PORTRAITS d’une SURVIE / PORTRAITS of SURVIVAL (extrait)

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Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art

Work carried out under the editorial and technical direction of Somogy Éditions d’Art

Conception graphique et réalisation Stéphane et Giulia Cohen

Graphic design Stéphane and Giulia Cohen

Fabrication Michel Brousset, Béatrice Bourgerie, Mélanie Le Gros

Technical production Michel Brousset, Béatrice Bourgerie, Mélanie Le Gros

Contribution éditoriale pour le français Emmanuelle Graffin

Copy editor (French) Emmanuelle Graffin

Contribution éditoriale pour l’anglais Bronwyn Mahoney

Copy editor (English) Bronwyn Mahoney

Suivi éditorial Clarisse Deubel

Editorial coordination Clarisse Deubel

© Somogy éditions d’art, Paris, 2014 ISBN : 978-2-7572-0817-5 Dépôt légal : mai 2014 Imprimé en Italie (Union européenne)

© Somogy éditions d’art, Paris, 2014 ISBN: 978-2-7572-0817-5 Legal deposit: May 2014 Printed in Italy (European Union)


ariane delacampagne

portraits d’une survie

portraits of survival

Les ArmĂŠniens de Bourj Hammoud

The Armenians of Bourj Hammoud



sommaire

contents

Remerciements

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Acknowledgments

Préface Lévon Nordiguian

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Preface Levon Nordiguian

L’âme de Bourj Hammoud Ariane Delacampagne

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The Soul of Bourj Hammoud Ariane Delacampagne

Aperçu historique Ariane Delacampagne

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A Brief History Ariane Delacampagne

Photographies et biographies

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Photographs and Biographies



remerciements personnels

acknowledgments

Ce livre n’aurait pas pu voir le jour sans Christian, mon cher époux trop tôt disparu, qui m’avait encouragée et avait vu naître le projet. Je tiens également à remercier mes parents, Janet et Agop, qui ont été d’un dévouement inlassable. Je dois rendre hommage à mes grandsparents, qui ont été déracinés plusieurs fois : Marie et Krikor Buchakjian, avec lesquels j’ai grandi, étaient originaires d’Aïntab (Turquie) et avaient fui à Alep (Syrie) avant de s’installer au Liban. Alice et Ardachès Ateshian, originaires de Dörtyol et de Yozgat, qui avaient d’abord fui la Turquie puis Alexandrette pour finir par s’établir au Liban. Je remercie également mon amie d’enfance, Houry Kurdjian Karajerjian, qui m’a accompagnée de nombreuses fois à Bourj Hammoud, Arpi Mangassarian qui travaille à la municipalité et défend ardemment les artisans, et tous les historiens que j’ai contactés, y compris Carla Eddé, Raymond Kevorkian, Vahé Tachdjian et Claude Mutafian. Je remercie tout particulièrement Lévon Nordiguian, qui a eu la gentillesse d’écrire la préface ; tous ceux qui ont exposé mon travail sur Bourj Hammoud au fil des ans, Jany Bourdais, Pierre Reynaud et Olivier Dupif. Je remercie également ma famille et mes amis, y compris Randa Abousleiman, Paul et Maria Audi, Sawsan Awada-Jalu, Brigitte Boulad, Carla Chammas, Danièle Cohn, Valerie Gladstone, Dominique Gutherz, Gilda Kupelian et Isabelle Kortian, mes collègues à New York, trop nombreux pour les mentionner tous, qui m’ont prodigué des encouragements et des conseils au fil des ans. Je tiens également à remercier Molly Stevens, qui a revu avec une patience infinie la version anglaise du livre, et Jana Martin, qui l’a éditée avec beaucoup de doigté. Je voudrais également remercier sur le plan technique Hashem Eaddy à New York et Olivier Dupif et son équipe à Paris ; et rendre hommage à l’équipe de Somogy à Paris. Je tiens enfin à dire que ce livre n’aurait pas pu voir le jour sans la gentillesse et l’accueil des Arméniens eux-mêmes et des habitants de Bourj Hammoud en particulier, qui ont bien voulu poser devant mon objectif et répondre à mes questions au fil des ans.

This book would not have been possible without Christian, my dear husband, who encouraged me and witnessed this project in its beginnings, but passed away prematurely, before he could see the results. I would also like to thank my parents, Janet and Agop, for their untiring devotion. And I must pay tribute to my grandparents, who were uprooted several times. Marie and Krikor Buchakjian, with whom I grew up, were from Aintab, Turkey and fled to Aleppo, Syria, before settling in Lebanon. Alice and Ardachès Ateshian were from Dörtyol and Yozgat, and had to flee their homes twice: first to Turkey, then to Iskenderun, before they finally settled in Lebanon. Thanks also to my childhood friend, Houry Kurdjian Karajerjian, who accompanied me many times to Bourj Hammoud; to Arpie Mangasserian, who works at the municipality of Bourj Hammoud and fervently supports the craftsmen there; and to all the historians I contacted, including Carla Eddé, Raymond Kevorkian, Vahé Tachdjian, and Claude Mutafian. Special thanks to Levon Nordiguian, who was kind enough to write the preface. Thanks to Jany Bourdais, Pierre Reynaud, and Olivier Dupif, who were all willing to exhibit my work on Bourj Hammoud. Thanks as well to my family and friends, including Randa Abousleiman, Paul and Maria Audi, Sawsan Awada-Jalu, Brigitte Boulad, Carla Chammas, Danièle Cohn, Valerie Gladstone, Dominique Gutherz, Isabelle Kortian, Gilda Kupelian, and my colleagues in New York, too numerous to mention, who all encouraged and advised me over the years. I would also like to thank Molly Stevens, who patiently reviewed the English version of this book, and Jana Martin, who very aptly edited it. For their help for getting the photographs right in production, I would like to thank Hashem Eaddy in New York and Olivier Dupif and his team in Paris; and of course I would like to acknowledge my editor, and the staff of Somogy Éditions d’Art in Paris. Finally, this book would not have been possible without the kindness and warm welcome of the Armenians themselves and, in particular, the inhabitants of Bourj Hammoud, who willingly posed for my camera, and answered all my questions.



levon nordiguian Université Saint-Joseph de Beyrouth

Préface

Preface

Ils s’appellent Boghos, Vartan, Noubar ou Garabed ; Arpinée, Houry, Taline, Nora ou Choghig. Ils portent des noms de famille qui se terminent systématiquement avec la désinence « ian ». Ils sont tous, par leurs parents, originaires de Killis, Aïntab, Adana, Djebel Moussa, Marache, Dörtyol, Césarée, villes actuellement en Turquie. Ils habitent et travaillent à Bourj Hammoud. C’est de ce quartier peuplé de descendants de réfugiés arméniens et grouillant d’activités qu’Ariane Delacampagne, elle-même d’origine arménienne, nous livre un vaste reportage photographique et littéraire réalisé auprès d’artisans et de petits commerçants avec lesquels elle a noué des liens au fil des ans, dans un quartier qu’elle a arpenté à chaque fois qu’elle retournait au Liban. Avant l’arrivée des Arméniens au Liban, cette localité qui s’étend à l’est du fleuve de Beyrouth n’était qu’un petit hameau au milieu d’une plaine basse vouée aux cultures maraîchères assurant les besoins de la

Their names are Boghos, Vartan, Nubar, and Garabed; Arpinee, Houry, Taline, Nora, and Shoghig. Their surnames always end in “ian.” Through their ancestors, they are all natives of Killis, Ayntab, Adana, Djebel Musa, Marash, Dörtyol, and Kayseri, cities that are currently in present-day Turkey. They now live and work in Bourj Hammoud. These are the descendants of Armenian refugees who fled Turkey after the 1915 Genocide. They are also the subject of the vast reportage by Ariane Delacampagne, who is herself Armenian, and who developed relationships over many years with the craftspeople and small shopkeepers in the bustling district. Before the Armenians arrived in Bourj Hammoud, the area—which extends to the east of the Beirut River—was a small, low-lying hamlet, where vegetables were grown for the nearby city. Its urbanization began in the early 1920s, after the French mandatory power had ceded nearby Cilicia to the nationalist Turkish leader Mustafa Kemal. Armenian survivors of the


préface

ville toute proche. Son urbanisation commence à partir du moment où la France mandataire abandonne la Cilicie à la Turquie kémaliste au début des années 1920, région où les rescapés du génocide avaient été regroupés, espérant vivre dans une province autonome sous mandat français et avoir un jour leur propre foyer national. Ce qui s’ensuit est un exode massif des Arméniens, angoissés par la perspective de nouveaux massacres. Des dizaines de milliers de réfugiés viennent alors s’entasser dans des terrains vagues de l’est de Beyrouth, d’abord sous des tentes puis dans des baraques en bois, dans le dénuement le plus total. Dès la fin des années 1920 s’amorce toutefois la sortie des camps vers la périphérie orientale de la ville, où grâce à des organisations caritatives internationales, locales et arméniennes, les réfugiés construisent leurs propres habitations, cette fois-ci en dur. C’est là qu’ils perpétuent le souvenir du pays perdu et désormais sublimé. Surgissent ainsi des quartiers aux noms évocateurs : Nor-Marache (Nor : nouveau), Nor-Sis, Nor-Adana, NorAmanos, Nor-Hadjine. L’agglomération de Bourj Hammoud, qui regroupe une partie importante de ces nouvelles fondations, connaît dès lors un essor exceptionnel. Avec le temps, elle est devenue non seulement un grand centre d’habitation et de production, mais aussi une place de marché à l’échelle nationale, voire régionale, où l’on trouve tout et, depuis la destruction du centre-ville de Beyrouth lors de la guerre civile de 1975, le seul et véritable souk à l’orientale. Artisans, ils ne le sont pas tous, bien sûr, mais leur savoir-faire dans certaines spécialités est unanimement reconnu. Certains métiers, comme la photographie, ont longtemps été un quasi-monopole des Arméniens ; il en a été de même pour les artisanats liés à la chaussure, l’horlogerie, la bijouterie, la mécanique, etc. Pour une population déracinée qui a perdu ses repères sociaux, l’artisanat, le commerce et l’instruction offrent les voies les plus courtes à l’ascension sociale. L’acharnement au travail a été un principe de vie érigé en valeur nationale : « Un Arménien ne quémande jamais », répétait-on fièrement et à satiété. « Jouer du tambour est le dernier des métiers, apprends à le faire et accroche le tambour au mur, on ne sait jamais quand tu en auras besoin. » De fait, à lire ces petites notices qui accompagnent chaque portrait photographique, on est frappé par la facilité avec laquelle ces personnes ont à plusieurs reprises changé de métier, pour s’adapter à des situations nouvelles et repartir de zéro comme ce fut le cas pour leurs parents ou grands-parents à leur arrivée au Liban.

preface

Genocide had regrouped in that region, hoping to live in an autonomous province under French rule and to have their own national home some day. But what followed Kemal’s takeover was a mass exodus of Armenians terrified by the possibility of new massacres. Tens of thousands of utterly destitute refugees crowded into the wastelands east of Beirut, living first in tents, then in shacks. By the end of the 1920s, they began leaving the camps and settling in the eastern suburbs of the city where, with help from international, local, and Armenian charitable organizations, they started constructing brick-and-mortar buildings. They began to perpetuate the memory of their lost country, idealizing the past. Neighborhoods emerged with evocative names, all with the word “Nor,” meaning new: Nor-Marash, Nor-Sis, Nor-Adana, Nor-Amanos, Nor-Hadjin. The agglomeration of Bourj Hammoud, which brings together many of these new settlements, developed rapidly from that point on. Over the decades, it has become not only an important residential area and production center, but also a key contributor to the national and sometimes regional Middle Eastern market. You can find everything in Bourj Hammoud. What’s more, since the 1975 war, when Beirut’s commercial district was destroyed, it is home to the only truly authentic Eastern-style souk. Of course not everyone is a craftsperson, but their time-honored skills in certain specializations are unanimously recognized. Some crafts and trades, such as photography, have long been the monopoly of Armenians; the same can be said of handicrafts like shoemaking, jewelry, watchmaking, and mechanics, among others. For an uprooted population, which had lost its social reference points, craftsmanship, commerce, and education became the fastest means of social mobility. Furthermore, determination and hard work, both driving life forces, were elevated to the rank of national values. “An Armenian never begs” was repeated proudly over and over again, as was, “Drumming is the final metier: learn how to do it and hung the drum to the wall—you never know when you’ll need it.” In reading the biographies accompanying each portrait, you can only be struck by the ease with which these people change trades in order to adapt to new situations. Starting from scratch is something they have in common with their parents and grandparents, who all had to start that way when they first arrived in Lebanon. Ariane Delacampagne approaches her subjects with consistent respect: she does not aim for a particular effect and there are no closeups: the person is photographed in his or her work environment and looks 10


préface

Il y a des partis pris méthodologiques dans l’approche d’Ariane Delacampagne, appliqués systématiquement à tous les sujets photographiés : pas de recherche d’effet particulier, pas de gros plans ; le personnage est présenté dans son cadre de travail, fixant de son regard l’objectif, un 28 millimètres parfaitement adapté pour le mettre en situation. Entre l’artiste et son modèle la règle du jeu est claire : la prise de vue se fait d’un commun accord, souvent après une longue préparation en amont, nécessitant parfois plusieurs visites, en vue de mettre en confiance le sujet. Pas de flash ni de trépied, mais l’artiste s’ingénie à tirer parti de la lumière naturelle, souvent faible, filtrant dans l’atelier ou la boutique, à l’aide d’un Leica M7 qui n’est pas des plus légers, grâce à une pellicule Kodak Tri-X 400 ISO. Malgré ces différentes contraintes, Ariane Delacampagne a pu capter ce qui fait la spécificité de chaque sujet, qu’on a le sentiment de connaître dans ce qu’il a d’universel. Signalons aussi qu’il s’agit de photographies d’artisans arméniens faites par une Arménienne, mais une Arménienne qui est « partie » et revient avec forcément un autre regard. La tentation était grande de tomber dans le piège de l’exotisme, cet avatar de l’orientalisme tenace qui nous contamine le regard. La rigueur lui a permis d’échapper aussi aux lieux communs de la photographie humaniste. Cela est vrai aussi pour les notices biographiques consignées avec une grande concision et précision. Ainsi texte et photographie qui ont un dynamisme indépendant se complètent et s’enrichissent en permettant un dialogue. C’est pourquoi, en dehors de leur intérêt proprement esthétique ou ethnographique, les photographies d’Ariane Delacampagne – issues d’un reportage de plusieurs années sur le terrain, qui n’a pu être mené à bien que grâce à la connaissance intime de la langue et de la culture arméniennes que possède la photographe – constituent un rare témoignage sur ce monde émouvant et en pleine mutation.

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preface

into the camera. The 28 mm lens is perfectly suited for providing context. Parameters are well defined: the shot is taken by mutual consent, sometimes only after several visits, when trust has been established. She uses neither a flash nor a tripod, instead taking advantage of the often dim natural light that filters into a workshop or store. Her camera is a Leica M7, which is not particularly light, and her film is Kodak TriX 400 ISO. In spite of these various constraints, Delacampagne is able to capture what is specific to each individual. You feel as if you know the person in terms of what makes him or her universal. I would like to mention also that these are photographs of Armenian craftspeople taken by an Armenian photographer who left Lebanon and inevitably returned with a different outlook. She could have easily fallen into the trap of exoticism, that remnant of tenacious Orientalism that contaminates our way of seeing. Discipline also enabled her to skirt the clichés of humanistic photography. The same is true for the biographies, which are concise and precise in their writing. As a result, the text and the photographs, while independently dynamic, complete and enrich each other in their dialogue. That is why, beyond their inherent aesthetic and ethnographic qualities, Ariane Delacampagne’s photographs—the result of her many years of involvement with the community, and made possible only because of her deep familiarity with the Armenian language and culture—are an exceptional, indeed irreplaceable, reportage on this moving, melancholic, and forever changing world.



ariane delacampagne

L’âme de Bourj Hammoud

The Soul of Bourj Hammoud

Je découvris Bourj Hammoud bien après avoir quitté le Liban, en 1984. En tant qu’Arménienne, je connaissais bien entendu l’existence de ce quartier jouxtant la capitale, mais la guerre qui avait éclaté en 1975 entravait la circulation d’une zone à une autre. Mon univers, comme celui de tant d’autres Libanais, s’était rétréci comme une peau de chagrin. Je m’estimais encore heureuse de pouvoir me rendre au siège de la télévision, où je travaillais comme présentatrice et journaliste à la chaîne francophone. Je décidai de partir en 1984 pour les États-Unis lorsque la guerre reprit de plus belle. Lorsque je revins en 2000 à Beyrouth, ma ville natale, je redécouvris Bourj Hammoud, une municipalité indépendante au nord-est de la capitale, à l’origine une zone marécageuse, qui s’était peuplée à la fin des années 1920 de descendants de rescapés du génocide des Arméniens, perpétré en 1915 par les Turcs. D’abord simple camp de toile, le quartier s’était transformé en agglomération urbaine.

I discovered Bourj Hammoud long after I’d left Lebanon. As an Armenian, I had of course heard about an “Armenian neighborhood” near Beirut, but when the war began in 1975, travel between different areas of the capital became more and more difficult. As it did for so many Lebanese, my geographical universe was shrinking with each passing day. I soon was confined to my own district in Beirut, lucky to still be able to work daily at the French-language Lebanese TV station as an anchor and reporter. In 1984, when the situation became too dangerous, I decided to leave the country and go to the United States. When I returned to Beirut, my native city, in 2000, I finally went to Bourj Hammoud, an independent municipality northeast of the capital. Originally swampland, it became inhabited at the end of the 1920s by descendants of the survivors of the Armenian Genocide, a tragedy perpetrated in 1915 by the Turks. Through the hard work of the refugees, what was first just a tent camp gradually became an urban center.


l’âme de bourj hammoud

Ayant longuement vécu à New York et l’exil aidant, je me sentis immédiatement à l’aise dans ce quartier regorgeant d’activités. À une époque où Beyrouth changeait de physionomie, voire perdait son âme avec les grands chantiers de reconstruction, je retrouvai en Bourj Hammoud, qui conservait une dimension humaine, une authenticité qui faisait défaut ailleurs. Je fus frappée par le fort sentiment d’appartenance, la persistance de tout ce qui était véritablement arménien, non seulement les mets, les épices et les métiers traditionnels, mais aussi l’accueil chaleureux des habitants. Ils parlaient tous la langue de mon enfance, exerçant des métiers que certains avaient appris dans les orphelinats mis en place par des missions étrangères, dans lesquels ils excellaient. Je retrouvai de vrais souks à l’orientale, un savoir-faire artisanal précieux, une organisation du travail remontant à plusieurs décennies, un esprit industrieux et beaucoup de solidarité. Je me mis à photographier les petits commerçants de la rue Marache, puis les maîtres artisans dans les arrière-boutiques, puis systématiquement toutes les personnes que je rencontrais au détour d’une rue, celles qui travaillaient dans les ateliers d’orfèvrerie, de cordonnerie ou de confection. Je découvris un univers extraordinaire sur lequel je voulus témoigner, bien consciente de la fragilité des choses, dans un pays plusieurs fois secoué par la guerre, dans une région du monde instable, où les minorités n’avaient plus le sentiment de pouvoir coexister sur un pied d’égalité avec les majorités, excepté parfois au prix de marchandages ardus avec les classes politiques. Beaucoup de personnes avaient des parcours atypiques, avaient appris tel métier en apprentissage puis se retrouvaient en train d’en exercer un autre pour s’adapter à la demande du marché, cherchant à innover ou à se réinventer. Malgré l’existence d’entreprises familiales, les enfants n’étaient pas tous désireux de prendre la relève des parents. Les personnes que j’ai photographiées ont un lien direct ou indirect avec Bourj Hammoud et sont des symboles de réussite au Liban et des preuves vivantes de la ténacité des Arméniens, dont les vies ont été plusieurs fois disloquées et qui savent à chaque fois rebondir sur leurs pieds. À l’heure de la célébration du centenaire du génocide des Arméniens, je tiens à leur rendre hommage par cette collection de portraits photographiques.

the soul of bourj hammoud

Having lived in New York for a long time, I immediately felt at ease in the bustle of the neighborhood. And at a time when Beirut was going through dramatic changes—it was in fact losing its soul to all the reconstruction projects—I found in Bourj Hammoud a human scale and an authenticity that was lacking elsewhere. I was struck by the strong sense of identity, the persistence of everything that was authentically Armenian, from the food and spices to the very warmth of the residents. They all spoke my native language and practiced crafts that some had learned in orphanages founded for them by foreign missions. In these trades, they excelled. I found true Eastern souks, precious traditional expertise, timehonored work habits, an industrious spirit, and a great deal of solidarity. I felt at home. I first started photographing shopkeepers on Marash Street, then the master-craftsmen in the back rooms of the shops. As the project grew, I found myself systematically taking the portraits of all the people I met on street corners, and of those who worked in jewelry, shoemaking, or clothing workshops. An extraordinary universe opened to me. I wanted to bear witness to it, well aware of its fragility. This is a country that has been repeatedly disrupted by war; a region where minorities no longer feel they can coexist on equal footing with those in the majority, except at times through hard political bargaining. Many of these people have had unusual career paths. They may have learned a particular craft in an apprenticeship, and then wound up working in an entirely different occupation because the market demanded it. Some try to modernize and reinvent. Others, despite the existence of family businesses, have been unwilling to take over. But every person I photographed is directly or indirectly connected to Bourj Hammoud, symbols of Armenian success in Lebanon and living proof of Armenian resilience. Their lives have been disrupted several times, but they have bounced back. At a time when we are commemorating the centennial of the Armenian Genocide, it is important to me to honor them with this collection of portraits.

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ariane delacampagne

Aperçu historique

A Brief History

Les Arméniens sont un peuple ancien. Leur ancêtre éponyme est Haïk qui, d’après la tradition, est descendant de Japhet, fils de Noé. L’Arménie d’aujourd’hui est une république indépendante de près de 30 000 kilomètres carrés, enclavée entre la Turquie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Ce territoire, l’aboutissement d’une histoire millénaire mouvementée, n’est qu’une partie du Plateau arménien et de l’Arménie historique ou Grande Arménie, hérissée de hautes montagnes, dont l’Ararat où, d’après la Bible, l’arche de Noé aurait échoué. Les Arméniens apparaissent probablement vers la fin du IIe millénaire avant Jésus-Christ. Ils parlent une langue indo-européenne appartenant à un rameau distinct. Du ixe au vie siècle avant Jésus-Christ, leur territoire est occupé par le royaume de l’Ourartou, longtemps rival de l’Assyrie. Les deux peuples coexistent puis se fondent, l’élément arménien prenant le dessus. Le nom de l’Arménie apparaît pour la première fois à la fin de cette période, dans une inscription trilingue de Béhistoun, qui relate les victoires du roi perse Darius.

The Armenians are an ancient people. They call themselves “Hay” and consider Hayk, a descendant of, Noah’s son Japheth, their legendary founder. Contemporary Armenia is an 11,500-square-mile independent republic, surrounded by Turkey, Georgia, and Azerbaijan. This territory, formed from a turbulent and ancient history, is only part of the Armenian Plateau and historical Armenia. Its many mountains include Mount Ararat where, according to the Bible, Noah’s Ark was wrecked. The Armenians probably emerged around the end of the second millennium BC. Their language was a form of Indo-European. From the ninth to sixth centuries BC, their territory was ruled by the Urartu Kingdom, a rival of Assyria. The two peoples coexisted but then merged, with the Armenian traits taking over. The name Armenia appeared for the first time at the end of this period, in the trilingual Behistun Inscription, which chronicled the victories of the Persian king, Darius. Armenia became part of the Persian Achaemenid Empire and then, after Alexander the Great’s conquest in 354 BC, part of the Seleucid Kingdom.


aperçu historique

L’Arménie fait donc partie de l’Empire perse achéménide puis est intégrée au royaume séleucide après la conquête d’Alexandre le Grand (354 avant Jésus-Christ). Elle connaît son époque de gloire sous Tigrane le Grand au début du ier siècle avant Jésus-Christ, qui constitue en quelques années un royaume s’étendant de la Caspienne à la Méditerranée, auquel Rome met rapidement fin. Du ier au iiie siècle de notre ère, l’Arménie est le théâtre d’une lutte d’influence entre les Romains et les Perses, qui se la départagent en 387. L’un des faits les plus marquants de l’histoire de l’Arménie est la christianisation (313) et l’existence, à partir de 550, d’une église autocéphale, fondée par saint Grégoire l’Illuminateur, où l’autorité suprême est assurée par un catholicos affranchi de Rome, de Constantinople ou d’Antioche. Les Arméniens, monophysites, ne reconnaissent que la nature divine du Christ, croyance condamnée au concile de Chalcédoine de 451 et époque à laquelle l’Arménie se bat contre l’envahisseur sassanide qui cherche à lui imposer le zoroastrisme ; toutefois son armée, menée par Vartan Mamikonian, est battue. Les Arméniens commémorent depuis, chaque année en mars, le martyre de saint Vartan et de ses compagnons. Un autre événement charnière de l’histoire de l’Arménie, où toute correspondance administrative se fait en grec et en araméen, est la création, en 405, de l’alphabet écrit par le moine Mesrop Machtots, pour traduire la Bible et consolider le christianisme. Cette invention donne naissance au ve siècle à un véritable âge d’or de la littérature arménienne. Cet alphabet est toujours en usage aujourd’hui, l’arménien classique étant réservé à la liturgie. Comme la religion, il aide à forger l’identité arménienne, face à l’occupation étrangère. Une partie de la population arménienne est contrainte de fuir en Crimée, en Galicie et en Cilicie, où les dynasties roupénide et hétoumide fondent des principautés, puis un royaume indépendant (Petite Arménie), qui aide l’Occident pendant les croisades, avant de tomber en 1375 aux mains des Mamelouks d’Égypte. Les siècles suivants, la Grande Arménie est ravagée par les conquérants mongols, puis timourides. Elle devient ensuite le champ de bataille des Empires ottoman et perse safavide, qui se livrent une lutte sans merci. Un arrêt durable des hostilités intervient en 1639 avec, pour conséquence, la division de l’Arménie entre les Perses à l’est et les Ottomans à l’ouest. Au début du xixe siècle, les Arméniens vivent en majorité dans l’Empire ottoman, sous le système des millets (nations), avec une liberté de culte

a brief history

It had its moment of glory under Tigranes the Great, who during the first century BC, built a kingdom ranging from the Caspian to the Mediterranean seas. But Rome quickly took over. During the first to third centuries AD, Armenia was a battleground between the Romans and the Parthians. In AD 387, it was divided between Rome and Persia. One of the most influential factors in Armenia’s history is its Christianization, thought to have occurred in 313. An autocephalous church—headed by a supreme Catholicos independent from Rome, Constantinople and Antiochus—was founded around 550 by Saint Gregory the Illuminator. Armenians subscribe to the doctrine of Monophysitism, in which the single nature of Christ is divine. The dogma was condemned at the Council of Chalcedon in 451. Armenia was then engaged in a fight against Sassanid invaders hoping to impose Zoroastrianism, but its army, led by Vartan Mamikonian, was defeated. Every March since then, Armenians commemorate the martyrdom of Saint Vartan and his compatriots. Another pivotal event happened in 405: at that time, all administrative correspondence was written in Greek and Aramaic. The monk Mesrop Mashtots created the Armenian alphabet in order to translate the Bible and strengthen the reach of Christianity. This invention gave birth, during the fifth century, to a true Golden Age of Armenian literature. The alphabet is still used today, with classical Armenian being reserved for liturgy. Like religion, it helped forge Armenian identity in the face of foreign occupation. Invasions forced some of the Armenian population to flee to Crimea, Galicia, and Cilicia, where the Rubenide and Hetumide dynasties created principalities and then an independent kingdom. Known as Little Armenia, the region aided the West during the Crusades, but fell into the hands of the Mamluks of Egypt in 1375. In the centuries that followed Mongol and Timurid conquerors ravaged Greater Armenia. It then became a battleground between the Ottoman Empire and Safavid Persia. Both sides fought without mercy, finally negotiating a long-lasting ceasefire in 1639. The result was a divided Armenia, with Persians in the East and Ottomans in the West. By the early nineteenth century, Armenians lived mostly in the Ottoman Empire, under the millet or nations system, which restricted freedom of religion and enforced a capitation tax. In spite of the Enlightenment, 18


aperçu historique

restreinte et l’obligation de verser un impôt de capitation. Malgré l’esprit des lumières et le mouvement de démocratisation, les sultans ottomans n’octroient pas à tous leurs sujets la sécurité, l’égalité des droits et une répartition plus juste des impôts. Au contraire, chaque émeute s’accompagne d’une répression accrue. Les Arméniens continuent de s’organiser sur le plan politique. Leur agitation déclenche une répression féroce de la part du sultan Abdülhamid II (le « Sultan rouge ») : et le massacre de deux cent à trois cent mille Arméniens, de 1894 à 1896, dans l’indifférence générale. Le sultan dissout le Parlement en 1878 et revient à l’absolutisme. Les partis arméniens révolutionnaires créés au cours de cette période accueillent favorablement les idées de modernisation et d’abolition du système des millets, prônées au départ par le parti Comité union et progrès (CUP), dit des Jeunes-Turcs, qui renverse en 1908 Abdülhamid. Le CUP s’oppose toutefois aux nouvelles revendications nationalistes émergentes dans l’Empire et adopte les théories du panturquisme et du pantouranisme, appelant à l’union des peuples turcs d’Asie. Cette politique xénophobe ne peut qu’aggraver la situation des Arméniens et des autres minorités de l’Empire et entraîne des massacres. Au moment de l’entrée en guerre de la Turquie aux côtés des puissances centrales, le CUP est dominé par le triumvirat de Djemal, Talaat et Enver, qui décident d’exterminer les quelque deux millions d’Arméniens vivant dans l’Empire ottoman, les qualifiant de cinquième colonne de la Russie. Le 24 avril 1915 a lieu la rafle de centaines d’intellectuels et notables arméniens de Constantinople. Celle-ci est suivie, sous prétexte d’éloigner les populations arméniennes du front russe, d’un ordre général de déportation dans toute l’Asie mineure et pas seulement dans le théâtre des opérations militaires : de 1915 à 1918, un million et demi d’Arméniens successivement des six vilayets orientaux, des vilayets occidentaux, des régions du Sud-Est, d’Andrinople et du sandjak de Kayseria sont dépossédés de leurs biens, déracinés de leurs territoires ancestraux et déportés vers l’Anatolie centrale, puis vers les déserts de Syrie et d’Irak. Certains résistent, comme ceux de Moussa Dagh. La plupart succombent aux traitements inhumains qui leur sont infligés. L’acte génocidaire est bien attesté à l’époque par les diplomates occidentaux en poste, les missionnaires et d’autres, d’après la définition qu’en donne le juriste polonais Raphaël Lemkin en 1944 et que reprend la Convention pour la prévention et la répression du crime du génocide des Nations unies de 1948. 19

a brief history

irrespective of the rise of democratization, Ottoman sultans refused to guarantee security, equal rights, or fair taxation to all their subjects, and each resulting uprising was met with an increasingly harsh response. The Armenians continued to organize politically, triggering a fierce attack by Sultan Abdulhamid II—known as the Red Sultan. Under his rule, two to three hundred thousand Armenians were massacred from 1894–96. Virtually unopposed, he dissolved the parliament in 1878 and reverted to absolutism. The Armenian revolutionary parties created during this period supported the principles of modernization and the abolition of the millet system, as championed by the Young Turks’ Committee of Union and Progress (CUP) that overthrew Abdulhamid in 1908. But the CUP were against the nascent nationalist demands then emerging in the Empire, and instead embraced theories of Pan-Turkism and Pan-Turanism, which called for the union of the Turkic peoples of Asia. This xenophobic policy worsened conditions for the Armenians and other minorities in the Empire and culminated in massacres. At the time that Turkey joined the Axis powers during World War I, the CUP was essentially run by the triumvirate of Djemal, Talaat, and Enver. Declaring that the two million Armenians then living in the Ottoman Empire were a veritable fifth column of Russia, the three called for their complete extermination. On April 24, 1915, hundreds of Armenian intellectuals and distinguished citizens were rounded up in Constantinople. Under the pretext of keeping Armenian populations away from the Russian Front, there followed a general deportation order throughout all of Asia Minor, far beyond military operations. From 1915–18, 1.5 million Armenians—from the six Oriental vilayets, the Occidental vilayets, the South-East regions, Adrianople and the sandjak of Kayseria—were stripped of their possessions, uprooted from their ancestral territories, and deported to central Anatolia and the deserts of Syria and Iraq. Some, like the Armenians from Musa Dagh, resisted. Most succumbed to the inhumane treatment inflicted upon them. These genocidal acts were well documented by the Western diplomats, missionaries, and others then posted there. It was officially declared a Genocide in accordance with the 1944 definition coined by the Polish jurist Raphael Lemkin, and used by the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide of the United Nations of 1948. After World War I and fall of the Ottoman Empire to Western Allies, the Armenians hoped they would be granted an independent country in


aperçu historique

Après la Première Guerre mondiale et la défaite ottomane face aux alliés occidentaux, les Arméniens ont l’espoir de voir se créer un pays indépendant dans l’est de la Turquie actuelle. Mais le traité de Sèvres de 1920 est rejeté par le Turc Mustapha Kemal. Les Bolcheviks s’emparent d’Erevan ; l’Arménie bascule dans l’orbite soviétique jusqu’en 1991. En Cilicie, la situation est tout aussi dramatique : après la victoire de Mustafa Kemal sur les troupes françaises qui les protégeaient (1921), les Arméniens doivent se réfugier ailleurs. Ceux qui gagnent le sandjak d’Alexandrette, province autonome en Syrie, doivent fuir une seconde fois, lorsque les Français cèdent le territoire aux Turcs en 1939. Bon nombre de réfugiés arméniens choisissent Beyrouth, encore petite ville à l’époque, qui a été soumise à un blocus de la part des Ottomans qui voulaient empêcher l’ennemi de se ravitailler, et a essuyé de lourdes pertes pendant la Première Guerre mondiale. Les premiers réfugiés arméniens s’installent dans le Grand Camp prévu pour eux par le haut-commissaire de la puissance mandataire française au Levant. Ils se voient accorder la nationalité libanaise en 1925. À partir de là, la puissance mandataire envisage d’établir définitivement les Arméniens dans les territoires sous mandat. Les Arméniens se fondent peu à peu dans la mosaïque libanaise, où ils se considèrent comme des citoyens à part entière. Le système confessionnel (repris des millets) leur attribue aujourd’hui six sièges de députés et un maroquin ministériel. La population arménienne est reconnue par l’État libanais comme l’une des sept principales communautés sur les dix-huit que compte le pays. Une partie de ces Arméniens constitue une communauté dynamique à Bourj Hammoud.

a brief history

the eastern part of Turkey. But the 1920 Treaty of Sèvres was rejected by the Turkish leader Mustafa Kemal. The Russian Bolsheviks seized Yerevan and, as a result, Armenia fell into the Soviet sphere of influence until 1991. In Cilicia, the situation was equally dramatic: after Mustafa Kemal’s victory over the French troops protecting them in 1921, the Armenians had to find refuge elsewhere. Those who had gone to the sanjak of Alexandretta, at the time an autonomous province within Syria, had to flee a second time when the French ceded the territory to Turkey in 1939. Many Armenian refugees chose Beirut, then just a small city. Subjected in 1915 to a blockade imposed by the Ottoman leaders who wanted to prevent supplies from reaching enemy lines, Beirut endured heavy losses during World War I. The first Armenian refugees settled in the Big Camp—planned for them by the High Commissioner of the French Mandatory Power, and were granted Lebanese nationality in 1925. From then on, the Mandatory Power envisioned permanently settling the Armenians in the territories under its mandate. Gradually, Armenians became a part of the Lebanese mosaic and began to feel like full-fledged citizens. Today, the sectarian system, heavily inspired by the millet, grants Armenians six parliamentary seats and one ministerial post. The Armenian population is recognized by the Lebanese State as one of the eighteen communities that are part of the country. Some of these Armenians make up a vibrant population in Bourj Hammoud.

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Rue perpendiculaire à la rue Marache, dans une partie de Bourj Hammoud dont le plan est en damier. Les immeubles résidentiels sont hauts de quelques étages. Les commerces ouvrent généralement sur la rue principale. Il faut habilement jouer des coudes pour garer sa voiture dans l’étroite ruelle.

A road crossing Marash Street, in a part of Bourj Hammoud laid out on a grid. Residential buildings here are just a few stories high and shops line the main street. The narrow streets require admirable car parking skills.

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ci-dessus et cinq pages suivantes

above and the five following pages

Varoujan Khandjian crée en 1965, en plein cœur de Bourj Hammoud, une fabrique spécialisée dans la chaussure pour enfants. Son père grandit à l’orphelinat Bird’s Nest, à Byblos (Liban) et fait son apprentissage dans l’une des premières entreprises arméniennes de chaussures établies dans la région. Khandjian a de nombreux employés arméniens, dont le doyen a commencé à travailler chez lui en 1986 et le dernier est arrivé en 1999 : Robert Damlakian (p. 24), né en 1965 à Beyrouth et dont les ancêtres sont de Djebel Moussa (Turquie),

Varujan Khanjian founded a factory specializing in children’s shoes in 1965 in the heart of Bourj Hammoud. His father, who grew up in the Bird’s Nest Orphanage in Jubayl, Lebanon (founded during the Armenian Genocide), apprenticed with one of the first Armenian shoe companies in the region. Varujan has many Armenian employees; the oldest started there in 1986; the most recent, in 1999. Robert Damlakian (p. 24), born in Beirut in 1965—with parents from Djebel Musa, Turkey—sews the shoes. Krikor Ezadijian (p. 25), born in Aleppo in 1963—with parents

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s’occupe de coudre les chaussures. Krikor Ezadijian (p. 25), né en 1963 à Alep, dont les ancêtres sont de Rumdigin (Turquie) et dont le père était également cordonnier, coud une centaine de paires de chaussures par jour. Sa fille vit à Alfortville (France) et son fils, orfèvre de formation, a intégré l’armée libanaise. Hagop Kechichian (p. 26) est né en 1963 à Beyrouth et son frère Vartan Kechichian (p. 27) en 1968. Leurs parents sont originaires de Dörtyol (Turquie). Ara Yaghchian (p. 28) est né en 1976, ses ancêtres sont de Brousse (Turquie). Harout Tekelian (p. 29), né à Beyrouth en 1965, dont les ancêtres sont originaires de Marache (Turquie), est responsable du contrôle qualité.

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from Rumdigin, Turkey—also sews the shoes, about 100 pairs a day, and has a daughter living in Alfortville, France, and a son who trained as a goldsmith and is now in the Lebanese Army. Hagop Keshishian, (p. 26 ) and Vartan Keshishian (p. 27) were born in Beirut in 1963 and 1968 respectively—both have parents from Dörtyol, Turkey. Ara Yaghchian (p. 28) was born in 1976—his parents are from Bursa, Turkey. Harut Tekelian (p. 29), born in Beirut in 1965, with parents from Marash Turkey—is the quality control manager.







Boghos Svadjian, dit « Boghos Kalachnikov », depuis qu’il a pris les armes pour défendre son quartier pendant la guerre, est né à Qab Elias (Liban), en 1951. Pour régler ses dettes, il s’est séparé du bateau à bord duquel il allait en haute mer (la prise d’un énorme espadon est sa grande fierté). Il pêche au large de Bourj Hammoud du maquereau, du mérou, du mulet, du rouget, du sar ou du crabe, qu’il vend au coin de la rue Marache et prépare du sushi pour des particuliers ou des restaurants. Il joue également dans des pièces de théâtre dirigées par Varoujan Khedechian et a incarné le personnage populaire d’Apisoghom Agha, dans Mendiants honorables, un classique d’Hagop Baronian, le « Molière arménien » du xixe siècle.

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Boghos Svajian, who earned the nickname Kalashnikov for using the Russian-made rifle to defend his neighborhood during the war, was born in 1951 in Qab Elias, Lebanon. To settle debts he was forced to sell the boat he used to work the high seas (his greatest pride is a huge swordfish he once caught). But he still fishes off the coast of Bourj Hammoud, catching grouper, mackerel, mullet, Red pandora, sea bream, and crab. He sells his catch to local residents from the corner of Marash Street, and prepares sushi for clients and restaurants. An actor as well, he performs in plays directed by Varujan Khedeshian. He played the popular character of Apisoghom Agha in Honorable Beggars, the classic nineteenth-century satirical play by Hagop Baronian (considered the Molière of Armenia).


Vahan Kupélian est né en 1945 à Beyrouth. Ses ancêtres sont de Kharpert et de Hadjine (Turquie) Il exerce depuis près d’un demi-siècle le métier de calligraphe, qu’il a appris en autodidacte. Il reproduit d’un trait, à l’aide d’un roseau taillé trempé dans de l’encre noire, un verset du Coran en arabe qu’on lui dicte, orné de belles arabesques. Tout petit, il abandonne l’école pour devenir fabricant d’enseignes. Les clients du quartier lui demandent des plaques professionnelles ou des bijoux personnalisés, en cuivre ou en argent, que son fils exécute au premier étage de l’atelier. Sa boutique, située à un angle stratégique de Bourj Hammoud, ne désemplit pas.

Vahan Kupelian was born in 1945 in Beirut. His ancestors were from Kharput and Hadjin, Turkey. For nearly fifty years, he has been practicing the art of calligraphy, and is self-taught. Using a sharpened reed dipped in black ink, he can reproduce an entire ayah (verse) from the Qur’an in Arabic in a single stroke, ornamented with beautiful arabesques. He also works as a custom sign maker, having dropped out of school while still young to start that business. His son creates personalized copper and silver jewelry. The Kupelian workshop, located on a prime corner of Bourj Hammoud, is always busy.

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Le libraire Krikor Meguerditchian, né en 1945 à Alep (Syrie), tient un atelier de reliure de livre. Ses parents, originaires d’un village près d’Ourfa (Turquie), s’installent au Liban lorsqu’il a dix ans. Il reprend le métier de son père, que ce dernier a appris grâce aux missionnaires de l’orphelinat Bird’s Nest, fondé à Byblos pendant le génocide des Arméniens. Krikor s’occupe de la reliure de livres, procédé entièrement fait à la main. Il assemble les feuilles imprimées, les plie en cahiers, les coud à la machine et ajoute les gardes. Il relie livres, archives, collections de journaux et de périodiques de bibliothèques arméniennes et restaure également des livres anciens, précieux ou abîmés.

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Krikor Meguerdichian was born in 1945 in Aleppo, Syria. He runs a bookbinding workshop. His parents, born in a village near Urfa, Turkey, settled in Lebanon when he was ten. His father had learned bookbinding from the missionaries while at the Bird’s Nest Orphanage in Jubayl, Lebanon, which was founded during the Armenian Genocide. The skill was passed from father to son. Krikor does meticulous, painstaking hardcover bookbinding by hand, from folding the signatures to laying in the endpapers. He also binds custom archives and collections of journals and newspapers, and restores damaged rare and valuable books.


Marijane Khatchadourian est née en 1942 à Bourj Hammoud. Ses ancêtres sont de Kharpert (Turquie). Ses parents tiennent un salon de coiffure près du cinéma Rivoli, dans le vieux Beyrouth. Sa mère coiffe les dames à domicile, dans des villages de la montagne libanaise. Elle ouvre en 1965 le premier salon féminin rue Arax, à Bourj Hammoud, aidée de Marijane, qui apprend toute jeune à rouler des bigoudis. Lorsque le salon est transféré ailleurs, Marijane convertit l’espace en boutique, où elle vend au fil des ans des tapis, des antiquités, du prêt-à-porter, des accessoires et des éventails.

Marijane Khatchadurian was born in 1942 in Bourj Hammoud. Her ancestors were from Kharput, Turkey. Her parents owned a hair salon near the Rivoli movie theater, in the old Beirut downtown area. Her mother was invited to style women’s hair in Lebanese villages in the mountains. She opened the first hair salon on Arax Street, in Bourj Hammoud, fifty years ago, with her children’s help, including Marijane, who learned early on to curl hair. When her mother moved the salon, Marijane converted the space into a boutique, where she has, over the years, sold everything from ready-to-wear clothes and accessories, to carpets, antiques, and large decorative paper fans.

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Mano Merdakhanian est né en 1971 à Beyrouth. Ses ancêtres sont originaires d’Aïntab (Turquie). Il commence par suivre un apprentissage pour devenir sertisseur de diamants, puis se rend vite compte que le métier ne rapporte pas. Il se convertit dans l’épicerie et ouvre sa supérette à Bourj Hammoud en 1993. Ses clients sont principalement du quartier. Ses prix sont raisonnables, il cherche à fidéliser ses clients et leur fait parfois crédit, sachant qu’ils honoreront leur dette. Il est marié et père de trois enfants.

Mano Merdakhanian was born in 1971 in Beirut. His ancestors were from Aintab, Turkey. After completing an apprenticeship as a diamond setter, he realized the trade would not allow him a decent living, and decided to become a grocer instead. He opened a small neighborhood supermarket in Bourj Hammoud in 1993. His keeps his prices reasonable and works to win his customers’ loyalty—even extending credit to trustworthy clients. He is married with three children.

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Talar Bedikian, née à Beyrouth en 1997, donne à l’occasion des fêtes de Noël un coup de main à ses parents, Choghig et Nersès, dans leur magasin d’épices et de fruits secs de la rue Marache. Leurs ancêtres sont originaires d’Aïntab (Turquie). Nersès tenait avec son père une boutique d’herboriste, près d’un hôpital de Beyrouth, tandis que sa femme était institutrice. Ils ouvrent leur magasin à Bourj Hammoud en 1990. Ils complètent leurs connaissances sur les vertus des plantes par la lecture d’ouvrages spécialisés et sont un puits de savoir pour leurs clients. Ils vendent notamment des cerises sauvages noires acides entrant dans la préparation d’un plat de kebab, qui est une spécialité d’Alep.

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Talar Bedikian was born in Beirut in 1997. During the busy Christmas holiday, she often helps her parents, Shoghig and Nerses Bedikian, with their spice and dried fruit shop on Marash Street. The Bedikians’ ancestors were from Aintab, Turkey. Nerses helped his father run a herbalist’s shop near a Beirut hospital, and Shoghig was a kindergarten teacher before they started their own store in 1990. Always reading up on new methods and discoveries, they are a font of expertise for their customers. Among popular delicacies they stock are wild sour black cherries, used to prepare an Aleppan kebab dish.



Simon Constantinian est né en 1957 à Bourj Hammoud. Ses ancêtres sont de Marache (Turquie). Il est inscrit à la faculté de droit de l’Université libanaise, en 1975, lorsque la guerre éclate. Ses projets d’avenir s’effondrent. Il devient sertisseur de diamants, métier que son père avait acquis chez un Arménien d’Istanbul. Puis il devient, histoire de dépanner les clients, réparateur de montres et aiguiseur de couteaux, dans sa minuscule échoppe, où il inscrit les commandes des clients sur son tableau. Il tire surtout ses revenus du métier d’accordéoniste et joue de vieilles chansons françaises ou des airs de tango. Il écrit également des éditoriaux et des poèmes dans la presse arménienne et notamment sur les malheurs des Arméniens réfugiés de Syrie.

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Simon Constantinian was born in 1957 in Bourj Hammoud. His ancestors were from Marash, Turkey. He enrolled in the law school of the Lebanese University in 1975, the year the war broke out. His future plans disrupted, he became a diamond setter instead. It was a trade his father had learned from an Armenian craftsman from Istanbul, and passed on to his son. To help his customers, Simon began repairing watches and grinding knives as well. Orders are written on a board in his narrow workshop. But most of his income actually comes from performing at weddings and other occasions: he sings French songs and tangos, accompanying himself on the accordion. He also writes editorials and poems for Armenian newspapers, often about the plight of the Armenian refugees from Syria.


Meguerditch « Migo » Torossian est né en 1948 à Damas (Syrie). Ses ancêtres sont originaires de Yozgat (Turquie). Il s’installe au Liban en 1970 et ouvre sa boutique à Bourj Hammoud, dix ans plus tard. Il fabrique au moyen d’un presseur et d’une machine à coudre des semelles des chaussures, que l’on appelle daban en turc et en arabe, faites de carton et d’éponge, qu’il vend aux fabricants en ville, sur commande. Il est marié et père de trois enfants.

Meguerdich “Migo” Torossian was born in 1948 in Damascus, Syria. His ancestors were from Yozgat, Turkey. He settled in Lebanon in 1970 and opened his shop in Bourj Hammoud ten years later. With a press and a sewing machine, he makes shoe soles from cardboard and foam (daban in Turkish and Arabic), and fills custom orders to shoemakers in town. He has three children.

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Hagop Davidian, né, en 1946 à Alep (Syrie), est décédé en 2013. Ses ancêtres étaient de Kharpert (Turquie). Il était mouleur, comme son père, spécialisé dans le cuivre, et fabriquait des objets en boucles de chaussures, de ceintures ou de sacs. Il plaquait également des bijoux avec de l’or, à la demande de ses clients, et confectionnait à ses heures perdues des montres à la Dalí, dont il ornait son atelier. Sa femme Mayda dit de lui qu’il était un très bon père de famille.

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Hagop Davidian, born in 1946 in Aleppo, Syria, passed away in 2013. His ancestors were from Kharput, Turkey. He worked molding copper and other metals, as his father had, creating the metal fittings for shoes, belts, and bags. He also made gold-plated jewelry, as well as Salvador Dalí-esque melting clocks that decorated his workshop. According to his wife, Mayda, he was a very good family man.



Nora Nercessian est née en 1962 à Falougha (Liban). Ses ancêtres sont originaires de Hadjine (Turquie) Elle est conceptrice styliste de bijoux en argent, métier qu’elle a appris chez un maître. Elle vend ses modèles à des bijoutiers de Bourj Hammoud, puis interrompt ses activités lorsqu’elle se marie, le temps d’élever deux enfants. Elle crée aujourd’hui des bijoux fantaisie en argent à petits prix, qu’elle vend dans un magasin de la rue d’Arménie, aux côtés d’autres bijoux en or, fabriqués au Liban ou importés de l’étranger.

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Nora Nercessian was born in 1962 in Falugha, Lebanon. Her ancestors were from Hadjin, Turkey. She apprenticed in jewelry design with a master craftsman, and used to sell her pieces to Bourj Hammoud boutiques. When she married, she took a break to raise her two children. Now she sells her reasonably priced silver jewelry (along with other Lebanese and imported gold jewelry) in a shop she works in on Armenia Street.


Abraham Baklayan est né en 1933 à Beyrouth. Ses parents sont originaires de Césarée (Turquie). Il était tailleur à Bab Idriss, l’ancien quartier commerçant de Beyrouth, puis propriétaire d’un magasin de prêt-porter pour hommes, qui a été pillé et incendié en 1975, au début de la guerre. Depuis, il trône dignement dans ce « magasin » de fortune, fait de tôle, situé à un angle stratégique de la rue Arax, où il vend des ouvrages de dentelle et des nappes de table, importés de Syrie ou de Chine, les produits locaux étant trop chers pour les clientes du quartier. Il est grand-père et a deux frères, à Los Angeles et à Montréal.

Abraham Baklayan was born in 1933 in Beirut. His parents were from Kayseri, Turkey. He worked as a tailor in Beirut’s old commercial district of Bab-Idriss, and then had a men’s clothing shop that was plundered and burned down during the early days of the war in 1975. Since then, he has been selling lace napkins and tablecloths out of a makeshift shop made of sheet metal on a prime corner of Arax Street. He imports his wares from Syria and China, as locally made linens are too expensive for his customers. His family includes a brother in Los Angeles and another in Montreal, as well as a host of grandchildren.

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Taniel Tsoungoulian, né au Liban en 1933, est décédé en 2009. Ses parents étaient de Césarée (Turquie). Il était réparateur de tapis d’Orient et de kilims faits à la main. Son patron dit qu’il était très bon dans la réparation des trous et déchirures de tapis. Avant de travailler dans ce magasin, il effectuait des visites à domicile, à la demande de ses clients, pour retisser les endroits usés, faire des rapiéçages, reconstituer les fils de trame et refaire les franges. Il avait formé au métier son fils Haroutioun, qui a choisi une autre profession.

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Taniel Tsungulian was born in Lebanon in 1933 and died in 2009. His parents were from Kayseri, Turkey. He restored handmade Oriental rugs and kilims and, according to his former boss, was particularly good at repairing holes and tears. Before working in his shop, he used to make house calls, and was able to patch, weave and reconstitute missing or damaged motifs and repair frayed edges. Though he passed on his craft to his son, Harutiun, the younger Tsungulian prefers another profession.


Missak Hajiavedikian est né en 1983 à Beyrouth. Ses ancêtres sont de Zeitoun et de Marache (Turquie). Enfant, il accompagne sa mère Annie dans la fabrique de lingerie, où il acquiert une fascination pour les beaux tissus et l’amour des finitions soignées. Après des études de stylisme à Beyrouth, il visite les grandes capitales de la mode, avant d’ouvrir son propre atelier à Bourj Hammoud puis à Mar Mikhaël. Dans ses créations couture, fabriquées sur mesure, confectionnées avec de la dentelle, du lamé or et de beaux tissus, il intègre souvent des broderies arméniennes, faites localement. Ses collections, qui s’inspirent du monde du cinéma, de la peinture et du théâtre, sont intitulées tertchoun (oiseau en arménien) ou l’Âge de l’innocence. Il a des clientes au Liban et dans les pays du Golfe. Il enseigne bénévolement au Creative Space à Beyrouth et inculque notamment les notions de stylisme et d’économie dans l’utilisation du tissu.

Missak Hajiavedikian was born in 1983 in Beirut. His ancestors were from Zeytun and Marash, Turkey. As a child, he sometimes accompanied his mother, Annie, to her job in a lingerie factory, where he developed an early appreciation for beautiful fabrics and meticulously rendered details. He went on to study fashion design in Beirut, visited major fashion capitals around the world, and then opened his own atelier, first in Bourj Hammoud and then in Mar Mikhael. His custom-made couture pieces use handwoven laces, gold lame, and other fine materials, and often incorporate locally handmade Armenian embroideries. Inspired by Hollywood, fine art, and theatre, he names his collections after favorite symbols, such as terchun (bird in Armenian), and beloved works, such as Age of Innocence. He has customers in Lebanon and in the Gulf States, and volunteers as a teacher at the Creative Space Institute in Lebanon, encouraging his students to make the effort to learn good patternmaking, and use fabrics efficiently. 46



Johnny Artinian est né en 1988 à Bourj Hammoud. Ses parents sont originaires de Zeitoun (Turquie). Après son apprentissage chez un orfèvre, il travaille rue d’Arménie dans une bijouterie, la première à s’établir en 1979 sur l’artère principale de Bourj Hammoud, à l’origine une rue étroite de souks, à sens unique. Johnny vend des bijoux de qualité, au finissage soigné, en or, sertis de diamants ou de perles, ainsi que des montres. Son patron passe d’importantes commandes en Amérique latine grâce à l’excellente réputation du magasin et cherche à innover, malgré l’avance prise par les fabricants chinois ou malaisiens de bijoux.

Johnny Artinian was born in 1988 in Bourj Hammoud to parents from Zeytun, Turkey. After apprenticing with a goldsmith he started working in a jewelry store on Armenia Street. The shop, founded in 1979, was the first on the main road—once a narrow one-way street lined with souks. Johnny sells high-quality, meticulous gold jewelry inlaid with diamonds and pearls, as well as watches. Despite competition from Chinese and Malaysian jewelry manufacturers, the shop, which has an excellent reputation, receives orders from as far away as Latin America.

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Sarkis Djibian est né à Beyrouth en 1925. Ses parents sont de Kharpert (Turquie). Avant de vendre des bijoux chez ses neveux, les frères Hadidian, qui ont une boutique rue d’Arménie, il était photographe. Il évoque, ému, sa vieille caméra Zeiss Ikon Ikonta 6 x 9. Il effectuait dans son studio des portraits, qu’il tirait lui-même. Il photographiait aussi les emblèmes de Beyrouth comme la grotte aux Pigeons, dont il faisait des cartes postales à l’ancienne, coloriées main. En 1953, il arrête d’exercer à plein temps ce métier qui lui rapporte peu, et continue de faire de la photographie à côté, pour le plaisir.

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Sarkis Jibian was born in 1925 in Beirut. His parents are from Kharput, Turkey. Before selling jewelry for his nephews, the well-known merchants the Hadidian brothers, in their Armenia Street store in Bourj Hammoud, he was a photographer. He remembers his beloved Zeiss Ikon 6 x 9 camera. He used to shoot portraits in his studio, and made his own prints. He also photographed Beirut landmarks, including Pigeon Rocks, to make hand-tinted, old-fashioned postcards. He abandoned photography as a career in 1953 because he could not make a living at it, but he continues to do it for pleasure.



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