Charles de La Fosse (1636 1716) - Le triomphe de la couleur (extrait)

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Charles (1636-1716) de LA FOSSE Le triomphe de la couleur

Sous la direction de Béatrice SARRAZIN, Adeline COLLANGE-PERUGI et Clémentine GUSTIN-GOMEZ


Ce catalogue a été réalisé dans le cadre de l’exposition « Charles de La Fosse (1636-1716). Le triomphe de la couleur », présentée du 24 février au 24 mai 2015 au château de Versailles, et de l’exposition « Charles de La Fosse (1636-1716). Les amours des dieux », présentée du 19 juin au 20 septembre 2015 au musée des Beaux-Arts de Nantes, chapelle de l’Oratoire.

L’ensemble des œuvres présentées dans le catalogue se répartissent ainsi dans les deux expositions : Œuvres présentées à Versailles : cat. 1 ; 2a ; 2b ; 3 ; 4 ; 6 ; 8 ; 9a ; 9b ; 12 ; 14 ; 15 ; 16a ; 16b ; 16c ; 17 ; 18 ; 19a ; 19b ; 19c ; 20a ; 20b ; 20c ; 20d ; 20e ; 20f ; 20g ; 21a ; 21b ; 23 ; 24 ; 25a ; 25b ; 26a ; 26b ; 26c ; 27a ; 27b ; 28 ; 29 ; 30 ; 31 ; 33a ; 33b ; 34a ; 34b ; 35 ; 36a ; 37a ; 37b ; 39a ; 39b ; 39c ; 39d ; 40 ; 41b ; 42a ; 42c ; 43 ; 44 ; 45a ; 45b ; 45c ; 45d ; 45e ; 45f ; 46 ; 47 ; 48a ; 48b ; 48c ; 49 ; 50a ; 50b ; 50c ; 51a ; 51b. Œuvres présentées à Nantes : cat. 1 ; 4 ; 5 ; 6 ; 7 ; 10 ; 11 ; 13 ; 21c ; 22 ; 26b ; 26c ; 26d ; 27a ; 27b ; 28 ; 32 ; 33a ; 34a ; 35 ; 36a ; 36b ; 37a ; 37b ; 37c ; 38 ; 40 ; 41a ; 42a ; 42b ; 47.


Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles

Musée des Beaux-Arts de Nantes

Catherine Pégard

Johanna Rolland Présidente de Nantes Métropole, maire de Nantes

Présidente de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles

Blandine Chavanne

Béatrix Saule

Directrice du musée des Beaux-Arts de Nantes

Directeur-conservateur général du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Émilie Porcher Administratrice du musée des Beaux-Arts de Nantes

Thierry Gausseron Administrateur général de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles

Commissariat Béatrice Sarrazin Conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

Adeline Collange-Perugi Conservatrice au musée des Beaux-Arts de Nantes

Clémentine Gustin-Gomez Docteur en histoire de l’art

Scénographie Conception

Conception

Loretta Gaïtis

Laurent Gendre

Graphisme

Avec l’aide de Christophe Lucas et son équipe des ateliers municipaux

Tania Hagemeister

Éclairage Éric Gall

Mise en œuvre Direction du développement culturel

Régie des œuvres et des expositions

Denis Verdier-Magneau, directeur Silvia Roman, chef du service des expositions Claire Bonnotte, Cesar Scalassara, Jeanne Bossard, Émilie Neau, Laura Dubosc, Sarah Rosu, Pauline Aronica

Céline Rincé-Vaslin et Claire Tscheiller Thierry Le Dinahet, service technique Salomé Gilles, cabinet d’arts graphiques

Avec la collaboration des services de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles, ainsi qu’avec celle du musée des Beaux-Arts de Nantes. L’exposition du musée des Beaux-Arts de Nantes a été réalisée avec le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles des Pays de la Loire (Louis Berges, directeur, Manon Six, conseillère pour les musées). 5


L’exposition a pu être réalisée grâce à la générosité des prêts des institutions et des collectionneurs suivants : Allemagne Darmstadt, Hessiches Landesmuseum Würzburg, Martin von Wagner Museum der Universität Würzburg Autriche Vienne, Albertina États-Unis Boston, The Horvitz Collection New York, The Metropolitan Museum of Art Notre Dame, Snite Museum of Art, University of Notre Dame Washington, National Gallery of Art France Alençon, musée des Beaux-Arts et de la Dentelle Besançon, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie Brest, musée des Beaux-Arts de Brest métropole océane Caen, musée des Beaux-Arts Dijon, musée des Beaux-Arts Fontainebleau, Ville de Fontainebleau Grenoble, musée de Grenoble Le Havre, musée d’art moderne André Malraux Nancy, musée des Beaux-Arts Nevers, musée de la faïence Frédéric Blandin Paris, Les Arts décoratifs Paris, Bibliothèque nationale de France Paris, École nationale supérieure des beaux-arts Paris, musée de l’Armée Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques

Paris, musée du Louvre, département des Peintures Paris, service des collections du cabinet du chef d’état-major de la marine Rennes, musée des Beaux-Arts Rouen, musée des Beaux-Arts Toulouse, musée des Augustins Tours, musée des Beaux-Arts Royaume-Uni Basildon Park, The Iliffe Collection – The National Trust Manchester, Manchester City Galleries Oxford, The Ashmolean Museum Russie Moscou, musée d’État des beaux-arts Pouchkine Saint-Pétersbourg, musée national de l’Ermitage Suède Stockholm, Nationalmuseum Collections privées Collection Juan de Beistegui Collection M. Louis Faton Collection Roswitha de la Motte de Broöns Collection Georges Pébereau Collection of David Peel Esq., London Collection Louis-Antoine et Véronique Prat

Ainsi que tous les prêteurs qui ont souhaité garder l’anonymat.


Le commissariat de l’exposition assure de sa profonde reconnaissance les nombreuses personnes qui lui ont apporté leur concours et ont permis la réalisation de ce projet. Cette exposition n’aurait jamais vu le jour sans le soutien, l’aide ou les conseils avisés de : Florence Adam, Élise Albenque, Jean-Manuel Alliot, Johanna Allouch, Sylvain Amic, Hélène Andrieux, François Appas, Anne-Henriette Auffret, Joseph Baillio, Nathalie Bastière, Bertrand Bedel de Buzareingues, Juan de Beistegui, Julie Benvenuti, Régis Berge, Louis-Samuel Berger, Xavier Beugnot, Marie-Alice Beziaud, Aurore Bisman, Céline Blondel, Emmanuella Bonaccini, Olivier Bonfait, François Borne, Roland Bossard, Véronique Boucheron, Étienne Breton, Christopher Brown, Emmanuelle Brugerolles, Mathilde Brunel, Stéphanie Buck, Marion Buxtorf, Isabelle Cabillic, Nina Caccioppoli O’Neil, Florence Cailliéret, Agnès Callu, Rémi Cariel, Yves Carlier, Stéphane Castelluccio, Élisabeth Caude, Stéphane Chalet, Karen Chastagnol, Laure Chedal-Anglay, Caroline Chenevez, Alvin L. Clark, Cécile des Cloizeaux, Cécile Clos, Stéphanie Combaret, François Coulon, Mélanie Curdy, Pierre Curie, Hélène Dalifard, Yves Damé, Anne Dary, Olivier Delahaye, Virginie Delcourt, Florence Delteil, Ekaterina Deriabina, Franck Desclos, Sophie Deyrolles, Frédéric Didier, Florence Douxami, Michael Drihen, Dalila Druesnes, Valentine Dubard, Delphine Dubois, Jean Ducros, Christine Ekelhart, Virginie Estève, Louis Faton, Handy Fernandez, Luis Fernandez, Gwenola Firmin, Danilo Forleo, Anne ForrayCarlier, Christophe Fouin, Bénédicte Gady, Thierry Gausseron, Serena Gavazzi, Claire Gérin-Pierre, Aurélie Gevrey, Matthieu Gilles, Florence Gorel, Christine Gouzy, Agnès Grelier, Michael Grimwade, Pierre Grouhel, Victor Guégan, Emmanuel Guigon, David Guillet, Mechthild Haas, Jean-Philippe Harriague, Annette Haudiquet, Donatien Hervouët, Raphaëlle Hubin, Olivier Jauneau, Agathe Joly, Morwena Joly-Parvex, Sarah Joseph-Jacques, Olivier Josse, Jean-Luc Jossé, Emmanuel Joyerot, Sophie Jugie, Aloys Klaeyle, Tilman Kossatz, Ariane de La Chapelle, Maïté Labat, Frédéric Lacaille, MarieLaëtitia Lachèvre, Alaister Laing, Thierry Lamouroux, Justus Lange, Marie-Ange Laudet-Kraft, Corinne Le Bitouzé, Louise Le Gall, Aliette Le Gouvello, Pierre-Yves Le Nir, Catherine Le Treut, Audrey Lebioda, Antoine Leménager, Manon Lequio, Ariane de Lestrange, Matthieu Lett, Charles Loving, Amaru LozanoOcampo, Élisabeth Maisonnier, David Mandrella, Marianne Marchand, Christophe Marcheteau, Thierry Martel, Marine Masure-Vetter, Aurélie Mathias, Isabelle Mayer-Michalon, Marylène Mercier, Alain Mérot, Christian Milet, Nicolas Milovanovic, Jérôme Miquel, Alice Mohen, Margaret Morgan Grasselli, Mary G. Morton, Constance Nemitz, Guillaume Nicoud, Isabelle Noël, Marc Nolibé, Christel Nouviale, Magnus Olausson, Agnès Ollier, Benoît Ollier, Aurianne Ortiz, Philippe Palasi, Bernadette Pébereau, Isabelle Pénicaut, Damien Peron, Marie-Hélène Petitfour, Marie Pineau, Serge Pitiot, Alexandre Pradère, Louis-Antoine Prat, David Prot, Gérard de Puniet, Patrick Ramade, Donald Ramsay, Martine Robert, Olivier Robert, Bertrand Rondot, Pierre Rosenberg, Benjamin Salama, Odile Salet, Claudia Salvi, Daniel Sancho, Didier Saulnier, Clara Savouré, Christelle Schaal, Dominique Schnapper, Emmanuel Schwartz, Nicolas Schwed, Elena Sharnova, Marie-Noëlle Sicot, Cheryl K. Snay, Violaine Solari, Anna Soulimova, Perrin Stein, Margret Stuffmann, David A.H.B. Taylor, Carole Thommeret, Fernanda Torrente, Guy Tosatto, Juliette Trey, Véronique Triger, Virginie Trotignon, Isaline Trubert, Frédéric Valletoux, Delphine Valmalle, Christian Vibert, Hélène Vincent, Noémie Wansart, Colombe Watine-Durel, Catherine Whisler, Nicole Wilk-Brocard, Hannah Williamson, Humphrey Wine.



Le bonheur de la découverte, c’est ce que va apporter à beaucoup cette exposition consacrée à Charles de La Fosse. Pour les autres, le plaisir sera aussi grand de repenser une œuvre méconnue bien que déterminante dans l’histoire de l’art du Grand Siècle. On avait tellement gommé cet artiste pourtant indissociable du grand roi dont il fut l’exact contemporain que longtemps on l’a gratifié d’un rôle de « transition ». Un jugement en creux qui ne définit pas une place. Suit-il son maître, Le Brun ? Annonce-t-il Watteau, son ami ? Fausse querelle, comme le montre l’historienne d’art Clémentine Gustin-Gomez, qui dans les pas d’Antoine Schnapper, ressuscite l’omniprésence de La Fosse dans la vie artistique de son temps, la liberté de son regard et son influence décisive sur l’évolution du goût à la cour de Louis XIV. Curieux des talents de ses pairs, voyageur attentif aux idées de ses contemporains étrangers, il n’en affirme pas moins sa patte et marque son temps des théories qu’il professe et éclaire. Maître du trait, il refuse de lui subordonner la couleur qu’il traque partout, de clairs-obscurs en blancs étincelants, en passant par la gamme des couleurs les plus audacieuses. Cette exposition inédite nous invite à porter un regard « neuf » sur un artiste qui, pourtant, est chez lui à Versailles. Ce n’est pas le moindre intérêt du parti pris par les commissaires de l’exposition, Béatrice Sarrazin, conservateur général en charge des peintures du XVIIe siècle au château de Versailles, Adeline CollangePerugi, conservatrice au musée des Beaux-Arts de Nantes, et Clémentine Gustin-Gomez, que de nous faire redécouvrir son œuvre là où il s’impose comme « le meilleur décorateur de son temps ». C’est à une déambulation dans Versailles plus qu’à la visite d’une exposition qu’elles nous invitent. La restauration du plafond du salon d’Apollon fait ainsi partie intégrante de l’hommage qui est rendu cette année à Charles de La Fosse. Elle n’aurait pas abouti sans la volonté des conservateurs du château de Versailles, sous la direction de Béatrix Saule, relayée par l’éblouissant travail des artisans qui accompagnent les restaurations des appartements royaux. Cette exposition illustre aussi le souci de Versailles d’ouvrir ses collections à un public toujours plus vaste. Je me réjouis à ce titre, de notre collaboration avec le musée des Beaux-Arts de Nantes qui, dans l’exposition qu’il proposera à l’été prochain, affichera le goût de La Fosse pour la peinture mythologique, avant Boucher ou Fragonard. Il ne pouvait être de plus légitime hommage à Charles de La Fosse que de le suivre dans l’extrême diversité d’une œuvre qui séduisit son époque et le roi. Et cela – clin d’œil à l’Histoire – l’année même du tricentenaire de la mort de Louis XIV, quelques mois avant la sienne. CATHERINE PÉGARD Présidente de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles



En raison de la part considérable que Charles de La Fosse a prise à sa décoration, le château de Versailles se devait de rendre hommage à cet artiste en lui consacrant une exposition, sa première exposition monographique. Considéré comme « un des meilleurs peintres de ce temps », celui du règne de Louis XIV dont il fut l’exact contemporain, La Fosse est cependant quelque peu tombé dans l’oubli durant deux siècles. Il faut, en effet, attendre les années 1960 pour que soient remises à l’honneur la peinture de la seconde partie du XVIIe siècle et celle de La Fosse, en particulier : d’abord, par la fameuse exposition de Jennifer Montagu dédiée à Charles Le Brun, qui s’est tenue ici même en 1963 ; ensuite, par l’article de Margret Stuffmann, publié en 1964 dans la Gazette des beaux-arts, remarquable synthèse sur l’œuvre peint et graphique de Charles de La Fosse ; enfin, c’est à l’exposition Au temps du Roi-Soleil. Les peintres de Louis XIV (1600-1715) organisée par Antoine Schnapper et Jacques Thuillier en 1968 au palais des Beaux-Arts de Lille, véritable révélation, que pour la première fois, neuf tableaux de l’artiste sont présentés ensemble dont la Clytie changée en tournesol et le Moïse sauvé des eaux, deux chefs-d’œuvre, deux jalons importants dans sa carrière versaillaise. Mais ce n’est qu’en 2006, avec le travail fondamental de Clémentine Gustin-Gomez, que l’on prendra toute la mesure de la production du maître, de son influence au tournant du XVIIIe siècle, ainsi que de son implication dans les commandes royales. Car – faut-il le rappeler ? – Charles de La Fosse est de tous les chantiers du château. On le trouve à coup sûr à l’escalier des Ambassadeurs, dans le Grand Appartement du Roi (salon de Diane et salon d’Apollon) et fort probablement dans la Grande Galerie où la direction de Le Brun a laissé dans l’ombre de vraisemblables collaborateurs. Après la mort du premier peintre en 1690, La Fosse continue à œuvrer à Versailles, dans l’appartement intérieur du Roi (cabinet du Billard), à Trianon, pour finalement participer – et de quelle manière ! – à l’ultime et sublime réalisation du règne : la chapelle royale. Aujourd’hui, en dépit des transformations que les décors du château ont pu connaître, La Fosse y demeure bien présent. Aussi, cheminant à travers le parcours habituel, de la chapelle à la Galerie, le visiteur est invité à y reconnaître son empreinte avant de découvrir l’exposition présentée dans l’appartement de madame de Maintenon. Là, lui sont révélés quelque quarante peintures et autant de dessins dont la muséographie traduit bien les volontés du commissariat : favoriser les rapprochements entre dessins préparatoires et œuvres achevées, provoquer l’admiration tant pour les grandes compositions que pour les œuvres intimes et, surtout, mettre en valeur la somptueuse palette de ce maître du coloris. Car c’est bien le « triomphe de la couleur », l’ouverture sur le ciel et la lumière qui caractérisent la manière du peintre, manière dont la composition centrale du plafond du salon d’Apollon représentant le dieu monté sur son char est un manifeste éclatant. Cette commande royale fut une consécration pour l’artiste dont le talent restait à confirmer ; elle atteste le crédit que Le Brun lui accordait, lui confiant le décor de la pièce la plus prestigieuse de l’enfilade de l’appartement des planètes. La restauration de ce chef-d’œuvre, qui s’achève pour l’ouverture de l’exposition, a été menée durant huit mois par l’équipe dirigée par Xavier Beugnot, sous la maîtrise d’œuvre de Béatrice Sarrazin. Ce chantier a été l’occasion pour le comité scientifique qui l’a suivi d’affiner ses connaissances et ainsi d’apposer, au fil des pages du catalogue de l’exposition, quelques touches au travail de Clémentine Gustin-Gomez, proposant notamment de nouvelles attributions et une chronologie plus serrée des dessins et des peintures. Un chantier s’achève, un autre va s’ouvrir : celui du plafond de la salle des Gardes de la Reine, dû à un autre éminent peintre du roi, Noël Coypel, qui mériterait tout autant que l’on revisite son œuvre à l’occasion de la restauration d’une de ses compositions majeures, en cette année consacrée à Louis XIV, année du tricentenaire de la mort du grand roi. BÉATRIX SAULE Directeur-conservateur général du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon


Poursuivant sa politique d’étude des artistes présents dans la collection d’art ancien, le musée des Beaux-Arts s’est associé au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon pour la présentation aujourd’hui des œuvres de Charles de La Fosse, grand peintre de Louis XIV. C’est lors de la création du musée, au début du XIXe siècle, que l’État envoie à Nantes, depuis le Muséum central des arts, deux tableaux tout à fait remarquables de Charles de La Fosse : Vénus demande des armes à Vulcain pour Énée et La Déification d’Énée. Si la provenance de ces œuvres n’est toujours pas élucidée, leur qualité et leur thématique permettent cependant de supposer que c’est un prestigieux commanditaire qui a dû solliciter le peintre. Faire découvrir les différentes facettes de l’art de Charles de La Fosse à travers ses peintures mythologiques et un ensemble de dessins aux trois crayons, tel est l’objet de cette rétrospective qui montrera la somptuosité des compositions, du traitement des tissus et de la palette. En effet, le souvenir qu’a laissé cet artiste est celui d’un formidable décorateur qui accompagna les fastes du règne de Louis XIV. Afin de permettre à un large public de découvrir l’art de Charles de La Fosse, un travail important a été effectué par le service des publics du musée. Au-delà des histoires qui éclairent les sujets mythologiques, c’est une invitation à une lecture contemporaine de ces œuvres qui a été imaginée : la richesse des couleurs, le luxe chatoyant des étoffes se retrouvent chez nos décorateurs et créateurs de mode. C’est par ce biais qu’un travail de médiation a été entrepris avec une partie du public. Une telle approche pluridisciplinaire permet ainsi de décloisonner le musée et de solliciter de nouveaux regards. Une telle exposition est possible grâce aux prêts généreux accordés par les responsables de nombreuses collections publiques, ainsi qu’à la participation active des historiens d’art. Je tiens à les remercier tous très vivement. JOHANNA ROLLAND Présidente de Nantes Métropole, maire de Nantes


« La peinture est un fard, il est de son essence de tromper, et le plus grand trompeur en cet art est le plus grand peintre. »

ROGER DE PILES, Cours de peinture par principes, 1673 Poursuivant son travail sur les collections du XVIIe siècle et sur les artistes dont les œuvres sont conservées dans ses collections, l’équipe du musée des Beaux-Arts de Nantes est fière de collaborer avec celle du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon pour faire revivre Charles de La Fosse. Cet artiste, dont la carrière couvre l’ensemble du règne de Louis XIV, s’est fait l’écho du goût fastueux du souverain et a su faire évoluer son art afin de répondre aux nombreuses sollicitations de la cour et des nobles courtisans pour la réalisation de décors. Il a été choisi à Nantes de privilégier la « grande peinture » ou peinture mythologique qui permet de présenter toutes les facettes de l’artiste, mettant ainsi en valeur les deux œuvres conservées dans ses collections : La Déification d’Énée et Vénus demandant à Vulcain des armes pour Énée. En effet, c’est à travers les sujets mythologiques que Charles de La Fosse va déployer tous ses talents de coloristes, qui ont marqué ses contemporains. À la fin du XVIIe siècle, la mythologie relève du domaine du divertissement, du jeu, de la tradition, permettant de dire, de représenter sans conséquence autre qu’esthétique. C’est ainsi que La Fosse va choisir d’illustrer Virgile et Ovide en privilégiant des thèmes plaisants avec des couleurs chatoyantes et riches. Rien ne semble tout à fait naturel : les personnages sont posés sur des paysages de décor, qu’il n’est pas possible de situer ; les poses sont tout à fait irréelles et les draperies qui couvrent partiellement les corps sont gonflées par un souffle céleste. Quant aux sujets, ils n’ont pas pour objet de délivrer un message, mais avant tout de plaire à l’œil. Ayant longuement séjourné à Venise, Charles de La Fosse, bien que très proche de Charles Le Brun, va faire évoluer la peinture, sous l’influence de Titien, de Rubens et de Van Dyck, vers un art élégant dominé par la couleur, les compositions jouant sur la maîtrise du clair-obscur, que de nombreux commentateurs vont souligner : « Une peinture moelleuse, une intelligence des teintes, des effets admirables de couleur, l’ont fort bien distingué1 » ou encore, « peu d’artistes ont mieux connu que lui la magie des tons, la pâte du pinceau ; la valeur des couleurs locales2 ».

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Suivant ainsi à la lettre les recommandations de Roger de Piles, théoricien de la querelle du coloris qui agita l’Académie à la fin du XVIIe siècle, Charles de La Fosse met le spectateur en position d’acteur d’une « expérience esthétique, admirant l’artifice de près et l’effet de loin3 ». Il ne cherche pas à raconter une histoire, le temps semblant comme suspendu ou arrêté. Les protagonistes de la scène sont présentés dans tous leurs atours afin de séduire. Cette posture de l’artiste, développant « l’art pour l’art », situe le peintre à la frontière entre l’art et l’art décoratif. Sans message particulier, cette peinture reflète ainsi la recherche du beau et de l’harmonie, traduisant avec éclat l’assurance prise par les peintres qui développent leur savoir-faire au sein de l’Académie. Ainsi, la carrière de La Fosse reflète ce goût pour l’effet plastique, pour la richesse des coloris, pour le « plaisir artistique ». Ce n’est pas seulement l’esprit du spectateur qui est sollicité, mais tous ses sens, d’où l’importance de la touche et de la couleur. La réalité historique, le contexte politique ne sont désormais plus des sujets de peinture, seules comptent la séduction de l’œuvre, son adéquation à magnifier un espace, à offrir au visiteur un moment de plaisir. Ainsi que le rapportait Dezallier d’Argenville, Charles de La Fosse disait quelquefois qu’il était « dangereux de trop approfondir son art, et de donner trop de temps à la théorie » ; il ajoutait que « le peintre a besoin d’exercice assidu, et que l’opération de la tête doit être soutenue de la souplesse de la main, pour suivre l’enthousiasme, dont les fautes même sont souvent préférables à des choses plus correctes mais languissantes et faites avec peine4 ».

1. Dezallier d’Argenville, 1762. 2. Dandré-Bardon, 1765. 3. Piles, 1673. 4. Cité par Gustin-Gomez, 2006, t. I, p. 230-241.

C’est ainsi que le musée des Beaux-Arts de Nantes a pu réunir, grâce aux prêts généreux de nombreuses collections publiques et privées, une quarantaine d’œuvres de très grande qualité (peintures et dessins) de Charles de La Fosse, mettant en scène les dieux et déesses de l’Olympe pour le plus grand plaisir des yeux, annonçant avec brio la peinture du XVIIIe siècle et tout particulièrement l’art d’Antoine Watteau, dont il soutint la candidature à l’Académie et qu’il introduisit dans le cercle du collectionneur Pierre Crozat. BLANDINE CHAVANNE Directrice du musée des Beaux-Arts de Nantes

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Liste des auteurs ADELINE COLLANGE-PERUGI (AC-P)

Conservatrice, art ancien, musée des Beaux-Arts, Nantes BÉNÉDICTE GADY (BG)

Collaborateur scientifique, département des Arts graphiques, musée du Louvre, Paris CLÉMENTINE GUSTIN-GOMEZ (CG-G)

Docteur en histoire de l’art GUILLAUME K AZEROUNI (GK)

Responsable des collections anciennes, peintures et dessins, musée des Beaux-Arts, Rennes FRÉDÉRIQUE LANOË (FL)

Docteur en histoire de l’art Chargée de cours, manufacture des Gobelins, Paris SYLVIE LE RAY-BURIMI (SLR-B)

Conservateur en chef, musée de l’Armée, Paris ALAIN MÉROT (AM)

Professeur d’histoire de l’art moderne, université de Paris-Sorbonne NICOLAS MILOVANOVIC (NM)

Conservateur en chef, département des Peintures, musée du Louvre, Paris PIERRE ROSENBERG (PR)

de l’Académie française Président-directeur honoraire, musée du Louvre, Paris BÉATRICE SARRAZIN (BS)

Conservateur général, chargé des peintures du XVIIe siècle, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon JULIETTE TREY (JT) Charles de La Fosse, Le Sacrifice d’Iphigénie (détail)

1678-1680, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. MV 6169.

Conservateur, département des Arts graphiques, musée du Louvre, Paris



Sommaire 20

Charles de La Fosse tel qu’en lui-même ALAIN MÉROT

24

Charles de La Fosse : un parcours novateur CLÉMENTINE GUSTIN-GOMEZ

38

Charles de La Fosse à Versailles BÉATRICE SARRAZIN

48

Charles de La Fosse : de Le Brun à Louvois NICOLAS MILOVANOVIC

54

Charles de La Fosse. Les amours des dieux ADELINE COLLANGE-PERUGI

64

Entre ligne et couleur. Réflexions sur les dessins de Charles de La Fosse BÉNÉDICTE GADY

72

Charles de La Fosse en son temps FRÉDÉRIQUE LANOË

80

Un coup de tonnerre (ou plutôt un coup de foudre) PIERRE ROSENBERG

86

Charles de La Fosse, L’Assomption de la Vierge (cat. 20a, détail) Nancy, musée des Beaux-Arts, inv. 215.

Notices

232

Bibliographie

237

Chronologie



Charles de La Fosse tel qu’en lui-même ALAIN MÉROT

L’histoire de l’art a longtemps privilégié (y a-t-elle vraiment renoncé ?) les enchaînements qui paraissent logiques, les mouvements ou les styles se succédant en bon ordre, les « influences » qui s’exercent dans un certain sens. Dans cette optique, la place de l’artiste dans le temps est parfaitement prévisible et son talent analysable, car réduit à la somme de plusieurs composantes qu’il suffirait d’isoler, puis d’additionner pour arriver à dégager une personnalité. Ainsi, dans l’histoire de la peinture française, chacun semble, sans surprise, occuper son lieu et venir à son heure. Mais du même coup, il est plus difficile d’être surpris voire enchanté : l’originalité, la saveur d’une création particulière se trouvent émoussées et la délectation que nous devrions éprouver lors de la rencontre se borne à constater la plus ou moins grande justesse d’une étiquette. Charles de La Fosse a pâti plus qu’un autre de cette illusion rétrospective qui pervertit le jugement historique. Il s’agirait en effet d’un artiste « de transition » – notion simpliste, contestée dès 1974 par Antoine Schnapper. Ce mot, dans sa fausse objectivité, désigne un lien entre deux périodes, un chaînon obligé dans une continuité impossible à rompre. Mais il recouvre aussi un jugement de valeur dépréciatif : la transition indique un creux séparant deux périodes particulièrement brillantes et souvent deux personnalités artistiques de tout premier plan. Elle est donc à la fois nécessaire et discrète, et l’artiste transitif (si l’on nous pardonne cette expression) revêt ces mêmes caractères. Pour le dire autrement : il serait impensable qu’un La Fosse n’eût pas existé et créé à un moment précis de l’histoire de l’art français ; mais si nécessaire que soit le lien qu’il établit entre Charels Le Brun et Antoine Watteau, il n’est pas question de le placer au même niveau que ces deux génies. On en a fait le peintre par excellence de la fin d’un siècle que l’on qualifie de grand. Cette dernière partie du règne de Louis XIV, dont il fut l’exact contemporain, a été souvent présentée comme un temps de déclin, de dévotion étroite et de tristesse. Une époque plus terne que les glorieuses années 1660 et 1670, moins riche en grands hommes et en admirables créations et qui n’est sauvée que parce qu’elle contient en germe la suite : la « crise de la conscience européenne », les Lumières et, pour les arts, « l’aimable Régence » et le règne de Louis XV dont on célèbre la modernité et la vitalité. Même si l’on a fait depuis longtemps justice de ces simplifications et insisté sur la richesse des débats religieux, philosophiques et artistiques d’une période marquée notamment par la querelle des Anciens et des Modernes, La Fosse et nombre de ses contemporains restent sous-estimés. Ce qui les rachète encore aujourd’hui aux yeux des historiens et des amateurs, c’est leur part de modernité, la sensualité d’un coloris emprunté aux Vénitiens et aux Flamands et un certain piquant avant-coureur des grâces du XVIIIe siècle : toutes choses qui les auraient affranchis d’un académisme compassé. Mais à force d’anticiper et de voir en La Fosse un précurseur, on en est venu à méconnaître sa véritable personnalité. En privilégiant dans son œuvre tout ce qui semble regarder vers l’avenir, en préférant ses tableaux de chevalet à ses grands décors (très mal conservés il est vrai), en occultant sa participation aux travaux d’une Académie beaucoup plus diverse et tolérante qu’on ne l’a longtemps cru, la tradition historique a largement vidé de sa substance l’une des créations les plus toniques et généreuses qui soient. La critique a souvent fait la fine bouche devant ses œuvres : trop coloristes pour les puristes du XVIIe siècle, trop solides et sages pour les tenants de la modernité. D’un côté, on souligne ce qu’il 20




Charles de La Fosse : un parcours novateur CLÉMENTINE GUSTIN-GOMEZ

Fig. 1. André Bouys, Portrait de Charles de La Fosse (cat. 1, détail)

1688, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. MV 3582.

Charles de La Fosse (1636-1716) connut une longévité peu commune, il vécut quatre-vingts ans et travailla jusqu’aux derniers jours. Sa carrière est indissociable du règne de Louis XIV. Du palais des Tuileries à la chapelle royale du château de Versailles, il participa à tous les chantiers royaux durant les périodes glorieuses du règne. Nommé directeur de l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1699, il a bénéficié du soutien sans faille de la famille royale, ce qui a renforcé son succès. L’attrait de ses talents de décorateur et de coloriste lui assura, tout au long de sa vie, auprès des commanditaires privés les plus prestigieux comme la Grande Mademoiselle, lord Montagu et Pierre Crozat, de nombreuses commandes qui lui permirent d’acquérir la réputation de « meilleur décorateur de son temps ». Si célèbre durant sa vie, il est injustement tombé dans un semi-oubli pendant plus de deux siècles. Dès le XVIIIe siècle, sa fortune critique apparaît en demi-teinte, le jugement « bon coloriste et médiocre dessinateur » va être inlassablement repris jusqu’au début du XXe siècle. Seul Papillon de La Ferté, en 1776, s’enthousiasme : « On trouve en général dans les compositions de La Fosse une variété d’idées qui annonce en lui un génie supérieur, un talent singulier pour diversifier les teintes, pour les rendre transparentes & pour les accorder ; une intelligence du clair-obscur, qui jointe à son beau coloris, répand la lumière la plus vive sur tous ses ouvrages1. » Pourquoi l’avoir tant négligé ? Il a peut-être pâti d’être pris en étau entre Charles Le Brun et Antoine Watteau, d’appartenir à la génération de transition reliant deux siècles prestigieux de la peinture française. Depuis quelques années, les historiens d’art et le marché manifestent un intérêt croissant pour cette période de la peinture, jusque-là délaissée. Charles de La Fosse devient prisé pour les mêmes raisons qui ont été à l’origine de son effacement, à cause de la variété de son style et de la richesse de ses recherches picturales. L’étude de sa longue et remarquable carrière permet de mieux comprendre sa personnalité, son œuvre, l’immense succès qu’il connut de son vivant ainsi que son retour en grâce.

La formation

1. Papillon de La Ferté, 1776, p. 514.

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Charles est le dixième des quinze enfants d’une fratrie qui comptait seulement quatre filles. Cette fécondité n’est pas rare au XVIIe siècle. Comme fréquemment sous l’Ancien Régime dans le monde de l’artisanat et de l’art, la famille appartient au même milieu professionnel, celui des orfèvres. Le passage du métier d’orfèvre à celui de graveur était fréquent et naturel, les deux faisant usage de techniques voisines, pour lesquelles une solide connaissance du dessin était indispensable. Cela explique le premier apprentissage de Charles auprès de François Chauveau (1613-1676), l’un des plus prolifiques illustrateurs de cette période. Déterminé à devenir peintre, il entra ensuite, vers 1654-1655, dans l’atelier de Charles Le Brun, l’artiste le plus célèbre de son temps avec Pierre Mignard. Nous savons qu’il travailla à ses côtés au séminaire de Saint-Sulpice puis à la galerie d’Hercule de l’hôtel Lambert où son rôle exact n’est pas documenté. Comme il était d’usage en son temps, La Fosse poursuivit sa formation en Italie où il partit en 1659. L’appui de Charles Le Brun a certainement été décisif pour faire connaître ses mérites à





Charles de La Fosse à Versailles BÉATRICE SARR AZIN

Fig. 1. Charles de La Fosse, L’Asie (détail)

Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. 1850 2252.4.

Charles de La Fosse est un des peintres de Louis XIV dont la carrière se déroule principalement au service du roi. Il appartient à la génération de ceux qui participent aux grandes commandes royales. Plus que tout autre, il bénéficie de bons appuis, celui du premier peintre du roi, Charles Le Brun, puis celui du surintendant des Bâtiments du roi, Jules Hardouin-Mansart, qui le conduisent aux décors du Grand Appartement du Roi, du Petit Appartement du Roi et de Trianon pour finir par les deux grandes commandes de la fin du règne : les Invalides et la chapelle royale1. La vie de Charles de La Fosse couvre le siècle de Louis XIV. D’un point de vue anecdotique, ses dates sont quasiment celles du roi. D’un point de vue esthétique, son art suit les évolutions du goût qui mènent, à l’intérieur même du château de Versailles, au XVIIIe siècle naissant, léger et charmant. Ce n’est pas le lieu de revenir dans le détail sur l’histoire des commandes versaillaises, mais plutôt de tenter de cerner la part originale de la participation de La Fosse : l’artiste sait s’adapter au contexte exigeant des grandes commandes, mais aussi fournir de nouvelles propositions tant sur le plan artistique que sur le plan iconographique.

La Fosse, sous la dépendance de Le Brun ?

1. Pour autant, il ne délaisse pas les offres des mécènes privés ; voir l’essai de Clémentine Gustin-Gomez, p. 24. 2. Blanc, 1862-1863, p. 1 : « La Fosse appartient bien à l’école de Versailles, et la critique pourrait l’enrégimenter dans le bataillon discipliné par Le Brun. » Encore en 1963, lors de la première grande exposition consacrée à Le Brun, Pierre du Colombier qualifiait celui-ci de « Président-Directeur général » proche de la conception de Blunt, 1983, p. 271-275 et p. 291-293, qui le présente comme un « dictateur des arts », déclinant précisément dans ce domaine le modèle royal et « colbertien ». Cependant, les récentes mises au point ont tendance à apporter une vision nuancée de la figure du premier peintre du roi ; Gady, 2010, p. 1-10. 3. Nivelon, 2004, p. 194. C’est d’ailleurs la seule fois qu’est mentionné le nom de La Fosse dans cet ouvrage. 4. Gady, 2010, p. 487, n. 1204. 5. La Fosse – et Chauveau – copient au trait Le Triomphe de la fidélité d’après Charles Le Brun, dans la chambre des Muses ; Paris, cabinet des Arts graphiques, inv. 29455 ; Gady, 2010, p. 331-332, p. 378-380. 6. Commande de tableaux pour la galerie des Ambassadeurs en 1671. 7. Gady, 2010, p. 488, n. 1211. 8. Ibid., n. 1210. 9. Milovanovic, 2005, p. 18.

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Cela revient à poser d’emblée la question des relations entre La Fosse et Le Brun. Ces dernières années, le rôle du premier peintre du roi a été nuancé : à l’origine du « dessein » et de l’ordonnancement général, contrôlant la production tout en privilégiant pour lui-même certains « dossiers » comme celui de la galerie des Glaces, Le Brun sait aussi faire confiance, voire déléguer, comme il l’a pratiqué en particulier dans le Grand Appartement du Roi en laissant une grande liberté à ses collaborateurs2. Le premier peintre du roi constitue son équipe avant le chantier de Versailles. S’agissant de La Fosse, il n’est pas inutile de rappeler que les liens de ce dernier avec Le Brun se sont tissés dès la période d’apprentissage. En effet, La Fosse est passé de l’atelier de Chauveau – très lié au maître – à celui de Le Brun. Il est un de ses élèves les plus âgés : entre Le Brun et La Fosse, quinze ans seulement de différence ont pu favoriser cette relation privilégiée. La Fosse semble déjà présent sur le plafond de la chapelle du séminaire de Saint-Sulpice3, puis à l’hôtel Lambert4 et même à Vaux-le-Vicomte5. Au retour d’Italie en 1664, La Fosse est intégré dans l’équipe de Le Brun sur les premiers chantiers royaux : aux Tuileries6 et même au Louvre, dans la galerie d’Apollon7. En 1672-1673, il soumet des dessins à Le Brun pour le collège des Quatre-Nations. Il partage donc avec d’autres talents, jeunes ou moins jeunes, l’accès aux grandes commandes du moment. Toutefois, il est difficile d’apprécier la structure des équipes et de mesurer quelle place occupe réellement La Fosse, simple exécutant ou plus ? Cependant, ce dernier va avoir l’occasion de faire ses preuves de manière plus explicite à la chapelle des mariages de l’église Saint-Eustache. L’histoire raconte que Le Brun, auquel la commande revenait, préféra s’en décharger sur La Fosse. En cela, il jouait un mauvais tour à Pierre Mignard qui ne pouvait plus se mesurer à son rival, mais simplement à un de ses élèves8.

Le Grand Appartement du Roi : les décors du salon d’Apollon et du salon de Diane Dans le Grand Appartement du Roi, Le Brun fait le choix d’une équipe de neuf peintres issus de l’Académie ou en passe d’y être reçus9. Ainsi, La Fosse fut de ceux qui, aux côtés de René-Antoine




Charles de La Fosse : de Le Brun à Louvois NICOLAS MILOVANOVIC

Fig. 1. Charles de La Fosse, Coriolan supplié par sa mère et son épouse d’épargner sa patrie (cat. 15, détail) Dijon, collection particulière.

1. Dussieux et al., 1854, t. II, p. 1 (d’après le manuscrit no 220 réputé émaner de la famille de La Fosse et conservé à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris). 2. D’après Claude III Nivelon, collaborateur et biographe de Le Brun (Nivelon, 2004, p. 194) : « Tout cet ouvrage fut exécuté en quatorze semaines, ayant pour aide le sieur de La Fosse, illustre peintre, et les deux messieurs Fèvres » ; Bénédicte Gady a démontré qu’il s’agissait de Jacques et Claude Lefebvre et non de Gilbert et Pierre de Sève ; Gady, 2010, p. 335-342. 3. Selon Dubois de Saint-Gelais, 1885, p. 54. 4. Gady, 2010, p. 331-334. 5. Cette influence a pourtant été très tôt contestée, ainsi dans le manuscrit no 84conservé à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, Mémoires historiques sur Charles de La Fosse peintre, ms. 84 : « Il [Le Brun] n’en suivit par la suite ni le goût de peindre ni celui de dominer. » 6. Sur La Fosse et Rubens, voir Merle du Bourg, 2004, p. 233-237. L’auteur date du milieu des années 1670 l’ « adhésion de La Fosse au rubénisme » (p. 235). 7. Gustin-Gomez, 2006, t. I, p. 166, et t. II, p. 10-11, P.6 à P.9. 8. Ibid., t. II, p. 32-34, P.43. 9. Ibid., t. I, p. 41-42, t. II, p. 15, P.16 à 18. 10. La Fosse perçut 1 000 livres en 1673, 700 en 1674, puis des sommes qui trahissent un chantier en sommeil : 300 livres en 1675, 300 livres en 1677, rien en 1677 ; le chantier reprit en 1678 : 1 000 livres en 1678, puis 3 500 livres en 1679, 3 000 livres en 1680 (CBR, 1881 : col. 695, 759, 828, 899, 1047, 1154, 1279).

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Charles de La Fosse se forma à la peinture auprès de Charles Le Brun : « M. Charles de Lafosse [était] fils d’un orfèvre de Paris qui le mit chez M. Chauveau, dessinateur et graveur, pour y apprendre les premiers éléments du dessin, qui lui trouva une si grande inclinaison pour la peinture, qu’il s’y attacha et entra chez M. Le Brun, qui fut depuis Premier peintre du roi, où il resta jusqu’à l’âge de vingt-deux ans, qu’il fit le voyage d’Italie1. » La Fosse assista Le Brun sur le chantier du séminaire de Saint-Sulpice2. Il est possible que le jeune artiste ait travaillé également auprès du futur premier peintre pour le décor de la galerie d’Hercule à l’hôtel Lambert3. Bénédicte Gady a montré de manière très convaincante que La Fosse peignit aussi sous l’autorité de Le Brun sur le chantier de Vaux-le-Vicomte4. On doit donc s’attendre à trouver une influence du maître sur l’élève5, et il nous semble en effet que celle-ci ne s’estompe qu’au milieu des années 1670, au moment où La Fosse adhère au rubénisme6, même s’il n’aurait symboliquement marqué sa distance avec Le Brun qu’avec le Coriolan peint pour Louvois vers 1680. Parmi les premières œuvres attribuées à La Fosse, on compte les tableaux provenant du décor du couvent de la Visitation de Tours, conservés aujourd’hui au musée des Beaux-Arts7. Dans la Déposition de Croix, les figures de la Madeleine et de la Vierge dérivent directement de compositions de Le Brun des années 1650 : La Descente du Saint-Esprit et La Madeleine repentante du Louvre pour la figure de la Vierge, Le Repas chez Simon de Venise et Le Sacrifice de Jephté de Florence pour la figure de la Madeleine. Cette influence de Le Brun se retrouve pour La Résurrection de La Fosse conservée à la cathédrale de Beauvais8 qui évoque Le Martyre de saint Étienne de Notre-Dame de Paris et Le Frappement du rocher de Bristol peints par Le Brun. Ces œuvres de La Fosse ont probablement été peintes à la fin des années 1660, alors qu’il bénéficiait de la recommandation du premier peintre qui lui obtint notamment la commande du décor (détruit) de la chapelle des mariages à Saint-Eustache, sans doute en 1667-16689. La protection de Le Brun permit également à La Fosse d’obtenir des commandes royales au Louvre, aux Tuileries, et surtout à Versailles. En 1671, La Fosse bénéficia d’une commande majeure sur le chantier des Grands Appartements du château alors qu’il n’était pas encore reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture (il ne le fut qu’en 1673). Il fut chargé du panneau central du salon d’Apollon, pièce qui devait être la chambre d’apparat du roi, et qui devint la salle du Trône ; d’une voussure et de deux écoinçons dans la même salle, la plus prestigieuse des Grands Appartements ; mais aussi de deux voussures et d’un dessus de cheminée dans le salon de Diane, qui ouvrait sur l’escalier des Ambassadeurs. La datation de ces décors pose problème car le chantier s’est étendu sur près de dix années, entre 1671 et 1680. Il nous semble cependant que la mesure de l’influence de Le Brun, complétée par les mentions des paiements dans les comptes des Bâtiments du roi, indiquant que La Fosse perçut les plus fortes sommes en 1673-1674 et en 1678-168010, permet de proposer une chronologie plus précise. Le panneau central du salon d’Apollon montrant le Char d’Apollon [fig. 2] est la seule composition où l’on discerne l’influence de Le Brun. Les attitudes des figures allégoriques assises sur les nuées, la figure de l’Été, vue de dos, et celle du Printemps, portant un panier de fleurs, dérivent de modèles peints par Le Brun dans le décor de la galerie d’Hercule à l’hôtel Lambert ; les figures de la Magnificence et de la




Charles de La Fosse. Les amours des dieux ADELINE COLLANGE-PERUGI

Fig. 1. Charles de La Fosse, Clytie changée en tournesol (cat. 26b, détail) 1688, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. MV 7256.

1. Cat. exp. Paris, Philadelphie, Fort Worth, 1991-1992. 2. Katie Scott : « D’un siècle à l’autre : histoire, mythologie et décoration à Paris au début du XVIIIe siècle », ibid, p. XXXII -XLIX. 3. La bibliothèque de l’appartement de La Fosse comprenait les œuvres de Racine en « deux volumes in-douze reliés en veau », voir l’inventaire après décès de La Fosse, Gustin-Gomez, 2006, t. I, p. 248. 4. Dubu, 1989. 5. Inventaire après décès, Gustin-Gomez, 2006, t. I, p. 248-249. 6. La traduction, publiée pour la première fois à Venise en 1561 chez Griffio, augmentée en 1563, est ensuite illustrée par Francesco Turchi. Les éditions des Giunti à Venise sont considérées comme les plus belles (1584, 1592, puis au XVIIe siècle) : Le metamorfosi di Ovidio, ridotte da Gio Andrea dell’Anguillara in ottava rima : con le annotationi di m. Gioseppe Horologgi & gli argomenti & postille di m. Francesco Turchi. 7. Il apparaît assez difficile de trancher dans les nombreuses éditions en petits formats du XVIIe siècle, sachant que les inventaires des bibliothèques, comme celui-ci, sont parfois approximatifs. Ainsi il n’est pas rare de confondre les formats – relativement proches – in-octavo et in-douze. L’indication « en trois tomes » ne nous aide guère non plus, même si nous pouvons penser qu’ici il y a confusion – fréquente, chez les éditeurs eux-mêmes – entre les termes tome (unité intellectuelle) et volume (unité physique). De plus la partition d’un ouvrage en tomes ne correspond pas toujours à sa division en volumes, et cette division peut être différente pour la même édition… 8. Les Métamorphoses d’Ovide – traduites en prose française [par N. Renouard] et de nouveau soigneusement revues et corrigées avec XV discours contenant l’explication morale des fables, de plus, outre le Jugement de Pâris, augmentées de la Métamorphose des abeilles traduite, avec des figures gravées par Jaspar Isaac, nombreuses éditions in-octavo : Veuve Guillemot, Paris, 1614 ; Veuve Abel L’Angelier et Sébastien Cramoisy, 1627 ; à Rouen, Chez Jean Berthelin, 1643, etc.

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Le titre de notre essai et de l’exposition de Nantes souhaite rendre hommage à l’exposition fondatrice du Grand Palais de 1991 « Les amours des dieux : la peinture mythologique de Watteau à David1 ». Les auteurs introduisaient le catalogue de l’exposition, consacrée au XVIIIe siècle et à ses mythologies galantes, avec des artistes pourtant communément attachés au Grand Siècle : La Fosse, Mignard, Jouvenet, Coypel ou encore Bon Boullogne. Au sein même de cette génération d’artistes, Charles de La Fosse est peut-être celui qui incarne le mieux la nouvelle vision accordée à la fable dans les arts et la littérature. De l’imaginaire royal apollinien au goût nouveau pour les amours galantes des dieux, le corpus mythologique du peintre permet d’embrasser l’ensemble de sa carrière, et de comprendre les changements de goûts à la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles.

Affirmation des amours ovidiennes dans les thèmes picturaux Les littérateurs du XVIIe siècle distinguaient clairement deux styles héroïques : celui d’Homère et de Virgile, convenant aux exploits guerriers, et celui, plus fleuri, d’Ovide, dédié aux amours pastorales des dieux et de certains mortels. Les Goncourt avaient, à tort, érigé le siècle de Louis XIV2 en moment virgilien et homérique, alors que le règne de Louis XV se serait révélé définitivement ovidien. Mais La Fosse incarnait déjà ce glissement : on observe dans son œuvre une raréfaction de sujets historiques gréco-romains « fondateurs ». Remus et Romulus (Moscou, musée des beaux-arts Pouchkine, inv. 1135) fait figure d’exception dans le corpus de La Fosse. Les sujets tragiques du Sacrifice d’Iphigénie [cat 12] et des Adieux d’Hector et Andromaque (localisation inconnue, fig. 3) sont par ailleurs bien plus clairement influencés par Racine3 que par Eschyle ou Homère4. Quant aux deux tableaux de Nantes [cat. 27], ils montrent une Énéide bien différente de celle qu’allait illustrer Antoine Coypel pour le Palais Royal, une des toutes dernières grandes galeries à décor héroïque. Chez La Fosse l’aspect narratif s’efface au profit d’une mise en scène dans laquelle toute tension dramatique semble disparaître. La présence de Vénus comme figure centrale des deux compositions révèle une vision virgilienne originale dans laquelle l’amour devient l’épicentre de la narration. De fait, les sujets traités par La Fosse sont souvent tirés des thèmes ovidiens. Son inventaire après décès mentionne dans la bibliothèque familiale deux exemplaires des Métamorphoses « en trois tomes in octavo reliés en veau » et un exemplaire italien « in quarto […] en maroquin » prêté par Crozat à sa nièce Anne-Marguerite de La Pierre d’Argenon5. Le format in-quarto est sans doute d’une des éditions de Giovanni Andrea dell’Anguillara, transposition poétique du texte d’Ovide en langue italienne, en stances de huit vers, illustrée par Francesco Turchi6. Charles de La Fosse aurait pu acheter une de ces éditions, prisées et relativement fréquentes, lors de son séjour vénitien. Le petit format in-octavo signale quant à lui un de ces ouvrages modestes, particulièrement aisés à utiliser, dans la tradition des Ovides moralisés et figurés du Moyen Âge, qui étaient souvent des réductions d’éditions plus prestigieuses. Dans ces nombreuses éditions du XVIIe siècle, les illustrations des fables étaient assorties d’un discours moralisateur (compatible avec la foi chrétienne) ou tout du moins d’une interprétation allégorique. Il existe de très nombreuses éditions au XVIIe siècle7. Ainsi la très populaire traduction française de Nicolas Renouard8 illustrée par Jaspar Isaac, éditée près d’une dizaine de fois au XVIIe siècle,


Charles de La Fosse. Les amours des dieux


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Entre ligne et couleur. R éflexions sur les dessins de Charles de La Fosse BÉNÉDICTE GADY

Fig. 1. André Bouys, Portrait de Charles de La Fosse (cat. 1, détail) 1688, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. MV 3582.

1. Voir Dussieux et al., 1854, t. II, p. 6-7. 2. Lichtenstein et Michel, 2009, t. I, vol. 2, p. 557 et 574 ; t. II, vol. 1, p. 50 ; t. III, p. 294. 3. Dezallier d’Argenville, 1762 ; voir Gustin-Gomez, 2006, t. I, p. 231. 4. Voir aussi Gustin-Gomez, 2012. 5. Paris, Arch. nat., M.C., LXXVII, 149, à partir du 23 décembre 1716 ; découvert par Chéreau, 1992, p. 98 ; publié par Gustin-Gomez, 2006, t. I, p. 246-263.

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Dans son portrait peint par André Bouys en 1688 [fig. 1 ; cat. 1], Charles de La Fosse montre du doigt, touche du doigt même, une feuille de papier sur laquelle est posé un porte-mine, doté semble-t-il d’un bâton de sanguine. Nulle palette, nul chevalet, nulle allusion au peintre : seul est visible l’instrument du dessinateur, sur la feuille vierge à laquelle se confronte l’inventeur. Un tel choix peut surprendre pour représenter celui qui passe pour l’un des plus fervents partisans de la couleur contre le dessin. Il ne constitue cependant qu’une des ambiguïtés du rapport que La Fosse entretient avec ce dernier. Malgré une formation auprès d’un dessinateur et graveur, François Chauveau, puis auprès de Charles Le Brun, malgré le soutien inconditionnel du premier peintre, défenseur à l’Académie royale du dessin comme fondement des trois arts et partie essentielle de la peinture, malgré un apparent silence lorsqu’a éclaté la querelle du coloris en 1671 et 1672, La Fosse est assurément un peintre coloriste, par son goût et sa maîtrise des effets lumineux, pensés par grandes masses, des couleurs fondues et dégradées, mêlées avec intelligence. Il l’est aussi par les maîtres qu’il choisit pour modèles, le Corrège, Titien, Véronèse, Rubens et Van Dyck. Il l’est enfin par sa complicité avec Roger de Piles, le chantre du coloris, avec qui il a entretenu des échanges fructueux1. La Fosse lui-même a peu théorisé2. Par goût, peut-être aussi par désir de concilier sa fidélité envers Le Brun et ses propres inclinations picturales, « il disait quelquefois », si l’on en croit Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville, « qu’il était dangereux de trop approfondir son art, et de donner trop de temps à la théorie » ; il ajoutait que « le peintre a besoin d’un exercice assidu, et que l’opération de la tête doit être soutenue de la souplesse de la main, pour suivre l’enthousiasme, dont les fautes mêmes sont souvent préférables à des choses plus correctes, mais languissantes et faites avec peine3 ». Le même Dezallier, à l’instar de ses contemporains, regrette précisément qu’il manque à La Fosse « un peu plus de correction et un plus grand goût de dessein », mais il n’en prise pas moins les dessins du maître, qui « sont pleins de couleur et font autant d’effet que ses tableaux », louant tout particulièrement son emploi des trois crayons. L’appréhension globale de l’activité graphique de La Fosse est aujourd’hui grandement facilitée par les travaux de Margret Stuffmann (1964), d’Angélique Chéreau (1992), de Jo Hedley (2001), de Louis-Antoine Prat (2013) et surtout par la monographie de Clémentine Gustin-Gomez (2006) 4. Celle-ci recense quelque trois cents dessins, sur un ensemble qui devait dépasser les mille cinq cents numéros, nombre auquel se montent les feuilles de l’artiste mentionnées dans son inventaire après décès5. Une vision panoramique se heurte toutefois à deux problèmes irrésolus, sur lesquels je souhaiterais revenir dans cet article. Le premier concerne l’identification des dessins produits par La Fosse à ses débuts. Le second réside dans la perception de l’évolution de sa manière graphique, et notamment de son usage de ce qu’il est convenu d’appeler les trois crayons, c’est-à-dire la pierre noire, la sanguine ou pierre rouge, la craie ou pierre blanche.



Entre ligne et couleur. Réflexions sur les dessins de Charles de La Fosse

1673, septembre : avec quelques menues variations sur la forme du l et du f, cette signature se maintient dans les procèsverbaux de l’Académie jusqu’en octobre 1677. Elle apparaît plus tard au bas de certains dessins (voir Gustin-Gomez, 2006, D.30 et D.114).

1677, octobre : à partir d’octobre 1677, La Fosse donne une majuscule au f de son nom. Au bas des procès-verbaux, ce choix n’est plus remis en question. La forme du l, en revanche, varie.

1678, janvier

1699, 25 avril : à la séance qui suit son élection comme directeur de l’Académie et de manière irrégulière par la suite, La Fosse signe avec un L majuscule.

1702, janvier

1715, mai : à partir de mai 1715 et jusqu’à son décès, La Fosse modifie la forme du F majuscule de sa signature.

Fig. 2. Les signatures de Charles de La Fosse.

Fig. 3. Charles de La Fosse, Planche pour Les illustres proverbes historiques…

Paris, chez Pierre David, Paris, Bibliothèque nationale de France, inv. Z 17957. 66

Les artistes sont toujours particulièrement difficiles à saisir dans leur jeunesse, qu’ils progressent par à-coups ou s’essaient à différentes manières avant de formuler un ou des styles personnels. Chez La Fosse, cette période d’incertitude s’étend presque jusqu’à son quarantième anniversaire. Comme pour Nicolas Vleughels une génération plus tard, l’ensemble de sa production connue est une production de maturité. Sa première œuvre assurée et datée est une modeste Éducation de la Vierge gravée par Jean Couvay en 1665 et dont le modèle est perdu6. L’artiste a alors presque trente ans. De la seconde moitié des années 1660 date la commande de la chapelle des mariages de l’église Saint-Eustache aujourd’hui détruite, dont ont été rapprochés trois tableaux à titre d’hypothèse7 [cat. 2]. Les premières peintures documentées et conservées s’inscrivent la décennie suivante : ce sont L’Enlèvement de Proserpine [cat. 4], présenté comme morceau de réception à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1673 et peut-être peint un peu avant, les décors des salons d’Apollon et de Diane dans le Grand Appartement du Roi à Versailles (1671-1681) et la coupole de l’église de Sainte-Marie de l’Assomption à Paris [fig. 3, p. 28] (vers 1676). Les premiers dessins sur lesquels les spécialistes s’accordent se placent dans cette même décennie8. L’absence de jalons sûrs pour les débuts, l’affirmation des biographes anciens selon laquelle La Fosse aurait profondément modifié sa manière lors de son séjour en Italie (vers 1659-1664) au contact de la peinture vénitienne et des œuvres du Corrège, ont pu justifier que soient considérés comme de la jeunesse de l’artiste des dessins très éloignés de sa manière tardive, au motif qu’ils portaient sa signature. En réalité, les différentes inscriptions « Lafosse » placées au bas de ces feuilles ne sauraient être confondues avec cette signature, dont le tableau récapitulatif ici présenté retrace l’évolution [fig. 2]. Jo Hedley a ainsi proposé de situer dans cette première période un curieux dessin intitulé Ha pauvre charpentier, que Clémentine Gustin-Gomez et Emmanuelle Brugerolles acceptent comme autographe mais datent de la fin de la carrière de l’artiste9. Parallèlement elle a reconnu la main de La Fosse dans le modèle d’une estampe satirique publiée dans Les illustres proverbes historiques…, dont la première édition, chez Pierre David, remonte à 165510 [fig. 3]. La lettre porte « delafosse // in. fec. », ce qui indique que La Fosse



Charles de La Fosse en son temps FRÉDÉRIQUE LANOË

Fig. 1. Charles de La Fosse, La Déification d’Énée (cat. 27b, détail) Nantes, musée des Beaux-Arts Inv. D.809.1.13

L’originalité d’un élève de Charles Le Brun Disons-le d’emblée, de tous les peintres français de sa génération, Charles de La Fosse fut celui qui sut s’affranchir le plus du modèle doctrinaire de Charles Le Brun et de Nicolas Poussin, soutenu par l’Académie royale de peinture et de sculpture, afin de suivre son penchant pour la couleur. Cet intérêt prédominant lui confère une place à part dans l’art français du XVIIe siècle. « La partie du coloris a toujours dominé chez Charles de La Fosse1 » : c’est par l’énoncé de cette évidence qu’Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville introduisait sa biographie de l’artiste dans son Abrégé de la vie des plus fameux peintres. Cet auteur rappelait ensuite l’importance pour La Fosse des trois années de formation qu’il avait passées à Venise après avoir séjourné à Rome, pour s’imprégner des tonalités douces et dorées de Titien et de la grandeur savamment maîtrisée des décors de Véronèse. Cet amour pour la couleur devait naturellement porter La Fosse à manifester un regain d’intérêt précoce, qu’il partageait avec son ami le théoricien Roger de Piles, pour la peinture de Rubens et notamment pour sa période vénitienne2. Certains de ses contemporains formés comme lui auprès de Charles Le Brun3, Claude II Audran (1639-1684), François Bonnemer (1637-1689), François Verdier (vers 1651-1730) pour ne citer qu’eux, ne surent pas, en effet, développer un style aussi personnel que le sien, aisément reconnaissable. Ils prolongèrent dans le siècle, avec plus ou moins de bonheur et plus ou moins d’inspiration, la manière qui avait été celle du premier peintre de Louis XIV. Son sens du grand décor et, surtout, sa maîtrise de la fresque4, technique pas toujours bien assimilée par les peintres français, permirent de plus à La Fosse d’être un peintre recherché par de nombreux commanditaires. L’amicale protection de Jules Hardouin-Mansart (1646-1708) joua un rôle important dans sa carrière : celui-ci paraît avoir particulièrement apprécié son coloris vigoureux permettant de faire vibrer l’architecture pure et classique de ses intérieurs. Grâce à son accession à la charge de surintendant des Bâtiments du roi en 1699, il avait pu ménager à son peintre favori la première place sur les plus importants chantiers royaux5.

La « génération Trianon »

1. Dezallier d’Argenville, 1762, t. IV, p. 189. 2. Stuffmann, 1964. 3. Sur les relations entre Charles de La Fosse et Charles Le Brun, voir ici-même l’essai de Nicolas Milovanovic, p. 48. 4. Brochu, 2011. 5. Voir ici même l’essai de Clémentine Gustin-Gomez, p. 24. 6. Sur l’ensemble du décor de Trianon, voir Schnapper, 2010.

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Pour l’ornementation des demeures royales, La Fosse s’est trouvé pendant toute sa carrière en concurrence avec Jean Jouvenet, René-Antoine Houasse, François Verdier, les Coypel père et fils, et plus tard les frères Boullogne. Ces artistes eurent notamment l’opportunité d’œuvrer pour Trianon et pour le château de Marly : durant les deux dernières décennies du siècle, les anciens émules de Le Brun, arrivés en pleine possession de leurs moyens et émancipés du grand style versaillais, surent concevoir dans ces demeures de plaisance un décor d’agrément parfaitement harmonieux6, amorce d’une transition qui conduira vers l’art aimable de la Régence. Principal collaborateur de Le Brun à la manufacture des Gobelins, René-Antoine Houasse parvint à nuancer la manière de son maître en donnant une élégante pureté attique à ses figures, inspirée de la statuaire classique. Son coloris, où dominent des notes froides de mauve, de bleu et d’argenté, apporte à Trianon – où il peignit l’Histoire de Minerve et plusieurs épisodes des Métamorphoses, dont Iris et Morphée [fig. 2] – une note de fraîcheur, un contrepoint lunaire aux tonalités solaires des compositions apolliniennes de Charles de La Fosse. À Trianon, François Verdier devait lui aussi réinterpréter l’ampleur des compositions de Le Brun, sur un mode plus agreste.



Un coup de tonnerre (ou plutôt un coup de foudre) PIERRE ROSENBERG Fig. 1. Charles de La Fosse, Cérès ou L’Allégorie de l’Été (cat. 48b, détail) 1717-1718, Washington, National Gallery of Art, Samuel H. Kress Collection, inv. 1961.9.50.

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L’apparition d’Antoine Watteau dans le ciel de la peinture française fut celle d’un météore ou plus justement d’une comète. Rien ne la laissait prévoir. Et la comète éteinte, sa queue, un certain temps peu visible, connut un épanouissement exceptionnel. Certes, au XVIIIe siècle, Watteau n’était pas oublié mais son œuvre, en un sens si peu XVIIIe pour qui songe à Boucher ou à Fragonard, artistes extravertis par excellence, ne plaisait guère. Il fallut attendre le XIXe siècle, le monde de la mode et du théâtre, de la musique et de la danse, de la poésie et du cinéma, pour que Watteau prenne rang parmi les plus grands artistes de son pays et de son temps. Lorsqu’il fit la rencontre de Watteau, Charles de La Fosse était célèbre et reconnu. L’écart d’âge entre les deux artistes était considérable, près d’un demi-siècle, quarante-huit ans pour être précis. Ce fut pour La Fosse le coup de foudre. La rencontre eut lieu peu avant 1712. Watteau souhaitait se rendre à Rome, à l’Académie de France, « pour y étudier d’après les grands maîtres, surtout d’après les Vénitiens », et sollicitait « une pension du roi » (Louis XIV à la veille de sa disparition). Il fit porter à l’Académie deux de ses tableaux (un seulement, un « départ des troupes », aux dires d’un auteur anonyme qui écrit en 1746). Reprenons les quelques lignes d’Edme Gersaint, l’homme de L’Enseigne – son texte date de 1744 : « Il prit un jour la résolution de faire porter à l’Académie les deux tableaux qu’il avait vendus à mon beau-père [Sirois], pour tâcher d’obtenir cette pension. Il part sans autre ami ni protection que ses ouvrages, et les fait exposer dans la salle par où passent ordinairement Messieurs de l’Académie de peinture et de sculpture, qui tous jettent les yeux dessus, et en admirent le travail, sans en connaître l’auteur. M. de La Fosse, célèbre peintre de ce temps-là, s’y arrêta même plus que les autres ; et étonné de voir deux morceaux si bien peints, il entra dans la salle de l’Académie, et s’informa par qui ils avaient été faits. Ces tableaux avaient un coloris vigoureux, et un certain accord qui les faisait croire de quelqu’ancien maître. On lui répondit que c’était l’ouvrage d’un jeune homme qui venait supplier ces Messieurs de vouloir bien intercéder pour lui, afin de lui faire obtenir une pension du roi pour aller étudier en Italie. M. de La Fosse surpris, donne ordre que l’on fasse entrer ce jeune homme. Watteau paraît ; sa figure n’était point imposante : il explique modestement le sujet de sa démarche, et prie avec instance qu’on veuille bien lui accorder la grâce qu’il demande, s’il a assez de bonheur pour en être cru digne. Mon ami, lui répond avec douceur M. de La Fosse, vous ignorez vos talents, et vous vous méfiez de vos forces ; croyez-moi, vous en savez plus que nous ; nous vous trouvons capable d’honorer notre Académie ; faites les démarches nécessaires, nous vous regardons comme un des nôtres. Il se retira, fit ses visites, et fut agréé aussitôt. » Ce récit, régulièrement répété avec quelques variantes par les premiers biographes de Watteau, sonne juste. Watteau, âgé de vingthuit ans, sera agréé le 30 juillet 1712 « sous le titre de peintre de fêtes galantes » comme le précise Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville dans l’édition de 1762 de son Abrégé de la vie des plus fameux peintres. Dès le 3 février 1748 dans sa Vie de Watteau lue devant ses confrères de l’Académie, le comte de Caylus (1692-1765) insistait sur le rôle essentiel qu’avait eu La Fosse dans la reconnaissance miraculeuse du talent de Watteau : « M. de La Fosse, ce galant homme par lui-même, si





Le décor de l’église Saint-Eustache Le Mariage de la Vierge et Dieu le Père et les symboles des évangélistes, dont une autre version se trouve au musée de Dunkerque, conservent le souvenir de la première commande religieuse d’envergure obtenue par le jeune Charles de La Fosse à Paris, celle de la chapelle des mariages de l’église Saint-Eustache. Ce décor prenait place du côté droit, dans la première travée de la nef. Il faisait face à la chapelle des baptêmes située à gauche et décorée par Pierre Mignard. En 1752, la construction de la nouvelle façade de l’église entraîna la destruction de la première travée de la nef et la disparition des peintures de La Fosse et de Mignard. Les deux chapelles présentaient la même structure. Celle de Mignard, documentée par un contrat daté du 16 octobre 1666,

2a. Dieu le Père et les symboles des évangélistes Huile sur papier marouflé sur toile H. 82 cm ; L. 64 cm Historique : Pourrait être identifié avec Le Père éternel, cité dans l’inventaire après décès de Charles de La Fosse, p. 2, no 27 ; vente Christie’s, New York, 21 mai 1992, no 120 ; vente Paris, Piasa, 17 décembre 2004, no 69 (non vendu) ; collection particulière, 2014 Bibliographie : Gustin-Gomez, 2006, t. II, p. 17, P.20 Collection particulière

Fig. 1. Charles de La Fosse, Dieu le Père et les symboles des évangélistes

Dunkerque, musée des Beaux-Arts, inv. P.81.4. 88

nous permet d’imaginer la disposition des fresques de La Fosse pour lesquelles nous ne possédons encore aucun document d’archives : deux vastes compositions en hauteur se faisaient face sur les murs et une troisième, ovale ou circulaire, ornait la voûte. En 1684, Germain Brice les décrit pour la première fois et en donne les sujets : « Charles de La Fosse y a peint deux sujets, l’un de l’Ancien et l’autre du Nouveau Testament, qui sont le mariage d’Adam et Ève, et celui de la Sainte Vierge avec Joseph. » Plus tard, la description de Piganiol de La Force vient compléter ces renseignements et nous apprend qu’à la voûte prenait place un Dieu le Père entouré des évangélistes.

Ces descriptions ont permis de relier à cet ensemble trois peintures considérées comme des travaux préparatoires. Deux d’entre elles se rapportent très probablement au Dieu le Père accompagné des symboles des trois évangélistes de la voûte. L’une est conservée dans une collection particulière et l’autre au musée de Dunkerque. La première, de format rectangulaire et d’une réalisation énergique, voire même un peu heurtée, est exécutée sur papier. Le tableau de Dunkerque [fig. 1], d’une facture plus souple et moelleuse, s’inscrit dans un format circulaire et son exécution soignée laisse penser qu’il s’agit probablement d’un modello de présentation, ou même d’une réplique autographe. Il est difficile comme bien souvent dans le cas de telles réductions d’en définir le statut de manière certaine. Pour les compositions des parois de la chapelle, une seule nous est connue par un tableau conservé au Louvre et représentant Le Mariage de la Vierge. L’examen de cette dernière peinture montre que la scène principale a été exécutée dans un premier temps et que l’œuvre a été ensuite agrandie par l’artiste lui-même. Cette modification a permis de rendre le cadrage moins serré et d’ajouter la mère et son enfant à gauche. La radiographie a également contribué à souligner que l’œuvre était à l’origine cintrée, comme la composition définitive dans la chapelle. Comme le note Clémentine Gustin-Gomez (2001), La Fosse a probablement repris et retravaillé son esquisse des années plus tard pour la transformer en œuvre autonome, peut-être pour le Salon de 1699 où il expose une peinture de même sujet. Cette pratique n’était pas isolée, puisque, au même Salon, Noël Coypel présenta plusieurs réductions peintes rappelant ses prestigieuses commandes passées comme celles du May de NotreDame ou des plafonds de Versailles. C’est d’ailleurs sous sa forme retravaillée que le tableau de La Fosse fut gravé par Simon de La Vallée au début du XVIIIe siècle. Les compositions de l’église Saint-Eustache marquent le début de la carrière officielle de La Fosse à Paris et reflètent, dans leur conception et leur exécution, les références acquises lors du récent séjour du peintre à Rome. L’escalier qui structure le premier plan du Mariage de la Vierge et la gamme chromatique dominée par des tonalités chaudes soulignent une attention particulière envers l’art des Vénitiens de la Renaissance, tels que Titien et Véronèse. L’attitude des personnages et leur canon sculptural sont hérités de l’observation des grands modèles classiques comme Raphaël ou Poussin, vus par le filtre de Charles Le Brun. Quant au Dieu le Père, sa proximité avec La Vision d’Ézéchiel de Raphaël (Florence, Palazzo Pitti) souligne l’observation par La Fosse des chefs-d’œuvre du maître d’Urbino. GK








Le portrait du duc de R ichelieu

9a. Portrait équestre d’Armand-Jean de Vignerod du Plessis, duc de R ichelieu Huile sur toile H. 278 cm ; L. 194 cm Historique : Peinture identifiée avec celle mentionnée en 1676 par Vignier au-dessus de la cheminée du salon faisant suite à la galerie (Le Château de Richelieu, Saumur, 1676, p. 99) ; saisie révolutionnaire au château de Richelieu, 1793 Bibliographie : Gustin-Gomez, 2006, t. II, p. 35-36, P.45 ; Auguier, 2006 (attribué à Pierre Dulin) ; Kerspern dans Orléans, Tours, Richelieu, 2011, no 187, p. 460-461 Tours, musée des Beaux-Arts Inv. 795.1.1

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Ce remarquable portrait équestre du duc de Richelieu occupe à plus d’un titre une place singulière dans le corpus des peintures de Charles de La Fosse. Le tableau, saisi à la Révolution au château de Richelieu, entre au musée des Beaux-Arts de Tours comme œuvre anonyme, avant d’être situé, au XIXe siècle, dans l’entourage de Charles Le Brun. La facture libre et enlevée, la palette aux tons chatoyants et la corpulence des figures ont mené Georges de Lastic à proposer une attribution à La Fosse dans un courrier adressé au musée en 1956. Cette identification a par la suite été reprise et argumentée par Margret Stuffmann en 1964 et Robert Fohr en 1982. En 2006, Clémentine Gustin-Gomez, tout en confirmant l’attribution du tableau à La Fosse, en soulignait le caractère exceptionnel dans la production du peintre – où aucun autre portrait n’est connu – tout en rappelant la mention d’un portrait semblable commandé par le duc à un artiste plus jeune que La Fosse, Pierre Dulin (1669-1748). C’est d’ailleurs à ce dernier, qui avait travaillé à plusieurs reprises pour le duc en 1699-1700, que Gérard Auguier propose d’attribuer le portrait de Tours en 2006. Toutefois, malgré les mentions anciennes, les œuvres aujourd’hui connues de Dulin n’offrent pas la force d’exécution de notre tableau, qui s’insère bien plus naturellement parmi les œuvres de La Fosse, tant par son style ample que par le type des figures et sa gamme chromatique chaude. Le style emporté de La Fosse sert particulièrement bien ici le sujet de l’œuvre. La jeunesse et la vigueur du jeune duc transparaissent dans son physique et son attitude comme dans la fougue de l’exécution et le rythme dynamique de la composition. Enfin, l’apparition d’un dessin préparatoire, revenant par la technique et le style incontestablement à La Fosse, a récemment levé les derniers doutes quant à la paternité de ce chef-d’œuvre. La feuille montre trois études : la première, à gauche, est une mise au point rapide de la posture du cheval et du modèle ; les deux autres, à droite, d’un tracé bien plus appliqué préparent la cuirasse et le plastron du duc, partiellement masqués dans l’œuvre définitive par une ample draperie rouge. Personnage à la fois brillant et controversé, Armand-Jean de Vignerod du Plessis, deuxième duc de Richelieu (1629-1715), est le petit-neveu du cardinal de Richelieu dont il hérite de l’immense fortune et du goût pour les arts. Menant une carrière militaire et politique insignifiante si on la compare à celle de son grand-oncle, le duc s’impose par son rôle de mécène et de collectionneur comme une figure incontournable de la vie culturelle de son temps. Réunissant les cercles lettrés les plus fins dans son hôtel de la place Royale, Richelieu a rassemblé un remarquable ensemble de peintures des plus grands maîtres, dominé par les œuvres de Nicolas Poussin et de Pierre-Paul Rubens. Les tableaux du maître des Andelys rejoignent les collections de Louis XIV en 1665 à la suite, comme nous le rapportent certains contemporains, d’une célèbre partie de jeu de paume perdue contre le roi. Si en son temps, Richelieu est loin d’être le seul admirateur de Poussin, il est l’un des rares à posséder un ensemble aussi complet d’œuvres de Rubens (vingt-trois tableaux). Cette réunion unique en France au XVIIe siècle a eu une influence considérable sur des artistes tels que La Fosse ou Nicolas de Largillière et a considérablement contribué à la diffusion du rubénisme en occupant une place centrale dans la querelle du coloris qui secoue le milieu académique parisien à partir des années 1670.





Un ensemble de dessins pour un décor de plafond Ces trois dessins font partie d’un ensemble composé d’une partie centrale à oreilles, de trois lunettes et de vingt-cinq croquis, sans doute destinés à un projet de corniche et d’autres parties du décor [fig. 1 et 2]. Leur proximité formelle et thématique avec la galerie des Glaces est immédiatement perceptible. En premier lieu, le répertoire décoratif : la découpe de la partie centrale à oreilles, la forme des lunettes, mais aussi les motifs de putti, de trophées militaires et les ovales sur le thème des vertus. Ensuite, le mode narratif mêlant les exploits militaires au discours allégorique. D’une scène à l’autre, on suit le roi, jeune et alerte, vêtu d’un manteau bleu et d’une cuirasse à l’antique : ici, on le voit diriger une bataille, là, organiser la construction des tranchées tandis que les trompettes de la Renommée résonnent dans les cieux. Les événements représentés sont tirés des victoires remportées par la France pendant la guerre de Hollande, de 1672 à 1678, ce qui correspond d’ailleurs au style de ces dessins que l’on peut dater des années 1680. Dès 1674-1676, l’histoire contemporaine devient source d’inspiration à Versailles sur les grands chantiers royaux : le décor de l’escalier des Ambassadeurs, puis,

19a. Allégorie du traité de paix entre Louis XIV, les Allemands et les Hollandais Plume, encre brune, rehauts d’aquarelle et de gouache sur papier beige H. 38 cm ; L. 28,1 cm Cintré à oreilles en haut et en bas Historique : Collection Martin von Wagner (1777-1858) ; legs à l’institut en 1858 Bibliographie : Gustin-Gomez, 2006, t. I, p. 76, t. II, p. 243-244, D.149 ; Gustin-Gomez, 2012, p. 7 et fig. no 6 ; Prat, 2013, p. 598, fig. no 1435 Würzburg, Martin von Wagner-Museum der Universität Inv. 9533

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entre 1678 et 1682, celui de la Grande Galerie (galerie des Glaces). Dans la série de Würzburg, le propos se concentre uniquement sur les faits militaires. Cependant, une chose est de souligner cette parenté avec les grands décors royaux, une autre de rattacher cet ensemble à un décor ou à un projet de décor, même inabouti. Plusieurs pistes ont été explorées – Versailles, Marly, les Invalides et Choisy1. Or, cette dernière hypothèse est de nouveau d’actualité grâce à la suggestion faite par Bénédicte Gady de rapprocher l’ensemble des dessins de Würzburg d’un dessin de Michel II Corneille [fig. 3], conservé au Musée des Arts décoratifs de Paris2. De toute évidence, le projet correspond à la même commande. Particulièrement intéressant est le détail de la partie centrale, surlignée de rehauts de blancs, qui présente des similitudes manifestes avec L’Allégorie du Traité de paix entre Louis XIV, les Allemands et les Hollandais. Mais surtout, le dessin propose une mise en place du décor – partie centrale, voussures, médaillons et trophées. Peut-il être mis en relation avec « un plafond du château de Choisy » comme l’indique l’inscription sur son montage ? Ou alors un autre projet pour la galerie du château ? [cat. 21c]

La Fosse sait donner un aspect monumental à sa composition pourtant de petit format. Les deux registres terrestre et céleste s’y répondent : Louis XIV règne sur l’univers, à l’image de Jupiter sur l’Olympe. Comme souvent, le discours allégorique est de mise. Le roi, accompagné de Minerve, reçoit allégeance de la personnification d’une ville à la tête ceinte d’une couronne crénelée, Gand, reconnaissable au lion derrière elle ; elle est entourée de la Force, de la Victoire et de la France au casque orné d’un coq. Le cortège se fait dense sur sa fin, foisonnant de putti et de nymphes à peine esquissés, mais l’accent est mis sur la Paix enveloppée de blanc. Deux Victoires ailées accrochent au palmier les boucliers des Nations vaincues, comme le suggèrent les inscriptions DE GERMAN et DE BATAV ; au bas de la composition, l’Europe présente son bouclier PACATORI BATAV. Au-dessus de la porte du temple de Janus, le dieu aux deux têtes, gardien des portes de la ville, figure l’inscription PACE. TERRA. MARIQUE. PARTA. III. JANUM. CLUSIT3. Au registre supérieur, les dieux de l’Olympe commentent la victoire : Jupiter, Bacchus, Cérès, le paon de Junon et Mercure. Le sujet est bien celui de la prise de la citadelle qui conduisit au traité de Nimègue, le 10 août 1678. Les trois dessins ici présentés sont exécutés à l’encre et à l’aquarelle avec des rehauts de couleur qui soulignent les formes dans une gamme colorée réduite (bleu, rose et blanc). On y retrouve une des caractéristiques du style de l’artiste, le canon court et rond des personnages.



Le château de Choisy sous Anne-Marie Louise d’Orléans, dite « la Grande Mademoiselle » Anne-Marie Louise, duchesse de Montpensier, dite « la Grande Mademoiselle » (1627-1693), fille de Gaston d’Orléans et cousine germaine de Louis XIV, acquiert le domaine de Choisy en bord de Seine et confie à Jacques II Gabriel la construction d’un château entre 16781 et 16862. Elle écrit dans ses Mémoires combien elle est satisfaite de l’acquisition de ce domaine. À grands frais, elle n’hésite pas à faire appel aux meilleurs artistes du moment, ceux mêmes qui œuvrent pour le roi : le sculpteur Étienne Le Hongre, Jean-Baptiste Monnoyer et Charles de La Fosse qui a déjà travaillé pour elle au palais du Luxembourg, mais aussi le tout jeune Antoine Coypel. Le château de Choisy a en partie été détruit au XIXe siècle. Si le bâtiment extérieur nous est connu par les gravures de Pérelle, d’Aveline et de Mariette, il n’existe cependant pas de représentation des espaces intérieurs. Dès sa construction, des descriptions sont faites des décors, en particulier de ceux de la chapelle, de format carré et construite sur deux étages. Les plans donnent aussi des indications précieuses sur le cadre architectural de la chapelle dotée de deux fenêtres sur cour. Ce sont les états dressés par Jean-Baptiste Loir, expert, en novembre 1717, lors de la reprise du château par la

20a. L’Assomption de la Vierge Huile sur toile H. 261 cm ; L. 169 cm Historique : Peint pour l’autel de la chapelle de Choisy ; saisi et remis par Alexandre Lenoir au Muséum central des arts, 12 décembre 1792 ; envoi de l’État au musée de Nancy, 1803 Bibliographie : Petry, 1991, p. 60 ; Serrette, 2001-2002, p. 13, annexe VI ; Gustin-Gomez, 2006, t. I, p. 63-64, t. II, p. 56-57, P.80 Nancy, musée des Beaux-Arts Inv. 215 132

princesse de Conti qui donnent une idée plus précise de la disposition des peintures : « On y remarque quatre tableaux cintrés représentant L’ Annonciation de la Vierge, La Naissance de Jésus, L’ Adoration des bergers et La Douleur de la Vierge ; sur l’autel un grand tableau de L’ Assomption ; d’un côté de l’autel, des anges chantant des louanges ; de l’autre, des anges portant les armes de Mademoiselle de Montpensier3 ; dans les tribunes un grand tableau représentant Le Seigneur avec ces disciples et sur les portes, trois tableaux représentant La Foi, L’Espérance et La Charité, de Lafosse4. » On note qu’il n’est pas fait mention du plafond peint, vraisemblablement considéré comme un élément du décor. Un programme marial se développe aux murs de la chapelle, ce qui n’est certainement pas anodin, car choisi par la Grande Mademoiselle au moment même où ses relations avec le duc de Lauzun font grand bruit : son mariage, qu’elle avait souhaité pendant de longues années, s’avère alors peu heureux. Quant à la datation, bien que Gilles Chomer avance la date de 1685-1690 pour les deux lunettes5, on peut penser que la chapelle est complètement décorée en 1686, comme l’indique le Mercure galant du mois de juillet de cette même année : « La chapelle est toute de la main de Mr de la Fosse. »

Il est surprenant que Dezallier d’Argenville, repris par Hébert, mentionne ce tableau comme étant une copie : « Le tableau d’autel, représentant L’Assomption, paroit copié d’après La Fosse », alors que le Mercure galant quelques années auparavant indiquait : « Cette chapelle est toute de la main M. de La Fosse6. » Cette toile est bien de l’artiste. Ce dernier a fait siens ses modèles : ceux de l’Italie, Titien et L’Assomption de Santa Maria Gloriosa des Frari à Venise, Annibale Carracci et L’Assomption de Santa Maria del Popolo, avec la Vierge de face, les bras écartés, Rubens et L’Assomption du Kunsthistorische Museum de Vienne. Mais il donne ici sa vision personnelle du thème : on reconnaît son génie de la composition dans le crescendo des anges, véritables portraits d’enfants dotés d’une grande force plastique ; on y apprécie l’éclat lumineux des blancs et le goût du coloris, fait de subtils cangianti comme dans les ailes des anges ou dans l’intensité de la robe rouge et bleu de la Vierge. La Fosse met au point un type féminin avec ce visage rond, aux yeux petits et au nez aquilin.



Hypothèses pour le plafond de Choisy

21a. Projet de plafond Plume, encre noire, aquarelle et rehauts d’or H. 37,7 cm ; L. 25,4 cm Inscription à la plume, encre noire : 21 pieds, 15 pieds et demi ; encre rouge en haut à droite : no 63 ; en bas à droite : L. 3342 (marque non identifiée) Historique : Vente Sotheby’s, Londres, 30 juin 1986, no 176 Bibliographie : Gustin-Gomez, 2006, t. II, p. 308, D.292 Collection particulière

Ce projet de plafond très achevé est lié à Minerve, thème retenu par La Fosse pour Montagu House et Pierre Crozat. Le premier médaillon représente la dispute entre Minerve et Neptune pour donner un nom à Athènes, sujet également traité par La Fosse dans deux études pour un décor conservées à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris1. Au-dessous, une chouette, symbole de la déesse, déploie ses ailes dans une position très proche de celle présentée sur un dessin découpé de Würzburg qu’on peut dater des années 16802. Dans les deux cas, l’oiseau, intégré à un décor, est placé sous un médaillon. En pendant, La Fosse a dessiné la fondation d’Athènes, avec Minerve remettant un temple. Les sphinges qui encadrent le médaillon s’appuient sur des outils d’architecture, notamment une équerre et un compas. La guirlande de feuilles qui délimite le décor central se retrouve dans au moins quatre autres dessins, également exécutés à l’encre et au lavis, ou à l’aquarelle3. Mais parmi cet ensemble, seule la feuille de Berlin4 adopte les mêmes teintes délicates avec également des rehauts d’or et des plages d’un bleu plus soutenu, tout en présentant un même degré d’achèvement. Notons que les dimensions des deux feuilles sont identiques. Pour ces deux dessins, l’aquarelle bleue est appliquée de la même manière sur les panneaux centraux et les angles. Notre dessin a très vraisemblablement été d’abord préparé par une étude à la pierre noire et à la sanguine comme celle qui subsiste pour le dessin de Berlin5. On peut le mettre en rapport avec l’esquisse à l’huile de La naissance de Minerve, dont le format est similaire à celui du panneau central : ces projets pourraient avoir été dessinés pour le plafond du cabinet du château de Choisy [fig. 1], comme le suggère Bénédicte Gady6. JT 1. Plume et encre brune, lavis noir et beige sur papier beige, H. 18 cm, L. 25 cm ; pierre noire, sanguine et rehauts de craie blanche, H. 30 cm, L. 25 cm, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, inv. PM 904 et inv. PM 898. 2. Trophée d’armes, plume, encre brune, lavis beige et rehauts de lavis doré, H. 87 cm, L. 20 cm, Würzburg, Martin von Wagner Museum Universität, inv. 9539. 3. L’Apothéose de Psyché, encre brune et aquarelle sur traces de sanguine et de pierre noire, H. 26 cm, L. 26 cm, Los Angeles, J. Paul Getty Museum, inv. 2001.47 ; Études d’encadrement décoratif de plafond, plume, encre brune, lavis gris et gouache blanche sur papier gris-bleu, H. 23 cm, L. 24 cm, Berlin,

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Staatliche Museen, Kunstbibliothek, inv. 3229, et plume, encre brune et lavis gris sur esquisse à la sanguine, H. 26 cm, L. 31 cm, Paris, musée des Arts décoratifs, inv. 8458 ; Étude pour la moitié d’un plafond, plume, lavis gris-bleu clair, rose et marron, H. 25 cm, L. 37 cm, Berlin, Staatliche Museen, Kunstbibliothek, inv. 3217. 4. Étude pour la moitié d’un plafond, plume, lavis gris-bleu clair, rose et marron, H. 25 cm, L. 37 cm, Berlin, Staatliche Museen, Kunstbibliothek, inv. 3217. 5. Étude d’encadrement décoratif de plafond, pierre noire, sanguine, H. 28,4 cm, L. 39,2 cm, Paris, musée des Arts décoratifs, inv. CD 2586. 6. Voir [cat. 21b], Darmstadt, inv. HZ 1759.



Le décor de l’hôtel du Garde-Meuble

25a. David jouant de la harpe, la tête de Goliath à ses pieds Huile sur toile H. 135 cm ; L. 88 cm Historique : Mentionné pour la première fois, avec son pendant, dans l’actuel hôtel de la Marine dans l’inventaire du Garde-Meuble, 1791 (« Deux Tableaux en dessus-de-porte, de La Fosse, dont un représente une sainte Cécile et l’autre un Daniel : tableaux faits dans la vieillesse de ce maître ») Bibliographie : Gustin-Gomez, 2006, t. II, p. 83-84, P.118 Paris, service des collections du cabinet du chef d’état-major de la marine Inv. DEC 28

25b. Sainte Cécile Huile sur toile H. 135 cm ; L. 88 cm Historique : Mentionné pour la première fois, avec son pendant, dans l’actuel hôtel de la Marine dans l’inventaire du Garde-Meuble, 1791 (« Deux Tableaux en dessus-de-porte, de La Fosse, dont un représente une sainte Cécile et l’autre un Daniel : tableaux faits dans la vieillesse de ce maître ») Bibliographie : Gustin-Gomez, 2006, t. II, p. 84, P.119 Paris, service des collections du cabinet du chef d’état-major de la marine Inv. DEC 29

Ces deux tableaux exécutés en pendants, représentant le jeune roi David et sainte Cécile, sont une brillante démonstration des talents de Charles de La Fosse à mettre en scène des figures isolées. La destination première de ces œuvres et leur commanditaire demeurent inconnus. Les deux toiles ont été redécouvertes à l’hôtel de la Marine où elles se trouvent encore aujourd’hui. Elles y sont mentionnées pour la première fois en dessus-de-porte dans une chambre, dans l’inventaire du Garde-Meuble dressé en 1791. L’édifice ayant été bâti bien après la mort de La Fosse, entre 1754 et 1774, par l’architecte Jacques-Ange Gabriel, les tableaux y ont été probablement installés soit par Fontanieu de Villecourt qui administrait le Garde-Meuble jusqu’à sa mort en 1784, soit par son successeur, Thierry de Ville d’Avray. Si l’association de ces deux musiciens peut avoir été suscitée par les versions très célèbres du Dominiquin dans les collections royales à Versailles, la mise en page et l’exécution n’offrent aucun lien avec la manière du maître bolonais. Contrairement à ce dernier, La Fosse confère à son David – identifié au XVIIIe siècle, à tort, comme le prophète Daniel – une posture plus vivante et le dépeint sous des traits bien plus juvéniles. La figure est inscrite dans un losange placé devant un paysage où une végétation sombre dominée par la diagonale d’un arbre contraste avec un ciel lumineux animé de nuages blancs. L’énergie qui se dégage de l’attitude du jeune homme, sa coiffure mouvementée et son regard inspiré tourné vers le ciel l’apparentent au Saint Jean l’Évangéliste réalisé entre 1702 et 1706 pour l’un des pendentifs du Dôme des Invalides. Pour sainte Cécile, le peintre adopte un parti formel assez différent de David. Assise devant son instrument de musique, elle se trouve dans un intérieur totalement clos et occupe presque toute la hauteur de la toile. Sa posture sinueuse et sa riche tenue sont bien plus sophistiquées et bien plus précieuses. Tout le scintillement de l’œuvre et toute sa dynamique résident dans l’exécution des étoffes où La Fosse alterne les couleurs claires et foncées. Ces éléments trahissent l’influence de Rubens et celle de Van Dyck qui ont traité ce sujet et dont les interprétations étaient connues de La Fosse par l’intermédiaire de l’estampe. Rappelons d’ailleurs que la Sainte Cécile de Van Dyck avait été reproduite par Edward Davis, un graveur anglais établi à Paris. Cette estampe réalisée en 1673 fut diffusée par François Chauveau, le premier maître de La Fosse. Clémentine Gustin-Gomez a publié en 2006 une petite peinture d’exécution plus rapide et plus rubénienne qu’elle considère comme une répétition « en manière d’esquisse » réalisée d’après notre tableau et destinée au commerce1. La composition des deux Sainte Cécile est similaire, mais dans le détail les variantes sont nombreuses, notamment dans les accessoires et le visage de la sainte, plus impersonnelle dans la petite huile sur carton. GK 1. Gustin-Gomez, 2006, t. II, p. 84, P. 120.

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Le cabinet du Couchant au Grand Trianon Malgré l’appui de son ami Jules Hardouin-Mansart, responsable du grand chantier de Trianon, seuls trois tableaux furent commandés à La Fosse en 1687 pour le cabinet du Couchant de l’appartement de Louis XIV : Apollon et Téthys pour le manteau de cheminée, et pour les dessus-de-porte Clytie changée en tournesol et Le Repos de Diane. Les trois sujets choisis par La Fosse, qui devaient puiser leur source dans Les Métamorphoses1, furent approuvés par Louis XIV dès le début de 1688. Les tableaux évoquent, dans une ambiance crépusculaire, l’achèvement de la course d’Apollon, qui se retirait dans la grotte de Téthys, divinité nourricière, à la fin de chaque

26a. Clytie changée en tournesol Vers 1688 Crayon et encre, sanguine, lavis brun et gris, mise au carreau H. 21,5 cm ; L. 19,6 cm Cachet de la collection de Pierre-Jean Mariette en bas à gauche Historique : Pierre-Jean Mariette (1694-1774) ; sa vente, 1775, lot no 1249 ; acquis par le marchand Nicolas François Jacques Boileau (1720-1785) ; Louis François de Bourbon, prince de Conti (1717-1776) ; vente de ses biens, Paris, 8 avril-6 juin, 1777, élément du lot no 1192 (« Diane, Clitie & l’Olympe ; ces trois dessins au crayon, lavés de bistre par Charles de La Fosse, composent le no 1249 du catalogue de M. Mariette. ») ; acquis par Leraut ; abbé de Gévigney (1729-1808) ; sa vente, Paris, 1er-29 décembre, 1779, élément du lot no 884 (« Deux très-beaux Dessins, par Charles de la Fosse, lavés au bistre ; l’un représentant un repos de Diane au retour de la Chasse ; l’autre, Clitie changée en Tournesol. Ils viennent de la collection de Monseigneur le Prince de Conti ») ; acquis par Perrier ; collection particulière Bibliographie : Gustin-Gomez, 2006, t. II, p. 319, D.P.16 (« Dessins mentionnés et disparus ») ; et cité p. 63, P.92 ; Basan, 1775, no 1249 (« Trois Sujets divers, au bistre, rehaussé de blanc, dont Diane se reposant au retour de la chasse, & c. ») ; Rosenberg et Barthélemy-Labeeuw, 2011, p. 799, no F2148 ; Rosenberg et al., 2011, fac-similé, reproduction de la p. 190 dans la copie du catalogue de la vente Mariette par Gabriel de Saint-Aubin Collection particulière 150

journée. Nicolas Loir avait déjà associé Clytie et Téthys pour l’antichambre de l’appartement haut du roi aux Tuileries à partir de 1667 : quatre bas-reliefs colorés sur fond d’or rappellent allégoriquement les devoirs des courtisans envers leur souverain. À côté des médaillons de Céphale et Procris et d’une statue de Memnon, « [d]ans le troisième, Clytie sous la forme de fleur de souci, se tourne du côté que le soleil prend son cours, pour marquer que nos démarches doivent avoir le roi pour objet. Et dans le quatrième, le soleil passe quelques moments de sa course auprès de Téthys avec les Tritons, pour signifier les moments de relâche que le roi prend au sortir des grandes affaires2 ».


26b. Clytie changée en tournesol Huile sur toile H. 128 cm ; L. 156 cm Historique : Commandé en 1688 pour le cabinet du Couchant au Grand Trianon ; retiré sous l’Empire, à sa place d’origine depuis la Restauration Bibliographie : Gustin-Gomez, 2006, t. II, p. 63, P.92 ; Schnapper, 2010, p. 192, I. 13 ; Benoît, 2014, p. 54-63 Exposition : Versailles, 2009-2010, p. 179-184 Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon Inv. MV 7256

Le 24 janvier 1688, Louvois écrit à l’administrateur des Gobelins : « Je vous envoie les dessins que le Sr. De La Fosse m’a remis, lesquelz le Roy ayant trouvé bien, il peut travailler incessamment3. » Le dessin mis au carreau, jusqu’alors inédit, de Clytie, de l’ancienne collection Mariette4, est sans doute une de ces « premières pensées » que le peintre avait soumises à Louis XIV. Sa mise en page, qui n’est pas éloignée de celle d’Annibale Carracci5 , est plus simple que celle de la composition finale, plus verticale avec une Clytie bien moins lascive. Cependant, il oppose déjà l’ouverture sur le ciel à la densité terrestre des figures. Chez La Fosse, l’allusion politique est claire dans la composition principale d’Apollon et Téthys, les fleurs de lis parsemant la robe de la titanide, comme celle de l’allégorie dans le salon d’Apollon, étant une évidente référence à la monarchie française. Cependant la portée politique des deux autres tableaux, moins importants par leur place en dessus-de-porte, semble céder le pas à la fable. Le souvenir du grandiose décor de la Grotte de Téthys, instrument de prestige dans la célébration de l’iconographie du roi-Apollon, qui venait d’être détruite (1685), devait encore être très présent à l’esprit des artistes. Apollon et Téthys de La Fosse montre d’ailleurs un dessin plus affirmé et des silhouettes androgynes (surtout par rapport à l’opulente Clytie), aux carnations lissées, qui sont peut-être un hommage au groupe de Girardon. Le dieu solaire est-il une citation directe de L’Apollon du Belvédère (présent notamment dans la collection de bronzes de François Ier à Fontainebleau) ou une reprise de celui du Conseil des dieux de Rubens (cycle de Marie de Médicis, 1622-1625, Louvre) ? 151


Un décor sur le thème de l’Énéide

27a. Vénus demande des armes à Vulcain pour Énée Huile sur toile H. 179 cm ; L. 152 cm Historique : Dépôt de l’État, 1809 Bibliographie : Gustin-Gomez, 2006, t. II, p. 67, P.99 ; Gustin-Gomez, 2011, p. 194-195 Nantes, musée des Beaux-Arts Inv. D.809.1.14.P

Fig. 1. François Marot (anciennement attribué à Charles de La Fosse), Vénus demande des armes à Vulcain Londres, collection particulière. 154

Vénus demande des armes à Vulcain pour Énée s’inspire d’un épisode de l’Énéide de Virgile mais également des Métamorphoses d’Ovide dans lequel Vénus joue de ses irrésistibles attraits afin de subjuguer une nouvelle fois son époux Vulcain, dieu contrefait mais fort habile forgeron. La déesse vient en effet demander des armes pour Énée, son fils, fruit de ses amours adultérines avec le roi Anchise, prestigieuse racine de toute une généalogie qui aboutira au fondateur de Rome, Romulus. Chez Ovide, la scène a lieu dans la chambre des époux, soulignant l’empire sensuel de la déesse sur son époux dans cette délicate entreprise, mais La Fosse la place, moins trivialement, à l’entrée de la forge de Lemnos, évoquée par les roches brunes et rougeoyantes. La déesse de l’amour, dans une position clairement dominante, fascine tout autant les cyclopes, acolytes de Vulcain, que son mari. La Fosse s’est inspiré de l’œuvre de Van Dyck1 : même composition monumentale et sereine, même confrontation de deux univers. En effet, l’une des plus belles réussites de l’œuvre est cette opposition entre le monde de Vénus, à la sensualité ronde et lumineuse, nacrée comme l’onde qui la vit naître, et celui du viril et souterrain Vulcain, aux chairs brunies par la forge dans laquelle s’accomplissent les miracles obscurs de la création. Les petits Amours jouant avec les armes, dont la grâce juvénile et enjouée prend à partie le spectateur, sont à inscrire dans la longue tradition de la représentation d’autres Amours de la déesse avec le dieu Mars [cat. 37a]. La Déification d’Énée, tirée également des Métamorphoses (XIV, 595 sqq.), intervient après la victoire du héros troyen dans le Latium, alors que la déesse a obtenu qu’il soit admis dans l’assemblée des immortels. Délivré « de tout ce qu’il avait en lui de mortel » par les eaux du fleuve Numicius (à ses pieds2), Énée est purifié par le « parfum divin » dont Vénus oint sa tête avant de lui toucher les « lèvres avec un mélange d’ambroisie et de nectar délectable3, [et faire] de lui ce dieu que le peuple de Quirinus appelle Indigète et à qui il a élevé un temple et des autels ». Les deux compositions de Nantes, assurément des panneaux décoratifs, ont, semblet-il, été soigneusement préparées par La Fosse comme l’attestent plusieurs études : une étude d’Homme assis (Édimbourg, National Galleries of Scotland) pour Vénus demandant des armes, et une belle académie d’Énée pour La Déification (Le Havre, collection particulière), ainsi qu’une esquisse générale (inversée) (Canada, collection particulière) qui préparait une composition plus ample, mais moins monumentale. Les tableaux sont-ils des pendants comme pourraient l’indiquer leurs dimensions similaires ? Clémentine GustinGomez explique l’apparente disparité des compositions (légère différence d’échelle des personnages, composition diagonale dynamique de Vénus s’opposant au statisme sculptural de La Déification, proche de celle d’un Baptême du Christ) par un changement de composition de La Déification entre le dessin et le tableau. Autre hypothèse, les toiles appartiendraient-elles – comme le suggérait Colin Bailey4 – à un décor de trois toiles ou plus, pour lequel La Déification, plus monumentale et statique, constituerait un apogée (un



Bacchus et Ariane L’Automne s’inscrit dans le cycle des Quatre Saisons – sujet gracieux rapidement à la mode [cat. 48] – réalisé en 1699 pour le Grand Salon octogonal du pavillon principal de Marly. Trois autres peintres travaillent à ce cycle : Louis de Boullogne le Jeune peint L’Été ou Cérès (Rouen, musée des Beaux-Arts), Antoine Coypel, Le Printemps ou Zéphyr et Flore (Paris, musée du Louvre, déposé à Marly), et Jean

33a. Bacchus et Ariane ou L’Automne Huile sur toile H. 241 cm ; L. 185 cm Historique : Commande en 1699 pour le château de Marly ; saisie révolutionnaire, 30 août 1793 ; musée spécial de l’École française à Versailles ; envoi de l’État au musée des Beaux-Arts de Dijon, 1811, transfert de propriété de l’État à la ville de Dijon, 15 septembre 2010 Bibliographie : Gustin-Gomez, 2006, t. II, p. 85, P.121, Castelluccio, 2014, p. 36, p. 38, fig. 28 Expositions : Louveciennes, 2012, p. 62-71 ; Versailles, 2012-2013, p. 231, no 35 Dijon, musée des Beaux-arts Inv. CA 344

Jouvenet, L’Hiver (Paris, musée du Louvre, déposé à Marly). L’attribution des Saisons fut-elle délibérée en fonction du style de chaque peintre ? Le choix de L’Automne ne pouvait en effet mieux correspondre à la palette chaude et vibrante de La Fosse, qui semble livrer un véritable manifeste de son art entre les teintes cuivrées vénitiennes et la grâce rubénienne d’Ariane, rappelant celle d’Iphigénie [cat. 12].

La Fosse ne représente pas une simple allégorie (la figure de Bacchus accompagnée du signe zodiacal de la Balance dans le ciel aurait suffi) mais choisit la part galante de l’histoire du dieu : sa rencontre et le récit de l’abandon de la belle Ariane par Thésée (Ovide, L’Art d’aimer, livre I, mais également Les Fastes, livre III). La future union de Bacchus et Ariane est évoquée par le petit chien, symbole de fidélité. La figure anacréontique de Bacchus [cat. 11 ; cat. 32 et cat. 34a] semble avoir particulièrement intéressé La Fosse, dont le neveu, Antoine de La Fosse, allait publier une traduction des Odes d’Anacréon (17041). Nombre de commentateurs ont insisté sur le statisme monumental des figures du tableau, comme figées dans leur attitude théâtrale (bien que légèrement compassée), surtout si l’on compare l’œuvre à son illustre et dynamique modèle, peint par Titien [fig. 1], que La Fosse avait pu voir à Rome dans la famille Aldobrandini. Une première pensée, à la pierre noire et sanguine, en sens inverse, insistait plus sur le premier échange, précédant le moment du tableau, entre le dieu et la belle mortelle. Ariane semble relever son front éploré, surprise et apaisée par l’arrivée de Bacchus qui esquisse au-dessus de sa tête un salut protecteur. Cependant, cette simplification de l’iconographie (les pampres, le thyrse et le char tiré par la panthère sont à peine visibles) et de l’attitude des personnages, devenus plus majestueux, correspond tout à fait à la destination de l’œuvre. Les toiles remplaçaient en effet quatre fenêtres à l’attique, et avaient donc un positionnement très haut (neuf mètres) et des dimensions verticales contraintes. On retrouve cette monumentalité, bien que traitée dans des styles très différents, chez les trois autres peintres de la commande. Plusieurs compositions de décor de La Fosse de la même période expriment cette majesté sereine et simple : déjà l’Apollon et Téthys du cabinet du Couchant [cat. 26c] mais également, sans doute à une date proche de celle de la commande de Marly, le Vénus AC-P demandant des armes à Vulcain pour Énée [cat. 27a].

1. Voir l’essai d’Adeline Collange-Perugi, p. 54.

Fig. 1. Titien, Bacchus et Ariane

1523, Londres, National Gallery, inv. NG35. 168



Les commandes pour le château de Meudon

34a. Le Triomphe de Bacchus Huile sur toile H. 157 cm ; L. 135 cm Historique : Commandé en 1700 pour l’antichambre servant de salle à manger aux nouveaux appartements du château de Meudon Bibliographie : Gustin-Gomez, 2006, t. II, p. 91, P.129 Expositions : Taipei, Taïwan, 2012 ; Séoul, Corée, 2012, p. 275 (notice par S. Koenig) Paris, musée du Louvre, département des Peintures, collection de Louis XIV Inv. 4537

Le Triomphe de Bacchus s’inscrit dans la commande de 1700 des quatre dessus-de-porte pour l’antichambre servant de salle à manger aux nouveaux appartements du château de Meudon, résidence de Louis de France, Monseigneur, dit « le Grand Dauphin ». Ils illustrent l’histoire de Bacchus de sa naissance (Naissance de Bacchus par Jean Jouvenet, collection particulière) à son triomphe, en passant par l’anecdote (Silène barbouillé de mûres par la nymphe Églé par Antoine Coypel, musée des Beaux-Arts de Reims [fig. 1]) ou l’allégorie (Vénus, Bacchus et Cérès par Bon Boullogne, Paris, musée du Louvre). Ils participent à l’esprit des décors de Meudon, dont la théâtralité fantaisiste et légère, avec les plafonds à grotesques de Jean Bérain et Claude III Audran, annonce déjà les développements rocaille. Le jeune dieu du vin, décrit à la tête de son cortège de bacchantes et satyres enivrés dans plusieurs passages des Métamorphoses, est ici de retour des Indes. Il triomphe, non pas assis sur un simple char, mais sur un éléphant comme le décrit Vincenzo Cartari1. Il s’agit d’une des compositions mythologiques de La Fosse les plus construites, la forme pyramidale rappelant l’art vénitien ou encore L’Adoration des Mages de Rubens (Londres, National Gallery) dynamisant la vue en contre-plongée. Dans une atmosphère ambrée, La Fosse multiplie les emprunts esthétiques : outre l’incontournable référence au Bacchus et Ariane de Titien [fig. 1 p. 168], la composition en bas relief s’inspire du Triomphe de Bacchus de Carracci au palais Farnèse [fig. 5 p. 59], lui-même relecture de l’antique. L’élan d’ivresse de la bacchante de la belle étude dessinée, dont l’expression un peu égarée s’adoucit dans la toile en un simple sourire, semble s’inspirer de l’attitude d’une figure fuyante, peut-être une Sabine, ou plus certainement une Daphné ou une Arachné (voir le dessin de La Fosse Minerve et Arachné, Londres, British Museum) ; la transformation expliquerait le positionnement un peu étrange des doigts de la main gauche et l’inachèvement de la droite. AC-P 1. Cartari, 1610.

Fig. 1. Antoine Coypel, Silène barbouillé de mûres 1700, Reims, musée des Beaux-Arts, dépôt du musée du Louvre, inv. 3509. 172



Vénus et Énée 36a. Vénus présente ses armes à Énée Huile sur toile H. 114 cm ; L. 94 cm Angles supérieurs primitivement arrondis Historique : Vente Boucher, 18 février 1771, no 56, « Charles de la Fosse. Vénus, Vulcain & Énée, & trois Amours » ; acquis par Moreau ; vente Angers, Me Henry Martin, 4 octobre 1972, no 133, attribué à Nicolas Coypel ; acquis dans le commerce parisien par Mme Cabanel (octobre 1972) ; acquis par le musée des Beaux-Arts de métropole océane de Brest (octobre 1973) Bibliographie : Gustin-Gomez, 2006, t. II, p. 88, P.125 Brest, musée des Beaux-Arts de Brest métropole océane Inv. 73-7-1

Le tableau, initialement cintré en partie supérieure, pouvait appartenir à un décor, tout comme les œuvres de Nantes [cat. 27] célébrant également le héros troyen : la diagonale ascendante de l’angle inférieur droit jusqu’à la tête de Vénus pouvait trouver un écho en miroir dans un pendant. Peut-être pourrions-nous formuler alors la même hypothèse (inversée) que pour les œuvres conservées à Nantes et proposer un Vénus demandant des armes à Vulcain pour Énée en pendant ? Étrange cependant que la disparition systématique d’un tel pendant pour les œuvres de Nantes et de Brest, il faut bien l’avouer… Olivier Bonfait signale, par exemple, un Vénus chez Vulcain en 1784 dans la collection du parlementaire Jean-Baptiste-Paulin d’Aguesseau1. Une variante du tableau de Brest [fig. 1] avait semble-t-il quant à elle une Déification d’Énée en pendant2. Un Vénus donnant les armes à Énée est encore présent dans l’atelier de La Fosse à sa mort3 : appartenait-il à un cycle jamais mis en place ou à une commande non aboutie ? À moins que La Fosse n’ait simplement décidé de retravailler un seul épisode de l’Énéide (sa déification étant évoquée par la présence du fleuve Numicius aux pieds d’Énée) en

Fig. 1. Charles de La Fosse, Vénus présente ses armes à Énée

Potsdam, château de Sans-Souci, inv. GK1475. 178



Une commande pour lord Montagu 37a. R enaud et Armide Huile sur toile (avant restauration) H. 164 cm ; L. 135 cm Historique : Collection de Ralph, premier duc de Montagu (1638-1709), mentionné dans les inventaires de Montagu House (1707, 1709, 1735) ; vente de Montagu House aux trustees du British Museum, 1754 ; Boughton House, collection Buccleuch ; vente Sotheby’s Londres, 20 juillet 1955, nos 49 et 50 : Mars et Vénus [sic] acheté par Colnaghi et Le Rapt d’Europe par Knoedler ; acquis tous deux par lord Iliffe ; transfert au National Trust, 1998 Bibliographie : Gustin-Gomez, 2006, t. II, p. 98-99, P.140 ; cat. exp. Notre-Dame, 2011, p. 28-29 Basildon Park, The Iliffe Collection-The National Trust Inv. 266412-L/BAS/P/6

Fig. 1. Charles de la Fosse, R enaud endormi Snite Museum of Art, University of Notre-Dame inv. ‘63,2004.053.013. 182

Outre les décors plafonnants de l’escalier et du Grand Salon pour Montagu House, La Fosse réalisa ces deux tableaux que l’on retrouve sur son inventaire en 1707. Avec L’Enlèvement d’Europe, La Fosse reprend un thème ovidien traité de nombreuses fois depuis la Renaissance. Zeus, étant tombé amoureux de la belle Phénicienne1 Europe, fille du roi Agénor, se transforme en magnifique taureau blanc et se mêle au troupeau royal pour approcher la princesse. « Quand la crainte peu à peu a disparu, il offre à la jeune fille sa poitrine à caresser ou ses cornes à entraver de fraîches guirlandes. La jeune princesse, ignorant sur qui elle s’appuyait, osa même s’installer sur le dos du taureau. Alors, insensiblement, le dieu s’éloigne de la terre ferme et du rivage » (Ovide, Les Métamorphoses, livre II). Pour le tableau et son étude à la pierre noire et sanguine, La Fosse choisit le moment avant l’enlèvement, lorsqu’Europe « pleine d’admiration » vient de grimper sur le dos du taureau, encore entourée de ses suivantes. Bien que l’horizon soit clairement menaçant, il peut ainsi insister sur le côté « bucolique » de l’épisode, pour le lier plus facilement à la scène de Renaud et Armide. Pour ce dernier, la source du peintre est bien différente. Il s’inspire du long poème épique du Tasse (1544-1595) La Jérusalem délivrée (1581) mettant en scène les épisodes de la première croisade. Le librettiste Quinault et Jean-Baptiste Lully, retenant principalement la composante amoureuse du poème, en firent un livret d’opéra, Armide, qui connut un formidable succès. Cette tragédie lyrique en cinq actes et un prologue fut donnée une première fois le 15 février 1686 à l’Académie royale de musique, puis de nombreuses autres fois au cours du XVIIIe siècle. La magicienne Armide, farouche sarrasine ennemie des croisés, avait causé par ses charmes la perte de nombre de ces derniers. Afin de se venger du valeureux chevalier Renaud, elle utilise un sortilège qui le plonge dans un profond sommeil pour le tuer sans encombre [fig. 1], et envoie « [l]es Démons sous la figure des nymphes, des bergers et des bergères, [qui] enchantent Renaud et l’enchaînent durant son sommeil avec des guirlandes de fleurs » (acte II, scène IV). Cependant, au moment de le poignarder, c’est elle qui succombe à l’amour en découvrant ses traits. L’influence de Lully, plus que celle du Tasse, est visible dans le tableau de La Fosse qui peint les deux suivantes d’Armide introduites par le compositeur mais jusqu’alors absentes des représentations, Phénice et Sidonie. Cette influence manifeste de Lully devait plaire à lord Montagu, amateur de musique2 et francophile. Il avait d’ailleurs également fait venir à Montagu House Jacques Rousseau (1630-1693), peintre de paysage et décorateur d’opéra. On ne sait si le choix des deux épisodes est dû à lord Montagu même. L’association incongrue d’un épisode des Métamorphoses d’Ovide (si présentes dans la décoration de Montagu House) avec un sujet de l’épopée chrétienne n’est cependant pas totalement isolée : le couple de Renaud et Armide était déjà présent dans plusieurs tentures des Métamorphoses, sans que cela ne semble heurter la cohérence des ensembles aux yeux des ateliers ou des commanditaires3. Mais qui sait si la mise en écho picturale de nos deux pendants (diagonales opposées des compositions, gémellité des blondes héroïnes, paysages luxuriants) ne correspondait pas à quelque poème de l’époque célébrant un nouvel empire de Flore4 ? Les liens floraux (guirlandes pour Renaud et couronne pour Jupiter) n’incarneraient-ils pas les entraves de la passion amoureuse dans ces deux scènes d’enlèvement ? La proximité de la représentation de Renaud et Armide avec celle de Mars et Vénus5 – un guerrier alangui (par un sortilège ou la petite mort) sous l’emprise de sa belle – pouvait également être suffisante pour autoriser le rapprochement galant des thèmes, dans une sorte de syncrétisme courtois célébrant la victoire de l’Amour sur les instincts guerriers. Une autre explication plus triviale serait que La Fosse ait lui-même usé de la confusion iconographique entre ces deux sujets



Le décor du cabinet du Billard du Petit Appartement du R oi Le Petit Appartement du Roi à Versailles fut aménagé à partir de 1684 et connut plusieurs changements jusqu’à son installation définitive en 1701. C’est là qu’étaient présentées les collections du roi. Le cabinet du Billard1, qui en fait partie, était alors décoré de peintures de Le Brun, Mignard et de Poussin2 et d’autres œuvres considérées comme des compositions

39a. Moïse sauvé des eaux Huile sur toile H. 125 cm ; L. 110 cm Historique : Commandé en 1701 pour le cabinet du Billard à Versailles en remplacement du Moïse sauvé des eaux de Poussin ; déplacé en 1738 dans l’antichambre des Chiens ; musée spécial de l’École française à Versailles sous le Directoire et le Consulat ; musée Napoléon Bibliographie : Bailly, 1706, p. 371 ; Garnier, 1989, p. 26 et 144 ; Gustin-Gomez, 2006, t. I, p. 22-23, 85, 89, 116-117, 142, 162, 176, 207, 210, 223, 237-238 et 240 ; t. II, p. 93-94, P.133 ; Lett, 2009, p.47-48, no 58 ; Mérot, 2009, p. 337 ; Vogtherr, 2012, p. 278 ;Prat, 2013, p. 600 Exposition : Versailles, 2009-2010, p. 275 Paris, musée du Louvre, département des Peintures, collection de Louis XIV Inv. M.L. 4527

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originales de l’Albane, Guido Reni et du Parmesan3. Lors du réaménagement de la pièce en 1701, deux tableaux furent commandés spécialement à Charles de La Fosse et à Antoine Coypel, Moïse sauvé des eaux et Éliézer et Rébecca, en remplacement des deux toiles de Poussin sur le même thème4.

Le récit, tiré de l’Exode, est bien connu des peintres : Thermusis, la fille de Pharaon, découvre Moïse, volontairement abandonné sur les eaux du Nil par sa mère pour le sauver de la persécution que subissait le peuple juif. La Fosse en donne ici une vision personnelle dans laquelle le fait religieux n’est guère manifeste et les allusions à un lieu ou à une époque presque absentes. En effet, le récit devient celui d’une promenade estivale et champêtre, interrompue par la découverte d’un enfant dans son berceau. Les jeunes filles sont légèrement vêtues dans des costumes, souvenirs de Venise, proches de ceux du théâtre. Quant au paysage, il a une connotation bien française : les frondaisons, la colline au loin. Seules allusions à une Antiquité pittoresque : un temple, un obélisque – que Margret Stuffmann5 trouvait toutefois proche d’un campanile vénitien – et, à mi-parcours, une statue d’un taureau, référence peut-être au dieu égyptien Apis. La Fosse renoue ici avec la peinture vénitienne et fait fi de la leçon de Poussin. Sa principale dette est à l’égard de Véronèse, en particulier dans les versions de la National Gallery à Washington et de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg auxquelles il emprunte à la fois l’interprétation élégiaque du sujet et la fascination du coloris, dont des effets de cangianti particulièrement réussis dans les roses. Mais La Fosse donne un dynamisme inattendu à la scène en accentuant la verticalité de la composition avec l’idée charmante du parasol. Chez lui, les figures agencées avec habileté racontent une histoire : la tendresse du geste de la servante qui n’hésite pas à s’allonger sur le sol pour saisir l’enfant ; l’événement commenté avec étonnement par les trois femmes ; la décision prise de la fille de Pharaon, conseillée par sa voisine qui lui désigne du doigt une femme cachée derrière un arbre (la mère de l’enfant ?). À l’équilibre des formes répond celui du traitement des étoffes moirées, jaunes, roses et grises. Tout est jeu délicat d’ombres et de lumière. L’atmosphère se fait légère ; le paysage se pare de tonalités dorées et d’effets vaporeux. On y pressent déjà le XVIIIe siècle et la fête galante de Watteau.



Le dôme des Invalides L’histoire du décor de la coupole de l’église du Dôme1 s’étend de 1677 à 1706. Tandis que l’église des soldats restait nue de toute peinture murale2, le décor peint du Dôme – à fonction aulique et peut-être funéraire – fut confié à des artistes en vue. La fin de la guerre de la ligue d’Augsbourg et la nomination, en 1699, de l’architecte du Dôme, Jules HardouinMansart, à la tête de la surintendance des Bâtiments du roi, favorisèrent la reprise des travaux et le recrutement de

45a. L’Apothéose de saint Louis, modello pour le décor de la voûte de l’église du Dôme des Invalides, vers 1702 Huile sur toile Diam. 199,5 cm Tondo peint sur quatre lés de chanvre cerné d’un liseré brun doré formant trompe-l’œil Historique : Présentée au plafond de la salle du conseil des Invalides dès 1807 ; cession de l’hôtel national des Invalides, 1897, restauré, 1807, 1974 (rentoilage) et 2012 Bibliographie : Gustin-Gomez, 2006, t. I, p. 92-97, t. II, p. 104-106, P.153 Exposition : Paris, 2012, p. 307 Paris, musée de l’Armée Inv. 2, Ea 0014

Fig. 1. Charles de La Fosse, Saint Louis environné d’anges musiciens présente ses armes au Christ Vers 1702, Paris, musée des Arts décoratifs, inv. 2015. 204

Charles de La Fosse. Sollicité dès 1677 pour un premier projet3, l’artiste apparaissait toujours comme l’un des meilleurs représentants du goût moderne4, au sein d’un programme confié à Jean Jouvenet, Noël Coypel5, Michel II Corneille, Louis et Bon Boullogne6 et dédié à la vie de saint Louis, aux Pères de l’Église ainsi qu’à la Trinité, complémentaire du décor sculpté7. À La Fosse revint la partie noble du projet : la coupole et les pendentifs. SLR-B

En relation avec la composition peinte de la coupole sommitale de l’église du Dôme, ce tondo constitue un jalon dans la genèse de ce grand décor parisien8. Par sa manière comme par sa palette, il porte l’empreinte de Charles de La Fosse, également perceptible dans les drapés, les contours cernés de bistre à la façon d’une sinopia et rehaussant des tons froids. Caractérisé comme modello, statut que confirment les nombreux repentirs relevés lors de sa restauration en 2012, ce tableau « de faible densité travaillé avec beaucoup de légèreté et d’élégance », porte les traces – révélées en 1974 lors de sa première restauration documentée – des lacérations volontaires subies durant les troubles révolutionnaires9. La décision fut alors prise de rendre à nouveau visible l’écu fleurdelisé recouvert d’un papier peint le transformant en miroir10 et l’hypothèse d’une première remise en état vers 1816-1817 avancée. Des recherches récentes11 ont permis de retrouver la mention d’une restauration du tondo dès 1807, par Poincelot – peintre d’histoire chargé de l’entretien des peintures des Invalides –, datation plus cohérente avec le maintien de l’occultation des symboles royaux. Des dessins préparatoires ont été retrouvés12 [fig. 2] et la relation du modello avec le décor a été précisée, à la faveur de la restauration du Dôme13 et au-delà. Étape entre les esquisses autographes et les agrandissements, le modello constitue la maquette du décor, dont il diffère par la surface, la technique – a fresco et a secco pour la coupole –, des variantes – orientation des regards, attitudes et drapés – ainsi que par l’absence des anges musiciens violonistes14 , très présents sous le Dôme. « La Passion est donc là transfigurée en Gloire, dans une harmonie musicale qui lui est souvent associée, mais qui prend ici un sens particulier, si l’on se rappelle l’analogie15 étroite posée par les contemporains entre les effets de la musique et ceux de la couleur16 . » La description de la coupole par Félibien17, historiographe des Bâtiments du roi, confirme la présence d’anges violonistes, dont les deux tondi connus, celui du musée de l’Armée comme celui du musée des Arts décoratifs [fig. 1], sont dépourvus. Cette modification dans l’instrumentarium du concert céleste a-t-elle été apportée par l’artiste directement sur la sinopia ? Le renforcement de la présence des anges instrumentistes dans le décor est-il lié à la valorisation et à la modernisation de la musique instrumentale par l’Église catholique face au chant choral privilégié par les protestants18 ? Le roi apprécia19 ce décor, qui sanctifiait la dimension guerrière de la fonction royale, associée à la lutte contre l’hérésie, en établissant une filiation entre saint Louis, agenouillé devant le Christ qui bénit son épée, et le monarque régnant. La figure principale des anges musiciens, analogue au roi David, renforce sa dimension généalogique. L’hôtel des Invalides présente un résumé de l’évolution de la peinture décorative sous le règne de Louis XIV, du programme héroïque et allégorique des réfectoires20 conçu par Louvois, à celui du Dôme, empreint de spiritualité et réalisé sous la supervision d’Hardouin-Mansart.



Les Quatre Saisons Crozat

48a. Flore et Zéphyr Pierre noire, sanguine et rehauts de craie blanche sur papier beige H. 26 cm ; L. 21,5 cm Forme ovale Pliure dans le haut Collé en plein Historique : Collection Pierre-Jean Mariette (1694-1774 ; L. 1852 en bas à gauche), sa vente, Paris, 15 novembre 1775, no 1250 (voir dessin précédent) ; très probablement Charles-Paul-Jean-Baptiste Bourgevin Vialart de SaintMorys (1743-1795) ; saisie des émigrés, 1793 ; acquis par le Cabinet du roi ; Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques (L. suppl. 1886a en bas à gauche) Bibliographie: Gustin-Gomez, 2006, t. II, p. 243, D.147 ; Rosenberg et Barthélemy-Labeeuw, 2011, p. 802, no F2155 Exposition : Budapest, 2008 Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, don Marc Bazille, 1931 Inv. 27430

Fig. 1. Charles de La Fosse, Flore et Zéphyr Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, inv. 27429. 214

La question de la part respective dévolue à Charles de La Fosse et à Antoine Watteau dans la réalisation du décor de la salle à manger de Pierre Crozat, rue de Richelieu, sur le thème des Saisons, fut longtemps débattue par les historiens d’art. Dès le XVIIIe siècle, le comte de Caylus voit dans les feuilles de La Fosse des œuvres préparatoires aux peintures exécutées par Watteau : « [Les figures] sont presque demi-nature, et, quoique qu’il les ait exécutées d’après les esquisses de M. de La Fosse, on y voit tant de manière et tant de sécheresse qu’on ne peut en faire l’éloge1. » Ce jugement négatif ne surprend pas. Caylus jugeait que Watteau ne saurait pas peindre la peinture d’histoire ni l’allégorie. Récemment, Donald Posner indiqua que La Fosse aurait dû peindre les Quatre Saisons, mais l’âge et la maladie l’obligèrent à en confier l’exécution à Watteau sous son propre contrôle : « De toute évidence, Watteau proposa ses idées qui satisfirent La Fosse et Crozat2. » À juste titre, Cordélia Hattori s’est dit convaincue que « Pierre Crozat attendit la disparition de La Fosse avant de confier le décor de la salle à manger à Antoine Watteau, et qu’il ne le lui aurait jamais confié si le vieux peintre avait pu le mener à bien3 ». Pierre Rosenberg écrit en 1984 dans le catalogue de l’exposition Watteau : « Il semblerait logique de penser que ce n’est qu’à la veille de sa mort, en 1716, que le vieux La Fosse avait offert à Watteau les “esquisses” qu’il avait exécutées et lui avait abandonné une commande dont il avait vraisemblablement lui-même bénéficié4. » Ainsi un consensus s’est établi au fil des ans pour attribuer à notre peintre le « dessein » du décor Crozat dont il aurait librement abandonné l’exécution à Watteau. Nous savons, en effet, que La Fosse n’a plus assisté aux séances de l’Académie à partir du 29 novembre 1715. Son inventaire après décès publié5, en 2001, par Cordélia Hattori mentionne deux chaises « presté[es] [par Crozat] audit deffunt sieur de La Fosse pendant sa maladie ». Ainsi vécut-il affaibli et casanier durant sa soixante-dix-neuvième année jusqu’à sa mort advenue le 13 décembre 1716. Il était naturel de penser que Watteau avait fort bien pu commencer à peindre les Saisons avant la mort de son aîné pour satisfaire un commanditaire, de retour d’Italie, soucieux de mener à terme la décoration de sa salle à manger. Or l’inventaire après décès nous amène à réévaluer cette répartition des tâches largement admise. On peut y lire, après la prisée des tableaux, des dessins, des palettes, couleurs et pinceaux, que « [la] veuve de La Fosse a déclaré que lesdites quatre toilles & chassis appartiennent à Mr Crozat qui estoient destinées pour placer dans sa salle à manger6 ». La présence des quatre toiles probablement non peintes sur leur châssis, dans l’atelier de La Fosse à sa mort, semble indiquer que Crozat lui avait confié jusqu’à la fin la responsabilité de l’ensemble du décor. Notre artiste se préparait donc à peindre les Quatre Saisons s’il n’en avait été empêché par la maladie et la mort. L’existence de ces toiles dans l’atelier de La Fosse, appartenant à Crozat, nous paraît être un élément déterminant pour proposer une exécution des Saisons par Watteau vraisemblablement sur celles-ci, après la date de l’inventaire après décès de notre peintre établi le 23 décembre 1716. Récemment, Pierre Rosenberg et Louis-Antoine Prat proposaient dans le Corpus Watteau une datation des six dessins d’Antoine Watteau liés à ce décor en 1715-17167. Si l’on admet que Crozat ait attendu la mort de La Fosse pour confier les toiles à Watteau, ce dernier a fort bien pu entreprendre l’exécution de ses dessins préparatoires dans les derniers mois de la vie de son aîné, à la santé déclinante, fin 1716.



Le décor du chœur de Notre-Dame de Paris L’histoire de la nouvelle décoration du chœur de la cathédrale de Paris, ultime commande religieuse de Charles de La Fosse, commence bien avant le règne de Louis XIV. En 1636, en difficulté dans le conflit qui l’opposait à l’Espagne et toujours sans héritier, Louis XIII fait le vœu de consacrer son royaume à la Vierge. En 1638, la naissance du futur Louis XIV et le retournement du conflit en faveur de la France sont l’occasion du renouvellement du vœu et de nombreuses célébrations, dont résulte la commande d’un décor pour le chœur de Notre-Dame de Paris dont la pièce centrale était un Vœu de Louis XIII (Caen, musée des Beaux-Arts) commandé à Philippe de Champaigne. L’autre élément remarquable de ce décor était une vaste tenture de quatorze pièces dont la commande est passée par Michel Le Masle, sieur des Roches (1588-1662), chanoine de la cathédrale depuis 1629. La mort du roi en 1643 empêchera la construction du maître-autel qui devait accueillir le tableau de Champaigne mais Le Masle suit de près la réalisation des tapisseries illustrant la vie de la Vierge, exécutées par les ateliers parisiens, en plusieurs

51a. L’Adoration des bergers Huile sur papier marouflé sur bois H. 33 cm ; L. 50 cm Historique : Vente Drouot, Paris, 13 décembre 1974, salle 6, no 76 (« école française XVIIIe siècle ») ; galerie Cabanel, Paris Bibliographie : Gustin-Gomez, 2006, t. II, p. 130, P.196 Collection particulière

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temps, entre 1638 et 1657. Utilisée lors des fêtes, la tenture est rapidement célèbre, mais la transformation du chœur en 1699 par Robert de Cotte lui substitue un décor plus moderne composé cette fois de peintures. En 1720, les tapisseries sont considérées comme inutiles par les chanoines, qui les prêtent à diverses églises de la capitale. Finalement, la décision de les vendre est prise en 1730 et, en 1739, elles sont acquises par le chapitre de la cathédrale de Strasbourg, où elles se trouvent toujours. Les nouvelles peintures, commandées aux meilleurs académiciens1, sont prises en charge par le chanoine Antoine de La Porte et encadrent un monumental groupe sculpté par Antoine Coysevox, Nicolas et Guillaume Coustou, représentant Louis XIII et Louis XIV agenouillés devant la Pietà. Prenant place dans un cadre architectural remodelé en marbre rose et blanc garni de bronzes dorés, cet ensemble, démembré par la Révolution et par les travaux de Viollet-leDuc, demeure le plus important chantier religieux de la fin du règne de Louis XIV à Paris aux côtés de la construction du dôme des Invalides. GK

Cette petite peinture sur papier marouflé sur bois (support relativement rare chez La Fosse), à la matière généreuse et à l’exécution enlevée, prépare La Nativité, l’une des deux toiles peintes par La Fosse pour le nouveau décor du chœur de la cathédrale Notre-Dame de Paris, commandé par le chanoine de La Porte. Le grand tableau est saisi et retiré de l’édifice à la Révolution. Après un passage au dépôt de Nesle où il est envoyé le 26 décembre 1793, il entre au Louvre où il est roulé dès le XIXe siècle dans les réserves. Une gravure de NicolasHenri Tardieu nous permet d’avoir une idée de la composition définitive, mais l’estampe présente un format rectangulaire en hauteur et cintré qui ne correspond pas à celui, carré, du tableau. La comparaison de la gravure avec une photographie peu lisible de la peinture du Louvre laisse penser que l’emplacement des figures n’a pas été modifié par Tardieu. À partir de ce matériel, il est possible de distinguer un certain nombre de modifications opérées par La Fosse, entre l’esquisse et l’œuvre définitive. Dans ce travail préparatoire, le peintre se concentre surtout sur la partie où se trouvent les personnages. Il en est d’ailleurs de même pour l’esquisse de L’Adoration des Mages [cat. 51b]. Si les éléments les plus marquants de la composition tels que la structure de la grotte avec ses deux ouvertures, la disposition de la Sainte Famille sur le côté droit ou l’imposante figure de bergère au centre sont déjà en place, de nombreuses figures seront modifiées dans le grand tableau pour une meilleure compréhension de la scène. Dans l’esquisse, un vieux berger se penche au premier plan sur le berceau du Christ. Masquant en partie des personnages qui se trouvent derrière lui, le vieillard sera retiré par La Fosse. De manière générale, ce dernier diminue le nombre de figures de l’esquisse au grand tableau, pour offrir à ce dernier






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