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Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial Nicolas Neumann Responsable éditoriale Stéphanie Méséguer Coéditions Véronique Balmelle Conception graphique Larissa Roy Coordination éditoriale Salomé Dolinski Contribution éditoriale Gaëlle Vidal Fabrication Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros
© Somogy éditions d’art, Paris, 2017 © Centre national du costume de scène, Moulins, 2017 © Adagp, Paris 2017 Avec l’aimable autorisation de M. Pierre Bergé, et du Comité Jean Cocteau En couverture ISBN 978-2-7572-1345-2 Dépôt légal : octobre 2017 Imprimé en Union européenne
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Coiffe pour le rôle de Mistinguett dans Mistinguett, la dernière revue, spectacle de Jérôme Savary, costumes de Michel Dussarat. Paris, Opéra-Comique, 2001. Coll. Michel Dussarat.
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Artisans de la scène La fabrique du costume Sous la direction de Delphine Pinasa
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Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition Artisans de la scène, la fabrique du costume présentée au Centre national du costume de scène et de la scénographie, Moulins du 14 octobre 2017 au 11 mars 2018
L’EXPOSITION Commissariat Delphine Pinasa, directrice du Centre national du costume de scène, en collaboration avec Sylvie Perault, docteur en anthropologie, spécialiste des savoir-faire et des costumes de scène Scénographie et graphisme Delphine Lebovici Les costumes et accessoires présentés ont été préparés et mannequinés par le département des collections du CNCS : Fabienne Sabarros-Helly, Pierre-Jean Colacicco, Katia Mallay, Éva Kowalski, avec la participation de Carla Giachello Aguerre, stagiaire du programme de la Fondation Culture et Diversité « Voyager pour apprendre les métiers d’art » et de Manon Durand, Mona Le Thanh, stagiaires. La réalisation technique a été préparée par Stéphane Berthelot, Jordan Philippe, Vincent Viotty, Salomé Bertharion, stagiaire, avec l’aide des services techniques de la Ville de Moulins et la participation de l’École de la seconde chance. Graphisme du visuel et des documents de communication Atalante, Paris Service de presse Pierre Laporte Communication, Paris Photographies des costumes et accessoires Florent Giffard
LE CENTRE NATIONAL DU COSTUME DE SCÈNE ET DE LA SCÉNOGRAPHIE Le CNCS est un établissement public de coopération culturelle réunissant l’État, la Ville de Moulins, le Département de l’Allier, la Bibliothèque nationale de France, la Comédie-Française et l’Opéra national de Paris.
Président d’honneur Christian Lacroix Président du conseil d’administration Thierry Le Roy, conseiller d’État Delphine Pinasa, directrice Vincent Foray, administrateur Administration Laura Cauchy-Puravet, Brigitte Lacalmontie, Sabrina Harrault Marie Dubreuil, agent comptable Communication Loriane Pobelle Technique et sécurité Stéphane Berthelot, Vincent Viotty, Jordan Philippe Département des collections Responsable : Sylvie Richoux Régie des œuvres : Fabienne Sabarros-Helly Conservation préventive : Pierre-Jean Colacicco, Aurore Prézeau, Sophie de Saint-Martin, Katia Mallay, Éva Kowalski Centre de documentation : Petra Vlad Département des publics Responsable : Jean-Sébastien Judais Coordination : Stéphanie Laporte Action pédagogique public scolaire : Sandra Julien Médiation : Carole Combaret Géraldine Schoenher, Lionel Olivier (professeurs correspondants culturel détaché du ministère de l’Éducation nationale), l’équipe des intervenants des ateliers Marketing et action commerciale : Laura Boutonnet Accueil, librairie-boutique et surveillance : Amandine Lombard Julie Gonnard, Céline Guichon, Emmanuelle Marotin, Selvyra Kham, Félix Lacroix, Pauline Aillaud Guides-conférenciers : Stéphanie Laporte, Pascale Vassy Réservations : Geneviève Gardette
Le Centre national du costume de scène et les commissaires remercient les prêteurs et les institutions qui ont rendu cette exposition possible grâce à leurs prêts et à leur aide : INSTITUTIONS Bibliothèque nationale de France Laurence Engel, présidente Sylviane Tarsot-Gillery, directrice générale Mathias Auclair, directeur du département Musique et de la Bibliothèque-musée de l’Opéra, Benoît Calmail, adjoint au directeur du département Musique et chef de service de la Bibliothèque-musée de l’Opéra, Guillaume Ladrange, chargé de collections Joël Huthwohl, directeur du département des Arts du spectacle, Véronique Meunier, adjointe au directeur, Laurence Rey, chargée de conservation
Comédie-Française Éric Ruf, administrateur général Sylvie Lombart, directrice des services de l’habillement Agathe Sanjuan, conservateur-archiviste de la bibliothèque musée Mélanie Pétetin, documentaliste iconographe Moulin Rouge Jean-Luc Pehau-Ricau, directeur communication et marketing Opéra national de Bordeaux Marc Minkowski, directeur général
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Yves Jouen, directeur technique et de production, Susan Capdequi, directrice technique adjointe Jean-Philippe Blanc, responsable des ateliers couture Opéra national de Lyon Serge Dorny, directeur général Jean-Michel Daly, responsable atelier costumes et habillement Opéra national de Paris Stéphane Lissner, directeur général Jean-Philippe Thiellay, directeur général adjoint Sarah Barbedette, directrice de la dramaturgie, de l’édition et de la communication Stéphane Löber, directeur adjoint de la dramaturgie, de l’édition et de la communication Christine Neumeister, directrice des costumes Jean-Bernard Scotto, chef de service couture Bastille et adjoint pour les productions lyriques, Laure Cuvillier, modiste, Pascale Dufay, responsable atelier décoration, Miguel Fernandez, bottier-cordonnier Xavier Ronze, chef de Service couture Garnier et adjoint pour les productions chorégraphiques, Bernard Connan, responsable atelier décoration Birgit Arnst, chef de service perruques maquillage – Bastille Mylène Marie, chef de service perruques maquillage – Garnier Christine Vargas, chef du service patrimoine des costumes Nicolas Minssen, directeur technique de l’Opéra de Paris Jean-Claude Hugues, directeur technique adjoint – Bastille, Elena Bauer et Christophe Pelé, photographes Édouard Gouhier, directeur technique adjoint – Garnier José Sciuto, responsable artistique des ateliers de décors Ainsi que les Ateliers de décors. Opéra national du Rhin Eva Kleinitz, directrice générale Thibaut Welchlin, chef atelier costumes, Patrice Coué, bottier Isabelle Dolt-Haas et Julie Hoeffel, chefs de service perruques maquillage Théâtre national de Chaillot Didier Deschamps, directeur général Nicole Daviot, responsable habillement
ARTISANS Atelier Pierre Anez de Taboada Carole Batailler La Bijouterie du Spectacle, Maxime Jourdan Maison Clairvoy Atelier Pipa Cléator Maison Février Atelier François Privat Atelier Jacques Gencel Jean-Pierre Hareng Ysabel de Maisonneuve Atelier Titiche Sainte S., Laëtitia Mirault
Studios Albatros, Stefano Perocco Plumes de Paris Atelier Maryse Roussel MTL France Perruques, Marie-Charlotte Quehin Caroline Valentin L’équipe perruque de Madeline Fontaine Ainsi que Lucienne Marchand, Gérard Vicaire, Mme et M. Tanguy, Nicole Février, Mireille Doering Borne.
LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES ET DE FORMATION Brigitte Flamand, Inspectrice générale de l’Éducation nationale, Design & Métiers d’art Muriel Janvier, Inspectrice d’Académie, Inspectrice pédagogique régionale, Design & Métiers d’art, déléguée académique à l’action culturelle, rectorat de Clermont-Ferrand Les inspecteurs, les directeurs et les équipes enseignantes des établissements suivants : L’ENSATT, École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre, Lyon Thierry Pariente, directeur, Laurence Blavette, Sylvie Lardet, Christophe Demars Le GRETA de la Création, du Design et des Métiers d’Art, Paris Sarah de Nadai, directrice Julie Bergue, chargée de communication Lycée des Métiers des Arts, du Spectacle et de la Création Textile La Source, Nogent-sur-Marne Lycée des Métiers de la Vente et de la Mode, Site Gabriel Péri, Toulouse Lycée de la mode et du costume Paul Poiret, Paris Lycée des Métiers de l’Artisanat d’Art dans les Professions du Spectacle, Sartrouville Lycée des Métiers de la Mode et du Costume de Spectacle Les Coteaux, Cannes Lycée professionnel Desaix, Saint-Éloy-les-Mines Lycée Professionnel Jean Guéhenno, Saint-Amand-Montrond Nous adressons nos plus vifs remerciements à : Renato Bianchi, Catherine Dasté, Maud Deligeard, Michel Dussarat, Claudie Gastine, Ollivier Henry, Blandine Soulage, Alain Tretout. Aux auteurs du catalogue Mathias Auclair, Benoît Cailmail, Brigitte Flamand, Joël Huthwohl, Maxime Jourdan, Gaëlle Viémont. Aux stagiaires Noémie Lacroix, Lucie Revellin, Pauline Thévenet. Le CNCS remercie particulièrement l’Opéra national de Paris pour la reproduction des photographies de ses ateliers, ainsi que le CERPCOS pour le fonds photographique sur les artisans indépendants du spectacle et de l’audiovisuel.
Avec le soutien de
Bibliothèque nationale de France
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Bibliothèque nationale de France
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Sommaire
8 Préface
30 La fabrication des bijoux de scène
Delphine Pinasa, directrice du Centre national du costume de scène
10 Le costume de scène, objet artisanal
Delphine Pinasa
36 Une collection privée de bijoux de scène et de cinéma Maxime Jourdan, directeur de la Bijouterie du spectacle
Sylvie Perault, docteur en anthropologie, spécialiste des savoir-faire et des costumes de scène
12 L’école des artisans de la scène
38 Strass, bijoux et variétés
Brigitte Flamand, inspectrice générale de l’Éducation nationale Design & Métiers d’art
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Costumier
16 Costumiers et costumières : les maîtres d’œuvres d’un art pluriel
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42
Chapeaux
44 Chapelier et modiste du spectacle Sylvie Perault
Gaëlle Viémont, conceptrice costume, doctorante en arts du spectacle et enseignante à l’ENSATT et au DMA La Martinière-Diderot
48 Modistes de théâtre
Bijoux
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26 Bijoux d’Opéra Mathias Auclair, conservateur général, directeur du département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France et Benoît Cailmail, conservateur, adjoint au directeur du département de la Musique et chef de service de la Bibliothèque-musée de l’Opéra, Bibliothèque nationale de France.
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Sylvie Perault
Delphine Pinasa
Chaussures
56 Bottier et cordonnier de théâtre Delphine Pinasa
68 La maison Clairvoy, bottier du Moulin Rouge Sylvie Perault
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Ennoblissement
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Ennoblissement et matiérage
120
La perruque à l’écran et dans les spectacles de variétés Sylvie Perault
Delphine Pinasa
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Teintures et patines
124
Plumes
126
La plume
Sylvie Perault
88
Costumier-brodeur
Sylvie Perault
Sylvie Perault
134
Tout en plumes ! Delphine Pinasa
92
Masques
94
Matières de masques
138
Joël Huthwohl, archiviste paléographe, directeur du département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France
Carcasses
140
Le carcassier
102
Fabrication de masques dans les ateliers de théâtre
Sylvie Perault
146
Armures
148
Armurerie de théâtre
Delphine Pinasa
108
Stefano Perocco : créateur-sculpteur de masques
Delphine Pinasa
Sylvie Perault
154 112
Perruques, maquillage, prothèses
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Perruques, maquillage et prothèses Delphine Pinasa
Armurier du spectacle Sylvie Perault
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Bibliographie
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Préface Le Centre national du costume de scène conserve une collection exceptionnelle de 10 000 costumes. Dans ce fonds, cohabitent des vêtements ainsi que des chapeaux, des chaussures, des masques, des perruques, des bijoux, des armures, des plumes…, un ensemble d’accessoires qui agrémentent le costume et parachèvent l’apparence du personnage sur scène. Ce patrimoine, riche d’objets hétéroclites, illustre la grande diversité des corps de métiers intervenant dans la chaîne de fabrication du costume. Au sein de l’équipe artistique, le costumier dessine ses projets (ou maquettes) qui, une fois validés, sont remis aux ateliers de couture chargés de les réaliser. De nombreux savoir-faire spécialisés sont alors mis en œuvre : couturiers, tailleurs, modistes, perruquiers, maquilleurs, bottiers cordonniers, bijoutiers, brodeurs, décorateurs sur costumes, plumassiers, carcassiers, armuriers... Chaque artisan suit une double démarche, individuelle avec son propre processus de création inhérent à son domaine, et collective, en travaillant en interdépendance avec les autres professions. Ensemble, ils concourent à une même finalité, celle d’aboutir à la silhouette complète de l’interprète dans son rôle, prête avant que le rideau ne se lève. Plusieurs expositions temporaires organisées par le CNCS ont rendu hommage aux créateurs de costumes tout comme aux ateliers de couture : L’Art du costume à la Comédie-Française (2011), Christian Lacroix, La Source et le Ballet de l’Opéra de Paris (2012), Les Trésors de l’Opéra-Comique (2015), ont ainsi permis de faire découvrir le travail minutieux, élaboré et unique des couturières et des tailleurs. Avec Artisans de la scène, ce champ d’exploration s’ouvre aux savoir-faire spécifiques, appliqués aux accessoires du costume et à sa décoration. Comme dans le secteur de la haute couture et de la mode, le XXe siècle a été marqué par une transformation globale de leur activité. De nombreux fournisseurs ont disparu au gré des changements d’affectation ou des fermetures
de salles de spectacle, des mutations économiques et des évolutions esthétiques. Les institutions nationales comme l’Opéra national de Paris, la Comédie-Française, l’Opéra-Comique, les Opéras en région et quelques autres théâtres ont compensé la disparition de ces prestataires en intégrant dans leurs équipes techniques ces divers métiers ou en inventant des substituts. Les ateliers privés doivent faire face à une réalité économique difficile ainsi qu’à des conditions de travail en pleine évolution, qu’il s’agisse de leur statut, de leur espace de travail, de la formation et de la raréfaction de leurs effectifs. Quelques-uns sont aujourd’hui reconnus comme Métiers d’art, ce qui leur assure un soutien dans leur pratique et pour la transmission de leurs compétences. Ces façonniers assurent ainsi la pérennité des techniques et la mémoire du geste. Mais le spectacle étant un vivier de création, ces hommes et ces femmes innovent constamment, sur la forme comme sur le fond, tant du point de vue pratique que du fait de l’apparition de nouveaux matériaux s’adaptant alors aux dernières technologies. Pour certains, c’est aujourd’hui le numérique qui ouvre de nouvelles perspectives et permettra très prochainement (si ce n’est déjà fait) de passer du dessin de l’objet à sa fabrication en volume par l’impression en 3D. Cet ouvrage n’est qu’une esquisse, soulevant un coin du rideau sur ces métiers des coulisses. L’histoire, passée et présente, de ces talents exceptionnels reste à écrire. À la différence des artisans de la mode et du luxe, mis à l’honneur dans plusieurs livres, les « faiseurs d’excellence » œuvrant pour la scène n’ont quasiment pas fait l’objet de publications1. Au début des années 1990, le ministère de la Culture2 a mené diverses réflexions et études sur les métiers rares du spectacle vivant en France, et plus précisément sur ceux qui semblaient en voie de disparition3. L’Institut national des métiers d’art (INMA) met en œuvre une politique en faveur des métiers d’art, dont relèvent certaines spécificités du spectacle.
1. Voir Bibliographie. 2. Direction du Théâtre et des Spectacles, de la Délégation au développement et aux formations, et Département des études et de la prospective. 3. Mission d’évaluation relative aux Formations aux métiers rares du spectacle, janvier 1994, par Sophie Cathala-Pradal avec la participation de Nuri Sorribas et Pedro Atia.
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Fabrication d’un tutu, atelier couture, Opéra national de Paris / Palais Garnier.
La recherche et l’étude autour de ces savoir-faire sont des vecteurs qui ne peuvent que concourir à mieux faire connaître et à préserver ces professions. Mais c’est bien évidemment par la transmission de ses compétences et la formation aux gestes spécifiques que cet artisanat sera sauvegardé. L’apprentissage auprès d’un professionnel, autrefois couramment pratiqué, a fait place aux cycles d’études dans les lycées professionnels spécialisés4. Depuis quelques années, les théâtres, conscients des richesses et des talents rassemblés au sein de leurs ateliers, véritables conservatoires d’expériences, ont initié des formations complémentaires ou des contrats de professionnalisation auprès de jeunes diplômés des différentes professions du spectacle, en accueillant
stagiaires et apprentis, comme à la Comédie-Française et à l’Opéra national de Paris5. Des actions sont également menées en région pour certaines techniques rares comme celles enseignées il y a quelques années par l’École des arts de la transformation à l’Opéra national du Rhin ou bien au Capitole, Opéra de Toulouse, en lien avec le lycée Hélène-Boucher pour la formation perruques… Ces liens renforcent les domaines de la création et de la pratique, sont des « passerelles » entre les générations et donnent à l’imagination et à l’inventivité des Métiers d’art des terrains de jeu aux perspectives infinies.
Delphine Pinasa
4. Voir article de Brigitte Flamand dans ce catalogue. 5. L’académie de la Comédie-Française et l’académie de l’Opéra de Paris.
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Le costume de scène, objet artisanal
Atelier de Caroline Valentin, costumier brodeur.
À lui seul, le costume de scène ou de cinéma réunit les intentions de travail des différentes équipes qui participent à l’avènement de la création. Il nous parle du corps des comédiens, ainsi que de l’espace dans lequel il se meut, de la psychologie des personnages, etc. Il a aussi le pouvoir de réunir les souvenirs communs des équipes qui vont s’ajouter à ceux des spectateurs. Parfois, sa force est telle qu’il continue d’incarner un personnage bien après la pièce ou le long-métrage. Car le costume n’est pas anodin en ce sens qu’il porte les choix dramaturgiques et esthétiques d’une époque ou d’une période de création donnée. Il s’inscrit donc
dans le temps, nous informe a posteriori et s’oppose ainsi à l’immédiateté de la représentation théâtrale et sa disparition programmée. Il est en quelque sorte l’archéologie d’une troupe. « Le costume, c’est la peau de mon personnage1 » explique Ève Édoué-Bruce, permanente au Théâtre du Soleil, résumant en une phrase le rôle et la symbolique de l’objet. Pourtant, il n’était principalement abordé que sous deux formes ; objet théâtral sur scène ou à l’écran, puis objet patrimonial lors d’expositions. C’était oublier l’étape essentielle, celle qui permet de passer du projet à une réalité, le costume, objet artisanal. Avec l’exposition
1. Terrain en cours au Théâtre du Soleil, commencé en 2015.
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L’école des artisans de la scène Les artisans du costume et autres métiers associés sont mis en scène dans le cadre de cette remarquable initiative du Centre national du costume de scène de Moulins qui consacre une exposition aux « Artisans de la scène ». Les arts de la scène convoquent de multiples savoirfaire, des plus mystérieux et secrets au plus démonstratifs parfois dans l’insolence de l’exagération où l’art du dépassement de soi est à chaque instant celui du geste. Un geste fait de rigueur, d’écoute et d’un sens tout particulier de la création appliquée. Ces qualités s’acquièrent dans l’atelier et la fréquentation du plateau de scène. Un processus qui s’inscrit dans une généalogie de la transmission par moments transgressée pour faire surgir l’inattendu et l’exceptionnel. L’artisan devient alors plus qu’un passeur de savoir-faire, un créateur accompli dans l’expression artistique d’un matériau, d’une forme, d’une parure. La somme de ces qualités crée l’occasion d’un moment suspendu pour l’artiste, mais également pour l’artisan. Une collaboration d’exception qui donne à voir la convergence de toutes les parties pour porter une œuvre, une voix, un texte, un corps. Le spectacle vivant est fait de cette magie qui dissimule les secrets d’une machine à créer où modestement les artisans d’art fabriquent une partie du meilleur sans être exposés eux-mêmes. Ce paradoxe est celui de cette magnifique exposition consacrée aux artisans de la scène, faiseurs de miracles dans l’obscurité des coulisses et des ateliers. Costumier, plumassier, modiste, bottier, corsetière, couture flou ou tailleur participent à cet objet de création partagé par celui qui le réalise, celui qui le porte et enfin celui qui le scénarise pour se cristalliser dans un geste d’amour adressé au spectateur. Cet ensemble délicat, fragile, éphémère incarne le texte et le corps dans l’expression des arts de
la scène et du surgissement des personnages qui deviennent alors vrais. Il ne s’agit plus de personnages en quête d’auteur1, mais d’une communauté qui se cristallise pour quelques heures dans un projet porté par la troupe dont toutes les parties sont nécessaires les unes aux autres. Les métiers du costume constituent l’un des premiers matériaux du jeu de scène. Des mystères du Moyen Âge, à la commedia dell’arte jusqu’à l’Ancien Régime, les comédiens fabriquaient eux-mêmes le costume de leur personnage. Aucune formation n’était requise, mais un apprentissage par la pratique du réel à former à la chose par un mode de transmission des savoir-faire construit sur l’observation et les nécessités imposées par le rythme des représentations. La vie des métiers de la scène a suivi le même chemin que celui imposé aux corporations et autres métiers artisanaux en intégrant progressivement des écoles professionnelles qui deviendront plus tard écoles techniques. On assiste ainsi à la transformation empirique de tous les domaines d’apprentissage qui concernent majoritairement les garçons, mais dont la filière couture fait à l’inverse exception s’adressant aux jeunes filles pour leur émancipation et autonomie. Ce processus progressif d’académisation permet dès le milieu du XXe siècle de penser le devenir des jeunes filles en leur apprenant la couture ou autres savoir-faire utiles à l’économie de la maison. Ainsi en 1945, un CAP couture voit le jour, ainsi que de corsetière lingère en 1948. Un demi-siècle pour consolider et développer une filière qui donne lieu après les CAP, à un BEP industries de l’habillement en 1972, suivi en 1980 d’un BEP vêtement sur mesure et accessoires. Dans cette temporalité des années quarante qui est aussi celle de la création de lieux où l’on forme les futurs citoyens de la nation, le premier centre professionnel du spectacle à Paris voit le jour. Il donnera
1. PIRANDELLO, Luigi, Six personnages en quête d’auteur, 1921 et créé à Paris pour la première fois le 10 avril 1923 à la Comédie des Champs-Élysées (mise en abyme des personnages qui se mélangent aux artisans de la scène).
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Costumier
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Costumiers et costumières : les maîtres d’œuvre d’un art pluriel GAËLLE VIÉMONT
« Costumier » est un terme professionnel autant indéfini qu’explicite : s’il se rapporte de manière limpide au monde du spectacle et aux maîtres d’œuvre de l’habillement scénique, il ne spécifie aucune fonction. Cet hyperonyme inclut une variété de métiers qui peuvent être exercés par des personnes spécialisées, notamment dans les ateliers conséquents, ou par un nombre réduit de praticiens, jusqu’à un seul, prenant en charge l’ensemble du processus d’élaboration du costume. Dans le jargon professionnel, le costumier peut être un artiste et un artisan polyvalent ou plus spécifiquement un concepteur costume, celui qui crée la silhouette, un coupeur, celui qui donne corps à l’idée en élaborant le patron, un réalisateur, celui qui confectionne l’objet, et enfin, parfois, un habilleur1. En outre, une multitude de façonniers aux savoir-faire tellement rares que spécifiques, qui peuvent eux-mêmes se définir comme costumiers–teinturiers, cordonniers-bottiers, brodeurs, spécialistes des matériaux composites2, etc. – enrichissent la production costumière de leurs pratiques singulières. L’appellation de « costumier » est donc plurivalente et intègre une grande diversité de compétences et de techniques, de savoir-faire et de savoir-être, suppose une immense créativité et une remarquable adaptabilité, et relie tous les praticiens entre eux autour d’un art commun, celui de revêtir un interprète en action.
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Trajectoire d’un néologisme, origines théoriques d’un art Tandis qu’il est encore communément admis que les termes de « costumier, ière » sont attestés à partir de 17993, « costumier » apparaît pour la première fois en 17744 – seulement au masculin – dans une lettre manifeste de Pierre-Nicolas Sarrazin, tailleur de son état, publiée dans le Journal des Beaux-arts et des sciences5. Il y construit un argumentaire engagé visant l’élévation de sa propre pratique en édifiant une « nouvelle » profession savante et qu’il baptise initialement « Tailleur costumier6 », avant qu’elle ne devienne sous sa plume, dès 1776, l’art du Costumier7. Le costumier n’apparaît pas seulement dans ces écrits comme un spécialiste du costume de scène, mais comme un tailleur érudit, un artiste polyvalent et talentueux, capable de jongler avec des compétences variées et des connaissances multiples, et faisant preuve de créativité, d’ingéniosité et de rigueur scientifique. Il est d’abord un insatiable chercheur, passionné par la physionomie vestimentaire « des peuples anciens et modernes8 », qui n’a, à l’instar des peintres et des sculpteurs, « d’autre guide que l’Histoire9 », élaborant des parures scéniques en convoquant les plus nobles savoirs des beaux-arts. Pierre-Nicolas Sarrazin est formel, le costumier maîtrise le dessin, la mythologie,
1. Les dénominations des postes varient selon les structures culturelles et il n’est pas rare que les habilleurs soient appelés « habilleurs-costumiers ». À l’inverse, des costumières réalisatrices (dénomination issue de l’intitulé des Diplômes des Métiers d’Art Costumier Réalisateur créés en 1994) sont souvent désignées comme « couturières ». 2. Il s’agit de matériaux obtenus par l’adjonction de deux matières qui, ensemble, acquièrent de nouvelles propriétés. On sous-entend plus largement par cette dénomination, dans le milieu professionnel, tous les matériaux qui ne sont pas proprement des textiles et qui convoquent des techniques particulières comme le moulage pour tirages, le thermoformage, le collage, etc. 3. REY, Alain (dir.), Dictionnaire historique de la langue française (1992), Paris, Le Robert, 2016, p. 571. 4. Malgré une intense recherche, nous n’avons trouvé aucune source antérieure utilisant le terme de « costumier » dans le sens considéré. En outre, une source fiable et contemporaine de ces écrits reconnaît Pierre-Nicolas Sarrazin comme l’inventeur de cette terminologie spécifique. À ce sujet et en ce qui concerne une analyse historique et sémantique des termes de « costume » et de « costumier », nous nous permettons de renvoyer à notre thèse de doctorat en cours, Les Costumiers, ces orfèvres d’un art dramaturgique sans nom. Assises, enjeux et perspectives d’un secteur professionnel méconnu, sous la direction de G. Jolly, arts du spectacle, études théâtrales, ACCRA, Université de Strasbourg.
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« Habit d’Erosine dans le Barbier de Séville » et « Nouvelle robe dite à la Longchamps », gravures issues de DUPIN, Nicolas, DESRAIS, Claude-Louis, Galerie des modes et des costumes français, dessinés d’après nature, Paris, Esnauts et Rapilly, 1778-1785.
la perspective et la géométrie appliquée10. Il a pour soucis premiers la quête d’élégance, le respect du mouvement et la recherche d’économie dans une tension perpétuelle entre exigence artistique et contingences matérielles. La réussite d’une telle articulation constitue, à ses yeux, la signature du « véritable Artiste11 ». Si l’on accepte la thèse d’un néologisme, « costumier » n’est pas dérivé de « costume », considéré comme un objet, mais du concept artistique importé d’Italie, Il Costûme12. « Costume » est un emprunt de luxe définissant initialement « le centre de la perfection de l’art13 », la « vraisemblance poétique de la Peinture14 », art noble dont le genre le plus élevé est la peinture d’histoire.
« Costume » est, lors de son introduction, un outil théorique permettant d’évaluer la qualité et la pertinence d’une œuvre picturale, sa convenance et sa précision diachronique, dont les vêtements ne sont qu’un des indicateurs. D’un vocable conceptuel, « costume » est pourtant devenu une pure matérialité : « On a fait perdre ainsi au mot sa signification primitive, et on le confond à tort avec les mots habit, habillement, vêtement15. » Or, cette transition sémantique n’est finalisée qu’au cours du XIXe siècle, et Pierre-Nicolas Sarrazin emploie dans ses écrits la formulation « habits de costume16 », insistant sur le sens érudit du terme lors de l’invention de la dénomination professionnelle de « costumier ».
5. SARRAZIN, Pierre-Nicolas, Journal des Beaux-arts et des sciences, dirigé par J.-L. Castilhon, Paris, Moutard, article IX, troisième supplément, 1774, p. 93-106. 6. Ibid., p. 96. 7. SARRAZIN, Pierre-Nicolas, Journal des sciences et des beaux-arts, dédié à Monseigneur le Comte d’Artois, dirigé par J.-L. Castilhon, Paris, Lacombe, t. IV, 1er octobre 1776, p. 74. 8. SARRAZIN, Pierre-Nicolas, Journal des Beaux-arts et des sciences, op. cit., 1774, p. 96. 9. Ibid., p. 98. 10. Ibid. 11. SARRAZIN, Pierre-Nicolas, Journal des Beaux-arts et des sciences, dirigé par J.-L. Castilhon, Paris, Moutard, article VI, premier supplément, 1775, p. 106. 12. FRÉART DE CHAMBRAY, Roland, Idée de la perfection de la peinture, Le Mans, Jacques Isambart, 1662, n. p. 13. Ibid. 14. JAUCOURT, Louis Chevalier de, « COSTUMÉ » dans DIDEROT, Denis, D’ALEMBERT, Jean le Rond (dir.), Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers par une société de gens de lettres, Paris, chez Briasson, David aîné, Lebreton et Durand, t. IV, 1754, p. 298-299. 15. COURTIN, Eustache, Encyclopédie moderne, ou Dictionnaire abrégé des sciences, des lettres et des arts, [1824-1832], Paris, Bureau de l’Encyclopédie, 26 vol., t. VIII, 1826, p. 543. 16. SARRAZIN, Pierre-Nicolas, Journal des sciences et des beaux-arts, op. cit., 1776, p. 73.
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Bijoux
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Bijoux d’Opéra MATHIAS AUCLAIR ET BENOÎT CAILMAIL
Que serait l’Opéra sans ses bijoux ? Dès l’Ancien Régime, les représentations lyriques à l’Opéra, et plus encore à la Cour, font l’objet du plus grand faste ; les (fausses) pierres précieuses qui ornent les décors et les costumes, ainsi que les bijoux et parures portés par les chanteurs, danseurs et figurants participent à l’étalage de luxe qui est attendu en de telles occasions1. Ce lien entre joaillerie et monde lyrique a survécu aux rois Bourbon et reste une sorte de lieu commun de l’univers de l’opéra, largement présent dans le roman comme dans la bande dessinée, de Marcel Proust, qui évoque « un directeur de théâtre » qui « dépensait des centaines de mille francs pour consteller de vraies émeraudes le trône où la diva jouait un rôle d’impératrice2 », à Hergé et aux bijoux de sa Castafiore. Au XIXe siècle, et particulièrement sous le Second Empire, le bijou devient même un sujet d’opéras ou de ballets, ou du moins un objet central de leur intrigue, comme en attestent le célèbre « air des bijoux » du Faust de Charles Gounod (1859), Les Pêcheurs de perles de Georges Bizet (1863) ou encore le ballet du Don Carlos de Giuseppe Verdi (1867) qui met en scène la découverte de La Pérégrina, l’une des perles les plus fameuses de l’Histoire qui fut montée en pendentif pour les reines d’Espagne et plus récemment pour Elizabeth Taylor. Hormis une aumônière3 et quelques petits peignes4, vestiges de spectacles de l’Opéra-Comique pendant la
période romantique, c’est justement au Second Empire que remonte la fabuleuse collection de bijoux de scène de l’Opéra de Paris. Elle est sans égale au monde : plus de 4 000 bijoux et plus de 1 600 exemplaires différents, pour la plupart antérieurs aux années 1930. L’un de ses noyaux est constitué par les bijoux réalisés pour la création de L’Africaine de Giacomo Meyerbeer, en 1865. Miraculée de l’histoire, elle a échappé en partie aux destructions et aux ventes qui ont dépecé la collection de costumes de ce même théâtre pour les périodes anciennes5. Fugitivement filmée par René Hervouin dans son documentaire, Une Journée à l’Opéra (1944), elle n’attire vraiment l’attention que lorsqu’il est question d’en remployer certains éléments pour réaliser les costumes des nouvelles productions de Boris Godounov (1984) et Robert le Diable (1985). Elle fait alors l’objet de mesures de protection. Valorisée lors de nombreuses expositions internationales par Martine Kahane et Danièle Fouache, elle est présentée au Palais Garnier, en 2004, à l’occasion d’une grande exposition intitulée « L’air des bijoux ». À la suite de l’exposition « Tragédiennes de l’Opéra », en 2011, qui en montre les plus belles pièces, elle est étudiée, récolée, dépoussiérée, conditionnée, inventoriée systématiquement et décrite dans le catalogue général de la Bibliothèque nationale de France6 par une équipe de titulaires et de stagiaires : Doriane Belletoile,
1. CHAOUCHE, Sabine, « L’économie du luxe : l’intendance des Menus Plaisirs du roi par Papillon de la Ferté (1756-1780) », Dix-huitième siècle, vol. XL, no 1, 2008, p. 395-412. 2. PROUST, Marcel, À la recherche du temps perdu. 6, La prisonnière (Sodome et Gomorrhe, III), Paris, Nouvelle revue française, 1923, p. 11. 3. Paris, BnF, Bibliothèque-musée de l’Opéra, Bijou 50. Aumonière pour Le Pré aux clercs (Opéra-Comique, 1832). 4. Paris, BnF, Bibliothèquemusée de l’Opéra, Bijoux 521 et 388. Peignes pour Le Pré aux clercs (Opéra-Comique, 1832) et Haydée (Opéra-Comique, 1847). 5. AUCLAIR, Mathias, « Les évolutions plastiques du costume de scène à l’Opéra au XXe siècle », dans L’Étoffe de la modernité : costumes du XXe siècle à l’Opéra de Paris, Paris, Opéra national de Paris, Bibliothèque nationale de France, 2012, p. 7. 6. <http://catalogue.bnf.fr>.
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Casque pour L’Africaine de Giacomo Meyerbeer, livret d’Eugène Scribe, costumes de Paul Lormier et Alfred Albert. Paris, Théâtre de l’Opéra-Le Peletier, 1865.
Maquette de costume pour le rôle d’une Javanaise dans La Burgonde de Paul Vidal. Mise en scène d’Alexandre Lapissida, costumes de Charles Bianchini. Opéra national de Paris / Palais Garnier, 1898.
Bustier pour Astarté de Xavier Leroux, livret de Louis de Gramont, costumes de Charles Bianchini. Paris, Théâtre national de l’Opéra, 1901.
Maquette pour Astarté de Xavier Leroux, livret de Louis de Gramont, costumes de Charles Bianchini. Paris, Théâtre national de l’Opéra, 1901.
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Une collection privée de bijoux de scène et de cinéma MAXIME JOURDAN
Créée en 2005, la Bijouterie du Spectacle a pour origine un sauvetage : celui des bijoux de scène de l’Odéon rachetés aux descendants de l’un de ses régisseurs, auquel se sont ajoutés très rapidement d’autres bijoux donnés par des amis comédiens. C’est ainsi qu’est née cette association culturelle, unique en France, qui s’est fixée comme but de sauver, de restaurer, de conserver et d’étudier l’histoire de ces fragiles accessoires que sont les bijoux de théâtre. Depuis lors, à la faveur de nombreux achats auprès de particuliers, de sociétés de production, de costumiers (Pontet, Christophe, Peignon, etc.), complétés par l’acquisition d’une partie du « trésor » de la SFP (Société française de production) et, en dernier lieu, de la société Regifilm, s’est constituée la plus grande collection privée de bijoux de scène française. Très rapidement s’est posée la question d’organiser ce rassemblement qui, tout étincelant qu’il était, n’en demeurait pas moins hétéroclite. En effet, au fil des acquisitions, les bijoux de théâtre ont fini par être dépassés en nombre par ceux réalisés pour le cinéma et la télévision. Les premiers, fragiles, massifs, colorés, spectaculaires, conçus pour être vus de loin, tranchaient avec les seconds, plus simples, plus banals, plus fonctionnels, choisis pour accessoiriser un personnage en costume historique. Le bijou de théâtre appartient essentiellement au passé, à un monde où les images de spectacle n’étaient pas encore captées et enregistrées, c’est-à-dire entre le XIXe siècle et le début du XXe siècle. Même si l’on continue de nos jours à réaliser des bijoux de théâtre, de façon occasionnelle, l’artisanat qui lui était entièrement consacré a totalement disparu vers 1955 (maison Boutillier héritière
des maisons Gutperle et Le Blanc-Granger). Quant au bijou de cinéma et de télévision, il n’a jamais été vraiment considéré en France comme le produit d’un art spécifique. Contrairement aux États-Unis, à l’Italie ou à l’Espagne où l’on a vu naître autour de lui des sociétés spécialisées. Il n’en est pas pour autant un objet insignifiant et mérite mieux que le rôle de simple accessoire qui lui est souvent dévolu. C’est donc en tenant compte de l’origine et de l’emploi des milliers de pièces qu’elle a accumulés que la Bijouterie du Spectacle a dû s’organiser. Une collection « historique » a été constituée, destinée principalement à conserver tous les bijoux de théâtre caractérisés par leur rareté et leur ancienneté. En l’état, ceux-ci sont seulement accessibles par le biais de photographies et d’expositions, sans exclure qu’ils puissent, un jour, être rassemblés dans un musée. En parallèle, il a semblé nécessaire de former une seconde collection, beaucoup plus étendue, dite de « Bijoux de spectacle ». Elle est composée de bijoux de cinéma et de télévision fabriqués au XXe siècle et couvrant, pour ce qui est de leur style, une vaste période allant de l’Antiquité jusqu’aux années 1960. Ces bijoux-là continuent à être utilisés. Régulièrement inventoriés, complétés, modifiés, remis en état, ils restent disponibles à la location. Qu’il ait été porté par de grands noms du théâtre ou de l’écran, par des seconds rôles ou même des figurants, le bijou de spectacle a une histoire à nous raconter. Celle d’hommes qui depuis des temps immémoriaux ont paru sur une scène, parés, maquillés, costumés, pour nous émerveiller et nous faire rêver l’espace d’une soirée.
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Parure de turquoises et perles de la soprano Marthe Nestopoulos (1894-1962), vers 1920-1930. Coll. Bijouterie du Spectacle.
Bustier et couronne de cantatrice (dÊbut XXe siècle). Coll. Bijouterie du Spectacle.
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Chapeaux
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Chapelier et modiste du spectacle SYLVIE PERAULT
Le chapeau Dans le monde de la mode lorsqu’on parle chapeau, on pense accessoire. Mais depuis la Seconde Guerre mondiale, où sortir « en cheveux » n’est plus signe d’opprobre, il n’est que peu ou prou présent sur nos têtes. Sur les planches ou à l’écran, le chapeau met en valeur n’importe quel visage et permet, dans ces milieux, d’accentuer un propos déjà entériné par le costume : fatigue, beauté, vieillesse, statut social… Il appartient parfois à des archétypes construits de toutes pièces – de Marlène Dietrich à Maurice Chevalier, de Charlie Chaplin à Humphrey Bogart – et devient alors un accessoire emblématique. Dans les siècles qui précédent le XXe siècle, le chapeau (terme générique1), qu’il soit féminin ou masculin, était obligatoire aussi les chapeliers se réunirent en corporation et leur travail fut assujetti à des règlements sous Henri III en 15782. Fabriquer un chapeau pour le théâtre et les spectacles n’est donc pas anodin dans le sens où la forme est un indicateur temporel fort en sus des différents messages qu’il porte. Cependant, que ce soit à la ville ou à la scène, le savoir-faire est genré : aux modistes la tête des femmes, aux chapeliers celui des hommes. Jacques Gencel descendant d’une dynastie de chapelier de spectacle l’explique fort bien :
« Mon arrière-grand-père a fondé la maison en 1877. Il était alors chapelier de ville. Il était compagnon du tour de France [...]. Il était passionné de théâtre et il avait constaté à chaque fois qu’il allait voir un spectacle, que les chapeaux d’hommes étaient faits par des modistes. À l’époque il n’y avait pas de chapelier de spectacle. La différence entre une modiste et un chapelier est la même qu’entre un tailleur et une couturière : ce n’est de toute façon pas la même façon de travailler. Une modiste travaillera plus dans le flou que nous. Nous ne sommes pas capables de faire ce que fait une modiste. Normalement cela vaut aussi dans l’autre sens, en tout cas à l’époque les modistes ne faisaient plus de chapeaux hommes. Bref, mon arrière-grand-père a commencé à prospecter les théâtres pour leur proposer ses services. Il a commencé en travaillant pour les deux parties ville et spectacle. Puis petit à petit l’un a pris le pied sur l’autre et il est devenu le spécialiste des chapeaux pour le spectacle. Il a été obligé de laisser la chapellerie de ville. Peu à peu il a fait fabriquer des formes et ainsi de suite3. » Jusqu’en 1995, date à laquelle M. Gencel prend sa retraite sans successeur, l’atelier indépendant4 et
1. On parle davantage de coiffe pour les dames. 2. FRANKLIN, Alfred, Dictionnaire des arts, métiers et professions exercés depuis le XIIIe siècle, Paris, H. Walter éditeur, 1906, réédition Godefroy Jean Cyrille, Paris, 2004. 3. Terrains successifs de 1994 à 2015 avec suivi des devenirs des savoir-faire et ateliers ; S. Perault pour le CERPCOS. 4. Hors des lieux nationaux qui ont leur propre atelier.
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incontournable va fournir l’ensemble des lieux de théâtre et spectacle, cirque et music-hall compris ainsi que le cinéma. Le déclin s’annonce lorsque les nouveaux réalisateurs proposent des films historiques sans chapeaux5 et des spectacles où le costume est réduit à sa plus simple expression. Pourtant le couvrechef oblige à une contenance autre qui conditionne la façon de marcher, de danser et de jouer. « Au théâtre, ce qu’il faut trouver c’est l’esprit des personnages que les comédiennes auront à interpréter. J’ai fait un chapeau pour Elvire Popesco dans La Mamma6. Le personnage était une brave Sicilienne qui allait à la messe le dimanche avec son chapeau qu’elle devait avoir depuis cinq ou six ans. » « J’ai trouvé de vieilles ailes de corbeaux jaunies et abîmées et j’ai fait un chapeau réussi parce qu’il était son chapeau, celui qu’elle avait pris dans son armoire pour aller à la messe. Un peu démodé, un peu sale, un peu verdi. C’était le chapeau de La Mamma. Elvire Popesco m’a dit : “Paulette, quand j’entrais en scène avec mon chapeau, c’était ma vérité ; sans lui je n’aurais pas pu.” 7 » Savoir-faire : l’atelier Gencel qui a vu trois générations de chapeliers pour le spectacle et le cinéma explique les différences qu’il y a entre la ville et le spectacle puisque le néophyte pense généralement que c’est la même chose. Avant de prendre la suite de son père, il était comédien : « J’ai joué dans 33 films et 8 pièces de théâtre, j’ai été artiste jusqu’à ce que je parte à l’armée.8 » Son père pensait qu’il allait continuer et il est surpris lorsque Jacques décide de prendre sa suite. « C’est mon père qui m’a appris le métier de chapelier et mon père, c’est son père qui lui a appris et ainsi de suite... Nous sommes dedans de père en fils. Je n’ai pas fait d’école de chapellerie, parce que de toute façon, la meilleure des écoles est ici. Je suis né ici, dans cet atelier, il y a une partie appartement derrière et mes parents habitaient là, j’ai donc toujours vécu
ici, j’ai toujours été là. Et ne pensez surtout pas que le chapelier de ville et le chapelier du spectacle ont le même type de travail, c’est absolument différent ! Lorsqu’un décorateur m’envoie une maquette, il va falloir que je cogite pour savoir comment je vais faire. Et puis c’est ça l’intérêt de ce métier pour chaque chapeau il y a une recette différente même si parfois je peux pratiquement travailler les yeux fermés9. » La différence s’est creusée puisque les modistes et chapeliers de ville n’ont pratiquement plus de travail sauf pour les cérémonies. Pour pouvoir répondre aux demandes, le chapelier utilise des formes en bois qui correspondent à un moment historique précis. On ne les trouvera pas dans le commerce. L’atelier Gencel possède environ 3000 formes : « Tout le matériel que j’ai, est du matériel familial. Il a été fait par mon arrière-grand-père, mon grand-père, mon père, moimême j’en ai fait faire10... » Il faut aussi savoir répondre aux étrangetés que dicte une pièce de théâtre, s’adapter aux nouveaux matériaux qui sont nombreux et revoir les tours de main pour s’y adapter. « Pour faire les chapeaux j’utilise principalement le feutre, le feutre est la base essentielle de nos fournitures, il y en a de différentes sortes par exemple le feutre poils, feutre mérinos, mais nous utilisons aussi tous les tissus, le carton, le plastique. En fait, il n’y a pas une matière qu’on n’utilise pas. Un jour j’ai même fait un chapeau avec une louche de cantine, c’était pour Jean le Poulain dans Le noir te va si bien. Il y avait un gag dans la pièce, il portait un chapeau melon et on lui tapait sur la tête avec un truc. Cela devait sonner comme une casserole. Alors, lorsque j’ai fait le rond du chapeau melon, il a fallu y inclure la louche de cantine. J’en avais trouvé une qui avait à peu près la grandeur de sa tête... C’est pour vous dire qu’on se sert vraiment de tout11. »
5. Une hérésie pour les gens du métier. 6. Pièce écrite par André Roussin et dont la célèbre comédienne avait le rôle titre. Jouée pour la première fois en 1957 au théâtre de la Madeleine à Paris. 7. Pauline Adam de la Bruyère, dite Paulette, surnommée « La reine des modistes et la modiste des reines ». Dans l’entre-deux guerres, elle coiffe les têtes couronnées puis travaille pour le théâtre et le cinéma (My Fair Lady et les somptueux chapeaux d’Audrey Hepburn par exemple). Propos recueillis par le groupe Tsé. Chapeau, perruque, costume, chaussure, accessoire, décor, Folies Bergère, Paris, Gallimard, 1973. 8., 9. et 10. Terrains successifs de 1994 à 2015 avec suivi des devenirs des savoir-faire et ateliers ; S. Perault pour le CERPCOS.
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Chaussures
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Bottier et cordonnier de théâtre DELPHINE PINASA
Souvent à peine remarquée lorsque l’artiste est en scène, la chaussure n’en est pas moins un élément capital du costume avec lequel elle doit être en harmonie. Au-delà de protéger le pied de l’artiste et de lui permettre des déplacements en toute sécurité sur le plateau, cet accessoire allie des exigences techniques liées aux différentes formes de spectacles à des choix artistiques induits par la mise en scène. En France, les théâtres n’ont pas pour habitude d’avoir des ateliers de fabrication de chaussures dans leurs murs. Cette création est généralement toujours sous-traitée à des fournisseurs extérieurs, aujourd’hui plutôt à l’étranger. Certains établissements disposent encore d’un cordonnier, chargé de trouver les chaussures du spectacle, de leur apporter les adaptations nécessaires à la mise en scène et d’en assurer l’entretien pendant et après les représentations. Si ce n’est pas le cas, ce travail est alors confié aux responsables de production, interlocuteurs directs du créateur des costumes ou aux ateliers de couture. Le terme de bottier, rattaché historiquement à la corporation des cordonniers, désigne l’artisan qui confectionne à la main et sur mesure bottes et chaussures. Aujourd’hui, la France ne compte plus qu’une trentaine de bottiers1, leur métier ayant beaucoup évolué au
cours du xxe siècle, tout comme le processus de fabrication des chaussures de ville. Au théâtre, ce métier qui concerne un accessoire pourtant indispensable à tout artiste entrant en scène a quasiment disparu, à l’exception de la maison Clairvoy à Paris, spécialisée dans le music-hall, de l’Opéra national du Rhin et de quelques bottiers occasionnels. Cet artisanat a pourtant été longtemps productif dans le secteur des activités théâtrales. La ComédieFrançaise conserve des chaussures historiques, portant le nom de la maison Bor, bottier depuis l’Empire2. La maison Galvin, ouverte en 1875 à Paris, a également fourni le monde du spectacle vivant, le cinéma et la télévision pendant plusieurs générations. Ce bottier de théâtre a maintenu son entreprise artisanale dans la famille jusqu’en 1988, avec à sa tête une lignée de femmes. Le personnel avait acquis un savoir-faire spécialisé et assurait toutes les étapes du travail, maquette, patron, teinture, coupe, montage et vente. Galvin fabriquait des chaussures sur mesure, parfois à partir de modèles authentiques conservés dans ses archives. L’une de ses spécialités était la teinture3 qui, grâce à un mélange de pigments, permettait d’obtenir le coloris exact souhaité par le théâtre. La location constituait également une grande partie de l’activité puisque le stock comprenait plus de 16 000 paires de chaussures4 de
1. Selon l’Institut national des métiers d’art, 2017. 2. Catalogue de vente aux enchères, Étude Thierry de Maigret, 18 avril 2008, p. 5. 3. LE GROUPE TSÉ, Chapeau, perruque, costume, chaussure, accessoire, décor, Folies-Bergère, Paris, Gallimard, 1973, p. 33-34.
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page précédente Chaussures pour Nini, pièce de Nini Marshall et Enrique Pinti. Mise en scène d’Alfredo Arias, costumes de Françoise Tournafond. Paris, Théâtre du Petit Montparnasse, 1995-1996. Coll. CNCS/don A. Arias.
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Chaussures de répertoire, maison Galvin. Coll. CNCS/ONP.
tous styles et de toutes époques : sandales, cothurnes, poulaines (ill. ci-dessus), mules, socques, souliers, bottes, modèles ethniques... En 1988, la maison Galvin est rachetée par Carlo Pompei, le spécialiste italien de la chaussure de scène. Cette société, fondée à Rome en 1932 et prestataire pour le théâtre, s’oriente rapidement vers le cinéma, nouvelle industrie en plein essor dans la capitale italienne depuis l’ouverture des studios Cinecitta en 1937. Après la Seconde Guerre mondiale, Pompei chausse toutes les distributions des grands tournages réalisés par des cinéastes comme Visconti et Fellini, puis des péplums américains, dont Cléopâtre, film de Joseph L. Mankiewicz en 1963. Quelques années plus tard, le bottier s’ouvre au marché international, implantant dans les années 1970 des succursales
à Londres, à Bruxelles, aux États-Unis. En rachetant le fonds de la maison Galvin, le chausseur italien s’installe à Paris, boulevard Bourdon, où il offre pendant près de deux décennies, un service de confection sur mesure et de location. Cette production parisienne a récemment cessé, au profit d’une réorganisation. Seule une unité de location est désormais proposée à partir des modèles entreposés au siège de l’atelier à Rome. Évalué à plus d’un million de chaussures5, ce stock est utilisé pour le cinéma, le théâtre, l’opéra, la publicité, les émissions et les séries télévisées. D’autres fournisseurs de chaussures se sont également spécialisés dans le spectacle. On peut citer la marque Cappezio et la famille Capobianco, bottier de père en fils pendant plusieurs générations. Ce fabricant, dont la
4. SADOWSKA-GUILLON, Irène, « La botte du comédien ou comment le spectacle se chausse-t-il ? », dans Actualité de la scénographie, no 33, 1987, p. 35-36. 5. Voir site internet : pompeishoes.it.
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Ennoblissement
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Ennoblissement et matièrage DELPHINE PINASA
L’ennoblissement désigne toutes les opérations apportées au textile afin d’enrichir (ou de modifier) son aspect initial et de lui donner une texture particulière. Dans le domaine de la haute couture, ces techniques relèvent de métiers d’art comme brodeur, teinturier, plisseur, gaufreur... mettant en œuvre des savoir-faire artisanaux. L’univers de la mode et de l’ameublement effectue ces transformations de façon mécanique ou chimique, à plus grande échelle, suivant des procédés industriels. Dans le spectacle vivant, les tissus sont rarement utilisés tels quels, d’autant plus depuis l’appauvrissement du marché textile ces dernières années. Trouver le bon tissu pour réaliser un costume est l’une des difficultés à laquelle sont confrontés les ateliers de couture. Les textiles sont le plus souvent soumis à des traitements de toute sorte, d’ennoblissement ou de « matièrage » afin d’obtenir l’effet souhaité par le décorateur. Celui-ci a en effet dessiné sur ses maquettes des éléments de la dramaturgie du spectacle que les costumes doivent retranscrire. Que ce soit pour des raisons esthétiques, pratiques, budgétaires, ou pour pallier la disparition de certaines matières ou de certains artisans fabricants, les ateliers de couture ont dû adapter leurs méthodes de fabrication et découvrir de nouveaux moyens décoratifs. L’ennoblissement est effectué au sein des ateliers de décoration sur costume,
quand ils existent dans les théâtres, par des artisans ou des décorateurs indépendants quand les ateliers n’ont pas ces compétences en interne1. Tous associent des méthodes traditionnelles à des pratiques nouvelles et technologiques suivant l’apparition ou la mise au point de nouveaux matériaux. C’est ainsi que pour le XXe siècle, on constate que chaque période est marquée par un style de décoration et des procédures particulières, de la recherche du réalisme et de vérité historique à la profusion baroque de décors en latex...
La broderie La broderie est une technique d’ornementation qui consiste à ajouter un décor plat ou en relief sur un tissu. Il existe de nombreuses variétés de broderies, mais le principe de base est le point, réalisé en fil, en soie, en laine, en coton, en métal ou autre, qui reste visible à la surface et qui forme le motif. Beaucoup d’autres matériaux peuvent agrémenter une broderie comme des perles, des paillettes, des rubans, du papier, du cuir, du métal, du plastique... Hormis au music-hall, où le brillant des strass et des paillettes est constitutif du costume de revue, ou bien encore dans l’univers du cirque, la broderie est assez peu pratiquée dans la confection de costumes
1. Les ateliers de décoration sont apparus dans certains théâtres à partir des années 1970. En parallèle, des ateliers de peintres décorateurs, comme Rotislav Doboujinsky, pratiquaient depuis plusieurs années ces techniques pour le compte de théâtres ou de compagnies.
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Travail de vaporisation sur costume dans l’atelier de décoration sur costume, Opéra national de Paris / Opéra Bastille.
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Masques
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Matières de masques JOËL HUTHWOHL
Associés aux fêtes de Cour ou à la Comédie-Italienne, les masques semblent avoir en grande partie disparu des scènes françaises au cours du XIXe siècle. Telle chanteuse pouvait certes pour les besoins d’un rôle en porter un, comme Mademoiselle Berthault dans Le Domino noir ou Mademoiselle Dorus dans Gustave III ou le Bal masqué, deux opéras de Scribe et Auber des années 18301, mais leur apparition ne va guère au-delà. Quand on considère le XXe siècle à l’inverse, la richesse des réflexions et des réalisations dans le domaine des masques apparaît clairement. Des théories d’Edward Gordon Craig, dont la revue The Mask paraît à partir de 1908, à la désignation en 2000 d’Erhard Stiefel, facteur de masques, comme maître d’art par le ministère de la Culture, c’est un renouveau considérable et diversifié qui marque l’histoire de cet art en France et parallèlement en Italie. Ariane Mnouchkine affirme que le masque est la « discipline de base » au Théâtre du Soleil. « Je crois, précise-t-elle, que le théâtre est un va-et-vient entre ce qui existe au plus profond de nous, au plus ignoré, et sa projection, son extériorisation maximale vers le public. Le masque requiert précisément cette intériorisation et cette extériorisation maximales2. » Le renouveau du masque est en effet intiment lié aux questionnements sur la formation et le jeu de l’acteur qui jalonnent tout
le siècle, à l’école du Vieux-Colombier sous l’égide de Jacques Copeau, dans les cours d’Étienne Decroux ou de Jacques Lecoq ou pendant les séances d’improvisation au Piccolo Teatro et au Théâtre du Soleil. Ceux qui fabriquent les masques dans ces écoles et compagnies n’imaginent pas travailler sans un dialogue nourri avec les metteurs en scène et les comédiens. Il ne faut donc pas perdre de vue cet échange indispensable et fécond entre ceux qui jouent et ceux qui réalisent les masques. Ces derniers sont à la fois des artisans, des « facteurs », à l’instar de ceux qui fabriquent des instruments de musique, et des artistes aussi, au même titre que des sculpteurs et des peintres. Le regain d’intérêt pour les masques au début du XXe siècle participe au mouvement global d’ouverture de l’avant-garde aux arts extraeuropéens, notamment aux arts africains. E.G. Craig, metteur en scène et penseur du théâtre, a ainsi constitué une collection de masques et de marionnettes en lien avec ses recherches théoriques sur la « surmarionnette ». Pour l’Exposition internationale de théâtre à Zurich en 1914, « toute l’exposition de la collection de Craig est placée sous le signe du masque3 ». Il possède des masques africains, balinais et chinois et s’intéresse aussi aux masques japonais comme à ceux de la Grèce antique. Les grands maîtres du masque ont la même fascination, qu’il
1. Eau-forte pour Le Domino noir, costume de Mlle Berthault (rôle de Brigitte), Paris, Martinet, 1837 ; eau-forte gravée par Louis Maleuvre pour Gustave III, costume de Mlle Dorus (rôle d’Oscar), Paris : Martinet, 1833. 2. MNOUCHKINE, Ariane, « Le masque : une discipline de base au théâtre du Soleil », Le Masque : du rite au théâtre. Études, sous la dir. de Odette Aslan et Denis Bablet, Paris, CNRS, 1985, p. 233. 3. BABLET, Denis, « D’Edward Gordon Craig au Bauhaus », Le Masque : du rite au théâtre, op. cit., p. 137.
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double page précédente Masque en résine thermoformée patinée bronze, service costumes, Opéra national de Lyon.
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Jean Dasté à Pernand-Vergelesses à l’époque des Copiaus, 1926. Coll. BnF-ASP.
Masque pour le rôle de l’Ombre de Darios dans Les Perses d’après Eschyle. Mise en scène de Maurice Jacquemont, masque de Jean Dasté, Groupe de Théâtre antique de la Sorbonne, cour d’honneur de la Sorbonne, 1936. Coll. BnF, ASP.
s’agisse des contacts d’Amleto Sartori avec le Théâtre impérial de Tokyo ou des voyages d’Erhard Stiefel à la rencontre du maître balinais Bougra. Il ne s’agit pas pour eux d’imiter, mais d’apprendre et de comprendre pour créer à leur tour, la condition étant de maîtriser les techniques de la sculpture pour les mettre ensuite en pratique. Ce n’était pas le cas de Craig ni de ceux qui, dans le sillage de Jacques Copeau, s’intéressèrent au masque sans être sculpteurs. C’est sans doute l’une des raisons de leur préférence pour le papier.
de son l’école prolongée par l’expérience du groupe des Copiaus, jeunes acteurs installés avec lui en Bourgogne, jusqu’en 1929. La pédagogie élaborée par Jacques Copeau, en étroite collaboration avec Suzanne Bing, passe par une revalorisation du corps dans le jeu. Outre l’éducation corporelle, l’enseignement comprend des exercices d’expression dramatique, dont le « masque noble », masque neutre dans ses traits comme dans ses expressions. C’est de ce foyer initial que sont sortis bon nombre d’artistes qui cultivent ensuite le jeu masqué : Jean Dasté et le mime Étienne Decroux, après lui, Jean-Louis Barrault, Marcel Marceau et son partenaire Pierre Verry… Léon Chancerel, l’un des Copiaus, pratique également le masque avec sa compagnie. À ses côtés, Henri Cordreaux est le
Papier La volonté de Jacques Copeau de rénover la scène théâtrale est passée non seulement par la création du Théâtre du Vieux-Colombier, mais aussi par celle
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Perruques Maquillage Prothèses
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Perruques, maquillage et prothèses DELPHINE PINASA
Perruques Désignés comme exerçant un métier d’art, les perruquiers posticheurs représentent aujourd’hui une dizaine d’ateliers privés1, qui perpétuent cette tradition en France. Seuls quelques-uns travaillent pour le spectacle vivant ou le cinéma, l’utilisation de perruques étant devenue de plus en plus rare sur scène. Cette tendance s’est accentuée avec la disparition progressive d’artisans depuis la fin des années 1980-1990. Jusqu’à cette date, les perruquiers bénéficiaient de commandes importantes grâce aux mises en scène plus fastueuses, que ce soit les grandes revues du music-hall, ou les productions lyriques, théâtrales et cinématographiques produites en France. Le métier de perruquier était alors souvent hérité d’une tradition familiale transmise de génération en génération. On peut citer parmi les ateliers les plus anciens, la maison Pontet fondée en 1830, fournisseur de l’Opéra de Paris, de la Comédie-Française et de nombreux autres théâtres2. Dès les années 1920, les Pontet élargissaient leur activité et ouvraient un atelier de fabrication de costumes destinés au cinéma. Ils habillèrent quantité de films célèbres (Napoléon, Si Versailles m’était conté3...). À ce jour, la plupart des théâtres ont réduit leurs emplois dans ce secteur. Ils disposent au mieux d’un
service coiffure, avec un personnel compétent capable de retravailler et d’adapter pour de nouvelles productions, les perruques conservées dans leurs stocks. En cas de demandes spécifiques par le créateur des costumes, des ateliers privés sont sollicités. Il s’agit d’artisans perruquiers, coiffeurs, maquilleurs qui proposent leurs savoir-faire aussi bien pour le théâtre que le cinéma, la télévision et la publicité. Les maisons d’opéras ont quant à elles intégré ces savoir-faire au sein de leurs départements costumes afin de satisfaire la demande toujours forte pour leurs spectacles. C’est ainsi que l’on compte encore des services perruques, coiffure-maquillage dans des institutions telles que l’Opéra national de Paris, l’Opéra national du Rhin, l’Opéra de Toulouse, l’Opéra de Nantes… qui sont parmi les derniers à disposer de personnels permanents spécialisés dans cet artisanat. En effet, dans leur grande majorité, les productions lyriques, et même les mises en scène contemporaines désormais largement répandues dans ce secteur, exigent que les artistes portent des perruques. L’opéra est le genre de spectacle vivant qui fait intervenir le plus grand nombre d’artistes ; à l’Opéra de Paris, la production peut rassembler plus de cent choristes, jusqu’à quatre-vingts figurants, auxquels il faut ajouter les solistes. À chaque costume correspond une
1. Selon l’Institut national des métiers d’art, 2017. 2. Le Centre national du costume de scène et la Bibliothèque nationale de France conservent des perruques de cette maison portées par quelques célèbres interprètes du spectacle vivant (Serge Lifar, Sacha Guitry). 3. DUFRESNE, Jean-Luc, « L’art du costume, un atelier, la maison Pontet », Mises en scène pour une révolution, cat. exp. [Grandville, musée Richard Anacréon, 30 juin – 16 octobre 1989], Grandville, musée Richard Anacréon, 1989.
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double page précédente Perruque montée sur carcasses, cheveux naturels implantés, style Vélasquez, fonds du service perruque de l’Opéra national de Paris /Opéra Bastille.
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Cabinet des perruques et coiffeurs, Comédie-Française, album Pasteur 26, 1885-1898.
Cardage des cheveux, atelier perruques de l’Opéra national de Paris / Opéra Bastille.
perruque, l’addition est vite faite. La fabrication est soumise à des délais très contraints, entre quatre à six semaines, pour un atelier qui gère plusieurs productions en même temps. Le métier a dû faire face aux évolutions récentes et notamment à l’arrivée de plus en plus tardive des artistes solistes, lors des toutes dernières répétitions, ce qui oblige une réactivité dans l’urgence. Récemment, c’est la qualité des captations filmées des spectacles qui a influencé le processus de fabrication. Ces films sont désormais tous réalisés dans une définition numérique proche de la qualité cinématographique, c’est-à-dire avec de gros plans. Afin d’être les moins visibles possible à l’écran, des tulles de plus en plus fins sont utilisés pour les perruques. Sur sa maquette, le créateur des costumes dessine avec plus ou moins de précisions les perruques, les coiffures et les maquillages. « Il y a toujours une interprétation à faire à partir de la maquette. Les maquettes dessinées par le décorateur ne sont en général pas précises. Il faut toujours les traduire. Nous proposons, alors, au décorateur une maquette construite4. » C’est principalement grâce au dialogue
avec le responsable des perruques que celui-ci saisit les orientations globales de la mise en scène, comprend l’évolution des personnages dans leur style, la période historique et les couleurs imaginées pour chaque artiste.
Cheveu ou poil ? Le matériau de base servant à réaliser une perruque est bien évidemment le cheveu. Les perruquiers travaillent à partir de cheveux humains ou synthétiques, de poils d’animaux, angora ou yack (bovidé du Tibet). D’autres matériaux (laine, raphia, fils…) peuvent aussi être utilisés pour des modèles plus fantaisistes. Le vrai cheveu permet d’obtenir une coiffure plus naturelle et plus souple, à la différence du cheveu synthétique, en polyamide ou polyester, dont la texture procure un rendu plus raide. Le yack vient suppléer les cheveux naturels, plus rares et plus chers, notamment pour les perruques de style XVIIe et XVIIIe siècles, réalisées dans des coloris blancs ou gris, difficiles à trouver en cheveux humains. D’une texture plus épaisse, il est souvent mélangé au cheveu naturel pour renforcer le volume de ces coiffures.
4. « Monsieur Guy Bertrand, Perruquier », LE GROUPE TSE, Chapeau, perruque, costume, chaussure, accessoire, décor, Folies-Bergère, Paris, Gallimard, 1973, p. 7.
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Plumes
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La plume SYLVIE PERAULT
Dans son dictionnaire Thrésor de la langue françoise, daté de 1606, Jean Nicot donne une définition de la plume qui rappelle son état en tant que matériau puis son utilisation. « Plume : C’est toute plume de volatille, combien que aucuns veulent appeler Penne, celle qui est de gros tuyau, et Plume celle qui l’est de court et gresle, et Duvet, la plus menuë molle et flouete. Les anciens François par ce mot, Plume, entendoyent celle qu’on porte aux bonnets, chappeaux, chanfrains des chevaux, et sur les pommes de lict de parement, ce que à present par un mot et prononciation foraine, on dit Pennache. » Cette note souligne d’emblée l’usage de la plume : elle est d’abord destinée aux couvre-chefs. En effet, l’histoire des plumassiers et des chapeliers est liée. Au XIIIe siècle déjà, les seigneurs portaient des chapeaux ornés de plumes de paon. La mode, importante, entraîne la naissance d’une corporation : les chapeliers de paon. Ils déposent leurs statuts au prévôt de Paris vers 12681, puis de cette corporation émerge celle des plumassiers-panachiers. On retrouve des écrits de leurs statuts en 1577 ainsi que des renouvellements et ajouts en 1599 et en 1699. Ils sont appelés « maîtres plumassiers-panachiers-bouquetiers et enjoliveurs ». On y trouve la déclaration suivante faite par le roi Louis XIV :
« Les maîtres plumassiers ont captivé la bienveillance des cœurs des plus grands de la terre par le travail de leurs mains. Ils ont découvert l’éminence des ajustemens de testes, les carrousels ne peuvent esclater sans l’application de leurs ornemenens et on trouveroit de la tristesse dans les pompes les plus magnifiques si les diversités de leurs préparatifs n’y estoient agréablement meslés2. » Dans le monde du théâtre et des spectacles, la plume appartient aux accessoires qui ont immédiatement participé à la construction du personnage. Le théâtre officiel en donne un illustre exemple : le Ballet royal de la nuit3 (1653), où Louis XIV est en scène dans son rôle de Roi-Soleil, annonce la place sans précédent de l’union du divertissement et de la politique. Le costume de scène est alors l’hybride du costume de Cour, lequel est accessoirisé pour la représentation donnée. Ainsi dans les Noces de Pélée et Thétis (1654), le comte de Saint-Aignan, magnifique chef des tenans4, portait un costume guerrier en harmonie rose et or : « Si sa cuirasse et son casque sont empruntés à la panoplie guerrière contemporaine, la rheingrave de brocart or et rose, les plumes, aigrettes, la cape et les bouffettes de rubans ornant les bottes sont pures fantaisies5. » Et la plume est l’un des accessoires qui grandit et magnifie le sujet. L’amour de Louis XIV pour les arts justifie
1. FRANKLIN, Alfred, Dictionnaire historique des arts, métiers et professions exercés à Paris depuis le XIVe siècle, Paris-Leipzig, 1906. LESPINASSE, René de, Les Métiers et corporations de la ville de Paris : le livre d’Étienne Boileau, Paris, Imprimerie nationale, coll. « Histoire générale de Paris », 1879. 2. DIDEROT Denis, et D’ALEMBERT, Jean le Rond, L’Encyclopédie. Art de l’habillement, [reprod. En fac-similé], Paris, Inter-livres-Bibliothèque de l’image, 2001, p. 48. 3. CHRISTOUT, Marie-Françoise, Le Ballet occidental, naissance et métamorphoses. XVIe– XXe siècle, Paris, Desjonquières, Paris, coll. « La mesure des choses », 1995. 4. Atelier H de Gissey. Institut, Ms. 1005, pl. 37, dans CHRISTOUT, Marie-Françoise, Le Ballet de cours au XVIIe siècle, Genève, Minkoff, 1987. 5. Le ballet…, op.cit., p.59.
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Gravure représentant un plumassier-panachier : le travail des plumes pour les racler et les friser, Encyclopédie, D. Diderot et J. R. d’Alembert, Arts de l’habillement, 1751-1772.
la création de la direction des spectacles de la cour, l’une des charges les plus importantes aux Menus Plaisirs6 sous le règne du Roi-Soleil, laquelle aurait institué la spécialisation de certains artisans dans des savoir-faire spécifiques. En 1661 avec la création de l’Académie royale de danse, puis en 1669 de l’Académie royale de musique, la danse se professionnalise. Costumes et mouvements sont totalement imbriqués puisque les premiers induisent la position et les possibilités corporelles des danseurs. Valérie Folliot7 explique : « Au XVIIIe siècle, les atours en plumes empanachent les ports de tête et induisent la raideur des nuques. De multiples coiffures à cimiers conditionnent autant l’allure des courtisans que celle des danseurs. L’élégance de la Cour dépend en effet des nouveautés de l’Opéra, mais réciproquement, ce qui séduit les Salons se retrouve à la scène. Les habits de bal déterminent les costumes de ballet. » Des artisans qui existent déjà grâce aux lettres patentes, naissent ceux qui vont travailler exclusivement pour la scène tels le sieur Roussard, plumassier du Roy qui tient un magasin de plumes pour balets et tragédies rue Saint-Honoré8. Tandis que d’autres continuent de jouer
Louis XIV dans le rôle du Soleil, Ballet royal de la nuit, anonyme, 1653, BnF.
sur deux tableaux et fournissent aussi bien la Cour et la ville que la scène. Monsieur Roussard est probablement l’ancêtre des plumassiers du spectacle, c’està-dire que le processus de fabrication va être induit par le rôle. Mais il n’est pas réellement tenu compte de ce que nous appelons aujourd’hui la scénographie. Au XVIIIe siècle, l’exagération domine « […] le signe se videra de sons sens et la seconde moitié du XVIIIe siècle tournera en ridicule la coiffure de tragédie9 » alors que l’abbé Lebeau de Schosne écrit en 1761 :
6. Les Menus Plaisirs formaient une branche importante de l’administration de la maison du Roi. En pratique, elle comprenait la préparation des décors et des costumes pour les ballets de Cour. 7. FOLLIOT, Valérie, « Le costume comme support d’inscription », article disponible en ligne <www. dansez.com/iufm/costume> et <danselab.free.fr/textes/lecostumecommesupportdinscription>. 8. DU PRADEL, Abraham, Livre commode des adresses de Paris, Paris, Veuve de D. Nion, 1692.9. VERDIER, Anne, L’Habit de théâtre, histoire et poétique de l’habit de théâtre en France au XVIIe siècle, Dijon, Lampsaque, coll. « le Studiolo-Essai », 2006 et SCHOSNE, abbé Lebeau de, Lettre à Crébillon sur les spectacles, Paris, Cailleau, 1761.
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Carcasses
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Le carcassier SYLVIE PERAULT
Dans le monde du théâtre, cette appellation a un sens différent que celui donné au savoir-faire. Il s’agit d’un écrivain de théâtre, qui, au XIXe siècle s’est spécialisé dans l’écriture de structures de pièces qu’on appelle aussi des carcasses. Dans le milieu de l’artisanat, il est associé à l’origine au travail des artisans bouchers. Au moment où la variété française vit son âge d’or dans la seconde moitié du XXe siècle, les gens du spectacle nomment la technique et posent son acte de naissance en l’incluant dans le jargon du métier. Ainsi, les quelques carcassiers qui existent ne sont pas reliés à une corporation ancienne. L’analyse sémantique évoque immédiatement leur fonction qui consiste en la fabrication de carcasses métalliques lesquelles vont servir d’armatures à des costumes et accessoires de spectacle. Ce sont des équivalents de squelettes dont le rôle est de donner et maintenir le volume de l’objet. Dans le monde des variétés et du music-hall, où ce savoir-faire est indispensable, il y a par exemple, les armatures de casques qui seront ensuite recouvertes de strass et autres faux bijoux, des gabrielles (ou « trucs en plumes ») qui une fois recouvertes de plumes donnent aux « girls » une allure irréelle, des structures de chapeaux, etc. Mais cette technique est également utilisée à une échelle moindre dans les milieux du théâtre et du cinéma. Peu nombreux, on distingue deux types de carcassiers : celui qui travaille le gigantesque, François Privat ; Michel Carel et Daniel Cendron qui
travaillent sur des formats moyens et petits et qui se définissent davantage comme sculpteur-plasticien ou sculpteur-décorateur, car ils ont plusieurs cordes à leurs arcs respectifs et travaillent d’autres matières en fonction des demandes. Par exemple, Daniel Cendron maîtrise toutes les résines de synthèse… La fonction du carcassier a réuni de nombreux petits métiers manuels, des « trucs » inventés par des techniciens ingénieux et bricoleurs lesquels étaient en mesure de répondre à un problème ponctuel au moment d’une représentation ou bien en amont, une fois que le « truc » a été validé sur scène. C’est ainsi que naissent tours de main et secrets de métier lorsqu’ils font leurs preuves, puis sont ensuite plébiscités par la profession. François Privat qui a succédé au vieux monsieur qui lui a enseigné le métier explique : « Il y a toujours eu des gars bricoleurs, mais cela s’est vraiment développé avec le music-hall. Ils ont commencé à créer des costumes de plus en plus énormes... J’ai regardé des vieux livres, si on est attentif, on s’aperçoit que c’est la vedette qui porte des choses énormes. Mistinguett par exemple, les filles autour n’avaient presque rien. Après ce fut la surenchère. Quand j’ai remplacé mon formateur qui avait quasiment inventé la fonction, je suis allé avec lui dans les trois ou quatre lieux principaux, nous avons été livrés des commandes ensemble. Je n’ai pas eu de problèmes d’intégration parce que
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Armures
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Armurerie de théâtre DELPHINE PINASA
Au théâtre, le terme d’armurerie désigne l’ensemble des éléments du stock d’armes et d’armures. Ces accessoires, très fréquemment utilisés dans les mises en scène, sont tributaires de contraintes majeures, liées au bruit de cliquetis du métal, à son poids et à l’encombrement qu’ils génèrent.
de pattes pour sa fixation avant l’essayage par l’artiste. Des cuirasses avec un aspect cuir sont encore fabriquées par les ateliers, grâce à une technique longue et délicate, qui nécessite de travailler le cuir avant de l’appliquer sur une forme.
Fausses armures et vrai savoir-faire
Fournisseurs d’armes, une spécialité en voie de disparition
Le théâtre s’est presque toujours efforcé de pallier ces difficultés par des adaptations et des substituts. Les cottes de mailles ne sont plus un assemblage d’anneaux de métal, mais un tricot de fil de laine ou de coton, patiné d’une peinture à effet métallique, décliné aussi bien pour la tunique que pour les jambières. Il existe aussi des fils ou des tissus en lurex imitant l’acier. Pour les cuirasses, on trouve dans les armureries des théâtres des modèles anciens, en métal, en cuir, ou encore confectionnés en cartonnage rigide peint, mais bien d’autres matériaux sont également employés pour faire illusion. Ils varient en fonction des ateliers et des effets recherchés, comme aussi en fonction de l’époque de leur fabrication. Le métal et le carton ont laissé place à des matériaux plus légers, tels que le plastique ou la résine. Désormais, c’est la technique du thermoformage qui est le plus souvent utilisée : à partir d’un moule en terre, on tire un positif en plâtre sur lequel est réalisé un moulage à chaud par une thermoformeuse. Ce tirage est alors découpé, ajusté, peint, patiné, décoré, équipé de sangles, de boucles et
Les archives de la Comédie-Française et de l’Opéra de Paris conservent les comptes et les factures des fournisseurs d’armes. Parmi ceux-ci, la maison Hallé procurait dès le milieu du XVIIIe et pour une partie du XIXe siècle, des casques et des masques en carton pour les Menus Plaisirs et les théâtres1. Puis, au XIXe siècle, les mises en scène, soucieuses de réalisme et de reconstitutions historiques, ont cherché à reproduire avec détails et minutie, les armures de combat ou de parade qui seraient portées sur scène. Elles sont alors réalisées en métal, par des artisans spécialisés, suivant les commandes des théâtres ou de certains artistes qui se procuraient leurs propres armes. La Comédie-Française, comme tout théâtre historique, conserve une armurerie dont certaines des pièces les plus anciennes sont déposées au CNCS (ill. p. 147 et 157). On trouve encore des factures d’armuriers jusque dans les années 1960, avec la maison Cassegrain, fournisseur d’armes et de bijoux. Aujourd’hui, il reste quelques rares fournisseurs, en France, principalement
1. BAPST, Germain , Essai sur l’histoire du théâtre : la mise en scène, le décor, le costume, l’éclairage, l’hygiène, Paris, Hachette, 1893, p. 641.
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double page précédente Cuirasse en drap rouge garnie d’écailles en métal pour un garde d’Egée dans Médée, de Catulle Mendès, costumes de Désiré Chaineux, Comédie-Française, 1903. Coll. CNCS/Comédie-Française.
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Épées de l’armurerie de l’Opéra national de Paris / Opéra Bastille, service accessoires.
la maison Maratier, située en région parisienne et dont le stock alimente surtout le cinéma. L’armurier ne se borne pas aux armes blanches, il conçoit et confectionne aussi les armes à feu. Saint-Étienne reste la ville historique de fabrication des armes, même si les manufactures ont aujourd’hui disparu. On compte encore une dizaine d’artisans armuriers en France, c’est un métier reconnu et valorisé par le ministère de la Culture et l’Institut national des métiers d’art.
Un patrimoine unique dans les sous-sols de l’Opéra Bastille L’armurerie de l’Opéra de Paris, installée dans les sous-sols de l’Opéra Bastille, fait figure de caverne d’Ali Baba ! Ne réunissant pas moins de 10 000 éléments, elle comprend : épées, sabres, arbalètes, fusils, pistolets, glaives, poignards, lances, hallebardes… et tout ce qui constitue une armure, à savoir casques, armures, cottes de mailles, jambières, gantelets, boucliers... Toutes les pièces ont été adaptées
pour le confort et la sécurité des artistes. L’armurerie s’est formée au fil des spectacles, essentiellement lyriques, donnés sur la scène de l’Opéra depuis l’ouverture du Palais Garnier en 1875. C’est en effet le fonds d’armures de ce théâtre qui a été transféré à l’Opéra Bastille, lors de son ouverture en 1989, pour réunir un ensemble unique et exceptionnel. Le vocabulaire nous le rappelle, le terme d’armurerie désigne toujours aujourd’hui au Palais Garnier l’ancien magasin qui stockait les armures, à côté de la salle des hallebardes, au bout du couloir du 4e étage. Au début du siècle déjà, cette armurerie était comparée à celle d’un véritable musée comme celui des Invalides2. Aujourd’hui, toutes les pièces sont inventoriées et numérisées, permettant aux accessoiristes de répondre très précisément aux demandes des metteurs en scène, costumiers et décorateurs. Le service Accessoires de l’Opéra de Paris continue de fabriquer à partir de moulages et de sculpture les pièces qui n’existent pas dans son stock.
2. GENEST, Émile, « Les armures », L’Opéra, Connu et inconnu, Paris, E. de Boccard, 1920, p. 101.
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Armurier du spectacle SYLVIE PERAULT
Il semble que l’arme soit un accessoire que l’humanité connaisse depuis toujours. Aussi, lorsqu’il s’agit de tourner un film ou de monter une pièce, elle va faire partie intégrante du costume et de ses accessoires, dans le sens où le corps est entièrement concerné. En effet, comédiennes et comédiens adaptent allure et maintien en fonction du geste. Un bretteur aura donc un costume adapté à l’action à produire. Pour les combats d’épées, aussi surnommés « escrime artistique », il s’agit d’une véritable chorégraphie basée sur des positions connues et nécessitant une doublure spécialisée. Cependant, c’est surtout le cinéma et la télévision qui vont d’abord faire appel à l’armurier pour des raisons d’usages : pendant longtemps il fut interdit d’avoir des armes en scène afin de ne pas en faire l’apologie, la « manie » du duel pour outrage quelconque ayant privé de vie de nombreux jeunes gens de la haute société. En révisant nos classiques de théâtre, on s’aperçoit que l’on raconte les combats a posteriori, la règle des trois unités étant passée par là. Si armes il y a, c’est-à-dire épées, poignards, etc., ils restent dans leur fourreau hormis pour la commedia dell’arte en raison de ses origines italiennes. La formation des comédiens va longtemps inclure l’apprentissage de l’épée dans les différentes connaissances recommandées, au conservatoire de la rue Blanche par exemple où elle a été successivement enseignée par les maîtres d’armes, maître Gardère et maître Heddle-Roboth. Les Buttes-Chaumont du temps de l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française) puis de la SFP
(Société française de production) avaient un armurier spécialisé. Cependant, c’est le seul métier où l’on fabrique peu sur place, mais où l’on va être capable d’habiller et armer des soldats de l’Antiquité à l’époque contemporaine. Dans un stock d’armuriers, il y aura donc naturellement des armes, ainsi que des casques, des armures, des boucliers, tout ce qui convient au guerrier. Les armes qui peuvent être factices ou réelles sont modifiées en fonction des demandes des productions. Les armes contemporaines sont souvent réelles et lorsqu’elles sont acquises, il faut les transformer pour les rendre inoffensives et qu’elles ne tirent plus qu’à blanc. Le travail de l’armurier est donc multiple : en sus d’une excellente connaissance historique, il fournit non seulement l’arme, mais aussi tout le matériel qui correspond à l’armement que ce soit pour un soldat napoléonien ou un poilu de 14-18. De plus, l’entretien et la vérification du matériel au retour d’un tournage sont un travail régulier. Le stock de l’ORTF qui deviendra SFP puis France Costumes s’est construit sur des rachats et des fabrications qui répondent au développement de la télévision française avant sa privatisation. C’est le succès des feuilletons dans les années 1960-1970 et les nombreux téléfilms qui vont justifier l’existence de cet espace étonnant. Jean-Pierre Hareng, l’armurier principal, est entré « par hasard » à la SFP en livrant des armes qui venaient d’être révisées chez un armurier de ville. Il avait fini il y a peu sa formation à l’école de Saint-Étienne, unique lieu de formation français :
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Une armure à l’Armurerie France Costumes.
Casques de l’Armurerie France Costumes.
Le stockage à l’Armurerie France Costumes.
Jean-Pierre Hareng terminant une armure à l’Armurerie France Costumes (ancienne Société Française de Productions).
« Quand je suis arrivé, j’ai été étonné de tout ce qu’il y avait, toutes les époques… Et puis ils m’ont dit qu’ils cherchaient quelqu’un depuis cinq ans car l’ancien armurier était parti à la retraite ! Je n’en croyais pas mes oreilles ! On devait être un jeudi, j’ai embauché le lundi pour un essai je ne suis jamais parti. » Face à eux, l’entreprise Maratier fournit les longs-métrages depuis plusieurs générations. En sus des activités déjà citées, ils vont aussi être conseiller plateau et/ou conseiller sécurité afin que le maniement des armes soit fait
correctement. Le métier d’artificier ou spécialiste de l’explosion est aussi l’un de leurs domaines. Lorsque la SFP a été dissoute pour devenir France Costumes, les armes ont été acquises en grande partie par la maison Maratier et Jean-Pierre Hareng a intégré l’équipe. Les armuriers du spectacle sont peu nombreux, car très contrôlés par différentes instances gouvernementales (direction générale de l’armement, police, gendarmerie) qui fournissent des agréments et effectuent les contrôles. CinéRégie est le petit dernier.
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