Aristide Maillol, Henri Frère, joseph-Sébastien Pons. Une Arcadie catalane

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© Somogy éditions d’art, Paris, 2016 © Musée d’Art moderne de Céret, 2016 Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coordination et suivi éditorial : Ana Jiménez Conception graphique : François Dinguirard Contribution éditoriale : Françoise Cordaro Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros

ISBN Somogy éditions d’art : 978-2-7572-1098-7 Dépôt légal : juin 2016 Imprimé en … (Union européenne)


Aristide

MAILLOL Henri FRÈRE Joseph-Sébastien PONS

Une Arcadie catalane


Ce catalogue a été publié à l’occasion de l’exposition « Maillol, Frère, Pons. Une Arcadie catalane », présentée au musée d’Art moderne de Céret du 2 juillet au 30 octobre 2016.

Commissariat de l’exposition : Nathalie Gallissot, conservatrice en chef, directrice du musée d’Art moderne de Céret, Antoinette Le Normand-Romain, conservateur général du patrimoine, directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art.

Les commissaires remercient très vivement pour leur implication et leur aide précieuse pour la recherche documentaire et la coordination de l’exposition, Aude Marchand, assistante principale de conservation au musée d’Art moderne de Céret et Nathalie Houzé, responsable documentation et expositions à la Fondation Dina Vierny – Musée Maillol. Olivier Lorquin, président de la Fondation Dina Vierny – Musée Maillol, a consenti pour l’événement à des prêts exceptionnels et écrit un texte consacré à Harmonie, ultime sculpture de Maillol, dont Dina Vierny fut le modèle. Nous lui adressons toute notre gratitude. Àlex Susanna i Nadal, directeur de l’Agència Catalana del Patrimoni Cultural (Barcelone), a apporté sa grande connaissance de l’œuvre de Maillol et des artistes catalans. Nous le remercions pour ses conseils précieux et le texte dont il est l’auteur. Sébastien et Hélène Frère ont accompagné les choix faits au sein de l’œuvre de leur père Henri Frère, dont l’exposition permettra une découverte pour beaucoup et une meilleure connaissance pour les autres. Nous leur exprimons notre vive reconnaissance et remercions particulièrement Sébastien Frère pour avoir partagé dans un texte un peu de la mémoire de son père. Avec Marie Susplugas, ils nous ont aidées à pénétrer dans l’œuvre de leur grand-père Joseph-Sébastien Pons, et de leur oncle et père André Susplugas. Nous les remercions pour leurs conseils.

Claire Denis et Fabienne Stahl, historienne de l’art en charge du catalogue raisonné de l’œuvre de Maurice Denis, nous ont communiqué leur savoir concernant les relations amicales entre Maurice Denis et Maillol. Nous leur savons gré pour leur aide. Alexandre d’Andoque et Guillaume d’Abadie pour Gustave Fayet, Marc Latham pour George-Daniel de Monfreid, ont mis à notre disposition archives et collections familiales qui nous ont permis d’approfondir les liens de Maillol avec une région à laquelle il était resté profondément attaché. Qu’ils en soient chaleureusement remerciés, de même que Rodolphe Rapetti et Annie Roux-Dessarps qui nous ont aidées dans cette recherche. Claude Mossessian, réalisateur, auteur de nombreux portraits d’artistes, a conçu un film pour accompagner l’exposition. Nous le remercions pour l’apport documentaire et sensible de ses images à l’exposition. Nous sommes particulièrement reconnaissantes, pour les prêts consentis et l’aide apportée, aux institutions suivantes et à leurs directeurs : Avec le soutien exceptionnel du musée d’Orsay, Paris, Guy Cogeval, président-directeur Paris, Petit Palais – musée des Beaux-Arts, Christophe Leribault, directeur Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Fabrice Hergott, directeur Paris, Centre national des arts plastiques, Yves Robert, directeur Paris, musée du Louvre, Jean-Luc Martinez, président-directeur ; Emmanuelle Héran, directrice du patrimoine architectural et des jardins Paris, musée Bourdelle, Amélie Simier, directrice-conservatrice générale


Strasbourg, musée d’Art moderne et contemporain, Joëlle Pijaudier-Cabot, directrice des musées ; Emmanuelle Pietrzyk, directrice du musée d’Art moderne et contemporain Narbonne, musée d’Art et d’Histoire, Myriam Sirventon, directrice du service culture Béziers, musée des Beaux-Arts, Hôtel Fayet, Bernard Salques, conservateur Perpignan, musée d’Art Hyacinthe Rigaud, Claire Muchir, directrice Elne, musée Terrus, Jane Coussart, directrice du pôle patrimoine ; Richard Nieto, chef du service du patrimoine Banyuls-sur-Mer, Observatoire océanologique, UPMC/CNRS – Laboratoire Arago, Vincent Laudet, directeur Nous adressons également tous nos remerciements aux collectionneurs privés qui ont consenti à prêter leurs œuvres. Nous remercions enfin les personnes qui ont apporté leur aide dans la préparation de cette exposition : Jean-Bernard Mathon, directeur, Centre départemental de conservation et restauration du patrimoine des Pyrénées-Orientales ; Gabrielle Montarnal, assistante de conservation, Élisabeth Verbecq, régisseur, musée départemental Maurice Denis, Saint-Germain-en-Laye ; Chloé Théault, conservatrice, musée Bourdelle ; Cecilie Champy-Vinas, conservatrice du département Sculptures, Isabelle Collet, conservatrice en chef, Stéphanie Cantarutti, conservatrice, département Peintures XIXe -XXe siècles, Petit Palais – musée des Beaux-Arts, Paris ; Fonderie d’art Barbieri, Riudellots de la Selva (Gérone) ; Victorien Sobanski, régisseur, Fondation Dina Vierny – musée Maillol, Paris ; Ophélie Ferlier-Bouat, conservateur, musée d’Orsay.

L’établissement public de coopération culturelle – musée d’Art moderne de Céret bénéficie de l’appui constant de personnes et institutions sans lesquelles cette exposition n’aurait pu voir le jour : Hermeline Malherbe-Laurent, présidente du conseil départemental des Pyrénées-Orientales, présidente de l’établissement de coopération culturelle – musée d’Art moderne de Céret ; Carole Delga, ancienne ministre, présidente de la Région Languedoc Roussillon Midi Pyrénées ; Alain Torrent, maire de Céret, vice-président de l’établissement de coopération culturelle – musée d’Art moderne de Céret ; les membres du conseil d’administration de l’EPCC ; soit les collectivités territoriales fondatrices et financières de l’établissement public. Le musée bénéficie également du soutien de : la Direction régionale des affaires culturelles de Languedoc Roussillon Midi Pyrénées, Laurent Roturier, directeur, Xavier Fehrnbach, conseiller musées ; l’Association des amis du musée d’Art moderne de Céret, Joël Mettay, président. Administration, médiation et montage de l’exposition : Administration générale : Jessica Moreno, Lydia Fons Administration, comptabilité, secrétariat : Sylvie Oms, Jeannette Marti Documentation, organisation des prêts et régie des œuvres : Aude Marchand Documentation, communication : Julie Chateignon Médiation culturelle : Peggy Merchez, Alexandra Bravo, Karine Guéry, Rachel Banares Graphisme : Étienne Sabench Accueil des publics : Marie-Line Raynaud, Larraitz Ibanez Sagardoy et leurs équipes Montage : Marc Laffon, Raymond Gruart, Jean-Luc Punset Maintenance : Muriel Goavec et son équipew



Sommaire

Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Nathalie Gallissot Antoinette Le Normand-Romain

« C’est Maillol qui est le plus grand » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Antoinette Le Normand-Romain

Harmonie, « une statue qui fait le contraire de toutes les autres » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 Olivier Lorquin

L’Arcadie catalane Maillol, Terrus, Manolo, Séverac, Pons et Frère . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 Àlex Susanna i Nadal

Henri Frère, disciple de Maillol en Arcadie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 Nathalie Gallissot

Mon père et ses dieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 Sébastien Frère

Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151

Aristide Maillol Deux Femmes nues, l’une de face, l’autre de dos, s. d. Craie blanche, fusain, papier crème, rehauts de blanc 112 × 95,4 cm Paris, musée d’Orsay, don d’Henriette Hirsh, 1976



Nathalie Gallissot Antoinette Le Normand-Romain

Avant-propos

N

é en 1861 à Banyuls, sur les rives de la Méditerranée, Aristide Maillol garde tout au long de sa vie un attachement très fort pour sa terre natale. Devenu parisien dès ses vingt ans, il revient chaque hiver à Banyuls travailler dans une métairie en pleine nature où il reçoit ses modèles, dessine et échange avec quelques amis peintres et poètes. Cette nature inspiratrice, qui lui offre un refuge propice à la création et de riches liens humains, est vécue par le sculpteur, grand lecteur de Virgile, et par ses proches comme une terre bénie des dieux, une exaltante Arcadie. Dans les années vingt, Maillol réalise les monuments aux morts de quatre villes des PyrénéesOrientales : Céret, Port-Vendres, Elne et Banyuls. En septembre 1939, il se retire entièrement à Banyuls. Avec Dina Vierny pour modèle, Maillol travaille à sa dernière sculpture au titre évocateur et en quelque sorte testamentaire, Harmonie, qui restera inachevée. Un témoin privilégié partage nombre de ces moments. Henri Frère, né en 1908 à Saint-Génis-desFontaines, est un jeune artiste et professeur à Perpignan. Il fait la connaissance de Maillol en 1928 et lui voue d’emblée une grande admiration et une profonde amitié. Henri Frère écoute avec passion les conseils de Maillol et fait paraître en 1956 un livre de souvenirs, Conversations de Maillol. On lui doit également de nombreuses photographies, pour la plupart inédites, du sculpteur travaillant et vivant à Banyuls, ainsi que quelques clichés pris à Marly. L’œuvre personnel d’Henri Frère, témoin et artiste, possède sa propre originalité et est présenté ici pour la première fois dans la diversité de ses modes d’expression : sculptures, dessins, pastels et plinthographies, originales gravures sur brique inventées et ainsi nommées par l’artiste. Poète catalan très apprécié de ses contemporains, Joseph-Sebastien Pons, né en 1886 à Ille-sur-Têt, est à l’origine de la rencontre entre Maillol et Henri Frère. Admirateur et ami de Maillol, il lui consacre une conférence prononcée en 1930 à Montpellier, Le Sculpteur de Banyuls. Sa fille deviendra l’épouse d’Henri Frère. L’œuvre poétique de Pons est une ode à la nature catalane. Concert d’été, son livre de souvenirs paru en français en 1945, est illustré de bois gravés de Maillol. Autour de l’œuvre de Maillol et de la rencontre de ces trois hommes épris d’art et de poésie, se croisent les chemins de collectionneurs, de poètes et d’artistes : George-Daniel de Monfreid, Gustave Fayet, Paul Gauguin, Maurice Denis, Étienne Terrus, Louis Bausil, Manolo, Pierre Camo, André Susplugas… tous chantres, pour un jour ou davantage, de la Catalogne inspiratrice.

Henri Frère Maillol à Sorède, s. d. Pastel sur papier contrecollé sur carton 27,5 × 22,8 cm Collection particulière

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Anonyme Maillol, s. d. Photographie Collection particulière


Antoinette Le Normand-Romain

« C’est Maillol qui est le plus grand » (Rodin) 1

U

ne photographie du début des années 1890 [voir p. 12] montre un homme jeune, au profil en lame de couteau, au grand nez droit, la barbe en pointe et les yeux profondément enfoncés : c’est Maillol, âgé d’une trentaine d’années alors qu’il était étudiant à l’École des beaux-arts (1885-1893) où il fréquenta successivement les ateliers de Cabanel et de Jean-Paul Laurens, deux peintres en renom, tous deux originaires comme lui du Sud de la France. Une image qui dégage un sentiment de volonté qu’aucune difficulté ne détourna de son but. « Cette volonté le soutenait hors de l’âge, dans une jeunesse éternelle », dira de lui Henri Frère qui le connut à la fin de sa vie 2. Une image qu’il faut compléter par un texte de Bourdelle, évoquant les débuts du jeune artiste à Paris : « Pour mémoire : les barils de Banyuls. La finesse physique de Maillol sa maigreur d’ascète – ses premières études pleines sombres larges comme des pano [sic] de vieux vitraux – des mers indigo sur des toits roses, les murs au lait de chaux vif d’autres au [jaune ?] d’orange. Les yeux de Maillol verts comme les laines des anciennes verdures des tapis royaux 3. »

1. Harry Graf Kessler, Das Tagebuch, Stuttgart, Cotta, 8 vol., 2004-2010. Traduction en français par Jean Torrent (publication prévue en 2017) : Journal, 6 juin 1907. 2. René Puig, « La vie misérable et glorieuse d’Aristide Maillol », Tramontane, no 483-484, 1965, p. 53. 3. Bourdelle, Notes manuscrites, non daté, Paris, musée Bourdelle. 4. Ibid. 5. Ils se seraient rencontrés en 1889, sa mère ayant emmené Monfreid visiter Maillol qui était malade et dans une grande misère, cf. Henry de Monfreid, « Une visite à Maillol », Courrier des Messageries maritimes, novembredécembre 1974, p. 10-14. 6. Sur l’amitié de Maillol et de RipplRónai, cf. Eszter Földi, « What passed so fast, our youth. The Friendship of Jószef Rippl-Rónai and Aristide Maillol », cat. exp. Rippl-Rónai and Maillol. The Story of a Friendship, Budapest, Magyar Nemzeti Galéria, 2014, p. 6-74. Les deux hommes se rencontrèrent grâce au peintre écossais James Pitcairn-Knowles. 7. Kessler, Journal, Londres, 3 septembre 1904. 8. Il avait fait sa connaissance vers 1892 grâce à Henri Lerolle qui lui avait commandé un plafond peint (cf. Maurice Denis, « Aristide Maillol », L’Art et les artistes, janvier 1909, p. 156) mais, peu satisfait, repassa la commande à Denis (L’Échelle dans les feuillages ou Arabesque poétique, 1892, Saint Germain-en-Laye, musée départemental Maurice Denis).

Très tôt, le dessin l’avait attiré et il voulut s’y consacrer. Une petite bourse du département, 200 francs, et l’aide de la tante Lucie, la sœur de son père qui l’avait élevé, lui permirent enfin de venir à Paris, en novembre 1882. Rue des Vertus, rue de Sèvres, sa deuxième installation partagée avec Achille Laugée par l’intermédiaire duquel il fit la connaissance de Bourdelle, vers 1884, puis rue Saint-Jacques, sa misère était grande. « Quelques réunions d’amis, grives au genièvre, pauvreté de grand d’Espagne […] rencontre une nuit d’automne – 2 ou 3 heures tous deux nous cherchions… des femmes, gaieté triste de pauvres cœurs solitaires. » Et un peu plus tard, toujours sous la plume de Bourdelle : « Il peint toujours, il vit toujours, mange-t-il ? Mystère – mais il brode des coussins, des portières, un grand tapis à personnage […]. J’emporte de chez lui une impression de goût rare de fraîcheur d’élégance d’esprit 4. » L’amitié l’aida à traverser ces années difficiles : à son arrivée à Paris, il se lia avec un groupe de jeunes artistes qui comptèrent beaucoup pour lui, comme en témoignent quelques lettres conservées au musée Bourdelle : Émile-Antoine Bourdelle (1861-1929) fut en effet l’un des premiers, bientôt suivi de George-Daniel de Monfreid (1856-1929) grâce auquel, il faut le dire simplement, Maillol survécut 5. Au cours de la décennie suivante apparurent le peintre hongrois József Rippl-Rónai (1861-1927), rencontré en 1890 6, puis Maurice Denis (1870-1943) et Édouard Vuillard (1868-1940) qui lui fit connaître les deux frères Bibesco, Emmanuel et Antoine. Ceux-ci furent, avec leur mère, Hélène, parmi ses premiers clients et mécènes : « C’est Vuillard auquel je dois tout. J’étais dans une telle misère que je serais retourné planter des choux chez nous si Vuillard ne m’avait pas amené le prince Bibesco dans mon atelier. Je ne vendais rien. Mais eux deux partirent avec les poches bourrées de tout ce que j’avais fait, et puis après, la princesse Bibesco mère m’a acheté des tapisseries. C’est comme ça que j’ai pu continuer. C’est Vuillard qui m’a fait », reconnut Maillol en 1904 7. Il ne fit jamais partie à proprement parler du groupe des Nabis mais il fut associé pour la première fois à ces jeunes peintres au Salon de la Libre Esthétique, à Bruxelles, en 1894. Il fit leur connaissance quelques mois plus tard et se lia durablement avec Denis 8 dont l’amitié compta beaucoup pour lui,

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Aristide Maillol Léda, c. 1900 Terre cuite blanche 27,5 × 12,8 × 12,5 cm

Aristide Maillol Femme assise appuyée sur le bras droit, s. d. Terre cuite 12 × 13 × 7,5 cm

Aristide Maillol Femme nue assise, la main gauche sur la tête, étude pour Méditerranée ou La Pensée, c. 1900-1902 Terre cuite 18 × 21 × 10 cm

Galerie Dina Vierny, Paris

Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais

Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais

48 – Maillol, Frère, Pons. Une Arcadie catalane

Page de droite :

Aristide Maillol Méditerranée, dite aussi La Pensée, 1923-1929 Marbre 110,5 × 117 × 68,5 cm Musée d’Orsay, Paris




Aristide Maillol Les Nymphes de la prairie, 1930-1937 Bronze, Alexis Rudier Fondeur, épreuve d’artiste 157 × 144 × 78 cm Fondation Dina Vierny – musée Maillol, Paris

64 – Maillol, Frère, Pons. Une Arcadie catalane


Aristide Maillol Étude de face pour Harmonie, 1940 Fusain avec rehauts de craie blanche sur papier Boucher 36 × 21 cm

Aristide Maillol Pour Harmonie, profil, 1940-1941 Sanguine et crayon sur papier Boucher 36 × 26,5 cm

Fondation Dina Vierny – musée Maillol, Paris

Fondation Dina Vierny – musée Maillol, Paris

70 – Maillol, Frère, Pons. Une Arcadie catalane


Aristide Maillol Dina de profil pour Harmonie, 1942 Fusain sur papier Boucher 39 × 27 cm

Aristide Maillol Dos de Dina marchant dans l’eau, 1944 Sanguine, crayon et craie sur papier Boucher 38 × 23 cm

Fondation Dina Vierny – musée Maillol, Paris

Collection particulière, courtesy galerie Dina Vierny, Paris

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Étienne Terrus Vue du Racou, décor de scène, 1905-1907 Peinture à la détrempe sur toile 442 × 580,5 cm Musée Terrus, Ville d’Elne

80 – Maillol, Frère, Pons. Une Arcadie catalane


Étienne Terrus Collioure, s. d. Huile sur toile 38 × 61 cm Collection particulière

Étienne Terrus Clocher de Collioure, s. d. Huile sur toile 41 × 32,5 cm Collection particulière

Étienne Terrus Sant Martí de Prades, s. d. Huile sur toile 43,5 × 55 cm Collection particulière

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84 – Maillol, Frère, Pons. Une Arcadie catalane


Henri Frère Maillol travaillant au bas-relief du Monument aux morts de Banyuls, Marie posant, atelier du Puig del Mas, s. d. Photographie Collection particulière

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Henri Frère Atelier de Maillol à Banyuls, Harmonie, début des années 1940 Photographie Collection particulière


Olivier Lorquin

Harmonie « une statue qui fait le contraire de toutes les autres »

S

eptembre 1939. La France a déclaré la guerre à l’Allemagne. Maillol va avoir soixante-dixneuf ans. Il connaît la troisième guerre de son existence, après 1871 et 1914-1918. Il a réalisé déjà quatre monuments aux morts de la Première Guerre mondiale, dans le Roussillon : à Elne, Céret, Port-Vendres et Banyuls. La récente guerre d’Espagne l’a bouleversé, avec tous ses réfugiés venus s’exiler par-delà la frontière et que Maillol a vus, agglutinés, miséreux, sur les plages de sa région. Il décide de quitter Paris pendant le conflit et part se retirer à Banyuls. Il est célèbre internationalement – en janvier-février, l’Institute of Modern Art de Chicago organise une grande exposition Despiau-Maillol. Il gagne bien sa vie. Il ne manque pas de travail : très occupé à tailler des bois pour les Géorgiques de Virgile et pour les Odes d’Horace, il a commencé, sur commande d’un comité, un monument en hommage à Henri Barbusse, l’écrivain pacifiste. Bientôt, le comité retirera sa commande, faute d’avoir pu réunir les fonds nécessaires en cette période tragique. Mais Maillol poursuivra le travail de cette sculpture monumentale à son compte, qui deviendra La Rivière, ce corps immense renversé sur le flanc, qui évoque les troubles dans lesquels l’humanité est jetée. Il achève dans un hangar de Banyuls son monument aux aviateurs disparus, « À la gloire des équipages pionniers de la ligne France-Amérique du Sud », pour la ville de Toulouse, appelé L’Air, cette « géante » de pierre, allongée en équilibre sur la hanche droite, portée par une conquedraperie, jambes et bras relevés.

1. Dina Vierny, Histoire de ma vie racontée à Alain Jaubert, Paris, Gallimard, « Témoins de l’art », 2009, p. 84. 2. Josep Casamartina i Parassols et Cécile Debray, Togores, du réalisme magique au surréalisme, catalogue d’exposition, Châteauroux, Cercle d’art, coll. Diagonales, 1998, p. 213.

Cela fait cinq ans que Maillol a fait la connaissance de Dina Vierny, un dimanche à Marly. Depuis, elle pose régulièrement pour lui. Une très belle entente est née entre les deux êtres. « Nous avons eu une collaboration plutôt extraordinaire. […] C’était un homme très lettré. Il savait tout 1. » La jeune femme a été son modèle pour L’Air, pour La Montagne, la sculpture monumentale commandée pour l’ouverture du tout nouveau musée national d’Art moderne du Palais de Tokyo à Paris, pendant l’Exposition universelle de 1937. Elle lui sera utile pour achever la ciselure des Trois Nymphes de la prairie, seul groupe relié de grandeur nature. Elle avait commencé à poser pour des dessins de visage, ou habillée, mais très vite elle-même propose à l’artiste, très réservé, « très XIXe siècle » dira Dina, de poser nue. Maillol réalisera des centaines de dessins à partir d’elle – entre autres pour la réalisation de La Rivière –, mais elle lui donnera aussi le goût de reprendre la peinture qu’il avait quasiment délaissée depuis de nombreuses années. Dans cette fin des années trente et jusqu’à sa mort, le sculpteur reprend les pinceaux de sa jeunesse. Dans une lettre à son ami le peintre Togores, il suggère à celui-ci de « passer quelques jours ici – j’en serais très heureux – vous pourrez me donner un conseil car je fais de la peinture. Je fais du nu avec un modèle de Paris – et je fais des progrès je crois. Je serais heureux d’avoir votre avis » 2. Les photographies des personnes l’ayant visité à cette époque le montrent très souvent derrière son chevalet, dehors, dans la campagne et des prises de vue de ses ateliers témoignent de ces nombreuses toiles entreprises. Février 1940. Dina a vingt et un ans. Maillol la réclame à Banyuls. Il a une nouvelle idée de statue et souhaite sa collaboration. Elle quitte la capitale et descend vers le Sud. « Je n’ai pas quitté Paris facilement car j’adorais la vie parisienne. […] Je ne l’ai rejoint qu’en février 1940. J’ai commencé la

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John Rewald Dina Vierny posant pour la sculpture Harmonie dans l’atelier d’Aristide Maillol près de Banyuls, mars 1941 Photographie Archives Fondation Dina Vierny – musée Maillol, Paris

Harmonie, « une statue qui fait le contraire de toutes les autres » – 93


Henri Frère Atelier de Maillol à Banyuls, Harmonie 1er état, 1940 Photographie Collection particulière

« C’est Maillol qui est le plus grand » – 95


Henri Frère Pons et Maillol, fête en l’honneur des 70 ans du sculpteur, 1931 Photographie Collection particulière


Àlex Susanna i Nadal

L’Arcadie catalane Maillol, Terrus, Manolo, Séverac, Pons et Frère

O

utre les liens personnels qui ont uni ces artistes, on ne peut nier un certain air de famille entre l’œuvre d’Aristide Maillol, Étienne Terrus, Manolo Hugué, Déodat de Séverac, Joseph-Sébastien Pons et Henri Frère 1. Au-delà de leur langue, leur personnalité et leurs réalisations respectives, ils partageaient un substrat commun, des intentions proches, des affinités électives parfaitement conscientes, la jouissance du terroir, une sensorialité vive, le sens de l’amitié. Tous reconnaissaient l’enseignement décisif et explicite du sculpteur de Banyuls, un exemple moral et artistique de constance, de concentration, de croissance et de clairvoyance plastique. Tel un phare éclairant chacune de leurs trajectoires créatives.

1. Aristide Maillol (Arístides Maillol en catalan, Banyuls-sur-Mer, 1861-1944), Étienne Terrus (Esteve Terrús en catalan, Elne, 1857-1922), Manolo Hugué (Barcelone, 1872 – Caldes de Montbuí, 1945), Déodat de Séverac (Saint-Félix-Lauragais, 1872 – Céret, 1921), Joseph-Sébastien Pons (Josep Sebastià Pons en catalan, Ille-sur-Têt, 1886-1962) et Henri Frère (Saint-Génis-des-Fontaines, 1908-1986). 2. Gustave Violet (Thuir, 1876 – Perpignan, 1952), Louis Codet (Perpignan, 1876 – Le Havre, 1914), George-Daniel de Monfreid (New York, 1856 – Corneillade-Conflent, 1929), Pierre Camo (Céret, 1877-1974), Louis Bausil (Carcassonne, 1878 – Perpignan, 1945), Camille Descossy (Céret, 1904 – Collioure, 1980), Marcel Delaris (Elne, 1911 – Perpignan, 1995), Élie Rocaries (Saint-Laurentde-la-Salanque, 1911 – Banyuls, 1992), André Susplugas (Trouillas, 1912-1978), Louis Cazals (Prades, 1912-1995), Henri Escarra (1884-1966), Joaquim Sunyer (Sitges, 1875-1956), Enric Casanovas (Barcelone, 1872-1948), Màrius Vives (Barcelone, 1892-1975), Josep Maria de Togores (Cerdanyola del Vallès, 1893 – Barcelone, 1970), Rafael Benet (Terrassa, 1889 – Barcelone, 1979), Josep Maragall (Barcelone, 1900 – L’Ametlla del Vallès, 1982), Josep Pla (Palafrugell, 1897 – Llofriu, 1981). 3. Joseph-Sébastien Pons, Le Sculpteur de Banyuls, La Murène, Montpellier, 1983, p. 12.

On pourrait ajouter un seconde cercle d’artistes et d’écrivains fascinés par le Roussillon, certains natifs du pays, d’autres y ayant séjourné pendant des périodes significatives, et qui se sont côtoyés, à Céret surtout, capitale du Vallespir et véritable aimant pour beaucoup. Je pense à des figures comme, d’un côté, Gustave Violet, Louis Codet, George-Daniel de Monfreid, Pierre Camo, Louis Bausil, Camille Descossy, Marcel Delaris, Élie Rocaries, André Susplugas, Louis Cazals ou Henri Escarra ; et de l’autre, Joaquim Sunyer, Enric Casanovas, Màrius Vives, Josep Maria de Togores, Rafael Benet, Josep Maragall ; et enfin Josep Pla 2 , dont on peut dire qu’il relie toutes ces figures, à qui il a consacré des portraits intitulés « homenots », ou encore des articles éparpillés dans toute son œuvre. Pla était lui aussi tombé sous le charme du Roussillon, sa culture et ses personnages, qui pour lui n’était autre que l’extension naturelle de son Ampurdan natal. Le plus jeune du premier groupe, le sculpteur et peintre Henri Frère, auteur d’un des livres essentiels pour saisir la personnalité de Maillol (Conversations de Maillol, 1956), relata, peu avant sa mort, la conférence tenue en 1930 par Joseph-Sébastien Pons à la Salle des Concerts de Montpellier (Le Sculpteur de Banyuls, 1983). Ce dernier disait, à propos du vers de Ronsard, Je plante en ta faveur cet arbre de Cybèle : « Imaginons l’étonnement que ce vers de Ronsard, si souple, si droit, entraînant le poème par sa déclaration initiale, dut produire au XVe siècle. Les statues de Maillol, sa Flore, sa Pomone, ont la même écorce lisse ; elles sont de la même lignée. Elles retiennent aussi ce que Ronsard appelait “l’ingénu de nature”, cette gaucherie naturelle qui est propre aux artistes qui ramènent tout à son commencement 3. » Plus tard, dans ses mémoires posthumes, L’Oiseau tranquille (1977), Pons allait reprendre ce concept ronsardien, pour se référer cette fois à sa propre œuvre poétique : « J’avais donc l’ambition d’innover. Je me situais au confluent de deux langues, l’une impétueuse dans sa force et l’autre assourdie. Si je parvenais à imposer à la plus faible le style et le mouvement de la première, je découvrirais ma meilleure expression. Et, pour ce faire, je me référais au fameux exemple de la Pléiade. Il ne s’agissait pas d’artifice ou d’archaïsme, mais d’un retour à ce que Ronsard appelait l’ingénu de nature, car je ne plaçais rien au-dessus de ses odes 4… » Et Josep Pla, dans le portrait (homenot) qu’il a consacré à Joseph-Sébastien Pons au début des années 1960, citait ces mêmes paroles du poète, extraites sans doute de ces mémoires encore inédites. Mais il y ajoutait entre parenthèses, de façon parfaitement intentionnelle : « Disons en passant que ce retour à l’ingénuité ronsardienne toucha l’ensemble du principal cercle d’artistes du Roussillon : Aristide

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Henri Frère Aristide Maillol à Serrabone, années 1930 Photographie Collection particulière


Nathalie Gallissot

Henri Frère, disciple de Maillol en Arcadie

«A

insi passaient les heures, dans l’innocence des premiers matins du monde. Je regardais vivre Maillol, je regardais agir ses mains prudentes et intelligentes. Il avait plus de quatre-vingts ans. Mais je le voyais descendre une pente abrupte, enjamber un roc, sauter d’un grand pas un ruisseau, avec une si juste appréciation de l’effort, une si parfaite économie du geste, que je me rassurais, et pensais : “Il ne lui arrivera jamais rien”. J’écoutais l’accent de ses indignations et celui de ses jeunes enthousiasmes. Je regardais Maillol vivre dans son royaume avec un naturel d’un autre âge. Dans cette vie antique ainsi retrouvée, dans un univers fait de confiance pure, nous partagions le pain d’un grand poète naïf, vrai comme la nature. Tout devenait vivant autour de lui. Avec les mots les plus simples, il rendait tout sensible. C’était une source inépuisable. À ses côtés, j’avais la sensation de rajeunir ma vision et mon cœur. Si la rivière était presque à sec, la fontaine de jouvence coulait, intarissable, de la claire galerie 1. » La tentation est grande, à l’évocation du livre qu’Henri Frère consacra à Maillol – tour à tour un maître, un ami, un amour, un dieu, pour reprendre les termes de l’auteur –, d’égrener un chapelet de citations afin de partager l’émotion ressentie à la lecture de ces Conversations de Maillol. Cette émotion qui bientôt gagne le lecteur est bien sûr celle d’Henri Frère (1908-1986), professeur et artiste qui vécut avec Maillol une relation d’une rare intensité sur un plan artistique et humain. « D’un homme aussi puissamment vivant, rien n’était pour moi sans intérêt 2. » La tentation de la paraphrase est également vive. De ce témoignage d’une amitié profonde, de moments de réflexion sur la vie et l’art intrinsèquement liés, moments partagés de travail, de lecture, de rêverie, de promenade, de confiance, de ce témoignage aussi puissamment vivant, rien n’apparaît sans intérêt, tout porte à faire revivre le sculpteur dans le paysage aimé de sa terre natale.

Paru en 1956 aux éditions Pierre Cailler à Genève, le livre fut écrit par Henri Frère dans les années 1950, au cours d’une pause professionnelle de cinq années que le professeur au lycée de Perpignan s’accorda pour livrer témoignage de ses longues conversations avec Maillol dans les dernières années de la vie du sculpteur. Conversations de Maillol et non avec Maillol, ainsi s’exprime Henri Frère, qui porte à l’artiste un sentiment teinté de révérence, pour ne pas dire de vénération. Aussi l’auteur s’efface-t-il pour recueillir les paroles du maître bien davantage que pour témoigner de sa repartie, tel un jeune poète substituant sa propre plume à celle d’un Rainer Maria Rilke dans des lettres empreintes de poésie autant que de bienveillance.

1. Henri Frère, Conversations de Maillol, Éditions Pierre Cailler, Genève, 1956, p. 242-243. 2. Ibid. p. 9.

Né en 1908 à Saint-Génis-des-Fontaines, petite bourgade des Pyrénées-Orientales, Henri Frère est un jeune homme de vingt ans aimant l’art et la poésie lorsque Joseph-Sébastien Pons, poète de langue catalane et professeur d’espagnol, l’envoie à la rencontre de Maillol, le chargeant de transmettre son bonjour au sculpteur à Banyuls. C’est là en effet que ce dernier passe de longs moments ; il s’y retirera complètement en septembre 1939, dans une métairie en pleine nature où il se réfugie pour travailler.

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Gustave Fayet Maison de Maillol, Banyuls, 1915 Aquarelle sur papier 25 × 35 cm Collection particulière

Gustave Fayet Banyuls, 1915 Aquarelle sur papier 35,5 × 26 cm Collection particulière

Gustave Fayet Portrait de Maillol au chapeau, 1915 Encre sur papier 20 × 15 cm Collection particulière

126 – Maillol, Frère, Pons. Une Arcadie catalane



Trudi Henri et Raphaëlle Frère, Maillol, à l’atelier de Banyuls, années 1930 Photographie Collection particulière


Sébastien Frère

Mon père et ses dieux

D

ans le manuscrit des Conversations de Maillol, le chapitre intitulé « Le printemps à la métairie » commence ainsi : « Je restai assez longtemps sans revoir Maillol, car je passai à Madrid l’année 1934. À mon retour en Roussillon je me mariai et fis ma maison de vacances d’un vieux moulin que mon père possédait près de Sorède, sur les premières pentes de l’Albère. J’aménageai ma maison avec la secrète pensée d’y réunir quelquefois les deux artistes que je mettais au-dessus de tout, Aristide Maillol et Joseph-Sébastien Pons. Je pus réaliser ce rêve et jouir de temps à autre pendant près de dix ans de la conversation de mes dieux. » Pons lui avait demandé, dans sa modestie, de remplacer « dieux » par « hôtes » et mon père avait respecté son désir. Soixante ans ont passé et la réédition de son livre respectera le manuscrit. Le disciple avait noté les paroles de son maître qu’il laissait s’exprimer, se tenant lui-même en retrait. Je vais suivre son exemple en reprenant dans les carnets de mon père les notes où il livre ses pensées, ses sentiments, ses enthousiasmes, avec la plus grande sincérité, dans une écriture aussi franche que celle de ses dessins, aussi nuancée que celle de ses pastels. J’ai choisi dans ses écrits ceux qui le dépeignent le mieux, dans un autoportrait qui ne sera qu’une esquisse. Je me suis contenté d’en ordonner les traits, la complétant par quelques souvenirs. Ces brefs écrits ne peuvent donner qu’un aperçu de la richesse de son esprit. Si cette exposition permet d’en mesurer l’ampleur, la publication de ses carnets livrera un jour d’autres facettes de sa singulière personnalité.

« L’air que j’ai respiré à Arezzo a fait de moi ce que je suis 1. » Cette citation de Michel-Ange a été souvent reprise par mon père. Cet air avait-il été coloré des fresques de Piero della Francesca ? Cette pensée lui rappelait-elle le poète d’Ille, sa fenêtre ouverte sur les brises venant des neiges du Canigou et des marbres de Serrabona ? Ou bien le parfum enivrant de sa jeunesse dans la vallée de Banyuls, où l’attendait son vieil ami entouré de ses grâces ? Il semble que l’esprit des lieux ait modelé celui des trois artistes alors que leur rencontre, dans la même époque, paraît miraculeuse.

1. « Michel-Ange […]. Né à Caprese (diocèse d’Arezzo) le lundi 6 mars 1474, quatre heures avant le jour. Il dit à Vasari : “Georges, si j’ai quelque chose de bon dans l’esprit, cela tient à ce que j’ai respiré en naissant l’air pur et subtil de notre pays d’Arezzo.” »

Mais laissons parler mon père : « Je suis un enfant des Grecs. Je ne sais d’où ça vient, car ni mon père ni ma mère n’étaient ainsi bâtis. Ils témoignaient tous deux de l’absence de goût la plus déplorable. Cependant, durant toute mon enfance, et cela dès l’école communale, vers six ou huit ans, mon plus grand plaisir était de copier sur mon dictionnaire les statues d’Apollon, d’Artémis, de Vénus ou de Zeus dont je trouvais l’image au trait. Plus tard, à douze ans, avant d’entrer en quatrième, je décidais tout seul d’apprendre le grec à la pension où j’étais. Et, pendant les vacances d’été, mon oncle Fortuné Colomer, dans son jardin

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Henri Frère Marie, Nu à la fleur de grenade et Nu aux roseaux, s. d. Plâtres Collection particulière

146 – Maillol, Frère, Pons. Une Arcadie catalane


Henri Frère Jeune Fille assise, s. d. Terre cuite 36 × 23 × 15 cm

Henri Frère Nu assis, s. d. Terre cuite 17 × 10 × 8 cm

Collection particulière

Collection particulière

Henri Frère Déméter, s. d. Plâtre patiné 21 × 38 × 15 cm

Henri Frère Nu au feuillage, s. d. Pastel sur Canson 177,5 × 78 cm

Collection particulière

Collection particulière

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Henri Frère Sœurs, s. d. Sanguine et pastel sur Canson 173 × 99 cm Collection particulière


Chronologie Maillol naît le 8 décembre 1861 à Banyuls. Il est élevé par sa tante Lucie et son grand-père. Il pratique le dessin dès son plus jeune âge. Renvoyé du collège en 1879, il mûrit sa volonté d’être peintre.

Monfreid présente Maillol à Gustave Fayet qui acquiert plusieurs de ses œuvres, sculptures et dessins, dont il se séparera en 1908.

1882 En novembre, Maillol part étudier la peinture à Paris grâce au soutien

1883 Bref passage de Paul Gauguin à Cerbère et Port-Bou.

trente-trois œuvres. Marc Lafargue et Pierre Camo visitent l’exposition. Monfreid et Gauguin échangent des courriers dans lesquels ce dernier envisage un retour en France et une installation dans les Pyrénées-Orientales. Gustave Fayet, conservateur du musée des Beaux-Arts de Béziers, propose de lui organiser une rétrospective. En décembre, Maillol fait la connaissance de son futur mécène, le comte allemand Harry Kessler.

1885 Maillol réussit le concours d’entrée à l’École des beaux-arts et suit

1903-1904 Les Maillol s’installent à Marly, près de leurs amis Maurice

l’enseignement d’Alexandre Cabanel et de Jean-Paul Laurens, sur lequel il est très critique. Il visite assidûment le Louvre.

Denis et Édouard Vuillard. Ils passent les étés à Marly, les hivers à Banyuls. Au Salon de la Société nationale des beaux-arts de 1903, Maillol expose pour la première fois dans la section Sculpture et non plus Art décoratif. Paul Gauguin décède en mai. Le seul avis publié paraît dans la presse de Prades avec l’adresse de Saint-Clément, domaine des Monfreid. En août 1904, Kessler commande une version en pierre de Méditerranée.

d’une petite pension de sa tante Lucie et d’une aide du Département. Il s’inscrit à l’Académie Julian, fait un passage à la Petite École (École des arts décoratifs) mais n’y reste pas. Il suit les cours de l’École des beaux-arts en étudiant libre.

1888-1890 Le Portrait de Jeanne Faraill est la première œuvre qu’il expose, au Salon des Artistes français à Paris, en 1890. Il réalise des décors pour le Théâtre de marionnettes de Maurice Bouchor. József Rippl-Rónai introduit Maillol auprès du groupe des Nabis, tandis que George-Daniel de Monfreid lui fait découvrir les artistes d’avant-garde comme Van Gogh, Émile Bernard mais surtout Gauguin.

1892-1893 Après la découverte de la collection de tapisseries du musée de Cluny, Maillol se lance dans le procédé de fabrication. Il installe un atelier à Banyuls, de jeunes Catalanes sont ses collaboratrices, les sœurs Clotilde et Angèle Narcis. Maillol fait venir la laine de Roumanie, recherche des pigments naturels. Il présente un exemplaire au Salon de la Société nationale des beaux-arts (SNBA) à Paris en 1893, puis au Salon de la Libre Esthétique à Bruxelles en 1894, qui lui vaut les louanges de Gauguin dans la revue Essais d’art libre. Maillol réalise des zincographies et des bois gravés.

1894 Louis Valtat séjourne régulièrement à Saint-Clément chez Monfreid et rencontre Maillol par son biais.

1895-1896 Maillol fait la connaissance du groupe Nabi grâce à Rippl-Rónai et expose avec eux chez Le Barc de Boutteville. Une amitié débute avec Vuillard, grâce à qui il rencontre la famille Bibesco, et avec Maurice Denis. Monfreid et sa femme font des séjours à Banyuls et Llansa avec Maillol, ils retrouvent régulièrement Valtat qui est en Espagne. Séjour prolongé de Valtat à Banyuls. Maillol présente des bois sculptés à la SNBA 1896 à Paris. Il épouse Clotilde Narcis et Lucien naît à l’automne. La princesse Bibesco lui commande des tapisseries.

1897 Maillol fait des essais de céramiques qu’il fait cuire chez Monfreid. Une vitrine comprenant des statuettes et des céramiques lui est consacrée dans la section Arts décoratifs de la SNBA. En décembre Monfreid confie à Matisse les sculptures de Maillol en dépôt chez lui, tandis qu’il déménage. Maillol s’installe à Villeneuve-Saint-Georges.

1900 Édouard Vuillard amène Ambroise Vollard chez Maillol : il achète des terres cuites qu’il fait fondre en bronze. Maillol travaille sur le thème de la femme assise qui aboutira à Méditerranée. Son œuvre sculpté a de plus en plus de succès, il délaisse un peu la peinture.

1902 Première exposition personnelle de Maillol, chez Vollard, réunissant

1905 C’est par le biais de Terrus que Maillol et Matisse se rencontrent au printemps à Collioure. Monfreid montre ses Gauguin à Matisse et Derain au domaine de Saint-Clément. Matisse ayant reçu une formation en sculpture dans l’atelier de Bourdelle, il aide Maillol à mouler Méditerranée. Le plâtre est exposé au Salon d’Automne et suscite un commentaire enthousiaste d’André Gide dans la Gazette des beaux-arts. Octave Mirbeau et Maurice Denis publient de longs articles sur Maillol. Celui de Maurice Denis dans la revue L’Occident, donne une véritable assise théorique à son œuvre. Esthète, diplomate, possédant une maison d’édition, Cranach presse, Harry Kessler fait connaître Maillol. Il organise une grande exposition Gauguin à Weimar à laquelle Gustave Fayet et George-Daniel de Monfreid prêtent une grande partie de leurs collections.

1906 Maillol fait la connaissance du poète Marc Lafargue et de Pierre Camo. Le poète lui rend visite à Banyuls, en compagnie de Louis Bausil, mais aussi à Marly. Les commandes se succèdent pour Maillol. En février, Gustave Fayet se rend chez Matisse à Paris et lui achète un lot d’aquarelles de Collioure. Sur les conseils de Matisse, les Stein visitent sa collection.

1907-1908 Maillol est à Banyuls et travaille à la figure du Monument à Blanqui, L’Action enchaînée, pour Puget-Théniers, qui lui a été commandé en 1905 grâce à l’appui de Georges Clemenceau. Il conçoit des projets pour le Monument à Cézanne, dont il a obtenu commande notamment avec le soutien de Maurice Denis. Projet auquel il travailla pendant dix ans mais qui fut finalement refusé par la Ville d’Aix-en-Provence. Maillol et Maurice Denis échangent des courriers au sujet de leur dette esthétique envers le « sauvage » Paul Gauguin. Manolo et Paco Durrio, relayés par Henri Matisse, font connaître le travail de Gauguin à Picasso. Maillol fait un séjour en Grèce avec le comte Kessler.

1910 Pomone est présentée au Salon d’Automne et reçoit un accueil très favorable. Grâce à Maurice Denis, le grand collectionneur russe Morosov l’achète et commande L’Été, Le Printemps et Flore pour son hôtel particulier à Moscou. Les quatre figures sont placées dans le salon de musique à proximité d’une série de peintures de Maurice Denis, L’Histoire de Psyché.

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