DALÍ EUREKA (extrait)

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© Somogy éditions d’art, Paris, 2017 © Musée d’art moderne de Céret, 2017 Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coordination éditoriale : Lore Gauterie Conception graphique : François Dinguirard Contribution éditoriale : Olivier Godefroy Fabrication : Béatrice Bourgerie, Mélanie Le Gros ISBN 978-2-7572-1255-4 Dépôt légal : juin 2017 Imprimé en Union européenne

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Sous la direction de Jean-Michel Bouhours

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Ce catalogue a été publié à l’occasion de l’exposition Dalí : Eureka présentée au musée d’art moderne de Céret du 24 juin au 1er octobre 2017.

z Commissariat de l’exposition Commissariat général : Nathalie Gallissot, conservatrice en chef, directrice du musée d’art moderne de Céret. Commissariat scientifique : Jean-Michel Bouhours, historien d’art, ancien conservateur au Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris. Coordination : Aude Marchand et Julie Chateignon, assistantes principales de conservation au musée d’art moderne de Céret. Nathalie Gallissot, directrice, Hermeline Malherbe-Laurent, présidente du musée d’art moderne, ainsi que l’ensemble des membres du conseil d’administration, adressent leurs plus vifs remerciements à Jean-Michel Bouhours pour l’originalité de sa démarche et le remarquable travail de recherche accompli pour l’exposition, ainsi que pour la direction du présent catalogue. Nous remercions celles et ceux qui ont apporté leur expertise et leurs précieux conseils au moment de la conception de cette exposition : Jean-Christophe Argillet, Juanma Arriaga, Yasha David, Nicolas Descharnes, Marcel Fleiss, Laurent Mannoni, Alain Paviot et Pere Vehi.

Pour les oeuvres de Salvador Dali : © Salvador Dalí, Fundació Gala-Salvador Dali / ADAGP, Paris, 2017 © MAN RAY TRUST / ADAGP, Paris 2017 © Estate Brassai RMN Grand Palais © Philippe Halsman, Archives Halsman, New York

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Nous devons en premier lieu la réussite de ce projet à l’engagement à nos côtés de grandes institutions internationales qui ont apporté un soutien décisif par des prêts généreux et auxquelles nous exprimons notre reconnaissance : z La Fondation Gala-Salvador Dalí, située au théâtre-musée Dali à Figueres, présidée par Ramon Boixadós Malé. Notre gratitude va particulièrement

à Montse Aguer i Teixidor, directrice du Centre d’études daliniennes, à Carme Ruiz, coordinatrice, à Bea Crespo, Laura Bartolome et Lucia Moni qui ont facilité nos recherches, à Juliette Murphy, spécialiste de l’œuvre graphique, enfin à Mercedes Aznar pour la gestion des droits. z Le Centre Georges Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne/Centre de création industrielle : son directeur Bernard Blistène, à nos côtés dès le début de notre projet ; Brigitte Léal, directrice adjointe en charge des collections, Olga Makhroff et Évelyne Blanc-Janin, cellule des prêts et dépôts ; Clément Chéroux, conservateur, chef du cabinet de la photographie et Julie Jones, attachée de conservation ; Didier Schulmann, conservateur du patrimoine, chef de la Bibliothèque Kandinsky ainsi que Nathalie Cissé Montgaillard, Brigitte Vincens, Anne Delebarre et Christelle Courrégelongue ; Philippe-Alain Michaud, conservateur, chef du service Cinéma ainsi qu’Isabelle Daire et Alexis Constantin ; Jonas Storsve, conservateur, chef du Cabinet d’art graphique. z Le Museo nacional Centro de Arte Reina Sofia : son directeur Manuel Borja-Villel, Rosario Peiro, coordinatrice générale des collections ainsi que Victoria Fernandez-Layos Moro, coordinatrice des prêts, Bárbara Muñoz de Solano y Palacios, chef de la Bibliothèque et du Centre de documentation. z L’université de Montpellier, direction de la Culture scientifique et du patrimoine historique : Caroline Ducourau, directrice, Véronique Bourgade, conservatrice, Audrey Théron, chargée de collections.

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z La Cinémathèque française, Paris, Frédéric Bonnaud directeur général ; conservatoire des techniques : Laurent Mannoni, directeur des collections, Laure Parchomenko, chargée de collection. Nous remercions également : z Le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), Paris, Isabelle Pallot-Frossard, directrice et Elsa Marguin-Hamond, responsable de la filière archives. z L’Institut national de l’audiovisuel (INA), Paris, Laurent Vallet, directeur, Brigitte Dieu, responsable des archives. z L’Observatoire océanologique de Banyuls-sur-mer, laboratoire Arago/ UPMC-CNRS, Vincent Laudet, directeur. z La bibliothèque universitaire Pierre et Marie Curie-CNRS, Paris, Anne-Catherine Fritzinger, directrice. z La Residencia de Estudiantes, Madrid, Alicia Gomez Navarro, directrice. z Halsman Archives, New York, Oliver Halsman Rosenberg, Irene Halsman et Steve Bello. z Les Arts Décoratifs, musée des Arts décoratifs, Paris, Olivier Gabet, directeur, Marie-Sophie Carron de la Carrière, conservatrice en chef du patrimoine. Ce projet n’a pu se concrétiser qu’avec la complicité des galeries d’art et des collections privées dont les responsables ont accepté de se départir momentanément de leurs œuvres et que nous remercions vivement :

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Archives Pere Vehi Galerie 1900-2000, Paris Galerie Farideh Cadot, Paris Galerie Françoise Paviot, Paris Galerie Furstenberg, Paris Galerie Le Fell, Paris Galerie des Modernes, Paris Collection Clovis Prévost Collection François Binetruy, Versailles Collection Hervé Lamy Collection Jean Ferrero, Nice Collection Nahmad, Monaco Collection Natalie Seroussi, Paris Collection Sonia Hernandez Simón y Blas Gomez Diaz Marianne et Pierre Nahon – Galerie Beaubourg, Paris Omer Tiroche Gallery, Londres Pierre Sébastien Fine Art LLC Bijouterie Ducommun, Perpignan Sant Vicens Céramiques, Perpignan Nous adressons également tous nos remerciements aux collectionneurs privés qui ont souhaité garder l’anonymat mais qui ont contribué par leur confiance à la réalisation de l’exposition. Que soient vivement remerciés les auteurs du catalogue pour leur grande connaissance de l’œuvre de Dalí et leur travail de recherche et d’écriture : Branko Aleksić, Marc Aufraise, Julie Chateignon, Michèle Harroch, Pilar Parcerisas et Astrid Ruffa. Enfin nous remercions chaleureusement toutes les personnes qui, par leur aide, leurs conseils, leurs avis, ont contribué à la réalisation de l’exposition : Christian Aegerter , Haller Carolina Artola, collection Clot Frédéric Ballester, directeur du Centre d’art La Malmaison, Cannes Corinne Barbant, responsable bibliothèque Dominique Bozo au LaM Villeneuve d’Ascq Cécile Barde,

Claire Bauby-Gasparian, Alain Baute, directeur général de L’Indépendant Alain Blondel Georges et Jeannot Bohigas Bernadette Borel René Borrat Jacques Capdeville Claudine Caritg Jean Casagran Lisabelle Pagniez Corinne Dabouzy Guillermo de Osma Michel Descours Paul Destribats Fabienne di Rocco Pierre Ducommun Thierry Dufrêne Marie-Françoise et Gilles Fuchs Magali Gaugy Antoine Gentil Joseph Gibernau Jean-Bernard Gillot, librairie Alain Brieux Henri et Lucette Guiu Thessa et Jacques Hérold Michel Jauzac Élisabeth Julia Jean-Marie Le Fell Laurence Lebris Doina Lemny Yvette Lestum Beniamino Lévi Rémi Mathis Jasmine Merli Erika Mezza Andrée Mignonat Gabriel Montua Catherine Moore David Nahmad Michel Nedjar Jean Oms Patrick Palaquer Hélène Palouzié, conservatrice des Monuments historiques Lourdes Perez Munilla Guilherm Perthuis Bénédicte Petit

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Madeleine et Marcel Petrasch Clovis et Claude Prévost Sara Renaud Jean Roig Colette Sabatier Pierre Sébastien Nathalie et Léon Séroussi Hélène Tabes Omer Tiroche Yves Toutut, librairie Aux sources du xxe siècle Michèle Vert-Nibet Jean Isidore et Andrée Vila, Jean-Louis Vila L’ensemble d’œuvres de Markus Raetz a pu être réuni grâce à la complicité de Farideh Cadot, à qui nous adressons toute notre reconnaissance pour la confiance qu’elle nous a ainsi témoignée. Nos remerciements vont aussi à ceux qui nous ont quittés : Michel Astrou, Jacques Barde. z Le musée d’art moderne de Céret est un établissement public de coopération culturelle bénéficiant du soutien de la

Région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée, du Département des Pyrénées-Orientales et de la Ville de Céret, ses collectivités fondatrices et financières. Le musée bénéficie de l’appui constant de personnes et institutions sans lesquelles cette exposition n’aurait pu voir le jour : Hermeline Malherbe-Laurent, présidente du conseil départemental des PyrénéesOrientales, présidente du musée d’art moderne de Céret Carole Delga, ancienne ministre, présidente de la Région Occitanie/ Pyrénées-Méditerranée Alain Torrent, maire de Céret, vice-président du musée d’art moderne de Céret Les membres du conseil d’administration L’association des Amis du musée d’art moderne de Céret, Joël Mettay, président Le musée bénéficie également du soutien de : La préfecture de la région Occitanie et la Direction régionale des affaires culturelles de la Région Occitanie/PyrénéesMéditerranée, Laurent Roturier, directeur, Xavier Fehrnbach, conseiller musées

Le musée d’art moderne de Céret : Direction, conservation : Nathalie Gallissot Administration générale : Jessica Moreno, Lydia Fons Administration, comptabilité, secrétariat : Sylvie Oms, Jeannette Marti Documentation, coordination des expositions et régie des œuvres : Aude Marchand Documentation, communication, suivi d’édition : Julie Chateignon Graphisme, suivi de scénographie : Étienne Sabench Médiation culturelle : Peggy Merchez, Rachel Banares, Alexandra Bravo Accueil du public : Marie-Line Raynaud et l’équipe d’accueil Boutique du musée : Larraitz Ibanez Sagardoy et l’équipe d’accueil Montage : Raymond Gruart, Jean-Luc Punset, assistés de Nicolas Joly et Charly Bezelin Maintenance : Muriel Goavec et l’équipe d’entretien

Eureka : Attribué selon la légende à Archimède au moment où il découvrit le principe de la « poussée » des corps immergés dans un liquide, Dali l’a utilisé dans cette orthographe à l’occasion d’une proclamation faite le 12 octobre 1976 à l’hôtel Meurice, Paris, jour de la découverte del’Amérique, reproduite dans l’ouvrage Oui 2 : L’Archangélisme scientifique, 1971, Denoël, Gonthier.

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SOMMAIRE 11

AVANT-PROPOS

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INTRODUCTION L’EAU CHAUDE DE LA SCIENCE

Nathalie Gallissot

Jean-Michel Bouhours

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ENTOMOLOGIE ET GÉOLOGIE,ASTRONOMIE ET PUTRÉFACTION SCIENCES À LA RESIDENCIA Jean-Michel Bouhours

29

RENCONTRE DE LA PSYCHANALYSE ET DE LA MORPHOLOGIE Branko Aleksić

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141

145

153

L’ANGÉLUS DE MILLET L’ANGÉLUS À L’HEURE DE L’IMAGERIE SCIENTIFIQUE

159

LES CHANTS DE MALDOROR CORPS ET LANGAGE. DALÍ ET BELLMER, L’EFFET LAUTRÉAMONT

167

SPECTRES ET MORPHOGENÈSE TROMPE-L’ŒIL SPECTRAL

175

ANAMORPHOSES DE LA HARPE CRÂNIENNE AUX ANAMORPHOSES Jean-Michel Bouhours

107

LE MYSTICISME NUCLÉAIRE L’EXTASE MYSTIQUE CORPUSCULAIRE Jean-Michel Bouhours

119

L A STRUCTURE DE L’ADN LA « PERSISTANCE GÉNÉTIQUE DE LA MÉMOIRE HUMAINE » Jean-Michel Bouhours

ANTIGRAVITATION ET IMMORTALITÉ « LA FORMULE D’IMMORTALITÉ CHOISIE PAR DALÍ » Julie Chateignon

183

SCIENCES CATAL ANES DALÍ ET LA PENSÉE SCIENTIFIQUE CATALANE Pilar Parcerisas

191

Branko Aleksić

101

DALÍ À CÉRET LE « VOYAGE TRIOMPHAL » DE DALÍ À CÉRET LE 27 AOÛT 1965 Julie Chateignon

Pilar Parcerisas

93

THÉORIE DES CATASTROPHES DALÍ ET LA THÉORIE DES CATASTROPHES DE RENÉ THOM Astrid Ruffa

Jean-Michel Bouhours

81

VÉL ASQUEZ ET MOI LE NUMÉRO SECRET DE VÉLASQUEZ Jean-Michel Bouhours

Michèle Harroch

73

JEUX D’OPTIQUE ET STÉRÉOSCOPIES LA PEINTURE STÉRÉOSCOPIQUE COMME NOUVELLE FORME DE DOUBLE IMAGE Jean-Michel Bouhours

TEMPS ET THÉORIE DE L A REL ATIVITÉ L’AMOUR ET LA PERSISTANCE DE LA MÉMOIRE ENTRE FREUD ET L ACAN DALÍ, UNE PASSION DES JOUISSANCES

L’HOLOGRAMME DALINIEN DALÍ ET L’HOLOGRAPHIE Marc Aufraise

Jean-Michel Bouhours

63

DALÍ ET L A PHOTOGRAPHIE VOYANT, VOYEUR, VISIBLE : UNE IDENTITÉ PHOTOGRAPHIQUE Marc Aufraise

L A MÉTHODE PARANOÏAQUE-CRITIQUE. LES IMAGES DOUBLES IMAGES DE CONFUSION Jean-Michel Bouhours

49

127

LE BAROQUE CATAL AN AUTOUR DE GAUDÍ, LES PHOTOGRAPHIES DE MAN RAY ET CLOVIS PRÉVOST Marc Aufraise

199

BIOGRAPHIE DES AUTEURS

201

LISTE DES DOCUMENTS EXPOSÉS ET NON REPRODUITS

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CHRONOLOGIE DALINIENNE DES SCIENCES Jean-Michel Bouhours

208 CRÉDITS

PHOTOGRAPHIQUES

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AVANT-PROPOS Nathalie Gallissot

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ALÍ À CÉRET ! » renvoie l’écho d’une folle et singulière journée — le voyage triomphal du maître le 27 août 1965 — précédée et suivie d’une longue absence de l’artiste catalan dans l’histoire de la ville et de son musée d’art moderne. Dalí et Céret sont pourtant liés par un désir réciproque : celui de l’artiste d’y venir à la rencontre de Picasso — dont l’attachement à la ville ne se démentira jamais, sans cesse avivé par le souvenir de l’aventure cubiste et par la culture catalane lorsque la frontière deviendra pour lui infranchissable — et celui de la cité d’accueillir en son sein l’illustre et fantasque voisin de Cadaqués et Port Lligat. Au souhait de Dalí, évoqué en 1958 dans une lettre du maire de Céret 1, Picasso oppose une fin de non-recevoir. La rupture entre les deux hommes est depuis longtemps consommée. Depuis la guerre civile et le début de la Seconde Guerre mondiale, leurs positions politiques sont aux antipodes l’une de l’autre. Toujours subjugué par son aîné, Dalí ne s’avoue pas vaincu et continue ses adresses à Picasso, dont il loue le « génie ibérique », tentant de ramener le peintre de Guernica dans l’amour sinon le giron de sa terre natale, fût-elle gouvernée par le régime franquiste. Sur l’une de ses nombreuses cartes postales, Dalí « […] assure [être] en train de peindre des chefs-d’œuvre dans le genre de ce que l’on faisait à l’époque de Raphaël 2 ». Nous sommes en 1949, Picasso, membre du parti communiste depuis 1944, dessine pour le Congrès des partisans de la paix la première et emblématique colombe. Le timbre de la carte postale envoyée est à l’effigie de Franco. L’enthousiasme de Dalí : « [Je] viendrai encore une fois vous montrer mes tableaux, vous serez fou de joie 3. » n’y suffira pas. Il n’y aura plus de rencontre. L’admiration que Dalí porte à Picasso et son désir inextinguible de s’approcher de lui comptent malgré tout beaucoup dans la venue de Dalí à Céret, cinq années après les premiers contacts avec la municipalité, elle-même très désireuse de l’accueillir. Les initiateurs du futur voyage triomphal, que rien n’arrêta — pas même un abordage de l’embarcation à bord de laquelle le maître pêchait la langouste —, furent reçus par Dalí à Port Lligat le 27 juillet 1958, prémices de cette journée du 27 août 1965 qui devait durablement marquer les esprits 4. La résurrection, puisque tel fut le maître mot de la journée et le motif officiel de sa venue, n’était pas un thème choisi au hasard par Dalí. Entre fantasme et réalité, entre obsession et vision, l’artiste se promettait de faire d’une pierre deux coups, tenant ensemble dans la même main — et la même journée — son goût du spectaculaire et

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Pierre Argillet Salvador Dalí, 1962

Photographie sur acier, no 8/30 101 × 101 cm Collection Argillet, Paris

1. Lettre d’Henri Guitard à Salvador Dalí (28 juillet 1958), n° 44241, Fundació Gala-Salvador Dalí, Figueres. 2. Carte postale de Dali à Picasso, octobre 1949. In Dali, lettres à Picasso (1927/1970), édition et préface de Laurence Madeline, Gallimard, Paris, 2005. 3. Ibid. 4. Pour le récit de ce voyage triomphal, voir l’article de Julie Chateignon, infra, p. 163.

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Fig. 01. Joseph Gibernau Dalí à Céret, 1965 Photographie en couleurs 20 × 30 cm Collection privée

5. Michel Sageloly, « Dalí à Céret », le xxe siècle à Céret où je suis né au Moyen Âge, Le courrier de Céret, 2000, p. 158.

l’expression de son angoisse eschatologique. L’accueil cérétan fut-il au-delà de ses espérances ? Le maire, Michel Sageloly, prononça un discours aux accents daliniens : « À l’instant même de votre résurrection cartésienne, dans votre recueillement, grâce à vos antennes cosmiques, vous entendrez le ruissellement de nos fontaines, le chant des rossignols, le bruissement des ailes de nos papillons voletant de fleur en fleur. Dans cette ambiance mystérieuse de votre géniale inspiration rejaillira une ère nouvelle qui une fois de plus étonnera le monde entier 5. » « Étonner le monde entier » : toute exposition consacrée à Dalí est par essence spectaculaire. À travers « Dalí : Eureka », le musée d’art moderne de Céret souhaite aujourd’hui remonter le cours des apparences jusqu’à l’une des sources de l’œuvre, sans aucun doute plurielles. La science est une clé pour entrer dans l’œuvre de Dalí, une clé toute dalinienne pour qui s’en tiendrait aux dires du maître en manipulation, aimant lire les livres scientifiques, « parce qu’il ne les comprend pas ». Que d’heures passées cependant jusqu’à son dernier souffle à parcourir et annoter livres et revues, à étudier avec passion et intuition, le fantasque le disputant à l’audace, les théories les plus novatrices et les plus complexes. L’immortalité demeure la grande chimère, l’horizon convoité et inatteignable de l’artiste. Dans un entretien enregistré le 8 février 1970 avec le professeur Henri Laborit, Dalí exprime son regret de la confiance — et des moyens — donnés à la poursuite de l’intuition de Jules Verne qui conduisit l’humanité

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sur la lune, et non pas à Crick et Watson, « inventeurs » de la structure hélicoïdale de l’ADN, qui l’auraient conduite — peut-être — à l’immortalité… 6 Dalí et la science : deux sujets dialoguant, se tenant à distance respectueuse l’un de l’autre, abordant le même vertige de l’infini avec des armes différentes que l’artiste se plaît à croiser indéfiniment : l’imaginaire parlant à la raison, l’intuition interpellant le calcul. L’art et la science ont bien un dénominateur commun, la créativité. Dalí ne fut pas un scientifique, mais sa poésie côtoie de près l’alchimie : « Mon inquiétude libidineuse, retenue par des années de solitude anxieuse, se cristallisait maintenant en une pierre précieuse, taillée en tétraèdre, dans laquelle je pouvais enfin voir réunies mes trois amours inassouvies 7. » Il existe bel et bien un phénomène Dalí qui veut que les expositions et les ouvrages consacrés à l’artiste et à son œuvre rencontrent un vif succès auprès du public avisé en matière d’art moderne, comme auprès d’un public moins familier de ses codes. L’excentricité du personnage y est certes pour quelque chose, tout comme son goût de la provocation et des médias. Tout ceci ne suffit cependant pas à expliquer la fascination partagée pour une œuvre dont le décryptage — le mot n’est pas trop fort — demeure d’une grande exigence. Le syncrétisme des sources et la fulgurance des intuitions du maître catalan font de son œuvre un miroir tendu à notre imaginaire. La science apparaît comme une large voie d’accès à l’œuvre de Dalí, — à ses images doubles, à ses fantasmagories, à ses sens cachés. Le « prince de l’intelligence catalane », ainsi désigné par André Breton dans son Dictionnaire du surréalisme, s’y révèle comme un homme à la curiosité insatiable, avide de connaissance et de compréhension autant qu’habité par l’angoisse de la mort et du devenir. La tenue d’une exposition Dalí au musée d’art moderne de Céret est un événement pour tous ceux, nombreux, qui étaient présents lors de cette folle journée du 27 août 1965 ou qui en ont entendu le récit. « Dalí : Eureka », tout comme l’évocation de la personnalité et de l’œuvre de Dalí dans un espace à venir du musée de Céret bientôt agrandi — fera ainsi naître à l’esprit des uns des images souvenirs de frasques ou de réalisations, et donnera aux autres l’opportunité toute dalinienne de s’en fabriquer de faux. Rappelons avec le maître que « la différence entre les faux et les vrais souvenirs est la même que pour les bijoux : les faux ont l’air d’être plus vrais, plus éclatants 8 ».

6.Henri Laborit, « Conversation entre Salvador Dalí et le professeur Henri Laborit », L’invité du dimanche, Paris, Office de Radiodiffusion Télévision Française (O.R.T.F.), 08.02.1970, Institut national de l’audiovisuel. 7. Salvador Dalí, La vie secrète de Salvador Dalí, collection L’imaginaire, Gallimard, Paris, p. 113. 8. Ibid., p. 58.

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INTRODUCTION L’EAU CHAUDE DE LA SCIENCE Jean-Michel Bouhours

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AR NOUS, SURRÉALiSTES, comme vous pouvez vous en convaincre, nous ne sommes pas exactement des artistes, et nous ne sommes pas non plus exactement de vrais hommes de science ; nous sommes du caviar […] l’extravagance et l’intelligence même du goût […] nous [surréalistes] nageons entre deux eaux, l’eau froide de l’art, l’eau chaude de la science 1. » C’est ainsi que Dalí concevait, dans La Conquête de l’irrationnel en 1935, le positionnement des surréalistes au regard de l’univers des sciences. À sa mort, l’on retrouvait trois livres sur sa table de chevet : un de Stephen Hawking, spécialiste des trous noirs et l’auteur d’un best-seller de vulgarisation scientifique intitulé Une brève histoire du temps, un de Matila Ghyka et un d’Erwin Schrödinger, l’un des fondateurs de la physique quantique, qui partageait avec Dalí la même volonté de décloisonner les savoirs.

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Gaston Bachelard, dans Le Nouvel esprit scientifi que en 1934, commentait la rupture épistémologique provoquée par la théorie de la relativité et les géométries non-euclidiennes comme la fin des axiomes immuables : l’« architectonique kantienne de la raison », ne pouvait être sauvée qu’en l’« ouvrant », selon le philosophe. Ainsi et à l’instar d’André Breton et de René Crevel, Dalí lie d’emblée psychanalyse et théorie de la relativité au moment de l’élaboration de sa méthode paranoïaque-critique ; ses propres recherches sur un surgissement de l’irrationnel au sein du monde objectif répondaient de cette brèche dans l’édifice de la Raison qu’évoquait Bachelard 2. Face aux scientifiques, Salvador Dalí, avec une humilité qui ne lui était guère familière, se présentait comme un pseudoscientifique. La figure de l’inventeur lui aurait sans doute mieux convenu : inventeur d’une méthode d’interprétation qu’il décrivait comme un appareil à main. Mais Dalí se veut un inventeur excentrique et ex-centrique (ou ultra-local), loin du centre et en rupture avec tous les académismes. C’est à ce titre, et bien évidemment à celui du génie espagnol, qu’il invoquait des personnalités comme Narcís Monturiol, Juan de la Cierva ou Francesc Pujols. Sous le masque du fou, c’est un Dalí analyste et théoricien qui vient chercher auprès des scientifiques la validation des délires du « cas Dalí », dont il est intimement persuadé de la prescience : Castor et Pollux en Salvador et Avida Dollars 3. Sa vie durant, Dalí n’a eu de cesse de chercher à rencontrer les scientifiques qu’il admirait, depuis Lacan au début des années trente, Sigmund Freud à Londres en 1938, James Watson en 1965, jusqu’au symposium scientifique du musée Dalí de Figueres en 1985. Cette dernière manifestation, alors qu’il avait cessé de peindre

1. S. Dalí, La Conquête de l’irrationnel, Paris, 1935, Éd. surréalistes, repris dans Dalí, Oui, Paris, 1971, Denoël/ Gonthier, p. 14. 2. Dalí assimilait l’intuition pure kantienne à l’art abstrait qu’il combattait. Voir également Gavin Parkinson « From Max Ernst to Ernst Mach, or Surrealims, Modern physics and Epistemology », in Dalí. Noves fronteres de la ciencia, L’art i el pensament. Ed. KrTU, Barcelone, 2 005. 3. Salvador Dalí, Lettre ouverte à Salvador Dalí, Paris, 1966, Albin Michel : dialogue entre SD et Avida Dollars (anagramme donnée par Breton à Dali).

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Grande ammonite

Ammonite fossile Crioceras duvali Léveillé, montée sur socle, Hauterivien, Crétacé inférieur Collection de paléontologie 34,5 × 17,5 × 47 cm Faculté des sciences, université de Montpellier

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Oursin et sa « lanterne d’Aristote » Spécimen de la famille des Cidaridae, test, radioles et bouche Collection de zoologie 21 × 16 × 8,5 cm Faculté des sciences, université de Montpellier

l’année précédente avec un ultime tableau en hommage au mathématicien René Thom, l’auteur de la théorie des catastrophes (La Queue d’aronde), était doublement symbolique : elle réunissait dans un « temple surréaliste », conçu par l’artiste comme une œuvre d’art total testamentaire, un bel aréopage de prix Nobel et d’éminents scientifiques. Celui qui était atteint d’aphasie substituait à sa propre parole, qui habitait le lieu depuis sa création, celle des sciences. Ce symposium célébrait l’acmé de l’épistémè dalinien. La rencontre de Dalí avec Freud n’a pas produit ce que l’artiste en espérait ; le père de la psychanalyse va s’intéresser au tableau qu’il a apporté sous le bras, La Métamorphose de Narcisse, mais ne montre aucun intérêt pour sa théorie, au grand dam de l’artiste. Freud ne considérera pas la part de l’analyste chez l’artiste, le qualifiant simplement de « fanatique ».

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Ce n’est qu’à partir des années soixante-dix que les échanges avec des scientifiques prennent un tour plus complice, notamment avec Dennis Gabor, René Thom ou encore Thomas Banchoff. L’histoire entre Dalí et Thomas Banchoff est celle dont Dalí avait toujours rêvé, à savoir une convergence de résultats entre art et science, qui ferait reconnaître sa méthode irrationnelle de connaissance comme prophétie ou prescience : vingt ans plus tôt que le scientifique, l’artiste avait conçu la figure d’un hypercube (Christus Hypercubus) en travaillant à partir d’un ouvrage de perspective du xviiie siècle, le Traité de perspectives à l’usage des peintres de Edme-Sébastien Jeaurat. Au tournant de la guerre, alors que ses liens avec les surréalistes sont rompus, Dalí revendique l’héritage de la tradition picturale occidentale, et notamment des peintres de la Renaissance, se posant en héritier du pythagorisme et d’une construction du monde selon les nombres. Il emboîte le pas de Léonard de Vinci en étudiant le De Divina Proportione de Luca Pacioli et avec l’aide de Matila Ghyka, il concevra la construction de son tableau Leda Atómica représentant Gala, sa muse, inscrite dans un pentagramme répondant au nombre d’or ; en quelque sorte une version atomique de l’Homme de Vitruve. Dalí dès lors convoquait en « noces royales » la morphologie et la géométrie, et s’attelait avec sa méthode intuitive et délirante à percer le Grand Mystère. Son obsession téléologique l’amena également vers les sciences occultes ; Dalí possédait de nombreux livres sur l’alchimie, la numérologie, la cabale… Notamment, le Liber paramirum de Paracelse semble avoir pu être une source dalinienne déterminante. Paracelse évoque à propos du corps humain une chair faite de soufre, de sel et de mercure qui coagule dans une substance molle, faisant parfaitement écho aux substances colloïdales auxquelles Dalí se référait explicitement à propos de ses corps mous. Paracelse développe également la notion de putréfaction 4 dans le processus alchimique et met en valeur dans les processus physiologiques les excréments, qui ont nourri l’imaginaire scatologique dalinien. Dalí affectionnait les personnalités scientifiques à la marge, contestées par leurs pairs : d’Antoni van Leeuwenhoek, le précurseur de la vision microscopique et contemporain de Vermeer à Delft, jusqu’à Marcel Pagès, l’inventeur de l’antigravitation, auquel La Gare de Perpignan sera un hommage vibrant. Dans Totalité et infini, Emmanuel Lévinas définissait la pensée occidentale comme une pensée « rapace », une pensée qui préempte au bénéfice de l’identité d’un « moi » phage vis-à-vis de l’autre. Une formule qui sied à la relation qu’entretient Dalí avec les disciplines artistiques : Dalí cannibalise la science mais à la manière de Breton et Jacques Vaché, qui glanaient selon la loi du hasard objectif des moments de rêves discontinus, en allant de salle en salle de cinéma enchaîner des films sans se soucier ni du titre, ni du début ou de la fin. « Je lis surtout de la vulgarisation scientifique, mais jamais un seul ouvrage à la fois. Il m’en faut cinq ou six en même temps, et je vole d’une page à l’autre 5. » C’est au prix de collages, d’amalgames, d’associations et d’enchaînements de concepts scientifiques perçus comme des briques d’irrationalité que le processus délirant au fondement de la méthode paranoïaque-critique dalinienne entre en création 6.

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Modèle de radiolaire

Maquette pédagogique d’Amphilonche messanensis, Haeckel, ateliers V. Frič, Prague, montée sur socle, s.d. Collection de zoologie 17 × 13,5 × 9 cm Faculté des sciences, université de Montpellier

Z Cat. 05

Modèle de radiolaire

Maquette pédagogique de Heliosphaera inermis, Haeckel, ateliers V. Frič, Prague, en bois, montée sur socle, s.d. Collection de zoologie 13,3 × 12 × 16 cm Faculté des sciences, université de Montpellier

Cat. 06

Salvador Dalí 50 secrets magiques, 1974 Lausanne, Edita, Denoël Bibliothèque Kandinsky

4. La putréfaction des corps biologiques sera omniprésente dans l’œuvre de Dalí entre 1925 et 1930. 5. Salvador Dalí, Louis Pauwels, Les passions selon Dalí, p. 212. 6. Cf. Dalí, La Conquête  de l’irrationnel, op. cit., p. 21.

INTRODUCTION 17

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ENTOMOLOGIE ET GÉOLOGIE, ASTRONOMIE ET PUTRÉFACTION SCIENCES À LA RESIDENCIA

CCC’’

Jean-Michel Bouhours

EST vRAiSEMBLABLEMENT À LA RESiDENCiA DE ESTUDiANTES À MADRiD MADRiD, où il arrive en septembre 1922, que Dalí découvre l’univers des sciences. Fondée par Giner de los Ríos, la Residencia est un collège universitaire conçu sur le principe d’une éducation humaniste. Au sein de ce phalanstère, étudiants, professeurs et personnalités invitées telles que Juan Jamón Jiménez, José Moreno Villa, José Ortega y Gasset, Eugenio d’Ors ou encore Manuel de Falla partageaient et échangeaient leurs passions et connaissances dans les domaines de la création, de la philosophie ou des sciences. La proximité du Museo de Ciencias, la présence de laboratoires au sein de la Residencia, la venue de scientifiques aussi renommés que Marie Curie, Albert Einstein, Arthur Eddington, Henri Bergson, ou encore Louis de Broglie 1, invités à faire des conférences sur les dernières découvertes, ont d’emblée immergé Dalí dans les théories scientifiques de son époque : la théorie de la relativité, la physique des particules, la biologie, la psychanalyse, etc… Quelques mois avant que Dalí n’arrive à Madrid pour suivre les cours de l’Academia de Bellas Artes, les œuvres complètes de Sigmund Freud venaient d’être traduites et publiées en Espagne sous l’impulsion du philosophe José Ortega y Gasset 2. Luis Buñuel, que Dalí va rencontrer à la Residencia, avouait avoir dévoré dès leur publication les écrits de Freud, et reconnaissait l’impact qu’eut sur lui la lecture de Psychologie de la vie quotidienne. Selon Ian Gibson, le biographe du peintre catalan, dès l’année 1924 Dalí avait acheté et lu les deux premiers tomes de l’œuvre complète de Freud, dont Trois essais sur la sexualité, l’Interprétation des rêves,… alors même qu’était publié le Manifeste du surréalisme de Breton 3. La Residencia de estudiantes recevait des étudiants de toutes disciplines et favorisait les échanges, proposant des enseignements complémentaires aux enseignements académiques. Les étudiants en médecine avaient à leur disposition des laboratoires, notamment un laboratoire d’anatomie microscopique dirigé par le Dr Luis Calandre, que Lorca fréquentait 4, et où l’on étudiait la technique micrographique et les structures des organes. Buñuel était venu à Madrid en 1917 étudier l’entomologie à l’université ; il fera découvrir à Dalí les écrits du marquis de Sade et Les Souvenirs entomologiques de Jean-Henri Fabre, qui alimenteront entre autres l’interprétation dalinienne de L’Angélus. Expulsé à deux reprises de l’École pour son comportement, Dalí ne séjournera pas autant que ses condisciples à la Residencia ; néanmoins, cette dernière façonne sa personnalité et sa peinture 5 et les liens d’amitiés qu’il y noue avec Buñuel, le poète Federico García Lorca et José Bello Lasierra, dit Pepín, perdurent pendant toute

Z Cat. 10 (détail)

1. Cf. Antonina Rodrigo, Lorca Dalí. Una amistad traicionada, Barcelona, 1981, Editorial Planeta, p. 14. 2. Première traduction mondiale des écrits de Freud. 3. Cf. Ian Gibson, The Shameful Life of Salvador Dalí, London, 1997, Faber & Faber. 4. Cf. Margarita Sáenz de la Calzada, Los Residentes. Madrid, ed. Residencia de estudiantes, p. 132-133 et fig. 1. 5. Eugenio Carmona, « Le jeune Dalí, la Residencia de estudiantes et les stratégies de la différence », Jean-Michel Bouhours, Jean-Hubert Martin et Thierry Dufrêne, Dalí, catalogue d’exposition, Paris, 2012, éd. du Centre Pompidou, p. 81.

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LA MÉTHODE PARANOÏAQUE-CRITIQUE. LES IMAGES DOUBLES IMAGES DE CONFUSION

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Jean-Michel Bouhours

LORS QUE BRETON EN 1927, dans Introduction au Discours sur le peu de réalité, mettait en exergue le « pouvoir hallucinatoire des images » et en appelait à une « grande illumination », Dalí désigne les éléments d’un visible que le travail interprétatif du paranoïaque est à même de révéler. Les images doubles prétendent fonctionner sur le principe de dichotomies entre simulacre et réalité, visibilité et invisibilité. Sa conférence à l’Ateneu Barcelonès le 22 mars 1930, et à sa suite le texte « L’Âne pourri » publié dans la revue Le surréalisme au service de la Révolution no 1 (juillet 1930), formulent un véritable traité des images doubles. Dalí utilise une sémantique quasi révolutionnaire pour donner à sa méthode la force subversive que le surréalisme entendait conférer à ses activités. La « ruine » du monde réel passait par des images qui allaient inoculer une « [systématisation] de la confusion ». Ce que l’on considérait comme la « réalité » au travers de l’image qui en est généralement l’analogon se pervertissait en une série de simulacres : «… la représentation d’un objet qui, sans la moindre modification figurative ou anatomique, soit en même temps la représentation d’un autre objet absolument différent, dénuée elle aussi de tout genre de déformation ou anormalité qui pourrait déceler quelque arrangement 1. » Le réel subit en quelque sorte une « torsion » sous l’effet de l’interprétation paranoïaque. Dans son texte : « Le problème du style et la conception psychiatrique des formes paranoïaques de l’expérience », le psychiatre et psychanalyste Jacques Lacan différenciait la perception « normale » du monde fondée sur l’intuition des objets de la perception du monde par le sujet paranoïaque, « empreint […] d’un caractère immanent et imminent de signification personnelle 2 ». Dormeuse, cheval, lion invisibles sera la première réalisation expérimentant les images doubles ou multiples ; elle entraîna la réalisation de trois tableaux et de nombreuses études et dessins et révélera un processus métamorphique riche entre les trois figures du lion, du cheval et de la femme. La version aujourd’hui dans les collections du MNAM (Cat. 25) est celle que Dalí choisit pour figurer dans l’exposition organisée par les surréalistes dans le hall du Studio 28, salle de cinéma de Montmartre où était diffusé le film de Buñuel L’Âge d’or en décembre 1930. Le tableau, comme la plupart des autres œuvres, fut saccagé par les ligues factieuses fascisantes. Celles-ci cherchaient à provoquer l’incident afin d’invoquer ensuite une atteinte à l’ordre public, au nom de laquelle le film serait interdit ; mais le contenu sexuel latent du tableau de Dalí a vraisemblablement échappé à ces gardiens des bonnes mœurs. Dans La Revue de l’art, Claire Pélissier avait retrouvé la source iconographique que Dalí avait utilisée pour la figure féminine du tableau

Z Cat. 25 (détail)

1. « L’Âne pourri » in Le surréalisme au service de la révolution, no 1, juillet 1930, reproduit in Daniel Abadie, Dalí, catalogue d’exposition, Paris, 2012, éd. du Centre Pompidou, p. 276. 2. Jacques Lacan : « Le problème du style et la conception psychiatrique des formes paranoïaques de l’expérience », in revue Minotaure, no 1, Paris, 1933.

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LA MÉTHODE PARANOÏAQUE-CRITIQUE. LES IMAGES DOUBLES RENCONTRE DE LA PSYCHANALYSE ET DE LA MORPHOLOGIE

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Branko Aleksić

ANS L’ARTiCLE PROGRAMMATiQUE « L’ÂNE POURRi » (revue Surréalisme au service de la Révolution, no 1, Paris, juillet 1931), Salvador Dalí définit l’image multiple comme méthode paranoïaque-critique. Il lui érigera une statue et la posera sur un socle (tableau Paranoïa, 1936). Le va-et-vient entre peinture, photographie, objet surréaliste et texte écrit – commentaire, traité théorique, prose surréaliste 1 – se déroule dans les années 1930 et 1940. On peut suivre ses prolongements jusqu’aux toiles de 1974, comme par exemple la « transformation du portrait d’Abraham Lincoln ». Dalí fait appel à la fois à la science optique et à la médecine pour appliquer la vitesse de pensée d’un paranoïaque à la sagacité du regard morphologique d’un peintre, puis concrètement à la psychanalyse, pour formuler sa « méthode » : l’inspiration et le subconscient agissent dans la révélation de vérités individuelles traduites en figurations picturales 2. « Récemment par un processus nettement paranoïaque, j’ai obtenu une image de femme dont position, ombre et morphologie, sans altérer ni déformer en rien son aspect réel, sont à la fois un cheval », raconte-t-il à une conférence donnée à l’Ateneu Barcelonès le 22 mars 1930 (Oui, p. 150). Un autre tableau tardif de 1939 l’explicite : Rencontre de la psychanalyse et de la morphologie. La méthode est « critique » au sens kantien, puisque le peintre provoque de manière volontaire la crise du regard, examinant les limites de la capacité de la vision hallucinatoire. Les mots clés de ce cycle de tableaux sont : apparition-cachée-disparition-invisible-visible ; les motifs anthropomorphes alternent avec le bestiaire : femme-cheval-lion et « l’enfant-sauterelle ». Au lieu de la rupture entre deux réalités opposées, que Dalí constate chez Bosch par exemple, sa peinture surréaliste travaille sur l’osmose entre le rêve et l’état d’éveil. Ce sont les Vases communicants, formule reprise par Breton. On peut dire que l’énigme véritable d’un « homme invisible », que Dalí lance dans plusieurs de ses toiles, a été celle du physicien italien Giambattista della Porta, auteur d’un ouvrage sur la magie apprécié à l’époque par Descartes. Dalí marque une première conjonction avec la science dans le tableau Hommage au physicien italien Giambattista della Porta, dès 1932. Le voyage qui suit en Italie et la prise de conscience de la tradition de la peinture maniériste susciteront l’analyse de l’art architectural de Palladio (tableau Andrea Palladio, 1936). L’intérêt de Dalí pour les sciences est précoce, et les boîtes « embryonnaires » d’atomes, souvent stockées au pied des tableaux surréalistes des années 1930-1940, auront une suite éclatante dans son attachement à la physique des particules après la Seconde Guerre mondiale.

Z Cat. 53 (détail)

1. Dalí, Oui. La Révolution paranoïaque-critique. L’Archangélisme  scientifi que, édition établie par Robert Descharnes, Denoël, 1971 ; 2e édition, 2004. Le texte « L’Âne pourri », p. 153-158 est tronqué (manquent quelques paragraphes), et cette réédition hérite de la coquille « Art » au lieu de : Arp (Hans), p. 136. 2. Voir « Ma révolution culturelle », 1968 : Dalí proposera l’« activation de commissions cybernétiques de recherches [du passé] : les roues combinatoires de Raymond Lulle, la théologie naturelle de Raymond de Sebonde, le traité de Paracelse, l’architecture inspirée du gothique méditerranéen de Gaudí, l’hyparxiologie de Francesc Pujols, la poétique anti-Jules Verne de Raymond Roussel, les théoriciens de la pensée mystique traditionnelle, tous les véritables inspirés. » (Oui, p. 372). La manifestation mystique, après 1951, remplacera l’inspiration laïque matérialiste (difficile d’en persuader les protagonistes de mai 1968) !

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TEMPS ET THÉORIE DE LA RELATIVITÉ L’AMOUR ET LA PERSISTANCE DE LA MÉMOIRE

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Jean-Michel Bouhours

A PERSiSTANCE DE LA MÉMOiRE (1931), tableau aujourd’hui dans les collections du Museum of Modern Art de New York, est incontestablement une des icônes de l’art du xxe siècle. Dalí relate les circonstances de son exécution dans son livre La Vie secrète de Salvador Dalí. Il était en train de peindre un de ces paysages de l’Ampurdan à la lumière crépusculaire dont il était coutumier quand, profitant de l’absence de Gala partie au cinéma, il eut ce geste d’y ajouter trois montres en état de déliquescence, qu’il baptisera « Montres molles ». Gala lui prédit qu’on ne pourrait plus jamais oublier cette image. Dalí, qui en 1934 écrira « Comment voulez-vous que l’on comprenne mes peintures quand moi-même je ne les comprends pas ? 1 » – formule qu’il reprendra ensuite très souvent –, précise que la violence, la cohérence, le systématisme, la complexité et la profondeur de ce qu’il peint, rend toute herméneutique sujette à caution. Plus que pour toute autre œuvre, l’artiste en a donné de multiples lectures, en apparence contradictoires, invoquant tantôt la théorie de la relativité, le camembert paranoïaque-critique, le super-mou, le fromage mystique, la psychanalyse, la physique quantique, quand ce n’est pas une préfiguration du Christ 2, alors que lui-même quand il l’a peint était encore dans une phase où il revendiquait la fondation d’une religion antichrétienne et matérialiste 3. Elliott H. King évoquera à ce propos une « croisée des savoirs 4 ». Dalí, syncrétique, n’hésite pas à hybrider ces savoirs, les compiler, voire les empiler. La Persistance de la mémoire deviendra dans les années cinquante la mémoire génétique, autrement dit la structure de l’ADN et l’empreinte du Dieu créateur. L’année où il peint le tableau, Dalí publie son poème L’Amour et la mémoire. Ce poème a la particularité de réunir les thèmes les plus forts de sa peinture et d’exprimer les convulsions violentes avec sa famille qui se sont produites au moment de sa rencontre avec Gala. Dalí insère une citation philosophique sur la durée du temps, éclairante : « La notion même / de la durée du temps / naît / de la comparaison / entre les phénomènes extérieurs / (mouvements et changements d’états) / et les phénomènes de notre propre vie / comparaison possible / par la fixation indépendante / du devenir / dont les représentations respectives / permettent la mémoire. » Les diverses représentations des évènements de sa propre vie au regard des phénomènes extérieurs instruisent la mémoire. Les théories d’Einstein sur la relativité restreinte puis générale se diffusent rapidement dans le champ de la philosophie d’Henri Bergson ou encore d’Ortega y Gasset. Elles investissent également le champ de la peinture, mais aussi celui de la littérature. L’inventeur des greguerias, Ramon Gomez de la Serna, fut sans

Z Cat. 61 (détail)

1. « Le mystère surréaliste et phénoménal d’une table de nuit » : texte d’une conférence prévue à Barcelone le 5 octobre 1934 et annulée, reproduit in S. Dalí, Obra completa vol. IV, (sous la dir. de Juan José Lahuerta), Barcelona, 2005, Ediciones Destino, p. 359-366. 2. Cf. à ce propos l’article de Elliott H. King « Réfl exions sur les Montres molles » in Astrid Ruffa, Ph. Kaenel et D. Chaperon, Salvador Dalí à la croisée des savoirs, Paris, 2007, éd. Desjonquères. 3. Cf. S. Dalí Le mystère de la table de nuit, in Salvador Dalí à la croisée des savoirs, op. cit., p. 33 ainsi que la lettre de Dalí à Paul Éluard, 1934 (Fonds Éluard, musée de Saint-Denis), reproduite in D. Abadie (dir.), Dalí, catalogue d’exposition, Paris, 1979, éd. du Centre Pompidou, p. 300. 4. E.H. King, op. cit.

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ENTRE FREUD ET LACAN DALÍ, UNE PASSION DES JOUISSANCES Michèle Harroch

«« II

L N’Y A PAS DE RAPPORT SExUEL ». Cet énoncé choc de Lacan implique qu’il n’y a pas pour l’être parlant de rapport, de formule mathématique toute faite pour expliquer ce que les êtres de même sexe ou de sexes différents ont à faire ensemble. L’énigme de la chose sexuelle se noue aux malaises de l’homme et à l’angoisse. C’est le propos de la psychanalyse qui, dès son arrivée en Espagne dans les années 1920, suscite la passion du jeune Dalí. L’hypothèse de l’inconscient, d’un savoir caché à soi-même, est ce qui permet d’accéder à son propre désir par le récit du rêve mais aussi par les mots d’esprit, les lapsus, les oublis, les actes manqués, le symptôme. La sexualité est affaire de langage, d’un inconscient structuré comme un langage. Ce corps que l’on a, parce qu’on l’image, image qui participe de la constitution du sujet, n’a rien d’une évidence. Et si le sexe est omniprésent dans les productions de Dalí, c’est justement parce qu’il embarrasse. L’érotique des corps, la pulsion articulée au fantasme est soumise aux lois symboliques, au discours de l’Autre, à ses interdits. C’est aussi une problématique que Dalí traite avec son art : comment faire quand ça cloche, quand le corps qui jouit n’en fait qu’à sa tête ?

Dalí avec Freud Derrière ses effets de style, La vie secrète de Salvador Dalí, ses écrits se marquent d’une volonté de bien dire les douloureuses « chroniques du regard et de l’intime 1 ». Les productions daliniennes sont traversées de références implicites à Freud. C’est le cas de Jeu lugubre, qui permettra à Dalí en 1929 de rejoindre le groupe surréaliste. La dimension anale d’un détail fera scandale : le peintre y arbore un caleçon souillé de matières fécales. À cette époque, les tourments de l’artiste présentent de nombreuses similitudes avec l’« autobiographie du Président Schreber 2 ». Le peintre rapporte une scène où, face au miroir, il se travestit, allant jusqu’à se scarifier. Dalí partage avec Schreber l’embarras d’un corps sexué, voire le rejet d’une détermination quant à la question de la sexuation. Pour sa part, Schreber se relève d’un séisme subjectif, d’une position de kakon, d’objet de déchet, avec une construction délirante édifiée sur l’idée qu’il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement. Il renoncera à l’éviration, à l’idée d’une mutilation réelle, en trouvant une solution langagière du côté d’une position féminine de l’être. Être la femme qui manque aux hommes va donner cause et destin à sa condition d’existence. Sa vérité, Schreber la consigne dans ses Mémoires, le texte de sa révélation.

Z Cat. 64 (détail)

1. Formule empruntée à Gérard Wajcman. Fenêtre, Chroniques  du regard et de l’intime, Verdier, coll. Philia (Lagrasse), 2004. 2. Freud S., « Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa, (Dementia paranoïdes), (Le Président Schreber) », Cinq psychanalyses, Paris, Presses universitaires de France, 1988, p. 263-324.

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L’ANGÉLUS DE MILLET L’ANGÉLUS À L’HEURE DE L’IMAGERIE SCIENTIFIQUE

ÀÀ

Jean-Michel Bouhours

PARTiR DE 1932, Dalí peint une série de tableaux interprétant l’œuvre de JeanFrançois Millet, L’Angélus. Peint entre 1857 et 1859, le tableau est exposé pour la première fois au public en 1869. Il devient très vite une icône d’une société française pieuse du milieu du xixe siècle, encore très largement paysanne, alors que s’amorce la révolution industrielle. Millet a peint ce tableau se souvenant de sa grand-mère, une paysanne très dévote qui, quand il était enfant, faisait arrêter les travaux des champs à la fratrie à l’heure du crépuscule pour la prière rappelant l’Annonciation, ordonnancée par les cloches de l’église du village. De dimensions relativement modestes (55 × 66 cm), le tableau s’impose d’emblée comme le miroir d’une France rurale appelée à grossir le prolétariat des villes. Le musée du Louvre tente en vain de réunir les fonds pour l’acquérir en 1899 ; l’engouement patriotique pour éviter que le tableau ne parte aux États-Unis n’y fera rien, alors que l’affaire prend un tour politique et médiatique. Mais il est racheté par Alfred Chauchard, qui le léguera à l’État français à sa mort en 1909. Le tableau se retrouve de nouveau sous les feux de l’actualité quand le 11 août 1932, un déséquilibré entre dans le musée du Louvre et, après avoir hésité entre La Joconde et L’Angélus, lacère le tableau de plusieurs coups de couteau. L’affaire fait grand bruit. Le musée du Louvre opère rapidement, faisant appel à l’expertise de son laboratoire, nouvellement créé sous le nom d’Institut Maïnini. Cet institut est l’œuvre de deux médecins argentins, Fernando Perez et Carlos Maïnini : lors d’une conférence à la Sorbonne en 1930 organisée à l’initiative du directeur du musée du Louvre, Perez fait état de ses recherches « pinacologiques » en biologie, étiologie et prophylaxie, et défend sa conception d’une physiologie du tableau. À l’issue de cette conférence, le couple Maïnini propose de financer un laboratoire de recherches au musée du Louvre, qui sera inauguré le 14 octobre 1931. Ce laboratoire s’équipe pour réaliser des analyses spectrales de la couche picturale des tableaux ainsi que des clichés radiophotographiques. La revue Sciences et voyages, dans son édition du 25 août 1932, consacre un long article à la restauration de L’Angélus par le laboratoire scientifique nouvellement créé et insiste en particulier sur les nouveaux appareils à émission de rayons X, spectromètres et appareils de radiographie, déjà utilisés par la police scientifique pour mieux identifier les matériaux et traiter les œuvres. Dalí situe le phénomène délirant initial, qui va ensuite amorcer son interprétation paranoïaque du tableau de Millet, en juin 1932, dans son livre Le Mythe tragique de

Z Cat. 73 (détail)

1. Cf. Antonina Rodrigo, Lorca Dalí. una amistad traicionada, Barcelona, 1981, editorial Planeta, p. 79. 2. Lettre de Madeleine Hours sur papier à en-tête « Ministère d’État. Affaires culturelles » datée du 15 juillet 1963. Dossier Angélus de Millet au C2RMF du musée du Louvre. 3. S. Dalí, « L’Angélus de Millet » repris comme Appendice dans Le Mythe tragique de l’Angélus de Millet, Paris, 1963, éd. Pauvert, rééd. Pauvert 1973, rééd. Allia 2011.

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LES CHANTS DE MALDOROR CORPS ET LANGAGE. DALI ET BELLMER, L’EFFET LAUTRÉAMONT

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Pilar Parcerisas

ACE À LA PASSiviTÉ DE L’AUTOMATiSME PSYCHiQUE, Dalí proposait le délire paranoïaque comme fait « actif », en construisant ce qui deviendra son propre dispositif de représentation : la méthode paranoïaque-critique, qui mit en place un paysage infini de dédoublements et de figures multiples contenues dans une unique image mentale. Appartenir au cénacle surréaliste supposait renoncer à toute conduite morale et adhérer à la foi de la littérature maudite des Têtes d’orages des écrivains que défendait André Breton : Isidore Ducasse, comte de Lautréamont, et Raymond Roussel, les plus grands magnétiseurs des temps modernes 1. La nouvelle littérature naît du machinisme des temps modernes, et les progrès scientifiques de la fin du xixe siècle entraînent la création de machines imaginaires qui avaient été précédées par les anciens automates. Nous les connaissons en tant que machines célibataires de la littérature, apparues comme un mécanisme permettant de dévoiler un simulacre mécanique de la vie humaine, un monde « extra-rétinien » et « extrahumain ». On y trouve des œuvres d’Alfred Jarry, d’Edgar Poe, de Raymond Roussel, de Franz Kafka et de Lautréamont. L’art abandonne le naturalisme rétinien, il se cantonne à la réalité de l’esprit et fait que chaque expression se transforme en une expression psychique. Les surréalistes, fascinés par ces machines littéraires, s’éloignent du modèle de beauté défini sur l’imitation de la nature et formulent à partir de Lautréamont leur définition de la « beauté convulsive ». Pour André Breton, le « beau comme », formule métaphorique que Ducasse utilise de façon répétitive dans les Chants de Maldoror, constitue le manifeste surréaliste de la beauté convulsive. Pour Dalí, Les Chants de Maldoror représentaient une sorte de rite initiatique. Dans son Journal d’un génie, il déclare : « Enfin imbibé de tout ce que les surréalistes avaient publié, en ordre avec Lautréamont et le marquis de Sade, je fis mon entrée dans le groupe, armé de ma bonne foi bien jésuitique […]. 2 » À l’ombre de Nietzsche et de Sade, Isidore Ducasse crée le personnage de Maldoror, figure du héros du mal, un être cruel et paranoïaque qui prend du plaisir à louer le crime et se présente comme un ennemi de l’humanité et, tout particulièrement, de la figure du père ou « Créateur » : « Je me suis proposé d’attaquer l’homme et Celui qui le créa 3 », déclare-t-il au Chant VI. Maldoror souffre de l’impatience à dévorer le temps, le « mal d’aurore ». Une écriture qui souligne tous les maux de l’adolescence, acerbe et amorale, que Dalí prend pour modèle dans les premiers chapitres

Z Cat. 95 (détail)

1. Breton, André, « Têtes d’orage », Minotaure, no 10, Paris, hiver 1937, p. 6. 2. Dalí, Salvador, Journal d’un génie, Gallimard, collection L’imaginaire, p. 22 ; La Table Ronde, 1964. 3. Lautréamont, Les Chants de Maldoror, Poésie/Gallimard, 1973, p. 228.

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SPECTRES ET MORPHOGENÈSE TROMPE-L’ŒIL SPECTRAL Branko Aleksić

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ES PREMiÈRES NOTATiONS ANTiCiPATivES qui montrent l’intérêt constant de Dalí pour les sciences sont inspirées par les tableaux et « appareils » d’autres peintres, par les images hypnagogiques d’autres photographes et cinéastes, tous proches du mouvement surréaliste – ou mis en relation avec ce mouvement par la « bobine infinie », que Dalí déroule au passé, mais au futur aussi. Avant de devenir « Salvador Dalí, l’appareil précis de l’activité paranoïaque-critique à la main… 1», Dalí utilisa les « Appareils distillés » de Giorgio Morandi (Oui, p. 15). Comme les premiers mathématiciens grecs qui projetaient leurs figures géométriques sur le sable, Dalí imagine « les instruments exacts d’une physique inconnue » – nous sommes en été 1927 –, et décrit les instruments qui « projetaient leurs ombres explicatives, en offrant leurs cristaux et aluminiums… », finissant par l’« Invitation à l’astronomie », au son « de tranquilles rumeurs de Bohémienne endormie de Henri Rousseau », ainsi que de la peinture Nature morte évangélique de Giorgio de Chirico (1926) (Oui, p. 17-18). À propos de De Chirico, Dalí considère ses objets hétéroclites comme des catégories kantiennes, comme des matérialisations métaphysiques de l’« intuition pure » (Oui, p. 251). Ouvrons une parenthèse sur l’alliance philosophie-science comme épistémè du xviiie siècle : aux côtés de l’intuition dans la Critique de la  raison pure où Kant « utilisait les temples du temps et de l’espace… », Dalí classe la physique de Newton : « […] ce qui dominait incontestablement et en exclusivité la situation, et qui continue d’ailleurs à la dominer jusqu’à Chirico, car celui-ci en fin de compte n’a fait que traduire en peinture l’épilogue grandiosement [sic] nostalgique, euclidien, et métaphysique, de ce duo impossible et malheureux de “l’intuition pure” et de la physique de Newton, duo qui pourrait être en tout cas généralement illustré par le couple célèbre et traumatisant des Mannequins de la tour rose 2. »

Ces exemples suivent la trajectoire ascendante d’une histoire de l’optique et de la peinture surréaliste inventrices d’une morphologie nouvelle : « Henri Rousseau savait regarder mieux que les impressionnistes », et avant lui, à l’époque de Leeuwenhoek, « Vermeer de Delft, ce fut autre chose. Dans l’histoire du regard, ses yeux sont l’exemple de la plus grande probité 3 ». Dalí se souvient d’une photo de Man Ray, qui le fait penser « à ce nouveau système organique » du subconscient exposé (Oui, p. 28) ; et par une nouvelle anticipation, ce ne sera plus Juan Gris au banjo, mais Dalí drapé, les yeux invisibles, sur la photographie de Man Ray en 1934.

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1. S. Dalí, « Le mystère surréaliste et phénoménal de la table de nuit », texte de la conférence espagnole de Barcelone (5 octobre 1934), traduit en français et présenté par Astrid Ruffa, in Salvador Dalí à la croisée des savoirs, collectif, sous la dir. de A. Ruffa, Ph. Kaenel, D. Chaperon, éd. Desjonquères, 2007, p. 27-34 ; Oui, p. 31. 2. « Psychologie non euclidienne d’une photographie » (1935) ; Oui, p. 252-253. L’étude La Conquête  de l’irrationnel (Éditions surréalistes, Paris, 1935), tire au forceps le fruit de l’intuition logique et pure : car cette dernière « portait depuis longtemps dans son ventre un fils illégitime qui n’était rien de moins que celui de la propre physique, et que ce fils, à l’époque de Maxwell et de Faraday, pesait déjà sensiblement avec cette persuasion non équivoque et avec cette force de gravité personnelle qui ne laissait plus lieu à aucun doute sur la paternité newtonienne de l’enfant ». (Oui, p. 255). 3. Oui, p. 27. Sur le microscope de Leeuwenhoek comme anticipation du microscope électronique ; voir aussi les textes à propos de Rembrandt, 1962, op. cit., p. 348/350 ; à propos de Willem de Kooning, 1969, op. cit., p. 374 ; et de « la statue » de Condillac, 1975, op. cit., p. 396.

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ANAMORPHOSES DE LA HARPE CRÂNIENNE AUX ANAMORPHOSES

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Jean-Michel Bouhours

A DESCRiPTiON QUE DONNE JURGiS BALTRU AiTiS d’une anamorphose cylindrique permet de comprendre d’emblée la raison de l’intérêt de Salvador Dalí pour ces jeux d’optique :

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« […] les effets de ces déformations sont toujours aussi étonnants. La femme avec un oiseau dans une cage se ramollit comme de la cire. Sa tête se penche, ses traits se liquéfient et coulent avec lenteur et grâce 1. » La connexion en l’optique curieuse et l’univers dalinien du supermou et des matières colloïdales semble s’imposer. Le procédé de l’anamorphose est fondé sur une déformation de la grille de vision, « la fenêtre » dans le dispositif perspectiviste dessiné par Dürer. Dans les textes de Dalí des années trente où le mot d’anamorphose revient très souvent, leur auteur fait volontiers un amalgame sémantique entre anamorphose, informe, métamorphose ou difformité, qui sont autant de modalités de représentation iconique du délire d’interprétation et de la beauté convulsive pointée par André Breton. Dès 1932, apparaissent dans la peinture de Dalí les têtes hydrocéphales. Une des causes cliniques de cette maladie est la consanguinité des parents géniteurs. Or précisément l’artiste l’associe à une relation incestueuse entre mère et enfant 2. Le symptôme produit dans l’imaginaire de Dalí des « harpes crâniennes », qui sont des crânes mous soutenus par une béquille et déformés sous leur poids (Bureaucrate moyen atmosphérocéphale dans l’attitude de traire du lait d’une harpe crânienne, vers 1933), des excroissances dans la « sculpture hystérique » Nu féminin hystérique et aérodynamique, inspirée des poses des malades étudiées par Charcot à la Salpêtrière (Cat. 111). Plusieurs dessins du début des années trente ont comme thème central la table de dissection (allusion au « Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie » d’Isidore Ducasse) ; ceux-ci montrent de réelles similitudes avec les dessins des perspecteurs du xviie siècle. L’Enfant-sauterelle (Cat. 101) semble être une interprétation ou une continuation de l’Anamorphose d’une chaise (1638) de Jean-François Niceron reproduit dans son ouvrage La perspective curieuse, ou magie artifi cielle des effets merveilleux. On retrouve une convergence des diagonales vers un point de distance éloigné

1. Jurgis Baltrušaitis, Les perspectives dépravées, tome II, Anamorphoses, Paris, 1996, Flammarion, Champs arts, p. 196. 2. Cf. Dalí « Atmosferic-animalstragedie-spectacle surréaliste » vers 1932. In Montse Aguer, Jean-Michel Bouhours, Thierry Dufrêne, Jean-Hubert Martin, Dalí, catalogue d’exposition, Paris, 2012, éd. du Centre Pompidou, p. 321-322.

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LE MYSTICISME NUCLÉAIRE L’EXTASE MYSTIQUE CORPUSCULAIRE

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Jean-Michel Bouhours

ExPLOSiON DES DEUx PREMiÈRES BOMBES ATOMiQUES sur le Japon en ao t 1945 va inspirer à Salvador Dalí ses premières peintures nucléaires, Idylle atomique et uranium mélancolique (1945) puis, deux années plus tard, les Trois sphinx  de Bikini (1947), œuvres dans lesquelles le peintre insère au sein de son univers de montres molles, de pains-horloges, ou d’anatomies anamorphosiques l’image d’un bombardier B-52 larguant sa bombe. En octobre 1950, l’artiste donne à l’Ateneu Barcelonès une conférence intitulée « Pourquoi j’ai été sacrilège, pourquoi je suis mystique ». Dans la lignée de la célèbre formule « Le surréalisme c’est moi », il annonce non sans provocation et alors que la rupture avec le groupe d’André Breton est consommée depuis la fin des années 30, un virage idéologique radical consistant à détacher le surréalisme de la pensée matérialiste athée et française dont il se réclamait encore en 1934 dans une lettre à Paul Éluard, pour en proposer une convergence avec le mysticisme espagnol. Quelques mois plus tard, avec la complicité du critique Michel Tapié et du peintre Georges Mathieu, il publie Le Manifeste mystique, confirmant à la fois sa filiation surréaliste et sa conversion à la religion catholique : « Les deux choses les plus subversives qui puissent arriver à un ex-surréaliste en 1951 sont, premièrement de devenir mystique ; et deuxièmement d’apprendre à dessiner. » Dalí revendique la perfection de l’art de la Renaissance au travers des figures de Bramante et de Raphaël pour répudier la décadence des modernes et de leurs sources primitivistes dont la cause serait l’athéisme. Désormais, il prétend élaborer son œuvre sous la dictée d’une extase de nature mystique. L’état d’extase est un état d’ataraxie libéré de tous troubles d’ordre psychique ou physique et marqué par un plaisir physique de félicité. Pour Dalí, cet état signifie la cessation de ses peurs et angoisses ataviques et provoque la sensation de vivre désormais dans un corps parfait, un corps saint. Il décrit d’ailleurs l’extase mystique comme « super-gaie, explosive, désintégrée, supersonique, ondulatoire et corpusculaire, ultra-gélatineuse » ; c’est selon lui le « moule de l’incorruptible », l’antithèse des « désirs ammoniacaux » de sa jeunesse pour les corps en décomposition. « Dans l’extase, poursuit Dalí, un grain de blé flottant dans l air à un mètre et demi de la terre sera si fixe qu’un sombre éléphant poussant de toutes ses forces avec son front ne réussira pas à le déplacer. » Cette phrase vaudrait description du tableau Équilibre intra-atomique d’une plume de cygne (1947) ou de Leda Atómica. Dans ces œuvres, les éléments flottent dans l’espace, sans qu’il y ait de contact entre eux, et chacun semble suspendu dans un mouvement non dénué d’étrangeté. Cette absence de contact figure dans l’iconographie dalinienne cet état extatique

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LA STRUCTURE DE L’ADN LA « PERSISTANCE GÉNÉTIQUE DE LA MÉMOIRE HUMAINE »

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Jean-Michel Bouhours

AMES WATSON ET FRANCiS CRiC publiaient dans la revue américaine Nature (no 4356) le 25 avril 1953 un article intitulé « La Structure moléculaire de l’acide nucléique » et annonçaient avoir décrypté la structure de l’acide désoxyribonucléique, ou ADN. En 1963, Dalí rendait hommage aux deux savants avec son exposition en hommage à Crick et Watson à la galerie Knoedler à New ork. En couverture, de chaque côté de la signature de Dalí, les deux portraits photographiques des savants comportaient chacun une citation : « Life is a three-letter word » (La vie est un mot de trois lettres) pour Crick et « A model builder » (Un générateur de modèle) pour Watson. Dix œuvres étaient présentées dans cette exposition, parmi lesquelles la plus emblématique était Galacidalacidesoxyribonucleicacid. Dalí explique qu’il réagissait aux titres courts et sans référents de l’art conceptuel avec un titre très long, le plus long de sa production, pour marquer la « persistance génétique de la mémoire humaine ». Dans ce tableau, Gala de dos contemple l’œuvre divine ; dans un ciel convulsé, la figure de Dieu apparaît portant un phylactère avec le titre du tableau ; à droite sont représentés les appariements de bases azotées des macromolécules sous forme de cubes constitués de silhouettes humaines debout ou agenouillées tels des petits soldats de l’œuvre divine et dont les têtes sans visages représentent les atomes au bout de leur chaîne. Dalí montre ainsi sa conviction que la structure de l’ADN était « la seule structure reliant l’homme à Dieu ». Dans ses Dix Recettes d’immortalité, il précise : « Aujourd’hui, les dernières découvertes de la science nous prouvent que les lois de Dieu sont celles de l’hérédité contenue dans l’acide désoxyribonucléique, ADN, et que l’acide ribonucléique, ARN, n’est que le messager chargé de transmettre le code génétique, qui est le legi intimus des deux acides en question formant l’échelle de Jacob de Crick et Watson. Sur l’escalier de Jacob chaque marche est un palier ADN et les anges montant et descendant sont l’ARN. L’intimité moléculaire de chaque échelon est un fleuron unique de légitimité de cet arbre de Jessé d’où toutes les autres légitimités découlent 1. » Dans la bibliothèque de Dalí se trouve le livre de James D. Watson The Double elix. Dalí y a fait un dessin en marge, face au schéma de la double hélice, représentant un lanceur de discobole antique de profil dont la silhouette épouse les courbes de la spirale. Cette spirale va inspirer à l’artiste les corps twistés (Twist dans l’atelier de Velásquez, ou Christ twisté). Toujours à la recherche d’une double image, Dalí cherche ainsi dans le domaine de la gestalt à « unifier » les champs entre microcosme et macrocosme.

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1. Salvador Dalí, Dix recettes  d’immortalité, Paris, 1973, éd. Audouin-Descharnes.

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DALÍ ET LA PHOTOGRAPHIE VOYANT, VOYEUR, VISIBLE : UNE IDENTITÉ PHOTOGRAPHIQUE Marc Aufraise

«« “Ê “Ê

TRE OU NE PAS TRE (Shakespeare). Voir ou ne pas voir (Dalí). Voilà la question, ou plus précisément le problème. » Salvador Dalí, 1942 1

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L a photographie est essentielle pour Salvador Dalí 2. Non pas comme pratique artistique, mais pour la valeur qu’il lui accorde en tant qu’image. Le peintre est obnubilé par la fixation plane du point de vue de l’œil mécanique de l’objectif. Cette reproduction technique du visible, qui réduit et structure l’espace et les objets photographiés, lui est nécessaire dans son processus créatif et dans la construction de son identité. Ces deux pôles indissociables pour l’artiste sont continuellement soutenus par l’utilisation de l’image photographique, qu’elle soit récupérée, réalisée ou commandée à des photographes professionnels, qu’elle serve de modèle pour ses peintures ou d’illustration pour ses publications. Cette utilisation procède d’une volonté d’« objectivation » de son environnement, de son image propre, puis de ses visions fantasmatiques. Elle permet la communication entre sa psyché de créateur et celle du public en encourageant un phénomène d’identification, et conduit à la transformation de l’artiste en une image-produit diffusable et consommable. « Incapable de donner un sens aux choses puisque je n’avais pas la référence d’un moi stable, je les vivais en les possédant, en ressentant avec une incroyable acuité leur configuration, aussi étrange f t-elle. » Salvador Dalí, 1973 3 Lorsqu’au cours des années 1920 Salvador Dalí s’affirme en tant qu’artiste moderne, l’esthétique qu’il défend repose sur le catalogage pseudo-scientifique, clinique, d’objets et de faits constatés et quantifiés. Ses articles critiques chantent l’appareil et l’image photographiques ; le champ lexical lié au processus d’enregistrement automatique façonne ses poèmes et ses courts essais. Donner une forme et encadrer l’extérieur grâce à la rigidité documentaire de la photographie participe de son entreprise de définition inflexible du monde et de l’art. Sous couvert de pureté objective, Dalí contemple, non le réel vivant – la nature, les objets, les corps – mais des représentations froides, maintenues dans un cadre et séparées ainsi par une frontière claire de son être propre.

1. « Camouflage total pour guerre totale », dans Esquire, New ork, août 1942, no 2, p. 64-66 et p. 129-130, reproduit dans Oui. La révolution  paranoïaque-critique. L’archangélisme  scientifi que, Robert Descharnes (éd.), ditions Denoël, Paris, 2004 ( ditions Denoël/Gonthier, 1971), p. 315-322, citation p. 315. 2. Les idées présentées dans ce texte sont défendues dans Salvador Dalí et la photographie : portraits du surréalisme (1927-1942), Marc Aufraise, thèse de doctorat en histoire de l’art contemporain (2013), consultable en ligne. 3. Comment on devient Dalí.  Les aveux inavouables de Salvador  Dalí, André Parinaud (éd.), « Vécu », Robert Laffont, Paris, 1973, p. 301.

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L’HOLOGRAMME DALINIEN DALÍ ET L'HOLOGRAPHIE Marc Aufraise

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EUL UN GÉNiE COMME SALvADOR DALÍ a pu créer un art, qui bien que rêvé par les grands peintres, ne pouvait être réalisé qu’en le combinant avec la technologie la plus moderne 1. » Dennis Gabor, 1972

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Cette déclaration élogieuse conclut le texte de Dennis Gabor – prix Nobel de physique en 1971 pour son invention de la méthode holographique en 1947 – publié dans le catalogue de l’exposition des premiers hologrammes conçus par Salvador Dalí à la galerie Knoedler de New ork en avril 1972. L’utilisation du laser (1960), le développement des recherches appliquées (1962-1963), puis l’exploitation commerciale par la Conductron Corporation (1967) ont permis l’espoir de créer et de projeter simplement des images en trois dimensions. « Tous les artistes ont été préoccupés par la réalité tridimensionnelle depuis Vélasquez et à l’époque moderne le cubisme analytique de Picasso essaya encore de capturer les trois dimensions de Vélasquez. Aujourd’hui avec le génie de Gabor, la possibilité d’une nouvelle Renaissance est accessible avec l’utilisation de l’holographie. » Salvador Dalí, 1972. Holos ! Holos ! Vélasquez ! Gabor ! est le titre du premier collage holographique réalisé par Salvador Dalí avec l’aide de Selwyn Lissack, un musicien new-yorkais sud-africain, passionné d’holographie. Le peintre assemble des fragments de Las Meninas et les deux joueurs de cartes d’une publicité pour une bière. Polyhedron présente des joueurs de basket-ball des universités ale et Columbia, un portrait de Gala par Dalí, la photographie peinte de l’artiste enfant, un globe terrestre avec Figueres et Cleveland, ville du premier Salvador Dalí Museum. Dalí peignant Gala (ou Le berger et la sirène) est un hologramme cylindrique qui permet au spectateur de tourner autour de l’artiste et de sa muse pour les voir sous tous les angles. « Quand j’ai su qu’une molécule d’émulsion holographique contenait en entier l’image en trois dimensions, incontinent je m’exclamais : je veux la manger ! […] Ainsi faisant, je pouvais réaliser, tout au moins en effigie, l’un de mes plus chers désirs : manger l’être adoré Gala,

1. The 3rd Dimension : the 1st World Exposition of Holograms conceived by Dalí, M. Knoedler & Co, New ork and London, April 7-May 13, 1972.

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JEUX D’OPTIQUE ET STÉRÉOSCOPIES LA PEINTURE STÉRÉOSCOPIQUE COMME NOUVELLE FORME DE DOUBLE IMAGE Jean-Michel Bouhours

OBERT DESCHARNES ÉCRivAiT dans l’ouvrage Gala de Dalí 1 que ce dernier commença à s’intéresser à la restitution de la troisième dimension avec la découverte aux tats-Unis en 1964 de feuilles de plastique permettant des effets de moiré par superposition de trames ; ce que confirme le film tourné par le cinéaste Jonas Mekas le 24 janvier 1964, dans lequel on voit Dalí en compagnie du professeur Gerald Oster, biophysicien, présenter les effets hallucinatoires du dispositif. À partir de 1972 et alors qu’il a déjà commencé à travailler avec l’holographie, Dalí entreprend l’exécution de peintures stéréoscopiques, à l’issue d’une recherche menée sur le peintre hollandais, contemporain de Vermeer, Gérard Dou, qui l’amène à la conviction que celui-ci aurait réalisé des couples de tableaux stéréoscopiques aujourd’hui dispersés. Ajoutons que Marcel Duchamp, disparu en 1966, avec lequel Dalí entretenait une étroite relation d’amitié et de complicité à Cadaqués au cours des années 60, avait réalisé une Stéréoscopie à la main à Buenos Aires entre 1918 et 1919 et ensuite s’était intéressé au procédé des anaglyphes, décrits par H. Vuibert dans son livre Les anaglyphes géométriques 2, concevant ultimement sa fameuse cheminée anaglyphe pour sa résidence d’été de Cadaqués. Le principe de la vision stéréoscopique était connu depuis l’Antiquité ; au iiie siècle av. J.-C., Euclide décrit la vision différenciée de chaque œil. Mais ce n’est qu’en 1838 que l’Anglais Charles Wheatstone met au point un dispositif de stéréoscope qui portera son nom, à deux miroirs à 45o permettant de voir en relief deux dessins placés face à face. Le principe est fondé sur un couple de deux images correspondant aux visions de l’œil droit et de l’œil gauche, qui offrent chacune une vision légèrement décalée du même sujet selon l’angle formé par les deux yeux. Le cerveau, recevant simultanément ces deux images monoculaires, reconstitue une vision spatiale tridimensionnelle de l’espace ou du sujet. L’intérêt de Dalí pour le dispositif stéréoscopique doit être restitué dans le processus de la double image qu’il développe depuis 1930 : la vision binoculaire produit en effet à partir de deux images matérielles une image nouvelle, neuronale, dans la troisième dimension. Sa rencontre avec André Roger Lannes de Montebello, qui en 1967 avait déposé un brevet sur la reproduction photographique, notamment à l’aide de l’hologramme et des surfaces lenticulaires, d’images « pseudoscopiques », sera déterminante. L’invention du pseudoscope revient d’ailleurs au même Charles Wheatstone, qui avait imaginé inverser les lentilles de son stéréoscope entre image droite et gauche, obtenant ainsi une représentation spatiale aberrante,

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1. Robert Descharnes, Gala de Dalí, Lausanne, Edita, 1962, p. 225. 2. H. Vuibert, Les anaglyphes géométriques, Paris, éd. Vuibert, 1912.

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VÉLASQUEZ ET MOI LE NUMÉRO SECRET DE VÉLASQUEZ Jean-Michel Bouhours

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N 1919, GÉ DE 1 ANS, Dalí rédige des notices sur les grands peintres pour la revue Studium publiée par l’Instituto de Figueres ; dans son texte dédié à Diego Vélasquez, il manifeste déjà son admiration pour les tableaux Les Ménines et Les Fileuses et évoque un « placement des couleurs » semblable à celui d’un peintre impressionniste. En janvier 1961, la revue américaine Art News publiait un autre texte de Dalí intitulé : « Le numéro secret de Vélasquez », dans lequel le Catalan fait du peintre sévillan la figure tutélaire de la génération des peintres informels : « Vélasquez a commencé avec la représentation figurative, pour finir avec des taches. Et actuellement avec des taches comme point de départ, on devrait aspirer à des figures sublimes 1. » Dalí va produire plusieurs interprétations des Ménines au tournant des années 60, sans doute aiguillonné par la production en 1957 de l’impressionnante série de Picasso sur le même thème. L’exécution du tableau Twist dans le studio de Vélasquez (1962) est liée au phénomène sociétal du twist lancé aux tats-Unis à la fin des années cinquante, qui devient très vite le marqueur d’une jeune génération s’émancipant dans ses mœurs après les années de guerre ; confidentiel à sa naissance, le phénomène acquiert très vite une popularité et traverse l’Atlantique pour arriver en Europe occidentale (Royaume-Uni et France) au milieu de l’année 1961. Le tableau fut présenté dans l’exposition du Salo de Tinell à Barcelone (intitulée Fortuny Dalí y sus batallas de Tetuan) en 1962, puis l’année suivante dans l’exposition de la galerie Knoedler à New ork, où Dalí rendait hommage à Francis Crick et James Watson. Dans le catalogue de cette exposition, Dalí précisait le mode de vision particulier du tableau : « Les spectateurs fermant un œil et l’autre au rythme du twist verront les figures bouger réellement. On les voit en ce moment s’agiter comme un petit nuage de moustiques dans l’atelier éternel de Vélasquez. » Il devait préciser que la jeunesse de son époque, en dansant le twist, était au plus près de la science, mais que lui seul connaissait le secret du lien entre les mouvements des corps twistant et la structure hélicoïdale de l’ADN. Le processus dans la chorégraphie du twist, où les danseurs sont représentés sous la forme de silhouettes planes pliées en accordéon, lui suggérait les deux spirales disjointes de la structure de l’ADN. Le peintre a alterné les pans des silhouettes entre brillance et matité, afin d’obtenir avec la lumière un effet cinétique. Si le terme d’Op art n’a pas encore été énoncé au moment où il exécute ce tableau, l’art cinétique connaît en revanche un développement international spectaculaire depuis l’exposition de la galerie Denise René

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1. Salvador Dalí, Le numéro secret de Vélasquez, in Art news, vol. 61, repris in Dalí, Obra completa, p. 713.

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THÉORIE DES CATASTROPHES DALÍ ET LA THÉORIE DES CATASTROPHES DE RENÉ THOM

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Astrid Ruffa

A THÉORiE DE RENÉ THOM a enchanté tous mes atomes depuis le jour où j’en ai pris connaissance. » S. Dalí, Ouverture du colloque « Le hasard en procès », théâtre-musée Dalí, Figueres, 1985

Passionné par les découvertes scientifiques de son temps, Dalí accueille avec enthousiasme les travaux de René Thom autour de la morphogenèse et de la théorie des catastrophes. Son intérêt pour les études sur la dynamique des formes ne date cependant pas des années 1970. Il se manifeste dès les années 1930, en lien avec l’élaboration de son activité « paranoïaque-critique », axée justement sur la transformation des objets par analogie formelle. Cette méthode créative permet de voir ce que l’on désire au niveau subconscient en projetant automatiquement l’idée obsédante dans les formes (contours ou structures) du monde extérieur. Concevant la pensée subconsciente comme structurée et structurante, Dalí s’inspire alors des recherches dans le domaine de la morphologie pour réinventer, légitimer et nourrir au fil des années son imaginaire paranoïaque-critique. Dans le cadre du surréalisme, afin de concevoir l’intervention modélisante de l’irrationnel, il reprend, entre autres, les recherches de Monod-Herzen explorant l’action structurante du milieu sur les corps. Dès les années 1940, sa fascination pour les formes ne fait que s’accroître dans la mesure où Dalí, exclu du surréalisme, ne vise plus à « systématiser la confusion » mais à mettre en lumière un principe unificateur reliant tous les éléments du cosmos. Dans le sillon de Léonard, il s’inspire ainsi de la proportion dorée adoptée par les peintres de la Renaissance et, faisant appel aux théories de Ghyka et des morphologues de son temps 1, il la représente sous la forme d’une spirale logarithmique structurant les phénomènes les plus hétérogènes. Et lorsque Dalí se réfère à des théories de physique quantique non visualisables dans l’espace, il les figure visuellement dans ses œuvres. Tel est le cas de la reprise par le Catalan dans les années 1950 du principe d’indétermination d’Heisenberg : celui que Dalí considère comme son nouveau « père » 2 souligne l’impossibilité de connaître à la fois la position et la vitesse d’une particule subatomique, et cela en raison de l’influence de l’appareil d’observation sur l’objet observé. Alors que pour Heisenberg ce principe ne peut pas être visualisé, Dalí lui donne une forme spatiale, comme dans le film Chaos and Creation (1960). Il s’agit d’une conférence-performance réalisée avec P. Halsman, montrant la production d’une œuvre d’art : une forme – un tableau de Mondrian dénoncé pour

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1. En particulier, M. Ghyka, Esthétique des proportions dans la nature et dans les arts (1927), Th. A. Cook, The Curves of Life (1914) et A. W. Thompson, On Growth and Form (1917). 2. S. Dalí, « Manifeste de l’antimatière », Oui, Paris, Denoël, 2004 [1958], p. 343.

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DALÍ À CÉRET LE « VOYAGE TRIOMPHAL » DE DALÍ À CÉRET LE 27 AOÛT 1965 Julie Chateignon

ÉRiTABLE PER ORMANCE, la visite de Dalí à Céret et à Perpignan a façonné son image de personnage médiatique. Cette visite se déroule sur une journée de Céret à Perpignan, tout en étant rythmée par plusieurs actions et discours artistiques. Elle est qualifiée de « voyage triomphal 1 » en raison de l’accueil réservé à Dalí, arrivé en calèche puis en train à la gare de Perpignan, alors désignée « centre du monde ». En 1960, l’artiste passait déjà par « la très insignifiante gare de Perpignan », dans laquelle il trouva « les plus sublimes idées 2 ». Alors que les critiques évoquent généralement Perpignan et sa gare, Céret constitue pourtant la principale raison de sa visite. Nous savons par sa correspondance avec le maire Henri Guitard que Dalí souhaite rencontrer Picasso à Céret en 1958 3. Le 27 juillet 1958, l’artiste reçoit les membres de la municipalité de Céret à Port Lligat, parmi lesquels se trouve Michel Sageloly, futur maire et organisateur de sa visite le 27 ao t 1965. C’est grâce à son amitié avec le peintre Felip Vilà (1932-1990), désigné « ambassadeur », que Dalí accepte l’invitation de venir à Céret. L’origine de cette visite part du constat qu’un des plus grands artistes du siècle, Salvador Dalí, n’était jamais venu dans « La Mecque du Cubisme », alors qu’il habitait seulement à une quarantaine de kilomètres, dans la baie de Port Lligat, près de Cadaqués. Les organisateurs de ce « voyage triomphal » sont le maire Michel Sageloly, ancien adjoint aux Beaux-Arts, le peintre ambassadeur Felip Vilà, le journaliste Marcel Pascal, et les membres de la commission culturelle municipale Paul Tibaut, Madeleine et Marcel Petrasch. Sur le carton d’invitation, la municipalité et le syndicat d’initiative de Céret invitent le public à « assister à la réception du Maître Salvador Dalí le vendredi 27 ao t 1965 à 10 heures devant la mairie ». Vers 11 heures, les voitures américaines arrivent par la route d’Espagne pour s’arrêter au stade Fondecave. Dalí fait son entrée, tandis que Gala est dans une autre voiture avec le capitaine John Peter Moore, son secrétaire de l’époque. Le maire accueille les invités pour les accompagner jusqu’à la calèche décorée et conduite par monsieur Joseph Moly, vêtu en catalan avec la barretina et la faixa rouges (coiffe et ceinture catalane). Dalí, en tenue d’amiral avec sa canne à pommeau d’or et chaussé d’espadrilles, prend place aux côtés de Gala, qui porte un tailleur élégant et une grande croix ornée de pierreries. Face à eux, se trouvent le maire et le capitaine Moore tenant sur ses genoux un jeune ocelot qui ajoute un caractère exotique au défilé. Dans son autobiographie, Dalí rappelle son goût pour le déguisement : « Le déguisement fut dans mon enfance une de

Z Fig. 12. Robert Julia

Dalí et Gala à Céret, 1965

Photographie en noir et blanc 30 20 cm Musée d’art moderne, Céret

1. Salvador Dalí, « La découverte la plus importante de ma méthode paranoïaque-critique : la gare de Perpignan », dans Robert Descharnes, Dalí : l’œuvre et l’homme, Lausanne, la Bibliothèque des arts, 1984, p. 423. 2. Dalí, Journal d’un génie, Paris, La Table Ronde, 1964, p. 223. 3. Lettre d’Henri Guitard à Salvador Dalí (28 juillet 1958) no 44241, Fondation Gala-Salvador Dalí, Figueres.

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ANTIGRAVITATION ET IMMORTALITÉ « LA FORMULE D’IMMORTALITÉ CHOISIE PAR DALÍ »

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Julie Chateignon

e temps est une préoccupation pour Salvador Dalí, et l’imminence de la mort qu’il redoutait l’anime jusqu’à la fin de sa vie. La performance de sa « résurrection cartésienne » à Céret le 27 ao t 1965 traduit le désir d’immortalité de l’artiste. La raison de sa visite était de « ressusciter et recevoir le génie de Descartes 1 ». Son projet d’hibernation est évoqué dans un entretien avec Jacques Barde, journaliste pour L’Indépendant et organisateur de sa visite :

Z Cat. 192 (détail)

« Jacques Barde – Était-ce aujourd’hui votre première résurrection ? Salvador Dalí – La deuxième. – La première avait eu lieu où ? – À Rome, dans le palais de la princesse Pallavicini, à l’intérieur de neuf carrés. – Prévoyez-vous d’autres résurrections ? – Maintenant je n’en aurai plus besoin, parce que nous approchons l’ère de l’hibernation, donc on pourrait être glacé à moins 88 degrés pendant de longues périodes hivernales. Je ne prévois donc pas du tout de résurrection mais une prolongation tout à fait cartésienne de la vie humaine 2. » Dalí avait en effet réalisé sa première résurrection au palais de la princesse Pallavicini à Rome le 1er juin 1954 en émergeant d’un cube métaphysique à l’occasion d’une conférence de presse. Cet évènement inaugurait, dans la salle de l’Aurore du palais Pallavicini-Rospigliosi, sa première grande exposition rétrospective en Italie. Dalí était fasciné par les recherches scientifiques de son époque, qui se concentraient sur la cryogénisation après la mort dans l’espoir d’une résurrection biologique future. En 1973, l’artiste choisit cette formule d’immortalité : « Pour faire un effet dans le café de Figueres, pour qu’on dise — Dalí n’est pas mort comme les autres —, je choisis l’hibernation 3. » Dalí est profondément convaincu du progrès de la science et de la médecine. Louis Pauwels explique pourquoi Dalí croit en l’hibernation dans Les passions selon Dalí, recueil de conversations avec l’artiste paru en 1968. Il résume les différentes théories des scientifiques sur l’hibernation auxquelles l’artiste fait référence dans le chapitre « Ce qu’en pensent les biologistes français 4 ». Le professeur américain Robert C. W. Ettinger affirme que l’utilisation scientifique du froid peut ouvrir à l’homme les portes de l’immortalité, dans son ouvrage controversé L’Homme est-il immortel ? (1964). Le procédé de congélation permet de conserver indéfiniment un corps dans de l’hélium liquide, c’est-à-dire à quelques degrés du zéro absolu,

1. Michel Sageloly, « Dalí à Céret », Le xxe siècle à Céret où je suis né au Moyen Âge, Le Courrier de Céret, 2000, p. 157. 2. Enregistrement audio des interviews, collection de la Direction de la culture de la mairie de Perpignan (24 minutes.). 3. Dalí, Comment on devient Dalí : les aveux inavouables de Salvador Dalí, Paris, R. Laffont, 1973, p. 347. 4. Dalí, Louis Pauwels, Les passions selon Dalí, Paris, Denoël, 2004, p. 198-210.

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SCIENCES CATALANES DALÍ ET LA PENSÉE SCIENTIFIQUE CATALANE

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Pilar Parcerisas

RANCESC PU OLS ÉTAiT, EST ET SERA L’EMPEREUR TRA AN DE LA POÉSiE »

Z Fig. 20. (détail)

Salvador Felipe Jacinte Dalí Domènech, marquis de Dalí de P bol. Académicien de l’Académie Royale de Sant Fernando et membre de l’Institut de France. Dalí.

Dalí fut un artiste visionnaire, qui voulut donner une réponse scientifique et universelle à l’existence de toutes choses. Il élabora pour cela la méthode paranoïaque-critique, un principe actif de pensée capable de créer, potentiellement à l’infini, des images doubles dans l’espace tropologique de la peinture. Il tenta de retrouver dans la géographie et la pensée visionnaire de sa Catalogne natale la réconciliation des contraires comme seny (raison en catalan) et rauxa (folie contrôlée), science et religion, local et universel, forme et antiforme au moyen de la désintégration de la matière, ou l’espace cybernétique comme point de rencontre de la vie et de la mort dans l’éternité. Dalí donne une vision angélique de la mort : « Dire que je pense sans cesse à la mort, ce n’est pas assez. Je porte en moi sa fabuleuse présence. Plus fortement encore au moment de manger. À chaque repas, la réalité de la mort m’apparaît, s’impose dans son irréprochable légitimité 1 [...]. J’aime les morts. Il y a des amours laides, mais toutes les morts sont belles, glorieuses, angéliques. Tout mort vaut que l’on tire son chapeau 2. Nous sommes gouvernés par les morts ; la cybernétique la plus puissante est celle des morts 3. » Dalí aborde ces questions en plein « Noucentisme », mouvement qui, en Catalogne, signifie un retour aux sources classiques gréco-latines, à la « méditerranéité » et à une relecture de la philosophie et de l’esthétique classiques. Dans une première phase, ce mouvement esthétique obéissait à l’idéalisme d’Eugenio d’Ors (Barcelone, 1881 – Vilanova i la Geltr , 1954), davantage influencé par le symbolisme, qui, au travers de ses articles « Glosari » parus dans La Veu de Catalunya à partir de 1906, imposa la nouvelle esthétique. Mais il y eut une seconde phase, plus « réaliste », dont le philosophe le plus représentatif fut Francesc Pujols (Barcelone, 1882 – Martorell, 1962), tant admiré par Dalí, et que ce dernier alla jusqu’à considérer comme faisant partie des surréalistes.

1. Dalí naquit neuf mois et dix jours après la mort de son frère Salvador. On lui donna le même prénom. L’ombre de ce frère défunt l’a accompagné toute sa vie. 2. Dalí, Pauwels, Les passions selon Dalí, Paris : Denoël, 1968, p. 87. Référence à la figure masculine de L’Angelus de Millet tenant un chapeau dans sa main de façon à dissimuler son sexe et, en même temps, priant pour l’enfant mort qui gît enterré sous la brouette, tel que Dalí le fi t analyser dans le tableau de Millet pour sa thèse Le Mythe tragique de L’Angelus de Millet. (1933). 3. Id.

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LE BAROQUE CATALAN AUTOUR DE GAUDÍ, LES PHOTOGRAPHIES DE MAN RAY ET CLOVIS PRÉVOST

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Marc Aufraise

A BEAUTÉ SERA COMESTiBLE ou ne sera pas 1. » Salvador Dalí, 1933

En décembre 1933, dans la revue Minotaure, Salvador Dalí publie « De la beauté terrifiante et comestible de l’architecture modern style », un article dithyrambique qui célèbre l’ornementation Art nouveau. L’artiste consacre ici son idée selon laquelle manger l’objet d’amour permet de reconsidérer la réalité et de libérer l’individu. Seize illustrations photographiques offrent à la dégustation du lecteur des morceaux de l’architecture de Barcelone 2 et un rocher du cap Creus pris par Man Ray, ainsi que des fragments du mobilier urbain parisien capturés par Brassaï 3. Ces deux collaborations donnent naissance à d’autres images, comme le Morceau de savon présentant des formes automatiques modern style trouvé dans un lavabo de Brassaï, ou comme les portraits de créatures fantasmatiques – fantômes ou effigies anthropomorphes – de Man Ray. « … surtout l’art ornemental, l’art ornemental le plus stéréotypé… 4 » Salvador Dalí, 1931

Depuis son arrivée à Paris en 1929, Dalí défend, face au modernisme incarné par Le Corbusier, l’anachronisme bouleversant des « bâtiments délirants et froids » d’Antoni Gaudí, « réalisations de désirs solidifiés 5» qui matérialisent la « persistance du rêve à travers la réalité 6 ». Toutes les photographies réalisées alors – architecture, portraits d’objets ou de créatures – mettent au jour l’érotisation morbide du monde extérieur et canalisent les plaisirs angoissants suscités. Le liquide, le mou, le végétal, la femme, le fantasme, pétrifiés par le fer, la pierre, le savon, sont réduits et magnifiés par l’enregistrement. L’artiste annihile ainsi sa crainte d’être dévoré tout en excitant son propre appétit. « Son architecture est une zone érogène tactile qui se hérisse comme un oursin 7. » Salvador Dalí, 1967

Z Cat. 203 (détail)

1. Salvador Dalí, « De la beauté terrifiante et comestible de l’architecture modern style », in Minotaure, Paris, nos 3-4, déc. 1933, p. 68-76, cit.p.76. 2. La façade de la Casa Milà (ou La Pedredra), des fenêtres de la Casa Battlò et des détails du parc Güell, trois réalisations d’Antoni Gaudí, ainsi que la Rotonda, tour d’un bâtiment d’Adolf Ruiz i Casamitjana. 3. Des entrées de métro et la base d’une colonne du bâtiment Le Castel Béranger réalisées par Hector Guimard. 4. Salvador Dalí, « Surtout, l’art ornemental », texte pour le catalogue de son exposition chez Pierre Colle en juin 1931, dans Oui, La révolution paranoïaque-critique. L’archangélisme  scientifi que, Robert Descharnes (éd.), éditions Denoël, Paris, 2004 [ ditions Denoël/Gonthier, 1971], p. 173. 5. Salvador Dalí, « L’Âne pourri » (1930), dans Le Surréalisme au service de la révolution, Paris, no 1, juil. 1930, p. 12. 6. Salvador Dalí, « Surtout, l’art ornemental », dans Oui, op.cit., p. 173. 7. Robert Descharnes, Clovis Prévost, Gaudí, vision artistique et religieuse, préface de Salvador Dalí, Edita, Lausanne, 1969.

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LES AUTEURS

Marc Aufraise

Michèle Harroch

Docteur en histoire de l’art, spécialisé en histoire de la photographie, Marc Aufraise enseigne à l’INP (Paris) et à l’ESAL (Metz). Il est responsable de recherche et de rédaction pour Ersilia, plateforme collaborative d’éducation à l’image (Le Bal).

Michèle Harroch est psychanalyste et psychologue clinicienne. Docteure en psychanalyse, diplômée de l’université Paris 8, elle est l’auteure en 2013 d’une thèse intitulée Dalí entre Schreber et Joyce ou L’exception du sinthome.

Jean-Michel Bouhours

Pilar Parcerisas

Historien d’art et commissaire d’expositions. Jean-Michel Bouhours a dirigé le département Cinéma puis le département Art moderne au MNAM, Centre Pompidou. Ancien directeur du Nouveau Musée national de Monaco de 2003 à 2008. Co-commissaire de l’exposition Dalí au Centre Pompidou en 2012 et au Museo Reina Sofia en 2013.

Historien d’art et commissaire d’expositions : Dalí. Affinités  électives (2004) et Dalí, Duchamp, Man Ray. Un jeu d’échecs. (2016), auteur de Conceptualismo(s) poéticos, políticos y periféricos. En torno al arte conceptual en España, 1964-1980 (2007) et Duchamp en España (2009).

Branko Aleksic Poète, historien de l’art et de la littérature, spécialiste du surréalisme serbe. A publié entre autres Dali : Inédits de Belgrade, 1932 : une étude suivie de deux manuscrits originaux en français dont la traduction seule a été publiée dans la revue yougoslave Change International/Equivalences en 1987.

Astrid Ruffa Historienne de la littérature, Astrid Ruffa est l’auteure de Dalí et le dynamisme des formes (Presses du réel, 2009) ainsi que d’un grand nombre d’articles interdisciplinaires centrés sur l’imaginaire scientifique et philosophique des surréalistes.

Julie Chateignon Assistante principale de conservation du patrimoine au Musée d’art moderne de Céret et historienne de l’art, Julie Chateignon a consacré son mémoire de recherche à l’université ParisSorbonne (Paris-IV) à la visite-performance de Salvador Dalí à Céret et Perpignan le 27 août 1965.

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LISTE DES DOCUMENTS EXPOSÉS ET NON REPRODUITS

Archives Pere Vehi, Cadaqués Carte de vœux à Jesús Tharrats, 1960, dimensions non communiquées. Catalogue Dalí, Carstairs Gallery, New York, décembre 1960/ janvier 1961, dimensions non communiquées.

Bibliothèque Kandinsky, Centre Georges Pompidou, Paris Salvador Dalí, La Femme visible, Paris, Éd. surréalistes, 1930, envoi de l’auteur à André Thirion, 28,4 × 22,5 cm. Salvador Dalí, Babaouo, Paris, Cahiers Libres, 1932, scénario inédit, précédé d’un Abrégé d’une histoire Critique du Cinéma, et suivi de Guillaume Tell, ballet portugais, 19,3 × 14,5 cm. Salvador Dalí, Manuscrit Giraffes on Horseback Salad, 1937, projet de film de Salvador Dalí pour les Marx Brothers, manuscrit original du scénario, 27 21 cm. Salvador Dalí, 50 Secrets of Magic Craftsmanship, New York, The Dial Press, 1948, traduit par Haakon M. Chevalier, 31,8 24 cm. Dalí de Draeger, Paris, 1968, coffret en édition de tête, propos recueilli par Max Gérard, 32,6 × 35,6 × 6 cm. Salvador Dalí, Visages cachés, Paris, Stock, 1973, 21,6 × 14,7 cm. Catalogue d’exposition Salvador Dalí, galerie Pierre Colle, Paris, du 3 au 15 juin 1931, 10,7 14 cm. Carton d’invitation pour l’exposition Les Chants de Maldoror à la galerie des Quatre Chemins, du 13 au 25 juin 1934, Paris, Albert Skira, juin 1934, 13,6 10,6 cm. Catalogue d’exposition Salvador Dalí The First World Exhibition of Holograms Conceived by Salvador Dalí, New York, galerie Knoedler, 7 avril-13 mai 1972, 21,5 x 17,8 cm. Catalogue d’exposition Salvador Dalí, La Gare de Perpignan, texte de Robert Descharnes, galerie Petit, 1977, 23,5 × 18 cm. H. Vuibert, Les anaglyphes géométriques, Paris, Librairie Vuibert, 1912, 25 × 16,5 cm.

Federico Garcia Lorca, Ode à Salvador Dalí, Paris, GLM, 1938, trad. Paul Éluard et Louis Parrot, 22,3 × 16,7 cm. Revue L’Esprit nouveau, revue internationale d’esthétique, no 7, 1920, 25 16,5 cm. Revue Cahiers de Belgique, no 4, 1er avril 1930, dir. Pierre Janlet, 29 × 20,5 cm. Revue Minotaure, no 1, Paris, Skira, 1933, 32 × 24,5 cm. Revue Minotaure, no 3-4 (numéro double), Paris, Skira, 1933, 31,6 24,6 cm. Revue Minotaure, no 6, Paris, Skira, 1934, 32 × 24,5 cm. Revue Artsmagazine, mars 1970, vol. 44, no 5, 30 × 23 cm. Revue Art News, New ork, avril 1972, vol. 71, no 2, 31 × 22,5 cm.

Bijouterie Ducommun, Perpignan Robert et Henri Ducommun, bague mouche « Mosca cosmica », 1965, or, grenat et turquoise, copie réalisée par le fondeur Georges Lavall, 3 × 2,9 × 3,5 cm.

Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), Paris Cliché radiographique L’Angélus de Millet, 1963, no 1, laboratoire du Louvre 40 x 30 cm environ. Cliché radiographique L’Angélus de Millet, 1963, no 4, laboratoire du Louvre 40 x 30 cm environ. Cliché radiographique L’Angélus de Millet, 1963, no 6, laboratoire du Louvre 40 x 30 cm environ. Photographie scientifique du tableau L’Angélus de Millet, 1932, no 3971 (461), photographie supplémentaire fluorescences d’UV, laboratoire du Louvre, 18 x 24 cm environ. Photographie scientifique du tableau L’Angélus de Millet, 1932, no 3535, vue de dos du tableau lacéré, laboratoire du Louvre, 18 × 24 cm environ.

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CHRONOLOGIE DALINIENNE DES SCIENCES Jean-Michel Bouhours

siècle av. J.-C. Théorie de Pythagore : l'Univers répond de lois mathématiques : « Tout est nombre. » Lemblème des pythagoriciens est le pentagramme. VI e

Vers 358 av. J.-C. Les cinq polyèdres réguliers et convexes : le tétraèdre, l'hexaèdre, le dodécaèdre, l'octaèdre et l'icosaèdre représentent chacun un des quatre éléments et le cinquième le Tout, dans la philosophie platonicienne (Timée).

Vers 343 av. J.-C. Dans son Histoire animale,

Aristote décrit l orifice buccal de l oursin, que les scientifiques du xviiie comme Cuvier nommeront la « lanterne d’Aristote ». Dalí y reconnaît l'ancêtre du microscope.

IIIe siècle av. J.-C. Géométrie d'Euclide : dans

son ouvrage Les Éléments, le mathématicien pose les bases des proportions harmonieuses du rectangle.

1304 Ramon LLull publie à Montpellier son

Liber de ascensu et descensu intellectus, dans lequel il développe sa méthode scalaire de la connaissance.

Vers 1490 Léonard de Vinci dessine les

proportions morphologiques humaines idéales, L’Homme de Vitruve, publiées dans l’ouvrage, De Architectura.

Vers 1498 Luca Pacioli publie ses recherches théologiques sur une construction divine parfaite dans De Divina Proportione, que Fechner au xixe siècle qualifiera de nombre d’or.

Vers 1520 Publication par Paracelse du

1575 Le mathématicien et architecte espa- 8 novembre 1895 Wilhelm Röntgen obtient la gnol Juan de Herrera rédige son essai Discurso sobre la forma cubica.

1632 Naissance à Delft de Jan van der Meer (Vermeer).

première imagerie au moyen de l'émission d'un rayonnement électromagnétique à haute fréquence qui prendra le nom de rayons X.

28 décembre 1895 Première projec tion 1633 Naissance à Delf t de Antoni von publique du cinématographe des frères Leeuwenhoek, le précurseur de la vision microscopique.

1637 Publication de l’appendice du Discour s de la M étho de de René Descartes : La géométrie et La Dioptrique, bases de la géométrie spatiale dans les 3 dimensions. 1638 Publication de l'ouvrage de JeanFrançois Niceron La perspective curieuse ou Magie artificielle des effets merveilleux de l’optique par la vision directe…

Entre 1636 et 1670 Les travaux de Fermat

puis ceux d'Isaac Newton et de Leibniz posent les bases du calcul infinitésimal.

1687 D'après les lois de Kepler, Isaac Newton énonce la loi de l’at traction universelle des masses. 1831 Expériences de Faraday mettant

en évidence le phénomène d'induction électromagnétique.

1864 Équations d'ondes électromagnétiques de James Clark Maxwell.

1867 Géométrie à courbure positive de Bernhard Riemann.

Lumière à Paris sur les Grands Boulevards. Entre 1883 et 1915, le psychiatre allemand Emil Kraepelin, considéré comme le père de la psychiatrie scientifique moderne, va publier son Traité de psychiatrie : parmi les démences précoces, il repère l'état paranoïde délirant.

1900 Freud publie L'Interprétation des rêves. 1902 Le mathématicien Henri Poincaré, fon-

dateur de la topologie algébrique, affirme, dans un livre sur lequel se penchera particulièrement Einstein, qu'il n'y a ni espace ni temps absolu.

11 mai 1904 Naissance de Salvador Dalí. Septembre 1905 Einstein publie l'article « Zur

Elektrodynamik bewegter K rper » dans la revue Annalen der Physik, posant les bases de la théorie de la relativité restreinte.

25 novembre 1915 Théorie de la relativité

générale d'Albert Einstein, présentée à l'Académie royale des sciences de Prusse.

1917 Publication du livre de D’Arc y Wentworth Thompson On Growth and Form par Cambridge University Press. Le livre réintroduit dans les lois de l'évolution les modèles mathématiques.

Volumen medicinae paramirum puis, en 1526, du Archidoxis magicae libri VII.

1892 Hypothèse de contraction des longueurs de FitzGerald-Lorentz.

1558 Publication du livre de Giambattista

1895 Études sur l'hystérie de Josef Breuer ouvrage dans lequel le philosophe développe

della Porta Magia naturalis.

et Sigmund Freud.

1918 Publication du livre de Francesc Pujols

Concepte general de la ciència catalana, son système de l'hyparxiologie ou pantologie.

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