Clairvaux l'aventure cistercienne (extrait)

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Cet ouvrage accompagne l’exposition « Clairvaux. L’aventure cistercienne » présentée par le Conseil général de l’Aube/Direction des Archives et du Patrimoine à Troyes (Hôtel-Dieu-le-Comte) du 5 juin au 15 novembre 2015 dans le cadre du 9e centenaire de l’abbaye de Clairvaux inscrit au titre des commémorations nationales de l’année 2015, en partenariat avec le ministère de la Culture et de la Communication/Direction régionale des affaires culturelles de Champagne-Ardenne et l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux. Cette exposition a bénéficié du soutien de la Fondation du Crédit Agricole de Champagne-Bourgogne, de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) et du champagne Drappier.

Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Conception graphique : Ariane Naï Aubert Coordination éditoriale : Laurence Verrand Contribution éditoriale : Renaud Bezombes Traduction de l’allemand vers le français (texte de Franz J. Felten) : Irène Imart Traduction de l’anglais vers le français (notice 39, Vivian Etting ; 42, 53, 108a et 108b, Anne E. Lester) : Delphine Nègre Traduction de l’italien vers le français (texte de Guido Cariboni) : Geneviève Lambert Traduction du portugais vers le français (notices 37 et 38, Ana Sampaio e Castro et Luis Sebastian) : Élisabeth Agius d’Yvoire Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros © Somogy éditions d’art, Paris, 2015 © Conseil général de l’Aube, 2015 © Thierry Renard pour l’ensemble des cartes, 2015 ISBN : 978-2-7572-0934-9 Dépôt légal : mai 2015 Imprimé en Italie (Union européenne)


lairvaux C

l’aventure cistercienne sous la direction de

Arnaud Baudin Nicolas Dohrmann et Laurent Veyssière


La conception scénographique et graphique de l’exposition a été réalisée par l’Atelier Tétraèdre (Claire Holvoet-Vermaut et Noémie Grégoire) et la réalisation scénographique par Volume International (Christophe des Dorides et Marc Froissard) sous la direction d’Arnaud Baudin, Nicolas Dohrmann, Claudie Odille et Laurent Veyssière. Régie des œuvres et textes de l’exposition : Arnaud Baudin. Emballage et transport des œuvres : Artrans Documentation iconographique : Pauline Fridmann. Politique des publics : Julie Oberlin et Claudie Odille. Communication et partenariats : Michèle Duval, Pascale Morand, Marie-Pierre Moyot, Julie Oberlin, Claudie Odille, Erika Pisco-Marques, Christelle Taillardat, Sandrine Thibord, Camille Vandendriessche. Conception de l’affiche : Agence Mixte (Benoît Delerue et Steeve Gruson). Film et reconstitution en 3D : Art Graphique et Patrimoine (Gaël Hamon, Hugues de Lambilly et Jean-Stéphane Beetschen), Aloest Productions (François-Hugues de Vaumas) et Polymorph (Fabrice Guichard). Site Internet : Eolas (Sébastien Joguet).

Commissariat général Nicolas Dohrmann Conservateur du patrimoine, directeur des Archives et du Patrimoine de l’Aube

Commissaires scientifiques Arnaud Baudin Directeur adjoint des Archives et du Patrimoine de l’Aube Laurent Veyssière Conservateur général du patrimoine, chef de la Délégation des patrimoines culturels au Ministère de la Défense

Membres Paul Benoit Professeur émérite à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Les auteurs

François Blary Professeur à l’université libre de Bruxelles

Pierre Aubé Membre de la Société de l’histoire de France

Bernard Ducouret Conservateur en chef du patrimoine, responsable du pôle patrimoine-culturel inventaire de la région Champagne-Ardenne

Jean-Baptiste Auberger Ordre des Frères mineurs

Pierre Gandil Conservateur des bibliothèques, directeur adjoint de la Médiathèque du Grand Troyes

Claude Andrault-Schmitt (C.A.-S.) Professeur à l’université de Poitiers

Sandrine Balan (S.B.) Conservateur du patrimoine, musée des Beaux-Arts de Dijon, maître de conférences associé à l’université de Bourgogne Christian Barbier Collège des Bernardins, Paris

Alexis Grélois Maître de conférences à Normandie Université (Rouen)

Maria do Rosário Barbosa Morujão (M.R.B.M.) Professeur auxiliaire à l’université de Coimbra

Isabelle Heullant-Donat Professeur à l’université de ReimsChampagne-Ardenne

Arnaud Baudin (A.B.)

Jean-François Leroux Président de l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux

Clément Blanc (C.B.) Chargé d’études documentaires, responsable du Centre de sigillographie, Archives nationales

Jackie Lusse Maître de conférences honoraire de l’université de Nancy 2

François Blary (F.B.)

Xavier de Massary Conservateur général du patrimoine, inspecteur général des patrimoines

Comité scientifique

Martine Plouvier Conservateur en chef honoraire du patrimoine

Président André Vauchez Professeur émérite de l’université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, membre de l’Institut

Jonathan Truillet Conservateur du patrimoine, conservateur régional des monuments historiques, DRAC Champagne-Ardenne

Paul Benoit (P.B.)

Véronique Boucherat (V.B.) Maître de conférences à l’université de Paris Ouest-Nanterre-La Défense Ghislain Brunel (G.B.) Conservateur général du patrimoine, directeur des publics, Archives nationales Michel Bur Professeur émérite de l’université de Nancy II, membre de l’Institut Guido Cariboni Professeur à l’Université catholique du Sacré-Cœur, Milan


Megan Cassidy-Welch Professeur associé, Centre for Medieval and Renaissance Studies, Monash University (Australie) Ana Sampaio e Castro (A.S.C.) Katerˇina Charvátová Professeur à l’université Charles, Prague Jean-Luc Chassel Maître de conférences à l’université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense Benoît Chauvin (B.C.) CNRS Rémy Cordonnier (R.C.) Responsable du Pôle Fonds d’État et ancien de la Bibliothèque d’agglomération de Saint-Omer Éric Delaissé Assistant à l’Université catholique de Louvain Dominique Delgrange (D.D.) Société française d’héraldique et de sigillographie Christine Descatoire (C.D.) Conservateur en chef du patrimoine, musée de Cluny - musée national du Moyen Âge Nicolas Dohrmann (N.D.) Bernard Ducouret (B.D.) Vivian Etting (V.E.) Conservateur, musée national du Danemark, Copenhague Franz J. Felten Professeur à la Johannes Gutenberg Universität, Mayence Pierre Gandil (P.G.) Alexis Grélois (A.G.)

Cécile Lanéry (C.L.) Chargée de recherche, IRHT Anne E. Lester (A.E.L.) Professeur associé, département d’histoire de l’université du Colorado, Boulder Isabelle Loutrel (I.L.) Conservateur du patrimoine à la Conservation régionale des monuments historiques, DRAC Champagne-Ardenne Jackie Lusse (J.L.) Élisabeth Lusset (E.L.) Fondation Thiers / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Claire Maître (C.M.) Directeur de recherche, IRHT Bertrand Marceau (B.M.) Attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’École nationale des chartes Jean-François Nieus (J.-F.N.) Chercheur qualifié du Fonds national de la recherche scientifique, professeur à l’université de Namur Annie Noblesse-Rocher (A.N.-R.) Professeur à la faculté de théologie protestante de Strasbourg Éric Pallot Architecte en chef des monuments historiques Michel Pastoureau Directeur d’études à l’École pratique des hautes études, président de la Société française d’héraldique et de sigillographie Martine Plouvier (M.P.)

Marlène Hélias-Baron (M.H.-B.) Ingénieur de recherche, IRHT

Cédric Roms (C.R.) Archéologue, responsable d’opération, INRAP, LAMOP (UMR 8589)

Anne-Françoise Labie-Leurquin (A.-F.L.-.L.) Ingénieur de recherche, IRHT

Emmanuel Rousseau (E.R.) Conservateur général du patrimoine, directeur des fonds, Archives nationales

Véronique Salze (V.S.) Secrétaire de documentation, responsable de la série N, Archives nationales Luís Sebastian (L.S.) Directeur du musée de Lamego (Portugal) Patricia Stirnemann (P.S.) Conseillère scientifique de la section des Manuscrits enluminés, responsable de la section de Paléographie latine à l’IRHT Dominique Stutzmann (D.S.) Chargé de recherche, IRHT Raymond Tomasson (R.T.) Associé correspondant national de la Société nationale des antiquaires de France, membre résidant de la Société académique de l’Aube André Vauchez Laurent Veyssière (L.V.) Gilles Vilain (G.V.) Documentaliste-recenseur, Conservation régionale des monuments historiques, DRAC Champagne-Ardenne Valentine Weiss (V.W.) Conservateur du patrimoine, responsable du Centre de topographie historique de Paris, Archives nationales Hanno Wijsman (H.W.) Ingénieur d’études, IRHT Jean-Marie Yante (J.-M.Y.) Professeur d’histoire médiévale à l’Université catholique de Louvain

Comité de relecture Arnaud Baudin, Jean-Luc Chassel, Benoît Chauvin, Nicolas Dohrmann, Alexis Grélois, Martine Plouvier, Laurent Veyssière.


Institutions prêteuses Auxerre, Archives départementales de l’Yonne

Marseille, musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée

Bar-sur-Aube, médiathèque Albert-Gabriel

Paris, Archives nationales

Bégrolles-en-Mauges, abbaye de Bellefontaine

Paris, Bibliothèque nationale de France

Bruxelles, Archives générales du royaume

Bibliothèque de l’Arsenal

Cambridge University Library

Département des manuscrits

Châlons-en-Champagne, Archives départementales de la Marne

Paris, musée Carnavalet – Histoire de Paris

Châlons-en-Champagne, cathédrale Saint-Étienne, trésor Châlons-en-Champagne, direction régionale des affaires culturelles de Champagne-Ardenne Champignol-lez-Mondeville, commune Charleville-Mézières, médiathèque Voyelles Choignes, Archives départementales de la Haute-Marne Copenhague, musée national du Danemark

Paris, musée de Cluny – musée national du Moyen Âge Reims, bibliothèque Carnegie Saint-Nicolas-lès-Cîteaux, abbaye de Cîteaux Saint-Omer, bibliothèque d’agglomération Saint-Omer, Confrérie de Notre-Dame des Miracles Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin Toulouse, musée des Beaux-Arts – musée des Augustins

Dijon, Archives départementales de la Côte-d’Or

Troyes, Agence interdépartementale Aube-Marne de l’Office national des forêts

Dijon, bibliothèque municipale

Troyes, Archives départementales de l’Aube

Dijon, musée des Beaux-Arts

Troyes, Association diocésaine

La Haye, Bibliothèque royale

Troyes, cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, trésor

Lamego, musée de Lamego

Troyes, Médiathèque du Grand Troyes

Lisbonne, Archives nationales-Torre do Tombo

Troyes, musée des Beaux-Arts

Londres, British Library

Ville-sous-la-Ferté, commune

Londres, National Heritage

Ville-sous-la-Ferté, Association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux

Maranville, commune


Abréviations Avertissement au lecteur

Cistercien (ne) : cis.

Pour des raisons de conservation, plusieurs pièces de l’exposition ainsi que les folios des manuscrits et des registres sont présentés successivement pendant trois mois. La numérotation des pièces à l’intérieur du catalogue répond à cette nécessaire rotation : les numéros suivis de « a » (ex. cat. 3a) correspondent à une présentation entre le 5 juin et le 16 août 2015, les numéros suivis de « b » (ex. cat. 3b) à une présentation entre le 17 août et le 15 novembre 2015.

Commune : cne

Abréviations Abbaye : abb. Archevêque : archev. Archives départementales : Arch. dép. Archives générales du Royaume : Arch. gén. Royaume Archives nationales : Arch. nat. Augustin (ienne) : aug.

Comte : cte Comtesse : ctesse Dominicain (e) : dom. Église : égl. Empereur : emp. Évêque : év. Femmes : f. Folio : fol. Franciscain(e) : franc. Illustration : ill. Manuscrit : ms. Médiathèque du Grand Troyes : M.G.T. Monuments historiques : M.H. Prémontré(e) : pré.

Bénédictin(e) : bén.

Provenance : Prov.

Bibliothèque d’agglomération de Saint-Omer : B.A.S.O.

Recto : r Saint : st

Bibliothèque nationale de France : Bibl. nat. Fr.

Seigneur : sgr

Canton : c.

Vers : v.

Catalogue : cat.

Verso : v

Cathédrale : cath.

Vicomte : vcte

Chef-lieu de canton : ch.-l. c.


Remerciements Les commissaires expriment en premier lieu leur très profonde gratitude envers les partenaires du projet, tout d’abord les personnels de la direction régionale des affaires culturelles de Champagne-Ardenne, notamment sa directrice, Mme Christine Richet, et Mme Florence Gendrier, directrice adjointe, Mme Isabelle Wintrebert, chargée de communication, les équipes de la conservation régionale des monuments historiques, M. Jonathan Truillet, conservateur régional, Mmes Isabelle Loutrel, Pauline Lurçon et Florie Allard, conservateurs du patrimoine et conservateur du patrimoine stagiaire entre septembre 2013 et janvier 2014, M. Gilles Vilain, documentaliste-recenseur, et celles du service régional de l’archéologie, MM. Yves Desfossés, conservateur régional, et Gautier Basset ; enfin les membres de l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux, Mme Carine Masson, M. Gérard Beureux et naturellement son président, M. Jean-François Leroux, dont la passion et l’engagement d’une vie en faveur de l’abbaye de Clairvaux a contribué au rayonnement du monument. Ils tiennent ensuite à exprimer leur reconnaissance à tous ceux qui ont soutenu cette exposition et la publication de ce catalogue. Nous remercions en premier lieu M. André Vauchez et l’ensemble des membres du comité scientifique, les auteurs, les relecteurs et les conférenciers, pour leur implication sans faille dans le projet. Cette exposition avait pour objectif de réunir les œuvres dispersées de l’abbaye de Clairvaux. Cependant, pour des raisons liées aux contraintes du transport et à la fragilité de certaines œuvres, les vœux des commissaires n’ont pu toujours être exaucés. Ils souhaitent ici remercier Mgr Marc Stenger, évêque de Troyes, Mgr Gilbert Louis, évêque de Châlonsen-Champagne, les communautés de Cîteaux et de

Bellefontaine et leurs abbés, dom Olivier Quénardel et dom Jean-Marc Chéné, l’association diocésaine de Troyes et Monsieur le chanoine Dominique Roy, recteur de la cathédrale, ainsi que la Confrérie de Notre-Dame des Miracles de Saint-Omer et notamment M. Guy Verslype, pour la confiance qu’ils nous ont accordée par leurs prêts généreux. Nous exprimons également nos remerciements les plus chaleureux envers les élus et les responsables des collections publiques et protégées au titre des monuments historiques pour l’accueil qu’ils nous ont réservé, la qualité de nos échanges et, au final, les prêts consentis : Les maires et présidents de communautés d’agglomération : Mme Anne Hidalgo et MM. Fabrice Antoine, François Baroin, Philippe Borde, François Decoster, Aurélien Joly, Alain Millot, Jean-Luc Moudenc, Gilles Noël, Boris Ravignon et Arnaud Robinet. Les directeurs, conservateurs et personnels des musées : Mmes Sandrine Balan, Rachel Beaujean-Deschamps, Anne Camuset, Christine Descatoire, Christiane Dole, Vivian Etting, Valérie Guillaume, Sophie Jugie, Sophie Lagabrielle, Marie-Lys Marguerite, Brigitte Massé, Claudie Pornin, Charlotte Riou, Chantal Rouquet, Élisabeth Taburet-Delahaye et MM. Éric Blanchegorge, Jean-François Chougnet, Matthieu Gilles, Axel Hémery, David Liot, Per Kristian Madsen et Luís Sebastian. Les directeurs, conservateurs et personnels des services de bibliothèques : Mmes Martine Chauney-Bouillot, Andrea Clarke, Françoise Ducroquet, Béatrice GaillotDéon, Catherine Gublin, Nadia Harabasz, Isabelle Le Masne de Chermont, Sabine Maffre, Anne Mary, Élise Nicolas, Caroline Poulain, Delphine Quéreux-Sbaï, Marie-Paule Rolin, Madeleine Van den Berg, Jill Whitelock et MM. François Berquet, Thibaut Canuti,


Rémy Cordonnier, Pierre Gandil, Pascal Jacquinot, Roly Keating, Ben Outhwaite, Bruno Racine et Bas Savenije. Nos collègues directeurs et conservateurs des services d’archives : Mmes Françoise Banat-Berger, Sylvie Bigoy, Isabelle Homer et MM. Édouard Bouyé, Pierre-Frédéric Brau, Ghislain Brunel, Silvestre Lacerda, Marc Libert, Alain Morgat et Karel Velle. À Londres, les équipes du National Heritage, MM. Kevin Booth, Robert Evans et David Preece ; Mme Clarissa Rothacker des éditions Quaternio Verlag Luzern ; enfin les équipes de l’Agence interdépartementale Aube-Marne de l’Office national des forêts, son directeur, M. Xavier Rousset, ainsi que MM. Ludovic Chabaud, Rémi Collet et Samuel Courtaut. Nous n’oublions pas l’ensemble des restaurateurs dont le travail remarquable nous a permis de redécouvrir la qualité des œuvres ou des documents provenant de Clairvaux, les ateliers Cejiel et Quillet, Mmes Solène Chatain, Martine Plantec, Isabelle Pradier, Nathalie Schluck, Valérie Trémoulet et MM. Igor Kozak, Hervé Leriche et Uwe Schaefer. Les commissaires remercient M. Dominique Bruneau, directeur de la Maison centrale de Clairvaux, pour avoir facilité l’accès aux bâtiments de l’abbaye dépendant du ministère de la Justice ; les personnels de l’Éducation nationale pour leur aide et leur accompagnement dans la mise en place des actions pédagogiques, Mme Emmanuelle Compagnon, directrice départementale des services de l’Éducation nationale de l’Aube, Mme Aude Mérat, coordinatrice départementale pour l’action artistique et culturelle, et M. Jacky Provence, professeur d’histoire et de géographie et responsable du service éducatif des Archives départementales de l’Aube ; les équipes de l’Institut

national de recherches archéologiques préventives, et notamment Mme Estelle Bénistant, pour leur accompagnement et leurs conseils dans la mise en place des actions de valorisation. Notre gratitude va ensuite à tous ceux qui, au Conseil général de l’Aube et au Comité départemental du tourisme de l’Aube en Champagne, nous ont accompagnés, à un titre ou à un autre, dans la conduite de ce projet : Mmes Sandrine Bollot, Élodie Boutin, Emmanuelle Cridelich, Isabelle Darnel, Michèle Duval, Nathalie Euillot, Élisabeth FeuillatWagner, Valérie Garchier, Catherine Guinard, Isabelle Harmand, Marie-José Hugonet, Emmanuelle Lullier, Erika Marques-Pisco, Pascale Morand, Marie-Pierre Moyot, Julie Oberlin, Claudie Odille, Brigitte Poinsot, Christelle Portier, Marie-José Rich, Christelle Taillardat, Sandrine Thibord et MM. André Billet, Malo Blanchard, Pierre Couturier, Rémi Dauphin, Daniel Gaunard, Hervé Georget, Loïc Laurent, Guillaume Maison, Noël Mazières, Jean-Luc Pouget, Philippe Ricard, Camille Vandendriessche et Nicolas Villain. Nous ne saurions terminer sans des remerciements spéciaux à Pauline Fridmann pour son aide et sa bonne humeur au cours des huit mois passés à la Direction des Archives et du Patrimoine en appui du commissariat scientifique, ainsi qu’à M. Éric Pallot, architecte en chef des monuments historiques, à sa collaboratrice Mme Virginie Valanza, et à notre collègue Alain Portenier, responsable du chantier de l’Hôtel-Dieu-le-Comte, pour avoir réussi le pari de mener à bien les travaux d’agrandissement et d’aménagement des espaces d’exposition dans des délais très courts. Que tous trouvent ici l’expression de nos remerciements les plus chaleureux.


Sommaire Préfaces

13

Bernard de Clairvaux et la couleur

Dom Olivier Quénardel Abbé de Cîteaux

19

André Vauchez

Clairvaux chef de filiation 87 La filiation de Clairvaux

25

Clairvaux au temps de Bernard

31

Benoît, la Règle et les cisterciens

33

Élisabeth Lusset 41

La France • Alexis Grélois La Scandinavie • Éric Delaissé L’espace germanique • Franz J. Felten L’Europe centrale et orientale

100 103

Megan Cassidy-Welch

L’Italie • Guido Cariboni La péninsule Ibérique

Le milieu social et familial de Bernard de Clairvaux

Les moniales claravalliennes

Pierre Aubé

97

Les îles Britanniques 107

Maria do Rosário Barbosa Morujão

49

Alexis Grélois

59

Gouverner Clairvaux et sa filiation aux xvie et xviie siècles

Jean-Luc Chassel

92

Katerˇina Charvátová

Fr. Jean-Baptiste Auberger et Laurent Veyssière

Bernard et le gouvernement de Clairvaux

89

Alexis Grélois

Michel Bur

Les origines et la fondation de Clairvaux

76

Michel Pastoureau

Jean-François Leroux Président de l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux

In memoriam. Robert Fossier et Clairvaux

67

Alexis Grélois

Philippe Adnot Sénateur, Président du Conseil général de l’Aube

Clairvaux, sept siècles de rayonnement

Les itinéraires de Bernard de Clairvaux

Bertrand Marceau

110 115

119

125


Gérer le temporel L’économie de Clairvaux au Moyen Âge

137 139

Paul Benoit

La grange, moteur de l’économie claravallienne

Clairvaux et l’écrit

199

Dominique Stutzmann

Le Collège des Bernardins

207

Christian Barbier

Le trésor de Clairvaux 147

213

Anne E. Lester

François Blary

Clairvaux en ville : les maisons et hôtels urbains

157

François Blary

Les archives de Clairvaux : outil de gestion du temporel 161 Laurent Veyssière

Sceller à Clairvaux et dans sa filiation champenoise du xiie au xve siècle

Architecture et archéologie Un parcours architectural dans l’abbaye de Clairvaux (1115-1790)

225 227

Gilles Vilain

La restauration de l’abbaye de Clairvaux 243 Éric Pallot 173

Arnaud Baudin

L’archéologie à Clairvaux

259

Cédric Roms

Prier et se former à Clairvaux La spiritualité cistercienne

185 187

Annie Noblesse-Rocher

Les cisterciens et la quête de l’authenticité liturgique Claire Maître

193

Notices Annexes

Chronologie Liste des abbés de Clairvaux Liste des abbayes d’hommes de la filiation de Clairvaux Index des noms de personnes et de lieux

Sources et bibliographie

263 529 530 534 536 542 554



préfaces

C

lairvaux au cœur de l’Occident médiéval, mère de trois cent trente-neuf abbayes en Europe ! Clairvaux la toute-puissante, du temps des comtes et des foires de C ­ hampagne ; Clairvaux la métamorphose, tour à tour « palais monastique », bien national, et plus grande prison de France ; Clairvaux, haut lieu spirituel devenu haut lieu culturel… Neuf cents ans après, comment ne pas se passionner pour l’exceptionnel rayonnement et le singulier destin de cette abbaye que Bernard fit naître, dans cette claire vallée de l’Aube ? Comment ne pas être fasciné par l’extraordinaire force de conviction du jeune abbé ? Au-delà, comment ne pas avoir envie de faire connaître cette épopée au plus grand nombre ? Notre assemblée départementale n’a certes pas attendu le 900e anniversaire de Clairvaux pour s’intéresser à ce joyau du patrimoine et de l’histoire – l’accompagnant depuis toujours dans ses efforts de restauration, d’animation et de promotion. Commémoration nationale 2015, l’événement méritait toutefois un éclat particulier. Alors, une fois encore, le département de l’Aube en Champagne a mobilisé ses énergies et ses financements… comme ce fut déjà le cas pour la sculpture du « Beau xvie », le vitrail, les templiers ou encore la Campagne de France. Ainsi est né « Clairvaux 2015 », vaste programme, mais aussi vaste pari, relevé avec nos deux partenaires historiques : l’État (propriétaire, engagé dans une longue restauration des bâtiments) et l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux, si passionnément incarnée, depuis 1983, par son président Jean-François Leroux. Cet ouvrage perpétuera de belle façon le souvenir de cette année 2015. Les meilleurs spécialistes internationaux du sujet y partagent le fruit de leurs dernières recherches. Quant au catalogue proprement dit, richement illustré, il témoigne d’une exposition à l’envergure inédite autour de la vie monastique, politique, économique, artistique et intellectuelle de Clairvaux, du xiie au xviiie siècle. Plus de cent cinquante œuvres dispersées en Europe, documents originaux, manuscrits, objets inédits, ont ainsi pu être réunis à Troyes pendant six mois. Merci au comité scientifique ainsi qu’aux trente-sept institutions prêteuses, publiques, privées (françaises, belges, anglaises, danoises, néerlandaises et portugaises) qui nous ont accompagnés et nous ont fait confiance. Merci, enfin, à toux ceux qui auront pris leur part, organisant ou soutenant des manifestations : partenaires et mécènes (Grand Troyes, champagne Drappier, Andra, Fondation du Crédit Agricole Champagne-Bourgogne), collectivités, associations et enseignants. L’aventure n’est pas terminée. Philippe Adnot

Sénateur, Président du Conseil général de l’Aube

Fig. 1 Saint Bernard, fondateur de Clairvaux. Statue en terre cuite peinte, manufacture de Vendeuvre-sur-Barse (xixe s.). Bar-sur-Aube, église Saint-Pierre


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Q

ui es-tu, Bernard de Clairvaux ? Aujourd’hui encore, on parle tant de toi ! Tantôt pour te louer, tantôt pour te blâmer. De partout, on vient à toi : hommes et femmes, savants et ignorants, religieux et mécréants, gens de tout bord secoués par ton verbe, gagnés par ta flamme, indignés parfois par tes prises de position radicales et presque sans pitié, mais toujours fascinés par le dynamisme de ta personne que rien ne semble arrêter. Qui es-tu, Bernard de Clairvaux ? Tu as choisi la vie cachée, et te voilà happé, mangé par son contraire. On te réclame ici, on te retrouve là. On dirait que nul ne peut se passer de ta présence. On se range à tes avis, on vient prendre tes conseils. Rois, princes, évêques, le pape lui-même te considèrent indispensable à leurs entreprises. Dans l’Europe du xiie siècle, rien ne se fait sans toi. Comment ton âme ne s’est-elle pas perdue dans ce tourbillon d’affaires ? Par nécessité, tu dois t’intéresser à tout sans rien négliger. Quel art pourrait te reprocher de l’avoir méprisé ? La musique, l’architecture, l’enluminure, la rhétorique, l’art culinaire, et déjà l’éthique et l’art de vivre en société ? Le chien qui aboyait dans le sein de ta mère annonçait la canicule qui allait venir. En plein soleil, on peine à distinguer si c’est un lévrier ou un bon chien de garde. Au chenil ou à la chasse, il n’a pas son pareil. Audedans du monastère ou au dehors, tu es toujours Bernard de Clairvaux ! Pour te comprendre, il faut savoir que Cîteaux demeure ta racine (fig. 2). C’est là que tu as appris le b.a.ba de la vie monastique, dans une communauté sans fard. Drôle de choix de ta part ! Pourquoi n’as-tu pas choisi Cluny ou Saint-Bénigne, autrement plus prisés que le « Nouveau Monastère » ? On y travaille dur, la chair n’y est pas trop à l’aise. Le fils d’un seigneur ne mérite-t-il pas mieux ? Mais non ! Bon limier de l’Évangile, tu as du nez et tu as du flair. As-tu pressenti que c’est de ces marécages que monterait pour l’Église et pour le monde une pratique renouvelée de la Règle de saint Benoît capable de transformer le Val d’Absinthe en une claire vallée ? Il te fallait cela, rien de moins que cela pour être Bernard de Clairvaux. Héritier de Cîteaux, tu emportes aussi avec toi l’Esprit qui a inspiré la Charte de charité. Disons plutôt que c’est l’Esprit qui t’emporte, Celui dont on ne sait ni d’où il vient ni où il va ! Avec toi, Clairvaux est en flammes et l’ordre de Cîteaux s’embrase ! Dom Olivier Quénardel Abbé de Cîteaux

Fig. 2 Vue cavalière de l’abbaye de Cîteaux. Gravure de P. Brissard sur un dessin d’Étienne Prinset (1674). Dijon, Bibl. mun., 90.110

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16


Les cinq vies de Clairvaux

T

out a commencé en juin 1115 avec l’arrivée du futur saint Bernard et des douze moines chargés de créer, à l’extrême sud de la Champagne, un monastère affilié au nouvel ordre cistercien. Au cœur de la vieille forêt gauloise, un vallon bien exposé, à proximité de la rivière Aube, ce sera le site des constructions successives qui, au cours de neuf siècles, traduiront l’histoire de l’abbaye de Clairvaux. Il ne reste que quelques traces de la première implantation, ce monasterium vetus certainement réalisé à la hâte et sans confort mais où le nouvel abbé entendait appliquer la Règle de saint Benoît dans la rectitude. De cette période est née la légende poétique qui veut que Clairvaux ait été créée dans le Val d’Absinthe. Référence bernardine à l’Apocalypse de saint Jean et à la vie d’amertume qu’avait choisie le futur saint Bernard (chap. 8, 7). Puis vint la grande abbaye médiévale, commencée en 1135 et complétée ou remaniée pendant plusieurs siècles. Elle nous a donné, avec son mur de trois kilomètres, une image définitive d’un lieu d’enfermement voué à la prière et au travail. Mais à la dimension d’une ville. Cette deuxième abbaye fut presque totalement démolie par les moines pour adapter leur cadre de vie à la fonction sociale croissante qu’ils occupaient au fur et à mesure de leurs acquisitions foncières et industrielles. L’immense grand cloître de Clairvaux III s’impose alors comme une forteresse. Il faudra la Révolution pour clore une histoire monastique qui laisse les lieux dans un semi-abandon. Les vastes espaces de l’ancienne abbaye se retrouvent occupés dès 1808 quand Napoléon « invente » la peine de privation de liberté et transforme plusieurs monastères désaffectés en pénitenciers. Avec trois mille détenus au milieu du xixe siècle, Clairvaux devient la plus grande prison française. L’abbatiale est sacrifiée à la réalisation d’un lieu d’enfermement voué au travail et à l’expiation. Jusqu’en 1970. Après quelques années d’abandon, une cinquième vie de Clairvaux débute en 1979. Les bâtiments d’une nouvelle maison centrale, hélas construits sur les fondations de l’abbatiale, ont libéré le grand cloître et le vénérable bâtiment des convers du xiie siècle. Sous la tutelle du ministère de la Justice puis du ministère de la Culture à partir de 2002, l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux, avec le soutien des collectivités territoriales (Région, Département, communes), va ouvrir au public la partie historique de l’ancienne abbaye. Visites guidées, expositions, colloques, festival « Ombres et lumières », recherche historique, ateliers pédagogiques, un programme polyvalent qui fait de Clairvaux un centre culturel régional porteur d’un héritage de neuf cents années d’une histoire exceptionnelle. Jean-François Leroux

Président de l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux

Fig. 3 Abbaye de Clairvaux. L’hôtellerie des dames (xvie s.)

17



Clairvaux,

sept siècles de rayonnement André Vauchez

D

epuis une quarantaine d’années, les études sur les cisterciens et leurs abbayes se sont multipliées, tant en Europe qu’aux États-Unis, et nos connaissances dans ce domaine ont accompli de grands progrès que l’on peut mesurer au rythme des publications et des expositions les concernant. Mais dans ce mouvement d’ensemble, la place faite à Clairvaux est restée secondaire, même si des efforts remarquables ont été accomplis à partir des années 1970, sous l’égide de l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux et de son dynamique président Jean-François Leroux-Dhuys, pour la sortir de l’ombre. Pourtant, même dans son état actuel et compte tenu des destructions advenues au cours des siècles, cette abbaye constitue encore aujourd’hui le plus grand ensemble de bâtiments monastiques existant dans le monde occidental et l’aboutissement récent des travaux de restauration entrepris dans les années 1980, a permis de redécouvrir dans toute sa splendeur le bâtiment des convers, ce chef-d’œuvre de l’art médiéval comparable en importance au Collège des Bernardins à Paris, ainsi que la chapelle-réfectoire du xviiie siècle. La commémoration du neuvième centenaire de la fondation de l’abbaye de Clairvaux est l’occasion de faire le point de nos connaissances sur son histoire et sur son rayonnement qui a été considérable, tant en France que dans toute l’Europe, depuis le xiie siècle jusqu’à la Révolution française. Dans le cadre de la présente exposition ont été réunis des documents et des œuvres d’art qui nous permettent de mieux comprendre les raisons de ce succès. La première tient au lien fondamental et durable existant entre Clairvaux et saint Bernard qui la fonda en juin 1115, lorsqu’il vint s’installer, avec une douzaine de moines, dans le site austère qu’il appelait « le Val d’Absinthe », à quelques centaines de mètres du monastère actuel. Le rapport entre Bernard et Clairvaux est si étroit qu’on a jadis qualifié de Bernardins les moines cisterciens, comme s’il avait été le fondateur de leur ordre. Il n’en est rien, puisque ce dernier était né en 1098 à Cîteaux, où Robert de Molesme avait fondé un Monastère Nouveau qui prétendait remettre à l’honneur la vocation ascétique et laborieuse du monachisme en revenant à la lettre de la Règle de saint Benoît, déformée au cours des siècles par les coutumes et les interprétations déviantes. Après des débuts difficiles, Cîteaux connut un certain essor sous l’abbatiat d’Étienne Harding et attira de nombreuses recrues. En 1113, Bernard, un jeune homme de vingt-deux ans, y entra comme novice. Deux ans plus tard, il fut envoyé à Clairvaux pour y fonder une abbaye sur des terrains

Page de gauche Fig. 4 La translation des reliques de saint Bernard. Miniature extraite du Martyrologeobituaire de l’abbaye de Notre-Dame-des-Prés de Douai (1275-1300). Valenciennes, Bibl. mun., ms. 838, fol. 103 Page suivante Fig. 5 à 11 Portraits de moines illustres de Clairvaux se rattachant à la même série que la Vera effigies (cat. 109), le portrait d’Henri de Marcy (fig. 150) et celui de Gonario, roi de Sardaigne (cat. 17). De haut en bas : Tristan de Bizet, évêque de Saintes (1573) ; Adalgott, évêque de Coire ; Geoffroy, évêque de Sora († 1178) ; Bernard, évêque de Népi († v. 1206) ; Bernard de Rennes († v. 1153) ; Martin Cibo († 1134) ; Baudouin, archevêque de Pise († 1145). Huiles sur bois (xvie s.). Clairvaux, hôtellerie des dames ; Troyes, trésor de la cathédrale Saint-Pierreet-Saint-Paul


qui lui avaient été donnés par des membres de sa famille, tant maternelle que paternelle, à proximité de la vallée de l’Aube. Plusieurs des textes introductifs qui figurent dans le présent catalogue permettent d’éclairer ces débuts de Clairvaux, longtemps présentés comme une sorte d’événement miraculeux. Pour bien comprendre ce qui s’est passé là dans les années 1115-1135, il faut prendre en considération le contexte historique particulier de la région dont Bernard était originaire, située aux confins de la Bourgogne et de la Champagne, et son milieu familial. Le fondateur de Clairvaux n’appartenait pas à la haute aristocratie, comme on l’a souvent dit, mais à ce monde des chevaliers qui gravitaient dans l’orbite de seigneurs plus puissants comme le duc de Bourgogne, dont son père était un vassal chargé de la défense du bourg de Châtillon-sur-Seine. Après de bonnes études auprès des chanoines de la collégiale Saint-Vorles, Bernard choisit à l’âge adulte d’embrasser la vie monastique et fut suivi par quatre de ses frères, puis par leur sœur Hombeline qui entra plus tard en religion. On a souvent décrit – mais sans l’expliquer – l’arrivée à Clairvaux, en plusieurs vagues à partir de 1115, de ce groupe d’une trentaine de personnes appartenant au même lignage qui fondèrent ensemble la nouvelle abbaye, très modeste et rustique dans son premier état. En fait, il faut bien voir que dans les familles de petite noblesse de ce temps, le patrimoine familial était trop exigu pour être divisé et que les cadets n’avaient souvent d’autre choix pour s’établir que de partir en Espagne ou en Orient pour s’y illustrer dans le cadre des croisades, ou d’entrer dans une communauté religieuse pour s’y consacrer au combat spirituel. Ce cadre familial dominé par la figure de sa mère, Aleth de Montbard, à laquelle il était très attaché, influença Bernard dans sa conception même de ce qu’allait devenir l’ordre cistercien. Le fondateur de Clairvaux a en effet transposé les valeurs de sa famille charnelle au niveau de la communauté monastique : pour lui l’abbé n’est pas seulement le père de ses moines ; il doit être aussi leur mère nourricière et leur dispenser dans les sermons et les collations qu’il leur adresse les préceptes de la science divine. Dès les années 1115-1120, le nouvel ordre cistercien se dote d’une Charte de charité – c’est-à-dire d’amour – qui devait régir les rapports entre les monastères qui s’y rattachaient. À la différence de ce qui se passait à Cluny, ceux-ci ne sont pas soumis à un abbé unique, mais conservent leur autonomie, élisent leur abbé et sont liés entre eux par des liens de parenté spirituelle. L’abbayemère conservait une relation privilégiée avec les abbayes-filles qu’elle avait fondées, qui se traduisait en particulier par un droit de visite – c’est-à-dire de contrôle – de ces dernières. Cette organisation était bien adaptée à la société féodale et chevaleresque du xiie siècle où le pouvoir était éclaté entre les mains de nombreux seigneurs, liés entre eux par des liens vassaliques qui entraînaient des obligations réciproques pour les deux parties. Elle explique pour une part le succès foudroyant que connut l’ordre cistercien aux xiie et xiiie siècles et en particulier sa branche claravallienne. Dans l’ordre chronologique, Clairvaux n’était pourtant que la troisième fille de Cîteaux, après La Ferté et Pontigny et avant Morimond. Mais elle ne tarda pas à jouer au sein de l’ordo cisterciensis un rôle prépondérant qui devait

20 Clairvaux. L’aventure cistercienne


24 Clairvaux au temps de Bernard


In memoriam.

Robert Fossier et Clairvaux Michel Bur

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obert Fossier est mort à quatre-vingt-quatre ans le 25 mai 2012. Sa carrière d’enseignant-chercheur s’est déroulée d’abord comme professeur agrégé d’histoire au lycée de Fontainebleau et au lycée Carnot à Paris de 1953 à 1957, puis comme assistant à la Sorbonne de 1957 à 1961. Il fut ensuite chargé d’enseignement et professeur à l’université de Nancy de 1961 à 1971, et accéda pour finir à l’emploi de professeur d’histoire du Moyen Âge à l’université de Paris I, emploi qu’il occupa jusqu’à sa retraite en 1993. Ses travaux ont porté presque exclusivement sur la société rurale, d’abord avec sa thèse de doctorat d’État soutenue en 1968 sur La Terre et les hommes en Picardie jusqu’à la fin du xiiie siècle, ouvrage qui a fait date et qui a asséché toute recherche importante sur le monde paysan pour une très longue génération. Vinrent ensuite les deux volumes de la collection Clio intitulés à la façon de Michelet : Enfance de l’Europe, xe-xiie siècle : Aspects économiques et sociaux, qui furent suivis par diverses autres publications relatives aux Paysans d’Occident (xie-xive siècles) en 1984, aux Villages et villageois au Moyen Âge en 1995, aux Sources de l’histoire économique et sociale du Moyen Âge occidental en 1999, au Travail au Moyen Âge en 2000 et enfin à Ces gens du Moyen Âge en 2007. Comme l’indique cette liste, Robert Fossier s’est tourné de préférence vers la paysannerie qui constituait au Moyen Âge l’immense majorité de la population d’Occident. Il l’a replacée dans le cadre de la seigneurie, le pouvoir de commandement des seigneurs entraînant progressivement le regroupement des hommes en villages, phénomène que sa plume inventive a fini par caractériser du terme assez mal inspiré d’encellulement. Si la seigneurie comme cadre de vie des masses rurales fut au cœur de ses recherches, il ignora pratiquement l’aristocratie, laissant à d’autres, trop nombreux à son goût et dont il tenait à se distinguer, les études sur le monde dit féodal, se détournant aussi de ce qui était proprement religieux et culturel. Toutefois dans son enseignement, il refusa toujours de laisser aux spécialistes de l’histoire de l’art le monopole de cette discipline, dans le souci de présenter à son auditoire un tableau aussi complet que possible de la société. Il n’était pas archéologue, mais son orientation vers les aspects les plus modestes et les plus quotidiens de la vie paysanne le conduisit aussi à suivre de très près les progrès de l’archéologie de terrain, comme le montre son livre, écrit avec Jean Chapelot, sur Villages et villageois au Moyen Âge.

Fig. 13 La Construction de l’abbaye de Maulbronn (1450). Huile sur bois. Karlsruhe, Staatliche Schlösser und Gärten BadenWürttemberg



Clairvaux

au temps de Bernard


32 Clairvaux au temps de Bernard


Benoît, la Règle et les

cisterciens Élisabeth Lusset

« Notre chef, notre maître et notre législateur. » Bernard de Clairvaux, Sermon pour la naissance de saint Benoît, SBO, V, p. 1-12

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édigée par Benoît de Nursie, abbé du Mont-Cassin, probablement peu après 5501, la Règle de Benoît présente la vie monastique comme une ascension au cours de laquelle le moine parcourt les douze degrés de l’humilité (cat. 6). Renonçant au monde et à sa volonté propre, il doit suivre la Règle, s’astreindre à la stabilité et à l’obéissance envers l’abbé. La Règle précise également comment doivent s’organiser la vie liturgique, la vie matérielle, les rapports avec le monde extérieur, l’organisation de la communauté ainsi que la discipline. La Règle de Benoît n’est cependant qu’une règle monastique parmi d’autres, au sein desquelles chaque abbé puise pour déterminer les normes suivies par son monastère. Sous l’impulsion des conciles du viie siècle, des capitulaires du viiie siècle, puis des conciles réformateurs de 816-817, la Règle de Benoît se diffuse et devient la norme par laquelle les souverains carolingiens et Benoît d’Aniane entreprennent d’unifier une vie monastique foisonnante. Les monastères continuent néanmoins de conserver une marge de manœuvre pour interpréter la Règle à l’aide d’autres règles et de coutumes, ce terme désignant les usages particuliers propres à chaque monastère.

La fondation de Cîteaux : retour à la Règle ou transgression ? Dans la seconde moitié du xie siècle, à la suite de la réforme grégorienne, on assiste à l’émergence de nouvelles formes de vie religieuse, inspirées par les modèles de la vie apostolique et des Pères du désert. Les mouvements érémitiques comme monastiques appellent à une réforme radicale du monachisme bénédictin, c’est-à-dire à un retour aux sources du christianisme. Les premiers cisterciens s’inscrivent au cœur de ce renouveau. Les récits des origines de l’Ordre, appelés exordes (fig. 19), insistent sur le fait que Cîteaux est né, en 1098, de la volonté de quelques moines de Molesme de vivre

Fig. 17 Saint Benoît convertit le voisinage du Mont-Cassin. Miniature extraite du Recueil d’écrits sur saint Benoît de Jean de Stavelot (xve s.). Chantilly, musée Condé, ms. 738, fol. 30



Les origines et la

fondation de Clairvaux Fr. Jean-Baptiste Auberger Laurent Veyssière

L’

origine et la fondation de l’abbaye de Clairvaux, traditionnellement considérée comme la troisième fille de Cîteaux, ne peuvent être c­ omprises sans une plongée dans l’histoire primitive du nouvel ordre, à une époque charnière sur le plan économique et religieux. Le dernier quart du xie siècle voit en effet se multiplier les fondations érémitiques dans la mouvance du courant réformateur que connaît alors l’Église. Sous l’impulsion de Grégoire VII, avec l’appui de proches collaborateurs, les légats pontificaux encouragent le renouveau spirituel là où il se manifeste. C’est ainsi que lorsqu’en 1098 Robert, Albéric, Étienne Harding et leurs compagnons vont trouver le légat Hugues de Die à Lyon pour lui exposer leur projet « de vivre plus strictement et plus parfaitement la Règle de saint Benoît », qu’ils ont adoptée en fondant Molesme une vingtaine d’années auparavant, celui-ci les autorise à fonder un nouveau monastère1.

Le « Nouveau Monastère » de Cîteaux Comment est-il possible qu’en un laps de temps aussi court, il faille déjà songer à réformer le monastère qu’ils avaient eux-mêmes fondé une vingtaine d’années auparavant ? Cette question atteste du succès que connut la fondation de Molesme auprès des seigneurs locaux qui fournirent en abondance biens et vocations. C’est du moins la lecture que l’on peut faire du récit des origines du « Nouveau Monastère » présenté dans l’Exorde de Cîteaux. Pour l’auteur de ce texte, « il n’est pas aisé de s’appliquer aux choses célestes lorsqu’on est impliqué dans les affaires humaines », et c’est ce qui explique la volonté des fondateurs de quitter Molesme2. Cette relecture spirituelle de la fondation, écrite dans un contexte bernardin quelques années plus tard, éclaire le texte du Petit Exorde donnant le compte rendu par le légat de la visite qu’ils lui ont rendu. Celui-ci prend acte du fait que ses visiteurs estiment vivre à Molesme avec tiédeur et négligence (tepide ac negligenter) la Règle qu’ils voudraient suivre plus strictement et parfaitement (arctius atque perfectius). C’est pourquoi il les autorise à fonder un Novum Monasterium dans un autre lieu « que la largesse divine leur aura désigné » afin de vivre avec plus de profit et de paix en intimité avec Dieu.

Fig. 21 Henri, abbé de Saint-Vaast, et Étienne Harding, abbé de Cîteaux, accompagnés du copiste Oisbertus, confient leur monastère à la Vierge. Miniature extraite du Commentaire sur Jérémie de saint Jérôme (xiie s.). Dijon, Bibl. mun., ms. 130, fol. 104



Le milieu social et familial de

Bernard de Clairvaux Jean-Luc Chassel

L

a personnalité du premier abbé de Clairvaux a puissamment impressionné ses contemporains. Dès les années 1140, dans son entourage, on s’employa à recueillir, de la bouche même de l’abbé, nombre de souvenirs et de récits, en vue d’obtenir un jour sa canonisation1. Dans ce projet hagiographique, l’exaltation des origines de Bernard faisait ressortir toute l’ampleur de son renoncement au monde. De même, selon un trait ­commun à la mentalité de l’époque, sainteté, noblesse et richesse se confondaient idéalement en celui que la volonté de Dieu avait donné en modèle à l’ensemble des chrétiens. L’esprit des premiers biographes a régné longtemps sur les travaux historiques consacrés à Bernard (Chifflet, Jobin, Vacandard, Chomton2), où le fondateur de Clairvaux est présenté comme un membre de la plus haute noblesse. Reprenant la question des origines familiales du saint, Maurice Chaume, l’un des grands érudits de son temps, a certes validé la thèse de ses illustres origines3. Mais s’il est vraisemblable que Bernard se rattache, entre autres et par quelque lointain ancêtre, aux premiers ducs capétiens de Bourgogne – comme l’étayent les déductions virtuoses du chanoine Chaume –, il faut aussi reconnaître qu’on peut en dire autant de cent autres familles chevaleresques de l’époque ! Des travaux plus récents – ceux de Jean Richard notamment4 – permettent de porter sur la question un regard plus précis, grâce à une meilleure connaissance des structures de la société féodale en Bourgogne et en Champagne. Bien qu’il soit apparenté à plusieurs grands lignages, Bernard de Clairvaux n’est pas membre de la haute aristocratie. Son père Tescelin le Sor (fig. 25), qui doit son surnom à sa chevelure d’un blond roussâtre5, est un chevalier de la « mesnie » castrale de Châtillon-sur-Seine, au service du duc de Bourgogne6. Le rôle de ces garnisons chevaleresques est aujourd’hui bien connu7. Elles assurent par roulement (« estage ») la défense d’une place, ville ou château, et fournissent au maître des lieux un groupe de vassaux qui doivent le service, l’aide et le conseil dans toutes ses entreprises militaires et politiques. C ­ omplété par de simples sergents d’armes, leur effectif est variable, selon l’importance des lieux. Leur entretien suppose la concession de fiefs plus ou moins généreux (« chasements »), voire, pour les moins considérables d’entre leurs membres,

Fig. 25 Portrait imaginaire de Tescelin le Sor provenant de l’abbaye de Clairvaux (seconde moitié xvie s.). Huile sur bois. Dijon, musée d’Art sacré, 990.2.11.a



Bernard et le

gouvernement de Clairvaux Pierre Aubé

L

e 25 juin 1115, envoyé par l’abbé de Cîteaux Étienne Harding, Bernard plante, à tout juste vingt-quatre ans, la croix dans un site champenois austère. Autour de lui, une poignée de moines amenés pour édifier l’abbaye de Clairvaux. Peu après, il reçoit l’investiture, non pas de l’évêque de Langres dont relève la nouvelle communauté, mais de l’évêque de Châlons, Guillaume de Champeaux, qui sera un guide précieux pour Bernard. Car enfin, le nouvel abbé de Clairvaux est un homme difficile. Si les premiers temps d’un monastère sont toujours pénibles, l’intransigeance de ­Bernard transforme cette installation provisoire, dans un hiver précoce, en une sérieuse épreuve pour l’âme et le corps. Lui-même, enfermé dans sa solitude, ne se nourrit guère que de pain et d’eau. À ce régime, il a tôt fait de voir s’affoler un estomac déjà ruiné par des années de mortification. L’ulcère de cet homme angoissé, nerveux et hypersensible se réveille. D’emblée gravement malade, l’abbé fait front et n’est pas loin d’exiger d’autrui ce qu’il s’impose à lui-même. Son ambition se résume en peu de mots : « La faim et l’amour de Dieu. » C’est beaucoup plus que n’en peut supporter la commune humanité, et Jean l’Ermite, très porté pourtant au panégyrique, reconnaît que, devant de pareilles exigences, certains moines auraient souhaité « retourner à Cîteaux ». Cette rigueur est assez peu conforme à la pratique bénédictine de la discretio, accueillante à la fragilité de l’homme, dont saint Benoît souligne qu’elle est « la mère des vertus, qui tempère tellement toutes choses ». Guillaume de Champeaux, alerté, découvre l’abbé dans un état déplorable. Esprit positif, il se méfie d’instinct des états paroxystiques. Il comprend vite que tout espoir de guérison est vain si le malade refuse de suivre ses conseils. Le nouvel abbé étant incapable d’aller jusqu’à Cîteaux où doit se tenir le chapitre général, l’évêque de Châlons s’y rend en personne et obtient que lui soit attribué le pouvoir de juridiction à Clairvaux pour un an. Il faudra apprendre à ce moine fanatique à respecter son corps en le torturant moins. Il fait installer Bernard dans une petite maison, en dehors des limites de l’abbaye. Il y vivra avec l’ordre de ne tenir aucun compte des prescriptions de la Règle, y compris en ce qui concerne la nourriture et la boisson, sans se mêler de la gestion du monastère. Ces premiers mois laissaient présager un abbatiat heurté. Il faut se faire, d’abord, à l’idée que le mal de l’abbé de Clairvaux est implacable et récurrent.

Fig. 29 Entrée de Bernard et de ses frères à Cîteaux. Miniature extraite du Miroir historial de Vincent de Beauvais (xve s.). Chantilly, musée Condé, ms. 722, fol. 209



itinéraires

Les de Bernard de Clairvaux

Alexis Grélois

D

ans une lettre célèbre (250), Bernard se définit lui-même comme la « chimère de [son] siècle », à la fois moine voué par sa profession à la stabilité et, comme défenseur des intérêts de l’Église et de son peuple, voyageur trop souvent sur les routes1. Parfois critiqué par ses détracteurs pour avoir quitté Cîteaux à peine deux ans après y avoir postulé, regrettant souvent de ne pas être auprès de ses frères de Clairvaux, Bernard connut durant la seconde moitié de sa vie une existence itinérante comparable à celle des papes Innocent II et Eugène III ou de nombreux légats. Après une jeunesse passée entre Dijon et Châtillon-sur-Seine, le fondateur de Clairvaux effectua d’abord des déplacements dus à sa fonction d’abbé cistercien. Par une irrégularité canonique qui n’a toujours pas trouvé d’explication convaincante, ce ne fut pas à Langres mais à Châlons qu’il alla recevoir la bénédiction de l’évêque en 1115. On le vit ensuite se rendre au chapitre des abbés de Cîteaux (sauf lorsqu’il en fut empêché par la maladie ou, plus tard, par des voyages lointains) et présider à la fondation de ses premières abbayes-filles : ce fut en 1124, à l’occasion de la bénédiction de la chapelle de Foigny, que se produisit le miracle des mouches ; un autre miracle eut lieu à Cherlieu et Bernard participa en personne à la fondation de Vaucelles. On vit fréquemment Bernard dans plusieurs villes relativement proches comme Bar-sur-Aube, Langres, Dijon, Montbard, Auxerre et surtout Troyes, auprès du comte de Champagne. S’il s’agissait sans doute le

Page de gauche Fig. 33 Sainte Hildegarde de Bingen et saint Bernard. Miniature extraite du Mare historiarum de Jean Columna (xiiie s.). Bibl. nat. Fr., ms. lat. 4915, fol. 369v Fig. 34 Abélard proposant une énigme devant le Concile. Miniature extraite du Ci nous dit (xive s.). Chantilly, musée Condé, ms. 26, fol. 227


68 Clairvaux au temps de Bernard


Les itinĂŠraires de Bernard de Clairvaux 71


Les itinĂŠraires de Bernard de Clairvaux 73


Les itinĂŠraires de Bernard de Clairvaux 75



Bernard de Clairvaux et la

couleur Michel Pastoureau

P

our la théologie du xiie siècle, la lumière est la seule partie du monde sensible qui soit à la fois visible et immatérielle : elle est visibilité de l’ineffable et, comme telle, émanation de Dieu. D’où différentes questions concernant la couleur, souvent pensée depuis Aristote comme une fraction de la lumière. Est-elle, elle aussi, immatérielle ? émanation de Dieu ? Ou bien est-elle matière, simple enveloppe qui recouvre les objets et les corps ? Tous les problèmes théologiques, éthiques et même pratiques que se posent les hommes du Moyen Âge à propos de la couleur semblent s’articuler autour de ces interrogations1.

La place de la couleur dans la maison de Dieu Pour l’Église l’enjeu est d’importance. Si la couleur est une fraction de la lumière, elle participe ontologiquement du divin, car Dieu est lumière. Chercher à étendre ici-bas la place de la couleur, c’est diminuer celle des ténèbres pour augmenter celle de la lumière, et donc celle de Dieu. Quête de la couleur et quête de la lumière sont alors indissociables. En revanche, si la couleur est une substance matérielle, une simple enveloppe, elle n’est en rien une émanation du divin mais au contraire un artifice inutilement ajouté par l’homme à la Création : il faut la combattre, la chasser du Temple, l’exclure du culte. Elle est à la fois inutile et immorale, nuisible même car elle gêne le cheminement du moine ou de l’homme pécheur à la rencontre de Dieu. Ces questions ne sont pas seulement théologiques. Elles ont aussi une portée concrète, une influence sur la culture matérielle et sur la vie quotidienne. Les réponses que l’on y apporte déterminent la place de la couleur dans l’environnement et le comportement du chrétien : les lieux qu’il fréquente, les images qu’il contemple, les vêtements qu’il porte, les objets qu’il manipule. Elles conditionnent, aussi et surtout, la place et le rôle de la couleur dans les églises et dans les pratiques cultuelles. De l’Antiquité tardive jusqu’à la fin du Moyen Âge, ces réponses ont été diverses. Dans leurs discours comme dans leurs actes, théologiens et prélats ont été tantôt favorables à la couleur et tantôt hostiles. Après l’an mil, cependant, malgré quelques exceptions notables, la plupart des

Fig. 41 Abbaye d’Obazine, église. Fenêtre en grisaille à décor d’entrelacs (xiie s.)



Clairvaux Chef

de

Filiation



La

filiationde Clairvaux Alexis Grélois

L’

ordre cistercien répartit dès le xiie siècle ses monastères selon un système de filiation qui servait de cadre aux visites régulières. De surcroît, la Charte de charité (fig. 20) confia la correction éventuelle de Cîteaux aux abbés de La Ferté, Pontigny et Clairvaux, ainsi que de Morimond à partir de 1156-11591. Ces quatre « premiers abbés » étaient placés à la tête de « lignées » de monastères, tout comme Cîteaux. Les chapitres généraux ne reconnurent leur existence qu’à la fin du xiie siècle2, mais ces filiations bénéficiaient parfois déjà de privilèges propres : en 1132, Clairvaux et sa « descendance » reçurent ainsi du pape l’exemption complète de dîme3. Les coutumes variaient sans doute légèrement selon les filiations : Clairvaux avait des us spécifiques pour ses convers4. Il n’est donc pas étonnant que l’expression « Ordre de ­Clairvaux » ait parfois été employée5. Parmi les filiations cisterciennes, celle de Clairvaux l’emporta nettement par le nombre d’abbayes : vers 1350, elle comptait 350 à 360 maisons, dont 84 filles directes, soit la moitié des abbayes cisterciennes alors existantes6. Cette domination remontait évidemment à Bernard. Pourtant, son réseau se développa tout d’abord plus lentement que celui de Morimond. La croissance vint avec la lutte en faveur d’Innocent II : entre 1131 et 1153, particulièrement entre 1134 et 1141, les filles de Clairvaux se multiplièrent non seulement en France, mais aussi le long des routes conduisant de ­Clairvaux à Rome, dans les îles Britanniques, en Scandinavie, dans les royaumes de León et du Portugal ainsi qu’en Catalogne et plus modestement en Rhénanie. L’interdiction par le chapitre général de 1152 de toute nouvelle fondation7 et la mort de Bernard eurent pour effet de mettre fin à cette première phase de croissance. Clairvaux comptait alors probablement soixante-six filles et sa filiation cent soixante-quinze membres. La filiation connut ensuite une croissance lente, y compris en Hongrie et en Pologne, mais l’initiative relevait désormais de pôles régionaux, comme Esrum, Fossanova ou Alcobaça (cat. 36a et fig. 67). À côté des fondations ex nihilo, il ne faut pas négliger l’apport des « greffes8 », c’est-à-dire d’établissements déjà existants affiliés et réformés par les cisterciens, qu’il s’agisse d’anciens ermitages, de chapitres de chanoines réguliers ou plus rarement de vieux monastères bénédictins.

Fig. 46 Abbaye de Trois-Fontaines. Ruines de l’église (xiie-xviiie s.)


La France

Fig. 48 Abbaye de Fontenay. Le cloître (xiie s.) Fig. 49 Carte des abbayes d’hommes de la filiation de Clairvaux, en France

92 Clairvaux chef de filiation

Alexis Grélois

Plus que d’« éclair cistercien1 », il serait justifié de parler d’« éclair bernardin » pour traiter de la formation de la filiation claravallienne dans les anciens royaumes de France et de Bourgogne2. Si Clairvaux essaima une première fois à Trois-Fontaines (fig. 46) peut-être dès 1116, son réseau ne comptait encore que quatorze maisons en 1134, qui restaient confinées dans la Champagne, le nord-ouest de la Bourgogne actuelle et la Picardie, à l’exception de Cherlieu dans la Comté. La filiation s’accrut rapidement à partir de 1130 et gagna des principautés nouvelles, comme le Berry, la Normandie et la Flandre. Les voyages de Bernard furent déterminants : en route pour l’Italie, il prit le contrôle d’anciennes dépendances de Molesme comme Aulps et installa de nouvelles communautés en Comté et dans l’actuelle Savoie. De même, les déplacements dans l’Ouest


Clairmarais LILLE

Longvillers

Loos Vaucelles

Le Gard

Bohéries

Torigny

Savigny

Châtillon La Chalade

La Charmoye

Les Vaux-de-Cernay

La Trappe

Chéhéry

Igny

PARIS

Breuil-Benoît

Signy

Vauclair

Longpont

Barbery

Bonnefontaine

Valroy

Froidmont

Mortemer

Val-Richer

Saint-André-en-Gouffern Vieuville

Ourscamp

Lannoye Beaupré

ROUEN CAEN

Foigny

Beaubec

Valasse

Montiers-en-Argonne

Cheminon

Le Reclus

Trois-Fontaines

Hautefontaine Fontaine-Daniel

RENNES

S e in

TROYES

Clairmont

ORLÉANS

Noirmoutier

Clairvaux

Mores

Les Echarlis

Longuay

Chaloché

Reigny

Fontaine-les-Blanches

Buzay

Boulancourt Larrivour

Champagne

La Boissière

Prières

e

NANTES L o ir

Marcilly

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Foucarmont

LANGRES

Beaulieu

Cherlieu

Auberive

Fontenay

La Charité

Tironneau Villeneuve

DIJON

Acey Buillon

Fontmorigny L’Île-Dieu

La Prée POITIERS

Moreilles Bois-Grosland Les Châtelliers Valence Charon

Noirlac Les Pierres

Aubepierre

Grâcedieu

Cîteaux Balerne

Mont-Sainte-Marie

Sept-Fons Chézery

La Bénissons-Dieu

Aulps

CLERMONT-FERRAND

La Peyrouse

LYON

Hautecombe

Boschaud

BORDEAUX VALENCE

Bonnecombe

Belloc Belleperche Rh ôn e

Grandselve BAYONNE

AVIGNON

Candeil TOULOUSE

Calers

MARSEILLE

Fontfroide

Valbonne Abbaye de référence Fille directe de Clairvaux Petite-fille de Clairvaux 100 km


Fille directe de Clairvaux Petite-fille de Clairvaux

Tautra

HERMANSVERK

Lyse

Gudsberga

OSLO

Hovedø

Julita

STOCKHOLM

Varnhem

Alvastra

GÖTEBORG

Ås

Vitskøl

Nydala

Gutnalia/Gudvala

Øm

Esrum

Knardrup COPENHAGUE

Sorø Ryd

100 km


La Scandinavie

Éric Delaissé

Il faut moins de cinq décennies pour que l’ordre de Cîteaux s’implante en Scandinavie. Clairvaux est la première abbaye cistercienne à essaimer dans cette région d’Europe. Sur les vingt maisons cisterciennes masculines qui y sont établies au total, seize appartiennent d’ailleurs à la lignée claravallienne. En Scandinavie, les cisterciens s’implantent d’abord sur le territoire suédois. C’est à la demande de la reine de Suède que saint Bernard, désireux d’installer la vie cistercienne dans le nord de l’Europe, envoie de Clairvaux une première colonie de moines. Les abbayes jumelles d’Alvastra (fig. 53) et de Nydala (fig. 52) sont ainsi fondées en 1143 et ne tardent pas à essaimer. Alvastra est à l’origine de Lurö/Varnhem (vers 1150), de Viby/Julita (vers 1160) et plus tardivement de Gudsberga (vers 1486). Quant à Nydala, elle est l’abbaye-mère de Gutnalia (1164). Les six monastères cisterciens masculins de Suède font donc tous partie de la branche claravallienne. C’est également le cas des maisons norvégiennes. Les premiers moines qui s’y installent ne viennent toutefois pas directement de Clairvaux, mais d’une de ses filles anglaises : Fountains. En 1146, l’abbaye de Lyse est ainsi

Fig 51 Carte des abbayes d’hommes de la filiation de Clairvaux, en Scandinavie Fig. 52 Abbaye de Nydala (Suède). L’église (xiie-xviie s.)

La filiation de Clairvaux 97


L’espace germanique Franz J. Felten

Fig. 54 Abbaye de Bebenhausen (Allemagne). Vue cavalière (1683). Stuttgart, Hauptstaatsarchiv, H 107/18 Bd 52 Bl.17 Fig. 55 Carte des abbayes d’hommes de la filiation de Clairvaux, en Europe centrale

100 Clairvaux chef de filiation

Il convient tout d’abord de délimiter l’espace géographique à considérer et de ne pas se cantonner à l’Allemagne actuelle. À l’est, à l’ouest et au sud, de vastes régions situées aujourd’hui hors des frontières allemandes faisaient alors partie de l’Empire germanique. Clairvaux a peu essaimé dans les pays correspondant à l’Empire médiéval, hormis en Suisse (quatre abbayes cisterciennes sur huit). L’analyse de la carte montre d’emblée que si Clairvaux rassemblait plus de la moitié des abbayes de tout l’ordre cistercien, la proportion s’élève de un à trois en faveur de Morimond dans l’Empire germanique. Deux régions font exception : la Frise, avec six abbayes fondées depuis Klaarkamp (directement issue de Clairvaux en 1168) et de sa fille Aduard – parmi lesquelles Ihlow (1128) –, et les rives de la Baltique, avec huit abbayes fondées à partir d’Esrum (au Danemark), à savoir, Rüde (1192), Dargun (1172), Eldena


STOCKHOLM

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LONDRES

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Buckfast

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DUNKERQUE


Les îles Britanniques Megan Cassidy-Welch

La première abbaye cistercienne britannique est fondée à Waverley en 1128 et quatre ans plus tard, en 1132, une première fille de l’abbaye de ­Clairvaux est établie en Angleterre. Il s’agit de l’abbaye de Rievaulx, dans le Yorkshire, fondée par un noble local, Walter Espec. Trois autres abbayes-filles de Clairvaux voient le jour peu de temps après : l’abbaye de Boxley dans le Kent (1146), l’abbaye de Whitland au pays de Galles (1140) et l’abbaye de Margam, également au pays de Galles (1147). À partir de ces quatre monastères, plus de vingt autres abbayes sont fondées en Angleterre, au pays de Galles, en Irlande et en Écosse. La première abbaye-fille de Clairvaux en Angleterre, Rievaulx, joua un rôle particulièrement important dans l’expansion de l’ordre cistercien, ne fondant pas moins de dix-neuf monastères en Grande-Bretagne au xiiie siècle. Rievaulx abrita également l’un des plus

Fig. 59 Carte des abbayes d’hommes de la filiation de Clairvaux, dans les îles Britanniques Fig. 60 Abbaye de Mellifont (Irlande). Ruines du cloître et du lavabo (xiie-xiiie s.)

La filiation de Clairvaux 107


L’Italie

Fig. 62 Abbaye de Chiaravalle Milanese (Italie). Le cloître et le campanile (v. 1150-1221) Fig. 63 Carte des abbayes d’hommes de la filiation de Clairvaux, en Italie

110 Clairvaux chef de filiation

Guido Cariboni

L’expansion de la lignée de Clairvaux en Italie est étroitement liée à la personne de Bernard. Il contribua en effet directement à la fondation des abbayes de Chiaravalle de Milan (fig. 62) et de Chiaravalle della Colomba (1137) en Émilie. Le couvent milanais fut fondé durant l’été 1135, peu après la visite triomphale de l’abbé de Clairvaux qui rallia la métropole au parti d’Innocent II. À ces deux abbayes s’ajoutèrent quatre autres filiations directes, à savoir les monastères latiaux de Casamari (1140) et de San Vincenzo et Anastasio ad Aquas Salvias (1140-1145) qui jouèrent un rôle majeur entre l’Ordre et la papauté, et les couvents sardes de Cabuabbas (1149) et de Santa Maria de Paulis (1205). Le nombre des filiations indirectes est beaucoup plus élevé, cinquante-quatre, dont plusieurs donnèrent lieu à des réseaux secondaires comme celui de Fossanova (1135, Hautecombe ; fig. 64) qui ne comptait pas moins de douze abbayes dispersées dans toute l’Italie méridionale à partir du Latium, ou celui de la Sambucina en Calabre (1160, Casamari), composé de neuf fondations situées pour la plupart en Sicile. Si les nouvelles institutions furent relativement peu nombreuses, dès la fin des années 1130, aux filles de Clairvaux furent rattachés d’importants couvents bénédictins traditionnels, ayant besoin de réforme économique et disciplinaire. Des exemples remarquables en sont offerts par les abbayes de Cerreto dans le diocèse de Lodi (1139, Chiaravalle Milanese), propriété de l’Église romaine, et de Follina, sur le territoire de Trévise (1146, Chiaravalle Milanese), toutes deux réorganisées par Brunone, proche collaborateur de Bernard et destinataire de plusieurs lettres de l’abbé. À ce groupe se rattache encore Corazzo en Calabre (1173, Sambucina/Fossanova), dirigée pendant plus d’une décennie par Joachim de Flore. Au xiiie siècle, le nombre des abbayes réformées devint majoritaire, au nord comme au sud. Que l’on se souvienne de Santa Maria Maddalena della Cava aux portes de Crémone (1231, Cerreto), de Santo Stefano al Corno dans la région de Lodi (1231, Cerreto) et de San Salvatore a Settimo près de Florence (1236, San


Follina

Lac de Côme Lac Majeur

La Piana

Capolago

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MILAN

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Chiaravalle Fontevivo della Colomba

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San Michele alla Verruca

Buonsollazzo Quarto Settimo FLORENCE

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San Giusto

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Sant’Agostino de Monte Alto

San Vito e Salvo San Pastore

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ROME

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Marmosolio Casamari Palazzuolo Valvisciolo Ferraria Fossanova Santa Maria Coronata

Sterpeto BARI

Canonica Santa Maria de Caritate

NAPLES

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Santa Maria de Paulis Santo Spirito della Valle Sagittario

Cabuabbas Acquaformosa Matina

Sambucina

Santa Trinita del Legno

Sant’Angelo in Frigido Corazzo

CAGLIARI

Santo Stefano del Bosco Santa Maria del Legno in Calabria Roccamadore Santo Spirito di Palermo

Nucaria

PALERME

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Santa Maria dell’ Arco

100 km


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LISBONNE

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VALENCE

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SÉVILLE

Fille directe de Clairvaux Petite-fille de Clairvaux 100 km


la péninsule Ibérique Maria do Rosário Barbosa Morujão

Dans une lettre de 1127-1129, Bernard de Clairvaux montre sa réserve à la création de communautés monastiques dans la lointaine péninsule Ibérique, implantation qu’il considère alors comme trop coûteuse1. C’est cependant au cours de son abbatiat et sous son impulsion que l’ordre de Cîteaux se diffuse dans les royaumes hispaniques, au fur et à mesure des progrès de la Reconquista, du développement du chemin de Compostelle, voie privilégiée de circulation et de diffusion des personnes et des idées, et des contacts établis avec l’Ordre par plusieurs personnages influents2. La chronologie précise des maisons cisterciennes péninsulaires est très difficile à établir en raison du manque de documentation. L’antériorité de Sobrado (Galice), en 1142, est aujourd’hui l’hypothèse la plus acceptée. Au Portugal, la plupart des auteurs considèrent Tarouca (cat. 37-38) comme la première abbaye de moines blancs (vers 1144)3. Les fondations et affiliations – essentiellement de communautés d’ermites qui s’étaient multipliées au cours des décennies antérieures – augmentent ensuite à un rythme rapide : à la mort de Bernard, en 1153, il existe peut-être quinze établissements, cinquante-neuf à la fin du xiie siècle, cent quatre en 13004. Bien que Bernard semble avoir d’abord œuvré par incorporation (Meira, 1143), les abbayes sont la plupart du temps fondées par des colonies venues de France. Clairvaux est la maison-mère d’une majorité de celles installées en Galice, au Portugal, en León et à proximité de ce royaume. La branche de Morimond est présente en Castille, Navarre et Aragon, tandis que d’autres abbayes du nord des Pyrénées essaiment en Catalogne. Cîteaux, en revanche, est peu présente et tardivement5. L’essor des institutions péninsulaires favorise, dans un second temps, la création de leurs propres réseaux de filiation. À noter enfin que la plupart des ordres militaires ibériques – Calatrava et Alcantara en Castille-León, Avis et l’ordre du Christ (qui hérita les biens du Temple) au Portugal – se placent sous la tutelle cistercienne. Les études récentes tendent à atténuer l’influence et le rôle traditionnellement accordés aux rois

Fig. 65 Carte des abbayes d’hommes de la filiation de Clairvaux, dans la péninsule Ibérique Fig. 66 Abbaye de Poblet (Espagne). Le lavabo (xiie s.)

La filiation de Clairvaux 115


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PARIS

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Le Petit-Clairvaux

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Sainte-Hoïlde Saint-Jacques-de-Vitry

Les Prés Val-des-Vignes Lézinnes

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Abbaye de femmes 300 km


Les

moniales Claravalliennes

Alexis Grélois

B

ernard n’aurait « jamais voulu s’occuper du sexe féminin ou du jeune âge » : cette citation de la Chronique de Liessies rédigée au début du xiiie siècle1 a souvent été utilisée pour brosser le portrait d’un monachisme cistercien primitif qui ne se serait pas embarrassé de la dangereuse mission d’encadrement des religieuses, pour mieux préserver la pureté de sa vocation contemplative. Pourtant, les sources du xiie siècle montrent que Bernard et ses disciples s’impliquèrent parfois fortement dans la vie de commu­nautés monastiques féminines, même si ce ne fut que dans la première moitié du siècle suivant que Clairvaux incorpora formellement des moniales dans son réseau d’abbayes-filles.

Le xiie siècle : collaborations et expérimentations Un autre argument fréquemment avancé pour arguer d’une réticence foncière chez Bernard à accueillir des femmes dans son ordre est le fait qu’il fit entrer sa sœur, Hombeline, dans le prieuré de Jully, dépendant de Molesme, alors qu’Étienne Harding favorisa avant 1132 la fondation de l’abbaye féminine de Tart, qui fut reconnue officiellement à la fin du xiie siècle par Cîteaux comme sa dépendance2 ; autrement dit, qu’Hombeline ait été une moniale noire et non blanche serait la preuve que Bernard n’aurait envisagé que le monachisme bénédictin « classique » comme débouché pour les vocations féminines, alors qu’Étienne aurait cru à la possibilité d’un monachisme cistercien féminin3. Cette argumentation repose sur un anachronisme : Clairvaux n’existait pas encore lors de la fondation de Jully vers 1113 et Bernard aurait été bien en peine d’instituer les cisterciennes une quinzaine d’années avant Étienne. Par ailleurs, la parentèle de Bernard était liée à Molesme et il est donc naturel qu’il lui ait confié sa sœur4. Cependant, Guillaume de Saint-Thierry lui attribua la fondation du prieuré5 et les documents d’archives montrent que l’abbé de Clairvaux exerça une véritable hégémonie sur Jully jusqu’en 1145 environ. Ce fut lui qui rédigea avec quelques proches les statuts de la communauté, exigeant notamment que les moniales vivent dans une stricte réclusion6. Les liens de parenté expliquent aussi que Bernard et ses disciples aient soutenu les dépendances féminines d’autres monastères, notamment SaintBénigne. Bernard participa de même à la réforme du monachisme féminin et si ce fut parfois pour approuver des mesures radicales, comme l’expulsion

Fig. 68 Carte des abbayes de femmes de la filiation de Clairvaux Fig. 69 Gisant de la comtesse de Champagne Blanche de Navarre, provenant de l’abbaye d’Argensolles (v. 1230). Haut-relief en calcaire. Châlons-enChampagne, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie



Gouverner C et sa filiation aux et xvie

lairvaux xviie siècles Bertrand Marceau

L’

action des abbés de Clairvaux des xvie et xviie siècles n’a été rendue possible que par l’existence d’une abbaye solidement implantée dans l’ancienne province de Champagne, sous la forme d’une organisation séculaire qui excède très largement le génie propre de simples individus. L’abbaye de Clairvaux jouit d’un temporel considérable à peine amoindri par les aliénations, reçoit de nouvelles fondations de messe ou des rentes sur l’hôtel de ville de Paris, produit toutes sortes de fruits, de biens et de revenus couvrant presque tous les besoins des moines, gère étroitement ce temporel par le moyen d’officiers et de personnels hiérarchisés, bénéficie d’un puissant réseau de soutiens à la fois locaux et internationaux (de Bar-sur-Aube ou Chaumont jusqu’à Bruxelles ou Rome), recrute des convers et des novices nombreux venant des abords immédiats de l’abbaye comme de contrées plus éloignées, développe une communauté vivante tombant rarement en dessous de la cinquantaine de profès, forme ses jeunes moines en théologie (dans le parloir ou école de Clairvaux comme au Collège des Bernardins), et favorise la carrière de ses procureurs, secrétaires et prieurs. Cet ensemble entretient in fine la formation permanente des cadres matériels et humains indispensables à la pérennité d’une organisation bien insérée dans son environnement, organisation qui vise à son auto-reproduction afin de poursuivre sa vocation de contemplation et de prière. Visibles dans les archives de Clairvaux, les traces de l’administration presque bureaucratique subordonnant le temporel au spirituel autorisent une approche sinon structurelle, du moins thématique, du gouvernement de Clairvaux à compter de la Renaissance. Afin d’organiser cette matière surabondante dans une brève synthèse, il a paru commode de s’attacher seulement aux axes principaux du gouvernement de Clairvaux sous l’Ancien Régime. En effet, ce gouvernement par les abbés, prieurs et officiers, comprend principalement trois missions : la direction de l’abbaye en elle-même, héritée du saint fondateur et représentée comme une porte de la Jérusalem céleste ; le contrôle de la filiation ou, plus exactement, de la lignée de Clairvaux, lignée qui demeure de grande ampleur et internationale malgré les suppressions liées aux sécularisations ; le rôle enfin, plus ou moins grand, dans la direction générale de l’Ordre.

Fig. 73 L’Abbaye de Clairvaux, par Henri Valton (détail ; xixe s.). Huile sur toile. Troyes, musée des Beaux-Arts, inv. 885.1.3



GĂŠrer le

emporel


138 Clairvaux au temps de Bernard


L’économie de Clairvaux au

Moyen Âge Paul Benoit

L

a puissance économique de Clairvaux a traversé les siècles, du temps de saint Bernard à la Révolution française. C’est cependant aux xiie et xiiie siècles qu’elle apparaît la plus impressionnante, par la rapidité et l’ampleur de sa croissance, mais aussi par le paradoxe qu’elle représente : comment une telle puissance économique a pu se développer au sein d’une abbaye cistercienne, fondée par un homme pour qui rien n’était plus cher à Dieu que la pauvreté ? Cette puissance économique est difficile à évaluer avec précision : trop de chiffres manquent. L’abbaye n’a pas laissé de comptes significatifs de son économie au Moyen Âge. En revanche, les moines de Clairvaux ont voulu préserver leur patrimoine en conservant les sources les plus utiles, celles qui affirmaient leurs droits, c’est-à-dire les chartes. Ce sont les principales sources de l’histoire de l’économie du monastère au Moyen Âge. L’économie des premières années, très mal connue, devait se limiter à une agriculture et un artisanat indispensables à la vie de la communauté monastique. La donation initiale d’un seigneur local, Josbert de La Ferté, s’avérait, selon le souhait de Bernard, très modeste. Mais en quelques décennies, l’ordre cistercien s’est organisé et s’est donné des structures particulières. La volonté initiale de retrouver les principes primitifs énoncés par saint Benoît au milieu du vie siècle dans sa Règle, mettait le travail manuel (cat. 6), au même titre que la prière, au premier rang des occupations des moines. Fidèles à la Règle, les cisterciens refusèrent de vivre du travail d’autrui, c’està-dire des revenus seigneuriaux. Cependant, du vie au xiie siècle, les choses avaient changé, même en simplifiant la liturgie, la prière prenait toujours chez les cisterciens une place considérable. Par ailleurs, la Règle imposait aux moines de résider dans le monastère, or l’étendue du domaine interdisait, à Clairvaux plus qu’ailleurs, aux moines d’y travailler. La solution des premiers pères de l’Ordre fut de regrouper les biens des abbayes entre des établissements ruraux, les granges, qui ne devaient pas être exploitées par des moines, mais par des religieux laïques, les frères convers. Ces derniers n’étaient pas liés par des vœux monastiques, mais par une promesse solennelle d’obéissance à l’abbé. Comme dans la majeure partie des abbayes cisterciennes, les convers étaient, à Clairvaux, nettement plus nombreux que

Fig. 75 bis Scène de foire (détail). Miniature extraite du Chevalier errant (v. 1403-1404). Bibl. nat. Fr., ms. fr. 12559, fol. 167


146 GĂŠrer le temporel


La

grange, moteur

de l’économie claravallienne François Blary

S’

intéresser aux granges de l’abbaye de Clairvaux, c’est essayer de saisir l’importance économique de son temporel, de comprendre l’organisation domaniale d’un grand monastère de l’Ordre, comment celui-ci s’est constitué et développé tout en y cherchant le témoignage d’une réussite éclatante mais fugace, puis d’en dénoncer la faillite à la fin du Moyen Âge. L’intérêt des chercheurs s’est porté très tôt sur ce plan, servi par l’excellente conservation de la documentation qui permet de s’intéresser de manière concrète à l’originalité économique et spirituelle des monastères cisterciens, du moins des premiers temps, puis de manière plus prosaïque d’en dresser, les années passant, une simple économie de l’Ordre. Après les travaux précurseurs d’Henri d’Arbois de Jubainville à la fin du xixe siècle, et ceux tout à fait exemplaires de Robert Fossier au milieu du xxe siècle, la dimension économique de ce monastère apparaît plus clairement1. Il est bon de rappeler ce que recouvre le mot grange – grangia, granarium, granica ou encore granilia – dans l’univers cistercien. Il s’agit d’une unité économique qui, dès 1119, désigne l’unité locale d’exploitation agricole d’une abbaye de l’Ordre. L’observance initiale des monastères implique le renoncement aux pratiques économiques en usage à cette période. Il en naît un système autarcique reposant sur la constitution d’un réseau de granges. Sous ce terme générique, qui dépasse largement celui du simple bâtiment à remiser les récoltes, se cache un grand nombre d’activités agricoles, pastorales, voire industrielles. Le terme embrasse donc l’ensemble des bâtiments composant l’exploitation, mais aussi les terres qui en dépendent dans toute leur diversité – prés, forêts, champs à culture, vignes, carrières ou viviers. L’étude de la vie économique de Clairvaux entre 1115 et les années 14501480 fournit un exemple particulièrement riche d’enseignements pour la compréhension d’un des éléments forts de l’originalité cistercienne : son économie. L’examen attentif des sources de Clairvaux permet de distinguer trois temps : – 1115-1250 : époque faste du comté de Champagne, l’abbaye exploite en faire-valoir direct son domaine grâce à des convers ; – 1250-1320/40 : période de mutation marquée par la baisse significative du recrutement des convers au sein du monastère qui entraîne, avant même le conflit franco-anglais, l’emploi de mercenaires ; – 1320/40-1450 : période marquée par la guerre de Cent Ans.

Fig. 81 Vénération de la Vierge à l’Enfant par la famille de saint Bernard. Retable de la chapelle du Cellier de Colombé-le-Sec (triptyque ouvert), par Jean Bellegambe (v. 1508-1509). Peinture sur bois. New York, The Metropolitan Museum of Art, 32.100.102

La grange, moteur de l’économie claravallienne 147


NIEUPORT

GRAVELINES

Abbaye de référence Fille directe de Clairvaux Grange ou cellier de Clairvaux Hôtel ou maison urbaine Mine de fer, forge Route des foires de Champagne

CHÂLONS-EN-CHAMPAGNE

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Trois-Fontaines

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PROVINS

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TROYES

Wassy NEUFCHÂTEAU

BAR-SUR-AUBE

Le Petit Clairvaux

Larrivour

Boulancourt Bugney

Beauvoir

Clairvaux CHAUMONT

Wassy

Mores La Borde

Longuay LANGRES

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Val-des-Vignes TROYES

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BAR-SUR-AUBE

Reigny

Le Petit Clairvaux

Larrivour

Morval

Mores

Fontenay

Morins

La Borde

Tinne-Fontaine La Bretonnière Vieilles Forges Clairvaux Le Toupot Bavon Fraville Outre-Aube Jurville Val-Guillaume La grange Val-l’Hermite de l’Abbaye Mauricourt La Peute-Fosse Fontarce Sermoise Apremont Fays-Bas Feins Maison des convers Nuisement Beaumont La Borde d’Ambre Longuay Maison Neuve Le Val de Nuit

Gommeville

La Chaume

AUXERRE

FONTAINE-LES-DIJON

Le Cellier DIJON

Cîteaux CHAUMONT

Champigny L o ir e

La Chaume LANGRES l’A

25 km

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La grange, moteur de l’économie claravallienne 155 50 km


maisons et hôtels urbains

Clairvaux en ville : les

François Blary

L

es premiers règlements cisterciens comme les prescriptions du chapitre général de l’ordre de Cîteaux sont clairs quant à l’implantation des monastères, insistant sur l’importance de leur isolement et sur leur construction « dans des lieux éloignés du commerce des hommes ». De nombreux travaux ont démontré que cette acceptation spirituelle correspondait dans les faits à un mythe. Dans le cas de Clairvaux, le temporel fait apparaître la possession de nombreuses maisons de ville dès la fin du xiie ou le début du xiiie siècle. Ces « hôtels », ainsi qu’ils sont dénommés dans les sources écrites à partir du xive siècle, demeureront pour l’essentiel conservés en possession du domaine claravallien jusqu’au xve, voire jusqu’au xvie siècle. Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour saisir l’importance que revêt l’implantation de telles maisons dans le patrimoine d’un monastère rural comme celui de Clairvaux. La première, et probablement la plus importante, relève du domaine économique. Les cisterciens travaillent pour vivre : le fruit de ce travail, essentiellement composé de produits agricoles, doit être entreposé en ville pour en faciliter la vente. La position rurale du monastère et a fortiori à l’écart du monde propice au développement spirituel de l’Ordre, s’accorde mal avec le nécessaire écoulement des surplus ou des productions issus de son exploitation du terroir organisé en réseau de granges parfois très éloignées du monastère lui-même. Une autre raison est liée au fait que les celliers, lieux de production du vin, peuvent aussi assurer l’hébergement des religieux ou de leurs hôtes de passage. De cette manière, aucune transgression des prescriptions de l’Ordre ne peut être invoquée puisque ni moine ni convers ne réside en permanence, hors périodes de troubles, à l’intérieur de ces possessions urbaines. Les cartulaires de Clairvaux (cat. 71) attestent l’acquisition, essentiellement entre 1180 et 1250, d’hôtels urbains dans les villes proches du domaine foncier de l’abbaye, à Bar-sur-Aube (fig. 87), Troyes, Nogent-surSeine, Châlons, Dijon, Nieuport, Gravelines, Meaux et Neufchâteau. Certains de ces hôtels atteignent des dimensions parfois imposantes comme à Bar-sur-Aube ou à Troyes où l’abbaye possède aussi trois prés ainsi que deux autres maisons dans le faubourg de Croncels. L’attrait des villes de foires de Champagne (fig. 75) n’y est bien sûr pas étranger. À Dijon, le cellier de Clairvaux, adossé contre la muraille de la ville près du Suzon, sert

Fig. 87 Bar-sur-Aube. Intérieur du cellier de Clairvaux (v. 1205/10-1218)



Les

archives de Clairvaux :

outil de gestion du temporel Laurent Veyssière

L

e vaste patrimoine constitué de manière exceptionnelle par l’abbaye de Clairvaux au cours des xiie et xiiie siècles nécessite une organisation rationnelle des documents permettant la gestion des biens temporels. L’établissement des cartulaires marque une étape fondamentale dans cette mise en ordre du chartrier. Ce n’est qu’à partir du xvie siècle que les archivistes de l’abbaye imaginent des classements différents.

L’époque médiévale Le classement du xiie siècle, s’il y en eut un, reste encore aujourd’hui largement inconnu. Les archivistes se sont appliqués à conserver les chartes données à l’abbaye sans organisation apparente. Les seuls moyens pour eux de retrouver des documents dans ce chartrier en pleine constitution étaient d’une part les irrégulières mentions dorsales indiquant le donateur et la nature de la transaction1 et, d’autre part, une connaissance visuelle et matérielle bien plus personnelle et empirique que rationnelle. On ignore également où étaient conservés ces documents à cette période. Le monasterium vetus devait vraisemblablement posséder un armarium dans une galerie du cloître, « simple niche à l’origine, peut-être déjà élargie aux dimensions d’une petite salle2 », ou même une petite bibliothèque dans sa partie sudest. Les archives, alors peu nombreuses (seulement sept documents nous sont parvenus pour la période 1115-1135), peuvent avoir été conservées avec les livres ou dans un simple coffret chez l’abbé, le prieur, le bibliothécaire ou encore, comme on va le voir, le chantre. En 1147, Geoffroy, évêque de Langres, renouvelle une pancarte de son prédécesseur Joceran (1113-1125) dont le sceau était endommagé3. Faut-il y voir de mauvaises conditions de conservation des archives ? Le premier classement connu des archives de l’abbaye remonte au xiiie siècle. Ce sont les deux cartulaires qui nous révèlent le cadre de classement (cat. 71). Les actes originaux étaient regroupés en liasses de cinq actes en moyenne. Ces regroupements sont parfois indiqués sur les tables des cartulaires, en tête de chaque subdivision, mais jamais sur les chartes elles-mêmes. Il faut donc s’intéresser aux cartulaires et à leur confection

Cat. 71 Cartulaire de Clairvaux (xiiie s.). Chapitre Elemonise, I, II, III et IIII. Arch. dép. Aube, 3 H 9*, fol. 72



Sceller à Clairvaux et dans sa filiation champenoise du xiie au xve siècle Arnaud Baudin

H

érité de l’Antiquité, le sceau est adopté comme outil de validation, parallèlement à l’essor de l’écrit, par l’ensemble de la société médiévale aux xiie et xiiie siècles. Dans le monde ecclésiastique, sa diffusion est initiée à partir des xe et xie siècles par les évêques, avant que la pratique n’atteigne quelques grandes abbayes bénédictines du nord et de l’est de la France dans les vingt dernières années du siècle suivant. Une évidence s’impose : la Règle de saint Benoît, composée au vie siècle, est muette quant au sceau. L’emploi de celui-ci dans l’ordre de Cîteaux est donc régi par le droit ecclésiastique général, que viennent compléter les décisions du chapitre général. Le sceau engage conjointement l’abbé et la communauté. Les moines blancs ne peuvent faire usage individuellement de ce moyen d’authentification personnelle avant d’y avoir été autorisés par l’autorité compétente. Le périmètre géographique de cette étude a pour cadre la Champagne médiévale, dans les limites des anciens diocèses de Reims, Châlons, Troyes et Langres, avec une incursion dans celui de Verdun pour le cas de La Chalade. Comment le sceau se diffuse-t-il au sein de cet espace, dans les dixhuit abbayes d’hommes et les neuf abbayes de femmes de la filiation de Clairvaux ? Comment les décisions du chapitre général y sont-elles appliquées et remarque-t-on des spécificités dans les choix iconographiques ou dans la pratique du scellement ?

Unanimité, diversité, adversité : réglementation et utilisation du sceau dans les abbayes cisterciennes de Champagne des origines à 1335

L’ordre de Cîteaux demeure pendant plus d’un demi-siècle très prudent à l’égard de l’usage sigillaire. Loin d’être le simple reflet de l’esprit de pauvreté revendiqué par le Nouveau Monastère et ses filles, cette position témoigne davantage de la recherche des garanties les plus sûres pour valider les libéralités consenties1. Ainsi font-ils appel à l’autorité des évêques de Langres pour notifier la majorité des actes concernant Clairvaux de la période 1115-

Fig. 92 Pancarte d’Henri de Carinthie, évêque de Troyes (1145-1169), notifiant divers dons et abandons de droits à l’abbaye de Larrivour. Arch. dép. Aube, 4 H 42, no 2



Prier

et se former

Ă

Clairvaux


186 Prier et se former Ă Clairvaux


La

spiritualité cistercienne Annie Noblesse-Rocher

D

ans la famille bénédictine, la réforme de Cîteaux n’a pas opéré de révolution copernicienne, mais elle a infléchi la tradition bénédictine de façon originale, en s’emparant et en réinterprétant certains aspects de la théologie augustinienne. Elle s’est ainsi forgé un langage spirituel marqué par l’affectus et le désir, ancré indéfectiblement dans l’Écriture, propulsé par la lectio divina et la liturgie, lieux par excellence de l’expérience spirituelle1. Situé entre ciel et terre, comme s’il était suspendu à la Croix, pour reprendre les termes de Guerric d’Igny2, le moine de Cîteaux est tendu vers un but : l’unitas spiritus cum Deo. Cette union de l’esprit de l’homme à l’Esprit de Dieu est décrite par Bernard de Clairvaux dans son Sermon 71 sur le Cantique des cantiques, comme une conformité de sentiments, un consensus, comme un côte-à-côte (accubitus) et un embrassement (amplexus) humano-divin3. Si, rarement, les auteurs cisterciens s’autorisent à parler, non sans prudence, d’excessus (débordement de l’âme) ou de raptus (vol), ils prennent soin de rappeler l’insondable différence de nature entre le Créateur et ses créatures. Car pour eux finalement l’essentiel est ailleurs : ils attendent, tendus dans la prière, le terme et le fruit d’une expérience, celle de la venue du Christ-Parole dans le cœur du moine, lors d’une visite intime, l’adventus familiaris. Cet avènement familier se déroule pendant la vie ici-bas, interim, et de façon intermédiaire entre deux autres avènements du Christ-Parole : sa venue dans la chair, lors de la Nativité de Bethléem, l’adventus carnalis, premier avènement, et sa venue en gloire, dernier avènement, lors de la résurrection finale, l’adventus gloriae. Guerric d’Igny l’exprime ainsi dans son Deuxième sermon pour l’Avent déjà cité : « Moment totalement merveilleux et aimable, lorsque Dieu-amour s’insinue dans l’âme de celui qui aime ; lorsque l’Époux étreint l’épouse dans l’unité d’esprit, et qu’elle est transformée en cette même image à travers laquelle elle contemple, comme à travers un miroir, la gloire du Seigneur. » Ce triple avènement est par excellence le cadre de la vie spirituelle cistercienne. Chacun des trois avènements donne en effet une ligne directrice à la vie intérieure : méditation de la vie du Christ pour le premier, naissance du Christ-Parole dans le cœur du moine pour l’intermédiaire, unité d’esprit avec Dieu comme préfiguration de la vie éternelle pour le dernier. La méditation du premier avènement célèbre l’humanité du Christ comme un mystère

Fig. 104 Vierge du Rosaire (xviiie s.). Retable aux armes de l’abbaye provenant de l’église de Clairvaux. Ville-sous-la-Ferté, église Saint-Martin



Les cisterciens et la quête de

l’authenticité liturgique Claire Maître

U

ne liturgie, cistercienne ou autre, comporte toujours trois éléments : des lectures, ou écoute de la parole divine, des chants, commentaires de cette parole, et des oraisons par lesquelles le croyant s’adresse à Dieu. Ces composantes, les moines venus à Cîteaux dans les premières décennies du xiie siècle ne les ont pas élaborées ex nihilo : réformateurs, certes ils l’étaient, mais à l’intérieur de l’immense famille bénédictine, et, venus de l’abbaye voisine de Molesme, c’est à elle qu’ils ont d’abord emprunté les livres qui leur ont permis de célébrer l’office divin. Le principe de la réforme cistercienne : revenir à la Règle de saint Benoît (v. 530-560) dans toute sa pureté originelle, s’est naturellement appliqué au domaine liturgique. Ainsi, les additions intervenues au cours des siècles telles que processions, litanies, psaumes surérogatoires, ont-elles été supprimées, provoquant une controverse entre Bernard de Clairvaux et ­Abélard, le célèbre philosophe qui s’élevait contre les « nouveautés » introduites dans les monastères cisterciens. Tout au long du xiie siècle, des travaux et remaniements vont se poursuivre dans le but de retrouver et illustrer cette pratique authentique. Avec le recul, l’historien constate que, de ces trois éléments constitutifs – lectures, chants, oraisons –, c’est le chant qui a été le plus radicalement réformé. Il l’a été concrètement par la modification des mélodies, mais il l’a été dans son essence, parce que ces transformations ont été le résultat d’une théorisation a priori du chant « pur », non corrompu par l’accumulation des siècles. Considérons l’état d’évolution du chant liturgique au début du xiie siècle. Le plain-chant1 s’honore déjà d’une longue tradition. Selon la légende, l’Esprit-Saint sous forme d’une colombe l’aurait transmis à saint Grégoire, pape de 590 à 604. Cette origine et sa fonction éminente dans la liturgie exigent de lui porter un respect constant. Comme tout langage humain, il a naturellement évolué au cours des siècles ; dans cette évolution les réformateurs cisterciens ont vu un signe de décadence. Ils ont donc fait le choix de retrouver le chant des origines, tel qu’il était, imaginent-ils, au temps de saint Benoît. Quels sont, selon eux, les indices de cette « décadence » historique ? D’abord, ce chant est divers : les cisterciens constatent facilement que le chant dans les différentes églises n’est pas identique. Or, et c’est là de leur part un présupposé fondamental, la vérité ne peut être multiple, elle siège

Fig. 108 Croix processionnelle provenant de l’abbaye d’Alcobaça (xve s.). Argent, argent plaqué, émaux. Lisbonne, Museu Nacional de Arte Antiga, inv. 87 our


198 Prier et se former Ă Clairvaux


Clairvaux et

l’ écrit

Dominique Stutzmann

B

ernard de Clairvaux affirmait certes que l’on trouve davantage dans les forêts que dans les livres1, pourtant rien ne serait plus faux que d’en faire l’ennemi de l’écrit, de la littérature et de l’enseignement. Lui-même est l’auteur de nombreux ouvrages, sermons, lettres et traités, et s’il renonce à tous les ornements, ce n’est pas sans paradoxe car il en excepte ceux de l’écriture et du beau style2. Dans L’Amour des lettres et le désir de Dieu, Jean Leclercq dessinait même en quelques pages lumineuses le riche héritage des cisterciens, mais aussi leur subtil apport à la littérature, en particulier celui de saint Bernard3. Au Moyen Âge, la bibliothèque de Clairvaux était assurément l’une des plus belles de l’Occident chrétien : son histoire en a été retracée par Jean-François Genest4, grâce à l’édition des catalogues anciens et l’étude des manuscrits subsistants5. Il existe bien un « esprit cistercien6 » et une sensibilité spécifique des moines blancs à l’écrit. C’est un des éléments qui a le plus frappé les contemporains, tels Guillaume de Malmesbury (v. 1095-v. 1143) et Orderic Vital (1075-1143), qui accusaient ces nouveaux moines de « littéralisme7 ». Bernard lui-même vante la rigueur de la lettre propre à Cîteaux8 et, dans le De praecepto, soutient que le respect de la lettre est indispensable, car la lettre incarne l’esprit et la justice. Ce respect aboutit même à des paradoxes, puisque l’institution des convers est une innovation parfaitement étrangère à l’esprit de la Règle de saint Benoît, qui permet d’en respecter la lettre9. Dans leurs textes aussi, les cisterciens primitifs témoignent d’un intérêt tout particulier à l’écrit : ainsi en est-il pour le texte biblique et les livres liturgiques. En effet, dès les débuts de l’Ordre et avant la fondation de Clairvaux, est menée à Cîteaux une révision du texte biblique qui donne lieu non seulement à la mise en application d’idéaux, mais aussi à la première élaboration d’un discours sur cette pratique : le texte connu sous le nom de « Monitum » d’Étienne Harding. Au même moment, c’est-à-dire entre 1108 et 1113, les premiers moines de Cîteaux réforment la liturgie pour la rendre plus conforme à la règle bénédictine10. Tout d’abord, ils décident de prendre à la lettre la règle monastique, abandonnent certaines coutumes11 et interprètent littéralement le mot ambrosianum qui désigne l’hymne liturgique, créant ainsi un « répertoire tristement étriqué » et plusieurs bizarreries12. Quand l’Ordre s’étendit, une seconde réforme s’avéra nécessaire et fut achevée vers 1147 sous la direction de Bernard13. Les principes en sont

Fig. 111 Saint Thomas enseignant. Miniature contenant les Quaestiones de veritate et le De anima de saint Thomas d’Aquin (xve s.), commandé pour Clairvaux par Pierre de Virey. M.G.T., ms. 769, fol. 3


206 Prier et se former Ă Clairvaux


Le Collège des

Bernardins Christian Barbier

L

e développement de l’ordre cistercien s’est fait en dehors des villes, laissant celles-ci aux nouveaux ordres mendiants qui, mettant l’accent sur la formation intellectuelle, attirent de nombreuses vocations. Le retard pris par rapport aux dominicains et aux franciscains a donc naturellement conduit les cisterciens à engager à Paris, alors capitale intellectuelle de l’Europe, la création du Collège des Bernardins.

Un projet originaire de l’abbaye de Clairvaux Trois abbés de Clairvaux sont à l’origine de ce projet. Dès 1224, Raoul de La Roche-Aymon (1224-1233) acquiert une maison à Paris, au bourg SaintLandry. L’abbé Évrard (1235-1238) obtient en 1237 du chapitre général la permission d’y envoyer des moines afin de les faire bénéficier de l’enseignement universitaire. Enfin, Étienne de Lexington (1243-1255), soutenu par le pape Innocent IV, transforme cette maison en un véritable collège en 1245 et l’installe de façon définitive, à l’intérieur de l’enceinte de Philippe Auguste, au clos du Chardonnet, sur un vaste domaine situé entre la Seine et un bras de la Bièvre qui au fil des acquisitions s’étendra sur près de cinq hectares (cat. 80a). L’enclos est fermé par un haut mur avec un unique accès ­commandé par une porterie. Certaines des constructions, en particulier la chapelle, sont provisoires, mais le bâtiment principal construit dès l’origine sur trois niveaux, et qui subsiste encore de nos jours, a d’emblée sa forme définitive. Dès août 1250, Innocent IV autorise la célébration des offices dans la chapelle et l’inhumation des morts dans l’enceinte du collège (cat. 79a et b). En 1253, Alphonse de Poitiers, frère de Louis IX, accepte le patronage du collège et s’engage à verser une rente annuelle, en reconnaissance de quoi il est nommé « fondateur et protecteur » du collège. En janvier 1256, le pape Alexandre IV confère la licence en théologie à Guy de l’Aumône qui devient le premier maître en théologie de l’ordre de Cîteaux. La seconde moitié du xiiie siècle est marquée par la volonté de l’ordre cistercien de promouvoir les études. À l’instar du collège parisien, d’autres collèges cisterciens sont créés. Le chapitre général réglemente le fonctionnement du collège parisien dont la prééminence est affirmée sur tous les autres collèges de l’Ordre.

Fig. 116 Paris, Collège des Bernardins. La nef (milieu du xiiie s.)



Le

trésor de Clairvaux Anne E. Lester

L

e trésor de Clairvaux recélait une impressionnante collection d’objets, comparable à celle de nombreuses cathédrales. Bien que la plupart de ces objets aient été détruits après la Révolution, la liste peut être reconstituée à partir de cinq inventaires dressés en 1405-1410, 1504, 1660, 1710 et 1741 (fig. 126 ; cat. 108a et b)1. Le dernier inventaire, le plus détaillé, comporte même des dessins de certains des objets les plus originaux. Il est l’œuvre de dom Claude Guyton, bibliothécaire de Clairvaux, et fut rédigé de sa propre main (cat. 108b). L’inventaire de Guyton comprend de longues descriptions de chaque article du trésor ainsi que des transcriptions de plusieurs chartes et inscriptions annexées aux reliquaires du xiiie siècle, plus riches et prestigieux. Ces parchemins servaient à l’origine à authentifier les documents relatifs aux reliques, notamment ceux qui furent apportés à Clairvaux après la quatrième croisade (1202-1204). Mais les documents – ainsi que les transcriptions de Guyton – indiquent également l’époque à laquelle des reliques spécifiques furent données à l’abbaye, par qui et dans quelles circonstances. En 1743, peu après avoir achevé son inventaire, dom Guyton fit évaluer des reliquaires de grande valeur par deux orfèvres parisiens venus en pèlerinage à l’abbaye. Ceux-ci inventorièrent des gemmes, des pierres précieuses, de l’or et de l’argent issus de vingt-six reliquaires de l’abbaye, estimant ces objets (dont certains étaient endommagés depuis le Moyen Âge ou avaient perdu gemmes et émaux précieux) à un total de 10 704 livres. L’année suivante, en 1744, Guyton accueillit à Clairvaux l’évêque grec d’Arcadie, en exil de Crète après avoir fui la mainmise turque sur la Grèce. Guyton lui demanda d’examiner et de traduire les inscriptions grecques de deux gros reliquaires byzantins que les moines avaient en leur possession2. Parmi les notes de Guyton figurent les transcriptions et traductions de ces inscriptions grecques ainsi que plusieurs croquis des objets. Peut-être s’y trouvait-il aussi des dessins à l’aquarelle représentant les émaux et les gemmes des reliquaires byzantins, aujourd’hui perdus3. L’impressionnant détail des multiples inventaires du trésor de Clairvaux – en particulier le travail minutieux de Guyton – nous permet d’envisager quand et comment les moines acquirent la plupart des reliques et objets de leur trésor, depuis la fondation de l’abbaye jusqu’au xviiie siècle. Dès la fin du Moyen Âge, et certainement au milieu du xviie siècle, les moines conservaient bon nombre

Cat. 11 Crosseron dit de saint Bernard (première moitié du xiie s.). Abbaye N.-D. de Bellefontaine



Architecture et

ArchĂŠologie



Un parcours architectural

dans

l’abbaye de Clairvaux (1115-1790) Gilles Vilain

E

n fondant Clairvaux, en 1115, les moines ont choisi de s’établir dans la partie est du vallon parcouru par un ruisseau et à proximité de deux sources. La partie orientale du vallon avait été donnée par un seigneur voisin, Josbert le Roux, et la partie occidentale appartenait jusqu’alors au père de Bernard, Tescelin le Sor, et au frère de Josbert le Roux1.

Le « vieux monastère » (1115-1135) Il ne subsiste rien, en élévation, des premières constructions mais l’on connaît par des descriptions et par le plan et les vues de dom Milley gravés en 1708, l’aspect du monasterium vetus2 (fig. 137 ; cat. 91a-91b). Il comprend l’église, ou plutôt la chapelle, le bâtiment abritant le réfectoire et le dortoir des moines, ainsi que la cuisine et une construction servant d’hôtellerie. L’ensemble est orienté vers l’est et s’étend sur cinquante mètres en 17083. L’extrémité ouest du monastère est occupée par la chapelle4, construite sur un plan carré de dix-sept mètres de côté. La vue de dom Milley la présente dans son état du xviiie siècle avec une couverture pyramidale, à deux niveaux dominés par un clocheton (cat. 91b, détail p. 62). C’est une construction en bois que découvre Philippe de Gueldre5 au cours de son séjour à Clairvaux en 1517. Sa remarque éveille l’intérêt car l’édifice qu’elle visite est certainement la partie la plus ancienne de l’abbaye soigneusement préservée par les moines depuis le xiie siècle ; on pense à la première chapelle qui va être construite dès l’arrivée de Bernard ou qui est déjà construite pour l’accueillir, le 25 juin 11156. Seules des fouilles archéologiques pourraient nous apporter des éléments de réflexion plus précis. À l’intérieur, trois autels : le maître-autel consacré à la Vierge, et deux autres, contre le mur est, dédiés à saint Laurent (à droite, côté sud) et saint Benoît (à gauche, côté nord)7 ; ils sont d’une grande simplicité comme le constate dom Joseph Meglinger lors de son passage à Clairvaux en 1667. La disparition de la chapelle n’est pas documentée, mais celle-ci est encore utilisée par les moines dans la première moitié du xviiie siècle8, demeurant alors pour les frères un lieu de vénération des reliques de saint

Fig. 128 Abbaye de Clairvaux. Le réfectoire des convers (v. 1170)



Fig. 137 Vue de l’abbaye de Clairvaux depuis l’ouest par dom Milley (1708). M.G.T., carteron 1 vue 4

Un parcours architectural dans l’abbaye de Clairvaux (1115-1790) 239



La

restauration de l’abbaye de

Clairvaux Éric Pallot

R

iches d’une histoire mouvementée et longue et témoins à la fois d’un passé religieux de près de sept cents ans et carcéral de deux cents ans, les bâtiments de l’ancienne abbaye sont dans un état sanitaire en général très mauvais. Désaffectés, ils appellent donc d’importants travaux de restauration et de mise en valeur pour un usage nouveau qu’il reste encore à préciser mais qui s’oriente vers un usage de visite, d’évocation historique des lieux et culturel à l’image des activités initiées par l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux. Les choix de restauration doivent donc tenir compte de ce passé complexe, de l’époque de construction des ouvrages, de l’usage originel ou récent des bâtiments, mais aussi de la permanence sur le site des vestiges des différents états de l’abbaye depuis l’époque médiévale jusqu’à nos jours. En effet, de l’abbaye reconstruite au xiie siècle sous l’abbatiat de Bernard, il reste encore le bâtiment des frères convers amputé de deux travées au nord. De l’abbaye médiévale dans son état de 1708, il reste les bâtiments de la porterie et de l’hôtellerie. De l’abbaye classique subsistent, en revanche, la quasi-totalité des bâtiments construits après 1740 même si ceux-ci ont été profondément remaniés. De l’abbaye prison enfin, subsistent également la majeure partie des aménagements du grand cloître et des ailes sud et du lavoir. C’est donc un ensemble de bâtiments à l’architecture diversifiée et à l’image complexe témoignant surtout d’une abbaye classique transformée en prison qu’il convient d’analyser pour dégager des fils conducteurs présidant à leur restauration et à leur mise en valeur dans l’attente d’un programme général de réutilisation et d’affectation en cours de maturation. Cela d’autant que : – l’approche émotionnelle du site est généralement très forte en raison de la présence conjointe de vestiges de l’abbaye du xiie siècle, des constructions du xviiie siècle, des aménagements carcéraux du grand cloître, et d’un centre de détention toujours en activité ; – l’intérêt historique des bâtiments est variable mais généralement fort en raison de la qualité de la construction cistercienne du bâtiment des frères convers, des proportions et de la taille de l’abbaye classique ;

Abbaye de Clairvaux. Le dortoir des convers après la campagne de restauration achevée en 2014 (détail de la fig. 139)


La restauration de l’abbaye de Clairvaux 249


La restauration de l’abbaye de Clairvaux 253



Notices


4a Alexandre de Brême, Commentaire

sur l’Apocalypse avec interpolations Cambridge, University Library, Mm.5.31 Brême, entre 1256 et 1271 Parchemin, 205 folios H. 25 ; L. 18 cm Provenance : Jo. Conyers, peut-être John Conyers, apothicaire et antiquaire (16331694) ; John Moore, évêque d’Ely (1707-1714) ; présenté à la bibliothèque par George Ier en 1715. Bibliographie : Alois Wachtel, Alexander Minorita Expositio in Apocalypsim, Weimar, 1955 (MGH, Quellen zur Geistesgeschichte des Mittelalters, I) ; Binski 2005, no 42, p. 116-117.

Le Commentaire d’Alexandre de Brême met en parallèle les événements de l’Apocalypse et ceux de l’histoire chrétienne jusqu’à la fondation des ordres mendiants et à la septième croisade (1249). Il en existe huit exemplaires dont cinq illustrés ; six sont perdus. Les deux plus anciens sont le manuscrit de Wrocław (Biblioteka Uniwersytecka, ms. I.Q.19) et le manuscrit de Cambridge, ce dernier étant le seul à incorporer des interpolations supplémentaires, tirées des Annales d’Albert de Stade et d’autres sources. Ces manuscrits ont été composés au même moment, comme le démontre l’intervention dans les deux d’un même copiste pour transcrire les rubriques et les légendes des miniatures. La première rubrique dans le manuscrit de Wrocław, livrant la date de décès d’Alexandre de Brême en 1271, est un ajout postérieur et son copiste n’apparaît pas ailleurs dans le manuscrit. En outre, les rubriques et légendes dans le manus-

272 Clairvaux. L’aventure cistercienne

crit de Wrocław semblent bien avoir été rapportées du manuscrit de Cambridge, tandis que dans ce dernier, les images communes aux deux manuscrits sont rapportées de Wrocław. Le manuscrit de Wrocław possède quatre-vingts illustrations, plus trois espaces réservés ; celui de Cambridge, qui a perdu trente-cinq feuillets, ne contient que soixante et onze images (huit lui sont propres : le double portrait d’auteur et sept images illustrant les interpolations). Le rédacteur du manuscrit de Cambridge est vraisemblablement Albert de Stade lui-même, qui fut d’abord abbé bénédictin de Sankt Marien à Stade, avant de prendre l’habit franciscain en 1240. Bien qu’on ne connaisse pas sa date de décès, le dernier événement consigné dans ses Annales est de 1256 et Urbain IV (1261-1264) est le dernier pontife dans sa liste des papes. Parmi ses longues interpolations figurent les ajouts au sujet de la fondation de l’ordre bénédictin par saint Benoît (chap. 10) et l’épanouissement de l’ordre cistercien (chap. 16). L’illustration pour le texte sur les cisterciens (fol. 113) représente en quelque sorte l’établissement, le défrichage et l’essaimage de l’Ordre. À gauche, dans l’abbaye de Cîteaux protégée par une colombe, l’abbé prêche aux moines. Au centre, les moines et les convers (non tonsurés), tous en robe courte, abattent les arbres et creusent le sol avec d’énormes haches. À droite s’élèvent les quatre grands monastères fondés par Cîteaux et leurs abbés, « d’où a pullulé tout l’ordre cistercien » : Clairvaux et saint Bernard, de face, sans nimbe, vêtu en blanc, et ensuite La Ferté, Pontigny et Morimond dont les abbés portent des habits gris, bistre et brun. Trois d’entre eux tiennent un livre, allusion à la Règle de saint Benoît qui cadre leur vie. P.S.


Notices 273


4b Chronique des rois ou Chronique

abrégée de Bourgogne [Titre complet : Aulcunes croniques et traities d’aulcuns anciens registres et autres enseignements d’anciens roix princes et plusieurs saintes personnes issus de la tres noble et anchienne maison de Bourgongne]

Londres, British Library, Yates Thompson 32, fol. 9v Pays-Bas méridionaux (Bruges ?), entre 1482 et 1486 Provenance : Philippe le Beau (?) ; Bibliothèque de Bourgogne jusqu’après 1746 (?) ; acheté en 1865 par Ambroise Firmin-Didot ; Librairie Damascène Morgand (1878) ; acheté en 1898 par Henry Yates Thompson (1838-1928) ; légué au British Museum en 1941 par sa veuve. Parchemin, 15 folios Reliure ancienne (après 1600) couverte de velours décoloré avec fermoirs partiels, ombilics et cornières. H. 23 ; L. 17 cm Ex-libris Firmin-Didot (Bibliotheca Ambrosii Firmini Didoti [intérieur du premier plat]) ; ex-libris Yates Thompson (avec l’inscription « XCVI / tre / Morgand / from Didot / April 1898 »). Bibliographie : Willy Marres, Onbekende afbeelding uit de 15e eeuw van de Sint-Servaaskerk te Maastricht nieuw ontdekt, De Maasgouw, 1971, p. 141-152 ; Aart J. J. Mekking, Het spel met toren en kapel. Bouwen pro en contra Bourgondië van Groningen tot Maastricht, Zutphen, 1992, p. 27-28 (ill. 22) ; Kren 2003, p. 296, note 16 ; Graeme Small, « Of Burgundian Dukes, Counts, Saints and Kings (14 c.e.-c.1500) », The Ideology of Burgundy. The Promotion of National Consciousness 1364-1565, Leyde-Boston, 2006, p. 169-170, 179 et 189 ; Hammer 2009, p. 136-137 ; Hanno Wijsman, Manuscripts and Printed Books in the Late Fifteenth and Early Sixteenth Century Low Countries, Turnhout, 2010, (Burgundica, XV), p. 28-30. Cette chronique, transmise par une cinquantaine de manuscrits des xve-xviie siècles, dont celui-ci est le seul illustré, rappelle et glorifie les racines profondes des territoires réunis au xve siècle par les ducs de Bourgogne dans l’ancien royaume des Burgondes. Pour ce faire, le texte présente d’une part la dynastie des rois puis ducs de Bourgogne depuis Trophime au ier siècle jusqu’à Philippe le Beau (1478-1506) et liste, d’autre part, une importante série de noms de saints

274 Clairvaux. L’aventure cistercienne

« bourguignons » qui seraient tous intimement liés à cette dynastie. Ce texte remonte aux recherches qu’un certain Hugues de Tolins a menées sous Philippe le Bon (1460-1461) afin de créer une chronique de Bourgogne, qu’il a dû produire, mais qui n’est pas conservée. La Chronique des rois, qui en est l’abrégé, fut conçue vers 1473 sous Charles le Téméraire et trouva une large dissémination entre 1477 et 1520 (Small 2006). Le manuscrit Yates Thompson 32 est datable en 1482-1486, car la mort de Marie de Bourgogne, survenue le 27 mars 1482, est mentionnée, tandis que son veuf Maximilien d’Autriche est appelé duc d’Autriche et non pas roi des Romains, ce qu’il devint le 9 avril 1486. Les onze miniatures sont attribuables au Maître des têtes triviales, actif à Bruges dans le sillage du Maître d’Édouard IV (Kren 2003, p. 296, note 16). Il est probable que le manuscrit fut conçu pour Philippe le Beau pendant la période où les villes et nobles de Flandre élevaient ce jeune prince à Gand, contre la volonté de son père, entre le 5 janvier 1483 et le 14 juin 1485 (Wijsman 2010, p. 29). La miniature du fol. 9v illustre le passage « Saint Bernard, chapellain de la Vierge Marie, descendy de la maison des roix de Bourgongne et depar luy sont fondees espirituelement xviiic [1800] abbayes de l’ordre dez Citeaul et commença a faire ses fondations l’an mil iiiixx xviii [1098] ». Il a souvent été avancé (dernièrement par Hammer 2009, p. 136) que nous voyons ici saint Bernard devant son église, c’est-à-dire Clairvaux. Il est toutefois à remarquer que Clairvaux n’est pas mentionné dans le texte où saint Bernard est seulement présenté comme rejeton de la dynastie de Bourgogne et fondateur spirituel de l’ordre de Cîteaux. Comme démontré par Marres 1971 et Mekking 1992, l’église en arrière-plan n’a rien de cistercien et est une image fidèle de SaintServais de Maastricht. On reconnaît les tours et le chevet oriental, ainsi que la chapelle royale, de style gothique, financée par Louis XI et érigée entre 1461 et 1480, transformée en portique dans la miniature. Le choix surprenant de cette église s’explique par le caractère propagandiste du manuscrit et par le contexte des luttes pour le pouvoir entre France et Bourgogne-Habsbourg, dans lesquelles l’évêché de Liège et l’église Saint-Servais de Maastricht figuraient au centre des revendications. La miniature crée un parallèle entre la collégiale Saint-Servais, qui réclamait un statut d’immédiateté impériale et qui fut un centre ancien de l’Empire lotharingien, et l’abbatiale de Cîteaux, sépulture des ducs de Bourgogne aux xiie-xive siècles. H.W.


Notices 275


292 Clairvaux. L’aventure cistercienne


11 Crosseron dit de saint Bernard Abbaye Notre-Dame de Bellefontaine Italie (Italie du Sud ? Sicile ?), première moitié du xiie s. Provenance : trésor de l’abbaye de Clairvaux Ivoire, cuivre doré H. 27 ; L. 17 cm Inscription : SUMMITAS BACULI PASTORALIS S[anc]TI BERNARDI ABB[atis] ET ECCLESIAE DOCTORIS Bibliographie : Dom Renon 1864 ; Berthier 1990. Expositions : Dijon 1953, no 232 ; Nantes 1980, no 108 ; Paris 1990, no 10. Ce crosseron d’ivoire provient d’une crosse qui passe pour avoir appartenu à Bernard de C ­ lairvaux : dom Louis-Marie Rocourt, le dernier abbé de Clairvaux, mentionne dans l’authentique rédigé le 20 avril 1823 le « haut d’une petite crosse qui avait été à l’usage de saint Bernard » ; il précise que cet objet « a été conservé depuis ce temps dans le trésor de l’abbaye de Clairvaux » et explique qu’avant la mise sous séquestre du trésor par le gouvernement, lors de la dissolution de l’abbaye à la Révolution, la relique a été recueillie par un religieux qui la lui a remise, « pour la transmettre à monsieur l’abbé de la Trappe » : l’objet fut ainsi donné en 1823 à dom Augustin de Lestrange, fondateur de l’abbaye de Bellefontaine, par l’intermédiaire de « monsieur l’abbé Girardin demeurant à Bar-sur-Aube ». L’objet se compose d’une douille, d’un nœud et d’une volute en ivoire. La douille et le nœud sphérique, légèrement aplati, sont dépourvus de décor, tandis que la volute simple à pans coupés se termine par une tête de dragon, peut-être une adjonction moderne remplaçant une tête plus ancienne. Quatre trous de fixation à l’intérieur de la volute laissent supposer qu’elle s’ornait d’un motif central, aujourd’hui disparu. Le crosseron est enrichi de six bagues de cuivre doré, bordées de motifs perlés, foliacés ou géométriques, en partie liées à des restaurations, et d’une chaînette qui semble une addition postérieure. De même, l’inscription de la bague inférieure se réfère à saint Bernard comme docteur de l’Église alors qu’il n’a reçu ce titre qu’en 1830. L’objet semble appartenir à un type de crosses très répandu à l’époque romane : celui des « crosses au serpent », dites aussi « crosses au dragon ». Symbole du mal, le reptile rappelle la mission de lutte contre le péché qui incombe au détenteur

de l’insigne de dignité abbatiale (ou épiscopale) qu’est la crosse. De nombreux exemplaires de ce type ont été conservés, qu’il s’agisse de crosses en ivoire ou en métal précieux (crosse dite de Robert de Molesme, crosseron attribué à Guillaume de Joinville, cat. 2 et 51). Quand la volute comporte un seul enroulement, l’intérieur est généralement habité : l’Agneau de Dieu combattant le dragon apparaît fréquemment (crosseron de Guillaume de Joinville, cat. 50 ; crosserons en ivoire du Louvre – OA 7267 – et du trésor d’Oignies à Namur – TO30). La volute des crosses d’ivoire au dragon peut abriter des motifs très variés : figures du bestiaire chrétien – aigle de saint Jean (Baltimore, Walters Art Museum) – ou du bestiaire profane – fauve attaquant une gazelle (trésor de la cathédrale de Vannes), faucon attaquant une gazelle (musée du Louvre) ; ces combats d’animaux, qui révèlent une influence islamique, peuvent évoquer la lutte du bien et du mal. Des scènes figurées plus élaborées s’insèrent parfois dans la volute : Annonciation (The Detroit Institute of Arts, scène incomplète), Adoration des Mages (crosse de Pontoise au musée de Cluny), Mise au tombeau (trésor de Saint-Trophime à Arles). Que représentait la scène manquante de la crosse de Bellefontaine ? Dom Renon (1864), se référant à la dévotion de saint Bernard à la Vierge, suggère l’hypothèse d’une Annonciation, d’un Couronnement de la Vierge ou d’une Vierge-Mère écrasant le dragon tentateur. Les formes du nœud sphérique et de la volute à pans coupés du crosseron de Bellefontaine sont conformes à celles des crosses représentées sur les plus anciennes miniatures figurant saint Bernard. Il relève d’un type de crosses en ivoire à volute à pans coupés, souvent terminée par une tête de serpentdragon, bien attesté au xiie et dans la première moitié du xiiie siècle. Nombre de ces crosses ont été fabriquées en Sicile et en Italie du Sud (ateliers dits « siculo-arabes »), mais aussi, pour les plus tardives, à Venise et en Italie centrale et septentrionale. La crosse dite de saint Bernard présente des similitudes avec les exemplaires italiens du xiie siècle, en particulier ceux d’Italie méridionale et de Sicile. Les échanges entre Italie méridionale et Bourgogne, ainsi que la rapide diffusion européenne de l’ordre cistercien, peuvent expliquer la présence dans l’abbaye de Clairvaux d’une pièce de production italienne, marquée par des influences islamiques. Le profil du crosseron incite à le placer dans la première moitié du siècle, ce qui concorderait bien avec les dates de Bernard, mort en 1153. C.D. Notices 293


328 Clairvaux. L’aventure cistercienne


25b Vincent de Beauvais, Miroir historial : La vénération des reliques de saint Bernard

La Haye, Koninklijke Bibliotheek, KB, KW 72 A 24, vol. 4, fol. 175 Paris, Maître de la Cité des Dames, v. 1400-1410 Traduit du latin par Jean de Vignay Provenance : acquis avant 1492 par Philippe de Clèves († 1528 ; écu aux armes) ; acheté en 1531 par Henri III, comte de Nassau († 1538) ; hérité par les princes d’Orange-Nassau ; emporté en 1795 à Paris par les Français ; restitué en 1816 à la Koninklijke Bibliotheek. Parchemin, 401 folios  H. 42,5 ; L. 32 cm Reliure du xviiie s. en cuir brun, dorée, avec armoiries du Stadtholder Guillaume V ; vingt miniatures ; initiales ornées Bibliographie : Anne Korteweg, « La bibliothèque de Philippe de Clèves : inventaire et manuscrits parvenus jusqu’à nous », Jelle Haemers, Céline Van Hoorebeeck et Hanno Wijsman dir., Entre la ville, la noblesse et l’État : Philippe de Clèves (1456-1528) homme politique et bibliophile, Turnhout, 2007, p. 183-221 ; Gabriel Hammer, Bernhard von Clairvaux in der Buchmalerei. Darstellungen des Zisterzienserabtes in Handschriften von 1135-1630, Regensburg, 2009 ; Elizabeth Morrison et Anne D. Hedeman, Imagining the Past in France. History in Manuscript Painting, 1250-1500, Los Angeles, 2010.

Œuvre à succès du Moyen Âge, le Miroir historial (Speculum naturale, doctrinale et historiale) a été composé par le dominicain Vincent de Beauvais († 1264) entre les années 1230 et le début des années 1260. Ce travail, commandé par l’ordre des Prêcheurs, est une compilation des connaissances et du savoir destinés à la formation des frères qui ne fréquentaient pas les universités. Traduit en langues vernaculaires – Jean de Vignay en assure la traduction française vers 1333 –, l’ouvrage a été largement diffusé en Europe jusqu’au xviie siècle. L’exemplaire conservé à La Haye est attribué au célèbre Maître de la Cité des Dames, un enlumineur actif à Paris dans les premières années du xve siècle, proche de Christine de Pisan. Avant 1492, le manuscrit est entre les mains de Philippe de Clèves (1456-1528), seigneur de Ravenstein, un homme de guerre élevé à la cour de Bourgogne qui fut au service de Maximilien de Habsbourg, puis des rois de France Charles VIII et Louis XII. Le Speculum historiale, qui déroule l’histoire du monde depuis l’expulsion d’Adam et Ève du paradis jusqu’au milieu du xiiie siècle, s’appuie sur le Chronicon d’Hélinand, moine de Froidmont, une petite-fille de Clairvaux. Vincent de Beauvais, proche de Louis IX, est lui-même en relation avec le milieu cistercien puisqu’il a été lector à Royaumont. Lorsqu’il insère dans son récit un grand légendier de plus de cinq cents vies de saints, il ne peut donc omettre la figure de saint Bernard. Cette miniature illustre le culte rendu au fondateur de leur abbaye par les moines de Clairvaux à son décès et surtout après sa canonisation en 1174. Le corps du saint fut transféré quatre ans plus tard dans une tombe située derrière le maître-autel du chœur. On en profita alors pour y prélever quelques fragments, présentés à la vénération des frères à l’intérieur de châssesreliquaires sur des autels dédiés, comme en atteste le plus ancien inventaire du trésor de Clairvaux. A.B.

Notices 329


26b Messe pour la fête de saint Bernard Paris, Bibl. nat. France, ms. lat. 1142, fol. 1 Milan, v. 1370-1375 Provenance : Pavie, bibliothèque des ducs de Milan Parchemin, 12 folios H. 22,5 ; L. 18,5 cm Reliure moderne, gardes de papier. Foliotation moderne à l’encre. Une belle décoration de style italien comporte deux peintures aux fol. 1 et 6 et une grande initiale au fol. 7. Bibliographie : Philippe Lauer, Bibliothèque nationale. Catalogue général des manuscrits latins, t. I, Paris, 1939, p. 417 ; Élisabeth Pellegrin, La Bibliothèque des Visconti et des Sforza, ducs de Milan, au xve siècle, Paris, 1955, A 273 et B 303 ; Marichal 1962, p. 463 ; François Avril et Marie-Thérèse Gousset, Manuscrits enluminés d’origine italienne, t. 3, xive siècle, vol. 1, avec la collaboration de Jean-Pierre Aniel, LombardieLigurie, Paris, no 28, pl. 51-52. Exposition : Paris 1984, no 81. Ce manuscrit provient de la bibliothèque des ducs de Milan installés à Pavie. Selon François Avril et Marie-Thérèse Gousset, le commanditaire, représenté au fol. 1, pourrait être Bernabo Visconti († 1385), qui portait une dévotion particulière à saint Antoine, ici représenté. Le volume passe ensuite en France à la Libraire royale de Blois dont il porte les cotes.

332 Clairvaux. L’aventure cistercienne

Le livret comporte au fol. 1 le formulaire d’une messe dans le rite ambrosien en l’honneur de saint Bernard (In festivitate sancti Bernardi ad missam). Sur les quatre chants de ce formulaire, trois – Ingressa, Psalmelus, Alleluia – sont présents pour d’autres saints dans le manuscrit noté ambrosien contemporain provenant de Muggiasca (Milan, Museo Diocesano) ; seul le chant de l’offertoire ne s’y trouve pas, mais il s’agit d’un chant original construit sur un sermon de saint Bernard. Les oraisons sont absentes du Corpus orationum de Möller, sauf celles du canon de la messe, qui emprunte à plusieurs formulaires. Le manuscrit est orné de trois miniatures : – au fol. 1, saint Barnabé, aux plaies apparentes, présente à la Vierge avec l’Enfant sur les genoux, un prince agenouillé ; à la droite de ce prince, saint Bernard tient sa crosse et pose sa main gauche sur la tête de ce dernier ; derrière celui-ci saint Antoine, ermite. Dans l’encadrement de la page, des tiges d’acanthes enserrent, dans la partie inférieure, les armes des Visconti. – au fol. 6, en pleine page, précédant la prière du canon Te igitur, une Crucifixion sur fond d’azur. – au fol. 7, en tête du canon, une grande initiale filigranée avec des rinceaux. Ces peintures constituent une « œuvre très représentative de l’enluminure lombarde du troisième quart du xive siècle, par un artiste désigné sous le nom de Maître de l’Office de saint Bernard » (Avril 2005, no 28). C.M.


Notices 333


78 Croix-reliquaire de la Vraie Croix Saint-Omer, musée de l’hôtel Sandelin (dépôt de la confrérie Notre-Dame-desMiracles en 1979), inv. D 30 Nord de la France (Clairmarais ou SaintOmer ?), v. 1210-1220 Provenance : abbaye de Clairmarais Argent gravé, ciselé et doré sur âme de bois, nielles, filigranes, gemmes, émaux cloisonnés H. 65,2 ; L. 34,4 ; Ép. 2,9 cm Inscription : A + ω ego sum A ω principium et finis ; + sancta maria ; + iohannes apostelus [sic] ; + iohannes apostolus ; + marcus evvangelista ; + lucas evvangelista ; + matheus apostolus Bibliographie : Deschamps de Pas 1854 ; Van Drival 1877 ; Jean Lestocquoy, « Sculptures et orfèvreries du xiiie au xvie siècle conservées en Artois », Bulletin de la Commission départementale des monuments historiques du Pas-de-Calais, 2e série, t. VI, 1938, p. 337-381 ; Paul Thoby, Les Crucifix des origines au concile de Trente, Paris, 1959, no 239 ; Anatole Frolow, La Relique de la Vraie Croix. Recherches sur le développement d’un culte, Paris, 1961 (Archives de l’Orient chrétien, 7), no 519 ; Yves Bourel, Chefs-d’œuvre du musée de l’hôtel Sandelin, Saint-Omer, 2004, no 79, p. 186-189. Expositions : Arras 1896, no 2478 ; Saint-Omer 1992, no 2 ; Namur 2003, p. 354-355 ; ParisSaint-Omer 2013, no 89. Cette grande croix provient de l’abbaye cistercienne de Clairmarais, près de Saint-Omer, où elle est décrite en 1748 par dom Bertin de ­Vissery dans son ouvrage Histoire chronologique de l’ancienne et célèbre abbaye de Clairmarais (B.A.S.O. ms. 850, I, p. 409 sq.). Elle se trouvait alors dans la « trésorerie » et était exposée le vendredi. Lors de la suppression en 1791 de l’abbaye (détruite en 1802), la croix fut conservée par le dernier abbé, puis

440 Clairvaux. L’aventure cistercienne

vendue par ses héritiers à M. Lefèvre-Hermand, de Saint-Omer, qui la donna à la confrérie NotreDame-des-Miracles. Elle fait partie d’un ensemble de croix staurothèques réalisées dans le nord de la France et en région mosane dans la première moitié du xiiie siècle. Ces croix se sont multipliées avec l’afflux en Europe de parcelles du bois de la croix du Christ, dû aux relations diplomatiques avec l’Empire byzantin et aux croisades, surtout à la quatrième qui aboutit à la prise de Constantinople en 1204. Plusieurs exemplaires ont été exécutés pour des abbayes cisterciennes – notamment Bonnefontaine, le Paraclet, Oisy-le-Verger –, lesquelles ont peut-être contribué à la diffusion de ces croix staurothèques. Comme nombre de ces croix, celle de Clairmarais adopte une forme à double traverse, d’origine byzantine, et oppose un avers aniconique filigrané et gemmé à un revers figuré. Le programme iconographique, très complet et tout à fait classique, associe, dans un décor végétal symbolisant l’arbre de vie, des figures ciselées (Christ en croix, Christ du Jugement) et des médaillons niellés (Vierge, saint Jean, évangélistes). L’œuvre est un des plus beaux exemples de croix staurothèques, par son double réseau ajouré de filigranes, par le raffinement des figures niellées et du Christ au long périzonium. Le décor végétal naturaliste et les drapés souples all’antiqua se rattachent au style 1200, dans la diffusion duquel l’abbaye de Clairmarais semble avoir joué un rôle important (Taburet-Delahaye 1992). Exécutée pour Clairmarais, l’œuvre l’a peut-être été à Clairmarais même ou dans la puissante abbaye bénédictine Saint-Bertin de Saint-Omer. Le rapprochement avec des manuscrits enluminés à Clairmarais ou à Saint-Bertin pour Clairmarais, comme les Œuvres de Papias (cat. 70b) et les Traités d’Hugues de Fouilloy (B.A.S.O. ms. 94), permet d’affiner la datation de la croix autour des années 1210-1220, dans une période de prospérité de l’abbaye commanditaire. C.D.


Notices 441


91a Perspective sud de l’abbaye de

Clairvaux

Troyes, M.G.T., Carteron 1, vue 3 Provenance : abbaye de Clairvaux et coll. Carteron Estampe, papier chiffon H. 66,6 ; L. 95,9/96,4 cm Archicoenobii Claraevallensis ad meridiem prospectus tab. 3a Cartouche central : dédicace à Pierre Bouchu, abbé de Clairvaux, et C. Simonneau fec Coin supérieur droit : cachet de la bibliothèque de Troyes et chiffre romain, III, à l’encre Coin inférieur gauche : F.N. Milley delineavit ; coin inférieur droit : C. Lucas D.S. Sculpsit 1708 Légende en latin no 1-87

91b Plan au sol de l’abbaye de Clairvaux en 1708

Troyes, M.G.T., Carteron 1, vue 5 Provenance : abbaye de Clairvaux et coll. Carteron Estampe, papier chiffon H. 77,2 ; L. 49,8/48,6 cm Archicoenobii Claraevallensis iconographia tab.1a Coin supérieur gauche : cachet de la bibliothèque de Troyes Coin supérieur droit : cachet de la bibliothèque de Troyes et chiffre romain, V, à l’encre Coin inférieur gauche : F.N. Milley delineavit ; coin inférieur droit : C. Lucas D.S. Sculpsit 1708 Échelle en pieds : 1 à 100 ; échelle en toises dans le médaillon représentant la grange d’Outre-Aube Légende en latin no 1-80 Sources : catalogue M.G.T., nos 1208 et 1210. Bibliographie : Guignard 1860, col. 1763-1764 ; Eugène Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du xie au xvie siècle, t. I, Paris, 1867, p. 265-269 ; Aubert-Maillé 1947, t. 1, p. 3, 9, 11 et 182. Exposition : Paris 1990, p. 215.

468 Clairvaux. L’aventure cistercienne


Notices 469


cat. 101 484 Clairvaux. L’aventure cistercienne


101 Graduel-vespéral à l’usage de

Clairvaux

Bar-sur-Aube, Médiathèque Albert-Gabriel, non coté, fol. 101v. (Pâques) et fol. 187 (fête de saint Benoît) Provenance : abbaye de Clairvaux (v. 1740) Parchemin, 252 folios, ordonnés en 32 binions H. 68,1 ; L. 50 cm Ais de bois couverts de cuir rouge orné de filets, huit nerfs, deux tranchefiles de cuir blanc refaites. Sur chaque plat un grand boulon central, des coins et deux fermoirs en cuivre. Notation musicale rhomboïde, avec clés d’ut et de fa, guidons, barres de monnayage et bémols, six portées musicales par page. La décoration est abondante ; elle comporte : – des pleines pages non numérotées qui illustrent le titre, Graduale et antiphonale ecclesiae claraevallis in solemnitatibus festisque sermonum ; Noël [fol. 8v] ; Pâques [fol. 101v] ; la Pentecôte [fol. 132v] ; l’Annonciation [fol. 214v] ; – des encadrements de pleines pages, pour les fêtes de Noël [fol. 9] ; la Circoncision [fol. 37] ; l’Épiphanie [fol. 47] ; les Rameaux [fol. 63] ; le Jeudi saint [fol. 89] ; Pâques [fol. 102] ; l’Ascension [fol. 114] ; la Pentecôte [fol. 133] ; la Conception de la Vierge [fol. 151] ; la Purification de la Vierge [fol. 167] ; la fête de saint Benoît [fol. 187] ; l’Annonciation [fol. 215] ; – de très nombreuses initiales ornées de représentations architecturales. Classé M.H. le 24/01/1964 Bibliographie : Decrock 2002, IM10010626 ; Philippe Palasi, Armorial historique et monumental de l’Aube (xiiie-xixe s.), 2 vol., Chaumont, 2008. Conçu pour l’abbaye de Clairvaux dans la première moitié du xviiie siècle, ce volume est un graduel-vespéral : il donne les chants du propre de la messe et de tierce – un office bref qui précède immédiatement la messe – ainsi que ceux des premières et deuxièmes vêpres. Il comporte les grandes fêtes du temporal et un sanctoral bref, un peu curieux, avec les fêtes mariales, ce qui est normal puisque les églises cisterciennes sont placées sous le patronage de Marie, mais seulement trois d’entre elles : la

486 Clairvaux. L’aventure cistercienne

Purification (2 février), l’Annonciation (25 mars) et la Conception (8 décembre). L’Assomption (15 août) n’est pas mentionnée, non plus que la Naissance (8 septembre), alors que la fête de la Conception, d’institution plus récente (1356 pour l’ordre cistercien), est présente. Par ailleurs, outre la Vierge, le sanctoral ne comporte qu’un seul saint, Benoît (21 mars), patron de tous les moines, mais aucun personnage cistercien, notamment le fondateur de Clairvaux. Le manuscrit possède les armoiries de deux abbés qui se sont succédé à la tête de l’abbaye : – Robert Gassot du Deffend (1718-1740 ; cat. 85 et ill. 160). Blason sur la page de titre : « d’azur au chevron d’or accompagné de trois roses du même » ; – Pierre Mayeur (1740-1761 ; ill. 69). Blason au fol. 214v, au bas de la pleine page illustrant l’Annonciation : « écartelé, aux 1 et 4 d’azur, à la fasce d’argent chargée de trois étoiles d’or, accompagnée en chef d’un soleil (Mayeur) ; aux 2 et 3 d’azur à la bande de gueules chargée d’une cotice d’argent potencée et contrepotencée d’or ; sur le tout de sable à une bande échiquetée de gueules et d’argent de deux tires (Clairvaux) ». En outre, dans les marges latérales de ce même fol. 214v, deux petits blasons : – à gauche : « d’azur à trois fleurs de lis d’or » ; – à droite : « écartelé, aux 1 et 4 d’azur aux trois lis d’or ; aux 2 et 3 d’or au bar d’azur ». C.M.


109 Portrait de saint Bernard ou

Vera effigies

Troyes, trésor de la cathédrale Fin du xvie ou première moitié du xviie s. Provenance : abbaye de Clairvaux, grande salle du logis abbatial Huile sur bois, support composé de trois planches verticales assemblées H. 72,5 ; L. 55 cm (panneau) Inscription : Sanctus Bernardus primus abbas archicaenobii Clarevallis Classé M.H. le 04/12/1991 Bibliographie : Assier 1866, p. 24 ; Quarré 1953, p. 342-349 ; Marsat 1974-1977, p. 34-35 ; Schmitt 1990, p. 149-163 ; Hany-Longuespé 2005, p. 204. Exposition : Paris 1990, no 225, p. 282. Ce portrait de saint Bernard, peint à la fin du xvie ou au début du xviie siècle, faisait partie du même ensemble que celui de Gonario II (cat. 17) qui décorait primitivement les murs de la salle du logis abbatial de Clairvaux : même type de portrait inscrit dans un cadre ovale en trompe l’œil (le faux marbre a dû être masqué dans le cas de saint Bernard) ; même hauteur de cet ovale (67 cm pour saint Bernard, 68 cm pour

500 Clairvaux. L’aventure cistercienne

Gonario). Contrairement à celui de Gonario, et pareillement aux autres portraits conservés de l’ensemble, son cadre a été refait et l’inscription du cadre reportée sur le tableau, sans doute au xviiie siècle pour être présenté d’une autre façon dans le nouveau logis de l’abbé. Lors d’une vente révolutionnaire, ce portrait fut acquis par un curé du voisinage, puis transmis d’oncles à neveux au chanoine Cheurlin qui l’offrit en 1919 au trésor de la cathédrale de Troyes. Les commissaires de l’exposition de 1990 sur saint Bernard ont noté la similitude entre ce portrait et un Saint Bernard écrivant, gravure d’André Thévet de 1584. Le rendu du visage concorde avec la description à la fois physique et morale faite au xiie siècle par son secrétaire et biographe, Geoffroy d’Auxerre. La source première de ce portrait serait un buste-reliquaire en argent, réalisé entre 1330 et 1348 sous l’abbatiat de Jean d’Aizanville. On le justifie par le fait que, lors de sa visite à l’abbaye de Clairvaux en 1667, Joseph Meglinger, religieux de Wettingen, fut frappé de la parfaite adéquation entre ce buste, détruit à la Révolution, et l’image littéraire de Geoffroy d’Auxerre. En revanche nous ne connaissons pas le rapport qu’il pouvait y avoir entre ce tableau et la figure de saint Bernard qui ornait antérieurement la salle du logis abbatial, la description de 1517 le plaçant en tête de la série des abbés. B.D.


Notices 501


116 Saint Bernard, fondateur de

Clairvaux

Bar-sur-Aube, Médiathèque Albert-Gabriel Bourgogne, milieu du xve s. Provenance : abbaye de Clairvaux, tombeau de saint Bernard (?) Statue, calcaire avec traces de polychromie H. 78,5 ; L. 32 ; Pr. 25 cm Classé M.H. le 23/04/1981 Bibliographie : Quarré 1954, p. 344 ; Jacques Baudoin, La Sculpture flamboyante : Champagne Lorraine, Nonette, 1990, p. 85 ; Decrock 2002, IM10010610 ; Jacques Baudoin, Grand Livre des saints : culte et iconographie en Occident, Nonette, 2006, p. 132. Expositions : Dijon 1953, no 198 ; QuébecMontréal 1972-1973, no 61 ; Paris 1990, no 202. Vêtu de la coule et la tête couverte du capuchon, saint Bernard porte la crosse de la main droite et, dans la gauche, un modèle d’église qui est une allusion explicite à la fondation de l’abbaye de Clairvaux. Cette statue a souvent rendu schizophrène les historiens d’art qui se sont intéressés à elle et dont les datations ont ponctuellement alterné entre les alentours de 1300 et le milieu du xve siècle. De fait, quelques caractéristiques semblent orienter vers la datation la plus ancienne : la sobriété de la figure et des drapés, avec cette importance donnée à quelques rares plis verticaux ; le dessin en amande des yeux, presque aussi étirés que ceux de la Vierge de Bayel, datable des environs de 1300. D’autres caractéristiques orientent à l’inverse vers le milieu du xve siècle. Il s’agit de la monumentalité et des qualités morales spécifiques que donnent au personnage la présentation et le traitement particuliers de la coule. Le vêtement communique au sujet de l’ampleur, et non seulement dans un registre physique, mais aussi sur un plan beaucoup plus immatériel, avec la suggestion de l’esprit et de la personnalité de l’abbé fondateur. Cette ampleur et cet ennoblissement par le vêtement sont caractéristiques de la sculpture bourguignonne du xve siècle, héritière – en matière d’éloquence des drapés – de la leçon magistrale que Claus de Werve et son atelier donnèrent à leurs contemporains avec les spectaculaires pleurants processionnaires du Tombeau de Philippe le Hardi, réalisés entre 1406 et 14101. Deux particularités de l’œuvre méritent une attention spécifique, et tout d’abord la présence, dans

514 Clairvaux. L’aventure cistercienne

le fond du modèle d’église – plus exactement sur la face intérieure de ce qui correspondrait au long mur nord –, de petites cavités de section circulaire pareilles à celles dans lesquelles s’encastreraient des émaux ou des pastilles de verre, mais également semblables à celles que l’on creuserait pour rendre plus efficace la matière adhésive d’un élément décoratif unique et large. Dans l’un ou l’autre cas de figure, ces inclusions – de divers éléments ou de points de colle d’un seul et même élément – visaient sans doute à accroître la qualité décorative de l’attribut comme aussi sa valeur illusionniste (« imitation » de vitraux ?). La seconde particularité digne d’intérêt est passée jusqu’alors quasi inaperçue, et ce, en raison de l’erreur de lecture et de compréhension du visage induite par la polychromie la plus récente. À bien regarder celui-ci, on constate le léger relief d’une barbe en collier – un relief qui est comme gommé par les coups de pinceau d’un « restaurateur » ayant étendu la couleur chair du visage à cette zone poilue originellement de même teinte que celle des sourcils et des mèches. Comme toutes les autres représentations connues du saint, la statue est conforme à la tradition de la vera effigies ad vivum (cat. 109) – une tradition qui, dans le cas de Bernard de Clairvaux, a peut-être été favorisée par un possible masque mortuaire aujourd’hui perdu, et qui, assurément, a été légitimée par la description physique du personnage donnée par son biographe, Geoffroy d’Auxerre. L’histoire récente de cette statue est assez mouvementée : conservée dans un oratoire de Bar-surAube, en l’occurrence celui du Pont d’Aube, jusqu’à la destruction de ce dernier en 1940, elle trouva une place provisoire dans le Jardin des fleurs (actuellement école Sainte-Thérèse) entre 1940 et 1945, puis à l’hôtel de ville, avant d’être destinée à la médiathèque. Pierre Quarré a remarqué que cette sculpture était conforme au type de la statue qui surmontait le tombeau de saint Bernard à Clairvaux. Toutefois, comme il le concède lui-même et comme permet d’en juger la gravure des Acta sanctorum (t. 38, p. 354) sur laquelle il se base, l’association ne peut aller audelà du constat d’une identité de type. V.B. 1. Véronique Boucherat, « Nouveaux éclairages sur l’œuvre de Claus de Werve », dans L’Art à la cour de Bourgogne. Le mécénat de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur, Les Princes des fleurs de lis (musée des Beaux-Arts de Dijon, 28 mai-15 septembre 2004 ; The Cleveland Museum of Art, 24 octobre 2004-9 janvier 2005), Dijon, 2004, p. 317-328  ; «  Pleurant  », Dictionnaire d’histoire de l’art du Moyen Âge occidental, Pascale Charron et JeanMarie Guillouët (dir.), Paris, 2009, p. 748-749.


Notices 515



Annexes


Chronologie 1090 Naissance de Bernard à Fontaine-lès-Dijon.

1119 (23 décembre) Confirmation de la Charte de charité.

1098 Fondation de l’abbaye de Cîteaux par Robert, abbé de Molesme.

1120 Fondation de l’ordre du Temple par Hugues de Payns.

1109-1133 Abbatiat d’Étienne Harding à Cîteaux. 1111 Décès de Robert, abbé de Molesme. 1113 Bernard entre à l’abbaye de Cîteaux en compagnie de plusieurs membres de sa parenté. Fondation de l’abbaye de La Ferté, première fille de Cîteaux. 1114 Rédaction de la Charte de charité sous l’abbatiat d’Étienne Harding. Fondation de l’abbaye de Pontigny, deuxième fille de Cîteaux. 1115 (juin) Fondation de l’abbaye de Clairvaux, troisième fille de Cîteaux, sur une terre donnée par Josbert le Roux. 1115-1135 Construction de Clairvaux I (Monasterium Vetus). 1117 Fondation de l’abbaye de Morimond, quatrième fille de Cîteaux. 1118-1121 Fondation des premières filles de Clairvaux : Trois-Fontaines, au diocèse de Châlons (1118) ; Fontenay, au diocèse d’Autun (1119) ; Foigny, au diocèse de Laon (1121).

530 Clairvaux. L’aventure cistercienne

1121 Clairvaux obtient le privilège d’immunité. 1127-1128 Bernard rédige l’Éloge de la nouvelle chevalerie. 1129 (13 janvier) Le concile de Troyes approuve la règle de l’ordre du Temple. 1130 Début du schisme d’Anaclet. Passage du pape Innocent II à Clairvaux en 1131. 1135 Début de la construction de Clairvaux II, à 400 mètres à l’est du site d’origine. L’abbaye compte alors 200 moines et 300 convers. Les travaux sont financés par le comte Thibaud II de Champagne, le roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt (toiture) et divers dons. Début des Sermons sur le Cantique des cantiques. 1139 Fin du schisme d’Anaclet. Vers 1140 Naissance du style monochrome à Clairvaux. 1140 (mai-juin) Condamnation d’Abélard au concile de Sens. Fondation de l’abbaye de Clairmarais. 1145 Bernard prêche à Toulouse et Albi contre l’hérésie d’Henri de Lausanne.


1146 (31 mars) Bernard prêche la deuxième croisade à Vézelay.

1162 Fondation de l’abbaye de Sorø au Danemark.

1147 Affiliation de l’ordre de Savigny à l’ordre de Cîteaux.

1174 (18 janvier) Canonisation de Bernard.

1148 Bernardo Paganelli di Montemagno, ancien moine de Clairvaux, est élu pape sous le nom d’Eugène III. Bernard lui dédie son De consideratione. Fondation de l’abbaye d’Alcobaça au Portugal. Décès de Malachie Ua Morgair.

1174 (13 octobre) Bénédiction de l’église du nouveau monastère dédiée à la Vierge.

1151 Grande Bible dite de saint Bernard. 1152 L’ordre de Cîteaux compte 338 abbayes d’hommes. 1153 (20 août) Mort de Bernard. 888 actes de profession sont retrouvés dans sa cellule. L’abbaye compte alors 167 monastères affiliés. 1157 Consécration de la première chapelle du nouveau chevet de l’église.

1178 Les reliques de saint Bernard sont disposées au fond du chœur de l’église, derrière le maître-autel. 1245 Étienne de Lexington fonde le Collège des Bernardins à Paris. 1258 Marguerite de Bourbon, comtesse de Champagne et reine de Navarre, est la première laïque à être inhumée dans le chœur de l’abbatiale. 1270 Isabelle de France, comtesse de Champagne et reine de Navarre, fille de saint Louis, est inhumée dans le chœur de l’abbatiale.

Fig. 149 Ensemble de statuettes de prophètes et d’apôtres provenant de Clairvaux. Orme (xvie s.). Abbaye de Cîteaux

Chronologie 531


Liste des abbés de Clairvaux Bernard (saint), 1115-1153 Robert de Bruges (saint), 1153-1157 Fastrède, 1161-1162 Geoffroy d’Auxerre, 1162-1165 Pons de Polignac, 1165-1170 Gérard, 1170-1176 Henri de Marcy, 1176-1179 Pierre le Borgne, 1179-1186 Garnier de Rochefort, 1186-1193 Guy, 1193-1214 Conrad d’Urach, 1214-1217 Guillaume, 1217-1221 Robert, 1221-1223 Laurent, 1223-1224 Raoul de La Roche-Aymon, 1224-1233

Fig. 150 Portrait d’Henri de Marcy, abbé de Clairvaux (1176-1179). Huile sur bois (xvie s.). Troyes, trésor de la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul

534 Clairvaux. L’aventure cistercienne

Dreux de Grandmont, 1233-1235 Évrard, 1235-1238 Guillaume de Dongelberg, 1238-1243 Étienne de Lexington, 1243-1255 Jean, 1257-1261 Philippe, 1262-1273 Bovon, 1273-1280 Thibaud de Sancey, 1281-1284 Gérard, 1284-1286 Jean de La Prée, 1286-1291 Jean de Sancey, 1291-1312 Guillaume, 1312-1313 Conrad de Metz, 1313-1316 Mathieu d’Aumelle, 1316-1330 Jean d’Aizanville, 1330-1345

Fig. 151 Portrait de Garnier de Rochefort, abbé de Clairvaux (1186-1193). Huile sur toile (xvie s.). Abbaye de Cîteaux

Fig. 152 Portrait de Conrad d’Urach, abbé de Clairvaux (1214-1217). Huile sur toile (xvie s.). Abbaye de Cîteaux


Liste des abbayes d’hommes de la filiation de Clairvaux Cette liste a été établie d’après les travaux de Janauschek 1877

A Abbeydorney (1154, Irlande), Nenay. Abbeylara (1214, Irlande), Saint Mary. Abbeyleix (1184, Irlande), Baltinglass. Abbington (1206, Irlande), Furness. Aberconway (1186, Grande-Bretagne), Strata Florida. Abraham (1263, Hongrie), Pilis. Acibeiro (1225, Espagne). Acey (1136, France), Cherlieu. Acquaformosa (1197, Italie), Sambucina. Aduard (1192, Pays-Bas), Klaarkamp. Aguiar (1165, Portugal). Águias (1170, Portugal), Tarouca. Alcobaça (1148, Portugal). Almaziva (1221, Portugal), Alcobaça. Altofonte (1307, Italie), Santes Creus. Alvastra (1143, Suède). Arabona (1209, Italie), Tre Fontane. Armentera (1162, Espagne). Arnsburg (1174, Allemagne), Eberbach. As (1194, Suède), Soro. Astrath (1178, Irlande), Boyle. Aubepierre (1149, France), Les Pierres. Auberive (1137, France). Aulne (1147, Belgique). Aulps (1136, France).

B Balerne (1136, France). Balmerino (1229, Grande-Bretagne), Melrose. Baltinglass (1148, Irlande), Mellifont. Barbery (1176, France), Savigny. Basingwerk (1147, Grande-Bretagne), Savigny. Baudelo (1225, Belgique), Cambron. Beaubec (1147, France), Savigny. Beaulieu (1170, France), Cherlieu. Beaupré (1135, France), Ourscamp. Bebenhausen (1190, Allemagne), Schönau.

536 Clairvaux. L’aventure cistercienne

Bective (1147, Eire), Mellifont. Bélapátfalva (1232, Hongrie), Pilis. Belakut (1234, Croatie), Trois-Fontaines. Belleperche (1143, France). Belloc (1144, France). Benifaza (1235, Espagne), Poblet. Bénissons-Dieu (La) (1138, France). Bloemkamp (1191, Pays-Bas), Klaarkamp. Bohéries (1141, France), Foigny. Bois-Grosland (1201, France), Moreilles. Boissière (La) (1147, France), Savigny. Bonmont (1131, Suisse). Bonnecombe (1168, France), Candeil. Bonnefontaine (1154, France), Savigny. Boschaud (1163, France), Les Châtelliers. Boulancourt (1149, France). Bouro (1169, Portugal), Alcobaça. Boxley (1143, Grande-Bretagne). Boyle (1148, Irlande), Mellifont. Breuil-Benoît (1147, France), Savigny. Brondolo (1229, Italie), Chiaravalle della Colomba. Buckfast (1147, Grande-Bretagne), Savigny. Buckland (1278, Grande-Bretagne), Quarr. Buildwas (1147, Grande-Bretagne), Savigny. Buillon (1148, France), Balerne. Buonsollazzo (1321, Italie), Settimo. Buzay (1135, France).

C Cabuabbas (1149, Italie). Calder (1147, Grande-Bretagne), Furness. Calers (1148, France), Grandselve. Candeil (1152, France), Grandselve. Canonica Sancti Petri (1214, Italie), Fossanova. Capolago (1236, Italie), Chiaravalle. Casamari (1140, Italie). Casanova (1195, Italie), Tre Fontane. Cava (La) (1231, Italie), Cerreto.


Fig. 156 Abbaye de Fontfroide. La salle capitulaire (seconde moitié xiiedébut xiiie s.)

Liste des abbayes fondées par Clairvaux 537



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