LES PRATIQUES DE L'ÉCRIT DANS LES ABBAYES CISTERCIENNES (XIIe - milieu du XVIe siècle) (extrait)

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Dans la même collection Le Temps long de Clairvaux. Nouvelles recherches, nouvelles perspectives (xiie-xxie siècle) Actes du colloque international (Troyes et Clairvaux, 16-18 juin 2015), Arnaud Baudin et Alexis Grélois (dir.), Paris, 2016. L’Industrie cistercienne (xiie-xxie siècle) Actes du colloque international (Troyes, Clairvaux et Fontenay, 1er-5 septembre 2015), Arnaud Baudin, Paul Benoit, Joséphine Rouillard et Benoît Rouzeau (dir.), Paris, 2017.

Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coordination et suivi éditorial : Marie-Astrid Pourchet, assistée de Pauline Désert, Gabrielle Schmid et Caroline Puleo Contribution éditoriale : Sandra Pizzo Traductions : Jonathan et David Michaelson Conception graphique : Carine Simon Cartographies : Thierry Renard Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros

ISBN Somogy éditions d’art : 978-2-7572-1136-6 Dépôt légal : novembre 2016 Imprimé en République tchèque (Union européenne) © Somogy éditions d’art, Paris, 2016 © Conseil départemental de l’Aube, 2016

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Sous la direction d’Arnaud Baudin et Laurent Morelle

LES PRATIQUES DE L’ÉCRIT DANS LES ABBAYES CISTERCIENNES (xiie – milieu du xvie siècle) Produire, échanger, contrôler, conserver

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MEMBRES DU COMITÉ SCIENTIFIQUE ET LISTE DES INTERVENANTS ❙❙Comité scientifique

❙❙Les auteurs

Laurent Morelle Président du comité scientifique, Directeur d’études à l’École pratique des hautes études

Richard Allen University of Oxford, St Peter’s College / Faculty of History

Arnaud Baudin Directeur adjoint des Archives et du Patrimoine de l’Aube

Maria do Rosário Barbosa Morujão Universidade de Coimbra, Faculdade de Letras / Centro de História da Sociedade e da Cultura

Ghislain Brunel Directeur des publics aux Archives nationales

Arnaud Baudin Direction des Archives et du Patrimoine de l’Aube / LAMOP (UMR 8589)

Patrick Demouy Professeur à l’université de Reims Champagne-Ardenne

Ghislain Baury Université du Maine / CERHIO (UMR 6258)

Marlène Helias-Baron Ingénieur de recherche à l’Institut de recherche et d’histoire des textes (CNRS)

Jean-Luc Benoit ArTeHiS (UMR 6298), programme CBMA Guido Cariboni Università Cattolica del Sacro Cuore, Milan

Jean-François Nieus Professeur à l’université de Namur

Éric Delaissé Université catholique de Louvain

Michel Parisse Professeur émérite de l’université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne

Hubert Flammarion CRULH (EA 3945)

Dominique Stutzmann Chargé de recherche à l’Institut de recherche et d’histoire des textes (CNRS), chargé de conférences à l’École pratique des hautes études Laurent Veyssière Conservateur général du patrimoine

Mathilde Geley Université Paris-Saclay / DYPAC (EA 2449) Stéphane Lamassé Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / LAMOP (UMR 8589) Laurent Morelle École pratique des hautes études / SAPRAT (EA 4116) Annick Peters-Custot Université de Nantes / CRHIA (EA 1163)

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❙❙Comité de relecture Jean-Baptiste Renault Université de Lorraine / CRULH (EA 3945)

Arnaud Baudin Marlène Helias-Baron Laurent Morelle

Thomas Roche Archives départementales de l’Eure / Université de Rouen (GRHIS et Faculté de Droit) Benoît Rouzeau Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne / LAMOP (UMR 8589) Chantal Senséby Université d’Orléans / POLEN (EA 4710) Michael Spence University of Leeds / Institute for Medieval Studies Ana Suárez González Universidade de Santiago de Compostela Benoît-Michel Tock Université de Strasbourg / ARCHE (EA 3400) Anne-Marie Turcan-Verkerk École pratique des hautes études / SAPRAT (EA 4116)

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Les organisateurs des colloques souhaitent exprimer en premier lieu leur plus profonde reconnaissance à l’ensemble des personnels de la Direction régionale des affaires culturelles de Champagne-Ardenne (actuelle Direction régionale des affaires culturelles Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine), représentés, en 2015, par la directrice, Mme Christine Richet. Ils remercient chaleureusement tous les mécènes qui leur ont fait confiance pour cette année de commémoration, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), la Fondation Agir en ChampagneBourgogne du Crédit agricole, M. Jean-Claude Vollot, propriétaire de l’abbaye d’Auberive, M. Hubert Aynard, propriétaire de l’abbaye de Fontenay, M. Philippe Robert, son directeur, ainsi que les maisons de champagne Fleury (Courteron) et Drappier (Urville), représentés par leurs directeurs MM. Jean-Pierre Fleury et Michel Drappier, dont le mécénat de compétence a agréablement accompagné ces journées d’échange. Ils adressent leurs plus vifs remerciements à tous les membres des comités scientifiques et expriment leur reconnaissance au professeur André Vauchez pour sa disponibilité et ses conseils tout au long des deux années de préparation. Leur gratitude est vive à l’endroit des équipes de la Maison centrale de Clairvaux, et plus particulièrement son directeur, M. Dominique Bruneau, et de celles de la Médiathèque du Grand Troyes qui ont accueilli les sessions du colloque consacré à l’industrie cistercienne, en particulier leur ancienne directrice, Mme Béatrice Gaillot-Déon, son ancien directeur adjoint, M. Pierre Gandil, ainsi que Mme Cécile Lemahieu, responsable administratif et financier.

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Les organisateurs tiennent également à exprimer leur reconnaissance à M. Jean-François Leroux, président de l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux, aux membres du bureau et du conseil d’administration de l’association, à ses bénévoles et salariés si souvent mis à contribution tout au long de l’année 2015 : Mmes Laure Bulme, Françoise Comte, Nicole Maigrot, Michèle Chappe, Amalia Espinoza, Viviane Fleury, Pauline Fridmann, Céline Grange, Morgane Le Coadou, Carole Mandelli, Carine Masson, Adeline Noailly-Joachim, Micheline Pitte, Amélie Parisot, Marie-Chantal Prieur, Dominique Renaud, Marie-Christine Roger, Isabelle Soulie-Rognon, Erwane Rosey, Anne-Marie Sallé, Agathe Salomon, Anne Welti et MM. André Auguste, Mario Bastaroli, Gérard Beureux, Jacques Charlier, Jean-Claude Dessaint, Jacques Domenge et Jacques Lequin. Que soient enfin remerciés tous ceux qui, au Conseil départemental de l’Aube, nous ont accompagnés, à des titres divers, dans l’organisation de ces colloques : Mmes Émilie Bessière, Sandrine Bollot, Isabelle Darnel, Nicolas Dohrmann, Nathalie Euillot, Élisabeth Feuillat-Wagner, Aurélie Gauthier, Ouarda Goutel, Françoise Langlois, Béatrice Lloza, Emmanuelle Lullier, Pascale Morand, Marie-Pierre Moyot, Julie Oberlin, Claudie Odille, Fanny Portier, Sandrine Thibord, Manon Wittmer et MM. André Billet, Emmanuel Chanut, Fabrice Coquet, Marcel Iualiani, Loïc Laurent, Noël Mazières, Stéphane Poutchkine et Frédéric Viprey, sans oublier Mmes Jessica Bernabé, Clémence Bildstein, Anne Bourguignon, Cécile Charlot, Clémence Georgin, Lucille Merlot, Éléna Modeste, Marie Regnier, Coralie Verstraete et MM. Lionel Ehrhart, Vincent Gagnière et Éric Zanardelli, vacataires et stagiaires à la Direction des Archives et du Patrimoine de l’Aube, qui ont accueilli les conférenciers ou ont activement participé à l’indexation de ces ouvrages. Que tous trouvent ici l’expression de nos remerciements les plus chaleureux.

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Les célébrations en 2015 des 900 ans de la fondation de l’abbaye de Clairvaux ont permis de porter un regard nouveau sur ce site emblématique du patrimoine national. Grâce aux efforts conjugués de l’État, du Conseil départemental de l’Aube et de l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux, la fréquentation du site a quasiment doublé en 2015, prouvant ainsi son potentiel d’attractivité. Cette année particulière a été l’occasion de mettre en valeur toutes les qualités architecturales du site de Clairvaux, grâce à des restaurations et à des aménagements de grande qualité qui témoignent de la singularité du lieu ainsi que de ses potentialités de développement. Ce renouvellement du regard sur Clairvaux a été rendu possible par les colloques organisés par le Conseil départemental de l’Aube et l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux, avec le soutien actif de la DRAC. Ce n’est pas le moindre des mérites de « Clairvaux 2015 » que d’avoir suscité une réelle émulation scientifique autour d’un site dont la communauté universitaire continue sans cesse de renouveler la connaissance. Ces recherches fructueuses constituent le socle indispensable à l’élaboration et au développement d’un projet culturel ambitieux pour l’ancienne abbaye de Clairvaux. Le partenariat exemplaire noué entre la DRAC et le Conseil départemental de l’Aube trouve dans l’édition de ces actes une nouvelle traduction concrète prolongeant la dynamique initiée par l’année « Clairvaux 2015 ».

Anne Mistler Directrice régionale des affaires culturelles d’Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine

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L’abbaye de Clairvaux, troisième fille de Cîteaux, a été fondée en 1115 par le futur saint Bernard, haute figure politique, intellectuelle et spirituelle de l’Occident médiéval. Sous ce premier abbatiat, le monastère et l’ordre cistercien vont, depuis cette terre de Champagne, rayonner dans toute l’Europe, avec près de sept cents abbayes au xive siècle. La Révolution française disperse les moines, tandis que l’abbaye est vendue comme bien national. L’État en fait l’acquisition en 1808 afin d’y installer ce qui est devenu l’une des principales maisons centrales du pays. De ce passé fascinant, il demeure un lieu déroutant pour le visiteur, entretenu et restauré par l’État avec le soutien du Département de l’Aube, des objets répartis dans des collections publiques et privées, et des fonds d’une grande valeur conservés aux Archives de l’Aube et à la Médiathèque du Grand Troyes. Le neuvième centenaire de l’abbaye, inscrit au titre des commémorations nationales, a été célébré tout au long de l’année 2015 par le ministère de la Culture et de la Communication, le Département de l’Aube et l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux. Ces festivités ont fait connaître cette histoire fabuleuse aux quelque quatre-vingt-dix mille personnes venues du monde entier qui ont participé à l’une ou l’autre des manifestations qui se sont tenues dans l’Aube ou dans les départements voisins ainsi qu’à Paris. Comme pour les événements que nous avons organisés autour de la sculpture champenoise du xvie siècle, des Templiers, de Napoléon ou du vitrail, il nous a aussi paru essentiel de renouveler la connaissance de ce passé prestigieux en nous entourant des meilleurs spécialistes. À l’initiative du Département de l’Aube et de l’association Renaissance de l’abbaye de Clairvaux, trois colloques ont réuni trois cents historiens, historiens de l’art et archéologues européens et américains au Centre de congrès de l’Aube, à la Médiathèque du Grand Troyes, aux Archives départementales et à l’abbaye de Clairvaux. Les trois volumes présentés ici, qui retracent les échanges enthousiastes de ces dix journées, éclairent sous un jour nouveau l’histoire cistercienne, tout en témoignant de la vitalité de la recherche en ce domaine. Preuve que l’empreinte laissée par l’abbaye de saint Bernard dans la mémoire européenne est toujours vivante.

Philippe Adnot Sénateur Président du Conseil départemental de l’Aube

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ABRÉVIATIONS

bbaye A A rchives départementales A rchives nationales Archevêque Augustin(ienne) Bénédictin(e) B ibliotheca hagiographica latina Bibl. mun. Bibliothèque municipale Bibl. nat. Fr. Bibliothèque nationale de France c. Canton ch.-l. c. Chef-lieu de canton cist. Cistercien(ne) cne Commune CNRS C entre national de la recherche scientifique CRAHAM C entre de recherches archéologiques et historiques anciennes et médiévales cte Comte ctesse Comtesse DLMV Die deutsche Literatur des Mittelalters Verfasserlexikon emp. Empereur ENSSIB École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques EPHE École pratique des hautes études abb. Arch. dép. Arch. nat. archev. aug. bén. BHL

vêque É Féminine Franciscain(e) Institut de recherche et d’histoire des textes JL Regesta pontificum Romanorum… ad annum… MCXCVIII, Philippus Jaffé, S. Loewenfeld, F. Kaltenbrunner et P. Ewald, 2e éd., Leipzig, 1885-1888 [la partie 882-1198, par les soins de S. Loewenfeld] MGT Médiathèque du Grand Troyes Migne, PL Jacques-Paul Migne, Patrologiae cursus completus… Series latina, 221 vol., Paris-Montrouge, 1844-1864 ms. Manuscrit mss. Manuscrits prém. Prémonté(e) S. Saint (pour les noms d’églises en italien) SACSAM Société d’agriculture, commerce, sciences et arts de la Marne sgr Seigneur vcte Vicomte év. f. franc. IRHT

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ACCÈS AUX ARCHIVES NUMÉRISÉES DE L’ABBAYE DE CLAIRVAUX

La Direction des Archives et du Patrimoine de l’Aube, service du Département de l’Aube, a engagé un vaste programme de numérisation du fonds d’archives de l’abbaye de Clairvaux : – 230 chartes des xiie et xiiie siècles ; – cartulaires et inventaires des xiiie et xviiie siècles ; – liasses, cahiers et plans relatifs aux bâtiments, au trésor et à la vie quotidienne et spirituelle des moines. Au total, 67 720 pages, dont 1 700 manuscrits, ont déjà été numérisées. La plupart de ces documents sont consultables sur le site Internet des Archives départementales de l’Aube. L’ensemble sera progressivement complété par la numérisation des 20 000 actes pontificaux, impériaux, royaux et seigneuriaux du Moyen Âge.

CONSULTING CLAIRVAUX ABBEY’S DIGITAL ARCHIVES The Direction des Archives et du Patrimoine de l’Aube, an administrative division of the Aube département, has initiated a vast programme to digitalise Clairvaux Abbey’s archive collection: – 230 charters dating to the twelfth and thirteenth centuries; – cartularies and inventories from the thirteenth and eighteenth centuries; – and bundles of documents, notebooks, and plans relating to the buildings, treasury, and routine and spiritual lives of the monks. A total of 67,720 pages, including 1,700 manuscripts, have already been digitalised. Most of these documents can be consulted on the website of the Archives départementales de l’Aube. The ensemble will be gradually complemented by the digitalisation of 20,000 pontifical, imperial, royal, and seigneurial deeds dating from the Middle Ages.

www.archives-aube.fr

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Les Cisterciens et l’écrit au xiie siècle : considérations générales Benoît-Michel Tock

Il est difficile, au moment d’introduire un colloque consacré aux rapports que les Cisterciens entretenaient avec l’écrit, de ne pas songer à la célèbre phrase de Bernard de Clairvaux : Experto crede : aliquid amplius invenies in silvis quam in libris, « Crois-en un expert : tu trouveras beaucoup plus dans les forêts que dans les livres »1. N’y a-t-il pas là clairement un rejet du livre, et donc de l’écrit ? Les choses, on va le voir, ne sont pas aussi simples, et l’histoire de l’utilisation de l’écrit par les Cisterciens est riche et longue. Je n’aurai pas la prétention d’en donner ici une synthèse : quand bien même je le pourrais, cette synthèse serait dépassée dès la fin du colloque. Plutôt donc que de dresser un tableau général de ce thème, ou d’établir un status quaestionis qui serait aussi imparfait que provisoire, je vais simplement glisser quelques remarques, essentiellement centrées sur le xiie siècle. Remarques un peu sommaires, et qui ne s’appuieront, en ce qui concerne la citation de sources ou de travaux, sur aucun dépouillement systématique ou exhaustif – on voudra bien, je l’espère, m’en excuser.

LES ÉCRITS DES CISTERCIENS Même si le programme de notre colloque affiche une très nette préférence pour l’écrit diplomatique – oserais-je dire l’écrit pratique ? –, l’écrit doit être étudié dans sa globalité, dans sa diversité2. L’écrit était sans doute souvent géré, dans les abbayes cisterciennes (et pas seulement chez elles), par les mêmes personnes, quel que soit le genre documentaire concerné. Or la production écrite des Cisterciens était très diversifiée : missels, antiphonaires et autres textes liturgiques ; livres bibliques, avec ou sans glose, et leurs commentaires ; ouvrages spirituels et théologiques, anciens et modernes ; littérature didactique ; ouvrages historiques et hagiographiques ; chartes et autres textes diplomatiques (originaux et copies) ; documents administratifs et comptables ; correspondances ; documents relatifs à l’Ordre, comme les statuts et autres textes réglementaires, etc. Les occasions d’écrire étaient réellement très nombreuses. 1. Bernard de Clairvaux, Lettres, no 106, § 2 ; Jean Leclercq et Henri Rochais (éd.), Sancti Bernardi Opera, t. 7, Rome, 1974, p. 266, l. 14. 2. On notera un essai intéressant en ce sens : Fritz Peter Knapp, « Zisterziensisches Schrifttum in den österreichischen Ländern des Mittelalters », dans Zisterziensisches Schreiben im Mittelalter. Das Skriptorium der Reiner Mönche, Anton Schwob et Karin Kranich-Hofbauer (éd.), Berne, 2005 (Jahrbuch für internationale Germanistik, Reihe A : Kongressberichte, 71), p. 207-218. Voir surtout, dans le présent volume, l’article d’Ana Suárez González et Ghislain Baury, « La culture écrite dans les monastères cisterciens du nord-ouest de la péninsule Ibérique (xiie-xiiie siècle) : une recherche en cours », p. 113-130.

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PRODUCTION

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À la recherche d’un atelier d’écriture de la Normandie cistercienne : le scriptorium de l’abbaye de Savigny (xiie-xiiie siècle) Richard Allen

Le présent article se propose de faire connaître le scriptorium de l’abbaye de Savigny, seul chef d’ordre monastique fondé en Normandie, incorporé en 1147 à l’ordre cistercien comme fille de Clairvaux. Située à la confluence de trois principautés, l’abbaye, qui n’a pas tardé à essaimer en de nombreuses abbayes filles, tant en France qu’en Angleterre et dans le pays de Galles, fut pendant plusieurs siècles un centre religieux, intellectuel et économique très actif. Il ne reste malheureusement plus que quelques épaves de la bibliothèque abbatiale, dont un recueil d’annales1, mais, par un heureux concours de circonstances, environ 1 700 chartes, pour l’essentiel des xiie et xiiie siècles, nous sont parvenues, dont la plus grande partie est aujourd’hui conservée aux Archives nationales à Paris. Mais bien que la valeur du chartrier savinien ait été mise en lumière depuis les travaux érudits du xviiie et du xixe siècle, et qu’une édition critique partielle en ait été réalisée par Béatrice Poulle dans sa thèse d’École des chartes sur les actes de la première moitié du xiiie siècle2, une étude du scriptorium de l’abbaye et des productions manuscrites qui en sont issues est largement à faire. Une telle étude excéderait évidemment les limites imposées à cet article. Pour commencer ce travail appelé à être complété, il est toutefois possible de s’appuyer sur les actes saviniens, qui font partie du seul fonds monastique médiéval subsistant pour les deux anciens diocèses de Coutances et d’Avranches, pour donner un aperçu sur le fonctionnement et le rayonnement du scriptorium abbatial au xiie et au xiiie siècle et pour répondre à plusieurs questions sur la production, l’usage et la conservation de l’écrit dans le monde cistercien médiéval. C’est grâce aux travaux de Béatrice Poulle que l’on peut brosser, de façon très succincte, la manière dont les chartes de Savigny connues actuellement nous sont parvenues3. Après être tombé dans un oubli total pendant les années révolutionnaires et napoléoniennes, le chartrier de Savigny fut « redécouvert » par Charles Duhérissier de Gerville (1769-1853) 1. Bibl. nat. Fr., ms. lat. 4862, fol. 132 et 133v ; Bibl. nat. Fr., ms. lat. 7596A, fol. 1v-5v. Les annales de Savigny ne sont connues que par une édition tout à fait insuffisante (« Chronicon Savigniacense » dans Stephani Baluzii miscellaneorum liber primus [-septimus], Étienne Baluze (éd.), Paris, 1678-1715, t. 2, p. 310-323). Nous en préparons actuellement une édition critique. 2. Béatrice Poulle, Le Chartrier de l’abbaye de Savigny au diocèse d’Avranches. Édition partielle (1202-1243) et commentaires, Paris, thèse de l’École des chartes, 1989, 537 p. (dactyl.) ; résumé dans École nationale des chartes, positions des thèses… 1989, p. 167-171. 3. Béatrice Poulle, « Les sources de l’histoire de l’abbaye cistercienne de Savigny au diocèse d’Avranches », dans Revue Mabillon, n.s., t. 7 (= t. 68), 1996, p. 105-125.

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L’écrit cistercien en Normandie au xiie siècle : autour du cas de l’abbaye de Mortemer Thomas Roche

L’implantation cistercienne dans le duché de Normandie au xiie siècle a pris différentes voies : – le rattachement d’une congrégation déjà solidement développée, à savoir l’abbaye de Savigny et ses filles, de l’un et l’autre côté de la Manche, en 1147, qui en constitue la principale originalité1 ; – dès avant cette date, des communautés réformées avaient pu être attirées par le champ magnétique des rites cisterciens, avant de s’agréger à la filiation de Cîteaux ; l’abbaye de Mortemer en est le premier exemple, issue d’une communauté bénédictine, installée sous l’égide de moines du Pin à Beaumont-lePerreux vers 1130 à la demande de Robert de Candos, avant de trouver en forêt de Lyons un emplacement plus propice à ses aspirations, d’y croiser des ermites qu’elle intègre, et de se lier enfin à l’abbaye cistercienne d’Ourscamp (diocèse de Noyon) en 1137, non sans protestation de la part de ses initiateurs2 ; – par l’essaimage de communautés cisterciennes déjà implantées, même si ce mode apparemment classique ne s’est là non plus pas déroulé sans péripéties, comme l’illustrent les atermoiements des moines et les manœuvres des patrons laïques qui ont retardé, par exemple, la fondation de l’abbaye du Valasse3. Les établissements cisterciens hors de la mouvance savignienne sont demeurés rares et partagent des traits communs : concentrés dans la partie orientale du duché et ses frontières4, ils ont aussi bénéficié le plus souvent du soutien de la famille régnante, d’Henri Ier à Richard Cœur de Lion, malgré les querelles dynastiques. Mortemer en constitue le premier 1. Je renvoie à l’article de Richard Allen dans le présent volume (« À la recherche d’un atelier d’écriture de la Normandie cistercienne », p. 31), ainsi qu’à Béatrice Poulle, « Le chartrier de l’abbaye de Savigny au diocèse d’Avranches : édition partielle, 1202-1243, et commentaire », thèse de l’École nationale des chartes, 1989 ; ead., « Les sources de l’histoire de l’abbaye cistercienne de Savigny au diocèse d’Avranches », dans Revue Mabillon, n.s., t. 7 (= t. 68), 1996, p. 105-125 ; Daniel Pichot, « Savigny : une abbaye entre Normandie, Bretagne et Maine », dans Bretons et Normands au Moyen Âge : rivalités, malentendus, convergences, Bernard Merdrignac et Joëlle Quaghebeur (dir.), Rennes, 2015, p. 241‑257. 2. La seule étude générale sur Mortemer demeure la thèse inédite de Philip Francis Gallagher, « The Monastery of Mortemer-en-Lyons in the Twelfth Century—Its History and Its Cartulary », PhD, Notre Dame, Indiana, 1970. 3. Alexis Grélois, « Les origines de l’abbaye du Valasse », dans Le Valasse, 1 : l’abbaye cistercienne Notre-Dame du Vœu (xiie-xviiie s.), le château (xixe-xxe s.), Rouen, 2009, p. 49‑63. La principale source en est la chronique de l’abbaye, éditée par Abbé F. Somménil, Chronicon Valassense, truncatum a R.P. Arturo du Monstier, in sua Neustra Pia, integrum necnon adnotationibus vindicatum ac illustratum, Rouen, 1868, traduite par Jacques Le Maho, « Chronicon Valassense (Chronique du Valasse) », dans Le Valasse, op. cit., p. 14‑26. 4. L’arbitraire des découpages départementaux a ainsi fait que la plupart de leurs fonds sont conservés aux Archives départementales de l’Eure.

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Chancellerie épiscopale ou scriptorium monastique ? Confrontation des chartes de l’abbaye cistercienne de Beaupré en Lorraine et de celles de l’évêque de Toul au xiie siècle Hubert Flammarion

Le récolement des actes de l’évêque de Toul Pierre de Brixey (1165-1191), engagé il y a une quinzaine d’années à la demande de Michel Parisse, et particulièrement l’entreprise de numérisation systématique des originaux ont fait ressortir deux traits qu’on ne retrouve pas ailleurs semblablement associés : le très grand nombre d’actes de l’évêque en question destinés à l’abbaye de Beaupré et l’extrême proximité des caractères externes de ceux-ci avec ceux d’autres actes du même évêque, ainsi que de quelques actes d’autres auteurs1. Cette similitude ne manquait pas d’intriguer. Comme désormais nous disposons, pour la Lorraine, de l’ensemble des actes conservés dans les fonds d’archives des abbayes cisterciennes, ainsi que de tous les actes des évêques lorrains, il est possible d’entamer une recherche destinée à essayer de clarifier cette question : peut-on déterminer l’origine de la production de ce corpus d’actes ? Celle-ci est-elle issue d’une « chancellerie » épiscopale, quel que soit le sens à donner à ce terme, ou devons-nous la tenir pour spécifiquement monastique ? Dans l’un et l’autre cas, peut-on envisager sur ce point des liens entre les deux entités, l’évêque et l’abbaye ? Selon le résultat des investigations, peut-on considérer que cette pratique est unique, originale, ou le modèle peut-il être transposé à d’autres corpus ? Après avoir défini les ensembles d’actes, ceux des actes des abbayes cisterciennes lorraines pour y situer celui de l’abbaye de Beaupré et celui des actes délivrés par l’évêque Pierre de Brixey, il faudra confronter les caractères des ensembles d’actes entre eux, en les replaçant, autant que faire se peut, dans leurs contextes spécifiques. Les conclusions qu’on pourra en tirer devront décider s’il s’agit d’une production de l’un, de l’autre ou des deux, et dans quelle mesure, et si le modèle peut être constaté ailleurs.

1. Ce qu’avait déjà souligné Michel Parisse, « Les chartes des évêques de Metz au xiie siècle : étude diplomatique et paléographique », dans Archiv für Diplomatik, t. 22, 1976, p. 272-316.

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Les pratiques de l’écrit dans les abbayes cisterciennes féminines du Portugal au Moyen Âge* Maria do Rosário Barbosa Morujão

La question des pratiques de l’écrit dans les abbayes cisterciennes féminines du Portugal médiéval constitue un sujet tout aussi neuf que celui de la diplomatique cistercienne portugaise en général1. Nous nous proposons ici d’en jeter les premières bases, à partir des fonds d’archives des trois abbayes de moniales les plus importantes et les plus anciennes de l’ordre de Cîteaux dans cette zone. Alors que des études récentes ont montré que le rôle de premier plan traditionnellement attribué aux familles royales dans l’introduction de la branche féminine de l’Ordre dans la péninsule Ibérique devait être nuancé2, il apparaît pourtant que ce phénomène est indéniable dans le cas portugais : Lorvão, Celas et Arouca, les abbayes objets de notre analyse, furent en effet fondées à l’initiative de trois filles du roi Sanche Ier (1185-1211)3.

* Je tiens à remercier vivement M. Arnaud Baudin pour sa relecture attentive et sa correction de la version française de ce texte. 1. Il n’existe aucune étude diplomatique approfondie au sujet de la production écrite des abbayes cisterciennes portugaises, masculines ou féminines. Seuls quelques articles ont été produits sur Alcobaça par Saul António Gomes, « Um formulário monástico português medieval : o manuscrito alcobacense 47 da BNL », dans Humanitas, t. 51, 1999, p. 141-184 ; id., « “Donationes cvstodiantvr: donationes serventvr” : da memória e praxis arquivística do mosteiro de Santa Maria de Alcobaça em tempos medievais », dans Humanitas, t. 57, 2005, p. 245-269 ; id. Imago & Auctoritas : selos medievais da chancelaria do mosteiro de Alcobaça, Coimbra, 2008. Pour la France, où des travaux similaires ont été menés, voir Marlène Helias-Baron, « Les archives des Cisterciennes de Bourgogne (xiie-xve siècles) », dans Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA [en ligne], Collection CBMA, Les cartulaires. cem.revues.org/13199 et la contribution d’Arnaud Baudin dans ce volume (« Conserver la mémoire dans la filiation de Clairvaux : usages et pratiques archivistiques dans cinq abbayes de Champagne (xiie-xve s.) », p. 187-212). 2. Notamment celles de Ermelindo Portela Silva, « La explicación sociopolítica del éxito cisterciense en Galicia », dans En la España medieval, t. 3, 1982, p. 319-330 ; Adeline Rucquoi, « Les Cisterciens dans la péninsule Ibérique », dans Unanimité et diversité cisterciennes. Filiations, réseaux, relectures du xiie au xviie siècle, Actes du 4e colloque international du CERCOR (Dijon-Cîteaux, 23-25 septembre 1998), Nicole Bouter (dir.), Saint-Étienne, 2000, p. 487-523 ; Raquel Alonso Álvarez, « Los promotores de la Orden del Císter en los reinos de Castilla y León : familias aristocráticas y damas nobles », dans Anuario de Estudios Medievales, t. 37-2, 2007, p. 653-710 ; Ghislain Baury, Les religieuses de Castille. Patronage aristocratique et ordre cistercien, xiie-xiiie siècles, Rennes, 2012. 3. Maria do Rosário Barbosa Morujão, « La péninsule Ibérique », dans Clairvaux. L’aventure cistercienne, catalogue d’exposition (Troyes, Hôtel-Dieu-le-Comte, 5 juin-15 novembre 2015), Arnaud Baudin, Nicolas Dohrmann et Laurent Veyssière (dir.), Paris, 2015, p. 115-116, à la p. 116 ; Maur Cocheril, « Les infantes Teresa, Sancha, Mafalda et l’ordre de Cîteaux au Portugal », dans Revista Portuguesa de História, t. 16, 1976, p. 33-49 ; Luís Miguel Rêpas, « Os mosteiros cistercienses femininos em Portugal : a herança medieval. Fundações e fundadores », dans Fundadores, fundaciones y espacios de vida conventual. Nuevas aportaciones al monacato feminino, Maria Isabel Viforcos Marinas et Maria Dolores Campos Sánchez-Bordona (coord.), León, 2005, p. 51-78.

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La culture écrite dans les monastères cisterciens du nord-ouest de la péninsule Ibérique (xiie-xiiie siècle) : une recherche en cours Ana Suárez González et Ghislain Baury

Nam et in Hispaniis, ubi praesens ipse non fuit, sanctitatis Domini eius indicia claruerunt. Cum enim fidelis seruus et prudens, pretiosum dominicae crucis fructum undique colligeret, iterumque propagaret ubique, contigit ut de filiis suis in Hispanias mitteret, in illis quoque sicut et in ceteris gentibus fructum aliquem habere desiderans. De quorum numero Albertus quidam faber in loco, cui nomen est Superadum, grauissima ualetudine occupatus, per multum iam tempus iacebat paralyticus in grabato…1 Ce passage de la Vita prima sancti Bernardi Claraevallis abbatis, qui rapporte la guérison miraculeuse d’un moine (Albertus, faber) de l’abbaye de Santa María de Sobrado, a permis d’établir que ce monastère avait été une fondation directe de Clairvaux, car l’origine de la première communauté n’apparaît pas dans les chartes qui retracent les débuts cisterciens du monastère en 11422. C’est à cette date que débute la culture écrite – livresque, diplomatique et épigraphique – des moines blancs dans le nord-ouest de la péninsule Ibérique, un espace où l’Ordre s’est implanté de manière particulièrement dense et qui a généré un corpus documentaire d’un intérêt exceptionnel.

1. Fragment du liber IV rédigé par Geoffroy d’Auxerre de la Vita prima de saint Bernard (Vita prima sancti Bernardi Claraevallis abbatis, Paul Verdeyen (éd.), Turnhout, 2011, p. 183, 35). 2. Le 14 février 1142, le comte Fernando Pérez de Traba offrit à l’Ordre et à l’abbé Pedro ce monastère abandonné (Madrid, Archivo Histórico Nacional – désormais AHN – Clero, c. 326/10 et AHN, Códice 976, fol. 7v-8r et 8v-9v). Compte tenu de cette relation étroite, il n’est pas surprenant que près de cinquante années plus tard, en 1190, un autre abbé de Sobrado appelé Fernando (Fernandus, abbas Superaddi) se trouvât dans l’abbaye mère et figurât parmi les témoins d’un diplôme de confirmation de donation dont la copie se trouve dans le Grand Cartulaire de l’abbaye de Clairvaux, t. 1 (Arch. dép. Aube, 3 H 9*, p. 160, document édité par Laurent Veyssière (dir.), Recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux au xiie siècle [commencé par Jean Waquet et Jean-Marc Roger], Paris, 2004 [Collection de documents inédits sur l’histoire de France. Section d’histoire et de philologie des civilisations médiévales, série in-8O, 32], p. 340, n° 278). Bien que nous disposions d’éditions, comme dans ce cas, toutes les transcriptions qui sont données dans le présent travail ont été réalisées directement sur les documents originaux ou sur les copies dans les livres manuscrits d’archives. Nous suivrons les normes de transcription paléographique habituelles.

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Les Cisterciens et les outils d’aide à la rédaction : un premier aperçu 1

Anne-Marie Turcan-Verkerk

Les Cisterciens se sont-ils intéressés à la rhétorique et aux méthodes et outils d’aide à la rédaction qu’elle pouvait leur fournir ? Jusqu’à quel point l’ont-ils fait, et pour quelles raisons ?

DANS LES BIBLIOTHÈQUES DES CISTERCIENS DU XIIe SIÈCLE Ces questions liminaires posent en premier lieu celle de la formation intellectuelle des Cisterciens, à laquelle il n’y a pas de réponse unique. Comme on le sait, les moines blancs ne recrutent pas d’enfants. Au xiie siècle, ils n’ont pas d’école et peuvent recevoir des adolescents à partir de quinze ans2, qui soit sont dépourvus d’instruction, soit en sont déjà au niveau des premières productions littéraires. Ils peuvent aussi accueillir des adultes complètement formés, auprès de maîtres séculiers ou réguliers, de moines ou de chanoines : pour ne prendre que trois exemples parmi tant d’autres, c’est auprès des chanoines de Saint-Vorles à Châtillon-sur-Seine que s’est formé Bernard de Clairvaux entre huit et dix-huit ans environ3, l’écolier parisien Geoffroy d’Auxerre suivait les cours d’Abélard avant son entrée dans l’ordre de Cîteaux4, et l’on ne sait d’où l’historien Pierre des Vauxde-Cernay tenait une partie de sa culture, en particulier classique, manifestement acquise en dehors du cloître cistercien – et peut-être au cours de ses enquêtes d’historien5. Les bibliothèques cisterciennes du xiie siècle ne comportent donc pas l’arsenal des instruments

1. Cette contribution publie de larges passages de la version française inédite de « To What Extent Did the Rhetorical Treatises Interest the Cistercians in the Twelfth Century? », dans The Art of Cistercian Persuasion in the Middle Ages and Beyond. Caesarius of Heisterbach’s Dialogue on Miracles and Its Reception, Victoria Smirnova, Marie Anne Polo de Beaulieu et Jacques Berlioz (éd.), Leiden, 2015 (Studies in Medieval and Reformation Traditions, 196), p. 51-78 ; actes du colloque « La persuasion cistercienne (xiiie-xvie s.) », Paris, IEA, juin 2013. Le texte a été abrégé sur certains points, augmenté sur d’autres. 2. D’après le statut de 1134-1151 édité par Canivez à l’année 1134. Le texte est cité, entre autres, par Monique Peyrafort-Huin (avec la coll. de Patricia Stirnemann et une contribution de Jean-Luc Benoît), La Bibliothèque médiévale de l’abbaye de Pontigny (xiie-xixe siècles). Histoire, inventaires anciens, manuscrits, Paris, 2001 (Documents, études et répertoires publiés par l’Institut de recherche et d’histoire des textes (voir p. 261, n. 46), 60  ; Histoire des bibliothèques médiévales, 11), p. 96, n. 127, pour expliquer l’absence presque totale d’ouvrages de grammaire dans cette riche collection. 3. Synthèse : J. Berlioz, Un saint dans la ville. Bernard de Clairvaux à Châtillon-sur-Seine, Précy-sous-Thil, 1998, p. 19 et suiv. (en particulier, sur ses études, p. 21-26) : on ne peut qu’imaginer ce que fut cette éducation, car on ignore tout de l’école de Saint-Vorles. 4. Cf. Geoffroy d’Auxerre, Notes sur la vie et les miracles de saint Bernard, Raffaele Fassetta (éd.), Paris, 2011 (Sources chrétiennes, 548), Fragm. I, 44. 5. Sur ce dernier auteur et l’inadéquation partielle de sa culture littéraire avec le contenu de la collection de livres des Vaux-deCernay, tel qu’il nous est connu par un inventaire des environs de 1170-1180, voir Pascal Guébin et Ernest Lyon, Petri Vallium Sarnaii monachi Hystoria Albigensis, t. 3, Paris, 1939, p. III sqq, et en particulier p. XXXVI.

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Les Cisterciens et le chirographe. Pratique et usages dans le Val de Loire et sur ses marges (xiie-xiiie siècle) Chantal Senséby

Le chirographe est un document doté de deux textes de contenu identique ou similaire, unis par une devise et séparés le long de celle-ci lors du rituel de validation. Il apparaît sur le continent européen au xe siècle, dans le Val de Loire dès l’aube du xie siècle, mais sa diffusion a surtout lieu au xie siècle dans la plupart des foyers d’écriture – chapitres cathédraux ou canoniaux et abbayes bénédictines. Elle s’intensifie au xiie siècle au moment où de multiples abbayes cisterciennes sont fondées par des hommes souvent issus des établissements anciens. De part et d’autre de l’axe ligérien, dans les diocèses de Tours, d’Angers, de Nantes, du Mans et dans ceux de Poitiers et de Bourges, les moines blancs s’emparent de cet instrument diplomatique. Or, dans le même temps, ils mènent une réflexion sur l’écrit : des formulaires sont rédigés tant à Fontenay qu’à Pontigny, des modèles d’écriture définis et diffusés dans l’Ordre, des décisions prises sur l’usage de la couleur. Dans ce contexte intellectuel dynamique marqué par une attention soutenue à l’écrit sous toutes ses formes, l’originalité cistercienne en matière de pratique chirographaire doit être mesurée. Dans cette optique, seront examinés tour à tour la fréquence du recours au chirographe par les moines blancs comparés aux Bénédictins et aux Fontevristes, puis la qualité et la fonction des auteurs et protagonistes des actions juridiques consignées et enfin les caractères formels des chirographes. Autant de voies pour tenter de dessiner les contours d’une pratique et en esquisser les principaux traits.

UN RECOURS MARGINAL AU CHIROGRAPHE Le corpus cistercien disponible est composé d’une quarantaine d’originaux, majoritairement écrits entre 1150 et 1225, établis ou reçus par quelques établissements : dans le diocèse d’Angers, Le Loroux fondé par Cîteaux (1121), Pontron (1134), Chaloché, création de Savigny (v. 1128-1129) affiliée à Cîteaux en 1147 ; dans celui de Nantes, Buzay, fondation directe de Clairvaux par Bernard à l’occasion d’un voyage dans l’Ouest1 ; dans

1. André Dubief, Les Cisterciens en Bretagne (xiie-xiiie s.), Rennes, 1997.

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Les formules à Pontigny au xiie siècle : contribution à la diplomatique des Cisterciens et de leurs voisins Jean-Luc Benoit

Pour reconstituer l’histoire religieuse ou économique de Pontigny, deuxième fille de Cîteaux, les érudits, depuis Georges Viole1 jusqu’à Yoshifumi Kitadate2, ont largement mis à profit le chartrier du monastère, sans jamais s’interroger, semble-t-il, sur la rédaction des actes qu’ils utilisaient. Même Martine Garrigues, dans son édition du premier cartulaire de l’abbaye, n’a consacré que sept pages3 – essentiellement descriptives – à l’étude des éléments du dictamen. La comparaison des chartes pontigniaciennes avec celles des autorités et des établissements monastiques voisins devrait pourtant permettre d’y déceler, le cas échéant, des caractéristiques propres. Pour cela, le moyen de procéder le plus évident, sans doute, est de se pencher sur le vocabulaire, car l’usage d’un tour de langage, la seule présence d’un mot, sa place même, dans une expression récurrente, peut s’avérer l’indice d’un travail d’écriture suivi. Comme il n’existe pas de diplomatique proprement cistercienne au xiie siècle, ainsi que l’a montré Marlène Helias-Baron4, mais que l’étude des formules s’est révélée particulièrement intéressante, entre autres pour l’attribution des actes à l’auteur ou au bénéficiaire5, la recherche proposée ici s’est portée sur l’une des parties du discours diplomatique, la forme notificative, qui a semblé présenter plusieurs avantages pour la découverte de spécificités. Précédant directement l’exposé, la notification paraît une formule « qui n’a guère d’intérêt pour l’historien que parce qu’elle montre

1. Dom Georges Viole († 1669), « Historia Pontiniacensis monasterii ordinis Cisterciensis in diocesi Autissiodorensis, per chartas et instrumenta ejusdem monasterii », Edmond Martène et Ursin Durand (éd.) dans Thesaurus novus anecdotorum, t. 3, Paris, 1717, col. 1221-1266. Cette publication ne constitue qu’un résumé du travail du bénédictin encore inédit. 2. Yoshifumi Kitadate, Le Développement temporel du monastère de Pontigny dans la société locale aux xiie et xiiie siècles [en japonais], thèse de doctorat de l’Université Chuo, Tokyo, 2012. Nous remercions l’auteur de nous avoir communiqué le texte de cette étude. 3. Martine Garrigues, Le Premier Cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny (xiie-xiiie siècles), Paris, 1981, p. 61-68. 4. Marlène Helias-Baron, Recherches sur la diplomatique cistercienne au xiie siècle. La Ferté, Pontigny, Clairvaux, Morimond, thèse de doctorat sous la direction de Michel Parisse, Paris, 2005, dont on trouve un bref résumé sous le titre « Recherches sur la diplomatique cistercienne au xiie siècle. La Ferté, Pontigny, Clairvaux, Morimond », dans Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, t. 11, 2007, p. 279-281. Nous sommes très reconnaissant à l’auteur de nous avoir amicalement transmis un exemplaire de son travail. 5. Voir tout particulièrement les travaux de Benoît-Michel Tock : « Auteur ou impétrant ? Réflexions sur les chartes des évêques d’Arras au xiie siècle », dans Bibliothèque de l’École des chartes, t. 149, 1991, p. 215-248, mis en application dans Une chancellerie épiscopale au xiie siècle : le cas d’Arras, Louvain-la-Neuve, 1991 ; voir encore le récent article « La diplomatique numérique, une diplomatique magique ? », dans Digital Diplomatics. The Computer as a Tool for the Diplomatist?, Antonella Ambrosio, Sébastien Barret et Georg Vogeler (éd.), Cologne, 2014 (Beihefte zum Archiv für Diplomatik, 14), p. 15-21.

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CONSERVATION ET MÉMOIRE

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Conserver la mémoire dans la filiation de Clairvaux : usages et pratiques archivistiques dans cinq abbayes de Champagne (xiie-xve siècle) Arnaud Baudin

À l’origine de ce travail se trouve le chartrier de Clairvaux, fleuron des Archives de l’Aube avec ses quelques 80 mètres linéaires d’actes et de registres de toutes natures, sorte de vivier inépuisable pour les médiévistes et les modernistes. Laurent Veyssière a dressé les jalons de l’histoire archivistique de ce fonds dans sa thèse d’École des chartes éditée en 20041 : une connaissance matérielle bien plus empirique que rationnelle au xiie siècle ; un premier classement topographique attesté par les deux grands cartulaires, rédigés en plusieurs étapes entre 1230 et 1260 ; une cotation de l’ensemble à la fin du Moyen Âge, à partir des tables du cartulaire, pour faire face à l’augmentation croissante des actes. Sur la base de ces repères et grâce à la richesse et au caractère inédit de fonds conservés aux Archives départementales de l’Aube et de la Marne, il s’agit de s’interroger sur les moyens mis en œuvre au Moyen Âge par les moines et les moniales de cinq abbayes de Champagne affiliées directement ou indirectement à Clairvaux pour la conservation de leurs archives, sur l’influence ou non de l’abbaye-mère, sur les causes des classements et leur périodicité, sur le volume des actes et des sceaux conservés, ainsi que sur la part du chartrier transcrite dans les cartulaires. Trois-Fontaines tout d’abord, la première de toute la filiation claravallienne, fondée en 1118 au diocèse de Châlons ; Larrivour ensuite, trentième fille de Clairvaux, fondée en 1140 dans le diocèse de Troyes ; trois abbayes de femmes enfin : Argensolles, premier établissement de moniales cisterciennes en Champagne, fondé par la comtesse Blanche de Navarre au diocèse de Soissons en 1222, Clairmarais, fondée au diocèse de Reims en 1222, et le Val-des-Vignes, fondée au diocèse de Langres vers 1230, deux maisons présentant comme caractéristiques communes d’avoir été transformées en prieurés masculins rattachés à Clairvaux à la fin du xve siècle. Cinq chartriers, cinq diocèses, cinq histoires différentes.

1. Laurent Veyssière (dir.), Recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux au xiie siècle [commencé par Jean Waquet et Jean-Marc Roger], Paris, 2004 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France. Section d’histoire et de philologie des civilisations médiévales, série in-80, 32).

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La mémoire des « filles adoptives ». Le traitement des archives des abbayes de chanoines réguliers rattachées à l’ordre de Cîteaux en Champagne (xiie-xiiie siècle) Jean-Baptiste Renault

À la fin du xie siècle et au début du xiie siècle, de nombreux établissements sont fondés en Champagne et en Lorraine, parmi lesquels se distinguent des abbayes de chanoines réguliers. Si en Lorraine, le plus souvent, ces abbayes augustines demeurent indépendantes ou s’affilient à Prémontré, en revanche, en Champagne, plusieurs de ces établissements sont comme aspirés par le rayonnement de Clairvaux sous l’abbatiat de Bernard1. Les premières affiliations champenoises sont le fait de la fille aînée de Clairvaux, Trois-Fontaines, fondée au diocèse de Châlons entre 1116 et 1118. Cheminon, née peu avant 1100, est affiliée en 1138, puis c’est le tour de Montier-en-Argonne en 1144-1146 après seulement dix ans d’existence canoniale. Deux autres abbayes augustines fondées au tournant des xie et xiie siècles subissent également l’attraction cistercienne : Longuay, au diocèse de Langres, et Boulancourt, au diocèse de Troyes, sont toutes deux rattachées à Clairvaux après environ un demi-siècle de vie canoniale, en 1149 et 11502. En investissant d’anciens monastères, les Cisterciens héritaient des propriétés mais aussi des titres nécessaires à la défense de ces dernières. On peut se demander quel regard les moines blancs ont pu porter sur le passé des abbayes qu’ils venaient prendre en charge. C’est de cette interrogation sur la réception de documents hérités, entre assimilation ou mise à l’écart, que part notre réflexion. En effet, parmi les abbayes rattachées, deux, Cheminon et Montier-en-Argonne, se signalent assez précocement par la rédaction d’un cartulaire et l’on peut se demander si leur histoire particulière aurait pu favoriser cette initiative. Ce questionnement pourrait apporter un éclairage au débat général sur les pratiques archivistiques des Cisterciens. En effet, identifier les choix propres à un établissement ou souligner des points communs devrait permettre de saisir comment les pratiques archivistiques peuvent refléter l’évolution de l’ensemble institutionnel qui s’est progressivement constitué en ordre. Rappelons tout d’abord deux tendances observées dans le traitement des archives des Cisterciens

1. Michel Parisse, « Les chanoines réguliers en Lorraine : fondations, expansion (xie-xiie s.) », dans Annales de l’Est, 5e série, 20 (1968), p. 347-388. Au diocèse de Toul, Lisle-en-Barrois fait exception, qui s’affilie à Saint-Benoît-en-Woëvre, abbaye de la branche de Morimond. Je remercie Marlène Helias-Baron et Laurent Morelle pour leurs judicieuses remarques lors de la révision de cet article. 2. E. Collot, Chronique de l’abbaye de Notre-Dame de Longuay (diocèse de Langres), Paris, 1868. Charles Lalore, Cartulaire de l’abbaye de Boulancourt, Troyes, 1869. Abbé Paul Lucot, « L’abbaye Notre-Dame de Boulancourt et le monastère du Lieu-des-Dames de Boulancourt, de l’ordre de Cîteaux en Champagne », dans Mémoires de la SACSAM, 1875-1876, p. 49-98.

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Conservation et traitement des actes à l’abbaye des Vaux-de-Cernay (xiie-xive siècle) Mathilde Geley Fondée en 1118 par Simon, seigneur de Neauphle, sur la terre du Val Bric-Essart, l’abbaye des Vaux-de-Cernay est aujourd’hui située sur la commune de Cernay-la-Ville. C’est d’abord une institution issue de Savigny, comme l’indique la notice de fondation1. En 1147, elle devient cistercienne à la suite de l’affiliation de la congrégation savignienne à l’ordre des moines blancs. La communauté connaît un fort développement économique et territorial au cours des xiie et xiiie siècles, aboutissant à son apogée dans les années 1240-1250. Son patrimoine s’étend alors jusqu’à Vernon au nord. Son fonds d’archives est conservé aux Archives départementales des Yvelines, dans la sous-série 45 H. 1 189 actes originaux des xiie-xive siècles – vidimus compris – y sont conservés2, selon la répartition chronologique suivante : ❙❙Quantité d’actes par siècle

Le graphique met bien en évidence la forte quantité d’actes du xiiie siècle conservés puisqu’ils représentent 74 % du corpus documentaire ; cette situation illustre parfaitement la production et la conservation massives des documents écrits que connaît ce siècle dans de nombreuses strates de la société médiévale3 ; c’est aussi le profil le plus courant des chartriers monastiques4. Viennent en deuxième place les actes du xive siècle avec 18 %

1. Arch. dép. Yvelines, 45 H 8, no 1. 2. Chaque vidimus est compté une fois, en tant qu’original ; l’acte vidimé qui s’y trouve inséré n’est pas pris en compte. 3. Sur cette question, voir : Paul Bertrand, « À propos de la révolution de l’écrit (xe-xiiie s.). Considérations inactuelles », dans Médiévales, t. 56, 2009, p. 75-92 ; Id. : Les Écritures ordinaires. Sociologie d’un temps de révolution documentaire (entre royaume de France et Empire, 1250-1350), Paris, 2015 (Histoire ancienne et médiévale, 138). 4. Voir, par exemple, Olivier Guyotjeannin, « French manuscript sources, 1200-1330 », dans Pragmatic Literacy, East and West, 1200-1330, Richard Britnell (éd.), Woodbridge, 1997, p. 51-71.

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Les livres capitulaires des abbayes italiennes : entre mémoire et administration. Observations préliminaires Guido Cariboni

LA MÉMOIRE CISTERCIENNE La prière pour les vivants et la commémoration des défunts occupaient une place centrale dans la vie de l’ordre de Cîteaux, mais, entre le xiie et le xiiie siècle, elles prirent une forme particulière qui distinguait les Cisterciens des autres institutions religieuses contemporaines1. En confrontant les différentes rédactions des Ecclesiastica Officia, le Liber usuum de l’Ordre, on peut observer, comme au cours des principales décennies du xiie siècle, que la mémoire individuelle clunisienne, qui était à l’origine en vigueur dans les abbayes cisterciennes, a été progressivement écartée et remplacée, avec certaines difficultés, par une tendance à célébrer des commémorations collectives pendant le chapitre quotidien, après la lecture de la Règle. On passa alors du statut individuel au statut collectif2. La formule liturgique utilisée était la suivante : Commemoratio omnium fratrum et familiarum defuntorum ordinis nostri3. Dans cette formule, on mettait l’accent sur deux caté-

1. Jacques Laurent, « La prière pour les défunts et les obituaires dans l’ordre de Cîteaux », dans Mélanges Saint Bernard. xxiv congrès de l’Association bourguignonne des sociétés savantes, Dijon 1953, p. 383-396 ; Joachim Wollasch, « Neue Quellen zur Geschichte der Cistercienser », dans Zeitschrift für Kirchengeschichte, t. 84, 1973, p. 188-232 ; id., « Die mittelalterliche Lebensform der Verbrüderung », dans Memoria. Der geschichtliche Zeugniswert des liturgischen Gedenkens im Mittelalter, Karl Schmid et Joachim Wollasch (éd.), Munich, 1984 (Münstersche Mittelalter-Schriftem, 48), p. 215-232, à la p. 229-231 ; Karl Schmid / J. Wollasch, « Societas et fraternitas. Begründung eines kommentierten Quellenwerkes zur Erforschung der Personen und Personengruppen des Mittelalters », dans Frühmittelalterliche Studien, t. 9, 1975, p. 1-48, à la p. 30-31 ; Joachim Wollasch, « Gemeinschaftsbewusstsein und Soziale Leistung im Mittelalter », dans Frühmittelalterliche Studien, t. 9, 1975, p. 268-286, à la p. 282-284 ; Arnoldt Angenendt, « Die Zisterzienser im religiösen Umbruch des hohen Mittelalters », dans Bernhard von Clairvaux und der Beginn der Moderne, Dieter R. Bauer et Gotthard Fuchs (éd.), Innsbruck – Vienne, 1996, p. 54-69 ; Guido Cariboni, La via migliore : pratiche memorali e dinamiche istituzionali nel liber del capitolo dell’abbazia cistercense di Lucedio, Berlin, 2006 (Vita regularis. Editionen, 3), p. 25-35 ; Christine Kratzke, « Bestatten – gedenken – repräsentieren : mittelalterliche Sepulkraldendenkmäler in Zisterzen », dans Citeaux. Commentarii Cistercienses, t. 56, 2005, p. 9-26. 2. Bruno Griesser, « Die Ecclesiastica officia cisterciensis ordinis des cod. 1711 von Trient », dans Analecta Sacri Ordinis Cisterciensis t. 12, 1956, p. 153-288, à la p. 170-172 ; Franz Neiske, « Cisterziensische Generalkapitel und individuelle Memoria », dans ‘De ordine vitae’. Zu Normvorstellungen, Organisationsformen und Schriftgebrauch im mittelalterlichen Ordenswesen, Gert Melville (éd.), Münster, 1996 (Vita regularis, 1), p. 261-283, à la p. 267 ; G. Cariboni, La via migliore…, p. 25-29. 3. Les Ecclesiastica officia cisterciens du xiie siècle. Texte latin selon les manuscrits édités de Trente 1711, Ljubljana 31 et Dijon 114. Version française, annexe liturgique, notes, index et tables, Danièle Choisselet et Placide Vernet (éd.), Reiningue, 1989 (La documentation cistercienne, 22), p. 204, no LXX, r. 25.

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MANIPULATIONS

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Le manuscrit no 1 de Bourbonne-les-Bains entre cotations, archives et mémoires : premiers résultats d’une enquête* Stéphane Lamassé et Benoît Rouzeau

Arrivant à l’abbaye de Morimond pour y inventorier les titres en 1790, les commissaires de Bourbonne-les-Bains consignent dans leur relation de l’événement : [nous] avons été conduits au cabinet des archives par Dom Antoine Joseph Potier procureur de l’abbaye où étant, avons trouvé les archives enfermées dans deux armoires […] chaque carton est étiqueté d’un lieu où sont situés les biens dont les titres sont enfermés dans vingt-huit cartons1. La lecture de ce registre fait apparaître des « archives » bien classées, selon une logique spatiale dans laquelle il est assez aisé de se retrouver. Excepté les cartons de Morimond contenant les bulles pontificales qui ont été placés en premier, tous les autres cartons se suivent par ordre alphabétique. Dans chacun d’eux, des liasses sont classées par ordre alphabétique de lieux (concernés) et, à l’intérieur, les titres chronologiquement rangés. L’administration des biens est donc la structure sur laquelle repose l’organisation de la documentation des moines blancs à la fin du xviiie siècle. En l’absence d’un cartulaire conservé entre les xiie et xive siècles, il est difficile de savoir si cette logique a prévalu durant toute la période d’activité du monastère. Il existe cependant un inventaire de gestion, que l’on pourrait qualifier de pseudo-cartulaire2, aujourd’hui conservé à Bourbonne-les-Bains3. Son existence revêt pour l’histoire de l’abbaye une importance singulière dans la mesure où il est fréquemment exploité comme gisement d’informations par les historiens. Il reste que les raisons de son écriture n’ont pas été interrogées. Il est évident que, si les moines prennent * Nous tenons à remercier vivement Hubert Flammarion qui a eu la gentillesse de mettre à notre disposition ses clichés du manuscrit, ainsi que Laurent Morelle pour sa précieuse relecture et ses conseils. 1. Arch. dép. Haute-Marne, 8 H 76, fol. 1. 2. Nous assumons le choix de cette expression, que nous préférons à cartulaire, utilisé par Hubert Flammarion et qui aurait été plus en adéquation avec la définition de la Commission internationale de diplomatique (Vocabulaire international de diplomatique, Maria Milagros Cárcel Ortí (éd.), Valence, 1997, nos 74-81, 84). Elle a aussi notre préférence par rapport à celui d’inventaire car une grande partie des analyses des actes sont assez longues. Un exemple comparable – et cistercien – est offert par le « cartulaire-inventaire » de Cercamp étudié par Laurent Morelle (« De l’original à la copie : remarques sur l’évaluation des transcriptions dans les cartulaires médiévaux »), dans Les Cartulaires. Actes de la table ronde organisée par l’École nationale des chartes et le GDR 121 du CNRS (Paris 5-7 décembre 1991), Olivier Guyotjeannin, L. Morelle et Michel Parisse (éd.), Genève-Paris, 1993 (Mémoires et documents de l’École des chartes, 39), p. 91-104, à la p. 93. Voir aussi dans ce volume, la contribution de Benoît-Michel Tock, « Les Cisterciens et l’écrit au xiie siècle. Considérations générales », p. 15-28. 3. Hubert Flammarion, Recueil des chartes de l’abbaye de Morimond au xiie siècle, Turnhout, 2014 ; H. Flammarion, B. Rouzeau et Georges Viard, Morimond quatrième fille de Cîteaux, Langres, 2010 ; Marlène Helias-Baron, Recherches sur la diplomatique cistercienne au xiie siècle, La Ferté, Pontigny, Clairvaux, Morimond, thèse d’histoire médiévale sous la direction de Michel Parisse, Université de Paris 1, 2005.

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Stimulating the Institutional Memory: the President Book of Fountains Abbey Michael Spence

The concept of institutional memory seems very appropriate for the contemporary digital environment, where ‘documents and databases of organizational transactions may be regarded as institutional memories’1. Yet, based on this definition, institutional, or as I prefer here, archival, memory, began long ago, at the moment when the earliest written record outlived its author. This paper concentrates particularly on some aspects of archival memory in the medieval monastic world, using examples taken from the English Cistercian house of Fountains Abbey, which became an adoptive daughter house of Clairvaux around 1133. Soon afterwards, the formidable support of Father Abbot Bernard of Clairvaux helped propel Fountains to a pre-eminent position of influence in England, which it exercised for some four centuries, until, in keeping with other religious houses, it surrendered to the English Crown under Henry VIII. For most of its existence, Fountains Abbey was the wealthiest Cistercian monastery in the country, the result of managing vast agricultural estates radiating from the abbey site in the north of England. Only a handful of documentary records have survived which give an indication of how the abbey acquired and controlled these landholdings. Nevertheless, incomplete as they are, remarkably they comprise a set of evidence connected over time, which permits an insight into the characteristics of archival memory. An examination of a sample of these business records suggests that this archival memory did not accumulate passively, but was actively assembled from the outset, and on subsequent occasions it was adjusted to align it with contemporary perspectives. These findings are consistent with the concept, developed by Patrick Geary and others, of archival memory as the outcome of a managed process applied to documentary records which influences their transmission to subsequent readers2. The concept of any memory rests on the passage of time, and this colloquium is an appropriate setting to point out that if we, in the twenty-first century, wish to examine records created nine hundred or more years ago, almost invariably their interpretation is inhibited by a variety of events which have distorted or obscured the original documents across the intervening centuries. These events may be both accidental and intentional: for example, accidental exposure to hazards such as damp, fire, or hungry rodents, is an all too frequent occurrence. However, intentional changes are the result of calculated archival manipulation, human intervention by those who would rewrite the past as they wish it to have been. Whilst the effects of fire, water, or

1. Ikka Tuomi, ‘Abstraction and History-from Institutional Amnesia to Organizational Memory’, in Proceedings of the 28th Annual Hawaii International Conference on System Sciences (3-6 January 1995), Wailea, 1995, p. 303. 2. P. J. Geary, Phantoms of Remembrance: Memory and Oblivion at the End of the First Millennium, Princeton (NJ), 1994.

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Manipulations archivistiques et modalités d’insertion dans un espace original : la gestion des archives des nouveaux établissements cisterciens de la Calabre méridionale normande et souabe (1150-1200) Annick Peters-Custot

L’Italie méridionale apparaît, non sans raison, comme un territoire en marge de la chrétienté, y compris après que la conquête dite « normande » l’eut insérée dans la juridiction de l’Église romaine après le contrat programmatique liant un des artisans de la conquête, Robert Guiscard, au pape Nicolas II lors du concile de Melfi en 10591. Depuis longtemps, c’est la caractéristique pluriculturelle de cet espace qui paraît justifier cette position périphérique. Trois groupes de population incarnent en particulier cette mixité culturelle2 : la présence italo-grecque, c’est-à-dire d’une population qui, jusqu’au xiiie siècle, appliquait le droit byzantin, écrivait en langue grecque et pratiquait le culte chrétien selon les canons liturgiques, ecclésiologiques et monastiques byzantins3 ; la population arabe, bien entendu en Sicile mais aussi, plus masquée mais probablement non négligeable, dans la Calabre du haut Moyen Âge4 ; enfin, la présence d’importantes communautés juives en Sicile comme dans la Péninsule. Or, il apparaît que les caractéristiques propres de cet espace relèvent moins du champ socio-culturel que du politique : en clair, la relative « marginalité » ou spécificité du « Mezzogiorno » italien et sicilien ressortirait surtout à l’empreinte d’une conception du pouvoir politique que je définirais – après d’autres – comme étant l’idéologie impériale5. C’est du moins ce que j’ai eu l’occasion d’exposer, au détour d’une contribution 1. Léon-Robert Ménager, Recueil des actes des ducs normands d’Italie (1046-1127). I. Les premiers ducs (1046-1087), Bari, 1980 (Società di Storia patria per la Puglia. Documenti e monografie, 45), no 6, p. 30-32. 2. Chrétiens, juifs et musulmans dans la Méditerranée médiévale. Études en hommage à Henri Bresc, Benoît Grévin, Annliese Nef et Emmanuelle Tixier du Mesnil (dir.), Paris, 2008 ; on y consultera notamment avec profit la contribution de Kristjan Toomaspoeg sur la cohabitation entre Teutoniques, juifs et musulmans dans la Sicile médiévale. 3. Annick Peters-Custot, Les Grecs de l’Italie méridionale post-byzantine. Une acculturation en douceur (ixe-xive siècles), Rome, 2009 (Collection de l’École française de Rome, 420). 4. L’ouvrage de Michele Amari, Storia dei musulmani di Sicilia, 3 vol., Florence, 1854-1872, reste une référence majeure, dont Annliese Nef explicite la vision dans A. Nef, « Michele Amari ou l’histoire inventée de la Sicile islamique : réflexions sur la Storia dei Musulmani di Sicilia », dans Maghreb-Italie. Des passeurs médiévaux à l’orientalisme moderne, xiiie-milieu du xxe siècle, Benoît Grévin (dir.), Rome, 2010 (Collection de l’École française de Rome, 439), p. 285-306. Il faut aussi se référer à Ead., Conquérir et gouverner la Sicile islamique aux xie et xiie siècles, Rome, 2011 (Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, 346) et à Alexander Metcalfe, « The Muslims of Sicily under Christian rule », dans The Society of Norman Italy, Graham Loud et Alexander Metcalfe (éd.), Leyde, 2002, p. 289-318. 5. Annliese Nef, « Imaginaire impérial, empire et œcuménisme religieux : quelques réflexions depuis la Sicile des Hauteville », dans Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 24, 2012, p. 227-249.

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Autorité des documents diplomatiques et efficacité du récit cistercien : l’exemple des abbayes danoises de l’Ordre Éric Delaissé

Les Cisterciens sont incontestablement maîtres dans l’art du récit. L’abbaye de Clairvaux a d’ailleurs été qualifiée de « grand atelier des histoires1 ». Les moines blancs ont effectivement rédigé une foule de petites histoires ou exempla dans le but de nourrir leur vie spirituelle. La rédaction qu’ils ont entreprise d’autres types de textes narratifs – notamment les récits de fondations et les chroniques de leurs monastères – procède de la même intention, même si des aspects très temporels sont souvent au centre du récit. Il s’agit dans la plupart des cas de raconter le passé du monastère afin de protéger celui-ci d’éventuelles initiatives extérieures qui viseraient le patrimoine de la communauté et qui, par « effet domino », mettraient en péril l’existence d’une vie spirituelle. Exposer les origines du monastère, préciser la provenance de ses propriétés, détailler les accords qui ont été passés avec les autres acteurs de la société sont autant d’éléments qui paraissent très utiles pour assurer une quiétude monastique, gage de santé spirituelle. Animés d’intentions aussi nobles pour leur monastère, les auteurs cisterciens entendent bien sûr réaliser des récits efficaces. Ils désirent dès lors montrer à leurs lecteurs la qualité de leur travail : ce qu’ils avancent repose sur des sources sûres. Pour appuyer les affirmations relatées dans leurs chroniques et récits de fondations, il n’est pas rare que les historiographes cisterciens utilisent leurs archives2. Le moine historien a effectivement besoin des documents originaux (ou de leurs copies) afin de mener à bien son travail3. À l’exemple de l’Exordium parvum, composition majeure de l’historiographie cistercienne, plusieurs textes narratifs cisterciens danois (xiiie-xive siècle) se caractérisent par la transcription régulière de documents

1. Brian Patrick McGuire, « A lost Clairvaux exemplum collection found: the Liber visionum et miraculorum compiled under prior John of Clairvaux (1171-79) », dans Analecta Cisterciensia, t. 39, 1983, p. 26. 2. Les Cisterciens ne sont bien sûr pas les seuls ni les premiers à le faire. Voir notamment : Peter Ruyffelaere, « Kloosterhistoriografie in het graafschap Vlaanderen in de twaalfde eeuw », dans Religion, mentalité et vie quotidienne. Histoire religieuse en Belgique depuis 1970. Actes du colloque des 23 et 24 septembre 1987, Michel Cloet et Frank Daelemans (éd.), Bruxelles, 1988, p. 33-46 ; Nicolas Mazeure, « Enregistrement et transmission de donations au Moyen Âge central. Un témoignage historiographique réévalué : Historia fundationis de l’abbaye de Waulsort (1152) », dans Revue bénédictine, t. 121, 2011, p. 165-213 ; La Vocation mémorielle des actes. L’utilisation des archives dans l’historiographie bénédictine des Pays-Bas méridionaux, xe-xiie siècles, Turnhout, 2014. 3. Bernard Guenée indique d’ailleurs que l’archiviste, le cartulariste et l’historien sont souvent une seule et même personne dans le monastère. Voir : B. Guenée, Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval, Paris, 1980, p. 93-94.

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En guise de conclusion : y a-t-il des pratiques cisterciennes de l’écrit documentaire ? Laurent Morelle Il est délicat de conclure un colloque quand on a été associé de près à sa préparation scientifique. D’autres que moi étant assurément plus habilités à en dresser le bilan, je me bornerai à rassembler quelques résultats, sans prétendre condenser la richesse des apports, en suivant plusieurs fils rouges qui m’ont paru progressivement s’imposer au long des communications entendues et lues.

ÉCRITS PRAGMATIQUES, ÉCRITS D’INTERFACE Peu de temps après la tenue, en cette même ville de Troyes, d’un colloque consacré principalement aux bibliothèques cisterciennes, aux œuvres qu’elles ont transmises et au phénomène de la transmission textuelle1, il paraissait juste d’attirer l’attention sur d’autres écrits en insistant sur les conditions de leurs production, gestion et conservation. Titres, lettres, « écritures ordinaires2 » et du quotidien des monastères3, instruments de la mémoire, compilations et outils facilitant l’accès aux sources et leur mise en relation : tels étaient les types d’écrits que les organisateurs souhaitaient mettre en avant, en somme des écrits qu’on qualifie volontiers de « pragmatiques »4, c’est-à-dire, dans le cas d’établissements religieux, 1. Les Cisterciens et la transmission des textes (xiie-xviiie siècles). Actes du colloque international (Troyes, 22-24 novembre 2012), Thomas Falmagne, Pierre Gandil, Dominique Stutzmann et Anne-Marie Turcan-Verkerk (éd.), à paraître. 2. J’emprunte ici volontiers son titre au beau livre de Paul Bertrand, Les écritures ordinaires. Sociologie d’un temps de révolution documentaire (entre royaume de France et empire, 1250-1350), Paris, 2015. 3. Je songe ici aux fragments de tableaux de service de l’abbaye de Clairvaux (1204-1221), document rare et riche vivier onomastique, dont une étude rédigée en 1949 par André Vernet, mais demeurée inédite, paraîtra prochainement dans la Revue Mabillon. Voir la notice de Pierre Gandil dans Clairvaux. L’aventure cistercienne. Catalogue d’exposition (Troyes, Hôtel-Dieu-le-Comte, 5 juin-15 novembre 2015), Arnaud Baudin, Nicolas Dohrmann et Laurent Veyssière (dir.), Paris, 2015, p. 373, no 46, et celle de François Dolbeau, dans Saint Bernard et le monde cistercien [catalogue d’exposition], Terryl N. Kinder et Léon Pressouyre (dir.), Paris, 1990, p. 222. 4. Pour une approche commode de la notion délicate d’écrit ou d’écriture pragmatique, on peut se reporter aux réflexions et références d’Harmony Dewez et de Pierre Chastang, dans Le Moyen Âge dans le texte. Cinq ans d’histoire textuelle au Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris, Benoît Grévin et Aude Mairey (éd.), Paris, 2016. On sait la difficulté à fixer strictement les contours d’une notion en construction, ou à regrouper des objets d’étude sous une expression synthétique. En témoignent les conclusions de Jean-Philippe Genet, à propos de la notion d’« écrit de gestion » au cœur de la rencontre de Namur de mai 2008 : Décrire, inventorier, enregistrer entre Seine et Rhin au Moyen Âge : formes, fonctions et usages des écrits de gestion [Actes du colloque, Namur (FUNDP), 8 et 9 mai 2008], Xavier Hermand, Jean-François Nieus et Étienne Renard (éd.), Paris, 2012 (Mémoires et documents de l’École des chartes, 92).

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ABSTRACTS* Benoît-Michel Tock The Cistercians and the written word in the twelfth century: some general thoughts Despite numerous works dedicated to this subject, the study of the relationship between the Cistercians and the written word remains a rich area of research. This is because, on the one hand, many texts have yet to be edited or studied, let alone translated; on the other, light has not really been shed on identifiable Cistercian practices. This article suggests, by way of hypothesis, that the Cistercians were more committed than others to circulating the written word, even in diplomatic form, but that during the twelfth century they were often reluctant to write the history of their abbeys. Richard Allen In search of a writing centre of Cistercian Normandy: the scriptorium of the Abbey of Savigny (twelfth– thirteenth centuries) This article examines the scriptorium of the Abbey of Savigny, head of Normandy’s only native order, which was incorporated into the Cistercian order in 1147. Located at the confluence of three principalities, the abbey was for many years an important centre of religious, intellectual and economic activity. Very little remains of the monastic library, but, fortunately, around 1,700 charters, for the most part dating from the twelfth and thirteenth centuries, have survived. Through the study of these acts, which form part of the only surviving medieval monastic archives for the two former dioceses of Coutances and Avranches, this article aims to shed light on the working of Savigny’s scriptorium and on its influence during the twelfth and thirteenth centuries. By studying such an imposing collection of documents, this article will also reflect on wider issues relating to the production, use, and conservation of the written word in the medieval Cistercian world. Thomas Roche Cistercian writing in twelfth-century Normandy: the case of the Abbey of Mortemer Mortemer was the first Cistercian house founded in Normandy, if one does not include the Savigniac Order. All that remains of its archives

is a late twelfth-century cartulary (even if we know that cartularies of the thirteenth and fifteenth centuries have since been lost), as well as a handful of charters from before 1200 and more than 160 thirteenth-century documents. The cartulary includes a brief history of the foundation of the abbey, along with copies of charters and notices compiled together in different chapters. The manuscript is essentially the work of two individuals: the chronicler and the cartulary scribe. Certain facts suggest that a large part of the cartulary is now missing. The charters, which the chronicler used in different ways, were carefully transcribed. Comparison with twelfth-century documents sheds light on the role played by the cartulary scribe, whose hand is also found in certain original charters, in archival annotation, and the drawing up of the abbey’s pancarte. This pancarte does not show signs of Cistercian influence, since it is not validated; its function was instead to record gifts in chronological order not otherwise confirmed by charter. Structural similarities between the pancarte’s individual entries and the cartulary, but also between the pancarte as a whole and the different chapters of the cartulary, suggest that the twelfth-century cartulary might be a draft of a cartulary of pancartes, interspersed with copies of more solemn charters and a foundation history of the abbey. Comparison with other Cistercian abbeys in eastern Normandy reveals no structural similarity with their cartularies, but does show the co-existence of different scribal cultures (scriptorium). It was not until the thirteenth century that standardisation became apparent, largely as a result of increasing recourse to episcopal and royal jurisdiction, alongside the diversification of records. Hubert Flammarion Episcopal chancery or a monastic school ? A comparison of the acts of the Abbey of Beaupré in Lorraine and the charters of the bishop of Toul in the twelth-century It is possible to compare the acts of Peter de Brixey, bishop of Toul (1165–1191), and those of the Abbey of Beaupré in the second half of the

* La traduction de ces réumés a bénéficié du regard de Richard Allen. Que celui-ci trouve ici l’expression de nos remerciements.

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INDEX NOMINUM En raison du nombre important d’occurrences, les vedettes « Bernard de Clairvaux (saint) », « Cîteaux » et « Clairvaux » n’ont pas été indexées. Cet index ne comporte pas non plus de renvois aux lieux de conservation des manuscrits cités dans l’ouvrage. Seuls les noms de lieu ou d’établissement faisant l’objet d’une entrée d’index sont identifiés. Les établissements religieux sont indexés à leur toponyme ou à leur dédicace.

Andoivre (Vosges, c. Lamarche, cne Senaide), grange : 279, 289 André, moine d’Ourscamp : 62 André II, sgr de Vitré : 34, 44 André d’Amance : 92-93 André de Pagliara, sgr de Mesoraca : 316 Angers (Maine-et-Loire) : 50, 145-146, 148, 151, 156, 161

A

– Évêques > voir Guillaume.

Abbaye-aux-Bois (L’) (Oise, c. Thourotte, cne Ognolles), abb. cist. : 214

– Saint-Jean, hôpital : 146

– Saint-Aubin, abb. bén. : 146, 148, 155-156, 161 – Saint-Maurice, cathédrale : 150

Absalon, archev. de Lund : 328-330, 332 Absie (L’) (Deux-Sèvres, c. Cerizay) : 149 Acey (Jura, c. Gendrey, cne Vitreux), abb. cist. : 214 Aciveiro (Espagne), abb. cist. : 114 Acquafredda (Italie), abb. cist. : 261, 263, 267-268 Adélaïde del Vasto, ctesse de Sicile : 313 Adrien IV, pape : 133, 140-141 Aigremont (Haute-Marne, c. Bourbonne-les-Bains) : 92, 278-279 Aiguebelle (Drôme, c. Grignan, cne Montjoyer), abb. cist. : 158 Ailred, abbé de Rievaulx : 16, 46, 132 Aimeric de Gâtines : 136 Alain de Flandre, abbé de Larrivour et év. d’Auxerre : 189-190 Alain de Lille : 134 Albéric (saint), abbé de Cîteaux : 136 Albéric de Humbert, archev. de Reims : 203 Albéric du Mont-Cassin : 134-138, 141 Albéron de Chiny, év. de Verdun : 230 Albert de Morra : 137 Albertin de Tortone : 143 Alcobaça (Portugal), abb. cist. : 99, 258 Aldersbach (Allemagne), abb. cist. : 143 Aldonça Eanes, abbesse de Celas : 110

– Saint-Serge, abb. bén. : 155 Anglecourt (Les)(Meuse, c. Vaubecourt, cne Courcelles-sur-Aire), abb. cist. : 217 Antoine de Bosredon, abbé de Morimond : 275 Antoine (Joseph Potier), procureur de Morimond : 271 Archembaud, sgr de Sully : 24-25 Argensolles (Marne, c. Avize, cne Moslins), abb. cist. f. : 187, 199201, 203, 206, 207, 211 – Abbesses > voir Ide, Marguerite. Århus (Danemark) : 322, 325-330, 335-336 – Évêques > voir Peder Ugotsen, Sven, Tyge. Armenteira (Espagne), abb. cist. : 114, 124 Arnaud, abbé de Bonneval : 16 Arnulf, convers de Villers : 199 Arouca (Portugal), abb. cist. f.  : 99, 100, 103-111, 340, 344 – Abbesses > voir Luca Rodrigues, Major Martins. Arras (Pas-de-Calais) : 22, 27, 80, 95, 142, 147, 163, 266 Arrouaise (Somme), abb. aug. : 27, 216-217 Asceline (sainte) : 16 Asgot, abbé d’Øm : 327 Astorga (Espagne) : 114 Athis-Mons (Yvelines, c. Aubergenville, cne JouarsPontchartrain) : 242, 253

Alexandre III, pape : 27, 140, 228-229, 317, 328

Auberive (Haute-Marne, ch.-l. c.), abb. cist. : 42, 205-208

Alexandre IV, pape : 27, 328, 331

Aubert, abbé du Pin : 150

Alice de Romilly, dame de Skipton Castle : 297-298

Augalo de Seignelay : 182

Aliénor Plantagenêt, reine de Castille : 100

Augsbourg (Allemagne) : 138, 143

Aliprand, abbé de Clairefontaine et de Morimond : 78 Almaziva (Portugal), abb. cist. : 104

Aumône (L’) (Loir-et-Cher, c. La Beauce, cne La Colombe), abb. cist. : 16, 46, 146

Alphonse VIII, roi de Castille : 100

Austrebosc (Eure, c. Gisors, cne Coudray), grange : 61

Alphonse IX, roi de León : 100

Autun (Saône-et-Loire, ch.-l. c.) : 147, 154, 164-165, 180 – Évêques > voir Henri.

Altzelle (Allemagne), abb. cist. : 134, 140 Álvaro Martins, tabellion de Coimbra : 105

Auxerre (Yonne), év. : 147, 154, 164-165, 175-177, 181, 189-190 – Évêques > voir Alain de Flandre, Hugues de Mâcon.

Amalfi (Italie) :

– Saint-Germain, abb. bén. : 165-166, 172

– San Pietro della Canonica, abb. cist. : 261, 267

– Saint-Marien, abb. prém. : 165-166, 172

Amance (Meurthe-et-Moselle, c. Nancy-Est) : 91, 93 Amaury de Verclives : 71

Avranches (Manche, ch.-l. c.) : 31, 36-38, 40-41, 44, 53-55, 80 –É vêques > voir Guillaume Ier Burel, Guillaume III Ptolomeus, Guillaume IV Burel, Guillaume V de Sainte-Mère-Église, Richard III.

Ambrières-les-Vallées (Mayenne, c. Gorron) : 37, 39, 49, 51-52 Ambroise (saint) : 133 Amédée de Hauterive, moine de Bonnevaux : 16 Anaclet II, antipape : 306 Anchin (Nord, c. Marchiennes, cne Pecquencourt), abb. bén. : 27, 147

B Bacqueville (Eure, c. Romilly-sur-Andelle) : 72 Bagneux (Hauts-de-Seine, ch.-l. c.) : 253

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TABLE DES MATIÈRES

MEMBRES DU COMITÉ SCIENTIFIQUE ET LISTE DES INTERVENANTS ........... p. 4

REMERCIEMENTS ......................................

p. 6

PRÉFACES Anne Mistler ................................................. p. 9 Directrice régionale des affaires culturelles d’Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine

Philippe Adnot .............................................. p. 11 Sénateur, Président du Conseil départemental de l’Aube

INTRODUCTION Les Cisterciens et l’écrit au xiie siècle : considérations générales Benoît-Michel Tock ...................................

p. 15

PRODUCTION À la recherche d’un atelier d’écriture de la Normandie cistercienne : le scriptorium de l’abbaye de Savigny (xiie-xiiie siècle) Richard Allen ............................................... p. 31 L’écrit cistercien en Normandie au xiie siècle : autour du cas de l’abbaye de Mortemer Thomas Roche ............................................... p. 55 Chancellerie épiscopale ou scriptorium monastique ? Confrontation des chartes de l’abbaye cistercienne de Beaupré en Lorraine et de celles de l’évêque de Toul au xiie siècle Hubert Flammarion ..................................... p. 75 Les pratiques de l’écrit dans les abbayes cisterciennes féminines du Portugal au Moyen Âge Maria do Rosário Barbosa Morujão .... p. 99

La culture écrite dans les monastères cisterciens du nord-ouest de la péninsule Ibérique (xiie-xiiie siècle) : une recherche en cours Ana Suárez González et Ghislain Baury ... p. 113 Les Cisterciens et les outils d’aide à la rédaction : un premier aperçu Anne-Marie Turcan-Verkerk ....................

p. 131

Les Cisterciens et le chirographe. Pratique et usages dans le Val de Loire et sur ses marges (xiie-xiiie siècle) Chantal Senséby ...........................................

p. 145

Les formules à Pontigny au xiie siècle : contribution à la diplomatique des Cisterciens et de leurs voisins Jean-Luc Benoit ............................................

p. 163

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CONSERVATION ET MÉMOIRE Conserver la mémoire dans la filiation de Clairvaux : usages et pratiques archivistiques dans cinq abbayes de Champagne (xiie-xve siècle) Arnaud Baudin ..............................................

Conservation et traitement des actes à l’abbaye des Vaux-de-Cernay (xiie-xive siècle) Mathilde Geley ............................................ p. 241 p. 187

La mémoire des « filles adoptives ». Le traitement des archives des abbayes de chanoines réguliers rattachées à l’ordre de Cîteaux en Champagne (xiie-xiiie siècle) Jean-Baptiste Renault ................................ p. 213

Les livres capitulaires des abbayes italiennes : entre mémoire et administration. Observations préliminaires Guido Cariboni ............................................ p. 257

MANIPULATIONS Le manuscrit n°1 de Bourbonne-les-Bains entre cotations, archives et mémoires : premiers résultats d’une enquête Stéphane Lamassé et Benoît Rouzeau ... p. 271 Stimulating the Institutional Memory: the President Book of Fountains Abbey Michael Spence ............................................. p. 293

Manipulations archivistiques et modalités d’insertion dans un espace original : la gestion des archives des nouveaux établissements cisterciens de la Calabre méridionale normande et souabe (1150-1200) Annick Peters-Custot ................................ p. 305 Autorité des documents diplomatiques et efficacité du récit cistercien : l’exemple des abbayes danoises de l’Ordre Éric Delaissé ................................................. p.319

CONCLUSION En guise de conclusion : y a-t-il des pratiques cisterciennes de l’écrit documentaire ? Laurent Morelle .......................................... p. 337

RÉSUMÉS ......................................................

p. 347

TABLE DES MATIÈRES .............................

p. 373

ABSTRACTS .................................................

p. 354

CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES ..........

p. 375

INDEX NOMINUM ......................................

p. 360

374

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