Correspondance France-Mexique. Étincelles d’une sensibilité commune Première édition 2015
Cet ouvrage a été réalisé avec le soutien de la Fondation d’entreprise La Poste
La Fondation d’entreprise La Poste met en œuvre un mécénat original et éclectique en faveur de l’expression écrite. Mécène de l’écriture épistolaire elle soutient l’édition de correspondances et les manifestations qui les mettent en valeur. Elle s’engage également en faveur de ceux qui sont exclus de la pratique, de la maîtrise et du plaisir de l’écriture. Enfin, elle encourage l’écriture vivante et novatrice : elle dote des prix qui la récompensent, elle soutient les jeunes talents qui associent texte et musique et elle explore l’écriture électronique à l’image de sa revue FloriLettres. www.fondationlaposte.org
trilce ediciones D. R. © 2015, Trilce Ediciones Carlos B. Zetina 61 Col. Escandón C. P. 11800. México, D. F. Tel.: 52 (55) 5255 5804 www.trilce.com.mx editorial@trilce.com.mx trilce@trilce.com.mx © Javier Pérez Siller idée originale, recherche épistolaire, annotations et textes © Jean-Marie Gustave Le Clézio © Jean Meyer préface Déborah Holtz Juan Carlos Mena édition
Jorge Bustamante retouche numérique
Joani Hocquenghem supervision de l’édition
Berenice Martínez Mariana Zanatta Fernando Islas asistants graphisme
Edgar A. Reyes Juan Carlos Mena conception éditoriale
Susana Echevarría Javier Pérez Siller paleographie en espagnol
ISBN 978-2-7572-0999-8 Somogy éditions d'art
Imprimé et fabriqué au Mexique
Réunion des Musées Nationaux Fototeca Nacional Archivo Genaro Estrada de la SRE L’Adresse Musée de La Poste Centre des Archives Diplomatiques de Nantes Fundación Orfila-Séjourné Musée de la Vallée de Barcelonnette Acción Católica de San Luis Potosí Biblioteca Francisco Xavier Clavigero de la UIA Museo Nacional de Arte Museo Nacional de Historia Correos de México archives photographiques
Mónica Braun Susana Echevarría coordination éditoriale
Anne Chomel Odile Guilpain paleographie en français
© Somogy éditions d'art, Paris, 2015
Javier Pérez Siller Mónica Braun Edgar A. Reyes Ramiro Santa Ana Kitzia Sámano recherche iconographique
Anne Chomel Odile Guilpain Brenda Morales José Waldo Villalobos traduction français-espagnol Fabienne Favre Claire Lewin José Waldo Villalobos traduction espagnol-français
Ramiro Santa Ana asistant éditorial Neige Sinno lecture d’épreuves
Tous droits réservés. Reproduction totale ou partielle du contenu du présent ouvrage interdite sous quelque forme que ce soit, connue ou en voie de l’être, sans le consentement préalable et par écrit de l’éditeur.
CE LIVRE A ÉTÉ RÉALISÉ GRÂCE À L A GÉNÉREUSE COLL ABORATION DE
es lettres sont une part fondamentale de l’évolution de la communication humaine et constituent une source inépuisable d’information historique. Dans ces écrits apparaissent la conversation privée entre amis, parents et intellectuels, et aussi le dialogue public entre leaders sociaux, autorités gouvernementales et hommes d’État. Durant plus de deux siècles, Mexicains et Français ont été unis grâce aux échanges épistolaires, c’est ce que met en évidence ce livre, Correspondance France-Mexique. Étincelles d’une sensibilité commune. Il s’agit d’un regard intime sur les grands événements qui ont relié les histoires de ces deux nations de 1789 à 1964. Ce sont en majorité des lettres inédites d’immigrants inconnus, de médecins, d’agriculteurs, d’artisans, de soldats, de Mexicains résidents en France et d’intellectuels français installés au Mexique, qui illustrent fidèlement leur vie quotidienne. Dans ces pages figurent, de plus, des lettres de personnalités telles que Victor Hugo, Justo Sierra, Auguste Rodin, Diego Rivera, Louis Pasteur et Belisario Domínguez qui nous permettent d’être les témoins privilégiés de leur contribution au renforcement des relations entre nos peuples.
XIII
Cette correspondance privée permet d’apprécier la perception du Mexique qu’ont les Français et celle que les Mexicains ont de la France, les idées principales qui ont uni les individus et les sociétés. Je suis sûr que ce travail deviendra un ouvrage de référence qui contribuera à la connaissance réciproque et aux échanges culturels entre les deux pays. Ce livre est publié en 2014, en l’honneur de la visite d’État au Mexique du président François Hollande. C’est aussi l’occasion de commémorer le 50e anniversaire de celle qu’a faite le général Charles de Gaulle en 1964, quand il a déclaré aux Mexicains, sur la Place de la Constitution, que la France et le Mexique marcheraient à nouveau « la main dans la main ». Ainsi, unis par notre fraternité, Mexicains et Français, nous continuerons d’écrire les pages de notre affectueuse relation bilatérale.
Enrique Peña Nieto
Président des États Unis Mexicains
XIV
l a m émoir e é pi s tol air e da n s l es r el at ions m e x iq u e - f r anc e
Pour étudier attentivement l’histoire commune de deux pays, la première chose à prendre en considération est peut-être la façon dont leurs citoyens, leurs gouvernants et leurs grands hommes communiquent entre eux. Il y a donc lieu de penser que pour en dresser un tableau fidèle, ce ne sont pas seulement les relations officielles qui nous éclairent, mais la correspondance établie entre toute sorte d’interlocuteurs. Les destins du Mexique et de la France se sont croisés depuis des époques où ces deux pays présentaient un aspect bien différent de celui d’aujourd’hui. Ce livre est fait de ces rencontres. Déjà en 1789, avant que le Mexique ne se constitue en nation et alors que la France passait par une des étapes les plus décisives de son histoire, François de Fossa, originaire de Perpignan, écrivait à ses proches pour leur donner des nouvelles de sa situation en Nouvelle-Espagne. D’autres points de convergence ont eu un caractère moins personnel. On connaît l’influence qu’a eue la pensée française des Lumières sur Miguel Hidalgo et l’importance des concepts venus d’outremer qui ont contribué à la formation du Mexique moderne. Dans ces pages figurent, par exemple, la correspondance de Justo Sierra et Victor Hugo au sujet de la guerre franco-prussienne ; ou celle où Melchor Ocampo manifeste sa fascination pour la modernité naissante durant son séjour à Paris. Il est notoire que le Mexique a vu en la France un modèle et que la France a vu dans le Mexique un égal. Mais leurs relations vont au-delà du domaine politique. Elles sont aussi le fait, à un niveau presque intime, du citoyen ordinaire, tel qu’ont peut le reconnaître en Eugène Latapi, la famille Fontanges ou le père Félix de Jesús Rougier. Les citoyens des deux pays ont établi un contact extraordinaire. Leur intérêt et leur influence réciproque sont indéniables. Sur le plan culturel, il y a davantage qu’un lien étroit.
XXI
Le Mexique accueille au XXe siècle de grands écrivains français, venus en quête de la richesse culturelle du Mexique et pénétrés de sa magie. En retour, si les Mexicains admettent une influence littéraire, c’est bien celle de la France. Dans l’histoire récente des deux pays, les relations se sont consolidées et la communication épistolaire en particulier n’a jamais cessé de témoigner des sentiments et des visions partagés par les expéditeurs et les destinataires. Au-delà des relations diplomatiques, voici, par exemple, la position personnelle de Gilberto Bosques durant la Seconde Guerre mondiale, ou l’importance de la visite au Mexique de Charles de Gaulle, en qui les dirigeants politiques mexicains de l’époque voyaient un modèle. Correspondance France-Mexique. Étincelles d’une sensibilité commune nous fait voir que les lettres ont la justesse de la proximité et en même temps que leurs auteurs y donnent libre cours à leur expression. Ce livre, qui présente la passionnante compilation de Javier Pérez Siller, met en lumière les bases solides sur lesquelles se sont construites les relations entre le Mexique et la France, telles qu’elles se manifestent dans la communication épistolaire, cette singulière façon de parler d’égal à égal.
R a f a e l T o va r y d e T e r e s a Président du Consejo Nacional para la Cultura y las Artes
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l e m e x iqu e e t l a f r anc e , u ni s …Vous avez eu l’occasion de voir et d’entendre le peuple mexicain, de parler avec lui ; vous savez qui nous sommes et ce que nous voulons, de même que nous savons qui vous êtes et ce que veut la France. Reprenant une de vos expressions, nous coopérerons « la main dans la main » pour le bien de nos deux pays au progrès de l’humanité… Message adressé par le président de la République, monsieur Adolfo López Mateos, au général Charles de Gaulle à l’occasion de sa visite au Mexique
Au mois d’avril de cette année, le président français François Hollande, se rend au Mexique où il est accueilli par son homologue, le président Enrique Peña Nieto, cinquante ans après la visite dans notre pays du président Charles de Gaulle, du 16 au 19 mars 1964. Adolfo López Mateos était alors président du Mexique. Au cours du déjeuner offert au chef d’État français au Palais national, le président mexicain déclara : « Les liens qui unissent nos deux républiques ne sont pas seulement spirituels. Notre volonté de les élargir aux domaines les plus divers en est une preuve tangible ». De Gaulle, pour sa part, fit noter que « Du point de vue des sentiments, tout pousse le Mexique et la France à se lier davantage, et il en est de même dans la pratique », et il ajouta : « Quand, chez deux peuples, le cœur et la raison s’accordent, la voie de la coopération est tracée ». À la fin de cette visite résonnèrent les mélodieux hymnes des deux pays. Il y a beaucoup à dire sur la source d’inspiration qu’a été la France, patrie spirituelle des hommes, pour les pays qui constituent aujourd’hui l’Amérique Latine et en particulier pour le Mexique. Les premiers élans de la lutte pour l’indépendance sont venus des nouvelles de la Révolution française, des exploits de Napoléon contre les monarchies européennes, des idées des grands penseurs du Siècle des Lumières : Rousseau, Montesquieu, Diderot…, des tendances architecturales comme le néoclassicisme, des habitudes vestimentaires ou de la mode, de la gastronomie, de l’éducation et de la culture en général qui ont été importées à diverses époques, et même des courants poétiques qui ont fleuri ici avec le Modernisme et où se sont illustrés des poètes de la taille d’Amado Nervo, Luis G. Urbina et Salvador Díaz Mirón.
XXVII
Il faut aussi évoquer les relations entre les artistes et écrivains mexicains qui ont vécu en France et les Français qui ont été éblouis par le Mexique. Le premier groupe inclut les peintres Ángel Zárraga et Diego Rivera, le poète Jaime Torres Bodet, qui fut ministre des Affaires Étrangères de mon père, notre très estimé Prix Nobel, Octavio Paz, ou le grand Carlos Fuentes auquel je fus lié par une profonde amitié. Le second comprend des écrivains comme Jean-Marie Gustave Le Clézio, également Prix Nobel de Littérature, Jacques Lafaye et Jacques Soustelle, un des spécialistes qui ont pénétré avec le plus de perspicacité la complexité de la culture olmèque, entre autres. En effet, la relation entre les deux pays a été principalement spirituelle et émotionnelle. Le passé est le passé et il est impossible de le changer. Le Mexique a eu deux graves conflits avec la France : ce qu’on a appelé la Guerre des Gâteaux, en 1837 et 1838, et plus importante, la Guerre d’Intervention, qui permit à Napoléon III d’imposer Maximilien de Habsbourg comme empereur des Mexicains en 1863. Aujourd’hui encore on célèbre l’anniversaire de la Bataille de Camarón de Tejada, dans l’État de Veracruz, épisode héroïque où un bataillon de la Légion Étrangère fut vaincu par les forces de Juárez lors d’un intense combat en avril 1863. Je suis d’accord avec Jules Michelet quand il remarque : « Celui qui veut s’en tenir au présent, à l’actuel, ne comprendra pas l’actuel ». Une réalité ne se comprend jamais mieux que dans ses causes. Il faut prendre en considération que ce ne furent pas des guerres entre deux peuples, mais entre un empire et une jeune république. Il est utile aussi de se rappeler, comme le fait très justement l’auteur de ce livre, Javier Pérez Siller, les lettres de solidarité de l’immortel Victor Hugo, adversaire de Napoléon III, à notre pays, adressées en 1863 aux habitants de Puebla et en 1867 au président de la République Mexicaine, Benito Juárez, des missives que le lecteur découvrira dans cet ouvrage et qui, de fait, ont été à l’origine de ce beau livre auquel ont participé dans l’enthousiasme des intellectuels mexicains et français. Je suis marié avec une citoyenne française. Christiane est arrivée au Mexique en 1964 et elle a éprouvé depuis lors un grand amour pour le Mexique. Alors que j’étais gouverneur de mon État natal de Veracruz (1998-2004), quand elle m’a accompagné à la commémoration de la Bataille de Camarón, que j’ai évoquée, elle était vivement émue et je me souviens encore que pendant que nous écoutions sous l’Arc de Triomphe, dans la Ville Lumière, l’hymne de sa terre natale, la Marseillaise, et l’hymne national mexicain, je percevais sa dévotion à ces deux nations.
En tant que Mexicain, et au titre de Président du Comité Patronal d’Organisation de l’Année du Mexique en France, j’ai profondément regretté, en 2011, l’annulation de cet événement qui aurait permis au public français de connaître la diversité et la richesse de notre patrimoine culturel. En tant que Président du Comité, j’ai assisté aux réunions où il a été décidé que notre pays se retirerait, car une circonstance imprévue en dénaturait l’esprit et le sens. Cependant, je n’ai jamais cessé de croire qu’à l’avenir les conditions pourraient à nouveau être réunies pour le rétablissement de relations plus fructifères et constructives entre les deux pays. À présent, ce qui nous rapproche est heureusement redevenu plus important que ce qui nous distancie. Les deux États ont la ferme intention de mettre en valeur et d’impulser les côtés positifs de leurs relations, les domaines de l’art, de la culture, du commerce et des investissements qui devront contribuer à l’essor de leurs économies respectives. Les générations de Franco-Mexicains qui vivent là-bas et ici apprécieront tous les efforts visant à ce que ces deux nations entretiennent des rapports d’harmonie et de compréhension mutuelle. Un nouveau livre sur les documents épistolaires, traitant en particulier de ce sujet, explorant les diverses époques de ces relations, est tout à fait bienvenu. Surtout en ces temps où les lettres ont pratiquement disparu, substituées par de brefs messages électroniques ou des notes laconiques qui nous renseignent sur notre situation momentanée, mais manquent de la profondeur avec laquelle les gens communiquaient auparavant. Dans ces lettres de naguère, qu’on attendait avec impatience, se conservaient les souvenirs, l’histoire, les relations sentimentales et amicales, et on y traitait, d’une façon patiente, détaillée, tous les aspects ayant trait à la vie des gens et de la société. Je félicite tous ceux qui ont rendu possible ce beau livre abondamment illustré, tout particulièrement son auteur, ainsi que Jean-Marie Gustave Le Clézio et Jean Meyer, qui nous ont permis de comprendre que les traits vitaux qui nous définissent en tant que nations doivent être la cordialité et le renforcement continuel de notre relation. Ce livre est la meilleure façon de dire : « Bienvenue dans notre pays, Monsieur le président français François Hollande ».
Miguel Alemán Vel asco Président du Conseil de Parrainage de la Fundación Miguel Alemán, A. C.
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c o r r e s p o n d a n c e
FrancE Mexique
J AV I E R PÉR EZ S I L L ER P r é fa c e
jean- m arie gustave le clézio jean me yer
Préambule XIII
Enrique Peña Nieto président des états unis mexicains
XIX
Rafael Tovar y de Teresa président du consejo nacional para la cultura y las artes
XXIII
Elisabeth Beton Delègue ambassadrice de france au mexique
XXvIi
Miguel Alemán Velasco président du conseil de parrainage de la fundación miguel alemán, a. c.
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P RÉLU D E Javier Pérez Siller
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P r é fa c e Jean-Marie Gustave Le Clézio et Jean Meyer
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SaluT 1789–1830 ENTRE LE VIEUX MONDE ET LE NOUVEAU
51 61 73 81 89 103 109
François de Fossa. Page du vice-roi de la Nouvelle-Espagne Militaires, pirates et corsaires français en faveur de l’indépendance Jean Arago. Fils d’une famille républicaine Thomas Murphy. Les trois glorieuses vues par un Mexicain Lafayette et la reconnaissance du Mexique Nicolas Guillemaud. Marié avec une riche Mexicaine… La communauté de Champlitte à Jicaltepec. Une nouvelle patrie
119
cHaPITre 1 1838–1871 SeNSIbIlITéS : SuJeTS Ou cITOYeNS
125 133 141 153 161 169 181 189 197 207 215
231
José María Luis Mora. Entre deux guerres Melchor Ocampo. La fascination de la modernité Dominique et Eugène Lèbre. Le travail ardu Michel Lassalle. « J’accepte votre mandat » José Fernando Ramírez. Le bibliothécaire René Masson. Au cœur de la presse républicaine Léon Fouray. « Des larmes dans les yeux » Eugène Latapi. Un photographe portraitiste inconnu Architectes de l’empire. Un palais qui s’écroule Officiers de l’intervention. « On nous assassine un peu » Victor Hugo et Justo Sierra. De la Seconde Intervention à la Guerre franco-prussienne cHaPITre 2 1875–1910 la belle éPOQue : la mODerNITé à la fraNÇaISe
237 243 253 257 263 271 281 289 297 303 309 315 323
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La veuve Favre. « Si je pouvais retourner » Louis Pasteur et le Mexique Belisario Domínguez. Étudiant à Paris La rue Miguel Hidalgo. Une rue à Paris Jesús F. Contreras. Sculpteur décoré Joseph Brousset. Une famille franco-mexicaine Professeur Justo Sierra. Seul à Paris Léon Martin. En gagnant sa vie au Mexique A la Ciudad de México. Un grand magasin à Buenos Aires L’avenue Porfirio Díaz à Barcelonnette Louis Magar. Le cuivre de Basse-Californie Le Palais Législatif Fédéral. Le triomphe de la mode française Río Blanco. Symbole de modernité et début de la révolution cHaPITre 3 1911–1945 PaSSIONS : réVOluTION, GuerreS eT réSISTaNce
335
La famille Fontanges. Entre l’Auvergne, Veracruz et Puebla
341 349 357 369 375 383 389 399 407 415 423 431
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La traite des blanches. Menacée par un proxénète Auguste Rodin. « L’étoile de l’Aube n’est-elle pas le héraut du soleil… » Wilhelm et Albert Kostrowitzky. Guillaume Apollinaire écrit au Mexique Les drames de « Paso de Telaya ». « On aurait dit qu’on rentrait dans une boucherie » Félix de Jesús Rougier Olanier. Les chemins de la foi Diego de Montparnasse « à Paris personne n’a besoin de l’art » Georges Bloch. Un « poilu mexicain » Alfonso Reyes. Ambassadeur de la culture André Breton. Pour un art révolutionnaire Antonieta Rivas Mercado. « Cela me fait mal de l’abandonner » Gilberto Bosques. Fraternité face à la violence Jacques Soustelle. La France Libre au Mexique a u r e voi r 1946–1964 racines et orientations communes
451 463 471 481 493 505
Victor Serge. « Un réfugié au quatrième degré » Jaime Torres Bodet. Un Mexicain universel Laurette Séjourné. Conquise par le Mexique précolombien Ricardo Basilio Anaya. L’église sur les deux rives François Chevalier et l’Institut Français d’Amérique Latine Les visites présidentielles. De Gaulle à Mexico
521
à P R O P O S D E L ’ AU T EUR
523
REMERC I EME N T S
528 534 537 538 541
I N D E X E T S O URCE S Table des lettres Index des noms propres Index géographique Bibliographie et sources consultées Crédits
PRÉLUDE Cher lecteur, Le livre que vous avez entre les mains est constitué de lettres qui ont traversé l’Atlantique entre la fin du XVIIIe siècle, alors que s’annoncent les idées qui vont définir la modernité, et l’année emblématique de 1964, celle de la première visite d’un président français au Mexique, Charles de Gaulle. Ces pages contiennent des histoires personnelles et collectives, des fragments de vie qui révèlent les liens profonds qui unissent deux peuples et qui nous aident à comprendre l’époque actuelle, caractérisée par la mondialisation et les mouvements migratoires. Les relations entre les peuples précèdent toujours les relations entre les gouvernements. 1 C’est l’esprit qui anime ce livre, le propos de ce recueil de quelque cent soixante lettres, inédites pour la plupart, de personnalités de la culture, de la politique, du commerce, de la science et des arts et, surtout, de migrants inconnus ou oubliés. Cette symphonie de voix s’accompagne d’images qui constituent un riche cadre visuel. Une minutieuse sélection iconographique recrée l’ambiance de l’époque : les lieux d’origine ou de destination des missives, les visages et les objets de ceux qui les écrivent, les événements sociaux ou politiques qu’ils ont vécus. Dans la majeure partie de la période que couvre ce livre, les lettres sont le moyen de communication par excellence ; tout passe par la communication épistolaire : message public, privé, intime ou
même mystique. 2 Après avoir été une activité individuelle ou familiale (les célèbres Thurn und Taxis du XVIe siècle) 3, la transmission de la correspondance devient au XIXe siècle un service public dont l’efficacité fait la fierté des nations. Le courrier parvient aux endroits les plus retirés et met en contact les continents ; c’est un gigantesque appareil avec son armée d’employés, son organisation complexe et ses techniques administratives sophistiquées. Beaucoup des images qui émaillent cet ouvrage rendent hommage aux Correos de México et à La Poste de France. En 1848 le directeur de La Poste Etienne Arago, frère du général de l’armée mexicaine Jean Arago, met en circulation le premier timbre français, que vous verrez dans ces pages, une innovation que Guillermo Prieto applique au Mexique en 1856. Les lettres sont illustrées aussi par des timbres qui ont immortalisé certains de leurs auteurs, des images de facteurs en ville, au village, à la campagne, et des cachets postaux français de l’époque de leur écriture. Le courrier est aussi une pratique sociale en pleine mutation. L’apparition d’autres technologies – le télégraphe, le câble sous-marin, le téléphone, puis le fax, l’ordinateur et maintenant l’internet et les messages par téléphones portables – a modifié les pratiques d’écriture et de transmission de texte. En témoigne la préface de ce livre, fruit d’un échange épistolaire… par courrier électronique.
1
Jean Bouvier et al., L’Impérialisme à la Française, 1914-1960, Paris, La Découverte, 1986.
2
Roger Chartier (dir.), La correspondance. Les usages de la lettre au XIXe siècle, Paris, Fayard, 1991.
3
Thurn und Taxis est le nom d’une famille aristocratique allemande d’origine lombarde qui contrôle le système postal allemand de la fin du XVIe siècle à 1867, année où l’empire prussien nationalise le courrier. [N. de l’É]
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Préface Correspondance France-Mexique pour l’utilisateur : Jean Meyer
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reçu le 1er avril 2011
de Jean-Marie Le Clézio
Jean , Lisant la lettre datée du 1er janvier 1849 que Dominique Lèbre adresse à ses parents pour leur raconter la longue traversée jusqu’au Mexique, j’ai d’abord pensé au voyage que mon tétraïeul (dirait-on bis-tatarabuelo ?) François Le Clézio avait fait pour arriver jusqu’à l’Ile de France (comme on appelait Maurice en ce temps), accompagné de sa jeune épouse Julie et de sa fille Anne, âgée de deux ans. Même longueur de temps (traversée un peu plus longue pour mon ancêtre, trois mois et demi) mêmes dangers, mêmes drames humains. La violence des tempêtes, la mort d’un marin tué par la chute d’un épar, la fuite devant les corsaires anglais, et enfin, au bout du voyage, l’éblouissement devant la beauté du pays. Pour Dominique Lèbre, la côte du Mexique, la douceur de l’air, la végétation tropicale, opposées au climat et à l’âpreté de la vie dans la vallée de Barcelonnette en hiver. Pour François, l’éclat des fleurs, la lumière, le bleu intense du lagon, si loin de son village natal de Neuillac, de la sévérité et de la difficulté de la vie dans l’intérieur du Morbihan. D’autres points de rencontre entre leurs aventures respectives seraient, pour Dominique Lèbre la tension politique en 1848, et pour François la misère dans laquelle la Révolution avait laissé la campagne bretonne, et les tueries consécutives à la révolte des Chouans (mais il était un soldat de l’armée révolutionnaire et il fuyait la guerre civile et la persécution de la religion). Cette lettre de Dominique Lèbre me touche parce qu’elle me permet de mesurer tout ce qui nous sépare de cette époque – le Mexique, cette terre tant « désirée », ou bien Maurice image de l’Eden, qu’aujourd’hui nous avons quelque mal à imaginer. Nous nous connaissons depuis longtemps, Jean, et pour moi l’arrivée au Mexique coïncide avec le début de notre amitié. Je ne crois pas t’avoir jamais parlé des premiers instants de mon arrivée á Mexico en août 67. Quelques semaines auparavant, j’étais en Thaïlande pour y effectuer mon service civil dans la Coopération culturelle. J’ai été expulsé de ce pays pour diverses raisons, comme tu le fus toi-même l’année suivante après la révolte étudiante et le massacre de Tlatelolco. J’arrivais donc avec une certaine appréhension, désireux d’oublier les mauvais moments de Bangkok. L’avion d’Air France a survolé la ville de Mexico en
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plein orage, cherchant un passage entre les nuages, au milieu des éclairs (je crois que l’avion a même été touché par une décharge). Au sol il tombait un rideau de pluie. Non pas la pluie suffocante et chaude de la mousson asiatique, mais une avalanche d’eau froide de la haute montagne, mêlée au vent et à la poussière, dans l’atmosphère lourde d’une ville gigantesque. Tout était inondé. Un taxi m’a conduit à la pension de famille de la rue Rio Sena, tenue par une vieille dame digne et acariâtre, car c’était là que le représentant de l’IFAL avait réservé une chambre. Je me souviens des images pieuses accrochées au mur, et d’un immense crucifix au-dessus du lit minuscule. J’avais plusieurs jours devant moi avant de me présenter à l’Ambassade, à l’attaché militaire. J’ai donc acheté un parapluie et j’ai marché dans les rues, dans la colonia Cuauhtémoc, puis dans la colonia Roma, au hasard. Le dimanche je suis allé comme tout le monde au parc de Chapultepec. Venant de Thaïlande, j’ai été frappé par la ressemblance de la foule mexicaine avec celle des rues de Bangkok. Mêmes visages sombres, mêmes enfants aux cheveux très noirs, aux yeux éveillés, et surtout, même silence dans leur comportement, je veux dire même discrétion, même retenue, regards qui s’évitent, absence d’agressivité – en dirions-nous autant aujourd’hui ? J’étais en terre inconnue, ne parlant pas un mot d’espagnol. J’avais avec moi un petit dictionnaire archaïque (des années 1860) qui ne devait pas faciliter la communication. Je me souviens de la surprise de la bonne de la pension quand au petit déjeuner, à l’aide du dictionnaire, je lui ai réclamé « pan tostado con manteca ». J’avais des ennuis à oublier. Je crois que ce premier contact avec la ville de Mexico, même s’il n’a pas été aussi émerveillé que celui de Dominique Lèbre, a tenu cependant du coup de foudre – peut être les orages électriques sublimes au-dessus de la ville, le grondement du tonnerre qui faisait vibrer les vitres de la pension ? À quoi cela était-il dû ? Qu’y a-t-il à Mexico (au Mexique dans sa généralité) que je n’avais pas trouvé à Bangkok, ni du reste à Paris ou à Londres ? Cela pourrait être de l’exotisme : il y a peu de capitales où l’on trouve réunis tous les extrêmes, de l’Occident et de l’Orient, de la vieille Castille à l’Amérique préhispanique. Ce ne sont pas les monuments, ni les musées, ni les lieux historiques. Davantage, peut-être, les églises. Mais c’est surtout l’affaire du peuple mexicain. Cette ville est un creuset dans lequel on peut deviner, voir en mouvement comme à l’état natif, les différents temps de l’histoire. Je venais d’arriver. Mes impressions étaient encore incertaines, mais je comprenais ce qui restait à découvrir. Pendant ces premières journées
P R É FA C E
SA LU T
ENTRE LE VIEUX MONDE ET LE NOUVEAU
INTRODUCTION
Colombes à tire d’aile, les lettres prennent leur impossible vol depuis les tremblantes tables où s’appuie le souvenir, la gravité de l’absence, le cœur, le silence. miguel hernández
Aimable lecteur, Je voudrais donner ici une vision de l’époque où ont été écrites les lettres réunies dans cet ouvrage et fournir quelques clefs pour comprendre le contexte dans lequel vivaient leurs auteurs. il s’agit d’une époque lointaine mais encore vivace : celle qui voit naître ce que l’on appelle en occident modernité ; tandis que le Vieux Monde n’en finit pas de mourir, le nouveau ne cesse pas de naître. Ces textes mettent en lumière certains aspects de la transition – lente, mais réelle et décisive – de l’Ancien Régime à la société moderne. Sous l’Ancien Régime, la loi et la souveraineté émanaient de Dieu, qui les conférait au souverain : c’était le droit divin. La religion jouait un rôle primordial et la société était divisée en ordres ou états. Ainsi l’homme – qu’on pensait assujetti à son destin – avait une place définie en tant que sujet et était rivé à sa condition de naissance. La forme politique par excellence était la monarchie, et sa version la plus outrée – ou perfectionnée ? –, l’absolutisme. Quant à la modernité, c’est une autre façon d’être en société, une sorte de principe fondateur de la mondialisation, qui a guidé – et peut-être guide encore – les nations. Dans la société moderne l’homme est le centre de l’univers, la souveraineté repose sur les individus libres et égaux en droit, devenus citoyens. La raison se construit, s’évalue et se traduit en lois et en institutions qui visent au bien-être général. La religion relève du domaine privé : on accepte la liberté de conscience et d’expression. Les citoyens exercent leur libre arbitre. La république libérale et démocratique est la forme la plus caractéristique de cette société moderne. Toute lettre commence par un salut, qui est la représentation du corps absent, la célébration de la rencontre et une porte ouvrant sur ses possibilités infinies. Ainsi, les sept groupes de lettres qui suivent font passer ce salut entre le Vieux Monde européen et son « invention » américaine, entre deux lieux où s’opère la métamorphose de l’Ancien Régime en société moderne, où la loyauté des sujets se change en liberté citoyenne. C Page 42, Jean-Augustin Franquelin, La Réponse à la lettre, xixe siècle. a Étienne-Joseph Bouhot, Cour d’une maison de roulage, rue Saint-Denis, dite cour Sainte-Catherine, 1815.
s a lu t:
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Les lettres du premier groupe sont celles de François de Fossa. Elles retracent les aventures d’un jeune homme qui, fuyant la Grande Révolution, émigre à Madrid et arrive dans le Nouveau Monde dans l’espoir de faire fortune. En Nouvelle-Espagne, l’histoire de son ascension et de sa chute s’entrelace avec celle des acteurs du soulèvement indépendantiste. Malgré la peur qu’inspirent les bouleversements dus aux révolutions et aux idées nouvelles, l’empire espagnol se désarticule et la naissance du Mexique en tant que nouveau pays est inévitable. Deux groupes de lettres témoignent de la participation de Français dans cette vaste lutte géopolitique où interviennent corsaires, militaires et émigrants au côté des leaders de l’insurrection américaine. Certains ont été chassés par la Restauration, comme Jean Arago, frère de l’illustre scientifique François Arago, qui quitte Estagel, en Catalogne française, pour réaliser son rêve de « construire un monde nouveau ». Entre la naissance longtemps ajournée de la modernité et la mort sans cesse différée de l’Ancien Régime se succèdent les luttes, les guerres civiles et les révolutions. Les lettres sont des fenêtres qui permettent de regarder la réalité du point de vue de leurs auteurs. Je dois avouer que plus je les lis, plus je constate leur pouvoir de persuasion, surtout celui des lettres du pouvoir. Elles ont la capacité de clarifier, de semer des idées, de fortifier la volonté, de susciter la foi et de mobiliser leur destinataire. Ainsi, le changement d’attitude de la France à l’égard des nouveaux pays d’Amérique a été précédé d’un échange épistolaire très nourri. Dans les deux groupes de lettres suivants, Thomas Murphy fils et le général Lafayette, le héros des deux mondes, entretiennent une correspondance qui est restée jusqu’à présent inédite. François Giordan adresse une longue lettre au nouveau « roi des Fran-
çais », où il dresse un tableau détaillé des nouveaux pays américains qui permet de comprendre leur passé colonial et d’agir efficacement au moment où ils se construisent en tant que nations. Cette synthèse magistrale donna une nouvelle orientation à la politique étrangère de la France et l’amènera à reconnaître le Mexique. La société de la Nouvelle-Espagne – organisée durant trois cents ans en castes et états – connaît alors un bouleversement difficilement imaginable : le passage à un système égalitaire et à des tentatives, timides ou violentes, d’exercice de la souveraineté populaire. Les deux derniers groupes de lettres rendent compte des efforts de rapprochement réalisés par certains individus et par les gouvernements de France et du Mexique. De part et d’autre on rêve d’une migration organisée pour canaliser la surpopulation française et construire un monde nouveau, pour modifier les traditions politiques des Mexicains et changer les anciennes formes de sociabilité et de pouvoir, ce que Giordan appelle le code politique. Dans ce but, le Gouvernement mexicain encourage la création de sociétés de colonisation qui amèneraient des familles françaises au Mexique. L’une de ces sociétés rassemble une centaine de personnes qui partent du Havre s’installer à Coatzacoalcos, sur la côte de Veracruz. Cette première tentative échoue, mais ce revers ne décourage pas les migrants qui vont suivre. De 1833 à 1835, des dizaines de familles originaires de Bourgogne s’embarquent et déclenchent une migration en chaîne vers Jicaltepec, localité située sur les rives du rio Nautla, au nord de Veracruz. Les lettres des nouveaux colons révèlent les obstacles et les épreuves que dut affronter cette expédition pour assurer son avenir. Comme l’une d’elles le signale : « On ne vient pas chercher une nouvelle patrie à deux mille lieues de son pays sans s’attendre à des obstacles et des souffrances ».
J av i e r Pé r e z S i l l e r
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Adhémar Kermabon, Bureau de poste, 1760, 1889.
Si le progrès des communications humaines à distance et en particulier l’évolution du système du courrier donne une idée assez nette du développement des sociétés, la conversation par lettres entre deux personnes montre l’évolution de leurs convictions les plus fermes. C’est le cas en particulier de De Fossa, de Jean Arago et de Stéphane Guénot (directeur de la colonie française de Jicaltepec).
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FRANÇOIS DE FOSSA PAG E
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DE
LA
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Un page d’un vice-roi fait ici une assez jolie figure… françois de fossa
Originaire de Perpignan, François de Fossa émigre en Espagne en avril 1793 avec le rêve de partir pour le Nouveau Monde et de faire fortune. Un rêve que de nombreux français nourrissent depuis le xviie siècle, bien que la Couronne espagnole restreigne l’entrée des étrangers sur le territoire de son empire. Plein d’illusions, De Fossa tente sa chance, parcourt la péninsule ibérique, noue des relations, se fait des amis, et la chance lui sourit à Madrid. Il fait connaissance du ministre de la guerre, Miguel José de Azanza, qui lui promet son soutien. Pendant les cinq années où il vit en Nouvelle-Espagne, de Fossa écrit très librement à sa sœur Teresa. Les lettres qu’il reçoit, tout comme celles qu’il envoie, lui sont indispensables pour supporter la séparation et garder le moral face à l’adversité ; il répète constamment que sans elles il perdrait la tête. Français dans un territoire de l’empire espagnol, il apporte un regard extérieur, souvent critique, sur ce monde qu’il parcourt. Il en revient très hostile au système colonial espagnol, dont il critique la corruption et le mépris avec lequel sont traités les gens du peuple. Il écrit à sa sœur : « Je suis parti royaliste et je reviens républicain. Qui m’eût dit, il y a onze ans, qu’à mon retour en France j’y trouverais établi le royalisme tandis que je serais moimême devenu républicain ? L’expérience condamne mon opinion à devenir l’antipode de ce qu’elle était jadis » (Valencia, 2 juin 1804). Ann i c k F ouc r i e r
C Pages 48-49, Veracruz, vue d’un ballon dirigeable, dessin de Francisco García lithographié par Casimiro Castro et publié par les ateliers lithographiques de Joseph Decaen, vers 1850. a Anonyme, Vice-roi Don Miguel José de Azanza, xviiie siècle. En 1776 les États-Unis deviennent une république indépendante et à la même époque les créoles de l’Amérique espagnole, nourris des idées des Lumières, commencent à lutter pour avoir la même autorité que la métropole. Jusqu’à 1789, la France tout comme l’Espagne sont gouvernées par la dynastie des Bourbons.
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MILiTAIRES, PIRATES ET CORSAIRES FRANÇAIS EN
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DE
L’INDÉPENDANCE
C’est pour moi une joie infinie de voir que vous avez l’intention d’embrasser la cause que je soutiens moi-même depuis huit ans et que je n’abandonnerai jamais, c’est-à-dire l’émancipation des provinces mexicaines
jean lafitte
L’intense activité des pirates dans les mers du sud et le Golfe du Mexique, ainsi que le désastre de Trafalgar en 1805 amènent la destruction presque totale de la marine espagnole. La fin d’une présence maritime efficace de l’Espagne en Amérique au début du xixe siècle est l’une des principales causes de l’Indépendance. Sans sa flotte de guerre, la métropole n’a pas de présence dans ses colonies et son administration se trouve condamnée dans tout l’Empire [...]. Dans le Golfe du Mexique, la mer des Antilles et les Caraïbes, la participation des corsaires français est décisive dans la lutte pour l’Indépendance. Le général Humbert, Luis Aury, les frères Lafitte, Sauvinet, Dominique You, Belluche, Laporte, Legrand Bernard, Chevalier, Michel, Nicolas, Lamaison, Fabiani, Joly, Ducoing, Barriteau, Villeret ne cessent d’armer et d’envoyer un grand nombre de bateaux sous divers pavillons indépendants, après avoir obtenu la patente de corso des insurgés du Mexique, de Colombie, du Venezuela et même de Buenos Aires. J a c q u e s P é no t
a Real Armada (Oficial de Marina, Guardia Marina) (détail). Page 140 du « Estado de el Exercito y Armada de S.M.C » , Espagne, 1807. Les guerres napoléoniennes (1803-1815) désintègrent le pouvoir naval de l’Espagne et de la France et renforcent celui de l’Angleterre, ce qui lui permettra de devenir la principale puissance coloniale. Cette situation contribue au chaos dans le Golfe du Mexique et la mer des Caraïbes (la « Méditerranée américaine » comme les appelle Pierre Chaunu) ; les nouveaux gouvernements nationaux embauchent des corsaires pour défendre leurs eaux territoriales. S’ils obtiennent une lettre d’autorisation (« patente de corso ») pour leur activité de pillage, vol et attaque en mer, ces groupes peuvent se dire corsaires ; les groupes qui agissent sans la protection d’un État sont désignés sous le terme de pirates.
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JEAN ARAGO F il S
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Fa M i lle
r éPUBliCai Ne
Pris dans les tournants politiques qui agitaient mon pays en 1815, j’abandonnai la France en août 1816 et rejetant les propositions d ’emploi très alléchantes que les excellentes relations de ma famille pouvaient me présenter dans d’autres États d’Europe, je décidai de donner la préférence à la cause de la liberté. jean arago
Aujourd’hui le général Arago, Français de naissance, bon officier qui avait participé à l’expédition de Mina, a été enterré à San Fernando. il avait accompagné Santa Anna lors de l’expédition du Texas, d’où il était revenu avec une grave hydropisie. il avait subi plusieurs opérations et on avait dû lui extraire une énorme quantité d’eau. La malchance avait continué lorsque son seul frère, qui vivait à Puebla, avait voulu lui rendre visite : la diligence qui le transportait s’était renversée, le malheureux s’était brisé les deux jambes et n’avait pu poursuivre sa route. Arago avait été nommé commandant général du Mexique, et il avait montré alors cette impétuosité propre aux étrangers qui nous regardent de haut […]. Le corps d’Arago a été accompagné sans fastes à son tombeau par ses compatriotes. CarlOS MarÍa De BUStaMaNte
a
Dominique-François Arago, xixe siècle.
Le père de Jean Arago et de ses frères, un paysan catalan qui était devenu maire d’Estagel, participa à la Révolution au côté des jacobins et devint fonctionnaire de l’empire. Chacun des membres de cette nombreuse famille républicaine s’est distingué dans la société française.
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THOMAS MURPHY LE S
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La nation a déjà pris goût au système constitutionnel et ne se résignera pas facilement à ce qu’on la dépossède impunément de ses privilèges
thomas murphy fils
Tout est réglé très vite ; en trois jours d’insurrection parisienne, les 27, 28 et 29 juillet. Le 30, Charles X retire les ordonnances, mais il est trop tard pour sauver son trône, et le 9 août, son cousin, le duc d’Orléans, devient non plus roi de France, mais roi des Français. La révolution de 1830 – « l’éclair de Juillet », dira Michelet – est la plus « réussie » de l’histoire nationale [de la France], si on la rapporte à son objectif qui est d’éliminer les ordonnances et de chasser du même coup les Bourbons : à la fois victorieuse et brève, elle atteint son but en quelques jours. Volonté du peuple en acte, elle redouble de façon spectaculaire la tradition née le 14 juillet 1789. Si pourtant elle a laissé à beaucoup de ses acteurs un souvenir ambigu, c’est qu’elle débouche sur l’instauration d’un nouveau roi, comme si elle avait été incapable de s’affirmer elle-même après avoir vaincu. f r a n ç o i s fou r e t
a Eugène Delacroix, Le 28 juillet 1830 : la Liberté guidant le peuple, 1830.
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Le général Lafayette […], en cette occasion, comme toujours, s’est montré un avocat zélé de notre cause. thomas murphy jr.
Le cabinet français adopte une attitude attentiste et hésite à prendre une position définie. En 1822, il décide d’envoyer des agents secrets au Mexique : le colonel Schmaltz et son secrétaire De la Motte. En 1823, Villèle envisage un instant la possibilité d’aider Ferdinand vii à récupérer ses colonies perdues. En 1824, le lieutenant Samouel se rend au Mexique pour proposer la médiation de la France entre l’Espagne et le Mexique et affirmer la neutralité de son pays. En 1826, le Gouvernement français envoie Alex Martin au Mexique, comme « agent confidentiel du commerce français », biais trouvé par la France pour ne pas envoyer de consuls officiellement accrédités. En retour, Thomas Murphy [père] est admis à la cour de France au titre d’agent confidentiel du Mexique à Paris, où il arrive en décembre 1826. [...] Il faudra attendre 1830 pour que la France, poussée par ses intérêts commerciaux et désireuse d’obtenir un traitement de faveur, reconnaisse officiellement le Mexique indépendant. jacques pénot
a Jean Suau, Allégorie de la France libérant l’Amérique, 1784. Dans ce nouveau groupe de lettres, l’auteur de la précédente correspondance, Thomas Murphy fils, reste présent. S’il nous a fait partager un regard étranger, mexicain, sur la révolte populaire et le changement de régime de 1830, il nous donne maintenant un aperçu, de l’intérieur, du jeu diplomatique et politique français.
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NICOLAS GUILLEMAUD M ARIÉ
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Il est maintenant établi à Tixtla, village situé aux environs d’Acapulco, où il a épousé une Mexicaine fort riche. laisné de villevêque
Quelques colons survivent à l’échec de Coatzacoalcos (naufrages, inondations, maladies) ; certains sont rapatriés et d’autres se dispersent dans les régions avoisinantes. Mathieu de Fossey et Pierre Charpenne ont chacun publié un livre où ils racontent ce drame. Mais aussi un des naufragés du navire L’Amérique, Louis Nicolas Guillemaud (1810-1864) a laissé ses mémoires et des lettres inédites. Né à Cluny, Guillemaud obtient le titre de bachelier à Dijon et s’installe à Paris pour étudier la médecine. Dans la grande capitale il rencontre Benoît Augros, originaire la même ville, qui lui montre la brochure de la « Compagnie Européenne de Tehuantepec » et le convainc de tenter avec lui l’aventure du Nouveau Monde. Ils partent du Havre le 27 novembre 1829 pour Coatzacoalcos, où ils arrivent le 24 janvier 1830. Avec trois des survivants, Guillemaud se rend à Oaxaca. Il y rencontre par hasard Paul Grégoire, compatriote et camarade de classe qui l’introduit dans la société de Oaxaca et lui trouve un travail d’écrivain avec Juan José Quiñones, célèbre avocat et chef du « parti écossais ». Comme beaucoup d’émigrants, il voyage également à Mexico avant de séjourner à Chilapa où il rencontre l’amour de sa vie, Manuela Astudillo, avec laquelle il se marie en 1836. Le jeune couple s’installe définitivement à Tixtla dans le Guerrero, où ils ont quatre fils et deux filles. Entre 1840 et 1860, Guillemaud devient député dans l’État de Guerrero, membre de l’assemblée constituante de 1850, magistrat et fondateur d’écoles pour enseignants. Il meurt en 1864 à Acapulco. Sa famille conserve sa correspondance avec sa sœur cadette, Marie-Joséphine. JPS
a Nicolas Antoine Taunay, Une rue dans une ville du Midi, XVIIIe siècle. Les deux livres mentionnés sont : Viage a Méjico, de Mathieu de Fossey, Mexico (imprimerie d’Ignacio Cumplido), 1841 ; et Mon voyage au Mexique ou le colon du Guazacoalco, de Pierre Charpenne, Paris, Roux Editeur, 2 vol., 1834-1836. Le « parti écossais » désigne les élites politiques qui militent dans la franc-maçonnerie sous l’obédience de l’ancien rite écossais ; ce courant maçonnique fut importé par conseiller du dernier vice-roi de la Nouvelle-Espagne et prit une grande importance au Mexique à partir de l’indépendance.
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ORIGINAL DE MARIE-JOSÉPHINE GUILLEMAUD, CLUNY, SAôNE-ET-LOIRE, FRANCE | À NICOLAS GUILLEMAUD, TIXTLA, EDO. DE MÉXICO, MEXIQUE | 18 AVRIL 1836
Louis-Philippe, roi des Français, a été attaqué plusieurs fois mais toujours il en est quitte.
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Le style parisien dans El Correo de Ultramar, journal de mode de 1851.
À la différence des textes présentés antérieurement, les lettres de Marie-Joséphine Guillemaud ont un ton et un langage singuliers. Ce sont des missives très intimes qu’une jeune fille de province envoie à son grand frère. Ici n’apparaissent pas les grands événements exposés par d’importants personnages politiques et intellectuels, mais le point de vue familial, domestique, la « petite histoire » en action. Une famille séparée qui essaye de faire partager sa vie quotidienne dans des circonstances très différentes : une photographie instantanée de l’époque.
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De Marie-Joséphine Guillemaud, Cluny, Saône-et-Loire, France | à Louis Nicolas Guillemaud, Tixtla, état de MExico, Mexique | 18 AVRIL 1836
Mon bon frère, 1 Je réponds avec précipitation à ta lettre du 23 octobre 1835 craignant que notre réponse à celle du 25 juillet ne te sois pas parvenue. […] Mais rassure-toi, le choléra-morbus qui a fait d’affreux ravages à Paris, Versailles, etc., n’est point venu jusqu’à nous, nous en avons été quittes à fort bon marché, c’est-à-dire pour la peur ; ainsi la perte de tes lettres que tu nous dit être nombreuses n’est attribuée qu’à la peste, la guerre ou au peu de soin qu’on en prend, ou enfin aux naufrages qu’on dit être fréquents : mais à présent que la paix est rétablie ici comme là-bas, que le choléra n’existe plus, nous espérons une correspondance fréquente et durable qui nous consolera du passé et adoucira un peu l’avenir, bien peu mais enfin puisque le sort le veut ainsi. Ô que nous serions heureux de te revoir après tant d’années d’absence ! Maman dit qu’elle ne te verra jamais, mais trompe-la donc, pour moi j’espère, cette pauvre mère qui a tant pleuré pleurerait encore mais ce serait de joie ainsi que notre bon père. Viens, tous les bras s’ouvrent à toi. Tu nous dit que tu t’étais choisi une épouse chargée de qualités, et oui, il faut bien choisir, la vertu par dessus tout car c’est elle qui nous rend heureux au milieu même des malheurs qui fondent sur le pauvre mortel avec la rapidité de l’éclair. Mais je suis persuadée que tu la choisiras comme tel, et l’amour, ce guide aveugle, sort les vertus et méconnaît les vices ; tu sais, la réflexion n’est jamais de trop surtout lorsque il s’agit d’une affaire aussi importante. Voilà un vrai prône, mais j’espère que l’amitié fraternelle te fera goûter avec douceur ces avis de ta sœur cadette quoique cela ne lui convienne pas, et puis songe donc que la France possède quantité de demoiselles aussi charmantes qu’elles peuvent être aux Mexique. Nous sommes cependant bien contents de te voir fixer à Chilapa que tu aimes, mais je ne voudrais pas que tu dises que ce sera pour longtemps. Au sujet de ton épouse dis nous tout ce que tu en sais, cela nous intéressera beaucoup. Ne crains pas comme tu nous le dit d’être trop long ; vraiment je ne te conçois pas : laisser du papier blanc [quand] l’on a tant de choses à se dire, ce me semble serait grande folie. […] Tu as été fait prisonnier, nous en tremblons encore ; je le pensais souvent, nous sommes encore à croire que tu en sois entièrement échappé, nous t’engageons à ne pas te rendre aux sollicitations de M. Quiñones qui pourrait encore te faire prendre plus que ta part aux choses politiques. Je te félicite du parti de travailler en homme raisonnable, je crois que ce sera là le meilleur. […] Adieu donc. Une prompte réponse et en long détail que je désire bien. Ne m’oublie pas ; je voudrais t’écrire un gros volume. Papa, maman, ta sœur et moi aussi te donnent un gros baiser et une grosse larme au bout. Pour la vie ta petite sœur, M ARIE G U I L L E M A U D
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Les parents de Nicolas Guillemaud sont Étienne Guillemaud et Anne Gobet, on lui connaît deux sœurs, Marie-Louise et Marie-Joséphine.
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DE MARIE-JOSÉPHINE GUILLEMAUD, CLUNY | À LOUIS NICOLAS GUILLEMENAUD, TIXTLA | 18 JUILLET 1837
Chers frère et sœur, Je t’écris avec l’espérance que ma lettre devance la boîte que nous t’envoyons, elle est partie de Lyon le 12 mai 1837. Je n’entrerais pas dans de longs détails parce que tu trouveras des lettres avec les graines que je t’envoie […]. Tu me fais la description de ta maison qui, sans doute, est plus belle que la nôtre, mais pourtant je veux t’en dire quelque chose, nous l’habitons depuis le 12 juin 1837. Deux chambres basses dont une est la cuisine et l’autre est ma chambre à moi seule, un large corridor conduit au jardin qui est fort petit. Un large escalier monte au second où loge un locataire qui est un employé aux droits réunis ; enfin nous sommes assez commodément. Venez nous voir, nous vous logerons bien, le mieux que nous pourrons, et d’ailleurs lorsque le cœur l’offre on ne doit pas regarder la maison. Papa a toutes les envies du monde d’aller te voir, maman s’y opposerait assurément, ou bien, dit-elle, partons tous, alors je veux bien, et je te promets bien que ce ne serait pas moi que serait fâchée de quitter Cluny si je n’avais rien qui m’y attachât. Tu ris, que dis-tu de nous voir former de pareils châteaux en Espagne ! […] La France est maintenant assez tranquille, cependant le commerce n’est pas brillant, je pense que tu sais les nouvelles que Louis-Philippe, roi des Français, a été attaqué plusieurs fois mais toujours il en est quitte 1. […] Nous venons de recevoir de tes nouvelles. Le 9 octobre de l’année passée, nous ne savions plus que penser de ton silence, nous avons écrit au ministre de Paris de faire passer ta lettre dans les dépêches du gouvernement et de prendre des renseignements sur ton compte. il s’en est bien occupé, je vais te dire en peu le contenu de sa lettre. Monsieur Nicolas Guillemaud n’habite plus Chilapa, il est maintenant établi à Tixtla, village situé aux environs d’Acapulco, où il a épousé une Mexicaine fort riche. il a écrit le mois dernier à sa famille. C’est M. Gallix, de Mexico, qui a été chargé de faire parvenir sa lettre en France et qui a fourni les présents renseignements. Laisné de Villevêque 2
J’ai reçu cette réponse le 28 juin. […] Néanmoins nous désirons bien que cela te parvienne. Pour les graines que tu m’as données, elles ne sont point venues, je l’attribue au printemps qui a été très froid et pluvieux. Car ce ne sont point les soins qui ont manqué. Pour les noyaux et fruits que tu nous demandes c’était impossible, car la saison étant passée, il faut bien attendre. J’ai encore une grâce à demander, je t’en conjure écris mais le plus souvent possible, c’est la seule consolation qu’il me reste […]. Adieux donc bon frère, adieu bonne sœur, adieux chère famille. Puisse le Ciel exaucer les vœux que nous formons pour votre bonheur. Je vous embrasse tous ; recevez mon cœur, c’est tout ce que j’ai à vous offrir. Ta sœur, M a r i e - J o s é P H i n e g U i L L e M aU d
1
Louis-Philippe échappe à plusieurs attentats au cours de son long règne (1830-1848).
2
En 1829, Athanase Laisné de Villevêque est nommé vice-consul de France à Acapulco, et de 1830 à 1839 il a les fonctions d’assistant du consul de France à Mexico.
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ORIGINAL DE MARIE-JOSÉPHINE GUILLEMAUD, CLUNY | À NICOLAS GUILLEMENAUD, TIXTLA | 18 JUILLET 1837
il faut que je te dise ce que nous t’envoyons dans ta boîte afin que tu puisses nous dire si tu l’as reçu tel : 2 bocaux de graines contenant 85 espèces tant fleurs que légumes Jérusalem délivrée Catéchisme philosophique 2 brochures d’histoire La Bonne Mère 3 Le paradis perdu de Milton 1 thèse de médecine 1 catalogue 1 mouchoir en soie 1 peigne Une poupée Des lunettes
3
Il pourrait s’agir de La bouna moglie (1771), comédie de Carlo Goldoni. [N. de l’É.]
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William Callow, Vue de l’intérieur du port du Havre, xixe siècle.
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LA COMMUNAUTÉ DE CHAMPLITTE à JICALTEPEC U N E
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On ne vient pas chercher une nouvelle patrie à deux mille lieues de son pays, sans qu’on ne doive s’attendre à des obstacles et à des souffrances… abbé charles melot
L’échec de la colonie de Coatzacoalcos n’a pas découragé l’esprit colonisateur des Mexicains et Français. Une autre compagnie colonisatrice se crée en Bourgogne, à l’initiative d’un ancien officier de l’empire qui, comme tant d’autres, s’est exilé au Mexique pendant la Restauration. Stéphane Guénot, originaire d’Autray-lès-Gray en Haute-Saône, voyage d’abord aux États-Unis. Il arrive en 1828 à Veracruz, où il attrape la fièvre jaune. Heureusement il y rencontre le docteur Jean-Louis Chavert, qui avait été appelé par le gouverneur Santa Anna pour étudier cette maladie mortelle. Le docteur Chavert, naturalisé mexicain, possède des terres au bord de la rivière Nautla au nord de Veracruz, et il encourage Guénot à acheter un terrain. Fin 1831, Guénot obtient par un intermédiaire un prêt de la Société des Œuvres Pieuses de l’évêché de Puebla et peut alors acquérir des terres et un peu de bétail. Il obtient la nationalité mexicaine et fait connaissance à Veracruz de six survivants de la colonie européenne de Coatzacoalcos, Yacinthe Dupieux, Alexandre Estefeniz, Michel Barra, son épouse, et les frères Carbillet, qui lui transmettent leur expérience afin d’améliorer son projet de colonisation. De l’automne 1832 au printemps 1833, Guénot s’occupe des préparatifs à Dijon et diffuse en France une brochure de la Compagnie Européo-Mexicaine pour attirer des « colonsassociés » et organiser une sorte de « phalanstère mexicain » à Jicaltepec, dans l’état de Veracruz. Après bien des péripéties, le 19 septembre 1833, le trois-mâts L’Aigle Mexicain, prend la mer au Havre avec 98 personnes à bord (hommes, femmes et enfants), à destination de Veracruz. Ainsi commence l’histoire d’une communauté agricole française du Mexique qui perdure encore… J EA N - C H RI S T O P H E D E M AR D
Champlitte est une localité française du département de la Haute-Saône, en Franche-Comté. C’est le lieu d’origine des premières familles qui s’installent à Jicaltepec.
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Les richesses immenses que, pendant trois siècles, l’Espagne a tirées de l’exploitation des mines d’or et d’argent du Mexique, ont fait croire à la plupart des spéculateurs qui ont tourné leurs vues vers ce beau pays, depuis l’heureuse époque de son émancipation, que ce genre d’industrie était le seul digne de toute leur attention et devait suffire pour les enrichir en très-peu de temps. Cette opinion prouve qu’ils ne connaissaient que la moindre des ressources qu’offre le Mexique aux hommes laborieux et industrieux. Mieux informés, ils auraient su que cette terre de promission présente à sa superficie des trésors beaucoup plus grands et bien plus faciles à obtenir que ceux qu’elle recèle dans son sein. En effet, quiconque a visité le Mexique avec un esprit observateur, quiconque a examiné d’un œil attentif la prodigieuse fertilité de son sol et l’étonnante variété de ses productions végétales, doit être convaincu que l’Agriculture l’emporte sur tous les autres éléments de fortune que la nature s’est plu à réunir avec profusion dans ces contrées charmantes. Et cependant l’Agriculture, au Mexique, est encore dans l’enfance ! Bornée à satisfaire les besoins de première nécessité, elle est restée jusqu’à ce jour entre les mains des indigènes que l’ignorance tient courbés sous le joug d’une aveugle routine et que la force de l’habitude rend sourds aux conseils de l’expérience. D’ailleurs ces tristes restes d’un peuple jadis puissant et industrieux, qui ne sut opposer que la douceur à la politique ombrageuse et cruelle qui l’a anéanti, sont peu enclins au travail, parce qu’ils sont sans ambition. Étrangers aux jouissances de la civilisation, dont ils ne se soucient nullement, ils n’attachent de prix qu’à une vie indépendante, oisive et purement animale.
Ce n’est donc que par le concours des étrangers que l’Agriculture pourra prendre, au Mexique, tout le développement dont elle est susceptible. Aussi le gouvernement, qui n’a aucun doute à cet égard, est-il disposé à favoriser la formation d’établissements coloniaux agricoles par tous les moyens qui seront à sa disposition. Il en a pris l’engagement solennel, et sa promesse sera d’autant plus efficace qu’elle se rapporte aux intérêts les plus chers de la nation. Fort de cet appui et encouragé par huit années d’observations continues, par une connaissance exacte des localités, et par des relations directes établies avec les principaux points de la République, je viens engager les cultivateurs et les ouvriers européens à s’unir à moi pour l’exécution d’un projet dont le résultat infaillible sera d’améliorer promptement leur situation présente et de leur assurer un avenir heureux. Ce projet consiste dans l’exploitation d’une terre qui réunit à elle seule tous les avantages répartis inégalement sur les autres points du vaste territoire mexicain. La terre dont il s’agit ici porte depuis un temps immémorial le nom de Jicaltepec 1, mot allégorique des anciens Mexicains. Elle est située dans le canton de Misantla, entre Veracruz et Tamaulipas qui sont les deux ports les plus considérables de la République 2. Son étendue est de douze lieues carrées au moins, dont la plus grande partie est en plaine ; le reste offre des buttes, des vallons et des montagnes également propres à la culture et d’un aspect on ne peut plus agréable. […] 1
Terre d’argile.
2 Il s’agit des ports de Veracruz et de Tampico.
c Page 108, Eugenio Landesio, Vue prise au Mexique, XIXe siècle.
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DE MORLOT-CLERC, Le Havre, Seine Maritime, France | AU JOURNAL LE BORDELAIS, Bordeaux, Gironde, France | PUBLIÉE LE 1er DÉCEMBRE 1833
Depuis le 19 novembre dernier, à midi, nous sommes prêts à partir pour Jicaltepec (à 35 lieues de Veracruz) sur une goélette de 130 tonneaux, où sont tous les équipages de la compagnie. Stéphane Guénot, directeur général, que nous avons trouvé bien portant, va joindre à ce bâtiment une allège allant à la voile et une chaloupe qu’il a amenée des États-Unis. L’état sanitaire des colons est excellent, la compagnie est pourvue de tout ce qui est de première nécessité. Les derniers changements dans le gouvernement du Mexique ne se font nullement sentir dans toutes les provinces et toute crainte à ce sujet est mal fondée. Tous ceux qui connaissent le pays, le jugent sainement, [et] ne doutent nullement de l’heureux résultat de notre entreprise… Les autorités se montrent favorables à notre entreprise et la lettre flatteuse écrite par le secrétaire du président Santa Anna à monsieur le directeur nous assure tout appui et protection… M OR L OT - C L ER C
Caissier du Conseil Administratif
g Nicolas-Louis Louis, Vue perspective de la place Louis XVI à Bordeaux, xviiie siècle.
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D’Un Colon De La Compagnie Franco-Mexicaine, JICALTEPEC, veracruz, MEXIQUE | À VICTOR DE BROGLIE, FRANCE | 2 FÉVRIER 1834
Aujourd’hui que chacun des colons est logé séparément, qu’un vaste jardin est emplanté et a donné ce jour même petites raves et salades, que nous avons du café, du maïs, des muriers et qu’ils croissent, je puis tenir ma promesse et vous dire la vérité sur notre intéressante colonie. Nous ne comptons pas un malade bien que nous soyons dans la saison des pluies, tout le monde a fort bon appétit et pour mon compte, je fais la guerre aux bananes, je m’accommode fort bien du maïs, du riz. Au moins deux fois par semaine tout le monde mange du poisson, et chaque jour aux heures de repos on n’entend que coups de fusils de nos colons qui mangent du gibier tous les jours. Ordinairement, notre nourriture se compte de bœuf ou vache, poisson, maïs, calebasse avec bananes et autres vivres, puis nous avons encore des biscuits pour un peu de temps. II y a six semaines que nous sommes ici et déjà des choux sont replantés, des petites raves mangées. Mais ce qu’il y a de plus précieux, c’est 1 200 muriers plantés et bien repris, des cafés superbes, et déjà 25 acres qu’on peut planter étant totalement en culture. Notre colonie a tous les éléments de réussite et nos colons, remis un peu de leurs trois mois d’ennuis, de fatigue de mer et de désœuvrement, le reconnaissent et sont encouragés au travail. Presque tous ont écrit à leurs amis de venir : notre directeur a dit vrai lorsqu’il assurait qu’il était très facile de gagner de l’argent ; et avec quelques fonds, on peut faire de brillantes affaires, tout en faisant produire la terre qui, certes, n’est pas ingrate ici et récompense le travail au centuple. Nous commençons en petit, mais dans peu, notre colonie aura acquis un développement considérable. Le gouvernement mexicain a déclaré vouloir nous protéger autant qu’il était en sa possibilité. Après-demain, M. Stéphane Guénot part pour Veracruz conférer avec le président de la république, sur les grands intérêts de notre colonie. Nos rapports avec les Indiens sont très satisfaisants. Le consul français à Veracruz porte le plus grand intérêt à notre compagnie et a bien voulu parler de nous à notre gouvernement […] Quarante autres lettres adressées par plusieurs colons à leurs parents et amis confirment pleinement celle qui précède […] Enfin, M. Stéphane Guénot, directeur général, écrit sous la date du 10 mars qu’il a eu une conférence avec le président Santa Anna qui l’a assuré de sa protection spéciale […].
g Aquarelle de Bernard Marion qui montre une vue générale de Champlitte depuis le couvent des Augustins.
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DE A. Gloux, VERACRUZ | À VICTOR DE BROGLIE, FRANCE | 5 FÉVRIER 1834
Au ministre des Affaires étrangères, […] Sans doute les éloges du directeur un peu trop répétés dans la lettre des colons doivent faire présumer que si M. Guénot n’en est pas l’auteur, il l’est du moins de l’idée-mère et que s’il n’a pas rédigé ou dicté la lettre, il l’a considérablement revue, corrigée et augmentée dans l’intérêt de son amour propre et de sa vanité… A . Gl o u x
Consul à Veracruz
g Eugenio Landesio, Vue prise au Mexique, XIXe siècle.
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ORIGINAL D’UN COLON DE LA COMPAGNIE FRANCO-MEXICAINE, JICALTEPEC | À VICTOR DE BROGLIE, FRANCE | 2 FÉVRIER 1834
Le consul français à Veracruz a des doutes sur la sincérité des lettres des colons de Jicaltepec, elles semblent avoir été dictées. Le ton élogieux et l’exagération laissent voir que c’est ce qu’a fait Guénot, mû par le désir de faire réussir son entreprise.
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DE A. GLOUX, VERACRUz, VERACRUz, MEXIQUE | À VICTOR DE BROGLIE, FRANCE | 7 FÉVRIER 1834
Monsieur le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Guénot me dit qu’accablé de toutes espèces d’embarras, il ne lui est pas possible de me raconter en détails toutes les peines qu’ils ont éprouvées dans leur traversée de Veracruz à Nautla et de ce dernier point à Jicaltepec où ils se sont rendus par terre. Mais je sais par des colons, nouveaux transfuges qui sont revenus avec le canot, qu’au lieu de 20 a 30 heures au plus qu’il eût fallu pour faire cette traversée si le vent eût continué à les favoriser, ils sont restés 17 jours en mer sans pouvoir aborder la côte, souvent exposés aux dangers du naufrage et réduits, dans les derniers jours, à la ration d’une pomme de terre et d’un morceau de biscuit, les vivres ayant manqué ou s’étant corrompus à bord. Quelques uns des passagers se sont jetés dans la chaloupe, au risque de péril ; et ne sont parvenus à gagner la terre qu’en achevant le trajet à la nage. ils ont ainsi gagné quelques jours sur la goélette dont le déchargement n’a pu s’effectuer qu’avec de grandes difficultés. M. Guénot se plaint beaucoup de la conduite des gens qui ont été chargés de transporter ses colons à Nautla et dont l’ignorance, dit-il, ou la malveillance a compromis leur existence. il prétend qu’ils ont soustrait plusieurs de leurs effets, que cela a été constaté par une visite du bâtiment faite en présence des autorités locales après le chargement exécuté par les marins euxmêmes. il réclame une punition exemplaire d’un pareil abus de confiance qui, s’il est réel, est en effet révoltant. il se propose dans cette vue de venir à Veracruz le plus tôt possible et de s’entendre avec moi. […] Huit colons, tant hommes que femmes, sont morts dans cette pénible traversée, ou sur la terre de Jicaltepec ; il paraît que c’est du choléra qu’ils ont succombé car cette épidémie règne encore dans quelques parties de l’état de Veracruz. Je remets à un autre courrier de vous entretenir des plaintes qui retentissent déjà dans cette colonie naissante. Je crains bien que M. Guénot ne s’y fasse aimer et qu’il n’éprouve à peu près le même sort que celle du Coatzacoalcos. a. gLoUx
Consul à Veracruz
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DE CHARLES MELOT, JICALTEPEC | AU CONSEIL DES CORRESPONDANCES, DIJON, CôTE-D’OR, FRANCE | 25 JUILLET 1834
Au Conseil des Correspondances 1 Nous avons mouillé à Veracruz après quarante-huit jours de traversée. Je me suis forcé de rester huit jours dans la maison de M. Perret, les pluies continuelles et les vents contraires m’empêchant de partir pour Jicaltepec, où je ne suis arrivé que le vendredi 4 juillet. J’ai hier, pour la première fois, offert le Saint Sacrifice sur le sol de Jicaltepec ; tous les indiens du voisinage ont assisté à la messe et les colons étaient au comble de la joie. Je ne veux entrer dans aucun détail sur la colonie par la lettre présente, trop peu de jours s’étant écoulés depuis mon arrivée pour que je puisse le faire convenablement ; mais le journal que je veux continuer jour par jour et que je vous adresserai le mois prochain, contiendra de plus amples renseignements. Cependant je ne puis me refuser à vous exprimer l’étonnement que j’ai éprouvé à la vue des travaux qui ont été exécutés ici par les colons, malgré les nombreux obstacles qu’ils ont eu à surmonter en tout genre dès le principe. Le résultat de ces travaux tient réellement du prodige. M. Guénot n’a rien promis dans ses prospectus qu’il ne puisse tenir et au-delà. Dieu veuille qu’une expédition nouvelle, composée d’hommes probes et laborieux nous arrive bientôt car, alors, on fera des choses que j’appelle miraculeuses. Sans doute la gêne, les peines, les privations ont été grandes ; mais ces inconvénients étaient inséparables des premières tentatives de colonisation, et on ne vient pas chercher une nouvelle patrie à deux mille lieues de son pays, au milieu des forêts, sans qu’on ne doive s’attendre à des obstacles et à des souffrances dont le principe n’est imputable à personne, et dont tout le monde supporte le poids… Si la mort et la mauvaise conduite de certains d’entre eux, que l’on a été obligé d’expulser, n’avaient pas paralysé une partie des efforts, plus de trois lieues du sol seraient déjà exploitées ; si par hasard, des lettres malveillantes de la part des colons que l’on a été obligé d’écarter, ou qui se sont retirés eux-mêmes parce qu’ils ont reconnu leur inutilité, parvenaient à votre connaissance, je suis déjà assez au fait des motifs qui ont déterminé leur départ pour que vous puissiez en toute sureté de conscience désavouer leurs assertions 2 […].
g
La plante de vanille, dans Magasin Pittoresque, tome 18, Paris, 1850.
aBBé CHarLes MeLot
1
Conseil de la Compagnie Franco-Mexicaine à Dijon.
2
Jean-Christophe Demard, Aventure extraordinaire d’un village franc-comtois au Mexique, Champlitte-Jicaltepec-San Rafael 1832-1888, Langres, Dominique Guéniot Éditeur, 1982, p. 90.
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Lanterne dont se servaient les premiers colons de Jicaltepec.
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DE A. GLOUX, VERACRUz | À HENRI DE RIGNY, FRANCE | AUTOMNE 1834
Depuis le 22 août, les choses semblent avoir bien changé d’aspect, si j’en crois les rapports des huit nouveaux transfuges de cette colonie et ceux de M. l’abbé Melot, qui forme le neuvième. Le 26 octobre [1833], le Directeur lui-même m’a annoncé la démission de M. Morlot-Leclerc, qui devait être caissier de la compagnie, il émet aussi des doutes sur la mission de M. Prudent, repassé en France pour y compléter le placement des actions. Ceux qui connaissaient M. Guénot parlent de l’embarras financier où il se trouve, il faut ajouter à cela d’anciens engagements pécuniaires que jusqu’à maintenant il n’a pas encore remplis. […]. De plus, il s’est porté à des violences et à des voies de fait contre des hommes et des femmes de la colonie. Certains lui ont déclaré qu’ils n’étaient ni ses vassaux, encore moins ses esclaves. il avoue lui-même que des mouvements d’impatience et de vivacité lui sont quelquefois échappés. Mais on m’a dit aussi qu’il s’était beaucoup réformé à cet égard. a. gLoUx
Consul de Veracruz P. s. La démission de M. Guénot étant inconcevable et les intérêts des colons étant compris par le Conseil des correspondances de la Compagnie Franco-Mexicaine, celle-ci a décidé un nouveau départ pour le 5 avril 1835.
DE STÉPHANE GUÉNOT, JICALTEPEC | À A. GLOUX, VERACRUz | 21 JUIN 1835
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Objets que les familles de Champlitte ont emportés au Mexique : lanterne, lampe à huile, et galoches.
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A. Gloux, Consul à Veracruz, […] Le débarquement des colons de la seconde expédition s’est effectué avec beaucoup d’ordre, malgré les difficultés. Nous nous occupons en ce moment de faire transporter à la colonie tous les effets déposés provisoirement sur la plage. Le courage des nouveaux venus, un peu ébranlé par les rapports mensongers des anciens transfuges, a été raffermi à la vue de nos belles plantations, et tous en général montrent des dispositions on ne peut plus favorables. Tous les colons, monsieur le consul, sont pénétrés de reconnaissance pour les sages conseils que vous leur avez donnés ainsi que pour les démarches multipliées que vous avez faites avec tant de zèle auprès des autorités mexicaines afin d’aplanir les difficultés. stéPHane gUénot
Directeur général de la colonie
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DE STÉPHANE GUÉNOT, JICALTEPEC | À A. GLOUX, VERACRUz | 26 MARS 1836
A. Gloux, Consul à Veracruz, Le Conseil de correspondance n’a point suivi nos instructions et quoique l’expédition qui vient d’arriver paraisse généralement bien composée, elle va occasionner la ruine de la colonie si je ne trouve pas de suite les moyens de la soutenir jusqu’à notre récolte, que nous ne pourrons pas commencer avant quatre mois. Cette expédition est arrivée sans fonds (la somme apportée suffisait à peine pour payer les frais de débarquement) ; il lui restait fort peu de vivres (il y en avait pour 12 jours alors que mes instructions en exigeaient pour huit mois) ; elle n’était pas même pourvue des instruments aratoires les plus utiles ; en effet, lors du débarquement, je ne reçus ni pioches ni haches, ni plantoirs. Au lieu de la quantité de fer que j’avais demandée, on m’envoie, comme par dérision, quelques morceaux de fer dont le forgeron ne peut tirer aucun parti… J’avais demandé qu’on m’envoyât un mécanicien, c’est à dire un homme de génie avec une longue expérience adaptée à toute espèce de travaux mécaniques. Je n’ai pas été compris et le soi-disant ingénieur mécanicien n’est qu’un jeune homme inconstant, présomptueux et ignorant. il s’est fait d’ailleurs justice en quittant la colonie pour aller tenter fortune ailleurs […]. g stéPHane gUénot
Directeur général de la colonie R Í O
NAUTLA
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Crucifix emporté au Mexique par une famille française.
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François Doignon, aidé de sa femme et de ses neuf enfants, prépara ses humbles bagages pour ce long voyage : - 3 paires de forts souliers - 3 paires de sabots - 2 paires de guêtres - 2 blouses - 1 chapeau de paille très fort à larges bords - 2 paires de draps - 8 chemises (blanches et surtout de couleur)
- 6 pantalons dont deux de drap - 1 gilet, des mouchoirs de poche, des serviettes de coton - 1 moustiquaire, une espèce de rideau pour lit à deux personnes (6 pieds de long, 4 pieds et demi de large et 6 pieds de haut).
Anne, son épouse, rangea la batterie de cuisine, sans oublier une assiette creuse en fer blanc, un gobelet de même métal, une cuillère et une fourchette en fer pour chaque membre de la famille. 1
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Extrait du livre de Jean-Christophe Demard, Río Nautla Mexique. Etapes d’une intégration française au Mexique 1833-1925, Langres, Dominique Guéniot Éditeur, 2002. Demard a consacré six livres à l’histoire de cette colonie.
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