaux, les archives du service des Musées de France, les archives du musée Guimet (dossier « Antinoé », mais aussi les correspondances, active et passive, d’Émile Guimet entre 1895 et 1914), les archives de la bibliothèque de l’Institut de France, les archives du département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre, les archives municipales et départementales des villes bénéficiaires des envois. Une base d’indexation a été créée par le SRD pour rassembler les documents d’archives les plus pertinents pour l’étude.


permettant d’analyser les contextes d’acquisition et d’envoi des collections d’Antinoé, pour préciser leur propriété. L’identification, puis l’analyse (d’ordre sémantique et historique) de tous les documents relatifs aux dépôts (arrêtés, décrets, courriers, listes d’envois…) furent l’enjeu de ce travail, pour comprendre l’implication de tous les acteurs. Il était en effet important de déterminer à travers ces témoignages écrits leurs rôles précis en tant que représentants de l’État ou d’une personne morale ou à titre individuel et leurs niveaux exacts de responsabilité. L’étude se concentra donc sur quelques points essentiels : quel était le cadre législatif entourant la pratique des fouilles et l’exportation des produits de fouilles en Égypte à la fin du xix e siècle et au début du xx e siècle ? Qui finança les fouilles d’Albert Gayet et quel était le statut de ces financeurs ? Quelles furent les modalités d’envoi et de distribution des objets en région ?

LE CONTEXTE ADMINISTRATIF DES FOUILLES FRANÇAISES À ANTINOÉ

3. Même si l’Égypte était encore

intégrée à l’Empire ottoman (elle passe sous protectorat britannique à partir de 1914), elle bénéficiait d’une large autonomie, notamment du point de vue législatif. D’autre part, les textes relatifs à la réglementation des fouilles et à l’exportation des antiquités sont conservés dans les archives du ministère français des Affaires étrangères, ce qui n’est pas surprenant, dans la mesure où ces textes législatifs ont été élaborés par les Français établis en Égypte qui dirigeaient le service des Antiquités. 4. Khater 1960, p. 73-74, 215, 282-283 ; CADN, fonds « Le Caire, Ambassade », vol. 173, « Service des Antiquités 1887-1897 : décret du 17 novembre 1891 ». 5. CADN, fonds « Le Caire, Ambassade », vol. 173, « Service des Antiquités de l’Égypte 18871897 », règlement sur les fouilles approuvé par le Conseil des ministres dans sa séance du 5 janvier 1891. 6. Khater 1960, p. 74, 283-284. 7. Khater 1960, p. 284. 8. Khater 1960, p. 286-291.

La législation égyptienne durant les campagnes d’Albert Gayet Les fouilles françaises à Antinoé ont été menées entre 1895 et 1914. Il est donc important de s’interroger sur le cadre législatif définissant la pratique des fouilles en Égypte et l’exportation des objets vers d’autres États durant cette période. Devant l’activité croissante de fouilles, plusieurs textes législatifs paraissent dans le pays à la fin du xix e siècle 3 . Le décret du 17 novembre 1891 4 arrête les conditions auxquelles des autorisations de fouilles peuvent être délivrées et décide que tous les produits des fouilles appartiennent de droit à l’État et doivent être déposés au musée de Gizeh. Il détermine les autorités publiques compétentes qui décident de l’octroi du permis. Tout en déclarant les objets trouvés « propriété de l’État », il réserve, toutefois, la possibilité de faire revenir au fouilleur une fraction de ces objets : « Art. 4. L’Administration du service des Antiquités et le fouilleur procèdent ensemble au partage de ces objets en deux lots d’égale valeur. Les deux lots formés sont tirés au sort par l’Administration et le fouilleur, si ceux-ci ne préfèrent une attribution à l’amiable. Art. 5. Est réservé à l’Administration le droit de racheter toute pièce du lot échu au fouilleur. L’Administration fera son offre. Si le fouilleur la refuse, il indiquera son prix. L’Administration aura alors la faculté soit de prendre l’objet au prix indiqué par le fouilleur, soit d’abandonner cet objet au fouilleur en recevant de lui le prix que l’Administration aura offert. Dans tous les cas, l’Administration pourra s’approprier les objets qu’elle désire racheter en dédommageant le fouilleur par une somme qui ne pourra jamais dépasser les frais de fouille faits pour leur découverte. » Le partage des fouilles est donc le système prédominant. Toutefois, les prérogatives du fouilleur sont limitées explicitement par la condition qu’il cède par la suite la majeure partie du produit de fouilles aux musées publics du pays dont il est originaire 5. Le décret du 12 août 1897 6 rappelle les mêmes principes et renforce le contrôle des fouilles en prévoyant notamment des peines d’emprisonnement et d’amendes pour les fouilleurs clandestins. Quant à l’arrêté du 10 septembre 1905 7, il règlemente le transport des antiquités par chemin de fer, en exigeant une autorisation officielle du service des Antiquités. Les décrets du 17 novembre 1891 et du 12 août 1897 restent en application jusqu’en 1912. À cette date paraît la loi no 14 sur les antiquités 8, qui développe la définition des antiquités immobilières et mobilières et reprend l’ensemble des contenus répartis dans les deux précédents décrets. Elle encadre l’exportation des antiquités : une autorisation doit être adressée par écrit à la direction générale du service des Antiquités, Le rôle de l’État français dans les fouilles d’Antinoé –

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avec indication du port de départ 9 ou du point de sortie pour que le requérant puisse obtenir un bon de transport et un certificat destiné aux douanes. Elle renouvelle le règlement relatif aux fouilles en n’octroyant des autorisations de fouilles qu’à des savants chargés de mission présentant des garanties. Au moment où se déroulent les campagnes d’Antinoé, le régime appliqué est donc celui du partage des fouilles : l’administration du service des Antiquités, représentant le gouvernement égyptien, et le fouilleur procèdent ensemble au partage des objets en deux lots d’égale valeur 10. Dans la pratique, aucun produit de fouilles ne peut être exporté vers la France sans le regard du service des Antiquités 11 qui a un droit de veto pour décider du choix des pièces destinées à rester en Égypte. Le partage des fouilles se fait généralement sur place ou au musée 12. Le transport des caisses du site d’Antinoé jusqu’au musée nécessite un laissez-passer. Arrivées au musée, les caisses reçoivent le sceau du service des Antiquités et un laissez-passer pour être transportées du musée à Alexandrie. Arrivées à Paris, elles sont acheminées vers le musée Guimet. Les modes de financement des fouilles Si l’étude du cadre législatif égyptien permet d’éclairer le contexte d’arrivée des objets d’Antinoé en France sous le régime du partage des fouilles, il reste à clarifier le mode de financement des fouilles. Cette question est loin d’être subsidiaire car elle détermine le ou les propriétaires des produits de fouilles à l’issue du partage. Selon les campagnes, les fouilles ont été financées par le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts et/ou des souscripteurs privés 13. L’État est resté assez frileux face aux démarches d’Albert Gayet et si le ministère a missionné officiellement l’archéologue pour des fouilles à Antinoé entre 1901 et 1903, en 1906, 1908 et 1909, il ne subventionne que les campagnes de 1901, 1901-1902, 1903 et 1906, et le plus souvent 14 avec d’autres souscripteurs privés. En effet, Albert Gayet a beaucoup sollicité le système des souscriptions pour financer ses fouilles. Les fonds privés peuvent provenir de dons individuels, de comités de patronage, de sociétés privées ou d’associations de fouilles. Les campagnes de 1904 et 1905 sont, par exemple, payées par la Société française de fouilles archéologiques 15, fondée en 1904 pour enrichir les musées publics français, en partie en réponse aux activités multiples et de plus en plus pressantes sur le terrain de l’Egypt Exploration Fund existant déjà depuis 1882 16 : « Pendant que des Sociétés privées, formées en Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis, subventionnent largement des explorations archéologiques qui enrichissent les musées, font progresser la science et sont la gloire de leurs pays, les missions françaises sont trop souvent arrêtées, faute de crédits suffisants. Le Gouvernement ne peut augmenter les subventions qu’il consacre aux travaux de recherches ou de fouilles archéologiques. Il appartient à l’initiative privée de doter la France d’une association analogue à celles qui donnent de si heureux résultats dans les pays où elles ont été organisées. La Société française de fouilles archéologiques est fondée dans ce but patriotique […] 17. » Les objectifs de la Société française du costume, qui finance les campagnes de 18981899 et 1899-1900, sont différents. Malgré le peu d’archives retrouvées sur cette société, il apparaît qu’elle a souhaité acquérir toute une collection de vêtements coptes afin de la présenter à l’Exposition universelle de 1900 à Paris. Pour ce faire, elle s’appuie sur ses membres, de puissants chefs d’entreprises et riches financiers liés à l’industrie du tissu 18. Elle commandite le projet architectural du palais du Costume, qui est l’une des plus grandes « curiosités » de l’Exposition universelle de 1900, à la gloire de la mode et de la femme. Quant à certaines institutions, elles subventionnent des campagnes pour verser le produit des fouilles au musée historique des Tissus de Lyon (la chambre de commerce de Lyon paie les fouilles de 1898 et 1908 avec six donateurs) ou à la faculté de médecine 32 – Historique des envois

9. Le port de départ est Alexandrie, le port d’arrivée est Marseille. Le transport est assuré par la Compagnie des messageries maritimes de Marseille : voir AMG, correspondance passive du musée Guimet, et AN, F17 2969 (2) et F17 17240. 10. On considère que les objets en provenance d’Antinoé acquis par partage de fouilles sont des dons qui ne sont pas transférables aux collectivités dépositaires en vertu de la loi 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, qui prévoit, dans son article 13, le transfert de propriété aux collectivités territoriales des dépôts d’œuvres des collections nationales consentis par l’État à ces collectivités avant le 7 octobre 1910, à l’exception des libéralités (dons et legs). 11. Gaston Maspero est le directeur du service des Antiquités de l’Égypte et du musée de Boulaq de 1881 à 1886 et de 1899 à 1914. 12. Auguste Mariette crée le premier musée égyptien à Boulaq, au bord du Nil, en 1835. En 1891, un premier transfert des collections est fait de Boulaq à Gizeh, puis, en 1902, un deuxième transfert dans le bâtiment actuel du musée du Caire. 13. Voir tableau p. 43. 14. À l’exception de 1903, où le financement de l’État est exclusif. 15. Voir à ce sujet C alament 2001. 16. Spencer 2007. L’Entente cordiale, accords bilatéraux signés entre le Royaume-Uni et la France le 8 avril 1904, apaise les tensions ressenties sur le terrain archéologique, la France admettant la domination anglaise sur l’Égypte et le Royaume-Uni reconnaissant le protectorat français au Maroc. 17. Bibliothèque de l’École des chartes 1904, t. 65, p. 466-467. URL : http://www.persee.fr/web/revues/ home/prescript/article/bec_03736237_1904_num_65_1_461383 (consulté le 17 avril 2013). 18. AMG, correspondance passive du musée Guimet, boîte 34, de février à juin 1904.


et de pharmacie de Bordeaux (entre 1901 et 1902, l’État est financeur avec l’aide d’un particulier, Victor Coustau, et de fonds réunis par la faculté). En 1909 et de 1911 à 1914, un comité de patronage, la Société des fouilles d’Antinoé, est créé, pour recevoir des souscriptions qui proviennent de banquiers ou d’industriels qui participent également à la prise en charge des fouilles à titre individuel. C’est le cas des banquiers Joanny Peytel et Noël Bardac, qui paient, en leur nom propre, les campagnes de 1907 et 1908 et souscrivent par ailleurs en 1909 à la Société française de fouilles archéologiques. Enfin, Émile Guimet est partie prenante des fouilles d’Albert Gayet et, même s’il ne participe pas personnellement à toutes les activités de l’archéologue à Antinoé 19, il est le principal acteur de la distribution des objets en France et à l’étranger. À l’arrivée des objets d’Antinoé à Paris, le commanditaire ou l’organisme financeur dispose librement du produit de fouilles attribué lors du partage en Égypte 20. Les commanditaires privés se répartissent le produit des fouilles entre eux. Ils peuvent alors garder les œuvres pour leur collection personnelle mais également les vendre : la Société du palais du costume met une partie des objets en vente à l’encan en 1901. Ils peuvent également en faire don à l’État, qui distribue alors les objets entre différents musées, ou les donner directement à des musées de province, ce qui peut amener de nombreuses confusions sur le statut des collections par rapport au cas précédent. L’État est donc propriétaire du produit de fouilles par partage de fouilles quand il est commanditaire de la fouille mais également par dons des mécènes ayant financé certaines campagnes : la Société française de fouilles archéologiques offre ainsi en 1905 un droit de préemption au Louvre sur les objets rapportés par Albert Gayet 21, la Société des fouilles d’Antinoé cède sa propriété à l’État en 1909.

DE LA FOUILLE À LA RÉPARTITION : L’ORGANISATION DE L’ÉTAT

19. Émile Guimet fait également

partie de la Société française de fouilles archéologiques. 20. AN, F17 17240, « Fouilles d’Antinoé 1908, Mission donnée à Mr Albert Gayet par Mr le Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts » : ce document établit la liste des souscripteurs de la campagne de 1908 et la répartition des produits de fouilles de cette campagne aux différent souscripteurs et à 14 musées pour la part de l’État. 21. Bulletin de la Société française de fouilles archéologiques 1906, 3e fasc., p. 151-156. 22. Voir tableau p. 494-495. 23. Une étude précise des archives concernant les œuvres provenant du financement de la chambre de commerce de Lyon est en train d’être menée par notre collègue Maximilien Durand, directeur du musée des Tissus et du musée des Arts décoratifs de Lyon. 24. Les expositions ont lieu au musée d’Ennery à partir de 1909. 25. Lettre du 5 juin 1903 d’Émile Guimet au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, citée dans Calament 2005, p. 218.

La procédure de répartition institutionnelle À partir de 1901, l’État commence à financer les campagnes de fouilles d’Albert Gayet et décide de distribuer les objets lui revenant de droit dans plusieurs musées français 22. Avant cette date, des pièces en provenance d’Antinoé ont été également envoyées dans les musées français, mais par le biais de dons personnels d’Émile Guimet ou par celui de la chambre de commerce de Lyon, qui reverse les produits de fouilles reçus en partage au musée historique des Tissus de la même ville 23. L’analyse systématique des divers documents d’archives permet de clarifier les procédures mises en place par l’administration et les modalités de répartition de ces collections. L’exposition, souvent partielle, au musée Guimet 24 des collections recueillies à Antinoé précède systématiquement le projet de partage entre les différents musées et souscripteurs des fouilles. Le directeur de l’Enseignement supérieur de l’époque, Louis Liard, écrit alors aux chefs des différents établissements parisiens pour qu’ils fassent leur choix. Lors des réunions de répartition sont le plus souvent présents Louis Liard luimême, Léon de Milloué, conservateur au musée Guimet, qui représente Émile Guimet, et Raoul-Blaise de Saint-Arroman, chef de bureau de la direction de l’Enseignement supérieur du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. Le musée du Louvre occupe une place privilégiée dans la répartition : il a priorité pour choisir parmi les pièces exposées au musée Guimet. Le musée Guimet se place ensuite au premier rang des institutions parisiennes bénéficiaires, dans la mesure où Émile Guimet est le premier mécène des fouilles d’Antinoé. « Il me paraît toute justice qu’ayant été l’initiateur des fouilles d’Antinoé et depuis huit ans, l’organisateur non sans sacrifices, des expositions du résultat des fouilles, je ne vienne pas, dans cette répartition, après le Louvre, Cluny et les Gobelins qui n’y sont pour rien 25. » Le rôle de l’État français dans les fouilles d’Antinoé –

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Enfin, les musées de province bénéficient de la répartition dans une volonté d’enrichir leurs collections dont la vocation est considérée essentiellement comme pédagogique. Les échanges oraux de ces réunions sont parfois consignés dans une liste préliminaire d’envois qui se fait généralement d’office pour les musées de province. L’emballage des pièces se fait sur place au musée Guimet et est payé par le ministère, tandis que les frais de transport demeurent à la charge de l’institution dépositaire. À réception des objets, l’institution dépositaire doit en dresser un catalogue et en envoyer une copie au ministère 26, tâche dont les conservateurs ne s’acquittent pas toujours. Un arrêté ou décret ministériel est alors publié, en ratifiant presque toujours la liste des pièces qui a été rédigée pour l’établissement du catalogue. L’État cherche à minimiser le rôle d’Albert Gayet dans ce processus de répartition 27, même si c’est à lui qu’il revient le plus souvent de faire des propositions de répartition avant la clôture de l’exposition, propositions généralement suivies. Émile Guimet a un rôle prépondérant dans cette répartition, le ministère se contentant souvent de cautionner les listes qu’il présente 28. Quelques conséquences juridiques et patrimoniales de ce fonctionnement Le statut des collections réparties dans les musées en région peut sembler clair, mais, lors du récolement, sont apparues des confusions ou des difficultés d’identification des pièces concernées. En effet, la répartition dans les musées de province des produits de fouilles, dont l’État a été le commanditaire, s’est le plus fréquemment faite par envoi de l’État : l’œuvre est expédiée directement du musée Guimet, sans être inventoriée. Plus rarement, l’œuvre est adressée au Louvre où elle est inventoriée puis déposée en province. Par conséquent, la majorité des pièces coptes distribuées n’a pas été inventoriée par le Louvre et ne porte pas le numéro d’inventaire du déposant. Les seuls numéros d’inventaire dont ces œuvres sont pourvues – lorsqu’ils existent – ont été attribués par les institutions dépositaires et sont donc hétéroclites. D’autre part, l’aspect lacunaire de certaines listes d’envois donne peu ou prou de données sur la date de la campagne dont proviennent les objets de fouilles et celles-ci restent également très imprécises sur le type d’objets envoyés, l’expression habituellement employée pour désigner l’envoi de tissus coptes étant « lot d’étoffes ». À Grenoble, il a été impossible lors du récolement de définir de manière certaine la nature et la quantité des œuvres mentionnées sous les appellations « sépulture de femme », « poteries variées », ou encore « lot d’étoffes sur carton » envoyées originellement au musée-bibliothèque en 1907 29. Ces listes imparfaites rendent la tâche encore plus ardue quand des dons de certains particuliers financeurs de campagnes de fouilles d’Antinoé ont été faits à des musées qui ont reçu des envois de l’État de nature similaire. Comment distinguer les objets données par la Société française de fouilles archéologiques au musée de Die et du Diois en 1905 de ceux qui sont envoyés par l’État en 1907, alors même qu’il s’agit de pièces du même type (lots d’étoffes, de tissus…) 30 ? La situation est identique pour le musée d’Ethnographie de la faculté de médecine de Bordeaux II, où il est quelquefois difficile de différencier les tissus placés en dépôt par arrêté du 19 juillet 1901 31 de ceux qui appartiennent à la collection de Victor Coustau, négociant en vin de Bordeaux qui, à la suite de sa participation au financement des fouilles d’Antinoé en 1901, a reçu un lot de momies, de deux cents crânes, de pièces ostéologiques et de tissus coptes, dont il a fait don au musée 32. Surtout lorsque les tissus coptes des deux collections ont été transférés en 1963 au musée d’Aquitaine et ont, pour certains, perdu leur étiquette. Au musée de Grenoble, les tissus coptes proviennent de deux modes d’acquisition : d’un don de Paul Blanchet sur sa collection personnelle de tissus en 1905 et de l’envoi par l’État d’étoffes coptes provenant de la campagne d’Antinoé de 1907. Pour tenter de différencier les deux lots de tissus, nous avons analysé l’inventaire de 1969, sur lequel 34 – Historique des envois

26. AN, F17 2969 (2), liasse 7,

exemple de catalogue des pièces reçues, rédigé par une institution dépositaire, la faculté des lettres de Lille. 27. Lettre du 6 août 1902 du directeur des Beaux-Arts au directeur de l’Enseignement supérieur, citée dans Calament 2005, p. 193. 28. AMG, dossier « Antinoé », lettre du 29 juillet 1907 du directeur du musée Guimet au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts : « […] soumettre à votre acceptation quelques attributions nouvelles […] ». 29. AN, F17 17240, arrêté du 2 juillet 1907. 30. AN, F17 17240, arrêté du 2 juillet 1907 ; documentation du SRD, article du Journal du Diois du 9 septembre 1905 ; archives du musée de Die, délibération du conseil municipal de Die du 19 août 1905. 31. Documentation du SRD, dossier « Bordeaux, faculté de médecine », arrêté du 19 juillet 1901. 32. Archives de la faculté de médecine de Bordeaux, extrait du registre des dons au musée (dons consignés par le secrétaire de la faculté de médecine entre 1887 et 1914).


33. Blanchet 1897. 34. AN, F17 17240, lettre du 27 juillet

1907 du directeur du musée Guimet au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. 35. AMG, dossier « Exposition Gayet, répartition entre les musées, Antinoé », liste des caisses expédiées le 1er août 1907. 36. Il s’agit alors de collections affectées au musée du Louvre et envoyées en dépôt dans ces années 1920. Mais l’évolution du vocabulaire en ce début du xxe siècle correspond aussi à la réalité juridique, puisque le premier texte règlementaire est le décret du 24 juillet 1910 fixant les règles de gestion en matière de dépôts (Augereau 2008, p. 75-93).

le mode d’acquisition est parfois précisé, et la publication par Paul Blanchet de sa propre collection 33. Néanmoins, plusieurs erreurs ont été constatées dans l’inventaire de 1969 et à certains numéros correspondent des tissus publiés dans l’ouvrage de Paul Blanchet, alors qu’il est spécifié dans le registre qu’il s’agit de pièces provenant de l’envoi de l’État, et inversement. À ces problèmes d’identification s’ajoutent certains aléas : une correspondance échangée entre le conservateur du musée de la ville de Vienne, le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts et Émile Guimet, à la fin du mois de juillet 1907, témoigne de l’absence de l’envoi d’œuvres coptes provenant d’Antinoé, tel qu’il était prévu à l’origine. Dans le dernier courrier retrouvé, daté du 27 juillet 1907 34, le directeur du musée Guimet déclare au ministre de l’Instruction publique qu’il va sans tarder réparer cet oubli et procéder à l’expédition des objets attribués par arrêté du 2 juillet 1907 au musée de Vienne. Il s’agit ici de la dernière mention de ce lot d’objets. Il est possible qu’il n’ait jamais été adressé au musée de Vienne, puisqu’il n’a jamais été retrouvé et qu’il n’y en a aucune trace dans les inventaires, qu’on ne connaît aucune lettre de remerciement, aucun accusé de réception ou courrier relatif à cet envoi. Une liste des caisses contenant des œuvres provenant du produit de fouilles d’Antinoé acheminées vers les musées français et étrangers mentionne pourtant l’expédition de pièces le 1er août 1907 au musée de Vienne 35. La caisse a-t-elle été perdue lors de son voyage ou n’a-t-elle finalement pas été envoyée, ce qui révélerait un second oubli ? Enfin, il est également complexe de définir le statut de pièces envoyées dans une première institution, puis transportées ensuite dans différents lieux de la même ville sans qu’aucun document officiel d’attribution ne permette aujourd’hui de restituer le mouvement de ces œuvres. Par exemple, les tissus coptes récolés au musée Georges-Labit, à Toulouse, semblent provenir de la collection adressée au musée Saint-Raymond de la même ville en 1903, mais aussi, en grande partie, du lot de tissus expédié à l’université en 1903 et transféré au musée Saint-Raymond à une date inconnue, sans qu’il soit possible aujourd’hui de distinguer les pièces provenant pourtant d’envois différents. La clarification du statut des collections en provenance d’Antinoé est rendue d’autant plus complexe par le vocabulaire juridique employé au xix e siècle et au début du xx e siècle. Le terme « dépôt », aujourd’hui officiellement utilisé, n’apparaît, pour Antinoé, qu’en 1921 36. Dans une majorité de documents d’archives, l’État « attribue », « offre », « répartit », « envoie », « donne » des objets aux musées de province. Or, un « don du Ministre » ne signifie pas un transfert de propriété, vu l’inaliénabilité des collections publiques françaises, mais s’apparente à l’acception actuelle du mot « dépôt ». Dans le cas des pièces provenant d’Antinoé, dont les fouilles sont régulièrement financées par Émile Guimet, nommé administrateur et directeur à vie du nouveau musée des Religions, dit « musée Guimet », qu’il a cédé à l’État en 1885, on trouve dans les documents archivistiques la mention « don Guimet », qui peut porter à confusion. Émile Guimet finance lui-même, ou en tant que souscripteur auprès d’une société de fouilles, plusieurs campagnes à Antinoé. Il reçoit ainsi, en partage de fouilles, des pièces archéologiques. Il les intègre ensuite dans sa collection personnelle, dans laquelle il peut prélever des pièces qu’il donne. Il s’agit alors d’un « don Guimet » au sens propre du terme. Il peut également les exposer au musée Guimet à Paris et proposer au ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, en tant que directeur du musée, une répartition dans différents musées. Dans ce cas, l’appellation « don Guimet » recouvre un envoi de l’État. L’exemple du Muséum d’histoire naturelle de Lyon témoigne de la difficulté pour interpréter les dons personnels du mécène Guimet et ceux de Guimet, « employé de l’État ». Ainsi, le journal d’entrée du Muséum indique qu’en 1903 ont été reçues du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, sous l’appellation « Don du Musée Guimet », Le rôle de l’État français dans les fouilles d’Antinoé –

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« six momies humaines de la nécropole gréco-romaine d’Antinoé (moyenne Égypte) » ainsi que « sept crânes humains » de la même nécropole. Le journal d’entrée de 1907 informe d’un nouvel envoi de quatre momies, arrivées dans deux caisses différentes. Le document les présente en deux groupes, un « don de l’Instruction Publique » (deux momies provenant des fouilles de 1906) et un don d’Émile Guimet lui-même (deux momies issues des fouilles de 1907). Un arrêté de dépôt du 2 juillet 1907  37 valide cet envoi, citant ces quatre momies. Un courrier du 10 août 1907  38 du directeur du Muséum de Lyon au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts précise d’ailleurs que « les momies provenant de la campagne de fouilles de 1906 figureront dans [nos] galeries avec la mention : “Don du Ministère de l’Instruction Publique” ; celles qui ont été recueillies en 1907 porteront l’inscription “Don de Mr. Guimet” ». Les momies déposées par l’État entrées au Muséum en 1907 ont pu être différenciées des momies données par Émile Guimet la même année grâce à la description qu’en livre Albert Gayet dans sa Notice des objets recueillis à Antinoé et exposés au musée Guimet du 23 mai au 23 juin 1907 39. On pourrait multiplier les exemples de situations imprécises pour lesquelles le SRD a mené des recherches approfondies, sans pouvoir toujours trancher sur l’interprétation des documents.

LE CHOIX DES INSTITUTIONS BÉNÉFICIAIRES DES ENVOIS DE L’ÉTAT : ENTRE VISION POLITIQUE ET DÉCISIONS DE CIRCONSTANCE L’analyse d’une cartographie des villes bénéficiaires des collections d’Antinoé 40 et l’étude des archives quant au rôle des principaux acteurs de cette distribution nous amènent assurément à nous interroger sur la logique scientifique, culturelle ou politique de répartition patrimoniale reflétée dans cette réalité. Celle-ci relève dans ce cas indéniablement de l’association d’une volonté politique de l’État d’une juste répartition de ses collections sur le territoire, d’une attente des notables locaux pour développer leur musée et de l’influence des réseaux sociaux et scientifiques des principaux acteurs de cette procédure, Albert Gayet et Émile Guimet. La réalité actuelle de cette répartition est donc l’héritage complexe d’un triple phénomène où il n’est pas toujours aisé de faire la part des choses. Tentons ici cependant d’en comprendre quelques étapes. Les collections d’Antinoé comme vecteur culturel d’une éducation nationale Nous sommes au tournant du xx e siècle, au moment où la IIIe République est solidement installée. Les radicaux qui arrivent au pouvoir en 1902 renforcent la mission éducative et civilisatrice de l’État. La volonté de la direction de l’Enseignement supérieur du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts consiste alors à consolider ce système éducatif que les gouvernements du Second Empire et du début de la IIIe République ont mis en place. Les responsables politiques de l’époque y voient deux enjeux principaux, celui de l’éducation de la classe ouvrière destinée à reproduire ou à adapter les modèles artistiques passés aux produits des arts de l’industrie et celui du développement des enseignements universitaires dans un modèle de référence humaniste et savant. L’envoi de collections patrimoniales dans une visée éducative de la nouvelle classe ouvrière se met en place dès le Second Empire. Les envois de céramiques antiques en 1863 (collection Campana) et en 1875 inaugurent ce lien entre l’étude des collections muséales et le développement de la créativité et du savoir-faire des manufactures de porcelaine par exemple 41. Le cas de Limoges illustre à merveille cette continuité de l’usage des collections de céramiques anciennes comme outil d’apprentissage des 36 – Historique des envois

37. AN, F17 17240, arrêté du 2 juillet

1907. 38. Documentation du SRD, dossier « Lyon, Muséum », accusé de réception du 10 août 1907 du directeur du Muséum de Lyon au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts. 39. Gayet 1907a, p. 44-48. 40. Voir la carte de répartition des envois de l’État et des dépôts du musée du Louvre des collections d’Antinoé en France de 1901 à nos jours, annexe, p. 493. 41. Voir Lintz 2007, p. 37-47.


fig. 5 Cartel ancien de momie

d’Antinoé au musée d’Anatomie de la faculté de médecine Montpellier I. 5

42. AMG, correspondance

passive du musée Guimet, boîte 28, juillet-décembre 1901. 43. AN, F17 17240. 44. AN, F17 17240. 45. AMG, dossier « Fouilles d’Antinoé 1908, répartition entre les musées ».

ouvriers de la manufacture de porcelaine. Le musée Adrien-Dubouché, à Limoges, bénéficie en effet d’envois de céramiques grecques et étrusques en 1863 et de céramiques d’Antinoé en 1875 et en 1904. Mais l’intérêt « industriel » des collections du site égyptien réside surtout dans sa partie textile. Le début du xxe siècle voit le déploiement de l’activité manufacturière textile en France. Avec le développement du chemin de fer à partir des années 1880, une grande partie du territoire est concernée par cette activité industrielle. On pense en particulier à la région du Nord, aux Vosges, à la FrancheComté, à la vallée du Rhône et à l’ouest du pays. De nombreuses villes ayant reçu des textiles coptes font partie de ce réseau de manufactures qui associent souvent une école d’application. La ville la plus emblématique de cet ensemble est bien sûr Lyon, où la chambre de commerce, avec son musée historique des Tissus, est un des premiers mécènes des fouilles d’Albert Gayet à Antinoé avec Émile Guimet à la fin du xixe siècle. L’État dote aussi régulièrement, lors des répartitions annuelles, les institutions muséales nationales liées aux manufactures comme Sèvres et les Gobelins. Mais on peut citer de nombreuses villes spécialisées dans l’industrie textile bénéficiaires de tissus d’Antinoé. Un courrier du directeur de l’Enseignement supérieur, Louis Liard, au directeur du musée Guimet, en date du 24 septembre 1901, signale que « l’envoi réservé au Musée de Besançon doit être adressé au Musée d’art appliqué à l’Industrie 42 ». Cet envoi n’est donc pas destiné au musée d’Archéologie de la ville, que l’État avait par ailleurs déjà nanti de collections archéologiques en 1863, 1875 et 1890. Cette différenciation montre donc l’usage éducatif particulier des textiles d’Antinoé. La ville de Roubaix est aussi au cœur de ce dispositif d’enrichissement des villes industrielles. Un courrier du directeur des Beaux-Arts au directeur de l’Enseignement supérieur, du 24 décembre 1903, précise, dans le cadre de la répartition des fouilles d’Antinoé : « Je vous serais très obligé d’admettre à en bénéficier le Musée de l’École Nationale des Arts Industriels de Roubaix dont la section des étoffes, sans avoir bien entendu l’importance du Musée spécial de Lyon, est cependant de tout premier ordre par le nombre et la diversité des spécimens 43. » On apprend d’ailleurs par un courrier de remerciement de l’administrateur de l’École au directeur de l’Enseignement supérieur qu’Émile Guimet « joindrait à l’envoi de ces collections un lot d’étoffes choisies dans son fonds personnel 44 ». Cette politique se poursuit en 1908 à Nantes, où le musée d’Art décoratif associé à l’École régionale des beaux-arts appliqués à l’industrie bénéficie de l’envoi d’un lot d’étoffes 45. Font également partie de ces types d’envois les villes de Mulhouse, de Tarare et de Rouen. Émile Guimet applique aussi ce critère d’enrichissement des musées d’art décoratif dans le choix qu’il fait des envois d’étoffes dans des institutions européennes, en Allemagne, en Italie, en Espagne ou à Prague. Au-delà d’une politique d’État, cette distribution révèle donc en outre un phénomène plus large au début du xxe siècle, lié à l’intérêt pour les textiles anciens, et notamment coptes, dans les collections d’art décoratif. Le rôle de l’État français dans les fouilles d’Antinoé –

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fig. 6 Envois de tissus d’Antinoé

6

Au-delà de cette préoccupation particulière, l’étude des villes bénéficiaires des envois d’œuvres provenant d’Antinoé témoigne aussi d’une vision plus globale de l’État en ce qui concerne la répartition de collections nationales sur le territoire et les besoins des différents musées en région. Le Catalogue du musée de Carpentras édité en 1900 46 évoque les demandes de renseignements et les exigences du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, qui surveille et classe le musée qu’il « pourvoit proportionnellement de ses distributions annuelles ». L’État impose d’ailleurs au musée bénéficiaire des envois de produire un catalogue détaillé et d’en adresser un double à l’administration parisienne. Il semblerait aussi que certaines villes bénéficient d’envois d’œuvres d’Antinoé à l’occasion de la reconstruction de leur musée, comme à Guéret en 1904 47. De manière générale, de nombreux échanges entre le ministère et le musée Guimet montrent que l’État agit dans ses choix selon certaines logiques. On peut lire ainsi, dans un courrier du directeur de l’Enseignement supérieur au directeur du musée Guimet, en date du 21 juillet 1908 : « Pour répondre au désir que vous avez exprimé de connaître les différents Musées qui pourraient participer à une nouvelle répartition d’objets […], j’ai pressenti les directeurs des établissements qui ont bénéficié déjà des répartitions précédentes 48. » Cet extrait révèle en tous les cas l’état d’esprit de l’administration centrale en 1908, c’est-à-dire vers la fin de cette période de répartitions, où il semblerait qu’il y ait une volonté de consolider des envois dans des villes déjà pourvues. Les universités constituent un ensemble particulier qui s’inscrit dans l’histoire de ces institutions savantes. Sous l’impulsion de Victor Duruy et de Jules Ferry, les facultés se développent à la fin du xix e siècle et la loi de 1896 vient moderniser le système en créant les universités. L’État accompagne cette réforme en veillant au développement harmonieux de ces institutions sur le territoire. La répartition des collections dans les universités participe donc de ce double principe de favoriser l’enseignement par l’étude de l’objet et de veiller à une égalité républicaine de cet enseignement sur le territoire. Les nombreux envois d’œuvres issues des fouilles d’Antinoé dès 1901 dans les universités de lettres et de médecine à Bordeaux, Lille, Lyon et Montpellier témoignent de ce souci. Les universités des huit académies de l’époque sont progressivement pourvues. Il faut alors ajouter Grenoble, Nancy, Strasbourg et Toulouse. Le matériel provenant d’Antinoé semble parfaitement adapté aux enseignements d’égyptologie, d’ethno­ graphie ou d’anatomie. Dans un courrier adressé à Émile Guimet le 8 mars 1909, le bibliothécaire et conservateur du matériel de l’école préparatoire de médecine et de pharmacie de l’université de Grenoble traduit l’engouement que suscite ce matériel : « Nous avons un musée à l’École, déjà assez sérieux. Vos momies d’Antinoé y seront 38 – Historique des envois

au musée des Tissus de Lyon dans leurs emballages d’origine.

46. L aurens 1900, p. 14. 47. Cette situation est évoquée

dans le courrier de remerciement du conservateur du musée de Guéret au ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts (AN, F17 17240). 48. AMG, dossier « Fouilles d’Antinoé 1908 ».


dans un cadre tout indiqué. Si vous pouvez disposer d’os, de crânes, etc., ils prendront place dans nos séries ostéologiques […]. Le préhistorien que je cherche à être, vous prie de joindre à votre envoi, ce que vous auriez en débris céramiques, quels que soient la petitesse des fragments. Terre, verre, pâtes cuites, débris métalliques, fragments de tissus, etc., qui me seront utiles, étant d’époques communes, pour comparaison d’analyses 49. » Il faut évoquer une dernière situation révélatrice d’une politique de répartition des fouilles d’Antinoé, correspondant au contexte des années 1920-1930. C’est une époque particulière où l’État développe une politique de dépôt pour compenser les destructions de musées occasionnées par la Première Guerre mondiale. Le musée du Louvre joue un rôle de premier plan dans cette attente de l’État à pourvoir les musées qui ont subi des dommages de guerre. Or, il se trouve que le musée possède, outre sa propre dotation des fouilles d’Antinoé datant de la première décennie du xx e siècle, le fonds Gayet provenant du legs de Gayet dont la sœur, héritière directe, décède en 1924 50. C’est en partie ce qui explique l’envoi, cette fois-ci, de dépôts du Louvre composés d’œuvres d’Antinoé en région. Les musées de Calais et de Boulognesur-Mer bénéficient ainsi respectivement en 1924 et 1927 de dépôts d’Antinoé. Le maire de Boulogne a lui-même sollicité l’État, en mentionnant dans son courrier «  les difficultés rencontrées pour reconstituer les collections détruites lors des bombardements aériens de 1918, notamment les collections égyptiennes qui donnaient à ce musée un grand attrait et qui ont été à l’origine de la carrière du grand égyptologue Mariette, notre concitoyen 51 ». Un courrier du directeur des Musées nationaux et de l’École du Louvre au sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, daté du 12 février 1930, précise, à propos d’un dépôt d’étoffes coptes d’Antinoé au Musée archéologique de Rennes, que « ce serait une excellente mesure de décentralisation 52 ». Juste avant ces distributions, on observe, en 1921, un mouvement de collections égyptiennes des fouilles d’Éléphantine et d’Antinoé, conservées à titre de dépôt au Louvre, vers les universités de Paris, Nancy et Strasbourg. Celui-ci se fait à la demande des différents chargés de cours de ces universités de lettres, et Charles Boreux, conservateur du Département égyptien

fig. 7 Couverture du Catalogue

du musée de Périgueux concernant les envois de tissus d’Antinoé dans cette ville en 1903. Document conservé aux Archives nationales, Paris.

49. Document SRD, dossier

« Grenoble ». 50. Sur l’histoire du legs Gayet et de l’accord trouvé entre la ville de Dijon, légataire, et le musée du Louvre, on peut se reporter à Quarré 1949, p. 1-3. 51. AMN, AE 14. 52. AMN, AE 14. 7

Le rôle de l’État français dans les fouilles d’Antinoé –

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du Louvre à cette époque, y consent volontiers, sans doute aussi dans un souci de dégager de l’espace dans les réserves du Louvre. Cette idée est suggérée par le directeur des Musées nationaux au ministre de l’Instruction publique et des BeauxArts dans un courrier en date du 18 juin 1921 : « Ces objets ne portent aucun numéro, n’ayant jamais été mis qu’en dépôt au musée du Louvre, et ne figurant pas sur les inventaires du Département Égyptien. […] Il pourrait être ajouté à l’envoi, sous réserve des ratifications ministérielles nécessaires, un certain nombre d’objets pris dans les réserves du Département Égyptien 53. » Les volontés locales d’enrichissement des musées Même si l’État joue un rôle majeur dans la vision de répartition de cette collection, on a déjà pu constater que son choix des villes bénéficiaires tient compte de l’avis des responsables locaux. Les maires sont sollicités en amont de la proposition des villes dans le partage annuel. L’examen des archives de cette époque nous révèle aussi que certaines villes, qui n’étaient pas forcément dans le circuit de distribution du ministère, réclament de manière explicite une part des envois. Ce type de demande, relativement courante, se retrouve dans la lettre que le conservateur du Musée archéologique de Rennes adresse au conservateur adjoint du musée Guimet, en précisant : « Mr le Maire de Rennes a adressé à Mr le Ministre des Beaux-Arts, pour le Musée archéologique de Rennes, une demande d’attribution des objets dont le musée Guimet pourrait disposer à son profit à titre de dépôt 54. » Ce témoignage montre qu’il s’agit d’un autre type de fonctionnement, qui suppose une correspondance politique entre le maire et le ministre, doublée d’une requête du conservateur au conservateur adjoint du musée Guimet, sans qu’ils ne se connaissent personnellement. Ce genre de demande reste parfois sans suite, comme celle du maire de la ville de Saint-Denis au ministre, en date du 20 juillet 1905 55. Parallèlement aux maires, souvent très actifs dans ce domaine, on constate également la place importante des sociétés savantes. Le rôle joué par ces institutions dans le développement des musées et des collections municipales dès le milieu du xix e siècle est bien connu. On retrouve aussi leur présence dans les demandes d’envois d’œuvres d’Antinoé, sous une forme particulière. Ces sociétés locales sont en effet souvent devenues membres affiliés de la Société française de fouilles archéologiques et à ce titre ont pu revendiquer l’attribution de lots d’Antinoé. Ainsi, le président de la Société archéologique et historique de l’Orléanais rappelle dans la séance du 13 octobre 1905 que la Société a pu bénéficier de « dons des étoffes, des masques, des poteries et autres objets funéraires, provenant des fouilles faites par M. Gayet à Antinoé 56 ». Il précise que ces objets sont présentés sous vitrine aux membres de la Société durant un mois et mis ensuite à disposition du public qui est prévenu par une insertion dans les journaux. À Die, la SFFA intervient directement, comme le montre la délibération du conseil municipal de la ville en date du 19 août 1905. Il est dit : « Mr le Maire explique au Conseil qu’il a eu de la bonne fortune d’obtenir à titre gratuit du directeur de la société des fouilles archéologiques de Paris une soixantaine d’objets antiques provenant d’Antinoé, qu’il a fait placer dans une vitrine située dans une des salles de la Mairie de Die où il sera possible d’installer un petit musée 57. » Enfin, dans l’influence des personnalités locales dans le choix des villes bénéficiaires des envois d’Antinoé, il y a parfois aussi tout simplement le conservateur de musée. Un exemple caractéristique est sans doute celui du musée de Périgueux et de Gérard de Fayolle, qui en est le conservateur entre 1892 et 1933. Grâce à ses différentes activités nationales, ce dernier possède alors les réseaux nécessaires et la crédibilité suffisante pour que soient entendues ses demandes de dépôts de l’État. Il a notamment été attaché à la conservation des peintures du musée du Louvre en 1875, puis, après deux ans d’activité, il a été nommé attaché honoraire à la direction des Musées nationaux. En 1906, il est nommé correspondant du ministère de l’Instruction publique et 40 – Historique des envois

53. AMN, AE 11. 54. AMG, dossier « Fouilles d’Antinoé

1907 ». 55. AN, F17 17240. 56. BSAHO 1905, p. 181-182. 57. Documentation du musée de Die et du Diois.


fig. 8 Courrier dans lequel le maire de Besançon remercie le directeur de l’Enseignement supérieur pour l’envoi de tissus au musée d’Art appliqué de la ville en 1901. Document conservé aux Archives nationales, Paris.

8

des Beaux-Arts, puis membre du Comité des travaux historiques, inspecteur général de la Société française d’archéologie et membre de son comité directeur. Ces titres expliquent sans doute en partie que le musée de Périgueux ait été destinataire de trois envois d’œuvres d’Antinoé en 1903, en 1908 et en 1909.

58. AMG, dossier « Fouilles d’Antinoé

1903, répartition entre les musées ».

Le rôle des réseaux de sociabilité dans la diffusion des collections d’Antinoé Si l’on peut clairement voir une certaine cohérence dans la politique nationale de répartition des fouilles d’Antinoé, force est de constater que les envois dans les villes françaises ou à l’étranger se concrétisent d’abord grâce aux réseaux personnels des principaux acteurs de cette histoire que sont Émile Guimet et Albert Gayet. Ils étaient considérés à leur époque comme des personnalités du monde scientifique et culturel, et c’est par des contacts directs avec eux que se sont formalisés bon nombre d’envois de pièces d’Antinoé. Cette marge de manœuvre d’Émile Guimet dans les répartitions prévues par l’État se révèle dans de nombreux documents. Il écrit par exemple à RaoulBlaise de Saint-Arroman, chef du cinquième bureau du ministère : « Mr de Milloué vous présentera la répartition que j’ai faite avec les directeurs. J’ai ajouté à leur choix un certain nombre de pièces fort intéressantes qui leur conviennent et qui leur avait échappé 58. » On découvre lors de nombreux échanges entre Émile Guimet et des conservateurs de musées en région une complicité amicale ou scientifique, acquise sans doute en partie dans la fréquentation des mêmes sociétés ou comités historiques divers et variés. On constate aussi la proximité entre Joseph Denais, fondateur et conservateur du musée de Beaufort-en-Vallée, correspondant du Comité des sociétés des beaux-arts des départements, et le secrétaire du musée Guimet, Joseph Hackin. Le musée a ainsi bénéficié de deux envois, en 1908 et en 1909, incluant une momie. On peut enfin évoquer les échanges entre Émile Guimet et Joseph Déchelette, conservateur du musée de Roanne, membre titulaire de la SFFA et membre correspondant de la Société des antiquaires de France. Le rôle de l’État français dans les fouilles d’Antinoé –

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Il se trouve qu’Émile Guimet, toujours friand de conférences à prononcer, se laisse aussi facilement inviter par les diverses sociétés savantes locales, et aime à pourvoir celles-ci d’objets d’Antinoé. On peut citer sa proximité avec la Société polymathique du Morbihan, à Vannes. Joseph-Marie Le Mené, conservateur du musée d’Archéologie de la Société, réceptionne ainsi le 5 mars 1908 un lot de fragments d’étoffes. Par ailleurs, ses relations avec M. Schreiber, collectionneur et chercheur alsacien, amènent Émile Guimet à proposer des collections d’Antinoé au secrétaire de la Société Schongauer de Colmar, en prenant l’initiative de lui écrire 59. Les réseaux de sociabilité peuvent aussi être plus larges et inclure les divers mécènes de la fouille, qui se préoccupaient pour certains de la destination des collections. Le cas de l’envoi des objets au musée d’Ethnographie de l’université de Bordeaux en 1901 est caractéristique de ces relations qui se créent, dans ce cas, directement entre le fouilleur et des mécènes. Ainsi Victor Coustau, négociant en vin à Bordeaux, rencontre vers 1898 Barthélemy-Marie-Napoléon de Nabias, alors doyen de la faculté de médecine et de pharmacie de Bordeaux. Ce dernier lui apprend qu’Albert Gayet, qui a des échanges réguliers avec le secrétaire de ladite faculté, Paul Lemaire, fouille à Antinoé. Alors que ce dernier demande par écrit à Émile Guimet de bénéficier de lots d’Antinoé, Victor Coustau finance une partie des fouilles de l’hiver 1900-1901 et donne ensuite sa part au même musée d’Ethnographie de l’université. En conclusion, Antinoé est sans doute l’un des cas les plus complexes sur le plan de l’étude patrimoniale et juridique de collections archéologiques de Méditerranée arrivées en France et partagées ensuite entre plus d’une centaine d’institutions européennes, essentiellement françaises. La démarche du récolement, associée à une recherche systématique des documents d’archives, a permis ici de reconstituer une partie des interrogations liées à ce dossier et au déroulement de l’histoire. On se rend compte, au-delà des questions posées, qu’il est impossible d’établir avec certitude le détail et les nuances des réponses que l’on attend sur le statut patrimonial et les modalités de répartition de l’ensemble des pièces de cette collection. Il nous semble que cette étude apporte cependant des éclairages nouveaux sur la variété des contextes historiques qui ont présidé au destin de ces œuvres. Elle démontre avec vigueur l’originalité française dans l’enrichissement des collections archéologiques méditerranéennes à la fin du xix e siècle et au début du xx e siècle et leur usage au service d’une politique culturelle et éducative.

59. Documentation du musée

Unterlinden, à Colmar.

42 – Historique des envois


140 – Catalogue des collections


CATALOGUE DES COLLECTIONS Sarcophages Masques de momies Momies Textiles Figurines en terre cuite Céramiques Lampes Verres Bois Cuirs Objets en métal

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142 – Catalogue des collections


INTRODUCTION Yannick Lintz et Magali Coudert

1. Voir ici l’introduction de l’ouvrage,

par Yannick Lintz et Magali Coudert p. 18-19. 2. P. 496-568.

Pages précédentes : cat. 161 (détail)

Le catalogue qui suit propose un choix de quatre cent trente œuvres, sélectionnées parmi l’ensemble des cinq mille quatre-vingt-trois œuvres récolées qui ont été envoyées par l’État entre 1901 et 1909 ou mises en dépôt par le musée du Louvre à partir de 1913. Ainsi n’ont pas été prises en compte les pièces provenant d’Antinoé conservées dans les musées français acquises selon d’autres modes (achat, don, legs…) 1. Étant donné la quantité des œuvres (quatre mille deux cent trente-huit vues et identifiées et huit cent quarante-cinq non vues ou non identifiées) et le caractère stéréotypé de beaucoup d’entre elles, il nous a semblé en effet pertinent de choisir, dans chaque catégorie d’objets, les pièces uniques les plus significatives et les œuvres représentatives des différents décors et formes. La proportion dans l’ensemble de la collection de chaque catégorie d’œuvres a elle aussi, dans la mesure de sa pertinence, été respectée. À l’inverse, de nombreuses pièces uniques, c’est-à-dire celles dont on ne rencontre qu’un seul exemplaire dans la collection, ont été sélectionnées. Le lecteur trouvera cependant un tableau complet de toutes les pièces envoyées (retrouvées ou non) en annexe 2. Les quatre cent trente notices sont ainsi représentatives de l’ensemble du corpus des envois d’Antinoé effectués par l’État et, de manière plus générale, de la totalité des objets d’Antinoé connus à ce jour. En effet, ce catalogue des productions d’Antinoé conservées en Europe étudie plusieurs catégories d’objets qui constituent les onze chapitres de cette partie. Les œuvres étudiées provenant toutes de contexte funéraire, il a été décidé de commencer le classement par les corps, éléments principaux des tombes avec, en premier lieu, les sarcophages qui les abritent, suivis des masques et des plastrons disposés sur les corps, et du chapitre consacré aux momies. Viennent ensuite les textiles qui à l’origine recouvraient ces corps, puis les éléments du mobilier funéraire, des plus courants aux plus rares. La succession des chapitres se déroule donc ainsi : sarcophages, masques, plastrons de momies et portraits funéraires, momies, textiles (sous-catégories : tentures, tuniques, châles, coiffes, fragments de tissus), figurines en terre cuite, céramiques, lampes, verres, bois, cuirs, objets en métal. Les introductions de chaque chapitre permettent de comprendre les grandes caractéristiques techniques et culturelles du domaine concerné dans le contexte des productions d’Antinoé et, de manière plus générale, par rapport au matériel archéologique de la période considérée en Égypte. Les auteurs y signalent également les œuvres les plus significatives. Ces synthèses posent enfin le problème de certaines lacunes d’information, en particulier celles des datations, faute de comparaison possible avec du matériel daté d’un point de vue archéologique. La conception des notices a fait également l’objet de choix éditoriaux précis. En premier lieu, une série de rubriques constituent la fiche d’identité de l’objet. Faute de dénominations anciennes, puisque les documents d’archives mentionnant les œuvres sont peu explicites, les dénominations ont été uniformisées selon des usages modernes et avec une volonté de concision typologique. Les matériaux et les techniques ont été particulièrement détaillés dans le chapitre le plus important, celui des textiles, pour lesquels ces informations ont été séparées en deux champs distincts. Deux types de dimensions sont reportées, parfois plus. Ce champ d’informations est important dans la mesure où nous avons finalement renoncé à reproduire les échelles sur les photographies et les dessins associés. Le champ « Datation » n’est souvent pas aisé à remplir 143


en ce qui concerne les œuvres provenant du site d’Antinoé. La période d’occupation du site est très large. Elle est comprise entre la date de construction de la ville par l’empereur Hadrien en 130 ap. J.-C. et le vie siècle ap. J.-C., période à laquelle elle est abandonnée. Mais certaines pièces du produit de fouilles sont datées d’une phase antérieure à la fondation d’Antinoé, et proviennent donc de la ville antique de Bèsa, sur laquelle la ville romaine a été fondée. D’autres pièces à l’inverse sont bien plus tardives et remontent à une phase postérieure à l’abandon de la ville, tels plusieurs objets en verre datés de l’époque ottomane. Pour de nombreuses œuvres du catalogue, il est fréquemment impossible de préciser la datation entre époque romaine et époque byzantine. C’est pourquoi nous proposons souvent une datation en époque plutôt qu’en siècle quand il n’y a pas d’hypothèse plus assurée. Pour les textiles, l’un des ensembles les plus difficiles à dater, lorsqu’un intervalle chronologique est proposé, il est hypothétique. Il a été déterminé à partir de la comparaison des pièces avec d’autres textiles similaires datés avec certitude, notamment par des datations au carbone 14. Le champ « Datation » des notices de momies contient, en plus d’une datation stylistique fondée essentiellement sur l’appréciation du traitement funéraire du corps, des éventuels vêtements portés et du mobilier funéraire, une datation résultant d’analyses au carbone 14 3. Celle-ci est mentionnée ainsi : la nature de l’échantillon et le nom du résultat, le numéro de l’échantillon du laboratoire Saclay où ont été prises les mesures quand il y en a plusieurs, l’âge radiocarbone en années BP (Before Present), l’intervalle de dates calibrées en années calendaires (cal. AD), le pourcentage de fiabilité de l’analyse. Par exemple : « échantillon de cheveux LYON9_1 : SacA 25397, 1250 ± 30 ans BP (entre 677 et 830 cal. AD à 91,7 % de fiabilité) ». Quelques textiles du catalogue ont également fait l’objet de datations au carbone 14 dans le cadre de notre étude sur l’évolution de l’iconographie du rinceau stylisé 4. Le résultat de leur datation au carbone 14 apparaît alors dans ce champ. Après ces données relatives à l’objet, des informations de type patrimonial sont détaillées. La ville et l’institution dépositaire datant de l’époque de l’envoi sont mentionnées. Lorsque les œuvres ont changé de lieu dépositaire, depuis le lieu où elles ont été envoyées initialement, l’information est précisée. Figurent ensuite les divers numéros relatifs à l’œuvre, repérés durant le récolement. La plupart des pièces ne portent pas de numéro d’inventaire du déposant puisqu’il s’agit de l’État. Quand les œuvres ont été mises en dépôt par le Louvre, il existe un numéro d’inventaire du déposant qui figure en première position. En seconde position apparaît le numéro d’inventaire du dépositaire lorsqu’il existe. Ce numéro commence souvent par la lettre D, et correspond dans ce cas clairement à un numéro de dépôt attribué par le dépositaire et non à un numéro d’inventaire. D’autres institutions bénéficiaires de ces envois ont également pu au cours du temps donner des numéros d’inventaire. Il arrive aussi que l’œuvre n’ait aucun numéro d’inventaire. La mention « sans numéro » apparaît alors dans la rubrique. Vient ensuite le champ « État de conservation ». L’état de conservation est notamment précisé dans les cas où des éléments ne sont pas visibles sur la photographie qui accompagne la notice. Cette série de rubriques se termine enfin par les champs bibliographiques. Les références bibliographiques mentionnant l’œuvre elle-même sont très peu nombreuses et renvoient en général à la publication des œuvres dans des catalogues de collections des musées dépositaires. Une bibliographie de comparaison permet de situer l’œuvre dans une série référencée culturellement, techniquement, stylistiquement ou chronologiquement. Les notices des momies sont conçues sur un mode légèrement différent compte tenu de la spécificité des items. Elles contiennent à la fois des informations historiques et archéologiques, une description de la momie telle qu’elle est conservée actuellement, et les résultats des études anthropologique et odontologique. Les années des campagnes de fouilles durant lesquelles les momies ont été découvertes sont connues systématiquement et ont donc été mentionnées chaque fois. Elles sont en effet facilement 144 – Catalogue des collections

3. Voir ici Pascale Richardin,

Magali Coudert, Nathalie Gandolfo et Julien Vincent, « Datation par le radiocarbone : étude chronologique des momies et de leur matériel funéraire », p. 74-81. 4. Voir ici Dominique Bénazeth, avec la collaboration de Pascale Richardin et de Nathalie Gandolfo, « L’apport de la recherche scientifique à la connaissance des tissus », p. 114-119.


identifiables dans les notices établies par Albert Gayet, à l’occasion de l’exposition du produit de fouilles à l’issue de chaque mission. Le contexte des objets associés selon la logique de publication des ensembles de tombes par Albert Gayet a aussi été précisé. Dans la mesure où les objets qui accompagnaient les différentes momies dans les tombes sont régulièrement séparés des corps et souvent conservés dans des musées différents, quelques pièces ont fait l’objet d’une notice indépendante dans le chapitre concernant leur catégorie, en renvoyant à la notice de la momie correspondante quand il était possible de faire le rapprochement. Après de multiples hésitations, l’année de la campagne de fouilles n’est pas précisée pour les autres types d’objets, notamment les textiles, car elle est rarement certaine. Le lecteur pourra se reporter au tableau récapitulatif des envois 5, qui dresse par villes la liste des divers envois d’œuvres issues des différentes campagnes de fouilles dont chaque ville a bénéficié. La provenance des œuvres n’a pas fait l’objet d’une rubrique, puisqu’il s’agit exclusivement d’œuvres issues d’Antinoé. Cela a pu être déterminé à partir des documents d’archives, décrets, courriers d’envoi ou de réception, mentionnant l’envoi de l’État ou le dépôt du musée du Louvre dans les lieux concernés. Il subsiste parfois un doute sur la provenance de certaines œuvres du catalogue, surtout dans le cas où le musée dépositaire possède une collection propre d’œuvres romano-byzantines et que l’œuvre (essentiellement des textiles) n’a fait l’objet d’aucun marquage. La totalité des œuvres du catalogue a été étudiée dans les différents lieux de dépôt concernés par les membres scientifiques du service du Récolement des dépôts (SRD) lors des campagnes de récolement. Ce sont ces informations relatives à chacun des champs du catalogue qui ont servi de base aux différents auteurs spécialisés. Certains auteurs (c’est le cas pour les momies, les textiles, une partie de la céramique, une partie des lampes et les cuirs) ont également étudié les pièces de visu. D’autres (pour les masques et plastrons, les figurines, pour une partie des céramiques, une partie des lampes, les verres, les bois et les objets en métal) ont travaillé sur photographies et à partir de dessins archéologiques. Chaque notice du catalogue est accompagnée d’une photographie, parfois complétée par une photographie de détail. Des images résultant des scanners réalisés sur les momies sont ajoutées aux notices correspondantes. Les coiffes étudiées dans les notices consacrées aux textiles, les vases en céramique, les objets en verre et les chaussures en cuir sont également illustrés par des dessins qui montrent les profils des formes ou qui reconstituent les formes lacunaires.

5. P. 496-568.

Introduction –

145



SARCOPHAGES Françoise Dunand

Les sarcophages d’Antinoé déposés à Châteauroux et à Guéret en 1907, à Châteaudun en 1908, appartiennent de toute évidence à l’établissement antérieur à la fondation de la ville par Hadrien, dont on a retrouvé des vestiges datant de la fin de l’époque ptolémaïque. Les sarcophages et surtout les cartonnages des momies de Châteaudun et de Guéret sont typiques de cette époque : à l’intérieur du sarcophage en bois peint, la momie enveloppée dans ses linceuls porte un masque en cartonnage (du tissu aggloméré couvert d’une couche de stuc servant de support au décor peint) et une parure faite d’éléments de même matière. Cette présentation de la momie se retrouve sur de nombreux sites dans toute l’Égypte ; une série particulièrement intéressante provient de la nécropole d’Akhmîm 1. Sarcophage et cartonnages sont le support d’un décor peint évoquant généralement l’accueil du défunt dans le monde des morts et les divinités qui le protègent. La momie de Châteaudun présente le

Page de gauche : cat. 1 (détail)

« jeu » complet de la parure, qui est d’une bonne qualité d’exécution ; le masque est doré, selon une coutume répandue jusqu’à l’époque romaine, évoquant la « divinisation » du défunt. En revanche, son sarcophage, le masque surtout, est d’une technique assez sommaire. La momie de Guéret, elle, ne présente qu’une parure incomplète, de technique médiocre, mais son sarcophage est assez soigné, avec une inscription hiéroglyphique correcte. Le sarcophage de Châteauroux, quant à lui, est en très mauvais état, mais les traces de peinture identifiables suggèrent le même type de décor que les précédents. Pourtant, du fait des différences évidentes dans le traitement des visages et dans l’agencement des décors peints, on peut difficilement attribuer ces sarcophages à un même atelier qui serait spécifique d’Antinoé.

1. Schweitzer 1998 ; Schweitzer 2008.

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1.

Sarcophage Bois peint Cuve : H. 8,5 cm ; L. 105 cm ; l. 32 cm. Couvercle : H. 18 cm, L. 106 cm ; l. 33 cm Époque ptolémaïque Châteaudun, musée municipal, musée des Beaux-Arts et d’Histoire naturelle, no 83-SDA-429 État de conservation : couvercle de planches assemblées dont l’une manque au niveau des pieds et une autre est fendue ; masque incomplet (la partie supérieure de la tête a disparu) ; cuve presque complète, à l’exception d’une planche à l’extrémité inférieure ; peinture presque intégralement préservée. Bibl. : Gayet 1907a, p. 37 (pilastres de la rotonde), Amélineau 1908b, p. 384, no 429, cité dans Calament 2005, p. 418419, n. 548, 551, 552. Bibl. de comp. : Dunand & Lichtenberg 1998, p. 106-115 ; Ikram & Dodson 1998, p. 240-243 ; Taylor 2010, p. 98-103. Voir cat. 40, momie d’enfant placée à l’intérieur de ce sarcophage, inv. no 83-SDA-429.

Le couvercle et la cuve sont composés de planches assemblées. De nombreuses chevilles servant à associer les différents éléments du sarcophage sont encore en place. Les pans de perruque étaient également chevillés au couvercle. Le fond de la cuve, extérieurement, est décoré sur deux registres de personnages se détachant sur un fond blanc. Au premier registre, une femme debout, tournée vers la gauche, vêtue d’une longue robe collante à décor quadrillé et tenant le signe de vie (ankh) ; le disque solaire au-dessus de sa tête l’encadre de ses rayons sous la forme d’une série de petits signes de vie. Bien que la femme ne porte pas de couronne, on peut l’identifier à Nout, la déesse du ciel. Au registre inférieur, un homme debout, vêtu d’un pagne court, lève les deux bras dans un geste souvent représenté sur les vignettes du Livre des Morts, celui du défunt qui a triomphé de la mort et accédé à la deuxième vie. Les petits côtés du couvercle sont décorés, de part et d’autre, de l’image des génies fils d’Horus (trois seulement) sur trois registres superposés. Le petit côté gauche conservé de la cuve est décoré d’une série de replis qui sont probablement ceux d’un grand serpent. Le masque assez grossièrement taillé, aux grands yeux, est disproportionné par rapport aux dimensions réduites du sarcophage ; il est encadré par les pans de la perruque, noirs, terminés par des bandes horizontales rouges et jaunes. Le décor occupe trois registres super­ posés. Le premier contient un grand collier ousekh (mais sans les têtes de faucon habituelles), sous lequel un scarabée ailé porte le disque solaire. Le deuxième présente le mort sur son lit funéraire léontomorphe, sous lequel on peut voir les quatre vases canopes ;

148 – Catalogue des collections

Anubis (ou un prêtre à masque d’Anubis) est debout auprès du lit, dans son office d’embaumeur. Le troisième registre est occupé par deux bandeaux verticaux, blancs, qui auraient dû contenir une inscription, mais ont été laissés vides. Les couleurs, bien conservées, sont assez fraîches, le visage et le fond du décor uniformément roses.


1

Sarcophages –

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2a

2a.

Sarcophage d’enfant Bois de cèdre peint H. max. 16 cm ; L. 90 cm ; l. max. 28 cm ; l. min. 16 cm ; L. masque 21,8 cm Époque ptolémaïque Guéret, musée d’Art et d’Archéologie, no inv.arch.900 État de conservation : sarcophage complet, cuve et couvercle ; décor peint bien conservé. La momie a été radiographiée avec le cartonnage en 1989 puis restaurée en 1990. Bibl. : Gayet 1907a, p. 38 ; Quémereuc 1992, no 116, p. 122-124 ; Calament 2005, p. 419, n. 549. Bibl. de comp. : Ikram & Dodson 1998, p. 240-243 ; Dunand & Lichtenberg 1998, p. 106-115 ; Taylor 2010, p. 98-103.

Le couvercle est fait de plusieurs planches assemblées et chevillées. Le masque, avec sa perruque, était également chevillé sur le couvercle. Le visage est peint en ocre rouge clair, avec des détails soulignés en rouge plus foncé ; yeux noirs ; simple 150 – Catalogue des collections

2b

perruque noire avec petit plastron entre les pans. Le choix des couleurs est inhabituel : gris verdâtre à côté de l’ocre rouge et du noir qui, eux, sont fréquents. Le décor est constitué par un collier ousekh (sans les têtes de faucon), sous lequel figure une déesse ailée, accroupie, disque solaire sur la tête, tenant dans chaque main la plume de Maât : probablement Nout. En dessous, la momie sur son lit funéraire léontomorphe, dans une barque de papyrus reposant sur une base où est inscrit le signe de l’eau. De part et d’autre du lit, une déesse accroupie, Isis à gauche, Nephthys à droite, faisant le geste du deuil. Anubis est figuré debout, penché sur la momie. Au registre inférieur, une courte inscription hiéroglyphique sur trois colonnes présentant la formule traditionnelle « Osiris, le grand dieu, à la tête des Occidentaux […] ». De part et d’autre des scènes centrales, un bandeau vertical porte également une colonne de hiéroglyphes ; sur les petits côtés du couvercle sont représentés les génies fils d’Horus tenant une bande d’étoffe. L’élément de base, bien conservé, ne comporte pas de décor figuré.


2b.

Cartonnage Stuc peint sur tissu Cartonnage : H. masque 30,5 cm ; H. plastron 15 cm ; H. abdomen 11 cm ; L. 13,5 cm ; H. jambes 18,7 cm ; L. 9 cm Époque ptolémaïque Guéret, musée d’Art et d’Archéologie, no inv.arch.900 Bibl. : Quémereuc 1992, no 117, p. 125-126 ; Calament 2005, p. 419, n. 549. Bibl. de comp. : Grimm 1974, pl. 2, 1-2 ; Ikram & Dodson 1998, p.  187-192 ; Dunand & Lichtenberg 1998, p. 106-115.

Trois éléments constituent la parure de cartonnage, fixés sur la momie par une série de bandelettes faites de tissu replié. 1. Masque avec plastron. Le visage, peint en ocre rouge foncé, est craquelé. La perruque est noire, les pans sont décorés de bandes verticales puis horizontales, alternativement vertes, blanches et rouges. Le plastron entre les pans est décoré de bandes horizontales à motifs floraux et pointillés dans les mêmes couleurs. La perruque, au sommet du crâne, est décorée d’un médaillon avec figure ailée (scarabée ?) dont les ailes retombent sur les côtés de la perruque. 2. Élément à peu près carré placé sur la poitrine : les quatre génies fils d’Horus à têtes de chacal, de babouin, de faucon et d’homme, chacun tenant un tissu plié, à l’intérieur d’un caisson bordé de bandeaux à motifs de rectangles alternés noirs et rouges et encadré de caissons à décor quadrillé, noir, blanc et rouge. 3. Élément long placé au niveau des jambes. Au registre supérieur, le défunt sur son lit funéraire léontomorphe est entouré des deux déesses accroupies, Isis à droite et Nephthys à gauche ; Anubis vêtu d’un pagne long est debout près du lit, tenant dans sa main gauche un pot à onguent. Sous le lit, les quatre vases canopes. Au registre inférieur, très noirci, figurent quatre divinités accroupies, tenant une plume (ou un couteau ?), tournées vers la droite. L’exécution de l’ensemble est assez médiocre. Des bandeaux décorés, un en haut, deux en bas, encadrent les scènes.

Le couvercle est fait de deux planches larges et de planches étroites pour les côtés. Un masque n’appartenant pas au sarcophage y a été fixé. Les traces du masque d’origine, beaucoup plus grand, sont bien visibles. Un pan de la perruque du masque originel est conservé, mais il a été fixé à l’envers, pointe en bas. Le masque (qui n’est pas d’origine) porte de nombreuses traces de peinture noire sur la perruque ; yeux peints en noir ; le visage devait être peint en ocre rouge. Sur le couvercle, faibles traces d’un collier ousekh et, audessous, d’un scarabée ailé. Sur un côté, fils d’Horus et génies ; de l’autre côté, Anubis et une déesse ; sur les pieds, deux chiens couchés. Décor de la cuve : sur le côté, serpent ; à l’arrière, pilier djed avec tête d’Osiris.

3.

Sarcophage Bois peint H. 43 cm ; L. 1,90 m ; l. 54 cm Époque ptolémaïque Châteauroux, musée de l’Hôtel Bertrand, no 3444 État de conservation : sarcophage complet ; cuve et couvercle en mauvais état ; peinture presque complètement effacée. Bibl. de comp. : Beulay 1910, no  576 ; Ikram & Dodson 1998, p.  240-243 ; Dunand & Lichtenberg 1998, p. 106-115 ; Taylor 2010, p. 98-103. 3

Sarcophages –

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MASQUES DE MOMIES Françoise Dunand

Les masques en stuc d’Antinoé attribués à divers musées français, comme ceux qui ont pris place au musée du Louvre (la majeure partie de la collection), sont une production très spécifique d’ateliers régionaux : de nombreux masques de ce type ont été retrouvés sur deux sites voisins de Moyenne-Égypte, Touna el-Gebel et Antinoé. Ils sont également spécifiques de l’époque romaine, sans pour autant remplacer les masques plus anciens faits de cartonnage peint et doré ; leur production va du ier au iv e siècle de notre ère. Fabriqués à partir de moules, en stuc épais, mais creux, ils pouvaient comporter des éléments modelés, chevelure, couronnes de fleurs, bijoux, barbe et moustache pour les hommes, ainsi que des yeux incrustés, faits de pâte de verre ; l’ensemble était peint et éventuellement doré. Les masques étaient généralement fixés sur des plastrons en stuc ou,

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plus souvent, en cartonnage avec des éléments en stuc rapportés ; les mains du défunt ou de la défunte, tenant une guirlande de fleurs, figurent souvent sur le plastron, en relief ou simplement peints. La technique de fabrication a pour résultat un caractère souvent stéréotypé des visages, mais n’exclut pas l’expressivité, voire la personnalité de certains d’entre eux, auxquels les yeux incrustés peuvent donner une vie saisissante. Les variations des coiffures, qui suivent les modes en vigueur à Rome – sans doute avec un certain « retard provincial » –, sont un bon critère de datation. La possession d’un masque, qu’il s’agisse de masque en stuc ou en cartonnage (ou encore d’un « portrait » peint sur bois), signale l’appartenance du défunt ou de la défunte à une catégorie aisée de la population. Leur nombre à Antinoé est un indice parmi d’autres de la prospérité de la ville.

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Masque d’homme

Masque d’homme

Stuc H. 24 cm ; l. 20 cm ier-début du iie siècle ap. J.-C. Châteauroux, musée de l’Hôtel Bertrand, no 2066 État de conservation : cou non conservé ; restes de la coiffe à l’arrière de la tête et de part et d’autre du visage ; nombreuses traces de peinture rouge sur le visage, noire et rouge sur la coiffe ; les yeux incrustés ont disparu. Bibl. de comp. : Beulay 1910, no  562 ; Grimm 1974, pl. 26, 1-2.

Stuc H. 17 cm ; l. 18 cm ; Pr. 24,5 cm Début du iie siècle ap. J.-C. Carpentras, bibliothèque-musée Inguimbertine, no 482 État de conservation : cou non conservé ; surface craquelée ; une fente traverse la chevelure et partiellement le front. Nombreuses traces de peinture noire sur les cheveux, rose sur le visage. Yeux incrustés en pâte de verre. Fragment de la coiffe en cartonnage conservé à l’arrière de la tête. Bibl. de comp. : Grimm 1974, pl. 27, 4, pl. 28, 3-4, pl. 29, 2-4, pl. 30, 1-2 ; Aubert & Cortopassi 1998, no 61.

Visage allongé, aux traits réguliers, au front haut. La chevelure paraît avoir été indiquée par de simples incisions, puis couverte partiellement d’une couche de stuc ; un collier de barbe est indiqué par des traits de pinceau noirs, très fins. Le pan droit de la coiffe qui enserrait l’arrière de la tête est décoré de lignes horizontales et verticales, noires sur fond rouge. Cette tête évoque celle d’un masque de Berlin que Günter Grimm (1974) propose d’identifier comme un masque de prêtre.

Visage juvénile, imberbe ; nez long et droit, petite bouche souriante. Les yeux incrustés, en pâte de verre blanche pour le fond de l’œil, noire pour l’iris, sont grands et ronds. La chevelure se présente sous forme de mèches lisses, coupées en frange épaisse au-dessus du front. Ce type de coiffure est caractéristique de l’époque de Trajan. Le fragment conservé de la coiffe est décoré d’un bandeau (?) de croisillons noirs sur fond grisâtre.

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Masque d’homme

Masque d’homme

Stuc H. 25 cm ; l. 16 cm ; Pr. 10 cm Début du iie siècle ap. J.-C. Montpellier, université Paul-Valéry – Montpellier III, no E 17 État de conservation : départ du cou conservé, ainsi que deux pans de la coiffe encadrant le cou. Surface érodée. Traces de peinture autour des yeux et au niveau du menton. Pellicule de verre sur l’œil gauche. Bibl. : Bosson & Aufrère 1999, fig. 139, p. 168, 315, 319 ; Poher & Morfin 1990, no 12, p. 10. Bibl. de comp. : Grimm 1974, pl. 27, 4, pl. 28, 3-4, pl. 29, 2-4, pl. 30, 1-2 ; Aubert & Cortopassi 1998, no 61.

Stuc H. 21,5 cm ; l. 19 cm ier-début du iie siècle ap. J.-C. Strasbourg, université Marc-Bloch, Institut d’égyptologie, no IES 3943 État de conservation : cou non conservé ; plusieurs fractures au niveau du menton et de la joue gauche ; surface érodée. Peinture noire sur les cheveux, traces de peinture rose sur le visage. Yeux incrustés en pâte de verre. Bibl. de comp. : Grimm 1974, pl. 22, 1, pl. 24, 14, 3, pl. 25, 2.

Visage arrondi, juvénile ; expression souriante. L’œil gauche était peint avant d’être recouvert d’une pellicule de verre (cassée). L’œil droit n’a conservé ni plaque de verre ni traces de peinture ; le globe oculaire apparaît comme une masse approximativement sphérique et légèrement convexe. La chevelure plaquée sur le crâne se présente sous forme de mèches lisses, coupées en frange au-dessus du front.

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Visage allongé, imberbe, à l’expression sévère. Les yeux en pâte de verre, à l’iris noir, sont réduits à une fente étroite, et en partie recouverts par le stuc. La chevelure est faite de petites boucles régulières enserrant le crâne. Comme sur l’exemplaire précédent, ce type de coiffure, fréquent au ier siècle de notre ère, a pu se retrouver plus tard.

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Masque d’homme

Masque d’homme

Stuc H. 22,5 cm ; l. 15 cm ier-début du iie siècle ap. J.-C. Toulouse, musée Georges-Labit, no 98-1-1 État de conservation : cou non conservé ; nombreuses traces de peinture rouge sur le visage, noire sur les cheveux ; yeux recouverts d’une pellicule de verre. Bibl. de comp. : Grimm 1974, pl. 22, 1, pl. 24, 14, 3, pl. 25, 2 ; Aubert & Cortopassi 1998, no 62.

Stuc H. 15,5 cm ; l. 10,5 cm Milieu du iie siècle ap. J.-C. Nancy, université de Lorraine, département d’histoire de l’art et d’archéologie, no 398 État de conservation : la face seule subsiste, du front au menton ; peinture bien conservée, rouge sur le visage, noire sur les yeux, la moustache, la barbe et ce qui reste des cheveux. Bibl. : Calament 2005, p. 27, fig. 27a. Bibl. de comp. : Grimm 1974, pl. 44, 1-3 ; Aubert & Cortopassi 2004, I, B44, B48-B50.

Visage arrondi aux traits réguliers, à l’expression légèrement souriante. Contrairement à la pratique la plus courante, les yeux, dont l’iris est peint en noir, ont été recouverts d’une mince pellicule de verre. La chevelure est faite de petites boucles régulières enserrant le crâne comme un casque. Ce type de coiffure paraît caractéristique du ier siècle de notre ère, mais on le retrouve au milieu du iie siècle. Un collier de barbe simplement peint en noir encadre les joues.

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Visage plein, avec fine moustache tracée au pinceau et collier de barbe en relief. Les grands yeux noirs sont peints, ainsi que les sourcils. La bouche, aux lèvres épaisses, paraît légèrement entrouverte. Ce qui reste de la chevelure est constitué de petites boucles encadrant le front. Ce type de masque, avec chevelure bouclée, moustache fine et barbe en collier, paraît caractéristique de l’époque d’Hadrien et du début de l’époque d’Antonin.


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Masque d’homme Stuc H. 18 cm ; l. 15,5 cm Milieu du iie siècle ap. J.-C. Grenoble, musée de Grenoble, no IB 3726 État de conservation : cou non conservé ; sommet de la tête fracturé ; cassure à l’aile gauche du nez ; traces de peinture rouge sur le visage, noire sur les cheveux et la barbe ; yeux incrustés en pâte de verre. Bibl. : Tresson 1933, p. 104, no  150 ; Kueny & Yoyotte 1979, p. 120, no  143 ; Calament 2005, p. 415, n. 524. Bibl. de comp. : Grimm 1974, pl. 39, 3-4, pl. 44, 1-3 ; Aubert & Cortopassi 2004, I, B44, B48-B50.

Visage arrondi aux traits réguliers. Les reliefs de la moustache et de la barbe sont usés. Les yeux incrustés sont en pâte de verre, blanche pour le fond de l’œil, noire pour l’iris. La chevelure, au-dessus du front et derrière les oreilles, est disposée en plusieurs étages de petites boucles rondes et serrées.

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Masque de femme Bois stuqué et peint H. 16 cm ; l. 13 cm Époque ptolémaïque Bordeaux, musée d’Aquitaine, no D.79.1.B État de conservation : partiellement conservé ; partie supérieure de la tête et œil gauche endommagés ; traces de peinture.

Visage ovale aux traits réguliers, grands yeux noirs, bouche charnue légèrement souriante. La perruque, disparue, devait encadrer étroitement le visage (front très bas au-dessus des sourcils). Comme le précédent, ce masque a pu être chevillé sur un couvercle de sarcophage. Il est, lui aussi, de très bonne facture. Ses dimensions pourraient faire penser à un sarcophage d’enfant.

Le visage allongé est d’un ovale très fin, le nez mince et droit, la bouche charnue, le menton rond. Traces de peinture au niveau des yeux. Au-dessus du front, à droite, un élément en relief correspond à une partie de la perruque, qui devait encadrer le visage en ne laissant apparaître qu’une bande étroite du front. Assez rares à l’époque romaine, les masques en bois, partie intégrante d’un couvercle de sarcophage ou chevillés sur ce dernier, sont encore nombreux à l’époque ptolémaïque. Cet exemplaire est d’une facture très « classique » et d’une grande qualité.

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Masque de femme Bois stuqué et peint H. 11 cm ; l. 10 cm Époque ptolémaïque Bordeaux, musée d’Aquitaine, no D.79.1.C État de conservation : partiellement conservé ; partie gauche du visage endommagée ; yeux peints en noir, traces d’or. 12

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Masque de femme Stuc H. 27,5 cm ier-début du iie siècle ap. J.-C. Dijon, musée des Beaux-Arts, no AF801 État de conservation : bien conservé ; traces de peinture noire sur les cheveux et les yeux, jaune sur le visage, rose sur la couronne. Bibl. : Gayet 1908, p. 103, fig. 10 ; Calament 2005, p. 16, fig. 16b. Bibl. de comp. : Guimet 1912, pl. XX, no  22 ; Grimm 1974, pl. 63, 2, pl. 65, 1-4, pl. 66, 1-2, pl. 69, 3, pl. 81, 3-4 ; L aurent & Desti 1997, p. 139, no  177 ; Aubert & Cortopassi 2004, I, A3-A8.

Visage plein, aux traits réguliers, petite bouche légèrement souriante. La chevelure forme une rangée de petites boucles au-dessus du front, surmontée de bandeaux ondulés, de longues anglaises encadrant le cou. Couronne de fleurs au sommet de la tête. Boucles d’oreilles constituées de deux perles enfilées sur une boucle  ; collier de perles alternativement rondes et allongées, disposé de façon peu naturelle le long du cou. Ce type de coiffure est caractéristique de la première moitié du ier siècle ap. J.-C. ; il a pu se prolonger jusqu’au iie siècle.

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Masque de femme Stuc H. 19,6 cm ier-début du iie siècle ap. J.-C. Dijon, musée des Beaux-Arts, no AF802 État de conservation : cou non conservé ; traces de peinture noire sur les cheveux. Bibl. de comp. : Grimm 1974, pl. 67, 4, pl. 69, 4, pl. 70, 1-2 ; L aurent & Desti 1997, p. 139, no  178 ; Aubert & Cortopassi 2004, I, A12-A13.

Visage ovale aux traits réguliers. La coiffure est une variante de la précédente : trois rangées de petites boucles au-dessus du front, surmontées de bandeaux lisses ; départ d’une anglaise derrière l’oreille gauche. Couronne de fleurs au sommet de la tête. Boucles d’oreilles formées de trois perles enfilées sur une boucle.

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Masque de femme Stuc H. 28 cm ; l. 18 cm Deuxième quart du iie siècle ap. J.-C. Toulouse, musée Georges-Labit, no 98-1-2 État de conservation : extrémité du nez brisée ; traces de peinture noire sur les cheveux ; yeux incrustés en pâte de verre. Bibl. de comp. : Grimm 1974, p. 63, n. 30, p. 70, n. 94, pl. 61, 3-4 ; Aubert & Cortopassi 1998, no 67.

Visage ovale aux traits assez fins. Les cheveux sont coiffés en bandeaux ondulés séparés par une raie centrale ; ils retombent en longues mèches ondulées derrière la tête et autour du cou. Les yeux incrustés sont en pâte de verre blanche pour le fond de l’œil, noire pour l’iris. Cette coiffure relativement rare et bien datée est un avatar de la coiffure en longues boucles « anglaises » encadrant le cou, répandue à partir du ier siècle ap. J.-C.

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Masque de femme Stuc H. 15 cm ; l. env. 30 cm Seconde moitié du iie siècle ap. J.-C. Châteaudun, musée municipal, musée des Beaux-Arts et d’Histoire naturelle, no 83-SDA-428-2 État de conservation : cou non conservé ; peinture blanche et rose sur le visage, noire sur les cheveux et les sourcils ; yeux incrustés en pâte de verre. Bibl. : Amélineau 1908b, p. 384 ; Calament 2005, p. 415, n. 525. Bibl. de comp. : Grimm 1974, pl. 87, 1, 3-4, pl. 89, 1, pl. 90, 2, 3-4 ; Aubert & Cortopassi 2004, I, B13.

Visage en forme de cœur, aux traits assez fins ; petite bouche légèrement souriante. Les yeux incrustés sont en pâte de verre blanche pour le fond de l’œil, noire pour l’iris ; ils sont bordés de cils tracés au pinceau noir, en léger relief. Deux mèches ondulées encadrent le front ; la chevelure est partagée de façon à former une sorte de crête au sommet du crâne, puis tressée et enroulée en chignon à l’arrière. Tout autour du crâne, au-dessus du front, une ligne incisée partage horizontalement la chevelure ; ce détail se retrouve sur quelques masques de la même époque (Grimm 1974, pl. 89, 1, pl. 90, 2). Dans quelques cas, c’est une mince tresse de cheveux qui partage ainsi horizontalement la chevelure (Grimm 1974, pl. 87, 1, 3-4). Une petite mèche ondulée descend le long des joues, devant les oreilles.

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Masque de femme Stuc H. 21 cm ; l. 16,4 cm Seconde moitié du iie siècle ap. J.-C. Avignon, musée Calvet, no A113 A État de conservation : bon état de conservation ; couleurs intactes, noire pour les cheveux, rose pour le visage, rouge pour les bandeaux (rubans ?) encadrant le cou ; yeux incrustés en pâte de verre. Bibl. de comp. : Grimm 1974, pl. 88, 1-4 ; Foissy & Aufrère 1985, p. 99, fig. 51, p. 272 ; Aubert & Cortopassi 2004, I, C5.

Visage en forme de cœur, au grand front, au nez long et à la bouche fine, légèrement souriante. Les yeux incrustés sont en pâte de verre blanche pour le fond de l’œil, noire pour l’iris. Les cheveux sont coiffés en ondulations séparées par une raie centrale et réunis à l’arrière pour former un chignon tressé. Cette coiffure est inspirée de celle de Faustine la Jeune, épouse de Marc Aurèle. Bandeaux d’étoffe encadrant le cou.

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Masque de femme Stuc H. 27 cm ; l. 18 cm ; Pr. 17 cm Seconde moitié du iie siècle ap. J.-C. Amiens, musée de Picardie, no 94-3-202 État de conservation : extrémité du nez cassée ; surface du visage partiellement érodée ; traces de peinture noire sur la chevelure ; yeux incrustés en pâte de verre. Bibl. de comp. : Grimm 1974, pl. 91, 1-2, 3-4 ; Perdu & Rickal 1994, no 61 ; Aubert & Cortopassi 1998, p. 87 ; Aubert & Cortopassi 2004, I, B13.

Visage ovale aux traits assez fins. Les yeux incrustés sont en pâte de verre blanche pour le fond de l’œil, noire pour l’iris. Des mèches ondulées encadrent le front ; la chevelure est ensuite tirée en arrière, tressée et enroulée de façon à former un chignon asymétrique. Comme dans l’exemplaire précédent, une ligne incisée partage horizontalement la chevelure autour du crâne, au-dessus du front. Une petite mèche ondulée descend le long des joues, devant les oreilles. Trace d’un bandeau d’étoffe sur le côté droit du cou.

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Masque de femme Stuc H. 22 cm ; l. max. 37 cm Seconde moitié du iie siècle ap. J.-C. Guéret, musée d’Art et d’Archéologie, no inv.arch.901 État de conservation : cou non conservé ; une fente court du haut du crâne au bas de la joue gauche ; peinture un peu décolorée, rouge sur le visage, noire sur les cheveux ; yeux incrustés en pâte de verre. Bibl. de comp. : Grimm 1974, pl. 88, 1-4 ; Quémereuc 1992, no 121, p.  131 ; Aubert & Cortopassi 2004, I, C5.

Visage allongé, aux traits réguliers ; la bouche, petite, est légèrement souriante. Les yeux incrustés sont en pâte de verre blanche pour le fond de l’œil, noire pour l’iris. Les cheveux sont coiffés en ondulations séparées par une raie centrale et réunis à l’arrière pour former un chignon tressé. Cette coiffure est inspirée de celle de Faustine la Jeune, épouse de Marc Aurèle.

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Masque de femme avec plastron

Masque de femme

Stuc H. 59 cm ; l. 28 cm ; Pr. 21,6 cm Début du iiie siècle ap. J.-C. (?) Châteaudun, musée municipal, musée des Beaux-Arts et d’Histoire naturelle, no 83-SDA-428-2 État de conservation : le plastron, traversé de plusieurs fractures, a conservé presque intégralement sa peinture ; le masque, qui n’en présente pas de trace, paraît avoir été restauré. Bibl. : Amélineau 1908b, p. 384 ; Calament 2005, p. 415, n. 525. Bibl. de comp. : Grimm 1974, pl. 67,1-2, pl. 95, 1-2 ; Aubert & Cortopassi 2004, I, D5-D6.

Stuc H. 23 cm ; l. 17,5 cm iiie siècle ap. J.-C. Châteauroux, musée de l’Hôtel Bertrand, no 2067 État de conservation : cou non conservé ; traces de peinture, noire sur les cheveux, rose pâle sur le visage ; yeux incrustés en pâte de verre. Bibl. de comp. : Beulay 1910, no  563 ; Grimm 1974, pl. 100, 3, 4, pl. 101, 3-4 ; Aubert & Cortopassi 2004, I, D11-D12.

Chevelure en bandeaux séparés par une raie centrale, mais le visage est fortement restauré. Les épaules sont couvertes d’un manteau rouge foncé, la tunique, pardessous, de même couleur, est décolletée en carré. Petits seins en relief. La main droite tient une guirlande de fleurs, la main gauche est posée à plat sur la poitrine. Ce type de plastron paraît surtout répandu à partir du iiie siècle ap. J.-C., mais on en trouve déjà des exemples au iie siècle (Grimm 1974, pl. 67,1-2).

Visage ovale aux joues pleines, expression sérieuse. Les yeux incrustés sont en pâte de verre blanche pour le fond de l’œil, noire pour l’iris ; l’iris décalé de l’œil gauche donne une impression de strabisme. Chevelure en bandeaux encadrant le front, grossièrement incisés, tirée vers l’arrière pour former un chignon.

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