Balenciaga. Magicien de la dentelle - Master of Lace (extrait)

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Cet ouvrage accompagne l’exposition « Balenciaga, magicien de la dentelle », créée et présentée à la Cité de la Dentelle et de la Mode à Calais du 17 avril au 30 août 2015. Ouvrage publié sous la direction de Catherine Join-Diéterle, Shazia Boucher et Anne-Claire Laronde, ainsi que Somogy éditions d’art. This catalogue accompanies the exhibition “Balenciaga, Master of Lace”, created and presented at the Cité de la Dentelle et de la Mode in Calais from 18 April to 31 August 2015. Work published under the direction of Catherine Join-Diéterle, Shazia Boucher, Anne-Claire Laronde and Somogy Editions d’Art.

Directeur éditorial / Editorial Director Nicolas Neumann Responsable éditoriale / Editorial Manager Stéphanie Méséguer Coordination et suivi éditorial Editorial Coordination and Monitoring Sarah Houssin-Dreyfuss Conception graphique / Graphic Design Florine Synoradzki Contribution éditoriale pour le français Editorial Contribution in French Anne-Sophie Gache, Anne-Marie Valet Contribution éditoriale pour l’anglais Editorial Contribution in English Natasha Edwards Fabrication / Production Michel Brousset, Béatrice Bourgerie, Mélanie Le Gros

Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite ou cédée, sous quelque forme que ce soit, ou par n’importe quel moyen que ce soit (électronique, mécanique ou autre), sans l’autorisation écrite des ayants droit et de l’éditeur. L’éditeur est à la disposition des éventuels ayants droit qu’il n’a pas été possible de retrouver. No part of this work may be reproduced or assigned, in any form whatsoever, or by any means whatsoever (electronic, mechanical or other) without the written permission of the copyright owners and the editor. The editor may be contacted by any copyright owners who it has not been possible to find.

© Somogy éditions d’art, Paris, 2015 © Cité de la Dentelle et de la Mode, Calais, 2015 ISBN : 978-2-7572-0913-4 — Dépôt légal : avril 2015 / Registration of copyright: April 2015 — Imprimé en Italie / Printed in Italy


BALENCIAGA Magicien de la dentelle Master of Lace


Cette manifestation est organisée par la Ville de Calais. Elle a bénéficié du soutien de la Direction régionale des Affaires culturelles du Nord–Pas-de-Calais (ministère de la Culture et de la Communication), du Conseil régional du Nord–Pas-deCalais, du Conseil général du Pas-de-Calais et de l’association TRAME – Dentelle. Exposition coproduite avec la Fundación Cristóbal Balenciaga Fundazioa, Getaria, Espagne. Sous le haut patronage de M. Hubert de Givenchy, cette exposition a fait l’objet d’une demande de label d’exposition d’intérêt national auprès du Ministère de la Culture (France). Commissariat scientifique Catherine Join-Diéterle conservatrice générale honoraire du patrimoine Commissariat général Anne-Claire Laronde conservatrice du patrimoine, directrice de la Cité de la Dentelle et de la Mode Shazia Boucher attachée de conservation, directrice adjointe à la conservation, Cité de la Dentelle et de la Mode Recherches et suivis iconographiques Anthony Cadet, Sylvie Brismalin, Charlène Guégan Cité de la Dentelle et de la Mode Emmanuelle Beuvin, Éric Pujalet-Plat musée des Arts décoratifs Jacqueline Dumaine, Nathalie Gourseau, Dominique Revellino, Sylvie Roy palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris Mannequinage Aurélie Artélésa, Peggy Charles, Pierre Charles Cité de la Dentelle et de la Mode Igor Uria Zubizarreta, Dolores Sacristán Cristóbal Balenciaga Museo Joséphine Pellas, Myriam Teissier musée des Arts décoratifs Charlotte Piot, Joanna Barreau palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris Traduction Cabinet Hanckock Hutton, Bordeaux

This event is organised by the City of Calais. It has received support from the Nord–Pas-de-Calais Regional Department for Cultural Affairs (Ministry of Culture and Communication), and the Nord–Pas-de-Calais Regional Council, the Pas-de-Calais Departmental Council and the TRAME – Dentelle association. Exhibition co-produced with the Fundación Cristóbal Balenciaga Fundazioa, Getaria, Spain. This exhibition, under the high patronage of Mr Hubert de Givenchy, has submitted an application to the French Ministry of Culture to receive the label “Exhibition of National Interest”. Scientific Curatorship Catherine Join-Diéterle Honorary General Heritage Curator General Curatorship Anne-Claire Laronde Heritage Curator and Director of the Cité de la Dentelle et de la Mode Shazia Boucher Assistant Curator and Deputy Director of Conservation, Cité de la Dentelle et de la Mode Iconographical Research Anthony Cadet, Sylvie Brismalin, Charlène Guégan Cité de la Dentelle et de la Mode Emmanuelle Beuvin, Eric Pujalet-Plat Musée des Arts Décoratifs Jacqueline Dumaine, Nathalie Gourseau, Dominique Revellino, Sylvie Roy Palais Galliera, Musée de la Mode de la Ville de Paris Models Aurélie Artélésa, Peggy Charles, Pierre Charles Cité de la Dentelle et de la Mode Igor Uria Zubizarreta, Dolores Sacristán Cristóbal Balenciaga Museo Joséphine Pellas, Myriam Teissier Musée des Arts Décoratifs Charlotte Piot, Joanna Barreau Palais Galliera, Musée de la Mode de la Ville de Paris Translation Hancock Hutton Language Services, Bordeaux


Nous exprimons toute notre reconnaissance à M. Hubert de Givenchy qui est à l’origine du projet et qui l’a accompagné avec générosité et bienveillance. Disciple et ami de Cristóbal Balenciaga, M. Hubert de Givenchy nous a apporté son témoignage sur de nombreux aspects du travail du maître.

We would like to extend our heartfelt thanks to Mr Hubert de Givenchy, who initiated the project and has supported it with generosity and goodwill. As a disciple and friend of Cristóbal Balenciaga, Mr Hubert de Givenchy has given us the benefit of his knowledge of many aspects of the master’s work.

Nous souhaitons remercier toute l’équipe de la Fundación Cristóbal Balenciaga Fundazioa, et particulièrement M. Joxean Muñoz, président, qui a répondu favorablement à notre proposition de coproduction d’une exposition sur Balenciaga et la dentelle. Notre gratitude va également à Mme Miren Vivez Almandoz, directrice, et M. Igor Uria Zubizarreta, responsable des collections au Cristóbal Balenciaga Museo, pour leur collaboration précieuse tout au long du projet. Cette exposition a aussi été rendue possible grâce au prêt exceptionnel de quelque 40 tenues, accessoires et documents accordé par le Cristóbal Balenciaga Museo.

We would like to thank all the team at the Fundación Cristóbal Balenciaga Fundazioa and in particular Mr Joxean Muñoz, the President, who responded positively to our proposal to coproduce an exhibition devoted to Balenciaga and lace. Our gratitude also goes to Mrs Miren Vivez Almandoz, Director, and Mr Igor Uria Zubizarreta, Manager of the collections at the Cristóbal Balenciaga Museo, for their valuable collaboration throughout the project. This exhibition was also made possible thanks to the exceptional loan of around 40 outfits, accessories and documents by the Cristóbal Balenciaga Museo.

Nous tenons à souligner l’aide exceptionnelle des Archives Balenciaga, Paris qui a suivi ce projet avec intérêt et qui a facilité le prêt conséquent de costumes, accessoires, photographies, dessins et documents. Que MM. Gaël Mamine et Gaspard de Massé, des Archives Balenciaga, Paris, acceptent le témoignage de notre reconnaissance pour leurs conseils avisés, leur disponibilité et leur amabilité. Nos remerciements vont également au musée des Arts décoratifs, à M. Olivier Gabet, directeur, à Mme Paméla Golbin, conservatrice ; au palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris, à M. Ollivier Saillard, directeur, à Mme Véronique Belloir, conservatrice ; à Lesage Paris, à Mme Caroline Le Borgne, directrice générale, à M. Hubert Barrère, directeur artistique ; à la Fédération française des Dentelles et Broderies, à Mme Lydia Grandjean, déléguée générale. Nous remercions aussi M. Hubert de Givenchy, M. Didier Ludot et Mme Carmen Iturralde pour leurs généreux prêts. Nous y associons les équipes de la Cité de la Dentelle et de la Mode, le service patrimoine de la médiathèque et les archives municipales de la Ville de Calais, les sociétés Codentel et Sophie Hallette/ Riechers Marescot. Sophie Hallette et Riechers Marescot sont des marques de la maison Sophie Hallette.

We would like to draw attention to the exceptional assistance provided by the Balenciaga Archives in Paris, who have followed this project with interest and facilitated the substantial loan of costumes, accessories, photographs, drawings and documents. We hope that Gaël Mamine and Gaspar de Massé, of the Balenciaga Archives in Paris, will accept our gratitude for their expert advice, availability and kindness. Our thanks also go to the Musée des Arts Décoratifs, to Mr Olivier Gabet, Director, to Mrs Paméla Golbin, Curator; to the Palais Galliera, Musée de la Mode de la Ville de Paris, to Mr Ollivier Saillard, Director, to Mrs Véronique Belloir, Curator; to Lesage Paris, to Mrs Caroline Le Borgne, General Director, to Mr Hubert Barrère, Artistic Director; to the Fédération Française des Dentelles et Broderies, to Mrs Lydia Grandjean, General Delegate. We would also like to thank Mr Hubert de Givenchy, Mr Didier Ludot and Mrs Carmen Iturralde for their generous loans. We would like to include in this the teams at the Cité de la Dentelle et de la Mode, the Media Library Heritage Department and the Municipal Archives of the City of Calais, the lace companies Codentel and Sophie Hallette/Riechers Marescot. Sophie Hallette and Riechers Marescot are brands of the Sophie Hallette company.



La Cité de la Dentelle et de la Mode, lieu vivant s’il en est, dévoile ses intentions dans son nom même : rendre compte des liens qui unissent la dentelle et la mode, par-delà nos frontières. Le nom de Balenciaga, parce qu’il est tout autant celui d’une grande figure que celui d’une célèbre maison de couture entrée au panthéon de la mode, évoque tout à la fois la sophistication, la sobriété et le raffinement. La dentelle de Calais dans laquelle ont été réalisées nombre des créations du couturier espagnol est aussi synonyme de savoir-faire, d’inventivité et de qualité, caractéristiques du luxe français. Aussi cet ouvrage, en rappelant l’union de ces deux prestigieux fleurons, rend-il un bel hommage au dynamisme de l’industrie de la mode en Europe, d’hier à aujourd’hui. Natacha Bouchart Maire de Calais Sénateur du Pas-de-Calais

Cat. 54 – Détail de dentelle à motif de digitales de la maison Dognin, pour une robe du soir, 1951.

The Cité de la Dentelle et de la Mode, a vibrant place if ever there was one, reveals its intentions in its very name: to highlight the connections that unite lace and fashion beyond our borders. The name of Balenciaga, that of a great figure as well as of a famous couture house which has entered the pantheon of fashion, is simultaneously evocative of the qualities of sophistication, sobriety and refinement. Calais lace, which was used in many of the Spanish couturier’s creations, is also synonymous with expertise, inventiveness and quality, all characteristics of French luxury. So this work, by recalling the union between these two prestigious icons, pays great homage to the dynamism of the fashion industry in Europe, from yesterday to today. Natacha Bouchart Mayor of Calais Senator for Pas-de-Calais

Cat. 54 – Detail of lace with a foxglove motif, created by the company Dognin, for an evening dress from 1951.



AVANT-PROPOS FOREWORD

La Cité de la Dentelle et de la Mode de Calais est un lieu pluriel : on y expose aussi bien la préservation d’un savoirfaire vivant – le tissage de la dentelle mécanique –, que la vivacité de la filière industrielle contemporaine et ce qu’apporte la jeune création. À Calais, visiteurs et entreprises bénéficient d’espaces de rencontres, d’expérimentations et d’expositions qui font connaître les applications des innovations dans le domaine de la dentelle, dans la technologie comme dans la mode.

The Cité de la Dentelle et de la Mode in Calais is a multifaceted institution: here, the preservation of a living expertise is exhibited – the mechanical weaving of lace – as well as the vibrancy of the contemporary industrial sector and the contribution of young designers. In Calais, visitors and businesses have access to areas for encounters, experimentations and exhibitions, which spread knowledge about innovations in the field of lace, in both technology and fashion.

Les expositions organisées par la Cité de la Dentelle et de la Mode reflètent donc cette dualité qui caractérise depuis deux siècles la dentelle de Calais, issue d’un savoir-faire technologique complexe, porté par la puissance créative de nombreux artistes de la mode. L’exposition « Balenciaga, magicien de la dentelle » montre combien l’un des grands maîtres de la couture européenne a su inventer de nouvelles manières d’utiliser la dentelle, en magnifiant, notamment, sa transparence.

The exhibitions organised by the Cité de la Dentelle et de la Mode reflect this duality that has characterised Calais lace for two centuries, the result of complex technological expertise, supported by the creative power of many artists from the fashion world. The exhibition “Balenciaga, Master of Lace” shows how one of the great masters of European couture was able to invent new ways of using lace, by, in particular, celebrating its transparency.

Comme le donne à comprendre Catherine Join-Diéterle, commissaire de cette exposition, c’est la modernité de Cristóbal Balenciaga qui y est soulignée. Or, tout au long de sa carrière parisienne, il s’est appuyé sur le dynamisme de la filière des fabricants de dentelle de Calais. La modernité du maître espagnol est encore vivante, car elle continue d’influencer la création contemporaine ; tandis que la créativité du secteur dentellier n’a jamais été aussi vive.

Anne-Claire Laronde Conservatrice-directrice Cité de la Dentelle et de la Mode

Cat. 2 – Détail de superposition de dentelles sur cet ensemble robe et veste du soir, v. 1938.

As Catherine Join-Diéterle, the curator of this exhibition, explains, it is Cristóbal Balenciaga’s modernity that is highlighted. Throughout his career in Paris, he relied on the dynamism of the lace-manufacturing industry in Calais. The Spanish master’s modernity is still alive, as it continues to influence contemporary design, while the creativity of the lace sector has never been so vibrant.

Anne-Claire Laronde Curator-director Cité de la Dentelle et de la Mode

Cat. 2 – Detail of superpositions of lace for evening dress and jacket set, c. 1938.



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PRÉFACE PREFACE Hubert de Givenchy

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L’EMPIRE DE CRISTÓBAL BALENCIAGA CRISTÓBAL BALENCIAGA’S EMPIRE Catherine Join-Diéterle

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LA DENTELLE À CALAIS DE 1930 À 1970, REPÈRES HISTORIQUES CALAIS LACE FROM 1930 TO 1970, HISTORICAL LANDMARKS Sophie Henwood-Nivet

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CRISTÓBAL BALENCIAGA ET L’ESPAGNE, LE NOIR ET LA DENTELLE EN HÉRITAGE CRISTÓBAL BALENCIAGA AND SPAIN, A HERITAGE OF BLACK AND LACE Amalia Descalzo

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BALENCIAGA ET LA DENTELLE BALENCIAGA AND LACE Catherine Join-Diéterle

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LA MODE PARISIENNE DE BALENCIAGA, REPÈRES CHRONOLOGIQUES BALENCIAGA’S PARISIAN FASHION, A TIMELINE

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NOTICES DES ŒUVRES EXPOSÉES CAPTIONS OF THE ITEMS EXHIBITED

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BIBLIOGRAPHIE BIBLIOGRAPHY

Cat. 19 – Détail de la dentelle marron et vieil or du manteau de cocktail, 1962.

Cat. 19 – Detail of the brown and old-gold lace from the cocktail coat, 1962.



PRÉFACE PREFACE Hubert de Givenchy

Connu pour ses merveilleux tailleurs et manteaux de si belle construction, Cristóbal Balenciaga fut aussi le maître incontesté de ravissantes robes en dentelle. La technique, la légèreté, la simplicité qui s’y déployaient font toujours rêver. Ces volants si légers, ces incrustations presque invisibles sublimaient la dentelle et lui ont donné ses lettres de noblesse. Que ce soit avec la guipure, plus lourde mais au dessin plus graphique, ou avec le tulle vaporeux ou la dentelle Chantilly si légère, Balenciaga a traité chacune de ses robes avec un talent extraordinaire. Lors de mon premier voyage à Calais, j’ai découvert la Cité de la Dentelle, merveilleux musée, mais aussi ces machines impressionnantes qui fabriquent cette étoffe arachnéenne aux motifs raffinés. Quelle ne fut pas ma surprise de voir sortir de ces inimaginables blocs d’acier des dentelles, fragiles et délicates, aujourd’hui encore indispensables à la mode. L’exposition réalisée avec brio par Catherine Join-Diéterle fait découvrir la grâce des créations de Cristóbal Balenciaga, magicien et enchanteur de la beauté féminine.

Famous for his superb, beautifully constructed suits and coats, Cristóbal Balenciaga was also an undisputed master in the creation of stunning lace dresses. The technique, lightness and simplicity they displayed always took your breath away. Those ever-so-light ruffles and almost-invisible inlays enhanced the lace and gave it distinction. Whether working with guipure, heavier but with more graphic contours, with diaphanous tulle or very light Chantilly lace, Balenciaga applied his extraordinary talent to each one of his dresses. During my first journey to Calais, I discovered the Cité de la Dentelle, a wonderful museum, as well as the impressive machines that produce this gossamer-like material with its elegant patterns. How surprised I was to see fragile and delicate lace, still a fashion essential today, emerging from those indescribable blocks of steel. The exhibition, masterfully produced by Catherine JoinDiéterle, reveals the grace of Cristóbal Balenciaga’s creations, a magician and enchanter in the field of feminine beauty.

Cristóbal Balenciaga, Paris, photo de Boris Lipnitzki, 1927.

Cristóbal Balenciaga, Paris, photo by Boris Lipnitzki, 1927.



L’EMPIRE DE CRISTÓBAL BALENCIAGA CRISTÓBAL BALENCIAGA’S EMPIRE Catherine Join-Diéterle

Quand Cristóbal Balenciaga présente sa première collection à Paris en 1937, c’est un couturier confirmé que découvrent les Parisiennes et la presse occidentale. Ayant déjà créé plusieurs établissements de couture en Espagne, il est bien armé pour débuter à Paris une carrière internationale.

When Cristóbal Balenciaga presented his first collection in Paris in 1937, Parisians and the Western press discovered a confirmed couturier. Having already created several couture establishments in Spain, he was well prepared to begin an international career in Paris.

L’appel de la mode C’est grâce à sa mère, Martina Eizaguirre Embil1, que Cristóbal Balenciaga, dès son plus jeune âge, s’est formé le goût. Elle lui fait découvrir la couture en effectuant des travaux sur les garde-robes des élégantes espagnoles et en particulier des familles Guibert et Casa Torres 2. Tous les ans, la marquise de Casa Torres se rend dans sa grande villa3 de Getaria, lieu de naissance de Balenciaga. Cette dernière, qui mène grand train, se fournit chez les couturiers parisiens tels Worth, Jeanne Hallée et l’Anglais Creed. Ainsi le jeune Cristóbal découvre des vêtements d’excellente fabrication mais aussi, aux cimaises de la demeure de la marquise, des toiles de maître comme celles de Goya, qui marqueront ses créations. La côte basque, en particulier Saint-Sébastien et Zarautz, sont des lieux de villégiature très prisés par l’aristocratie espagnole et européenne et en particulier par la reine régente d’Espagne, Marie Christine, qui y séjourne plusieurs mois par an de 1887 à sa mort en 1929. C’est l’occasion pour Balenciaga d’admirer des élégantes dotées de garderobes pléthoriques qui s’habillent à Paris mais aussi à Saint-Sébastien, très au fait des modes parisiennes. Cependant en 1906 alors que Cristóbal est âgé de 11 ans, son père, José Balenciaga Basurto, décède. La situation familiale en est brutalement bouleversée. Contrairement à la légende, José Balenciaga n’est pas un pauvre et simple

The call of fashion It was thanks to his mother, Martina Eizaguirre Embil,1 that Cristóbal Balenciaga acquired a taste for fashion from his earliest years. She introduced him to couture through her work for the wardrobes of Spain’s most elegant women, and in particular for the Guibert and Casa Torres2 families. Every year, the Marchioness de Casa Torres came to her large villa3 in Getaria, Balenciaga’s birthplace. She had lavish tastes and bought her clothes from Parisian couturiers such as Worth, Jeanne Hallée and the English designer Creed. In this way, the young Cristóbal discovered not only beautifully made garments but also, on the picture rails of the Marchioness’s residence, paintings by great masters such as Goya, which were to influence his creations. The Basque coast, in particular San Sebastian and Zarautz, were holiday haunts highly prized by the Spanish and European aristocracy, notably by the Queen Regent of Spain, Maria Christina, who spent several months there every year between 1887 until her death in 1929. It was an opportunity for Balenciaga to admire the elegant women with extensive wardrobes, who bought their clothes both in Paris and in San Sebastian, which was very much in touch with Paris fashions. However in 1906 when Cristóbal was 11 years old, his father, José Balenciaga Basurto, died. The family situation was abruptly shattered. Contrary to legend, José Balenciaga

Cat. 62 – Veste du soir en tulle rouge brodé en chenille orange de motifs orientalisants, fin des années 1950.

Cat. 62 – Evening jacket in red tulle embroidered in orange chenille with Oriental motifs, late 1950s. 15


pêcheur de village. Maire de Getaria de 1895 à 1898, nommé, en 1901, commandant de l’escampavia Guipuzcoana, chargé de traquer les contrebandiers, il lui arrive, l’été, de transporter des membres du gouvernement et la famille royale4. Ainsi, il est en relation avec « la villégiature royale à Saint-Sébastien5 ». Delors Martina, la mère du futur couturier, est dans l’obligation de nourrir sa famille. Tandis que les aînés, sa sœur et son frère, travaillent, Cristóbal commence par aider sa mère dans ses activités de couturière avant d’entrer en 1907, à l’âge de 12 ans, chez un tailleur de Saint-Sébastien, peut-être Gomez.

was not a poor and simple village fisherman. He was mayor of Getaria between 1895 and 1898, and in 1901 he was appointed captain of the vessel Guipuzcoana, entrusted with tracking down smugglers. In summertime, he had the task of transporting members of the government and the royal family,4 and thus had experience of “royalty on vacation in San Sebastian”.5 Martina, the mother of the future couturier, now found herself obliged to provide for her family. While his elder sister and brother worked, Cristóbal began by helping his mother in her activities as a seamstress, before joining a tailoring firm, perhaps Gomez, in San Sebastian in 1907, when he was 12.

De l’apprenti au couturier Son apprentissage auprès de différents tailleurs donne à Balenciaga cette capacité rare mais partagée avec Chanel de savoir couper, monter, coudre un vêtement6. Très rapidement sa progression d’une maison à l’autre lui permet d’approfondir son métier et d’exercer des responsabilités. Dès 1908, il entre à New England, lancé par trois anciens employés du meilleur tailleur de la ville, Gomez. En 1911, Balenciaga, devenu tailleur dans le nouveau magasin franchisé par les Grands Magasins du Louvre à Saint-Sébastien, se tourne vers la confection pour dames où il est promu premier d’atelier. Après avoir travaillé à Bordeaux pendant trois ans, Balenciaga fonde en 1917, à 22 ans, à Saint-Sébastien, sa première maison, « C. Balenciaga », qui devient « Balenciaga Y Campania » en 1918, date de sa première collection. C’est alors qu’il prend l’habitude de visiter les célèbres maisons parisiennes7. En 1924, avec ses propres fonds, le jeune couturier ouvre avenue de la Libertad à Saint-Sébastien une nouvelle société, « Cristóbal Balenciaga ». Parmi ses clientes on citera la fidèle marquise Casa Torres, la reine Marie Christine et l’infante Isabel Alfonsa. Bientôt, pour répondre à l’évolution de sa clientèle8, Balenciaga crée, en 1927, rue Oquendo, une seconde maison, consacrée à la confection sur mesure, « EISA Costura9 ». Les deux maisons et les deux types de production, haute couture et confection, coexistent jusqu’en 1931. Cependant Balenciaga subit bientôt les conséquences de l’abdication d’Alphonse XIII en 1931, puis l’exil de nombreuses clientes.

From apprentice to couturier His apprenticeship with different tailors gave Balenciaga that rare capacity, but one that he shared with Chanel, of knowing how to cut, assemble and sew a garment.6 Very quickly, his progress from one fashion house to another helped him to extend his knowledge of his profession and learn how to take charge. In 1908, he joined New England, a business launched by three former employees of Gomez, the best tailor in the city. In 1911, Balenciaga, who was working as a tailor in the new store franchised by the Grands Magasins du Louvre in San Sebastian, made a move into the production of women’s clothing, and was appointed as head of the workroom. After working in Bordeaux for three years, Balenciaga founded his first fashion house in 1917 at the age of 22 in San Sebastian. This was entitled “C. Balenciaga”, becoming “Balenciaga Y Campania” in 1918, the date of his first collection. It was then that he adopted the habit of visiting famous Paris fashion houses.7 In 1924, with his own funds, the young couturier opened a new company, “Cristóbal Balenciaga”, in Avenida de la Libertad in San Sebastian. Among his clients were the loyal Marchioness Casa Torres, Queen Maria Christina and the Infanta Isabel Alfonsa. Soon, in order to meet the changing requirements of his clientele,8 Balenciaga created a second fashion house in 1927 in Calle Oquendo, “EISA Costura”9 offering made-to-measure services. The two houses and the two different types of production, haute couture and

Cat. 1 – Robe du soir, un des premiers modèles espagnols du couturier. Le tulle surpiqué rappelle des modèles de Madeleine Vionnet, v. 1927.

Cat. 1 – Evening dress, one of the couturier’s first Spanish models. The topstitched tulle is reminiscent of designs by Madeleine Vionnet, c. 1927.




PAGE DE GAUCHE ET CI-DESSUS À GAUCHE : Cat. 54 – Faite en Espagne, cette robe du soir en dentelle verte est semblable à celle faite en dentelle blanche à Paris. Photographie de Henry Clarke pour Vogue en 1951. ci-dessus à droite : Cat. 12 – Photo de dépôt de modèle : ensemble du soir avec des motifs en dentelle découpée, 1947. OPPOSITE PAGE AND ABOVE LEFT:

Cat. 54 – This green lace evening dress, made in Spain, is similar to the one made from white lace in Paris. Photograph by Henry Clarke for Vogue in 1951. ABOVE RIGHT: Cat. 12 – Design registration photo: evening outfit with cut-out lace motifs, 1947. 23


Cat. 68 – Photographie de dépôt de modèle avec échantillon de dentelle de Marescot brodée. Robe du soir portée par le mannequin Giselle, 1967. Cat. 68 – Design registration photo with embroidered Marescot lace sample. Evening dress worn by the model Giselle, 1967. 27


Cat. 15, 55 – Réservés avant guerre à la lingerie, les entre-deux de Valenciennes froncés sont disposés verticalement sur la robe de mariée et sur la robe de grand soir, 1946. Ils forment un décor de « stalactites » et d’enroulements. Cat. 15, 55 – Reserved before the war for lingerie, gathered Valenciennes lace inserts are arranged vertically on the wedding dress and the evening gown, 1946. They form a decoration made up of “stalactites" and coils.



LA DENTELLE À CALAIS DE 1930 À 1970 – REPÈRES HISTORIQUES CALAIS LACE FROM 1930 TO 1970: HISTORICAL LANDMARKS Sophie Henwood-Nivet

La dentelle mécanique est née de la volonté d’imiter la dentelle à la main, l’une des étoffes les plus prisées depuis le XVIe siècle. C’est d’abord le tulle, réseau uni et sans motif, qui est réalisé dès les premières années du XIXe siècle sur les premiers métiers mis au point en Angleterre. Calais, ville située sur le littoral de la Manche, est devenue la principale destination de ces métiers introduits en fraude dès 1816. Dès qu’il devient possible, dans les années 1830, de réaliser une dentelle présentant un décor, la fabrique dentellière calaisienne connaît un formidable essor.

Machine-made lace was born out of the desire to imitate handmade lace, one of the most highly prized fabrics since the 16th century. It was tulle – uniform and without a motif – that was produced first, from the early years of the 19th century on the first looms developed in England. Calais, on the shores of the English Channel, became the main destination for these looms brought in clandestinely from 1816 onwards. As soon as it became possible, in the 1830s, to create patterned lace, the Calais lace industry experienced a great boom.

Lorsque Cristóbal Balenciaga s’installe à Paris, en 1936, l’industrie de la dentelle mécanique vient de vivre une décennie mouvementée. Fort dépendant du marché extérieur, notamment américain, ce secteur du luxe est alors très touché par la crise financière qui s’est abattue en 1929 sur les États-Unis avant de gagner l’Europe. Pourtant, la mode des années 1920 a été favorable à la dentelle dont elle a particulièrement mis en valeur les motifs influencés par le style Art Déco. En 1929, Calais compte ainsi 380 fabricants et 2 710 métiers, générant environ 300 millions de francs de chiffre d’affaires1. Mais, en 1931, des mesures protectionnistes internationales se mettent en place 2. La chambre syndicale des fabricants de dentelle dénombre alors 54 fermetures d’usine3. De 1930 à 1936, le chiffre d’affaires du secteur régresse considérablement. Certains fabricants, au bord de la faillite, cherchent à vendre leurs métiers. Cependant, le risque d’une délocalisation qui nourrirait la concurrence à moyen terme pousse l’État, sous la pression locale des autres fabricants, à en interdire la vente4. Un syndicat est créé en 1935 pour assurer la coordination des activités dans les secteurs de la production de dentelles

When Cristóbal Balenciaga moved to Paris in 1936, the machine-made lace industry had just been through a turbulent decade. Highly dependent on foreign markets, American in particular, this luxury sector was very much affected at this time by the financial crisis that struck the United States in 1929 before reaching Europe. However, 1920s fashion was very favourable to lace, with a particular emphasis on motifs influenced by Art Deco style. In 1929, Calais had 380 manufacturers and 2,710 looms, generating a turnover of around 300 million francs.1 But in 1931, international protectionist measures were put in place.2 The Lace Manufacturers’ Association counted 54 factory closures.3 Between 1930 and 1936, turnover in the sector dropped considerably. On the edge of bankruptcy, some manufacturers sought to sell their looms. However, the risk of outsourcing, which would encourage competition in the medium term, drove the State, under local pressure from the other manufacturers, to ban the sales.4 A union was created in 1935 to coordinate activities in the lace and embroidery manufacturing sector.5 The outlets for Calais lace were then Paris haute couture, lingerie manufacturers

Dentelle créée par Edmond Perrin en 1930, remise à la mode à la fin des années 1960 par la maison Peeters et Perrin, exclusivité de la maison Chantelle depuis 1971 pour son modèle « Fête » : un métier produisant ce motif tourne encore en 2014 dans l’entreprise Codentel.

Lace motif invented by Edmond Perrin in 1930, brought back into fashion at the end of the 1960s by the house of Peeters and Perrin, exclusive to the house of Chantelle since 1971 for its model “Fête”. A loom producing this motif is still being used in 2014 by the company Codentel. 31


et de broderies5. Les débouchés de la dentelle calaisienne sont alors la haute couture parisienne, les confectionneurs de lingerie et les grands magasins. La vente est effectuée par des commissionnaires6 qui jouent un rôle économique déterminant. Les matières employées sont le coton (fourni pour les neuf dixièmes par les filatures de Lille, le reste par les filatures anglaises), la soie (de provenance italienne en majorité) et la rayonne (fabriquée en France)7. La société Tiburce Lebas met au point la première dentelle élastique, qui sera primée en 1937. Les dernières années de la décennie connaissent une embellie économique. Or, entre-temps, la crise a provoqué la disparition de plus de 200 fabricants8. La Seconde Guerre mondiale touche Calais et son industrie de plein fouet : la ville ayant été occupée puis bombardée lors de la Libération en 1944, les fabricants sont confrontés à des difficultés de production et de commercialisation. Ils ne peuvent utiliser que les seules matières françaises – la rayonne et la fibranne – mais elles sont rationnées. Le coton est alloué à la fabrication exclusive de tulle, d’abord destiné aux moustiquaires de l’armée allemande puis au remplacement des vitres brisées par les bombardements9. Un inventaire, réalisé au début de l’année 1945 par la chambre syndicale, fait état de plus de 300 métiers détruits pendant le conflit10. La production reprend lentement à partir de 1946, notamment grâce à la réduction des droits de douane par les États-Unis en 1947. L’importation des cotons anglais recommence, quant à elle, dans les années 195011. Parallèlement, la commercialisation du fil de nylon ouvre de nouvelles perspectives aux quelque 150 fabricants de la place, laquelle surpasse désormais Nottingham12 et connaît de nouveau une période de prospérité.

Publicité pour la dentelle élastique Tiburce Lebas, primée en 1937, parue dans Arachnée en 1937. Advertisement for Tiburce Lebas elasticated lace, an award winner in 1937, which was published in Arachnée in 1937.

and department stores. Selling was done by agents on commission,6 who played a decisive economic role. The materials used were cotton (nine-tenths of which was supplied by the cotton mills of Lille, and the rest by English cotton mills), silk (mostly from Italy) and rayon (made in France).7 The company of Tiburce Lebas developed the first elasticated lace, which won an award in 1937. The end of the decade saw an economic recovery but, in the meantime, the crisis had led to the disappearance of more than 200 manufacturers.8 The Second World War hit Calais and its industry with full force. As the city was first occupied and later bombed during the Liberation of 1944, the manufacturers were faced with production and marketing difficulties. They could only use French materials – rayon and spun rayon – but these were rationed. Cotton was allocated exclusively to the manufacture of tulle, first of all for mosquito nets for the German army and then for the replacement of windows broken by


Cat. 14 – Photo de dépôt de modèle : robe de cérémonie, 1950. Détail : les plis détachés forment un cadre mouvant aux bouquets de fleurs stylisées. Cat. 14 – Design registration photo: ceremonial gown, 1950. Detail: the detached pleats form a moving framework for the bunches of stylised flowers. 33



Cat. 67 – La délicate broderie de fleurs de cette robe du soir s’inspire des tissus brochés du XVIIIe siècle, 1967. Cat. 67 – The delicate floral embroidery on this evening dress is inspired by 18th-century brocades, 1967. 39



Cat. 65 – Le corsage de cette robe du soir basculée est en tulle brodé et prolongé par une étole-anneau, accessoire-vêtement imaginé par Balenciaga, 1958. Cat. 65 – The bodice of this dipped-hem evening dress is in embroidered tulle and is extended by a stole-ring, a garment accessory designed by Balenciaga, 1958. 41



CRISTÓBAL BALENCIAGA ET L’ESPAGNE, LE NOIR ET LA DENTELLE EN HÉRITAGE CRISTÓBAL BALENCIAGA AND SPAIN, A HERITAGE OF BLACK AND LACE Amalia Descalzo

Couturier majeur de l’histoire de la mode en Occident, Cristóbal Balenciaga avait une excellente connaissance des tissus, qu’il savait mettre à profit pour réaliser ses créations. Il appréciait ces textiles non seulement pour leurs caractéristiques techniques mais aussi pour leur valeur esthétique et décorative. Parmi les précieux matériaux utilisés par le couturier, la dentelle associée à son œuvre mais aussi à la mode et à la culture espagnoles mérite l’attention. Très tôt d’ailleurs la presse de mode a souligné la prédilection du couturier pour les dentelles noires, évocation de l’Espagne, des portraits de Velázquez et de Goya. La couleur noire qui remonte au règne des Habsbourgs1 est devenue une tradition de la mode espagnole, et bientôt universelle. Ainsi les monarques espagnols ont fait de leurs costumes noirs une sorte d’uniforme qu’ils portèrent pendant près de deux siècles. Voulant bientôt les imiter, tous les Espagnols partagèrent ce goût pour le noir qui les fascinait en raison de son pouvoir esthétique et symbolique. Les voyageurs en visite en Espagne ne pouvaient ignorer cette particularité si largement répandue dans la société espagnole. Le noir recouvrait les tenues masculines sans compter qu’aucune femme ne sortait dans la rue sans châle ou mantille noire. Dès l’époque médiévale, la mantille occupa une place privilégiée dans les garde-robes féminines.

As a major couturier in the history of Western fashion, Cristóbal Balenciaga had an excellent knowledge of fabrics, which he knew how to exploit fully in the creation of his designs. He appreciated these textiles not only for their technical characteristics but also for their aesthetic and decorative value. Of the precious materials used by the couturier, the association of lace with his work and also with fashion and Spanish culture is worthy of attention. The fashion press very quickly highlighted the couturier’s predilection for black lace, evocative of Spain and portraits by Velázquez and Goya. The colour black, which dated back to the reign of the Habsburgs,1 became a tradition in Spanish fashion, one which was soon universal.

Cat. 46 – Sur cette mantille en tulle noir sont rapportés des rinceaux en dentelle brodés d’or, de paillettes et de perles, 1949. Cat. 46 – This mantilla in black tulle features scrolls in gold embroidered lace, sequins and beads, 1949. 47


On a un très bon exemple de cette tradition avec le portrait de la Joven con mantilla de Velázquez (collection du duc de Devonshire à Chatsworth). La jeune femme porte un châle noir orné de dentelle, qu’interdit d’ailleurs en 1623 un édit de Philippe IV. Cette tradition du noir profondément liée à la culture espagnole ne laissa pas insensible le maître de Getaria, comme le prouve cette remarque relevée dans la presse en 1938 : « Dans la nouvelle maison espagnole, Balenciaga […] le noir est tellement noir qu’il vous frappe comme un coup de poing 2. »

Spanish monarchs made their black costumes into a sort of uniform they wore for almost two centuries. Soon, wishing to imitate them, all Spaniards shared this taste for black, whose aesthetic and symbolic power fascinated them. Travellers visiting Spain could not ignore this particularity, which was so widespread in Spanish society. Men’s outfits were covered in black and no woman went out into the street without a black shawl or mantilla. From the medieval era onwards, the mantilla occupied a special place in women’s wardrobes. There is a very good example of this tradition in the portrait of the Lady with a Mantilla by Velázquez (in the collection of the Duke of Devonshire at Chatsworth). The young woman wears a black shawl embellished with lace, which was banned by an edict of Philippe IV in 1623. The master from Getaria was not unaffected by this tradition of black, with its profound links to Spanish culture, as proved by this remark which appeared in the press in 1938: “In the new Spanish house, Balenciaga […] the black is so black that it hits you like a punch in the face.” 2 This loyalty to Spanish sensibility was displayed by Balenciaga in his use not only of black but also of lace. Balenciaga was a lover of old lace as proved by this very beautiful Chantilly lace collar (Cat. 85), and actually built up a diverse collection of textiles and garments of various degrees of antiquity. This collection undoubtedly provided him with inspiration3 throughout his career. It should be remembered that in 1979, Fernando Martínez Herreros, in the name of the Balenciaga family, donated this collection of diverse origins, both regional and European, manufactured between the 18th and the early 20th centuries,4 to the Palais Galliera, the fashion museum of the City of Paris. Today we are familiar with the role played by lace in Spain5 since the medieval era, even though, just like the famous Spanish point lace, it never achieved the artistic or economic value of that from France, Italy or the Netherlands. During the Renaissance and Baroque periods, as clearly shown by portraits of the time, lace played a significant role in fashion due, in great part, to the fact that it was worn around the neck and at the bottom of shirt sleeves. However, it was in the 18th century that lace reached its height

Cat. 19 – Dentelle marron brodée vieil or pour cet ensemble robe et manteau de cocktail de l’hiver 1962. Cat. 19 – Brown lace embroidered with tarnished-gold thread for this coat and dress cocktail set dating from winter 1962.


Francisco de Goya, La Famille de Charles IV, 1800, Museo Nacional del Prado. Francisco Goya, The Family of Charles IV, 1800, Museo Nacional del Prado. 49



BALENCIAGA ET LA DENTELLE BALENCIAGA AND LACE Catherine Join-Diéterle

Tout au long de sa carrière, Cristóbal Balenciaga, marqué par les tenues des Espagnoles et des élégantes de la BelleÉpoque, manifeste une passion pour la dentelle. Ses créations témoignent de l’influence des illustrations de mode et des costumes anciens, en particulier de la seconde moitié du XIXe siècle1 qu’il lui est d’ailleurs arrivé de collectionner 2. Après l’ouverture de ses premières maisons en Espagne, il acquiert à Paris dans l’entre-deux-guerres des modèles de grands couturiers dont, pour certains d’entre eux – on l’oublie trop souvent – il gardera toujours le souvenir. Dès la fin des années 1930, Balenciaga, comme ses confrères parisiens, participe au grand retour de la dentelle qui connaît une nouvelle apothéose à l’époque du New Look. De la dentelle du matin au soir Ce serait folie de vouloir dénombrer les créations en dentelle ou en tulle du couturier, tant elles sont nombreuses. Citons, par exemple, pour la collection d’hiver 1952, vingt-neuf modèles sur cent soixante et onze et, au printemps 1954, seize sur cent quatre-vingt-quatorze. Comme à la Belle-Époque, Cristóbal Balenciaga l’utilise pour des tenues allant du matin au soir. Ainsi pour le matin, une étroite dentelle est posée en bordure d’une blouse de tailleur, tandis que, traitée en laine mohair, elle devient en 1952 3 l’étoffe d’ensembles semi-ajustés d’après-midi. Toujours pour l’après-midi et pour le soir, il utilise de la « Chantilly extrêmement fine, [qui] parsème d’un blond délicat, de rose, de gris ou de noir des robes 4 ». À l’été 1950,

PAGE DE GAUCHE : Cat. 42 – Détail d’un ensemble de cocktail à la griffe d’EISA réalisé en Espagne en 1964. CI-CONTRE, À DROITE : Cat. 5 – Photo de dépôt de modèle avec échantillon de tissu pour un tailleur. L’étroite dentelle en bordure est adaptée à une tenue du matin, 1965. OPPOSITE PAGE:

Cat. 42 – Detail of a cocktail outfit from the EISA label made in Spain in 1964. RIGHT: Cat. 5 – Design registration photo with fabric sample for a suit. The narrow lace on the edge is suitable for a morning outfit, 1965. 55


Cat. 8 – Photo de dépôt de modèle : deux ensembles d’après-midi pouvant être portés aussi au théâtre, la robe a un corsage bustier. La dentelle est en mohair, 1952. Cat. 8 – Design registration photo: two afternoon outfits also suitable for the theatre, the dress has a bustier bodice. The lace is in mohair, 1952.


il conçoit un pantalon en dentelle, dépassant à peine la robe en crêpe plongeant à l’arrière 5 pour l’après-midi. En 1962, ce pantalon se transforme en panties (ill. p. 26). La tunique, à la mode dans les années 1920, est relancée par le couturier en 1955, puis reprise en 1967 et 1968, taillée cette fois dans une dentelle brodée de soutache, qui rappelle les gros points de Venise. Pour le cocktail et le dîner, la coupe des tenues en dentelle illustre après 1945 l’évolution de la silhouette vue par le couturier, avec la taille tantôt marquée, tantôt basse ou absente, comme le rappellent les robes : marinière (ill. p. 77) en 1951, sac (ill. p. 93) et baby doll (ill. p. 81) en 1958. Cependant la baby doll de 1964, devenue robe-bustier, a une ampleur réduite, dans l’air du temps. Catégorie créée par la presse dans les années 1950, la robe à danser – en réalité robe du soir aux chevilles ou plus courte – se caractérise par la largeur de sa jupe. Ainsi la robe bustier (ill. p. 67) a une jupe très froncée, montée sur un petit volant rigide en nylon, destiné à en accentuer l’ampleur. Pour le soir, tulle et dentelle abondent. Le couturier aime marier les étoffes, faille et tulle, ou satin et dentelle comme pour ses célèbres robes gitanes. Comme les ensembliers des années 1920, Balenciaga assortit ces tenues d’un manteau, d’une veste, d’un collet, d’un boléro, taillés dans des tulles ou dans les mêmes dentelles. Signalons le collet constitué de deux volants de hauteur inégale dont la coupe évoque le chaperon porté par les religieux figurés par le peintre Francesco de Zurbaràn dans son tableau Saint Bonaventure au concile de Lyon 6. À partir de 1951, Balenciaga crée des vêtements – accessoires originaux tels l’étole-manches, les gants-manches ou encore l’étole-anneau (ill. p. 52). Cette étole refermée sur elle-même, parfois cousue à la robe, permet à l’élégante de marcher sans crainte de la voir glisser.

Throughout his career, Cristóbal Balenciaga, influenced by the outfits of Spanish women and elegant ladies from the Belle-Epoque, displayed a passion for lace. His designs testify to the influence of fashion and period-dress illustrations, in particular from the second half of the 19th century,1 which he also collected.2 After the opening of his first houses in Spain, during the interwar years in Paris he acquired some models by the great couturiers, some of which – people too often forget – he was always to remember. In the late 1930s, Balenciaga, like his Parisian colleagues, took part in the great revival of lace, which experienced a new apotheosis during the New Look era.

Cat. 6 – Photo de dépôt de modèle avec échantillon en dentelle brodée : tunique à porter le jour, 1967. Cat. 6 — Design registration photo with sample in embroidered lace: tunic suitable for daywear, 1967. 57



Cat. 28 – Le fond en soie de cette robe de cocktail est terminé par deux volants et recouvert par une tunique, 1967.

Cat. 25 – Cette robe de cocktail se portait avec un manteau taillé dans la même dentelle, 1959. Détail de la dentelle.

Cat. 28 – The silk bottom of this cocktail dress ends in two ruffles and is covered by a tunic, 1967.

Cat. 25 – This cocktail dress was worn with a coat cut from the same lace, 1959. Detail of the lace.





LA MODE PARISIENNE DE BALENCIAGA, REPÈRES CHRONOLOGIQUES BALENCIAGA’S PARISIAN FASHION, A TIMELINE

Après avoir fondé plusieurs maisons de couture en Espagne, Cristóbal Balenciaga (Getaria, Espagne 1895 – Javea, Espagne 1972) s’installe à Paris en 1936 au 10 avenue George-V. À Paris, pendant plus de trente ans, Balenciaga lance des lignes qui influencent la mode du temps ; il est d’ailleurs considéré par ses confrères comme leur maître à tous. C’est à Paris qu’il donne toute la mesure de son génie, en particulier au cours des années 1960 au moment où la société occidentale change en profondeur et aspire à une autre modernité. Son processus créatif est original : il travaille généralement pendant deux années consécutives sur une même idée et les changements sont très subtils. Il n’aime pas, à la différence de Christian Dior, opérer des révolutions esthétiques à chaque saison et il s’autorise à reprendre régulièrement les lignes qui lui tiennent à cœur. 1937

Première collection parisienne : style « infante ».

1938 Effet tunique. Influence des années 1880 avec poufs et coques. Mariage de la faille et du tulle ou de la dentelle. Robe du soir en tulle noir et volants en rubans de faveur.

After founding several couture houses in Spain, Cristóbal Balenciaga (Getaria, Spain, 1895 – Javea, Spain, 1972) settled in Paris in 1936 at 10 avenue Marceau. In Paris, for more than 30 years, Balenciaga launched lines that influenced the fashion of the time; he was also considered by his contemporaries as their master. It was in Paris that his genius fulfilled its true potential, especially during the 1960s when Western society was undergoing a profound change and aspiring to a new type of modernity.

1939 Inspiration historicisante (1850-1880) hanches rondes avec drapés. Robe chemisier pour le dîner. Jupesculottes, robes-pantalons drapées à l’orientale. Nombreuses dentelles noires. 1940 Poufs amovibles inspirés des années 1885-1887. Broderies de jais et franges. Châle à volants en dentelle.

CI-DESSUS : Cat. 80a – Capeline à passe en dentelle et au fond en paille laquée, années 1930. PAGE DE GAUCHE : LEFT PAGE:

Cat. 39 – Détail, robe de cocktail, 1963.

ABOVE:

Cat. 80a – Wide-brimmed hat with lace brim and lacquered straw base, 1930s.

Cat. 39 – Detail, cocktail dress, 1963. 73


His creative process was original: he generally worked for two consecutive years on the same idea and changes were very subtle. Unlike Christian Dior, he did not like creating aesthetic revolutions every season and allowed himself to regularly revive the lines dear to him. 1937

First Paris collection: “Infanta” style.

1938 Tunic effect. Influence of the 1880s with poufs and bustles. A marriage between faille and tulle or lace. An evening dress in black tulle with ruffles and favour ribbons.

1941 Jupes étroites dans le bas, drapés à la taille, robes du soir à plissés soleil. Jupe ample retroussée dans le dos. Ligne tonneau, jupes-culottes. Petits volants de dentelle noire sur les corsages. 1942 Ensemble de crêpe noir à revers de dentelle froncée. Robes à trois volants superposés bordés de dentelle.

1939 Historical inspiration (1850-1880) rounded hips with drapes. Shirt-dress for dinner. Culotte-skirts and trouser-dresses, with Oriental-style draping. Numerous pieces of black lace. 1940 Detachable poufs inspired by the years 18851887. Jet-bead embroidery and fringes. Shawl with lace ruffles.

1943 Manteaux à emmanchures larges, corsages à petits revers, tailles creusées et plongeantes. Broderies et passementeries.

1941 Skirts narrow at the back, draped at the waist, evening dresses with sunray pleats. Full skirt caught up at the back. Barrel line, culotte-skirts. Small black-lace ruffles on the bodices.

1944 Deux pièces à courte basque arrondie et légèrement décollée, manches raglan.

1942 Black lace ensemble with a lapel of gathered lace. Dresses with three overlaid ruffles edged with lace.

1945 Taille ajustée et épaules carrées. Ligne droite, jaquettes. Robes du soir entravées. Robe du soir à jupe large en dentelle blanche. Mantille en velours et dentelle se transformant en fichu.

1943 Coats with wide armholes, bodices with small lapels, nipped-in and plunging waistlines. Embroidery and passementeries.

1946 Tailleur à basques longues. Hanches rondes avec drapés. Robes droites enroulées. Influence de Goya : robe en taffetas rose avec dentelle noire. Dentelle noire ponctuée de médaillons de jais.

CI-DESSUS : Cat. 79b – Gants mi-longs en dentelle Chantilly se portant avec une robe de cocktail, 1945-1950. PAGE DE DROITE : Cat. 33 – Le charme de cet ensemble de cocktail tient à la superposition du manteau sur la robe laissant voir en transparence la ceinture-corselet rose, 1951, photo de Henry Clarke pour Vogue américain. ABOVE: Cat. 79b – Mid-length gloves in Chantilly lace, to be worn with a cocktail dress, 1945-1950. RIGHT PAGE: Cat. 33 – The charm of this cocktail outfit lies in the layering of the coat over the dress clearly revealing the pink corselet-belt, 1951. Photo by Henry Clarke for American Vogue.

1944 Two-piece sets with short, rounded and slightly detached peplums and raglan sleeves. 1945 Fitted waist and square shoulders. Straight-cut jackets. Evening hobble dresses. Evening dress with a wide skirt in white lace. Mantilla in velvet and lace, which transforms into a headscarf. 1946 Suit with long peplum. Rounded hips with drapes. Wrap-over shift dresses. Influenced by Goya: dress in pink taffeta with black lace. Black lace punctuated with jet medallions. 1947 Barrel line. “Spanish” boleros. Ruffles. Corseletbelts. Numerous embroidery items.



La photo de Philippe Pottier parue dans L’Officiel en décembre 1957 souligne la finesse de la taille du mannequin sous la robe baby doll. The photo by Philippe Pottier published in L’Officiel in December 1957 highlights the slender waist of the model under the baby-doll dress. 81


Cat. 18b – Photo de dépôt de modèle avec échantillon pour cet ensemble de cocktail. Le mannequin, Tania, montre le numéro du dépôt de modèle, 1963. Cat. 18b – Design registration photo with sample for this cocktail outfit. The model, Tania, displays the design registration number, 1963.





Cat. 60 – La broderie ton sur ton simule de fins motifs de dentelle sur cette veste du soir en tulle, 1962. Cat. 60 – The embroidery in matching shades simulates fine lace motifs on this evening jacket in tulle, 1962. 95



Cat. 61 – Somptueuse veste du soir en tulle marron avec des fleurs en soie brodées en velours, dont le cœur est en perles, strass, chenille, lames dorées et tubes, 1962. Cat. 61 – Sumptuous evening jacket in brown tulle with silk flowers embroidered with velvet, with centres made out of beads, rhinestones, chenille and tubular gold beads, 1962. 99



Cat. 58 – Célèbre boléro du soir brodé par Lesage en bandes horizontales de grappes de raisin, feuilles de vigne et de fleurs, 1959. Il fut porté par la princesse Grace de Monaco et par la comtesse von Bismarck. Cat. 58 – Famous evening bolero embroidered by Lesage in horizontal bands of bunches of grapes, vine leaves and flowers, 1959. It was worn by Princess Grace of Monaco and by Countess von Bismarck. 103


81- Escarpins a) 1960-1965, dentelle rose vif à fleurs sur crêpe de Chine, soulier en cuir blanc marqué à l’intérieur Garabedian (Paris). MAD UF. 69.10.41, Paris. (p. 84)

c) Evening headdress, 1950s, black velvet skullcap, decorated with black Chantilly bouillonnés and feathers. Acquisition. CDM 1997.73.6, Calais. 81- Court shoes a) 1960-1965, bright pink floral lace on crêpe de Chine, shoe in white leather with Garabedian (Paris) marking inside. MAD UF. 69.10.41 Paris. (p. 84)

b) Années 1960, dentelle bleu acier à pois en velours, soulier en cuir de Bolz. Dépôt de Mme Sonsoles Diez de Rivera y de Icaza. Inv. 52.2007, Getaria. (p. 119)

b) 1960s, steel-blue lace with velvet spots, shoe in leather by Bolz. Deposit by Mrs Sonsoles Diez de Rivera y de Icaza. Inv. 52.2007, Getaria. (p. 119) Cat. 81b – Escarpins en dentelle de coton à pois en velours sur soulier de Bolz, années 1960. La dentelle est assortie à la tenue. Cat.81b – Court shoe in cotton lace with velvet spots on a shoe by Bolz, 1960s. The lace matches the outfit. 119


Cat. 82d – Échantillon de Lesage, tulle brodé de feuilles à cabochons turquoise, cellophane, perles corail et blanches, 1965. Cat. 82d – Sample by Lesage, tulle embroidered with leaves in turquoise cabochons, cellophane, coral and white beads, 1965.


Cat. 83c – Échantillon de Rébé (René Bégué) : tulle vert, brodé de paillettes bleues et vertes, en forme de fleurs et de cœurs, franges perlées, sans date. Cat. 83c – Sample by Rébé (René Bégué): green tulle, embroidered with blue and green sequins in the form of flowers and hearts, and beaded fringes, undated. 123


La photogravure a été réalisée par / Photoengraving by Quat’Coul, Toulouse. Cet ouvrage a été achevé d’imprimer sur les presses de Re-bus (Italie) en mars 2015. The book was printed by Re-bus (Italy) in March 2015.



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