Edme Bouchardon 1698-1762, une idée du beau (extrait)

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Cet ouvrage accompagne les expositions « Edme Bouchardon (1698-1762). Une idée du beau », présentée à Paris, au musée du Louvre, du 14 septembre au 5 décembre 2016, et « Bouchardon: Royal Artist of the Enlightenment », présentée à Los Angeles, au J. Paul Getty Museum, du 10 janvier au 2 avril 2017

Cette exposition bénéficie du mécénat de D S Automobiles

La publication de cet ouvrage a bénéficié du soutien d’ A G 2 R L A M O N D I A LE

© Musée du Louvre, Paris, 2016 www.louvre.fr © Somogy éditions d’art, Paris, 2016 www.somogy.fr i s b n Somogy éditions d’art 978-2-7572-1069-7 i s b n musée du Louvre 978-2-35031-550-8 dépôt légal : août 2016 imprimé en République tchèque (Union européenne)

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Le papier utilisé pour ce catalogue est fabriqué par Arjowiggins Graphic et distribué par Antalis.

en première de couverture edme bouchardon

L’Am o u r s e fa i s a n t u n a r c de la massue d’Hercule (c at. 218, détail) en quatrième de couverture edme bouchardon

J e u n e h o m m e n u v u d e fa c e (c at. 223, détail)

En application de la loi du 11 mars 1957 [art. 41] et du Code de la propriété intellectuelle du 1 er juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre.

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Bouchardon 1698–1762

Edme

une idée du beau

par anne-lise desmas, édouard kopp, guilhem scherf et juliette trey

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musée du louvre Jean-Luc Martinez président-directeur

Karim Mouttalib administrateur général

Valérie Forey-Jauregui administratrice générale adjointe

Sophie Jugie directrice du département des Sculptures

Xavier Salmon directeur du département des Arts g raphiques

Vincent Pomarède directeur de la Médiation et de la Prog rammation culturelle

commissariat de l’exposition et auteurs à paris, musée du louvre Guilhem Scherf ( g . s . ) conservateur général, département des Sculptures, musée du Louvre

Juliette Trey ( j . t . ) conservatrice, département des Arts g raphiques, musée du Louvre

à los angeles, the j. paul getty museum Anne- Lise Desmas ( a .- l . d . ) Curator and Department Head of Sculpture and Decorative Arts, The J. Paul Getty Museum, Los Angeles

Édouard Kopp ( e . k . ) The Maida and George Abrams Associate Curator of Drawings, Harvard Art Museums, Cambridge (MA)

exposition direction de la Médiation et de la Programmation culturelle Michel Antonpietri et Aline François-Colin

c atalogue sous-direction de la Médiation dans les salles Marina-Pia Vitali

sous-direction de l’Édition et de la Production Laurence Castany sous-directrice

sous-directrice

Violaine Bouvet-Lanselle

adjoints au directeur

Stéphanie Orlic

chef du service des Éditions

sous-direction de la Présentation des collections Fabrice Laurent

chef du service Médiation g raphique et numérique

Fabrice Douar

sous-directeur

chef de l’unité Conception éditoriale

direction de la Recherche et des Collections Anne- Myrtille Renoux

chef du service des expositions

Anne- Elisabeth Lusset et Alix Catoir

Charlotte Grasset coordinatrice d’exposition

chargées de projet de médiation

chef du service des Ressources documentaires et éditoriales

Karima Hammache-Rezzouk

Carol Manzano

chef de service suivi de projets

chef de l’unité Conception g raphique et signalétique

coordination et suivi éditorial

Sophie Hervet

Pascal Perinel

Suzanne Abou-Kandil, Gabrielle Baratella et Virginie Fabre collecte de l’iconog raphie

Emilie Langlet adjointe au chef de service

Frédéric Poincelet g raphiste

Victoria Gertenbach et Géraldine Thomas

Somogy éditions d’art Nicolas Neumann

Stéphanie de Vomécourt

directeur éditorial

scénog raphes

coordinatrice signalétique

Stéphanie Méséguer Philippe Leclerc

responsable éditoriale

conducteur de travaux

Sarah Houssin-Dreyfuss Aline Cymbler chef du service des Ateliers muséog raphiques

Karim Courcelles

suivi éditorial

Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros fabrication

adjoint au chef de service

Anne Chapoutot contribution éditoriale

Annabelle Pegeon index

Tauros / Christophe Ibach conception g raphique et mise en pages

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prêteurs des œuvres exposées au musée du louvre et au j. paul getty museum

Que toutes les personnes et les institutions qui, par leurs prêts généreux, ont permis la tenue de cette exposition trouvent ici l’expression de notre gratitude, ainsi que les collectionneurs qui ont préféré conserver l’anonymat. M me Georges Pébereau M . et M me Louis-Antoine et Véronique Prat M . et M me Lionel et Ariane Sauvage

Nos remerciements s’adressent également aux responsables des institutions et établissements suivants : allemagne Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Kupferstichkabinett Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Skulpturensammlung und Museum für Byzantinische Kunst Francfort, Städel Museum Hambourg, Museum für Kunst und Gewerbe Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle Mayence, Landesmuseum Mainz autriche Vienne, Albertina Museum états-unis Boston, The Horvitz Collection Cambridge, Harvard Art Museums / Fogg Museum Los Angeles, The Getty Research Institute New York, The Metropolitan Museum of Art New York, The Morgan Library & Museum Philadelphie, Philadelphia Museum of Art Providence, Museum of Art, Rhode Island School of Design Washington (D . C .) , National Gallery of Art france Bayonne, musée Bonnat-Helleu Besançon, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie Caen, musée des Beaux-Arts Chaumont (Haute-Marne), musée Dijon, musée des Beaux-Arts Meaux, musée Bossuet Montpellier, musée Fabre Montpellier, Université de Montpellier, UFR médecine, musée Atger Orléans, musée des Beaux-Arts

Paris, Bibliothèque nationale de France : bibliothèque de l’Arsenal, départements des Estampes et de la Photographie, des Monnaies, Médailles et Antiques, de la Musique, Réserve des livres rares Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts Paris, École normale supérieure, bibliothèque Ulm LS H S Paris, église Saint-Sulpice, Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles de la Ville de Paris et Direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France Paris, Institut de France, musée Jacquemart-André Paris, Institut national d’histoire de l’art, bibliothèque, collections Jacques-Doucet Paris, musée Carnavalet – Histoire de Paris Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques Paris, musée du Louvre, département des Sculptures Pontoise, musée Tavet-Delacour Rennes, musée des Beaux-Arts italie Florence, Galleria Corsini Florence, Galleria degli Uffizi royaume- Uni The Highland Council Ickworth House, The National Trust Londres, The British Library Londres, The British Museum Londres, The Royal Collection Trust Londres, Victoria & Albert Museum russie Saint-Pétersbourg, Musée national de l’Ermitage suède Stockholm, Nationalmuseum

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remerciements

Nous remercions vivement Jean-Luc Martinez, président-directeur du musée du Louvre, ainsi que Sophie Jugie, directrice du département des Sculptures, et Xavier Salmon, directeur du département des Arts graphiques, qui ont soutenu et encouragé la réalisation de cette exposition. Nos remerciements s’adressent également à Jim Cuno, President and Chief Executive Officer du J. Paul Getty Trust, à Timothy Potts, directeur du J. Paul Getty Museum, et Quincy Houghton, Associate Director for Exhibitions, qui ont permis d’associer le The J. Paul Getty Museum à ce projet. Nous sommes infiniment reconnaissants à Anne-Lise Desmas et Édouard Kopp, commissaires de l’exposition au Getty et tous deux grands spécialistes de Bouchardon, avec qui nous avons pu mener pendant toute la préparation de ce projet une très fructueuse collaboration. Au J. Paul Getty Museum, nous avons pu compter sur le soutien tout particulier de Stephanie Baker, Jane Bassett, Jacqueline Cabrera, Cherie Chen, Brian Considine, Lynette Haines, Lee Hendrix, Amber Keller, Betsy Severance et Ellen South. Le Getty Research Institute a également été un partenaire essentiel dans la mise en œuvre de ce projet. Nous souhaitons remercier son directeur, Thomas Gaehtgens, ainsi que Marcia Reed, Associate Director for Special Collections and Exhibitions, et Louis Marchesano, Curator of Prints and Drawings. Au musée du Louvre, nous avons sollicité un grand nombre de personnes à de nombreuses reprises, qu’elles soient chaleureusement remerciées. Au département des Arts graphiques : Elisabetta Bartoli, Clotilde Chopard, Valérie Corvino, Valentine Dubard, Ariane de La Chapelle, Ana di Pietra, Marie-Pierre Salé, Christel Winling et tout particulièrement Hélène Grollemund, qui a assuré avec brio le rôle de chargée d’exposition pour le département. Notre gratitude va également aux stagiaires : Agathe Albi-Gervy, Camille Berthier, Léa Checri, Manon Lequio, Pélagie Moreau, Joëlle Vaissière et Simone Zimbardi. Au département des Sculptures : Djamella Berri, Laurence Brosse, Brice Chobeau, Mathilde Formosa, Frederick Hadley, et tout particulièrement Vera Atanasova, dont l’enthousiasme à propos de Bouchardon n’a jamais fléchi. Notre reconnaissance s’adresse aussi aux stagiaires qui nous ont ponctuellement apporté leur concours : Lionel Arsac, Juliette Maridet, Pierre-Hippolyte Pénet. Et aussi aux restaurateurs qui nous ont fait bénéficier de leurs compétences : Julie André-Madjlessi, Hubert Boursier, Adèle Cambon, Agnès Cascio, Béatrice Dubarry, Patrick Jallet, Lucie Pieri. À la direction de la Médiation et de la Programmation culturelle : Vincent Pomarède, Aline François, Fabrice Laurent, Karima Hammache-Rezzouk, Pascal Perinel, Laurence Castany, Stéphanie Orlic. Nous sommes également particulièrement reconnaissants envers Didier Boucheron, Alix Cattoir, Caroline Delabie, Isabelle Haquet, Sophie Hervet, Anne-Élisabeth Lusset, Stéphane Malfettes, Carol Manzano, Frédéric Poincelet, Nathalie Steffen et Stéphanie de Vomécourt- Houille. Nos remerciements vont à l’ensemble des ateliers muséographiques et à la cellule planification (Soraya Kamano et Franck Poitte) qui se sont particulièrement investis dans ce projet. Enfin, nous remercions Charlotte Grasset pour son enthousiasme et son engagement total dans le suivi de ce projet, initialement pris en charge par Aurore Basly et Claire Chalvet, ainsi que Géraldine Thomas, qui a assuré la scénographie de l’exposition, Camille Palopoli et Philippe Leclercq.

À la direction des Relations extérieures, nous remercions Anne-Laure Béatrix, Sophie Grange, Laurence Roussel et Camille Dupaquier. Nous adressons aussi nos chaleureux remerciements à Coralie James ainsi qu’à Caroline Colombe, Yoko-Yu Qiu et Thomas Roussel. Nous sommes particulièrement reconnaissants envers Violaine Bouvet- Lanselle, chef du service des Éditions au musée du Louvre, qui a soutenu ce projet avec constance, et Fabrice Douar, qui a assuré le suivi éditorial avec toute sa compétence, sa rigueur et son enthousiasme. Gabrielle Baratella, puis Suzanne Abou- Kandil et Virginie Fabre ont rassemblé avec beaucoup d’énergie l’iconographie de l’ouvrage. Enfin, celui-ci a bénéficié avec bonheur des compétences remarquables et attentionnées de relectrice d’Anne Chapoutot et du travail raffiné de maquettiste de Christophe Ibach. Chez Somogy, nous remercions Nicolas Neumann et Sarah Houssin-Dreyfuss, ainsi que Stéphanie Méséguer, Béatrice Bourgerie, Mélanie Le Gros et Marc-Alexis Baranes. Au Getty, la version anglaise du catalogue doit beaucoup au soutien de Kara Kirk et Karen Levin et au travail de Mary Christian, Sharon Grevet et tout particulièrement de Beatrice Hohenegger. Nous souhaitons également remercier les personnes suivantes, dont le concours nous a été précieux tout au long de la préparation de l’exposition et de son catalogue : Prince Amyn Aga Khan, Denise Allen, Sergej Androssov, Nancy Ash, Sylvie Aubenas, Mathilde Avisseau-Broustet, Adriano Aymonino, Andrea Bacchi, Laure Barthélemy-Labeeuw, Yves Beauvalot, Christian Belin, Anna Bisceglia, Bruno Blasselle, Olivier Bonfait, Antonia Boström, Mark Brady, Barbara Brejon de Lavergnée, Emmanuelle Brugerolles, Raphaële Carreau, Sébastien Castel, Hugo Chapman, Alvin L. Clark, Jr., Éric Coatalem, Nathalie Coilly, Chantal Colas de La Noue, comtesse Lucrezia Corsini Miari Fulcis, Carl Johan Cronstedt, Pierre Curie, Séverine Darroussat, Anne Dary, C. D. Dickerson I I I , Olivier Delahaye, Bruno Desmarest, Marie-Hélène Didier, Bénédicte de Donker, James David Draper, Vincent Droguet, Christophe Duvivier, Frédérique Duyrat, Christine Ekelhart, Guillaume Faroult, Lucie Flejou, Francesca Franciolini, Carina Fryklund, Marc Fumaroli, Jean-René Gaborit, Clarisse Gadala, Hélène Gasnault, Matthieu Gilles, Ketty Gottardo, Catherine Gras, Margaret Morgan Grasselli, Geneviève Guilleminot, Laurence Hardy, Sophie Harent, Michel Hilaire, Linda Hinners, Rita Hofereiter, Jeffrey E. Horvitz, Jan Howard, Florence Hudowicz, Victor Hundsbuckler, Nicolas Joly, Caroline Joubert, Guillaume Kazerouni, Hans-Ulrich Kessler, Christine Kitzlinger, Alexis Kugel, Père Jean-Loup Lacroix, Alastair Laing, Shelley Langdale, Corinne Le Bitouzé, Christophe Leribault, Hélène Lorblanchet, Valérie Louart, Jonathan Marsden, Cait McCullagh, Sally McKay, comte Andrea Miari Fulcis, Alexandra Michaud, Christian Moinet, Marie Monfort, Francesca Montanaro, Kari Moodie, Sophie Mouquin, Samuel Mourin, Nathalie Muller, Sophie Nawrocki, Maureen O’Brien, Barbara O’Connor, Magnus Olausson, Bernadette Pébereau, Louis-Antoine Prat, Tamara Préaud, Rudolf Rasch, Yohan Rimaud, Brigitte Robin- Loiseau, Patricia Rohde-Hehr, Pierre Rosenberg, Mark Ryan, Nicolas Sainte Fare Garnot, Lionel Sauvage, Eike D. Schmidt, Ruth Schmutzler, Heinrich Schulze Altcappenberg, Vanessa Selbach, Innis Shoemaker, David Simonneau, Martin Sonnabend, Emmanuelle Sordet, Philippe Sorel, Jack Soultanian, Perrin Stein, Norbert Suhr, Luke Syson, David Taylor, Jennifer Tonkovich, Holly Trusted, Anna Vilenskaya, Olivia Voisin, Ted Walbye, Chloe Wootworth, Michel Yvon, Thierry Zimmer.

Nous ne saurions oublier le mécène de l’exposition, D S Automobiles, et les mécènes de notre catalogue, Sequana et A G 2 R L A M O N D I A LE . guilhem scherf et juliette trey

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Préface

Sculpteur et dessinateur virtuose, Edme Bouchardon s’illustre par la très grande diversité de ses créations et son amour du détail. Chantre de cette célébration du raffinement, l’artiste est aujourd’hui mis à l’honneur avec une grande exposition monographique, quelque deux cent quatre-vingts ans après avoir reçu atelier et logement au Louvre. Mû par sa conviction que la réinvention est source de création, D S Automobiles s’est naturellement voulu mécène de l’exposition « Edme Bouchardon (1698-1762). Une idée du beau », qui se dévoile dans le hall Napoléon, sous la pyramide du Louvre. Edme Bouchardon et son regard audacieux et précurseur, le Louvre et son iconique pyramide, D S et son esprit d’avantgarde… partagent l’ambition d’offrir au monde une nouvelle approche. Une vision moderne, qui place l’attention au détail et l’innovation au cœur du processus créatif. Née à Paris, D S Automobiles entend incarner dans l’automobile le savoir-faire français du luxe. Ainsi, nous sommes heureux d’accompagner le Louvre dans cette découverte de l’œuvre magistrale du « promoteur du renouveau dans les arts ».

yves bonnefont directeur général de la marque D S

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Préface

Edme Bouchardon (1698-1762) était célébré de son temps comme un artiste d’exception : « Il faut que Bouchardon ait été un grand homme », déclara le collectionneur Pierre Jean Mariette, « car il a joui de toute sa réputation pendant sa vie ». En qualité de sculpteur, il était surnommé « le nouveau Phidias », équivalent moderne du plus grand des artistes de la Grèce antique ; en qualité de dessinateur, il était jugé l’un des meilleurs d’Europe. La considération des historiens de l’art n’a pas changé aujourd’hui, Bouchardon étant toujours tenu pour l’un des artistes les plus créatifs et les plus fascinants du x v i i i e siècle français, celui qui joua un rôle décisif dans la transition entre le rocaille et le néoclassicisme. Pourtant, si l’on exclut les cercles de spécialistes, sa renommée s’est estompée, notamment hors de France : jusqu’à ce jour, aucune exposition, aucune publication d’envergure n’ont jamais été consacrées à cet artiste si important et si séduisant. En 2013, le musée du Louvre et le J. Paul Getty Museum se sont engagés à remédier à cette lacune et ont entrepris d’étudier et de réévaluer les exploits de Bouchardon : « Edme Bouchardon (1698-1762). Une idée du beau » en est l’aboutissement. Cette exposition sans précédent, accompagnée de son important catalogue, présente l’art de Bouchardon dans ses diverses spécialités (dessin, sculpture, médaille, estampe) et dans ses nombreuses techniques (crayon, sanguine, plâtre, cire, terre cuite, marbre et bronze). Elle dévoile les résultats d’une vaste enquête sur les thèmes très variés illustrés par son art, des copies d’après l’antique aux grands sujets de l’histoire ou de la mythologie, du portrait et des études anatomiques à l’ornement, aux fontaines et aux tombeaux. Ses créations apparaissent comme une merveilleuse et exceptionnelle synthèse de sa passion pour l’art antique et de son observation attentive de la nature. Lors de son séjour de neuf ans à Rome (1723-1732), Bouchardon attira l’attention du pape Clément XI I et reçut des commandes émanant des cardinaux les plus éminents de la Curie. Il travailla également pour de très riches aristocrates anglais effectuant leur Grand Tour et pour les antiquaires les plus en vue. De retour à Paris, en qualité de sculpteur du Roi, il se vit confier d’importantes commandes royales, créant plusieurs des représentations emblématiques de cette période, comme L’Amour se faisant un arc de la massue d’Hercule ou le monument équestre de Louis XV . Ses œuvres étaient estimées et recherchées par les collectionneurs les plus exigeants d’Europe. D’emblée, la participation du musée du Louvre s’avéra indispensable pour une exposition scientifique célébrant Bouchardon. Cette institution est en effet celle qui conserve la grande majorité de ses œuvres, cela pour deux raisons d’ordre historique : d’une part, les sculptures les plus importantes de Bouchardon, qui autrefois appartenaient aux collections royales, se trouvent désormais au Louvre ; d’autre part, le don en 1808 de tout le fonds d’atelier de l’artiste par son neveu Louis Bonaventure Girard enrichit de plus de huit cents dessins la collection d’art

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graphique du musée. En outre, le Louvre est récemment parvenu à se porter acquéreur de deux rares chefs-d’œuvre du sculpteur dans l’art du portrait : les bustes en marbre de Madame Vleughels et du marquis de Gouvernet, respectivement en 1999 et 2012. Le J. Paul Getty Museum et le musée du Louvre, qui, au cours de ces dernières années, ont collaboré sur de nombreux beaux projets – on citera la récente exposition « Bronzes français de la Renaissance au siècle des Lumières » en 2008–2009 –, se sont de nouveau associés tout naturellement pour organiser une exposition de portée internationale qui consacre enfin à Bouchardon l’intérêt et l’attention qu’il mérite. La réalisation de cette importante entreprise a été rendue possible grâce aux compétences et à l’enthousiasme d’une équipe de quatre commissaires, respectivement conservateurs dans les départements des Sculptures et des Dessins de chacune de nos institutions : Guilhem Scherf et Juliette Trey à Paris, Anne-Lise Desmas et Édouard Kopp à Los Angeles. Ils furent les bonnes personnes au bon endroit et au bon moment pour relever cet ambitieux défi et nous ne pouvons que les féliciter d’avoir su mettre si parfaitement à l’honneur la qualité et la diversité de l’art d’un artiste au talent exceptionnel. Nous sommes infiniment reconnaissants envers toutes les institutions en France et en Europe, ainsi qu’aux États-Unis et en Russie, d’avoir si volontiers accordé le prêt de certaines de leurs œuvres les plus importantes. Nous tenons également à remercier plusieurs collectionneurs privés pour la bienveillance avec laquelle ils ont accueilli l’équipe des commissaires et la générosité dont ils ont fait preuve en acceptant de se séparer de leurs pièces les plus précieuses pendant toute la durée de l’exposition. Sans leur soutien et sans leur enthousiasme, un tel projet n’aurait pu être mené à bien. Au cours de la préparation de l’exposition, le musée du Louvre et le J. Paul Getty Museum ont financé de concert la restauration et le nettoyage d’un certain nombre de sculptures, de dessins, d’estampes, de médailles et de livres, autant pour préserver et améliorer leur état de conservation que pour les exposer sous leur meilleur jour. Nous soulignerons notamment l’entreprise de restauration de deux des chefs-d’œuvre de Bouchardon, Le Christ tenant sa Croix et la Vierge, des sculptures en pierre monumentales que nous sommes heureux de présenter pour la première fois en dehors de l’église Saint-Sulpice à Paris. Nous espérons que cette exposition et son catalogue, qui examinent comme jamais auparavant l’art de Bouchardon, inciteront les spécialistes à entreprendre de nouvelles recherches et dévoileront aux yeux d’un large public cette figure majeure de l’art européen du x v i i i e siècle. Les compétences techniques, l’élégance de la ligne et le plaisir visuel qui émerveillaient du temps même de l’artiste s’avèrent toujours aussi fascinants de nos jours. jean-luc martinez président-directeur du musée du Louvre timothy potts directeur du J. Paul Getty Museum

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avertissement

Les dimensions sont données en mètres, sauf indication contraire. Au x v i i i e siècle, les mesures étaient calculées en pieds, en pouces et en lignes. Un pied (12 pouces) correspond à 32,5 cm, et un pouce (12 lignes) à 2,7 cm. Les citations des textes anciens sont modernisées selon l’usage actuel : les abréviations écrites au long ; les lettres majuscules, les accents, les apostrophes et la ponctuation adaptés. L’orthographe d’origine a été conservée. L’exposition publique des œuvres des artistes de l’Académie royale de peinture et de sculpture (le « Salon ») eut lieu au palais du Louvre à intervalles réguliers à partir de 1737. Elle ouvrait ses portes le 25 août, jour de la Saint-Louis, et durait généralement un mois. Les livrets ont été réédités en neuf volumes par Jules Guiffrey de 1869 à 1872 sous le titre Collection des livrets des anciennes expositions depuis 1673 jusqu’en 1800 (réimpression, Nogent-le- Roi, 1990). Une nouvelle édition, complétée par le recensement de livrets d’autres expositions et arrangée suivant l’ordre alphabétique des artistes, a été publiée en trois volumes par Pierre Sanchez en 2004. Les critiques imprimées des Salons ont été répertoriées par McWilliam, 1991. Sauf avis contraire, la mention des dessins se rapporte à leur recto. Sauf exception signalée, la bibliographie des estampes et des ouvrages imprimés ne se rapporte pas à un exemplaire spécifique. Sauf indication contraire, les ventes mentionnées ont eu lieu à Paris. historique Don Girard, 1808 : cette mention abrège l’historique suivant, qui concerne une grande partie des dessins de Bouchardon conservés au musée du Louvre : Atelier d’Edme Bouchardon ; legs en 1762 à François Girard et sa femme Marie-Thérèse Bouchardon, sœur du sculpteur ; legs en 1785 à Louis Bonaventure Girard, leur fils ; legs en 1808 à Edme Voillemier, fils de Hugues Voillemier et Nicole Catherine Bouchardon, sœur du sculpteur ; don d’Edme Voillemier le 16 novembre 1808 au musée Napoléon.

abréviations et symboles A A F : Archives de l’art français A D C O : Archives départementales de la Côte-d’Or, Dijon A M M F : Inventaire général des richesses d’art de la France. Archives du musée des Monuments français, t. I, Paris, Plon, 1883 ; t. II, Paris, Plon, 1886 ; t. III, Paris, Plon, 1897. A N : Archives nationales, Paris Arch. Chaumont : archives provenant des descendants de Bouchardon conservées au musée d’Art et d’Histoire de Chaumont (Haute-Marne) B n F : Bibliothèque nationale de France, Paris B S H A F : Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français C L : Correspondance littéraire, philosophique et critique par Grimm, Diderot, Raynal, Meister, etc. revue sur les textes originaux […], par Maurice Tourneux, 16 vol., Paris, Garnier frères, 1877-1882 d. : diamètre E N S B A : École nationale supérieure des beaux-arts, Paris E N S P : École nationale supérieure du paysage, Versailles E N S S I B : École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques, Villeurbanne ép. : épaisseur E T : étude notariale G BA : Gazette des Beaux-Arts h. : hauteur I N H A : Institut national d’histoire de l’art, Paris l. : largeur Lugt (souvent abrégé en L . devant un numéro) : Frits Lugt, Les Marques de Collections de Dessins et d’Estampes, Amsterdam, 1921 ; Supplément, La Haye, 1956 l. : livre (monnaie sous l’Ancien Régime) M C : Minutier central M d F : Mercure de France NA A F : Nouvelles Archives de l’art français pr. : profondeur R K D : Rijksbureau voor Kunsthistorische Documentatie, La Haye R L : Musées de France (1948-1950), puis La Revue des arts. Musées de France (1951-1960), puis La Revue du Louvre et des musées de France (1961-1990), puis Revue du Louvre. La Revue des musées de France (1991-2003), puis La Revue des musées de France. Revue du Louvre (depuis 2004)

■ œuvre exposée à Paris uniquement

l œuvre exposée à Los Angeles uniquement

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sommaire

Bouchardon et « l’idée sublime qu’il s’était faite du beau »

guilhem scherf

12

« Ils veulent tous l’imiter, et aucun n’en approche » : Bouchardon et les dessinateurs de son temps j u l i e t t e t r e y

24

Edme Bouchardon à Rome a n n e - l i s e d e s m a s

34

Les collectionneurs de Bouchardon é d o u a r d k o p p

44

catalogue

c at. 1 l i s t e d e s p r i n c i p a u x c o l l e c t i o n n e u r s d ’ a rt p o s s é da n t d e s œ u v r e s d e b o u c h a r d o n a u x v i i i e s i è c l e

54 55

Les portraits de Bouchardon j u l i e t t e t r e y

58 60

Les copies d’après l’antique et les maîtres faites à Rome a n n e - l i s e d e s m a s e t j u l i e t t e t r e y

70 75

c at. 2 à 8

c at. 9 à 45

Les compositions orig inales à Rome a n n e - l i s e d e s m a s

115 119

« Presque d’un seul trait, sans hésiter et sans se reprendre ». Les académies de Bouchardon j u l i e t t e t r e y

142 1 47

Portraits et études de têtes g u i l h e m s c h e r f

1 57 159

Dessins de médailles et de jetons é d o u a r d k o p p

175 178

Illustrations de livres g u i l h e m s c h e r f

185 188

Les Cris de Paris é d o u a r d k o p p

204 206

La fontaine de Grenelle g u i l h e m s c h e r f

228 234

Compositions profanes é d o u a r d k o p p

261 264

Compositions relig ieuses g u i l h e m s c h e r f

3 17 320

Art funéraire g u i l h e m s c h e r f

339 341

L’Amour se faisant un arc de la massue d’Hercule g u i l h e m s c h e r f

349 353

Le monument à Louis XV g u i l h e m s c h e r f

369 373

Chronologie Bibliographie Index Crédits photographiques

410

c at. 46 à 58

c at. 59 à 69

c at. 70 à 88

c at. 89 à 101

c at. 102 à 121

c at. 122

c at. 123 à 150

c at. 151 à 198

c at. 199 à 211

c at. 212 à 217

c at. 218 à 230

c at. 231 à 271

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Bouchardon et « l’idée sublime qu’il s’était faite du beau »

guilhem scherf

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« l e p r e m i e r d e n o s s c u l p t e u r s 1 », « le plus grand sculpteur et le meilleur dessinateur de son siècle 2 », « très grand sculpteur, peut-être égal aux meilleurs Grecs et fort supérieur aux Romains 3 »… L’admiration publique a accompagné la carrière d’Edme Bouchardon tout au long de sa vie. Même si un certain nombre de critiques, dont quelques-unes sévères, sont venues nuancer l’appréciation de son art, la majorité des témoignages s’accorde à souligner l’exceptionnelle envergure de l’artiste qui a brillé sous de nombreux aspects : en tant que sculpteur, auteur de monuments qui ont marqué le paysage parisien – la fontaine de Grenelle, le monument équestre de Louis XV –, de statues qui ont suscité d’intenses débats esthétiques – l’ensemble de Saint-Sulpice, L’Amour se faisant un arc –, mais aussi comme dessinateur hors pair 4, montrant au Salon ses mises en scène historiées, infatigable donneur d’idées et de compositions nouvelles pour les graveurs et les éditeurs d’estampes (Caylus, Fessard, Huquier, Jombert), distribuant généreusement à son cercle d’amis ses sanguines et ses contre-épreuves, de même que ses modèles en terre cuite ou en cire. C’est sans doute là que se situe la clé de l’extraordinaire – presque écrasant – rayonnement de l’artiste en son temps : la conjonction entre une personnalité artistique dévorante et exceptionnelle et la mise en place d’un puissant réseau de fidèles, * « Avertissement » (attribué à Mariette) du Catalogue des tableaux, desseins, estampes, livres d’Histoire, Sciences et Arts, Modèles en cire et plâtre, laissés après le décès de M . Bouchardon, Sculpteur du Roi, dont la vente se fera dans le mois de novembre 1762 […], par François Basan, 1762, p. 5. 1 Grimm, dans la Correspondance littéraire, janvier 1757 : Tourneux, 1878, III , p. 333. 2 Cochin, éd. 1880, p. 85. 3 Bachaumont, [1750] 1857, p. 421. 4 « Il pouvait d’un seul trait ininterrompu, suivre une figure de la tête au pied, et même de l’extrémité du pied au sommet de la tête, dans une position quelconque donnée, sans pécher contre la correction du dessin et la vérité des contours et des proportions » (Diderot, 1763, p. 242 ; c’est une paraphrase de Caylus, 1762, p. 13). 5 « J’ai été un des premiers que l’ait connu à Paris, et qui par conséquent ait rendu justice à ses talens quand il arriva de Rome » (Caylus, 1762, p. 29-30). 6 Diderot rapporte assez méchamment avoir lu chez Cochin une annotation au crayon sur son exemplaire du livre de Caylus : « Eloge de Bouchardon, ou l’art de faire un petit homme d’un grand » (Diderot, 1763, p. 249). 7 Lettre d’Edme à son père, 2 octobre 1734 : Dautrey et Mercier, 2010, p. 232. 8 Caylus, 1762, p. 49-51. 9 Pierre noire, Louvre, Inv. 23874. Rosenberg et Barthélemy-Labeeuw, 2011, I , n o F 543, p. 191. Mariette a annoté le cartouche comme s’il s’agissait d’un dessin de Bouchardon, une attribution confirmée par Juliette Trey. Caylus signale que Vassé voulut faire le dessin du modèle en cire, « pour témoigner son attachement à la mémoire d’un maître qu’il révère ».

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voire d’intimes, résolus à le soutenir avec constance.

Un réseau Dès son arrivée à l’Académie de France à Rome, le talent de Bouchardon, en particulier pour le dessin, est reconnu par les directeurs qui se succèdent à la tête de l’institution, Poerson puis Vleughels, comme d’ailleurs un complexe de supériorité qui ne le quittera jamais : en moins de dix ans, l’artiste s’impose dans les milieux artistiques de Rome, auprès du cardinal de Polignac et des Français, mais aussi auprès des Anglais et de leur mentor Philipp von Stosch, et surtout auprès des Italiens les plus

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influents, comme les cardinaux Albani et Corsini. Il signe dans la Ville éternelle les deux chefs-d’œuvre que sont le buste de von Stosch [c at. 46] , manifeste d’une esthétique où triomphe le modèle antique, et celui du pape Clément XI I [c at. 53] , commande inouïe accordée à un Français, qu’il exécute en un temps record en se coulant dans la grande tradition du portrait ecclésiastique romain à laquelle il imprime sa marque personnelle : la transcription fidèle du réel, en l’occurrence les traits puissants du souverain pontife, qu’il capte dans des séances de pose mémorables. Parallèlement, il renouvelle le genre du tombeau papal avec l’impressionnante statue de Clément XI debout [c at. 54] et propose un projet de fontaine publique d’une grande noblesse alliant l’exubérance des eaux romaines et la dignité d’un ordre antique [c at. 55] . On comprend l’inquiétude et l’insistance du duc d’Antin pour qu’un tel artiste rentre en France se mettre au service de Louis XV avant d’être définitivement débauché par les Romains… À son arrivée à Paris, Bouchardon rencontre rapidement le comte de Caylus 5, dont l’influence sur lui va être considérable. L’érudit et collectionneur d’antiques, membre de l’Académie des inscriptions et de l’Académie de peinture et de sculpture (en 1731, comme amateur), lui fait partager son érudition puisée dans les sources de la littérature antique et dans l’observation fine des objets, et le suit pas à pas tout au long de son existence. N’en déplaise à Diderot, qui ne l’aimait pas 6, le texte de Caylus sur Bouchardon publié immédiatement après la mort de l’artiste reste l’un des plus sensibles et des plus documentés sur ce dernier. Caylus va beaucoup aider Bouchardon, « c’est un seigneur porté entièrement à me faire plaisir », souligne le sculpteur dans une lettre à son père datée d’octobre 1734 7. Edme va donner à l’amateur des œuvres importantes : les deux séries de dessins originaux pour Les Cris de Paris [c at. 122] et les pierres gravées du roi [c at. 116 à 119] , parmi d’autres feuilles, et aussi des modèles de sculptures, parmi lesquels celui d’un lutrin en cire projeté pour Notre-Dame de Paris 8, connu par un dessin de la collection Mariette 9 (fig. 1) , un petit groupe en terre cuite représentant un triton et une sirène 10 qui aurait été une première idée pour le décor du bassin de Neptune à Versailles et que l’on retrouve ensuite chez le fermier général Vassal de Saint- Hubert 11 (fig. 2) , deux esquisses de tombeaux et, toujours en terre cuite, le modèle de Saint Thomas pour Saint-Sulpice 12. Caylus ne se borne pas à soutenir Bouchardon, il met sa pointe d’aquafortiste au service de la diffusion de son œuvre graphique, témoignant d’une activité d’artiste hors du commun lorsque l’on songe à la dimension intellectuelle et proprement savante de ses autres travaux. L’autre pilier sur lequel reposa une grande part de la vie de Bouchardon est Pierre Jean Mariette. Mariette était ami de Caylus depuis les années 1720 13. Il devint un intime de Bouchardon, « étoit toujours à genoux devant lui 14 », accompagnait des

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« Ils veulent tous l’imiter, et aucun n’en approche » : Bouchardon et les dessinateurs de son temps

juliette trey

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« q u e l a r t i s t e s e s i g n a l a j a m a i s comme lui par la finesse, l’expression & la profondeur dans la science du dessein ? Les portefeuilles, les cabinets des Curieux de toutes les Nations en rendent témoignage 1. » Michel François Dandré-Bardon, tout comme le comte de Caylus, Pierre Jean Mariette et Charles Nicolas Cochin ont noté l’admiration dont Bouchardon fut l’objet de la part de ses contemporains. Caylus, dans sa

Vie d’Edme Bouchardon , le considère comme l’« un des plus grands & des plus beaux dessinateurs que la sculpture ai produit 2 ». Pour Mariette, « [l]es artistes se sont tous accordés à lui décerner le tribut de louanges qu’il méritait3 ». Cochin va plus loin encore en le qualifiant de « plus grand sculpteur et […] meilleur dessinateur de son temps 4 ». Il * Mariette, 1851-1860, V , p. 169, notice Saly. 1 Lettre de Dandré-Bardon, à Paris, ce 3 août 1762, Mercure de France, septembre 1762, p. 159. Au sujet des amateurs de Bouchardon, voir l’essai d’Édouard Kopp dans le présent ouvrage. 2 Caylus, 1762, p. 16, lu à l’Académie de peinture, le 4 septembre 1762. 3 Mariette, 1851-1860, V , p. 164. 4 Cochin, éd. 1880, p. 85. 5 Cochin, éd. 1880, p. 49, voir Michel Ch., 1993, p. 406. 6 Thèse de doctorat en cours sur Louis Claude Vassé par Alexandra Michaud. 7 Cat. exp. Paris, 1979, n o 123, Les Attributs des Arts, 1765, huile sur toile, H . 0,910 ; L . 1,450, Louvre, Inv. 3199, qui inclut le plâtre de la Ville de Paris ; n o 133, L’Automne, 1770, huile sur toile, H . 0,510 ; L . 0,825, Moscou, musée Pouchkine ; n o 138, L’Hiver, 1776, huile sur toile, H . 0,550 ; L . 0,875, collection particulière, d’après les reliefs de la fontaine de Grenelle. 8 Rosenberg et Barthélemy-Labeeuw, 2011, I , n o F 2709, d’après le buste de Mme Vleughels, et vente après décès de Louis François Trouard (1729-1797), 22 février 1770, lot 247, « projets de fontaines & autres, par Robert, d’après Bouchardon ». 9 Rosenberg, 1973 ; Rosenberg, 2003. 10 C . D ., VI , Poerson à d’Antin, 21 septembre 1723. 11 C . D ., VII , Vleughels à d’Antin, 8 août 1724. 12 C . D ., VII , Vleughels à d’Antin, 2 septembre 1728, p. 451, cité par Roserot, 1895b, p. 15-16. 13 C . D ., VIII , Vleughels à d’Antin, 2 juillet 1733. 14 C . D ., IX , Vleughels à d’Antin, 5 août 1735. 15 Stein, 2000, p. 167 ; Caviglia-Brunel, 2012, p. 38. 16 Caviglia-Brunel, 2012, n os D . 7 et D . 8. 17 Sanguine, H . 0,433 ; L . 0,280, Louvre, Inv. 24081, Trey, 2016, n o 212 ; sanguine, H . 0,275 ; L . 0,221, Darmstadt, Hessisches Landesmuseum, HZ 5389, Caviglia-Brunel, 2012, n o D . 8. 18 Pierre noire, H . 0,250 ; L . 0,402, Göteborg, GKM , 190/1960, CavigliaBrunel, 2012, n o D . 15 ; sanguine, H . 0,560 ; L . 0,430, Louvre, Inv. 24178, Trey, 2016, n o 115. 19 Sanguine et rehauts de craie blanche, H . 0,360 ; L . 0,249, Louvre, Inv. 31407, Caviglia-Brunel, 2012, n o D . 11 ; sanguine et rehauts de craie blanche, H . 0,321 ; L . 0,222, non localisé, Caviglia-Brunel, 2012, n o D . 12 ; sanguine, H . 0,269 ; L . 0,395, Louvre, Inv. 23912, Trey, 2016, n o 257. 20 Sanguine, H . 0,251 ; L . 0,186, collection particulière, Caviglia-Brunel, 2012, n o D . 85 ; sanguine, H . 0,187 ; L . 0,126, Louvre, Inv. 24332, Trey, 2016, n o 202. 21 Attribué à Natoire, sanguine, H . 0,330 ; L . 0,209, Louvre, Inv. 31439 ; attribué à Bouchardon, sanguine, H . 0,367 ; L . 0,247, Louvre, Inv. 23986 ; voir Laing, 2001, p. 246, note 8, et Caviglia-Brunel, 2012, p. 32 et n o D . 24.

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précise qu’en 1763 , seuls Bouchardon, Michel-Ange Slodtz, Boucher et « quelques autres » dessinaient mieux que lui, plaçant ainsi Bouchardon dans le petit groupe des dessinateurs les plus doués de son époque 5. Pour dresser un panorama complet des liens que Bouchardon entretint avec ses collègues dessinateurs, il faudrait pouvoir évoquer ses rares élèves : Louis Claude Vassé, qui copia lui aussi ses dessins 6 [voir c at. 63] Laurent Guiard, ou encore son frère cadet Jacques Philippe Bouchardon, dont les collections du Nationalmuseum de Stockholm conservent plusieurs feuilles. Ou même d’autres qui, comme Jean Siméon Chardin 7 ou Hubert Robert 8, rendirent hommage à sa carrière en le copiant. Mais nous nous éloignerions un peu des échanges qui caractérisèrent la « génération de 1700 », pour reprendre l’expression forgée dès 1973 par Pierre Rosenberg et qui depuis a fait fortune parmi les historiens de l’art 9. Assurément, comme Rosenberg l’a déjà démontré, ce groupe d’artistes était uni par une connivence et un esprit d’émulation qui se cristallisèrent lors du séjour que la plupart d’entre eux effectuèrent à Rome. Dès son arrivée comme pensionnaire à l’Académie de France, Bouchardon avait impressionné le directeur, Charles Poerson, par ses qualités de dessinateur : « Ils [Lambert Sigisbert Adam et Bouchardon] m’ont fait voir leurs dessins, et particulièrement le sr Bouchardon m’a paru avoir du talent 10. » Nicolas Vleughels confirma rapidement cette première impression, écrivant en août 1724 que Bouchardon « avance beaucoup et

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dessine à merveille 11 ». Les aptitudes de Bouchardon excitèrent sans doute la jalousie des autres pensionnaires, comme en témoigne une anecdote rapportée par Vleughels. Afin de prouver à Bouchardon qu’il n’était « pas le seul à bien faire », un autre pensionnaire, malheureusement pas nommé, avait « dessiné sur le mur de sa chambre le portrait d’un Juif qu’il a[vait] feint d’être sur une toille qui y serit attachée ; il y a mis un cloud ; si bien que, lors que Bouchardon est entré dans la chambre il a reconnu le Juif, disant : “Voilà le portrait de Léon, qui est fort bien, mais vous le mettez mal en jour ; il faut le porter un peu plus près de la fenêtre. Laissez-moi faire.” Mais, le voulant détacher il a été bien surpris de s’être trompé 12 ». Néanmoins, à la fin de son séjour, Bouchardon semble être devenu une sorte de mètre étalon à l’aune duquel était mesuré le travail des autres jeunes artistes. Vleughels décrit ainsi les qualités de Michel-Ange Slodtz, pensionnaire depuis

1728 : « Il dessine presque aussi bien que Bouchardon 13. » En 1735 , le souvenir de Bouchardon, qui est pourtant retourné à Paris depuis deux ans, est encore vif et Vleughels situe toujours Slodtz par rapport à son aîné : « Slodtz est un très bon sujet, comparable en tout à Bouchardon 14. » Charles Joseph Natoire, venu à Rome avec Bouchardon en septembre 1723 , a partagé l’admiration de ses camarades pour ce sculpteur si excellent dessinateur. Perrin Stein et Susanna Caviglia-Brunel ont noté la grande proximité stylistique qui s’était établie entre les dessins des deux artistes pendant les cinq années qu’ils passèrent ensemble au palais Mancini 15. Tandis que Bouchardon copiait d’après le Dominiquin ou Raphaël, Natoire dessinait d’après Michel-Ange et Bernin 16 [voir c at. 20 à 22 et 24 à 26], chacun des deux s’intéressant à la technique de prédilection de l’autre. Mais souvent les deux artistes semblent avoir copié côte à côte les mêmes motifs, même si chacun a pu retenir un détail ou un ensemble différent à partir d’une même composition. La copie par Natoire de l’ange de Bernin accoudé à la chaire de saint Pierre est ainsi presque identique à celle par Bouchardon, avec un angle de vue légèrement différent 17. Dans la basilique Saint-Marc, à Rome, Natoire choisit en revanche de copier quatre figures du Martyre des saints Abdon et Sennon par Pier Francesco Mola, qu’il a dessinées à la pierre noire, tandis que Bouchardon n’a dessiné, à la sanguine, que la figure d’Abdon à terre 18. À l’inverse, Natoire a copié des figures isolées d’après le relief du tombeau d’Alexandre VI I I par Angelo De Rossi, tandis que Bouchardon a dessiné la composition entière 19. Tous deux s’arrêtèrent cependant à Bologne lors de leur retour en France, en 1728 - 1729 pour l’un, en 1732 pour l’autre, devant le groupe de la Décollation de saint Paul par l’Algarde pour dessiner la statue de saint Paul 20. Deux copies romaines ont été rapprochées pour montrer comment Natoire et Bouchardon travaillaient à partir de modèles communs 21. Ces deux dessins, conservés au Louvre, d’après la Sainte Madeleine de Benedetto Luti, tableau d’autel situé dans l’église Santa Caterina da Siena a Magnanapoli à Rome, sont actuellement attribués pour l’un à Bouchardon, pour l’autre à Natoire (fig. 12 et 13). Un examen attentif révèle cependant que les dimensions des motifs sont rigoureusement identiques, quels que soient les

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b o u c h a r d o n

e t

l e s

d e s s i n a t e u r s

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Edme Bouchardon à Rome

Plein d’émulation, il vint à Rome,

anne-lise desmas

en proie au désir d’inscrire son

a r r i v é a u d é b u t d e l ’ a u t o m n e 1 7 2 3 et reparti à la fin de l’été 1732 , Edme Bouchardon demeura neuf ans à Rome, dont sept en qualité de pensionnaire de l’Acadé-

nom entre les noms de Michel-Ange

mie de France. L’artiste, qui venait de se distinguer en obtenant le premier grand prix de

et de monsieur Bouchardon

l’Académie royale de peinture et de sculpture de Paris, était envoyé en Italie pour complé-

honoré de balzac Sarrasine, 1830

ter sa formation alors qu’il était âgé de vingt-cinq ans ; il allait en fait y commencer brillamment sa carrière. Son esprit curieux, sa fougue créatrice et son ambition lui permirent de tirer le meilleur profit d’une expérience romaine qu’un concours de circonstances rendait exceptionnelle. En effet, son séjour coïncida non seulement avec une période de renouveau de l’Académie de France à Rome mais également avec les années fastes de l’ambassade du cardinal de Polignac auprès du Saint-Siège. De telles conditions allaient s’avérer particulièrement propices au jeune Bouchardon, dont le talent servait les intérêts de l’institution française et dont la sensibilité et la fidélité envers les modèles antiques répondaient à la passion érudite pour le monde des Anciens diffuse dans le milieu gravitant autour de l’ambassadeur.

B o u c h a r d o n p e n s i o n n a i r e d u R o i à l ’A c a d é m i e d e Fr a n c e à R o m e Les sculpteurs Edme Bouchardon et Lambert Sigisbert Adam arrivèrent à Rome en septembre 1723 , suivis début octobre par les peintres Charles Natoire et Nicolas Delobel et l’architecte Antoine Derizet 1. Le surintendant des Bâtiments du Roi, le duc d’Antin, profondément déçu par les pensionnaires précédents – des artistes recommandés et sans talent –, avait soigneusement « choisi ce qu’il y avoit de meilleur et de plus grande espérance » pour cette nouvelle promotion 2. L’Académie était alors dirigée par le peintre Charles François Poerson, qui était en poste depuis 1704 et avait réussi dans les années suivantes à empêcher la suppression de l’institution alors que la guerre de Succession d’Espagne avait fortement affecté les finances du royaume 3. Remarquant bien sûr le talent des nouveaux pensionnaires, le directeur nourrit 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11

C . D ., V I , p. 285, 294. C . D ., V I , p. 294.

rapidement le désir de les voir se distinguer dans le décor d’un chantier français au cœur

Michel O., 2002, p. 189-192. C . D ., V I , p. 300-301, 305, 314 ; Desmas, 2002, p. 110, 144 ;

Poumarède, 2002, p. 76. C . D ., V I , p. 322. C . D ., V I I , p. 35. Desmas, 2002, p. 107-113. Dautrey et Mercier, 2010, n o 4.1, p. 225 (8 janvier 1726). C . D ., V I I , p. 29 ; Hercenberg, 1979 ; Michel O., 1996, p. 115-139. C . D ., V I I , p. 29, 49. C . D ., V I I , p. 179.

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de Rome. En effet, l’abbé Pierre Guérin de Tencin, chargé des affaires de France de 1721 à 1724 , avait obtenu l’autorisation du Saint-Siège pour la construction d’un escalier entre la place d’Espagne et le couvent de la Trinité-des-Monts. Louis XV et Innocent XI I I s’étant accordés sur un projet de l’architecte Francesco de Sanctis, la première pierre fut posée le 25 novembre 1723 4. En janvier 1724 , Poerson expliquait au surintendant que Tencin, « désirant faire l’escalier […] le plus beau qu’il pourroit, il y avoit destiné des figures de pierres travertines ; qu’il décidera, sur ce que je luy avois dit des talens des s.rs l’Estache, Bouchardon et Adam, de leur en faire faire quelqu’une, […] cela peut servir à leurs avancemens et à l’honneur de la nation 5 ». Les sculpteurs commencèrent leurs modèles fin mai, une fois fixé le choix des douze saints à représenter. Début juillet, Tencin « vint voir les models des figures destinées pour l’escalier de la Trinité-du-Mont faits par les s.rs de l’Estache, Bouchardon, et Adam, les ayant trouvé bien comme ils sont en effet 6 ». Mais, nommé archevêque d’Embrun, le prélat dut repartir en France en octobre et le projet fut abandonné. Aucun document n’indique combien de modèles furent préparés par les trois artistes, quels saints ils représentaient et ce qu’ils devinrent. Cette entreprise dut tout au moins exciter l’émulation des pensionnaires et faire vite comprendre à Bouchardon que son activité à Rome pouvait ne pas se limiter à la formation officielle d’étude de l’antique et des maîtres de la Renaissance. Un exemple de la flexibilité des règlements était d’ailleurs le sculpteur Pierre de L’Estache, ancien pensionnaire toujours logé à l’Académie, alors occupé à finir des statues pour Auguste le Fort et à exécuter le tombeau du cardinal de La Grange d’Arquien pour Saint-Louis-des-Français 7. Le décès soudain du directeur Poerson le 2 septembre 1725 (fig. 21) affecta particulièrement Bouchardon : « Mes confrères et moi i ont perdu beaucoup. Nous ne retrouveront pas cette perte au nouveaux directeur que nous avons qui se nome M r Vleugle. C’est un homme fort ataché à ces intérêst et qui se mest fort peut en peine de rendre service aux un et aux autre 8. » Le peintre Nicolas Vleughels (fig. 22), qui prit la direction de l’Académie en septembre 1725 , était déjà à Rome depuis juin 1724 , où il avait été envoyé comme directeur adjoint pour aider le très âgé Poerson 9. Quelques semaines après son arrivée, il avait écrit au surintendant : « pour les sculpteurs, ils étudient bien […] ; ils vont se mettre après

fig. 21

des figures de pierre pour l’escalier de la Trinité-du-Mont […]. J’en ay déjà veu des modèles qui viendront bien ». Surtout, il avait remarqué : « Il y a ici un sculpteur disciple de M . Coustou le jeune, nommé Bouchardon, qui promet beaucoup ; il avance beaucoup et dessine à merveille 10. » Cependant, lors de sa première année romaine, Vleughels s’occupa peu des pensionnaires. En effet, il eut principalement pour mission de trouver un meilleur logement pour l’Académie, qui avait été depuis 1685 « cachée dans une espèce de masure », à savoir le modeste palais Capranica, situé à l’angle de la petite place du même nom 11. Après l’échec des efforts de Vleughels pour obtenir de louer la Farnésine, le choix se porta sur le palais Mancini, propriété du duc de Nevers, « un très beau palais, placé dans le plus bel

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fig. 21 attribué à p i e r r e d e l ’ e s t a c h e

To m b e a u d e C h a r l e s Fr a n ç o i s Po e r s o n avant 1726 marbre, h. 2,600 ; l. 0,900 rome, saint-louis-des-français, nef droite

e d m e

b o u c h a r d o n

à

r o m e

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Les collectionneurs de Bouchardon

édouard kopp

l e s c o l l e c t i o n n e u r s d e b o u c h a r d o n , ou plutôt ses amateurs, pour employer le terme consacré au x v i i i e siècle, furent nombreux et d’horizons très divers (artistes, hommes de lettres, connaisseurs, marchands, financiers, aristocrates, politiciens, diplomates), si bien qu’ils mériteraient une étude approfondie et exhaustive. Le parti pris de cet essai est au contraire de se concentrer sur quelques figures particulièrement significatives, afin de mettre en lumière et en regard leurs collections, leurs préférences – technique, sujet, présentation – et leurs motivations –, qu’elles soient esthétiques, historiques, sociales ou autres. Mais, pour donner malgré tout la mesure de l’engouement que l’artiste suscita, en France comme à l’étranger, une liste des principaux collectionneurs d’art possédant des Bouchardon au x v i i i e siècle, établie principalement à partir d’une étude des catalogues de vente de l’époque, est fournie en annexe (voir p. 55-56). Leur nombre est relativement restreint jusqu’au milieu des années 1730 ; il augmente nettement après 1750 . Ce phénomène s’explique, d’une part, par la réputation grandissante de l’artiste 1, du fait de sa participation au Salon entre 1737 et 1746 2 et de la large diffusion de ses inventions par la gravure, et, de l’autre, par l’arrivée sur le marché d’ensembles exceptionnels de ses œuvres, grâce notamment aux ventes posthumes de Bouchardon lui-même ( 1762 ) 3, Jean de Jullienne ( 1767 ) 4 et surtout Pierre Jean Mariette ( 1775 ) 5. Il s’explique aussi par des évolutions plus larges qui touchent le goût – désormais plus classicisant, auquel la correction de son dessin convient bien – et les caractéristiques qui 1 Voir Jordan, 1985. 2 Voir notre étude intitulée « Drawing Exposed: Bouchardon and the Salon, 1737-1746 », dans Kopp, 2017, chap. I I I . 3 Basan, 1762. 4 Remy, 1767. 5 Basan, 1775. 6 Voir Scherf, 2001. 7 Voir Bailey, dans cat. exp. New York et Ottawa, 1999-2000, p. 68-92 ; Michel Ch., 2004 ; Michel P., 2006 ; Szanto, 2013. 8 Voir Smentek, 2014a, p. 139-189. 9 Vente Mariette, Paris, 15 novembre 1775 – 30 janvier 1776, lots 43 à 56 (terres cuites) et lots 1093 à 1152 (dessins). 10 Inv. 1857.0613.672 ; voir Rosenberg et Barthélemy-Labeeuw, 2011, I , n o F 422, p. 130. 11 La feuille est aujourd’hui placée en tête d’un album factice regroupant les dessins originaux des Cris de Paris au British Museum [voir cat. 122]. Elle semble correspondre, l’inscription exceptée, à la description du lot 1114 de la vente Mariette : « Grand titre fait pour le traité des pierres gravées de feu M . Mariette, où se voit Louis X V , en médaillon, orné de palmes & de lauriers, fait à la sanguine. » Pourtant, le frontispice n’a pas été reproduit dans le traité en question ; voir Mariette, 1750b. 12 Voir Cochin, éd. 1880, p. 39 : Mariette était « chaud désireux des desseins de Bouchardon, il étoit par là à portée d’en obtenir quelques-uns, et surtout un grand nombre de contre-épreuves ». 13 Caylus, 1762, p. 12. 14 Voir vente Mariette, Paris, 15 novembre 1775 – 30 janvier 1776, lot 1147.

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s’attachent à la pratique de la collection dans la seconde moitié du siècle, à savoir un intérêt croissant pour l’art contemporain – la sculpture, en particulier 6 – et la mutation du regard porté sur le dessin de maître, lequel devient objet de collection à part entière 7.

P i e r r e Je a n Ma r i e t t e ( 1 6 9 4 – 1774 ) Mariette est l’un des plus grands collectionneurs du siècle, connu pour la marque qu’il apposait sur ses feuilles et pour la grande sophistication de ses montages 8 (fig. 29). Il possédait plus de neuf mille dessins, toutes écoles confondues. Bouchardon, qu’il admirait

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fig. 29 jean-baptiste massé

Po r t r a i t d e P i e r r e Je a n M a r i e t t e 1735, sanguine et pierre noire, h. 0,188 ; l. 0,146 o x fo r d , a s h m o l e a n m u s e u m , wa 1 8 6 3 . 1 1 8

fig. 30 edme bouchardon

Fr o n t i s p i c e d ’ u n r e c u e i l d e d e s s e i n s sanguine, h. 0,344 ; l. 0,222 l o n d r e s , t h e b r i t i s h m u s e u m , i n v . 1 8 57 . 0 6 1 3 . 7 3 3

fig. 29

beaucoup, était de loin l’artiste le mieux représenté dans sa collection, avec sept cents œuvres, principalement des dessins et pas moins de vingt-deux modèles. Cet ensemble est le plus complet jamais réuni par un collectionneur particulier 9. C’est grâce à sa proche amitié avec l’artiste que Mariette réussit à obtenir autant d’œuvres. Une feuille conservée au British Museum 10 (fig. 30) montre bien la teneur de leur relation. Il s’agit d’un frontispice comprenant une tablette dans le style antique portant l’inscription « r e c u e i l d e desseins faits par edme bouchardon dont il a fait present a son a m i m a r i e t t e ». L’ensemble est surmonté d’un portrait de Louis XV en médaillon, de palmes et de lauriers. C’est une preuve tangible que l’artiste se montrait généreux envers le collectionneur, à qui il donnait très volontiers des œuvres – un recueil de dessins, le cas échéant, dont on ignore le contenu 11. Conçu comme une sorte de petit monument à leur amitié, le frontispice fait référence à leurs intérêts partagés pour le dessin, l’Antiquité, les médailles et les pierres gravées, ainsi qu’à leur attachement commun à la monarchie. Selon Charles Nicolas Cochin, Mariette possédait surtout des contre-épreuves 12. Le catalogue de sa vente posthume montre en réalité que les dessins originaux constituaient la majeure partie de son fonds, qui comprenait notamment cent quatre-vingt-quatorze petits dessins, que Caylus lui avait donnés 13 et qui ont servi à l’illustration de son Traité

des Pierres Gravées 14 [ voir c at. 116 à 119 ] . Certes, la collection Mariette comportait de nombreuses contre-épreuves, comme celles des Cris de Paris , dont il possédait un jeu

45

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fig. 30

l e s

c o l l e c t i o n n e u r s

d e

b o u c h a r d o n

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les portraits de Bouchardon

57

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Abcdefghijklmnopqrstuvwxyz

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L e s p o r t r a i t s d e B o u ch a r d o n

juliette trey

« m o d e s t e d a n s s e s h a b i t s et dans son domestique, Bouchardon

le Liber Status Animarum de la paroisse Santa Maria in Via Lata de 1726

conserva toujours des mœurs simples, et l’esprit, non de ce siècle frivole,

à 1730 6. Ghezzi aurait pu accentuer la nervosité des traits de son ami,

mais celui des siècles passés », rapporte l’abbé de Fontenay dans

peut-être pour livrer un aspect du sculpteur plus fougueux qu’il ne l’était

son Dictionnaire des

Artistes 1.

Cochin trouvait même qu’il « outrait

en réalité. Cela dut sans doute convenir à Johann Justin Preissler, qui

la simplicité, que quelquefois il adoptait des coiffures de têtes ignobles

retint le portrait peint de Bouchardon par Ghezzi comme modèle pour

et qu’il a assez souvent approché si près du pauvre que quiconque l’aurait

le frontispice de son recueil intitulé Nouvel Essai de quelques statues

imité servilement aurait pu tomber dans un ridicule

insoutenable 2 ».

romaines modernes faites des meilleurs sculpteurs hardiment dessinées

Une mise sobre, qui n’exclut pas un certain manque d’élégance, voilà tout

par Monsieur Edme Bouchardon, premier sculpteur de sa Majesté très

ce que nous disent ses contemporains de l’aspect physique de Bouchardon.

chrétienne 7, publié après l’agrément du sculpteur à l’Académie royale

Aucune mention, donc, du profil très caractéristique de Bouchardon.

de peinture et de sculpture.

Celui-ci s’observe pourtant nettement sur ses quelques portraits peints,

Les portraits parisiens marquent bien davantage l’accession

dessinés ou gravés, assez également répartis entre ses périodes romaine

de Bouchardon au statut d’artiste reconnu, image qu’il entretint par

et parisienne. À ces deux huiles sur toile et à ces trois dessins s’ajoutent

les portraits qu’il donna de lui-même. Le seul autoportrait identifié

deux autoportraits de l’artiste à la sanguine. Ce petit corpus peut être

de Bouchardon à Rome se trouve dans le petit carnet du Vade Mecum

complété par des dessins de Bouchardon qui sont en quelque sorte

[c at. 3]. L’artiste s’y dissimule le visage entre les mains : l’exécution

des autoportraits allégoriques : l’un représentant l’artiste la tête entre

de ce croquis dans un carnet ainsi que le choix de se représenter

les mains [c at. 3], l’autre, métonymique, s’incarnant dans deux dessins

caché indiquent qu’il s’agit d’un portrait que Bouchardon a fait pour

de ses mains [c at. 6 et 7]. Il existait sans doute d’autres autoportraits

son seul usage. À l’inverse, une fois installé à Paris et surtout agréé

de l’artiste. Le catalogue de la vente après décès de Girard recense ainsi

par l’Académie royale de peinture et de sculpture le 5 décembre 1733

deux portraits dessinés de l’artiste par lui-même 3.

puis reçu le 27 février 1745, le sculpteur, également nommé dessinateur

Les portraits romains et parisiens se différencient, sans surprise, par

de l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1737, suivit une

leur statut. Le portrait du sculpteur au travail peint par Pier Leone Ghezzi [c at. 2] ainsi que la caricature du même Ghezzi représentant Bouchardon sculptant son buste (fig. 39) relèvent du portrait d’amitié, témoin d’une relation entre deux artistes, et entrent sans doute dans un circuit d’échange et d’hommages réciproques 4. Sur ce plus ancien portrait de Bouchardon connu, daté par Anne-Lise Desmas vers 1727-1728 [c at. 2], apparaissent déjà les traits qui permettent d’identifier le visage de l’artiste, mis en valeur par une représentation quasiment de profil : un nez busqué, des lèvres épaisses, des sourcils fournis. Cette physionomie singulière, accentuée comme il se doit, se retrouve dans la caricature que Ghezzi fit à la plume juste avant que Bouchardon ne quitte Rome, en 1732. Déjà l’on y observe des paupières lourdes, dont l’importance s’accentuera avec l’âge sur les portraits suivants. Ghezzi a toutefois campé un Bouchardon alerte et vif, presque sec et osseux, alors que le profil du sculpteur dessiné à la plume dans le recueil de portraits conservé à la bibliothèque de Besançon 5 semble déjà plus pesant, avec un début d’embonpoint, même si les traits de l’artiste y sont bien reconnaissables (fig. 40). Les autres portraits présents dans ce volume permettent d’en dater l’exécution en 1729 ou 1730, période où tous ces modèles étaient à Rome. François et Carle Van Loo, qui arrivèrent à Rome en 1729, s’y trouvaient ainsi au même titre que Toussaint Lavoisier, enregistré à Rome dans

fig. 39 pier leone ghezzi

B o u ch a r d o n s c u l p t a n t s o n b u s t e

1 2 3 4 5

Fontenay, 1776, I , p. 232. Cochin, éd. 1880, p. 85-86. Vente, Paris, 1808, n os 69 et 98. Voir Kopp, 2015. Anonyme, plume, H . 0,182 ; L . 0,232, Besançon, bibliothèque municipale, carton H , n o 68. 6 Cat. exp. Paris et Rome, 1987, p. 63, note 70. 7 Frontispice gravé en manière de crayon, imprimé en rouge, Paris, bibliothèque de l’Arsenal, Est 884.

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1732, encre vat i c a n , b i b l i ot e c a a p o s to l i c a vat i c a n a , c o d i c e ot to b o n i a n o l at i n o 3 1 1 6 , fo l . 8 9 v o

58

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c at . 0 0 0

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les copies d’après l’antique et les maîtres faites à Rome

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Les copies d’après l’antique et les maîtres faites à Rome

s e l o n l e u r m é r i t e et le bon vouloir du surintendant des Bâtiments

ce sont ses copies dessinées, qui nous sont parvenues en très grand

du Roi, certains artistes parmi les lauréats des grands prix du concours

nombre, témoignage de son importante productivité dans ce domaine.

de l’Académie royale de peinture et de sculpture de Paris étaient envoyés comme pensionnaires à l’Académie de France à

Rome 1.

Le but du séjour

La quasi-totalité de ces copies conservées se trouvent aujourd’hui au département des Arts graphiques du Louvre, qui en compte

italien, depuis la création de cette institution en 1666, était l’étude

deux cent soixante et un 15, presque toutes données au musée en 1808

maîtres 2.

à l’occasion du legs du fonds d’atelier de Bouchardon par son neveu,

de l’art antique et des grands

Ce mode d’apprentissage

par la copie était en vigueur depuis la Renaissance et en particulier

Louis Bonaventure Girard 16. Jean Guiffrey et Pierre Marcel ont publié

depuis l’établissement de l’Accademia del Disegno à Florence en 1563.

le fonds Bouchardon du Louvre dès 1907 et 1908 17. Néanmoins, lors

D’ailleurs convaincu de ses bienfaits, le surintendant le duc d’Antin

de la préparation de la présente exposition, il a semblé nécessaire

insistait dans une lettre au directeur Charles François Poerson

de revenir sur les identifications des modèles copiés et les attributions

en octobre 1724 : « Je veux encore que vous occupiez vos élèves,

de plusieurs feuilles en publiant un nouvel inventaire de la collection 18.

par préférence à tout, à faire des copies 3. » Bouchardon, arrivé depuis

Dans plusieurs cas, les datations ont pu être affinées non seulement

un an, s’adonna volontiers à cet exercice, qui correspondait à une

grâce à la correspondance des directeurs de l’Académie, qui mentionne

inclination naturelle et à sa volonté personnelle d’étudier les œuvres

les autorisations accordées aux pensionnaires d’étudier dans certains

qu’il découvrait à Rome.

lieux ou collections à Rome, mais également grâce à un examen stylistique

En janvier 1726, il exprimait à son père son impatience d’exécuter, selon le règlement, une copie en marbre d’après l’antique pour le

roi 4.

Son Faune Barberini [c at. 14], qui l’occupa pendant quatre années,

des dessins et à un relevé photographique systématique de leurs filigranes, relevé qui a permis de mettre en avant des ensembles. Les premières copies romaines de Bouchardon sont vraisembla-

de 1726 à 1730, lui offrit l’occasion de prolonger son séjour et lui apporta

blement celles d’après les fresques du Dominiquin, à la chapelle Polet

une grande renommée avant même que l’œuvre ne fût finie. Cet ouvrage

de l’église Saint-Louis-des- Français (fig. 43) et à Sant’Andrea della Valle

lui permit aussi de se faire des connaissances utiles pour honorer les

[c at. 24 à 26]. Elles se caractérisent par un réseau de hachures très fines,

commandes qu’il reçut parallèlement. Le sculpteur et vendeur de marbre

denses et couvrantes, volontiers croisées, et présentent le même filigrane

Paolo Campi fournit les blocs pour sa copie et peut-être aussi pour ses

(une licorne dans un cercle surmonté d’un P). Selon les lettres de Poerson,

bustes 5.

c’est vers 1726 que Bouchardon exécuta ses copies d’après Raphaël

Giulio Coscia, membre de la compagnie des tailleurs de

pierre 6,

qui le choisit comme parrain de sa fille en 1728 7, était probablement

au Vatican [c at. 20]. Ces feuilles, portant un filigrane « fleur de lys dans

l’un des praticiens payés par l’Académie pour dégrossir les sculptures

un double cercle surmonté d’un V », permettent par rapprochement

des

pensionnaires 8

et travaillait sans doute au service de Bouchardon,

qui n’ébauchait pas lui-même ses portraits 9.

stylistique d’en dater d’autres du milieu des années 1720. Bouchardon fait désormais preuve d’une plus grande maîtrise : sa sanguine devient

La seule autre copie sculptée documentée de l’artiste est le Saint

plus violacée, ses hachures s’allègent et son trait se fait plus synthétique.

André d’après Camillo Rusconi au Latran, petite terre cuite que Mariette

Ses copies d’après les fresques de Raphaël à la villa Farnésine [c at. 21

eut en sa possession 10. Mais Bouchardon en exécuta probablement

et 22], sur des feuilles portant le filigrane « fleur de lys dans un cercle

d’autres, à en croire une lettre à son père du 8 janvier 1726 : « Je modelle

surmontant les lettres C B », sont caractéristiques d’un style qui semble

et dessine tous les jours d’après les belles choses 11. » Les comptes

correspondre à la fin des années 1720. Le travail de la réserve est

de l’Académie attestent d’ailleurs l’achat de terre à modeler pour

de mieux en mieux maîtrisé, notamment pour le rendu des chevelures.

les

sculpteurs 12 :

fragiles, ces études ne sont en général pas

conservées 13.

Ce qui distingue surtout Bouchardon parmi les sculpteurs 14, voire les peintres, qui furent pensionnaires à l’Académie de France à Rome,

1 2 3 4 5 6 7

anne-lise desmas et juliette trey

C . D ., I , p. 9 (art. V ). C . D ., I , p. 10 (art. X I ). C . D ., V I I , p. 77.

Dautrey et Mercier, 2010, n o 4.1, p. 225-226. Desmas, 2012, p. 353 (1727). Desmas, 2012, p. 84, 340, 345. Ronot, 2002, I I , n o 21, p. 115. Rome, Archivio del Vicariato, livre des baptêmes de San Lorenzo in Damaso, 2 septembre 1728, fol. 21 v o, information transmise par le regretté Olivier Michel.

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Ces caractéristiques se retrouvent sur les études de Bouchardon pour la fontaine de Grenelle, à la fin des années 1730. Le dessin de Bouchardon évolue donc à Rome d’un travail très minutieux, précis et appliqué,

8 9 10 11 12 13

Desmas, 2012, p. 353-354. Ronot, 2002, I I , n o 21, 28 octobre 1728, p. 114. Mariette, 1851-1860, V , p. 148. Dautrey et Mercier, 2010, n o 4.1, p. 226. Desmas, 2012, p. 352-354. Font exception les terres cuites de Nicolas Coustou du Gladiateur Borghèse et de l’Hercule Commode ; Souchal, 1980, n os 3a, 4b, p. 247. 14 Augustin Pajou est un autre rare exemple, voir Draper et Scherf, 1997. 15 Trente-huit d’après l’antique, soixante-six d’après des sculptures modernes, cent cinquante-sept d’après des peintures.

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à une représentation plus assurée, tout en restant toujours parfaitement fidèle au modèle. Au début comme à la fin de son séjour romain, Bouchardon copia des modèles isolés, en reprenant des détails ou des compositions complètes, mais exécuta aussi des séries systématiques d’après des ensembles qu’il dut considérer comme exceptionnels : les fresques du Dominiquin à la chapelle Polet ou celles de Raphaël à la villa Farnésine. Dans ce dernier cas, il privilégia des motifs traités en gros plan, détails de têtes [c at. 22], voire de mains ou de pieds 19. D’autres copies romaines de Bouchardon se trouvent dans les carnets dits du Vade Mecum à la Morgan Library 20. Les dessins contenus dans ces deux volumes, de petites dimensions, sont quant à eux d’un caractère inévitablement esquissé, signe d’une exécution rapide, quoique toujours attentive [c at. 35 et 43]. Bouchardon utilisa apparemment ces carnets, qui n’ont pas exactement le même format et présentent des filigranes différents 21, tout au long de son séjour. Sur un total de cent quatorze pages dessinées, quatre-vingt-dix-neuf figurent des copies, presque toutes exécutées à la sanguine, à l’exception de quelques-unes à l’encre brune et au crayon et/ou à la pierre noire ou au graphite. Elles reproduisent des compositions complètes, principalement d’après des sculptures et des peintures baroques, ainsi que d’après quelques statues antiques. Certaines pages manquantes sont peut-être à identifier parmi les dessins du Louvre [voir c at. 13] ou ceux, issus d’un carnet, du musée Fabre à Montpellier 22. Alors que Bouchardon contre-éprouva très régulièrement ses sanguines et conserva volontiers les dessins originaux et leurs doubles dans son fonds d’atelier, on connaît très peu de contre-épreuves d’après ses copies romaines : l’artiste en donna à son ami Preissler 23 et en distribua certainement aux amateurs et à ses camarades pensionnaires 24. Un album conservé à la Bibliothèque royale de Stockholm, provenant de l’ancienne collection de l’architecte suédois Carl Hårleman et catalogué par

fig. 43 edme bouchardon

Tête d’enfant

d’après le Dominiquin, Sainte Cécile distribuant des aumônes (détail du visage de l’enfant à qui une vieille femme enfile un habit, à gauche), 1612-1615, fresque, Rome, église SaintLouis-des-Français, chapelle Sainte-Cécile sanguine, h. 0,424 ; l. 0,285 p a r i s , m u s é e d u l o u v r e , d é p a rt e m e n t d e s a rt s g r a p h i q u e s ,

Per Bjurström, rassemble toutefois les contre-épreuves de trente-neuf

inv. 24187

des copies romaines du fonds du Louvre – trente-cinq d’après des sculptures, quatre d’après des peintures 25. Cet album a pu appartenir à Jacques Philippe Bouchardon, formé dans l’atelier de son frère aîné dans la seconde moitié des années 1730. Engagé en 1741 par Hårleman pour travailler sur le palais royal suédois, Jacques Philippe aurait 16 Une copie seulement dans le fonds du Louvre provient de Pierre Jean Mariette, voir Trey, 2016, n o 116. 17 Guiffrey et Marcel, 1907a et 1908 (vol. I réédité en 1933 et vol. I I en 1938). 18 Aux deux cent quarante-neuf copies dessinées par Bouchardon et conservées au Louvre s’ajoutent vingt-neuf copies provenant de son fonds d’atelier, exécutées pour la plupart en Italie, vraisemblablement par d’autres pensionnaires. Voir Trey, 2016, dessins rejetés, n os 960 à 1039, et l’essai dans le présent ouvrage, p. 24-33. 19 Voir Trey, 2016, n os 57 à 83 [chapelle Polet] et n os 135 à 175 [Farnésine]. 20 B 303 A 22. Voir Rosenberg et Barthélemy-Labeeuw, 2011, I , n os F 944 à F 1056, p. 300-329, et Desmas et Kopp, à paraître.

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21 Vol. I , reliure : H . 0,187 ; L . 0,131, filigrane : ancre dans un cercle surmonté d’une étoile, un F inversé au-dessous. Vol. I I , reliure : H . 0,204 ; L . 0,138 ; filigrane : trois monts surmontés d’un coq dans un cercle surmonté d’un F . 22 D’après les putti des colonnes du baldaquin de Bernin à Saint-Pierre, inv. 837.172 à 174. 23 Preissler [1863], p. 383-384, cité par Kopp, 2013, p. 79-80. 24 Jamais retouchées, ces contre-épreuves semblent avoir été exécutées essentiellement dans un but technique, afin d’éviter que la sanguine ne décharge dans les portefeuilles. 25 KP P1. AF 34, voir Bjurström, 1978.

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les compositions originales Ă Rome

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Les compositions originales à Rome

anne-lise desmas

a u c o u r s d e s n e u f a n n é e s qu’il passa à Rome, parallèlement

en possession du peintre Ghezzi 9. C’est surtout le buste de ce dernier,

à son étude d’après l’antique et les grands maîtres, Bouchardon exécuta

exécuté seulement en terre, qui manque cruellement à l’appel : il reprenait

de nombreuses compositions originales.

très fidèlement celui de Trajan puisqu’il avait une bandoulière, sur

C’est surtout dans l’art du portrait qu’il orienta son activité à partir de 1727, date du buste de Philipp von Stosch [c at. 46]. Comparé aux portraits antérieurs sculptés dans le goût des Anciens, à savoir ceux

laquelle était écrit le nom de Ghezzi en grec, et copiait le principe de celui de von Stosch avec l’agrafe ornée de son emblème, un petit caméléon 10. Bouchardon n’eut pas la possibilité de s’illustrer à Rome dans l’art

datant de la Renaissance italienne ou les effigies très classicisantes de

de la statuaire puisque ses commandes de portraits en pied à l’antique

commanditaires anglais comme celle du comte d’Exeter par Pierre Étienne

n’aboutirent pas 11. La statue du prince de Waldeck, à défaut du modèle

Monnot en 1701 ou celle de Daniel Finch par Michael Rysbrack vers

1723 1,

en terre perdu, est heureusement documentée par deux dessins du Louvre

le buste de von Stosch exécuté sur le modèle de celui de Trajan montre

et désormais par des archives qui n’avaient encore jamais été exploitées

une exceptionnelle maîtrise dans l’appropriation de l’art antique et

[c at. 50 et 51]. Celle de lord Radnor, un Anglais qui passa une grande

un très grand respect de ses codes de représentation. Bouchardon sut

partie de sa vie en Italie, ne reste connue que par une lettre de Fagel

se renouveler brillamment dans ce style « à l’antique » pour ses bustes

du 31 mars 1730. Ce dernier anticipait d’ailleurs l’inévitable problème

masculins, celui de John Gordon [c at. 48] puis celui de lord

Hervey 2

de réception de ce type de statue : « La statue de Mylord Radnor donnera

[c at. 49]. Et il adapta merveilleusement la formule pour les bustes

tant d’occupation à Monsieur Richardon [Bouchardon] que je suis sûr

féminins de lady Lechmere (fig. 48), de la duchesse de Buckingham

qu’il [ne] songera plus à mon buste. Je n’ai pas l’honneur de connoitre

(fig. 24) et de M me Vleughels [c at. 57], vêtues de tuniques légères,

le comte de Radnor, la question est si le modelle est bon pour faire

la gorge nue, les cheveux traités avec naturel 3. Pour lady Lechmere,

là dessus une statue, qui doit durer des siècles entiers. J’espère que

dont la chemise glisse sur l’épaule et dégage le haut du sein, peut-être

l’entreprise réussira, car une bonne statue, grandeur de vie, à mon avis

le sculpteur s’inspira-t-il de la Flore Farnèse [c at. 12] ou d’un buste

est une chose très rare et très estimable 12. » Ces commandes représen-

antique de femme qu’il dessina et qui fut gravé par Caylus 4 (fig. 49).

taient une réelle nouveauté à Rome, où les grands maîtres du x v i i e siècle

En tout cas, cette pleine imprégnation de l’art antique dans les portraits

n’eurent pas à traiter ce genre, à l’exception du cas très particulier

exécutés à Rome par Bouchardon est tout à fait remarquable.

du Carlo Barberini en général romain composé d’un torse antique, d’une

Il serait néanmoins exagéré de voir dans ces bustes un

tête sculptée par Bernin et de bras et de jambes exécutés par Algardi 13.

« néoclassicisme » avant la lettre 5. Force est de constater que ni Bouchardon

Quand Bouchardon modela le buste de Clément XI I [c at. 53],

ni Vleughels n’expriment dans leurs correspondances une quelconque

Vleughels avait espéré en vain qu’un dessin de l’artiste serait utilisé

prise de conscience de ce style pourtant si nouveau. Même s’il est

par le graveur du pape, Ottone Hamerani, pour les premières monnaies

merveilleusement décliné, ce mode « à l’antique » n’était là que pour

et médailles du pontificat Corsini. Le profil (fig. 50) servit en fait pour

s’adapter à la demande spécifique de certains commanditaires passionnés.

une médaille frappée à Nancy en 1730 par Ferdinand de Saint-Urbain 14.

Il ne répondait pas – pas plus qu’il ne donna lieu – à une formulation

Ce cas d’une médaille d’après un dessin de Bouchardon exécuté en Italie

théorique de la part des érudits, des collectionneurs et des artistes qui

n’est manifestement pas unique. Une lettre inédite de Vleughels 15 fait

l’appréciaient 6.

comprendre que le prince de Waldeck lui avait envoyé un ducat allemand

Enfin, il ne correspondait nullement à un rejet de l’art

baroque, que Bouchardon étudiait dans ses sanguines et dont il s’inspira

à son effigie dans l’espoir d’obtenir une médaille faite à Rome. Le directeur

pour des portraits exécutés au même moment, comme le buste du pape

lui déconseillait de recourir aux services d’Hamerani et recommandait

Corsini [c at. 53] ou ceux des cardinaux de Rohan et de Polignac [c at. 52].

un artiste en France, « un excelent homme qui fait actuellement la médaille

Tous les bustes en marbre documentés de Bouchardon ont été retrouvés 7,

de M r le Cardinal de Polignac et celle de M r le Cardinal de Rohan d’apprès

à l’exception d’une possible seconde version du Clément XI I

bouchardon ». Il précisait : « c’est celui qui fit ici la médaille du Baron

pour le cardinal Annibale Albani [voir c at. 53] et peut-être du portrait

Stoch que votre Altesse aura peut être vue, il n’étoit pas chiche de la

de François Fagel, dont seul le projet de commande est attesté par les

montrer, il y avoit derrière un Diogène ». Il s’agissait de François Marteau,

sources 8.

qui frappa en 1727 cette médaille très connue de von Stosch. Vleughels

Les modèles en terre ne sont conservés que pour deux d’entre

eux – lord Hervey [c at. 49] et Clément XI I (fig. 50) –, tandis que ceux

expliquait à Waldeck que Marteau pouvait facilement faire sa médaille

du buste de von Stosch et du cardinal de Polignac, perdus, furent

à Paris : « Bouchardon lui enverra un plâtre du buste et encore fera-t-il

1 Baker, Harrison et Laing, 2000, p. 757-758 ; Scherf, 2010 ; Baker, 2011, p. 275-277. 2 Je rejette l’hypothèse proposée par Baker, Harrison et Laing, 2000, p. 755-756, selon laquelle Filippo Della Valle aurait sculpté le marbre du buste de sir Thomas Robinson d’après un modèle de Bouchardon. 3 Desmas, 2012, p. 298-299. 4 B n F , Estampes, Fa44. 5 Honour, 1968, p. 193, note 2. 6 Il faudra attendre le milieu du siècle. Avant Caylus et Mariette, voir Saint-Yves, 1748, p. 119, cité par Baker, Harrison et Laing, 2000, p. 758.

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7 8 9 10 11

Baker, Harrison et Laing, 2000. Baker, Harrison et Laing, 2000, p. 756. Dorati da Empoli, 2008, p. 107. Dorati da Empoli, 2008, p. 114. J’exclus la statue d’Apollon du musée de Langres, qui n’est pas un Louis X V sculpté par Edme (Ronot, 1958 ; Réau, 1959a, p. 142-144) mais plutôt une œuvre de son père : Desmas, 2012, p. 301. 12 Baker, Harrison et Laing, 2000, p. 756. 13 Desmas, 2012, p. 301-302.

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les acadĂŠmies de Bouchardon

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« Pr e s q u e d ’ u n s e u l t r a i t , sans hésiter et sans se reprendre » L e s a c a d é m i e s d e B o u ch a r d o n

juliette trey

*

r e p r o c h a n t l e u r f r o i d e u r aux académies à la sanguine, Claude

de l’académie réunissant deux hommes conservée au Louvre se retrouvent

Louis Watelet, dans son Dictionnaire des arts de peinture, sculpture et

ainsi dans deux autres feuilles, où ils adoptent des attitudes totalement

gravure, reconnaît tout de même que « quelques maîtres du premier ordre,

différentes [voir c at. 69]. Le modèle assis, le bras droit levé tenant une

au nombre desquels on doit nommer Bouchardon, ont eu l’art et l’adresse

corde, un bandeau dans les cheveux, que l’on observe sur deux sanguines

d’exécuter dans cette manière patiente et propre [la sanguine] des études

du Louvre, a encore été gravé en sens inverse à l’eau-forte par Pierre

& des académies qui méritent d’être

admirées 1 ».

Aveline à la planche 7 du Second Livre de figures d’Académies gravées

Les académies stricto

sensu de Bouchardon n’ont pourtant pas été conservées en très grand

en partie par les professeurs de l’Académie royale, publié par Gabriel

nombre. Le fonds du Louvre, par exemple, en compte moins de dix, l’École

Huquier en 1737 5 (fig. 60 et 61). Pour chaque dessin, Bouchardon

nationale supérieure des beaux-arts en dénombre cinq seulement que

a modifié la position des jambes ou de la tête. Les études d’après le nu féminin sont très rares si l’on exclut les études

l’on peut attribuer avec certitude à Bouchardon, le musée des Beaux-Arts de Dijon quatre. Par le terme d’« académies », nous entendons les études

pour des sculptures, c’est-à-dire les dessins pour l’allégorie de la Marne,

de nu masculin, d’après un seul ou deux modèles réunis, définition

destinée à la fontaine de Grenelle, et pour les quatre cariatides du piédestal

dérivant par métonymie de l’exercice pratiqué à l’Académie royale

de la statue équestre de Louis XV . En dehors de la feuille conservée

de peinture et de sculpture consistant à copier un modèle nu masculin.

au Nationalmuseum de Stockholm, on recense seulement des versions

Nous évoquerons également les études de nu féminin, très rares dans

secondaires de nus féminins par Bouchardon : une copie exécutée par Louis Claude Vassé d’après Bouchardon [c at. 63 et voir fig. 65], deux

l’œuvre de Bouchardon. Il faut bien distinguer les académies des études préalables aux

eaux-fortes par le comte de Caylus 6 et un dessin gravé par Jacques Philippe

sculptures. Bouchardon dessine de manière très différente les modèles

Bouchardon dans le Second Livre de diverses figures d’Académies dessinées

pour une sculpture de ceux qui posent pour une académie. Les premiers

d’après le naturel par Edme Bouchardon, Sculpteur du Roy (fig. 62).

sont dessinés pour ainsi dire sous tous les angles. Bouchardon place son

Ces cinq études dateraient donc de 1739, année où Bouchardon commença

modèle puis tourne autour comme il le ferait avec une sculpture, pour

ses études pour la fontaine de Grenelle. Le coût des modèles féminins, leur

que les dessins assemblés donnent une vision quasiment complète du sujet.

rareté, les projets sculptés de l’artiste – seules la Marne et les cariatides

Pour les études les plus systématiques, on compte ainsi jusqu’à neuf vues

nécessitèrent des modèles féminins – peuvent être invoqués pour expliquer

d’après le même modèle et la même pose. C’est le cas par exemple des neuf

ce faible nombre d’études de femmes. Par ailleurs, on note que le modèle

feuilles pour L’Amour se faisant un arc de la massue d’Hercule conservées au Louvre, numérotées de 1 à 9 2, suivant un tour effectué par la droite [c at. 223 à 229]. Les études pour la fontaine de Grenelle, qu’il s’agisse des Génies des Saisons, de la Seine ou de la Marne, présentent aussi plusieurs vues prises sous différents angles d’après les mêmes poses et les mêmes modèles 3. Vingt ans plus tard, Bouchardon appliquera encore la même méthode aux études des cariatides pour le piédestal de la statue équestre, tournant jusqu’à huit fois autour de son modèle [c at. 259 à 266]. Cette pratique correspond à ce que déclare Caylus au sujet de Bouchardon lorsqu’il écrit que le crayon « présente non seulement la figure que l’on cherche, avec une extrême diligence et sans aucune préparation, mais [qu’]il fournit à l’auteur cette même figure sous un nombre infini d’aspects qui ne se perdent point, et qui peuvent se comparer 4 ». Pour les académies, en revanche, Bouchardon ne dessine qu’une fois chaque pose, sans tourner autour de son modèle, à de rares exceptions près [voir c at. 67 et 68 et fig. 58 et 59]. Il fait bien sûr volontiers poser plusieurs fois le même modèle mais varie chaque fois la posture. Les deux modèles

fig. 58 edme bouchardon

* 1 2 3 4 5 6

Watelet, 1792, I , p. 464. Watelet, 1792, I , p. 4. Inv. 24098 et Inv. 24090. Voir dans le présent ouvrage le texte de Guilhem Scherf sur la fontaine de Grenelle, p. 228 à 233. Caylus, 1762, p. 83. Voir Trey, 2016, n os 411 et 412. Roux, 1940, p. 64, Caylus d’après Bouchardon, n o 57, Femme nue assise, de profil à gauche, et n o 58, Femme nue debout, de profil à gauche, vue de dos. 7 Premier Livre, pl. 30, et Second Livre, pl. 41 et 43. 8 Louvre, Inv. 23892 et Inv. 23899 ; voir Trey, 2016, n os 359 et 361. 9 Watelet, 1792, I , p. 464.

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Ac a d é m i e d ’ h o m m e a l l o n g é d e d o s pierre noire, h. 0,198 ; l. 0,138, Vade Mecum, I , fol. 38 v o n e w yo r k , t h e m o r g a n l i b r a ry & m u s e u m , b3 030 a 22 – 2016.16

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des études de nu pour la Marne est relativement disgracieux et que

par Pierre Aveline, Jean Aubert, Jean-Baptiste Perroneau et Jacques

les poses retenues, en dehors de l’attitude pour l’allégorie destinée

Philippe Bouchardon lui-même, le jeune frère et élève de Bouchardon.

à la fontaine de Grenelle, sont loin d’être flatteuses.

Le premier volume rassemble douze planches d’académies debout, assises

Les académies ne semblent pas non plus avoir été pratiquées avec

et semi-couchées [voir c at. 61, 62 et 66]. Le second volume est divisé

régularité par Bouchardon tout au long de sa carrière. Sans surprise,

en deux parties. D’abord six estampes de nu masculin semi-couché

il dessina d’après le modèle nu, exclusivement à la pierre noire, lors

ou couché, dont quatre avec les attributs d’un dieu fleuve (urne et

de ses années de formation à Chaumont [voir c at. 59 et 60]. Maladroites,

gouvernail). Ces dessins sont directement liés au projet de la fontaine

ces feuilles montrent que Bouchardon ne maîtrisait à l’époque ni le modelé

de Grenelle, avec des premières idées pour la Seine. Les planches 4 et 6,

ni le contour. Alors que l’Académie de France à Rome employait des

gravées par Perroneau et Aveline, sont en revanche très proches du modèle

modèles vivants, aucune académie datant du séjour italien de l’artiste n’est

définitif. On remarque que Bouchardon a tourné autour de son modèle,

conservée. Seule exception : deux croquis, encore à la pierre noire, dans

selon sa pratique habituelle pour les dessins préparatoires à des sculptures,

un carnet du Vade Mecum, daté vers 1730 (fig. 58 et 59). Un jeune homme

en livrant ici une vue de face et une vue de dos de son modèle 8. Viennent

est représenté deux fois dans la même pose, sous deux angles différents :

ensuite six dessins d’après le nu féminin dont cinq études pour la Marne,

allongé, une jambe étendue, l’autre repliée, se soulevant sur un bras,

représentant une femme tenant un vase. Les planches 8 et 9, gravées

l’autre au-dessus de la tête. Bouchardon a vraisemblablement assisté à une

toutes deux par Aveline, correspondent à la figure finalement sculptée.

séance de pose du modèle mais la petite taille des dessins, leur facture

Bouchardon a vraisemblablement fourni à Huquier des études déjà

rapide et peu soignée interdisent d’y voir un véritable exercice d’académie.

exécutées, notamment pour son projet de la fontaine de Grenelle, mais

Les académies de Bouchardon peuvent dans leur grande majorité

il n’est pas impossible qu’il ait dessiné des académies complémentaires

être datées de plusieurs années après le retour d’Italie, vers 1737-1739.

dans le but précis de les voir publiées. Bouchardon dessine ces figures

Bouchardon fournit alors des dessins à Gabriel Huquier, qui les fait graver

d’un contour marqué, que Watelet qualifie de « décidé », indiquant qu’« il

pour ses Premier et Second Livres de figures d’Académies gravées en partie

dessinait quelquefois le contour d’une Académie presque d’un seul trait,

par les professeurs de l’Académie royale publiés en

1737 7.

Les académies

sans hésiter et sans se reprendre, ou se corriger » 9. Il respecte ainsi les

de Bouchardon côtoient celles de Charles Joseph Natoire, Carle Van Loo,

préceptes professés par l’Académie sur le beau contour, auxquels il associe

Hyacinthe Collin de Vermont, Pierre Charles Trémolières et François

ceux sur le rendu du modelé. Il pratique en effet le grainage, qui lui

Boucher. Huquier récidive dès l’année suivante avec un recueil cette

permet de rendre ombres et lumière en frottant son crayon sur la feuille 10.

fois exclusivement consacré aux académies par Bouchardon : le Livre

Ces académies des années 1730 sont très chargées en sanguine, avec

de diverses figures d’Académies dessinées d’après le naturel par Edme

des traits parfois appuyés et une forte densité de hachures qui couvrent

Bouchardon, Sculpteur du Roy, suivi en 1739 par le Second Livre

souvent largement la feuille.

de diverses figures d’Académies dessinées d’après le naturel par Edme Bouchardon, Sculpteur du Roy. Les estampes sont gravées à l’eau-forte

fig. 59 edme bouchardon

Ac a d é m i e d ’ h o m m e a l l o n g é d e t r o i s quarts pierre noire, h. 0,198 ; l. 0,138, Vade Mecum, I , fol. 39 v o n e w yo r k , t h e m o r g a n l i b r a ry & m u s e u m , b3 030 a 22 – 2016.16

En 1743, Carle Van Loo, qui avait remis des dessins à Huquier pour les Premier et Second Livres de figures d’Académies gravées en partie

fig. 60 p i e r r e av e l i n e , d’après Edme Bouchardon

Ac a d é m i e d ’ h o m m e a s s i s d e d o s tenant une corde eau-forte, Second livre de figures d’Académies gravées en partie par les professeurs de l’Académie royale, 1737, pl. 7

fig. 61 edme bouchardon

Ac a d é m i e d ’ h o m m e a s s i s t e n a n t u n e c o r d e sanguine, h. 0,634 ; l. 0,475 p a r i s , m u s é e d u l o u v r e , d é p a rt e m e n t d e s a rt s g r a p h i q u e s , i n v . 2 3 9 0 2

p a r i s , b i b l i ot h è q u e n at i o n a l e d e f r a n c e , d é p a rt e m e n t d e s e s ta m p e s e t d e l a p h oto g r a p h i e , fa 4 4

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portraits et ĂŠtudes de tĂŞtes

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Po r t r a i t s e t é t u d e s d e t ê t e s

guilhem scherf

l a f o r m a t i o n i n i t i a l e d’Edme Bouchardon auprès de son père

pour un bas-relief en bronze réalisé pour le comte de Maurepas

ne le destinait pas a priori à devenir un portraitiste, une activité à laquelle

[c at. 76]. De plus grande envergure fut l’exécution du portrait

Jean-Baptiste ne s’était pas adonné. Cependant, ses œuvres parmi les plus

de Louis XV dans le cadre de la grande commande du monument

précoces sont des portraits, ceux de son père et de sa mère – probablement

équestre. Le buste du roi fut jugé « magnifique » par Friedrich Karl

la paire se trouvant dans sa chambre à coucher de la maison du Roule

von Hardenberg, directeur des Bâtiments du prince électeur de

au moment de son décès –, auxquels on peut joindre la feuille du musée

Hanovre (et roi d’Angleterre) lorsqu’il le vit en compagnie de Mariette

Carnavalet [voir c at. 70, 71 et fig. 69]. Ces trois dessins à la pierre noire

en 1741 5. Le comte de Caylus offrit le modèle de la tête à l’abbaye

datés du début des années 1720 montrent d’emblée l’une des qualités

Sainte-Geneviève « et l’a fait élever d’après ses dessins sur un cippe

essentielles de l’artiste : la représentation sincère et réaliste du modèle,

avec une inscription 6 », acte de courtisanerie envers le monarque

dans un cadrage resserré sur un fond nu mettant en valeur l’expressivité

et de dévotion envers l’artiste.

du

regard 1.

L’un des aspects les plus séduisants de l’art de Bouchardon réside

La carrière de portraitiste de Bouchardon va spectaculairement

se développer en Italie, où, à côté de représentations d’ecclésiastiques

dans ses dessins à la sanguine d’études de têtes, aussi bien d’impression-

dans la tradition somptueuse du baroque romain 2 [c at. 52], il va innover

nants vieillards barbus [c at. 79 à 81] que des femmes au regard intense

en créant des bustes idéalisés comptant parmi les premières sculptures

[c at. 83 et 84] et des enfants attendrissants [c at. 85 à 87]. L’élite

néoclassiques exécutées en Europe 3 [c at. 46]. Le seul buste qu’il

des collectionneurs du temps – Crozat, Tessin, Jullienne, Mariette 7 –

exécuta ensuite en France, celui du marquis de Gouvernet, fut composé

s’attacha à rassembler de telles feuilles où se mêlaient la sensibilité

selon cette formule [c at. 72].

de l’artiste et l’acuité de son style graphique. D’autres ouvrages

Dessinateur de l’Académie des inscriptions, Bouchardon conçut

d’Edme firent le plaisir des connaisseurs : ses caricatures. Celles-ci,

pour l’avers des médailles et des jetons le profil du souverain,

spirituellement gravées à l’eau-forte par Caylus, sont de véritables

qu’il caractérisa par la netteté du contour, mettant en valeur aussi

portraits (même si les modèles sont anonymes), qu’il s’agisse d’un

bien le profil et la découpe du cou que le bandeau héroïque se mêlant

homme des rues 8 (fig. 67), d’un « Suisse coefé à la mode 9 » ou

à la coiffure généreusement déployée sur la nuque 4. Il s’en inspira

d’un « bedeau 10 » (fig. 68) dans l’éclat de son vêtement de fonction.

1 Un trait distinctif que l’on retrouve une quinzaine d’années plus tard sur le portrait de Geminiani [cat. 74]. 2 Le buste du cardinal de Polignac fut exposé à son premier Salon, en 1737. 3 Le buste de Philipp von Stosch fut diffusé par la gravure de Preissler exécutée vers 1732. 4 Voir cat. 75. 5 Köhler, 2008, p. 313. 6 Dezallier d’Argenville, 1770, p. 383. L’ensemble a disparu. 7 Bouchardon exposa au Salon de 1737 « Deux autres têtes aussi plus grandes que nature, des enfans de M . Mariette ; l’une d’un enfant qui rit, et l’autre d’une petite fille en bagnolette [sorte de coiffe], à la sanguine ». 8 La gravure de Caylus (Roux, 1940, n o 65, p. 66) orne la page de titre d’une Suite de Charges & Figures grotesques, publiée à Paris chez Fessard rue aux Fers à la Couronne (exemplaire au Kupferstichkabinett de Berlin ; épreuve avant la lettre à la B n F , département des Estampes et de la Photographie, F A 43. Le dessin à la sanguine fut vendu à Paris, palais Galliéra, le 7 mars 1970, n o 21, repr. 9 L’une des huit pièces de la Suite de Charges & Figures grotesques (voir note précédente). 10 Roux, 1940, n o 68, p. 66.

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fig. 67 c o m t e d e c ay lu s d’après Edme Bouchardon page de titre de la S u i t e d e ch a r g e s

et Figures grotesques

eau-forte berlin, kupferstichkabinett

fig. 68 c o m t e d e c ay lu s d’après Edme Bouchardon

Bedeau

eau-forte p a r i s , b i b l i ot h è q u e n at i o n a l e d e f r a n c e , d é p a rt e m e n t d e s e s ta m p e s e t d e l a p h oto g r a p h i e fa 4 3

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dessins de mĂŠdailles et de jetons

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Dessins de médailles et de jetons

édouard kopp

d e 1 7 3 7 j u s q u ’ à l ’ a n n é e de sa mort, en 1762, Bouchardon occupa la fonction prestigieuse de dessinateur de l’Académie des inscriptions et

en latin, tandis qu’elle est en français sur les jetons, ce qui les rend de fait

belles-lettres. Fondée sous Louis XIV , cette institution royale était investie

l’année précédant la distribution des jetons. Certes, ils représentaient

d’une double mission. Elle s’attachait à faire progresser la connaissance

un travail quelque peu répétitif car les mêmes institutions royales étaient

antiquaire et historique, mais aussi à fournir des inscriptions destinées

célébrés d’année en année. Les académiciens ne débordaient pas toujours

à la propagande du régime. Dans le cadre de cette seconde prérogative,

d’enthousiasme pour composer les jetons, alors qu’ils discutaient avec zèle

l’Académie se devait de concevoir les médailles de l’Histoire métallique

les exergues et les légendes des médailles, dont l’importance historique

du roi et les jetons de l’administration royale.

était beaucoup plus grande. Pour sa part, Bouchardon dessinait avec une

En tant que dessinateur officiel de la « Petite Académie », Bouchardon

plus accessibles. Les dessins de jetons étaient exécutés en principe dans

égale application les médailles et les jetons, mais il y a lieu de se demander

avait pour tâche principale de dessiner les projets de coins – jetons et

s’il n’éprouvait pas plus de plaisir à dessiner ces derniers. Les jetons lui

médailles – à partir des idées élaborées par les académiciens. L’avers de

donnaient en effet l’occasion d’aborder des sujets qu’il ne traitait guère par

chaque jeton ou médaille représente normalement une effigie de Louis XV ;

ailleurs, tel le paysage [voir c at. 100]. De plus, ils constituaient un espace

le revers une composition comprenant trois éléments : un corps de devise

pictural où il pouvait se permettre de créer une imagerie à la fois plus

(brève description de l’image), une légende (devise en latin) et une

proche du quotidien de la nature (fig. 73) et des hommes [voir c at. 99]

exergue (sujet de la commémoration indiqué en

bas) 1.

et plus poétique et insolite (fig. 74) que dans les médailles, où le décorum

Quel que soit

leur sujet, les dessins de Bouchardon ont été systématiquement exécutés à la sanguine. Ils sont très précis et achevés (fig. 72), sauf quand il s’agit

était de rigueur. Les dessins de jetons et de médailles de Bouchardon ont souvent été

de premières pensées [voir c at. 95], où l’artiste cherche à imaginer

mal compris – et pas toujours appréciés à leur juste valeur esthétique –, en

et à affiner une composition donnée. Les dessins font toujours 21 cm

grande partie du fait de leur lien avec la numismatique et de la complexité

de diamètre environ, alors que les médailles mesurent 4,1 cm et

du contexte de leur création, à savoir l’Académie des inscriptions et belles-

les jetons 2,8 cm environ – soit cinq et sept fois moins que les dessins,

lettres, qui obligeait le dessinateur à travailler selon les paramètres

respectivement. Les jetons nécessitaient donc une image plus simple

contraignants de la propagande royale. Les médailles et les jetons avaient

à lire que celle des médailles. En tout cas, une perte d’information visuelle

en effet une dimension très politique, c’est pourquoi leur conception était

était inévitable du fait de la réduction et du transfert du motif du papier

étroitement contrôlée par les autorités. Les dessins devaient tout d’abord être approuvés par le secrétaire

vers le métal – or ou, plus fréquemment, argent, cuivre ou laiton. Les jetons et les médailles avaient des fonctions commémoratives

perpétuel de l’Académie, Claude Gros de Boze (1680-1753). Il n’était pas

différentes. Renouvelés chaque année, les jetons [voir c at. 100 et 101]

rare que l’on demande à Bouchardon de revoir ses compositions, surtout

étaient distribués le 1 er janvier aux employés d’une dizaine

celles des médailles. Mais, une fois les dessins validés par le secrétaire

d’administrations royales, tels les Bâtiments du Roi, la Marine, la Maison

perpétuel, une fenêtre bleue était collée sur le devant de chaque feuille

de la Reine ou encore le Trésor royal. Les médailles [voir c at. 91 à 94]

pour rendre les dessins plus présentables. Ils étaient ensuite soumis

commémoraient pour la postérité les principaux événements du règne

au ministre de tutelle, puis au roi, qui parfois ne les approuvaient pas.

de Louis XV . Elles étaient censées être de parfaits petits monuments

Les dessins acceptés étaient transmis au directeur de la Monnaie, Jules

à la gloire du roi – conçus une fois pour toutes, dans un matériau durable –,

Robert de Cotte (1683-1767), lequel inscrivait en haut à gauche du

d’où le très grand soin apporté à leur exécution. Pourtant, il arrivait que

montage une « remise » qui indiquait le nom du médailleur et la date à

certaines médailles soient finalement exclues de la série officielle des

laquelle le dessin lui avait été remis. Parmi les médailleurs qui gravèrent

médailles du Roi, en particulier si les événements qu’elles représentaient

d’après les dessins de Bouchardon, on compte notamment le prolifique

n’étaient plus jugés suffisamment importants ou si leur composition

Jean Duvivier (1687-1761), François Marteau (1697-1757), orfèvre

n’était plus appropriée.

et graveur en médailles, qui était un ami du sculpteur 2, Joseph Charles

Les jetons comportent toujours la date en chiffres arabes, alors que les médailles sont datées en chiffres romains. L’exergue des médailles est

1 Pour une étude détaillée du rôle de Bouchardon à l’Académie des inscriptions et sur ses dessins de jetons et médailles en particulier, voir Kopp, 2017, chap. I V . 2 Voir Roserot, 1895b, p. 29. Sur la biographie et l’œuvre de Marteau et les sources les concernant, voir le site https://orfevrerie.wordpress.com/2013/01/10/marteaufrancois/. 3 Sur la dynastie des Roëttiers, voir Bingen, 1952. 4 Voir Mazerolle, 1898, n o 52.

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Roëttiers (1693-1779) et son fils Charles Norbert Roëttiers (1720-1772), deux membres de la fameuse dynastie des Roëttiers 3.

5 L’inventaire posthume de l’artiste comprenait en effet « un volume de papier, petit in-folio, relié en veau, contenant les contre-épreuves des dessins faits par ledit feu sieur Bouchardon pour les jettons et médailles de l’histoire de Louis Quinze, prisés pour la somme de trois-cent-cinquante livres », cité dans Roserot, 1895b, p. 7. 6 B n F , Estampes et Photographie, P b 31-4 réserve. 7 Paris, bibliothèque de l’Institut de France, M S . 1367 ; voir Blanchet, 1924. 8 Paris, musée de la Monnaie, M S . F o. 71 ; voir Mazerolle, 1898. Ces dessins sont aussi répertoriés sur le site http://www.archivesmonetaires.org/bouchardon/ bouchardon.htm.

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illustrations de livres

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Illustrations de livres

guilhem scherf

l ’ u n d e s a s p e c t s les plus inattendus du parcours de Bouchardon,

Nationalmuseum de Stockholm 6 (fig. 75). Ses liens avec le secrétaire

qui pourtant ménage bien des surprises, est son activité d’illustrateur

perpétuel de l’Académie Claude Gros de Boze (1680-1753) furent

de

livres 1,

symbolisés par les dessins qu’il lui fournit pour orner, gravés par Preissler,

tout à fait occultée par ses premiers biographes Mariette

le catalogue de ses livres publié confidentiellement en 1745 : le frontispice

et Caylus (qui pourtant en profitèrent). Le baron Roger Portalis publia en

1877 2

représentant un génie adolescent tenant déroulée devant lui une grande

une première liste d’illustrations d’après les dessins de l’artiste,

feuille de papier 7 (fig. 77) et une vignette figurant Apollon assis.

qui fut rassemblée en un seul paragraphe par Alphonse Roserot en 1895 3,

Ce fut une relation personnelle probablement plus intense – même

avec d’importantes adjonctions. Ce travail, succinct et surtout non illustré, n’a pas été réellement étudié depuis (hormis le Traité des Pierres Gravées

si elle fut brève – qui se noua entre Bouchardon et le grand compositeur

de Mariette, voir c at. 116).

Francesco Geminiani : Edme conçut trois frontispices pour ses œuvres qui furent gravées en 1738, 1741 et 1742 [c at. 104 à 108]. Le sculpteur

Pour aborder cette étude, il faut consulter le réseau des amateurs et des professionnels qui entoure Bouchardon. On s’aperçoit ainsi que

dessinateur était aussi musicien, et il garda des liens avec ce milieu, comme

quasiment la totalité des livres illustrés (et des recueils de séries d’estampes)

l’indique un charmant fleuron avec des oiseaux sur une guirlande exécuté

exécutés d’après ses dessins fut conçue dans le cadre de ce réseau. C’est

en 1758 pour le Journal de musique de Pierre Lagarde 8.

avec le comte de Caylus qu’Edme commença, peu de temps après son retour

Bouchardon travailla beaucoup avec Gabriel Huquier, qui grava

d’Italie, à frayer avec ce type de production. Le fleuron de la suite des Têtes

dès 1737 plusieurs séries d’estampes d’après ses dessins. Cette activité

d’après Van Dyck, de 1735, est le premier de ce genre [c at. 102]. Vinrent

est sans lien direct avec le monde du livre illustré, sauf si l’on admet que

en 1747 – après la publication des cinq séries des Cris de Paris de 1737 à 1746 [c at. 122] – le fleuron en forme de lyre rayonnante pour les Airs sérieux et à boire et vaudevilles composés par Mr Gaultier 4, et enfin en 1752 le frontispice du premier tome de son Recueil d’Antiquités [c at. 121]. Bouchardon fut nommé dessinateur de l’Académie des inscriptions en 1737, et il le resta jusqu’à la veille de sa mort. Il se fit ainsi connaître du monde savant, pour lequel il dessina les vignettes du Recueil des historiens des Gaules et de la France de 1738 à 1741 [c at. 113] et le frontispice des Transactions philosophiques de la Société royale de Londres (1740), terminé au burin par Fessard 5 (fig. 76), pour lequel il existe une esquisse à la sanguine non identifiée jusqu’ici au

1 Nous traitons principalement dans cette section de livres avec des textes (illustrés par une planche frontispice, un fleuron du titre ou une vignette), et non de séries d’estampes reliées entre elles mais sans texte d’accompagnement, même si leur présentation en recueils peut leur donner l’aspect d’ouvrages, comme les Cris de Paris [cat. 122], les deux livres de Figures d’Académies [cat. 61 et 132] ou les deux livres de Vases [cat. 178]. 2 Portalis, 1877, p. 20-26. 3 Stein (1910, p. 431) publia une photographie du fleuron de la Description des Festes de 1740. 4 Troisième recueil. Roux, 1940, n o 75, p. 67. 5 Traduction française de Brémond. Pognon et Bruand, 1962, n o 19, p. 33. 6 N M 1596/1875. Bjurström, 1982, n o 810, repr. Il reste à identifier le frontispice correspondant à un dessin d’esprit comparable ( N M 1598/1875 ; Bjurström, 1982, n o 811) et de même provenance (le sculpteur Sergel). 7 Le dessin à la pierre noire – avec une annotation non autographe à l’encre brune donnant la date de 1738 – a été vendu à New York, Sotheby’s, le 25 janvier 2012, n o 63, repr. Un amateur – peut-être le monteur Glomy, dont la marque était sur l’ancien montage – colla adroitement sur la place laissée libre par la draperie un dessin à la pierre noire de Boucher représentant un génie enfant dessinant un buste de jeune fille. 8 La gravure est d’Augustin de Saint-Aubin : voir Bocher, 1879, n o 564, p. 161. Lagarde était « Maître de Musique en survivance des Enfants de France, Compositeur de la Chambre, et Ordinaire de la Musique de Sa Majesté ». 9 Cohen, 1912, p. 121. 10 Le catalogue de la vente après décès de Bouchardon, publié en novembre 1762, est disponible en ligne sur le site de la bibliothèque numérique de l’ I N H A .

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fig. 75 edme bouchardon esquisse du frontispice des

Tr a n s a c t i o n s p h i l o s o p h i q u e s vers 1740, sanguine s to c k h o l m , n at i o n a l m u s e u m , n m 1 5 9 6 / 1 8 7 5

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l e s C r i s d e Pa r i s

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L e s C r i s d e Pa r i s

édouard kopp

e n t r e 1 7 3 7 e t 1 7 4 6 , le comte de Caylus et le graveur Étienne

sur la classe laborieuse dans le Paris du x v i i i e siècle. Ces « portraits

Fessard publient, avec l’aide de l’éditeur François Joullain, une série

anonymes » sont d’autant plus forts qu’ils montrent des personnes

de soixante gravures, d’après des dessins d’Edme Bouchardon, intitulée

réelles – plutôt que des types, comme c’était souvent le cas dans

Études prises dans le bas Peuple ou Les Cris de Paris. Ce projet est le fruit

les Cris de Paris – avec une immédiateté étonnante.

d’une étroite collaboration entre Caylus, qui semble en être l’instigateur,

Les gravures de cette sorte, dont l’origine remonte au x v i e siècle,

et notre artiste, qui en fournit les nombreux dessins. Mis à part le Traité

doivent leur nom aux cris que les petits marchands de rue avaient coutume

des Pierres Gravées de Pierre Jean Mariette [voir c at. 116 à 119], que

de pousser pour signaler les biens et les services qu’ils étaient en mesure

Bouchardon devait illustrer quelques années plus tard, Les Cris de Paris

d’offrir au tout-venant. Ce genre était très en vogue chez les artistes

sont sa contribution la plus conséquente à un projet pour la gravure.

et les collectionneurs à la fin des années 1730 – moment où les sujets

En 1765, le graveur Jean Georges Wille note clairement que Bouchardon

de genre dans la veine nordique connurent un engouement renouvelé.

a fait les dessins pour le comte de Caylus, qui, dès le départ, a dû vouloir

Quelques mois avant que ne soit publiée la première suite d’après

les graver 1. Il s’agit de la deuxième suite de ce genre la plus collectionnée

Bouchardon, Gabriel Huquier publia une suite de douze Cris de Paris

au

x v i i i e siècle,

gravés par Simon François Ravenet et Jacques Philippe Le Bas d’après

après l’édition de 1740 des Arti di Bologna de Carrache

par Giovanni Mitelli 2, et l’une des séries gravées les plus fameuses

des dessins de François Boucher 5 (fig. 82). Cette série a pu encourager

de l’époque ; les dessins originaux, en revanche, qui sont conservés

Caylus et Bouchardon à créer leur propre série, qui, en fin de compte,

au British Museum, ont longtemps été

méconnus 3.

s’avère nettement plus ambitieuse par sa taille et beaucoup plus originale

L’importance des

par son approche. La série de Bouchardon s’insère dans la tradition

Cris de Paris de Bouchardon a été soulignée par des études récentes, dont celles de Vincent Milliot et de Katie

Scott 4.

française de la gravure de genre, de Jacques Callot (1592-1635) à Abraham Bosse (1604-1676), jusqu’aux Figures de Différents Caractères d’après

La série regroupe cinq suites de douze estampes. Chaque suite débute par une page de titre [voir c at. 122–1g, 122–13g, 122–25g, 122–37g et 122–49g] et chaque estampe décrit un petit métier de rue qui est représenté au travers d’une figure seule, vue de près, portant les vêtements et les ustensiles typiques de sa profession. Les dessins, et les gravures qui en dérivent, constituent un témoignage poignant

1 Voir Wille, 1857, I , p. 305-306 : « les soixante desseins que M . Bouchardon avait dessinés... [représentant les Cris de Paris] pour M . Le Comte de Caylus ». 2 Voir Milliot, 1995, p. 109-110. 3 Alphonse Roserot les croyait perdus (voir Roserot, 1895b, p. 22), alors que les dessins étaient en fait au British Museum depuis 1857. La publication d’un bref article par Karl Theodore Parker (Parker, 1930) permit de signaler leur existence. 4 Voir Milliot, 1995 ; Scott, 2013 ; et Kopp, 2017, chap. I I . 5 Voir Jean-Richard, 1978, n os 1516 à 1521, 1334 à 1338. Cette suite fut annoncée dans le Mercure de France en mai 1737, p. 997. 6 Wille, 1857, I , p. 305-306. 7 Au sujet des contre-épreuves et de leur provenance, voir Rosenberg et BarthélemyLabeeuw, 2011, I , n os F 869 à F 928, p.276-298. 8 Vingt des contre-épreuves sont localisées : onze sont au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg ( O R 25327 à O R 25329, O R 25331, O R 43644, O R 47335 à O R 47340), huit au musée d’Art et d’Histoire de Cholet (inv. 985.015 à 985.022), une au musée des Beaux-Arts de Dijon (inv. 2002-3-42). 9 Sur ce sujet, voir cat. exp. Washington, 2003-2004, et cat. exp. Valenciennes, 2006-2007. 10 Achetés des moulins, sanguine, H . 0,236 ; L . 0,183, Tournus, musée Greuze, inv. 2003.2.3. Ma belle Salade, sanguine, H . 0,235 ; L . 0,177, Quimper, musée des Beaux-Arts, inv. 873-2-18. 11 Voir Jean-Richard, 1978, n o 1517, repr. 12 Nous signalerons aussi un dessin, anciennement dans la collection de François Basan et non localisé, connu d’après une gravure en manière de sanguine par Petit. 13 Sur les tensions d’ordre esthétique et social dans l’approche de Bouchardon et Caylus, votre notre étude intitulée « Drawing between High and Low. Bouchardon’s Cris de Paris (c. 1737) », dans Kopp, 2017, chap. I I .

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fig. 82 françois boucher

L a Ve n d e u s e d e n o i s e t t e s a u l i t r o n 1737, sanguine et graphite, h. 0,265 ; l. 0,180 p a r i s , m u s é e d u l o u v r e , d é p a rt e m e n t d e s a rt s g r a p h i q u e s , r f 5 5 3 1 4

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la fontaine de Grenelle

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La fontaine de Grenelle

guilhem scherf

« La principale occupe le milieu et représente la Ville de Paris, sous

l a c o n c e p t i o n e t l a r é a l i s a t i o n de la fontaine de la rue de Grenelle 1 représentent un point d’équilibre capital dans le parcours

la figure d’une femme assise dans un trône placé sur un socle circulaire.

artistique de Bouchardon (voir p. 228 et 229). Création monumentale

Elle sera richement vêtue et l’on fera en sorte que son attitude inspire

majeure dans l’urbanisme parisien, aboutissement raisonné de réflexions

la majesté ; d’une main elle tiendra une proue de navire sur laquelle

multiples sur la fontaine sculptée en tant que genre autonome et mani-

elle s’appuiera ; elle aura l’autre bras replié et appuyé sur le côté et sur

festation sonore d’une esthétique régénérant la référence antique, l’œuvre

la tête, elle portera une couronne murale. De chaque côté de cette figure

a marqué les contemporains de l’artiste et suscité des débats passionnés.

sont deux autres figures, couchées. Celle à droite représente la rivière de Seine ; on lui a fait regarder la Ville de Paris avec une satisfaction

La commande et les principaux documents

mêlée de surprise. La rivière de Marne est représentée de l’autre côté,

Dès le début du x v i i i e siècle, l’administration de la Ville de Paris

uniquement occupée du soin de répandre ses eaux bienfaisantes dans

projetait de construire une fontaine monumentale dans le faubourg

la ville, d’y procurer l’abondance et d’y faire fleurir le commerce.

Saint-Germain, un quartier qui s’urbanisait rapidement et où il fallait

Ces trois figures, qui seront de sept pieds de proportion [2,275 m], seront

organiser la distribution des eaux. En 1739, les échevins 2 décidèrent

exécutées en marbre 6, de même que les roseaux en bas-relief qui leur

finalement d’acheter, rue de Grenelle, un terrain appartenant au couvent

servent de fond […]. Le reste des sculptures, qui ne consistent qu’en

des Récollettes. Contrairement aux usages établissant que le maître

ornemens… sera exécuté en pierre […], à l’exception toutefois de deux

des bâtiments de la Ville fournissait les plans, les élévations et les

mascarons, qui jettent l’eau de la fontaine, lesquels seront en bronze 7. »

devis d’une construction hydraulique 3, les échevins s’adressèrent

Le 23 décembre 1739, un second marché accompagné d’un devis

à Bouchardon, sculpteur du Roi. Le 6 mars 1739, un premier marché

s’élevant à 32 667 livres fut soumis aux édiles. Bouchardon y traitait

fut rédigé à la suite du devis présenté par Bouchardon, lequel devis

des deux ailes : « L’on a ajouté deux ailes de bâtiment qui soutiennent la fontaine

était précédé d’une description de la main de l’artiste. Un plan et une élévation étaient joints au

devis 4.

Le chiffre convenu, 49 518 livres,

et lui donnent un air de magnificence qu’elle n’avait point. [On souhaite]

ne concernait que la partie centrale du monument, alors seule

y placer dans des niches quatre figures des Génies des Saisons, représentés,

envisagée. Voici la description donnée par Bouchardon :

ainsi qu’ils le sont sur des médailles, par des jeunes gens ailés qui portent des fruits qui croissent dans chaque saison. On a eu par là le dessein

« La fontaine dont on produit le dessein consiste dans un corps de bâtiment sur trois faces, dont la principale qui se présente sur

de montrer que l’abondance qui règne dans Paris ne souffre aucune

la rue a vingt et un pieds de largeur [6,825 m] et trente-sept d’élévation

interruption durant tout le cours de l’année. Il restait des espaces vides

[12,025 m] divisée dans sa hauteur en deux parties. La première qui sert

au-dessous de ces niches : l’on y a introduit des bas-reliefs où l’on exprime

comme de base à la seconde, est un grand socle d’architecture rustique,

des jeux d’enfants qui ont rapport au sujet que représente la statue qu’ils

orné de refends dans toute son étendue [… Elle forme] dans son milieu

accompagnent 8. » Il est précisé que les statues et les bas-reliefs doivent

un corps avancé en tour ronde 5 ; au-dessus s’élève un second corps

être exécutés en pierre de Tonnerre.

d’architecture, décoré de colonnes et de pilastres d’ordre ionique […].

Un marché particulier du 13 mars 1741 prévoyait que le sculpteur

Tout l’édifice est terminé par un fronton […]. Le second corps

Cayeux s’engageait envers Bouchardon à exécuter en pierre au milieu

d’architecture est posé en retrait [laissant un espace] pour y placer

du fronton un cartouche aux armes du roi (détruit sous la Révolution)

les figures qui doivent servir à l’embellissement de cette fontaine.

et deux cartouches aux armes de la Ville 9. Les chapiteaux des colonnes

1 « A la réserve de l’emplacement qu’il n’a pas choisi, l’ouvrage est entièrement de lui, et même l’architecture » (Caylus, 1762, p. 53). 2 Michel Étienne Turgot, prévôt des marchands, entretenait des relations amicales avec Bouchardon. Il lui écrit le 16 novembre 1747 : « Adieu, mon cher amy, je vous embrasse de tout mon cœur » (Arch. Chaumont, 89-4-20 ; cité par Roserot, 1902, p. 362). 3 Massounie, 2008, p. 59. 4 Le dessin de ce premier projet de Bouchardon est reproduit dans Massounie, 2009, p. 76. 5 C’est là que se trouve le réservoir de la fontaine. 6 Les marbres vont provenir des magasins du Roi. 7 A N , H 2 2023, devis du 6 mars 1739 – A N , F 14 187 A – Roserot, 1902, p. 355 ; Massounie, 2008, p. 60, 63. Copie aux Arch. Chaumont, inv. 89-4-14. 8 A N , H 2 2023, marché du 23 décembre 1739. Massounie, 2008, p. 61. Copie aux Arch. Chaumont, inv. 89-4-15. Il est prévu que Bouchardon reçoive 3 000 livres pour son nouveau dessin, « les épures qu’il a tracées en grand sur la muraille du couvent des Jacobins » et divers travaux (Massounie, 2008, p. 66). La Ville fera construire dans son atelier « la charpente nécessaire pour y modeller en grand la partie inférieure de la fontaine et les figures de la Ville de Paris, de la Seine et de la Marne ». Le catalogue de sa vente, en novembre 1762, mentionne des œuvres préparatoires qu’il avait gardées jusqu’à sa mort (et qui furent dispersées du 1 er au 9 décembre) : n o 16 : « Le modèle du grouppe principal de la fontaine rue de Grenelle, faite par M . Bouchardon, dont les figures sont en cire et l’architecture en bois, portant 2 pieds 8 pouces de larg. sur 2 pieds de haut [ H . 0,640 ; L . 0,840] », acquis pour 12 livres 10 sols par Vassé (vente après décès de ce dernier, 20 janvier 1773, n o 20) [l’inventaire après décès mentionne

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9 10 11 12 13

14 15 16

17

deux modèles en cire et architecture en bois] ; n o 17 : « L’élévation et la représentation entière en carton de la dite fontaine, de 4 pieds de large sur 18 pouces de haut [ H . 0,490 ; L . 1,300], acquis pour 120 livres par Tassaert. Roserot, 1910, p. 55. Parfait paiement reçu de Bouchardon le 24 juillet 1740 : Arch. Chaumont, inv. 89-4-12. Mariette, 1853-1862, I , p. 288. A N , F 14 187 A , mémoire « Fontaine de Grenelle » commenté par Dominique Massounie, 2008, p. 66 et 67. Les dimensions des œuvres sont données par Roserot, 1902, p. 358, d’après les mesures prises par l’Inventaire des richesses d’art de la France. Paris, Monuments civils, I , 1880, p. 201-202. L’édifice mesure 11,60 m de hauteur et 29 m de longueur. La Ville de Paris : H . 1,50 m ; La Seine : H . 1,00 ; L . 2,20 m ; La Marne : H . 1,00 ; L . 2,40 m. Chaque Génie : H . 2,10 m. Chaque bas-relief : H . 1,16 ; L . 2,90 m. Bouchardon reçut en gratification exceptionnelle une pension de 1 500 livres : A N , K 1058 (Massounie, 2008, p. 61) ; Mariette, 1746, p. 112. Fleury s’était fait présenter la maquette en carton de la fontaine établie d’après les dessins de Bouchardon : Arch. Chaumont, inv. 89-4-11. La rédaction du texte en latin rendait cependant incompréhensible pour le passant cette « nouvelle forme de monument triomphal, célébrant avec discrétion un triomphe clamé avec modestie » (Massounie, 2008, p. 59). Mariette, 1746, p. 95-99 ; Blondel, 1752, p. 227-228 ; Roserot, 1902, p. 360-361. Les inscriptions sont aussi données par plusieurs guides parisiens : Piganiol de la Force, 1765, V I I I , p. 108, 333 ; Hurtaut et Magny, 1779, I I I , p. 80-81.

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et des pilastres en pierre de Conflans furent confiés à un autre sculpteur,

commanditaires et se terminait par la fière signature de l’artiste reven-

de Bruyer 10. Mariette signale un autre collaborateur de Bouchardon sur

diquant la conception et l’exécution de l’œuvre, bâtiment et décor : « Cette

le chantier de la fontaine : le Flamand André Buttel 11.

fontaine a été construite sur les desseins d’Edme Bouchardon, Sculpteur du Roi, né à Chaumont en Bassigny. Toutes les statues, bas-reliefs et

Le chiffre total des marchés s’élevait à 82 185 livres. La Ville prenait

ornemens ont été exécutés par lui » 17. La fontaine fut remarquablement

à sa charge, dans le premier marché, la fourniture du marbre et de la pierre, les transports et les frais nécessités par la pose, soit environ

20 000 livres 12.

gravée à l’eau-forte par Marguerite Louise Amélie de Lorme du Ronceray

Bouchardon assumait dans le second marché les frais des sculpteurs et

et achevée au burin par Jean-Baptiste Tilliard, en six feuilles, d’après les

des ouvriers devant l’assister. Il est intéressant de noter les sommes qu’il

dessins mêmes de Bouchardon 18 (fig. 85). Cet ensemble gravé avec finesse

reçut pour les principales sculptures, connues par les devis. Pour les statues

et sensibilité des éléments du décor sculpté de la fontaine se différencie

en marbre et leurs petits modèles : 12 000 livres pour La Ville de Paris,

des visions d’ensemble un peu solennelles du monument d’architecture,

10 000 livres chacune pour La Seine et La Marne. Pour les sculptures en

comme la grande planche gravée par Babel dans L’Architecture françoise

pierre de Tonnerre (les modèles payés globalement 3 000 livres) : 3 000 livres

de Blondel [c at. 123] ou celle gravée sous la direction de Benard publiée

pour chaque Génie des Saisons, 2 400 livres pour chaque bas-relief 13.

en 1762 dans le Recueil de planches de l’Encyclopédie.

La fontaine fut terminée en

1745 14.

Une inscription en latin rédigée

par le cardinal de Fleury 15 plaçait le monument sous la protection de

Le plaidoyer de Mariette

Louis XV pacificateur. C’était célébrer la fin de la guerre de Succession

Dès l’achèvement de la fontaine, l’ami Mariette fit paraître (anonymement)

1738) 16.

une brochure intitulée Lettre de M . M xx à un ami de province, au sujet de la

de Pologne et la signature du traité de Vienne (le 18 novembre

Une deuxième inscription, écrite en français, citait les échevins

18 Les six estampes, numérotées en haut à droite, sont notamment conservées au musée du Louvre, collection Edmond de Rothschild, inv. 21508 L R . La première montre les trois statues en marbre avec la lettre suivante sous le sujet : « Bouchardon Inv – L A F O N T A I N E D E G R E N E L L E – Marg te Lud ca Am da de L me du R … sculpsit aquâ forti / Gravée à l’Eau forte en six feuilles par Marg te L se A mée de L me du R …, terminée au Burin, par J B Tilliard ; d’après les Esquisses d’Edme Bouchardon, Sculpteur du Roi. Se vend à Paris chez Fessard, / Graveur du Roy et de sa Bibliothèque, rue S t Honoré, chez M r le Noir, Notaire, et a la Bibliotheque du Roy, Rue de Richelieu A . P . D . R . » Les cinq autres feuilles sont sans lettre (hormis les numéros).

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nouvelle fontaine de la rue de Grenelle, au fauxbourg St Germain des Prez,

fig. 85 m a r g u e r i t e l o u i s e a m é l i e d e l o r m e d u r o n c e r ay d’après Edme Bouchardon

L a Fo n t a i n e d e G r e n e l l e : g r o u p e c e n t r a l a v e c l a Vi l l e d e Pa r i s , l a S e i n e e t l a M a r n e eau-forte et burin p a r i s , m u s é e d u l o u v r e , d é p a rt e m e n t d e s a rt s g r a p h i q u e s , c o l l e c t i o n e d m o n d d e r ot h s c h i l d inv. 21508 l.r.

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La fontaine de Grenelle

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compositions profanes

261

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Compositions profanes

édouard kopp

d u f a i t d e l e u r v a r i é t é et de leur inventivité, les compositions

Homère [c at. 179] avant 1750 6. Il était en effet très séduit par l’univers

profanes occupent une place très significative dans l’œuvre de

du poète grec. Comme le relate Caylus, « ce grand Artiste venoit de lire

Bouchardon. Elles traitent de sujets aussi divers que l’allégorie, le mythe

Homere dans une vieille & détestable traduction françoise ; il me dit,

et la fable, l’histoire ancienne, ou encore les arts décoratifs [c at. 178],

les yeux pleins du feu dont sa tête étoit remplie : Depuis que j’ai lû ce Livre,

la caricature [c at. 195 et 196] et le monde animal. Les œuvres regroupées

les hommes ont quinze pieds, & la Nature s’est accrue pour moi. Je doute

dans cette section datent essentiellement des années 1730 et 1740. Durant

qu’il y ait un exemple plus frappant du génie qui parle au génie, & qui

cette période, l’artiste s’investit beaucoup dans la création de compositions

surmonte de pareilles barrieres 7 ». Autre exemple de source littéraire

profanes qui sont principalement – mais pas seulement – des œuvres

peu employée par les artistes au x v i i i e siècle, le Songe de Poliphile

autonomes. Il en exposa plusieurs au Salon, entre 1737 et 1746, dont

(Venise, 1499), un mystérieux roman allégorique et érotique par Francesco

des dessins [voir c at. 163 et 164] et des modèles en terre cuite [c at. 168

Colonna, dont Bouchardon tira au moins un sujet [voir c at. 188].

et 169] pleins de verve. Par ailleurs, il diffusa nombre de ses inventions

Hormis le dessin d’histoire, l’artiste affectionnait tout particulière-

par la gravure, grâce à sa fructueuse collaboration avec le comte de Caylus

ment le genre de la fontaine, qui lui permettait de combiner la sculpture,

et Étienne Fessard [voir c at. 184 et 185], ce qui lui permit d’établir sa

l’architecture, l’ornamentation et l’élément de l’eau en une œuvre d’art

réputation d’inventeur et donneur de modèles prolifique. Ses compositions

totale. Il semble qu’il ait commencé à s’y intéresser très sérieusement

reflètent une ambition dans deux domaines en particulier : le dessin

à partir du moment où il participa à la compétition pour la rénovation

d’histoire et la

fontaine 1.

de la fontaine de Trevi 8 [voir c at. 55]. À Rome, il imagina d’autres projets

Dès sa période romaine, Bouchardon entreprit de dessiner des séries

qui restèrent au stade de « fontaines de papier » [voir c at. 172]. Entre Rome

allégoriques, dont un étonnant groupe de Vents [voir c at. 150 à 156], puis

et Paris, Bouchardon eut en tout une trentaine d’idées de fontaines, dont

un autre représentant les différents Âges [c at. 157 à 161], qu’il mit en

deux seulement virent le jour : trois groupes pour le bassin de Neptune

chantier dans la Ville éternelle et compléta une fois de retour à Paris 2. Il se

à Versailles [c at. 189 et 190] (Génie enfant chevauchant un poisson)]

familiarisa ainsi avec le vocabulaire codifié de l’allégorie et apprit à jouer

et la fontaine de Grenelle à Paris [c at. 123 à 150]. Parmi ses projets non

admirablement des similarités et des différences entre les compositions

réalisés, certains étaient destinés à un contexe urbain [voir c at. 177],

d’une même série, qu’il s’agisse des cinq continents ou des cinq sens 3.

mais la plupart avaient vocation à agrémenter des jardins de plaisance

La fable et le mythe, dont il appréciait la richesse et l’ingéniosité,

ou des parcs [c at. 174 et 175]. Ces dessins ont été traditionnellement datés

lui permirent de donner libre cours à son génie et de composer

entre 1730-1732, alors que l’artiste travaillait à son projet pour la fontaine

de véritables petits tableaux à la sanguine dans la grande manière de

de Trevi, et 1745, année qui correspond à l’achèvement de la fontaine

la peinture

d’histoire 4,

avec laquelle il entendait rivaliser sans pour autant

de Grenelle 9. Or il y a lieu de penser qu’il a continué à dessiner des

profiter des avantages de la couleur. Grâce au dessin, il put expérimenter

fontaines après cette date. Ses connaissances dans ce domaine lui valurent

allégrement, libre des contraintes matérielles, mais pas nécessairement

en effet de contribuer à l’édition de 1747 de La théorie et la pratique du

affranchi des exigences d’un commanditaire [voir c at. 166]. Il s’attaqua

jardinage par Antoine Joseph Dezallier d’Argenville (1680-1765), auteur

aux grands thèmes de la mythologie, puisant des sujets dans les sources

connu par ailleurs pour son activité de naturaliste et de collectionneur 10.

littéraires communément utilisées par les artistes de son temps, telles

Publié pour la première fois en 1709, cet ouvrage était alors un classique

que les Métamorphoses d’Ovide [voir c at. 171], dont il possédait plusieurs

de la théorie et de la pratique du jardin. L’édition de 1747, entreprise

éditions. Mais il s’efforça aussi de renouveler ses thèmes d’inspiration

par Mariette, est complétée par plusieurs illustrations de fontaines

en cherchant des sujets moins connus, voire savants. Il fut encouragé

(fig. 93) d’après des dessins de Bouchardon manifestement inventés

à cet égard par son ami le comte de Caylus, qui poussait les artistes en

par ce dernier 11. La Fontaine du Génie (fig. 94), par exemple, est ainsi

général à mieux connaître la poésie

antique 5,

et par ses contacts avec

décrite dans l’ouvrage : « un corps d’Architecture chargé de panneaux

les savants de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Bouchardon

rustiqués, formant une portion circulaire sur les extrêmités de laquelle

représenta, par exemple, plusieurs sujets tirés des Fastes – œuvre

sont placés deux Lions qui jettent de l’eau dans un petit bassin situé

relativement méconnue d’Ovide –, les Fêtes Lupercales [voir c at. 163]

au milieu d’un plus grand. Il s’élève de ce petit bassin un piédouche

et les Fêtes de Palès [c at. 164], de même que Rhéa abusant Saturne

orné de trois Dauphins jettant quelques filets d’eau, sur lequel est

[c at. 162]. De plus, il fut l’un des rares artistes en France à illustrer

un enfant qui supporte une coupe de plomb d’où s’élance un jet d’eau

1 Un autre domaine dans lequel il nourrit des ambitions durant cette période est l’art funéraire. Cet aspect est traité dans une section à part de ce catalogue. 2 Ce fait a été établi par Juliette Trey ; voir cat. 157 à 161. 3 Il explorera cette dimension dans la série de soixante estampes des Cris de Paris ; voir cat. 122. 4 Sur les dessins mythologiques de Bouchardon, voir Melchior-Durand, 1997. 5 Voir Caylus, 1757, p. I - I I I . 6 Voir Wiebenson, 1964. 7 Caylus, 1757, p. 277.

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8 Voir Kopp, 2008. 9 Voir Weber, 1970, p. 198 ; cat. exp. Paris, 1974-1975b, n o 20, p. 20 ; Sulerzyska, 1988, p. 107 ; Kopp, 2008, p. 75, note 18. 10 Dezallier d’Argenville possédait plusieurs dessins de Bouchardon, dont Diane au bain (cat. 187] ; voir sa vente, Paris, 1779, lots 361 à 364, 552 et 553. 11 Ce fait méconnu a été noté par Sabine Cartuyvels ; voir Dezallier d’Argenville, éd. 2003, p. 635-636. 12 Voir Dezallier d’Argenville, éd. 2003, p. 547.

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compositions religieuses

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Compositions religieuses

guilhem scherf

e d m e b o u c h a r d o n a t r a i t é de l’art religieux dès le début de sa

il associa étroitement son fils Edme. Cette composition est la première

carrière. Il suivit en cela l’exemple de son père, Jean-Baptiste Bouchardon,

sculpture connue de ce dernier [c at. 199 ; fig. 110]. Installé à Paris en 1722, élève de Guillaume Coustou qui lui accorda

dont la célébrité en tant que sculpteur était fondée sur son abondante production de retables et de mobilier d’église (citons en particulier

son billet de protection afin qu’il puisse suivre l’école du modèle à

la chaire, le banc d’œuvre et l’autel-retable de la collégiale Saint-Jean-

l’Académie royale, Bouchardon va traiter un autre sujet religieux pour

Baptiste de Chaumont, exécutés de 1700 à 1710, et l’imposant retable en

le grand prix de sculpture, Gédéon choisissant ses soldats en observant

pierre de la chapelle des Ursulines à Chaumont, qui le fut de 1712 à 1716).

leur manière de boire, qu’il obtint la même année. Aujourd’hui disparu,

Responsable du dessin d’ensemble de ces retables, Jean-Baptiste en

mais heureusement connu par deux surmoulages en plâtre 3, le bas-relief

confiait en partie l’exécution à l’atelier, la dorure et la polychromie étant

se situe dans la veine de celui de Saint-Étienne à Dijon : une composition

confiées le plus souvent à sa fille Jacquette 1. Désigné « maître sculpteur »

explicitement narrative, avec une gestuelle expressive poussée menée

en 1698 à la naissance d’Edme, puis sculpteur de la ville de Chaumont

par des personnages nettement dessinés sur un fond laissé nu (fig. 108). Durant son séjour à Rome, Bouchardon va copier de nombreuses

en 1702, il est aussi nommé architecte de cette ville en 1709 et « maître

œuvres à sujet religieux, aussi bien des peintures que des sculptures.

architecte » à partir de 1713. « C’est que Bouchardon se voulut d’abord sculpteur 2. »

C’est à ce titre que Jean-Baptiste

« Je modelle et dessine tous les jours d’après les belles choses. Je m’exerce

proposa dès 1716 un projet de façade pour l’église Saint-Étienne de Dijon.

de temps en temps le génie à faire des esquises en dessein et en terre dans

S’il échoua – la façade fut construite de 1719 à 1721 selon le projet de

le goût de ce païe ici autant que je le puis 4. » Les carnets de la Pierpont

Martin de Noinville, architecte des Bâtiments des États et inspecteur des

Morgan Library, les contre-épreuves de la Bibliothèque royale de

Ouvrages publics de la ville de Dijon –, il obtint cependant la commande

Stockholm et le fonds des dessins du Louvre témoignent de son intérêt

du bas-relief pour le tympan, le Martyre de saint Étienne, à laquelle

aussi bien pour les artistes du passé que pour les grands ensembles

architecte, et pas seulement

1 Ronot, 2002, I , p. 32, 35. 2 Ronot, 2002, I I , p. 38. 3 Musée d’Art et d’Histoire de Chaumont (Schwartz E., 2010, p. 15, fig. 7) et Paris, E N S B A (Schwartz E., 2003, p. 140, repr). 4 Lettre d’Edme à son père, le 8 janvier 1726 : Dautrey et Mercier, 2010, p. 226. 5 Voir dans le présent ouvrage l’essai d’Anne-Lise Desmas « Edme Bouchardon à Rome ». 6 Lours, 2014, chap. I V , p. 48-61. 7 Brice, 1752, I I I , p. 448. 8 Le texte entièrement écrit de la main de Bouchardon est reproduit par Roserot, 1910, pl. X X I X . Bouchardon s’engage à mouler ses modèles en plâtre, pour la somme totale de 2 000 livres. 9 Brice, 1752, I I I , p. 449. 10 Caylus, 1762, p. 46-47. 11 Gougenot, 1748, p. 37-38. 12 Voici le texte de la lettre sous le sujet : « Peint d’après le Modèle par J. Chevallier 1735 – Gravé par D. Sornique 1744 / La Sainte Vierge / Exécutée en Argent d’après le modèle d’Edme Bouchardon, Sculpteur du Roy / Dédiée à Mess re Jean Bapt. te Joseph Languet de Gergy, Docteur de Sorbonne, Curé de S t Sulpice / Cette élégante Statue, haute de 6 pieds [1,950 m], et posée sur une Base de 8 pouces [0,216 m] enrichie de Pierres précieuses, a été faitte / pour être placée dans la superbe Chapelle de la S te Vierge de l’Eglise paroissiale de St Sulpice de Paris […]. » L’estampe est annoncée dans le Mercure de France en octobre 1744, p. 2256. 13 Citons une huile sur toile du X V I I I e siècle dans le couvent des Capucins à Cognac. L’orfèvre et bronzier Louis Isidore Choiselat exécuta une réduction en argent pour Saint-Sulpice en 1832 (Pauly, 2008, p. 330, fig. 17a ; Lours, 2014, p. 58, fig. 25). 14 Mariette possédait une terre cuite bronzée, H . 14 pouces (37,8 cm), « d’un des Anges qui soutient un livre » (sa vente, 15 novembre 1775 – 30 janvier 1776, n o 46), et plusieurs versions en terre cuite de la Vierge (sa vente, n os 43 et 44 ; deux furent dessinées par Saint-Aubin : voir Mariette, 2011). 15 Gougenot, 1748, p. 32 ; Caylus, 1762, p. 45-46 ; Dezallier d’Argenville, 1778, p. 351. 16 Caylus, 1762, p. 49-51. Le modèle en cire est mentionné dans son inventaire après décès du 10 octobre 1765, n o 18 (Hattori, 2007, p. 64). 17 Inv. 23874, collection Mariette. Rosenberg et Barthélemy-Labeeuw, 2011, I , n o F 543, p. 191, repr. 18 Voir Guiffrey et Marcel, 1907a, p. 120-124 ; et dorénavant Trey, 2016, n os 311 à 323.

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fig. 108 d’après Edme Bouchardon

G é d é o n ch o i s i s s a n t s e s s o l d a t s en observant leur manière de boire (1722), plâtre, fin du x i x e siècle c h a u m o n t , m u s é e d ’ a rt e t d ’ h i s to i r e

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art funĂŠraire

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Ar t f u n é r a i r e

guilhem scherf

b o u c h a r d o n f u t t r è s t ô t a p p e l é à s’intéresser au monument

Monuments français en mars 1794. On perd sa trace au x i x e siècle 14. Son

funéraire, un type de commande évident pour un sculpteur statuaire.

aspect nous est heureusement connu grâce aux dessins de deux visiteurs

Son père en exécuta peu mais fit quelques projets dont plusieurs dessins

suédois, Carl Wilhelm Carlberg (fig. 121) et Jean Eric Rehn 15.

nous gardent le souvenir 1. Comme pour le tympan de Saint-Étienne

Le dernier tombeau auquel travailla Bouchardon est celui consacré

de Dijon, où il associa tôt son fils à l’exécution du bas-relief [voir c at. 199],

à la mémoire de Joseph Jean-Baptiste Fleuriau d’Armenonville (1661-1728)

il fit participer Edme à celle du tombeau de Claude François Jehannin

et de son fils Charles Jean-Baptiste Fleuriau de Morville (1686-1732),

dans une chapelle de l’église Saint- Michel à Dijon. Ainsi que l’écrit

respectivement garde des Sceaux et secrétaire d’État chargé des Affaires

Yves Beauvalot 2, l’exécution de ce monument, achevée en 1720, doit

étrangères après l’avoir été à la Marine. L’œuvre, assez modeste, fut placée

revenir à Edme seul : il conçut le cadre architectural entourant le buste

dans la chapelle familiale dans l’église Saint-Eustache. Le monument

du défunt (une copie d’après Jean Dubois) et les deux génies funéraires,

« ne consiste que dans une urne double qui fait allusion à la mort du

comme le montre le dessin du musée de

Dijon 3.

père et du fils, arrivée à fort peu de distance l’une de l’autre. Cette

Durant son séjour en Italie, Edme va dessiner plusieurs tombeaux

urne de marbre est appuyée sur un très grand rideau qui porte les deux

en couvrant une large typologie, du mausolée de pape à la basilique

inscriptions : l’ouvrage n’est que de pierre ; mais l’ornement ne peut

Saint-Pierre aux monuments plus modestes avec simples bustes 4. Il ne put

être mieux entendu ; et Bouchardon n’a pu tirer un autre parti du peu

hélas pas exécuter son magnifique projet de monument à Clément XI ,

de dépense que l’on vouloit faire 16 ». Le monument, mentionné dans

heureusement connu par un dessin au musée de Mayence [voir c at. 54].

les guides de Paris 17, a disparu. Il est possible qu’un dessin anonyme

Peu de temps après son retour en France, Bouchardon va être sollicité pour faire le tombeau du chanoine Charles de La Grange-Trianon, conseiller

conservé au musée Carnavalet nous en propose une illustration 18. Comme on peut le constater, Bouchardon n’eut guère l’occasion

au Parlement et chanoine de la cathédrale Notre-Dame de Paris, mort

de sculpter des monuments funéraires, contrairement à ses contemporains

le 10 juillet 1733. Le marché fut signé le 10 avril 1736, et Edme en fêta

Lemoyne et Pigalle ; et malheureusement pour lui, ses deux projets

la signature en compagnie de Mariette et de sa

femme5.

Selon les termes du

devis et du marché6, Edme devait exécuter sur le tombeau7 la figure du défunt en marbre « prosterné devant un

prie-Dieu »8,

en demi-relief et de grandeur

les plus importants – le tombeau de Clément XI et celui du cardinal de Fleury – ne purent être exécutés en grand. Mais sa veine créatrice s’exprima avec liberté par le dessin. Il conçut des « monuments de papier »

naturelle ; ainsi qu’un bas-relief au-dessus portant le nom de Jésus dans

ambitieux, intégrant sa connaissance du vocabulaire architectural

une gloire, aussi en marbre. Bouchardon devait aussi concevoir le cartouche

et des références à la grande statuaire à des projets utopiques de haute

portant les armes de La Grange, ainsi que « l’urne sépulcrale posée au haut

volée [voir c at. 215 à 217].

de la

composition »9.

« Il fit tous les desseins, il exécuta même plusieurs

parties de la décoration10 », mais finalement le projet fut abandonné11. Bouchardon fut plus heureux avec une autre commande, le monument funéraire de la duchesse de Lauraguais, décédée le 26 août 1735, à l’âge de dix-neuf ans, à la suite d’un accident de cheval. Exécuté en pierre de Tonnerre et placé dans l’église Saint-Sulpice, « il exprime les regrets de la mort d’une jeune et jolie personne. Il est composé d’une seule figure de femme éplorée, et représentée dans l’abandon de la douleur. Elle est traitée de petite nature et appuyée contre une colonne sur laquelle on lit ces mots, tirés en partie d’Horace, Ut flos ante diem flebilis occidit 12 ». Les contemporains furent unanimes pour admirer l’élégance et la sensibilité de ce petit monument montrant une figure féminine éplorée, « beau comme le bel antique, aussi pur et aussi

sage 13 »,

l’une des premières

figures de pleureuses de l’art funéraire du x v i i i e siècle. L’œuvre fut enlevée de l’église sous la Révolution et transportée au musée des 1 Ronot, 2002, I , p. 224-225. 2 Beauvalot, à paraître. 3 Dijon, musée des Beaux-Arts, inv. 4000. Ronot, 2002, I , p. 106-108, fig. 79, et n o 57, p. 224. Le monument a disparu. 4 Voir dans le présent ouvrage l’essai d’Anne-Lise Desmas « Edme Bouchardon à Rome ». 5 Lettre d’Edme à son père, datée du 31 avril 1736 : Ronot, 2002, I I , p. 123. 6 Arch. Chaumont, inv. 2007.3.146. 7 Le tombeau servant de piédestal à la figure devait consister en « quatre pilastres en forme de consoles, cannelés ». 8 Selon un dessin approuvé au préalable par les commanditaires. 9 La somme totale était de 10 500 livres. 10 Caylus, 1762, p. 51. 11 La cassation du marché fut écrite le 24 octobre 1751 (Arch. Chaumont, inv. 2007.3.146). Bouchardon garda les 3 450 livres reçues en acompte comme solde de tout compte.

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fig. 121 carl wilhelm carlberg d’après Edme Bouchardon

Monument funéraire de l a d u ch e s s e d e L a u r a g u a i s ( 17 3 6 )

entre 1777 et 1782 pierre noire

g öt e b o r g ( s u è d e ) , r ö s s h k a m u s e e t rkm 39:36-64

12 Caylus, 1762, p. 47-48 « Comme la fleur avant le jour, digne d’être pleurée, meurt » (trad. d’après Horace). 13 Bachaumont, [1750] 1857, p. 421. 14 Le monument aurait été restitué à Saint-Sulpice en 1817, ou transporté à Saint-Denis. Il fut vu par Guilhermy dans la cour de l’École des beaux-arts à une date non précisée. 15 Scherf, 2007, p. 207-208, fig. 2 et 3. 16 Caylus, 1762, p. 48-49. 17 Le monument « consiste en une urne et quelques ornemens fort simples » (Dezallier d’Argenville, 1757, p. 189). 18 Paris, musée Carnavalet, D. 9244 : Scherf, 2007, p. 212-213, fig. 6. Les deux torches évoquent sans doute les défunts, la clé en bas à droite le garde des Sceaux, la rame en bas à gauche le ministre de la Marine.

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l ’A m o u r s e f a i s a n t u n a r c de la massue d’Hercule

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L’Am o u r s e f a i s a n t u n a r c de la massue d’Hercule

guilhem scherf

a u s a l o n d e 1 7 3 9 , Bouchardon exposa un « modèle en terre cuite

« L’ébauche a été faite par un élève sculpteur, servi par un garçon

d’une statue qui doit être exécutée en marbre pour le Roy, représentant

d’atelier, toujours sous la direction du s r Bouchardon. La figure étant

l’Amour qui, avec les armes de Mars, se fait un arc de la massue d’Hercule :

dégrossie, le s r Bouchardon ne s’en est point désemparé jusqu’à ce qu’elle

fier de sa puissance, et s’applaudissant d’avoir désarmé deux divinitez si

ait été terminée, ayant remanié le marbre totalement, et son scrupule

redoutables, le fils de Vénus témoigne, par un ris malin, la satisfaction qu’il

a été poussé jusqu’au point de ne pas se fier à ceux qui sont dans l’usage

ressent de tout le mal qu’il va causer 1 ». L’œuvre lui avait été commandée

de poncer et de polir les statues ; nonobstant la longueur et l’ennui de

par le directeur des Bâtiments du Roi, Philibert Orry, en compensation de

cette opération, craignant qu’on altérât les contours, dans le même point

l’abandon de l’exécution en marbre de la statue de Louis XIV 2. Le sculpteur

de vue, le s r Bouchardon s’est réservé tous les coups de trépan, comme

présenta au Salon de 1746 un nouveau modèle, en plâtre, expliquant dans

étant les plus difficiles et les plus risquables et ceux qui mettent le plus

le livret que celui de 1739 « n’était qu’un premier travail, qui ne donnait

d’esprit dans le travail du marbre.

que la pensée. Le modèle qu’on expose aujourd’hui est plus épuré ; tout

« Soutenu par l’espérance de plaire au Roi, il n’a été rebuté d’aucune

y est arrêté et fait d’après nature ; et c’est sur ce modèle que la statue de

des difficultés inséparables de l’exécution d’une statue de l’espèce de

grandeur naturelle, s’exécute en marbre pour le Roy 3 ». La perte de cette

celle-ci, dont presque toutes les parties sont en l’air, lui offrant à chaque

terre cuite de 1739 – que l’on ne peut pas identifier avec la médiocre

instant et à chaque coup d’outil de nouveaux dangers. De plus cette figure

petite réduction non autographe du musée de Bayonne 4 – ne nous permet

est isolée, conséquemment il n’y a aucune des parties qui n’ait dû et qui

malheureusement pas de nous représenter l’aspect de ce « premier travail ».

ne soit travaillée à fonds et au plus fini ; aussi peut-on dire que cette statue

Libéré après l’achèvement de la fontaine de Grenelle en 1745, Bouchardon

seule a exigé le même ouvrage qu’un groupe de plusieurs figures et qu’il

put en effet reprendre son projet et montrer un modèle plus abouti

a fallu mettre le temps à profit pour, dans l’espace de quatre ans deux mois,

au Salon de 1746. Peut-être pouvons-nous reconnaître ce modèle sur

achever un morceau de cette importance et aussi terminé.

le portrait du sculpteur peint par Drouais en 1758 [c at. 8 et fig. 123],

« Pendant tout ce temps, outre un élève sculpteur et un garçon

lequel modèle pourrait être celui de la collection Mariette, dessiné par

d’atelier, a été continuellement employé un serrurier pour forger

Gabriel de Saint-Aubin 5.

et tremper les outils que le marbre égrise à chaque instant […] 6. »

Un texte très précieux – une « proposition de paiement sur les fonds de l’exercice de 1750 » – fondé sur un mémoire de Bouchardon nous dévoile de manière très vivante les étapes de l’exécution de la statue, « ouvrage fait avec un soin extraordinaire ». Le grand intérêt de ce document mérite qu’il soit cité presque intégralement : « En 1740, cette figure fut ordonnée par M . Orry. En 1745, le s r Bouchardon

en commença les études, après s’être rempli de son sujet

et avoir assuré sa pensée par une première esquisse en terre. Un grand nombre de desseins d’après nature et d’après plusieurs modèles ont suivi, d’où a résulté un modèle en terre cuite de 2 piés de proportion [soit 65 cm], et un autre de 5 piés 1 /2 de haut [soit 1,79 m], tous deux entièrement faits par l’auteur. « Ces modèles ont été moulés. On en a tiré des plâtres entiers et par partie et, pour plus de perfection, on a aussi moulé des corps vivans, des bras, des jambes et autres parties, tous travaux indispensables à quiconque veut imiter la nature et ne se point égarer dans l’exécution en marbre, opérations qui ont occupé pendant plus de quinze mois un mouleur et deux manoeuvres. « Ces préparations faites, le travail de marbre a commencé au mois de juillet 1747 et a continué jusqu’au 12 mai 1750 que la statue s’est trouvée finie. 1 Sanchez, 2004, I , p. 222. 2 Le grand modèle en plâtre de la statue de Louis X I V , dont le parfait paiement date du 25 février 1739, fut brisé sur les ordres d’Orry, qui demanda « de travailler préférablement à une statue de l’Amour qui forme un arc de la massue d’Hercule » (Furcy-Raynaud, 1927, p. 46). La proposition de paiement à l’artiste sur les fonds de 1750 indique que la figure fut « en 1740 […] ordonnée par M . Orry » (Furcy-Raynaud, 1927, p. 50) : Bouchardon a ainsi anticipé de quelques mois, dans le livret du Salon, la commande officielle… 3 Sanchez, 2004, I , p. 223. S’agit-il du « modèle en petit de la statue de l’Amour […] jetté en plâtre » de la vente du peintre Charles Antoine Coypel, 27 mars 1753, n o 224 (acquis pour 55 livres) ? On remarque dans la même vente « La Tête de l’Amour », probablement un plâtre à en juger par la modicité du prix d’acquisition (30 livres 6 sols).

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fig. 123 françois hubert drouais

c at. 8 (détail) 4 La statuette du musée Bonnat à Bayonne ( H . 34 cm) est considérée à juste titre depuis 1930 comme une « répétition » et non comme une « esquisse » (Musée Bonnat, 1930, n o 455, pl. X LV ). Comme la terre cuite du musée des Beaux-Arts de Lille (Furcy-Raynaud, 1927, p. 52), elle ne peut être considérée comme autographe. 5 La terre cuite de la collection Mariette ( H . 12 pouces, soit 32,4 cm) fut vendue en 1775 (n o 53). Gabriel de Saint-Aubin en fit un superbe croquis sur un exemplaire du catalogue de la vente, conservé au Museum of Fine Arts de Boston : voir Mariette, 2011, n o 53. Elle fut acquise par le prince de Conti (sa vente, 8 avril 1777, n o 1268). Saint-Aubin le dessina à nouveau sur son catalogue de la vente, conservé à la B n F , département des Estampes. Voir Scherf, 2016, p. 14-15, fig. 6 et 7.

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le monument à Louis XV

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Le monument à Louis XV

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p a r u n e d é l i b é r a t i o n du 27 juin 1748, les échevins de Paris

se situer dans l’axe de la grande allée des Tuileries 4. Ange Jacques

décidèrent de faire ériger une statue à la gloire de Louis XV , sur un

Gabriel, Premier architecte, fut chargé par le roi de faire la synthèse

terrain que le roi devait choisir et d’après un modèle qu’il devait agréer 1.

entre les vingt-huit projets présentés : son travail définitif fut approuvé

Bouchardon fut désigné le

11 juillet 2.

par le souverain le 9 décembre 1755 5. La décision de Louis XV fut d’une

Un concours fut organisé sous

les auspices de l’Académie royale d’architecture afin de déterminer

importance capitale pour le développement de la capitale vers l’ouest.

l’emplacement à sélectionner. De nombreux projets furent élaborés dans

Elle était aussi innovante 6 : la situation du monument dans un milieu

différents endroits de la ville, jusqu’à ce que le souverain décide en 1750

non urbain, aux limites de la ville, « une place au milieu des champs » 7,

de donner le terrain situé entre le pont-tournant du jardin des Tuileries

fut critiquée par ceux qui ne concevaient pas que la statue royale pût être

et l’avenue des

Champs-Élysées 3.

installée à la campagne 8 : « [la place] n’ornait pas Paris, ce lieu n’ayant

Un plan gravé fut distribué aux

architectes afin qu’ils soumettent en 1753 de nouveaux projets adaptés

pas besoin d’ornement. Elle faisait dire que l’on mettait le roi dehors

à l’emplacement choisi, la seule condition étant que la statue devait

de Paris, comme s’il n’eût pas mérité 9 ». L’élaboration du monument fut longue. Bouchardon fit un nombre très important d’études préparatoires, dessinées et sculptées, avant de fixer

1 Roserot, 1897c, p. 196. 2 Arch. Chaumont, 2007.3.175. Il fut félicité par le directeur des Bâtiments du Roi, Lenormant de Tournehem, par une lettre datée du 19 juillet 1748 (Roserot, 1897c, p. 197). « Il fut arrêté qu’il serait donné ordre au sieur Bouchardon […] de faire plusieurs desseins de figure équestre de la personne de Sa Majesté, et quelques modèles d’iceux pour être en état de les présenter au Roi » : voir A N , H 1862 et H 2163. Ducros, 1982, p. 255. 3 Ducros, 1982. 4 Garms, 2002. 5 Patte, 1765, p. 120-121 ; Roserot, 1897c, p. 198. 6 Rabreau, 1998, p. 292. 7 Laugier, 1755, p. 168. 8 « La statue ne paroît que comme une mouche dans cette vaste plaine » (Mémoires secrets, 17 août 1772, V I , 1780, p. 173). 9 Croÿ, éd. 1906, p. 287 (août 1754). 10 Il avait notamment dans sa bibliothèque les ouvrages de Garsault (L’Anatomie générale du cheval ) et Ruini (L’Anatomie du cheval ) : catalogue de sa vente après décès, novembre 1762, n os 173 et 174. 11 Il possédait le livre de Boffrand décrivant les opérations de fonte de la statue équestre du Louis X I V de Girardon : catalogue de sa vente après décès, novembre 1762, n o 178. 12 Guiffrey et Marcel, 1907b. 13 Bouchardon écrivit dans son mémoire (précédant le marché d’octobre 1749) qu’il eut l’honneur de présenter au roi un « pe[tit] modèle en cire » : Arch. Chaumont 2007-3-183. Roserot, 1897c, p. 198, note 3. Le duc de Luynes signale que le 24 octobre 1748 à Fontainebleau le duc de Gesvres, gouverneur de Paris, et le prévôt des marchands Louis Basile de Bernage montrèrent à Louis X V et à la famille royale « un petit modèle en terre d’une statue équestre sur son piédestal » : Luynes, 1860-1865, I X , p. 109. 14 Roserot, 1897c, p. 198-200, repr. p. 201 ; Roserot, 1910, p. 101, repr. ; cat. exp. Chaumont, 1962, n o 120, non repr. Puis vente [Laillaut de Wacquant], Troyes, 17 mai 1987, repr. en couverture. Coekelberghs, 1991, n o 7, repr. 15 La terre cuite est actuellement sur le marché de l’art à Londres, où elle est proposée comme une œuvre de Jacques Philippe Bouchardon représentant Adolf Fredrik de Suède : encart publicitaire dans le Burlington Magazine, novembre 2014, repr. 16 Document non daté utilisé par Roserot lorsqu’il était chez les Laillaut de Wacquant (Roserot, 1897c, p. 200). Aujourd’hui Arch. Chaumont, 2007.3.183 (donation Laillaut de Wacquant). 17 Arch. Chaumont, 2007.3.183. Roserot, 1897c, p. 202. 18 A N , H 2163. Roserot, 1897c, p. 203. 19 Roserot, 1897c, p. 203. 20 Lettre de Natoire à Antoine Duchesne, prévôt des Bâtiments du Roi, le 28 mai 1752 : citée par Roserot, 1897c, p. 205. Mariette, 1768, p. 6. 21 Un piédestal en pierre de Saint-Leu fut construit au Roule en juin et juillet 1752 : Arch. Chaumont, 2007.3.192 (d’autres mémoires concernant le piédestal sous cette cote). 22 Note de Bouchardon : Arch. Chaumont, 2007.3.175. Roserot, 1897c, p. 206. 23 Si le Mercure de France parle du « grand modèle en plâtre » (juin 1753, p. 177), Luynes signale un « modèle en petit » : voir note suivante. 24 16 mai 1753 : Luynes, 1860-1865, X I I , p. 451. 25 Le 25 juin 1755, Louis X V à Versailles accorda à Bouchardon une séance de pose de « quelques heures » afin qu’il modèle en terre sa tête : Luynes, 1860-1865, X I V , p. 194. 26 Grimm s’en fit l’écho dans la Correspondance littéraire en janvier 1757 : Tourneux, 1878, I I I , p. 333. 27 Patte, 1765, p. 129. 28 Mariette, 1768, p. 127. 29 Cochin, éd. 1880, p. 87. 30 Selon Mariette (1768, p. 161), la hauteur totale de la statue équestre était de 16 pieds (14 pour Patte), soit 5,20 m ; et la figure du roi prise séparément de 12 pieds (= 3,90 m). La hauteur du piédestal était de 21 pieds, soit 6,80 m.

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sa composition et de l’exécuter en grand. Le fonds de dessins du Louvre fournit une documentation exceptionnelle sur la recherche de ses sources, qu’il faut compléter par l’étude de la bibliothèque de l’artiste (connue par son inventaire et sa vente après décès). Edme s’appuya sur une culture érudite – manuels d’anatomie du cheval 10 et de l’homme, traités des proportions, ouvrages techniques sur la fonte 11… –, mais aussi sur une compétence acquise en plusieurs décennies de travail – en particulier sur l’image du roi, l’anatomie – et sur une analyse renouvelée des modèles de monuments équestres, à commencer par ceux élevés à Paris à la gloire des Bourbons 12. Il semble que l’image complète du monument ait été fixée assez rapidement, si du moins l’on identifie la maquette de Besançon comme étant le projet soumis à l’approbation royale 13. Louis XV y est montré dans un costume à l’antique sur un cheval au pas, à l’instar du Marc Aurèle antique du Capitole, du Louis XI V de Girardon place Vendôme et de celui de Desjardins à Lyon, ainsi que du Louis XV de Lemoyne à Bordeaux. Edme opéra cependant une synthèse personnelle. Le cheval avec la jambe antérieure droite levée rappelle ceux de Marc Aurèle et du Louis XI V de Girardon, mais pas celui de Desjardins (chez qui c’est l’antérieur gauche qui est levé), et celui de Lemoyne a aussi la jambe postérieure gauche levée. La tête du cheval est tournée vers la droite sur la maquette, comme celles des montures de Marc Aurèle, du Louis XI V de Girardon et du Louis XV de Lemoyne. Bouchardon choisit in fine de la tourner vers la gauche, suivant le regard du monarque, comme sur le Louis XI V de Desjardins. La statue est juchée sur un très haut piédestal orné de basreliefs narratifs, comme celle de Lemoyne à Bordeaux, mais l’innovation majeure d’Edme est de disposer quatre Vertus en cariatides. La présence chez ses descendants d’une statuette en terre cuite d’un cavalier sur un cheval cabré 14 a conduit Roserot à penser qu’il s’agissait d’une première

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chronologie bibliographie index

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Chronologie de la vie et des œuvres d’Edme Bouchardon

17 1 1

1 er mai : Naissance de Jacques Philippe († 1753), surnommé « frérot » 14. 17 1 2

9 avril : Naissance de Mariane (morte jeune) 15.

établie par

v e r a ata n a s ova e t g u i l h e m s c h e r f

17 1 3

avec la collaboration de

1667

l aurence brosse

16 mai : Naissance de Jean-Baptiste Bouchardon à Saint-Didier-en-Velay (aujourd’hui Saint-Didierla-Seauve), fils d’Antoine Bouchardon, marchand, et de Gabrielle Trinquet 1.

25 octobre : Mariage de Jean- Baptiste Bouchardon, architecte et sculpteur, et Anne Chéré, fille d’un maître cordonnier à Chaumont-en-Bassigny, rue Chaude, aujourd’hui rue Bouchardon 2.

27 28

29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56

Ronot, 2002, I , p. 20. Ronot, 2002, II , p. 132. Ronot, 2002, II , p. 132. Ronot, 2002, II , p. 133. Ronot, 2002, II , p. 133 Ronot, 2002, II , p. 133 Ronot, 2002, II , p. 133. Ronot, 2002, II , p. 133. Ronot, 2002, II , p. 133. Ronot, 2002, II , p. 133. Ronot, 2002, II , p. 133 Ronot, 2002, II , p. 132-133. Ronot, 2002, II , p. 133. Ronot, 2002, II , p. 133. Ronot, 2002, II , p. 134. Ronot, 2002, II , p. 134. Ronot, 2002, II , p. 134. Quarré, 1971, p. 40 ; Ronot, 2002, I , p. 220. Quarré, 1971, p. 40 ; Ronot, 2002, I , p. 221. Rosenberg et Barthélemy-Labeeuw, 2011, I , n o F 321, p. 95, repr. Ronot, 2002, II , p. 134. Caylus, 1762, p. 9. Mariette, 1853-1862, I , p. 162. Voir aussi Lalive de Jully, 1764, p. 68. Ronot, 2002, II , p. 112-113. Arch. N S B A , 480. Cahen, 1994, p. 71. Il reçoit officiellement sa médaille d’argent le 30 avril 1723 (Montaiglon, 1875-1892, IV , p. 354). Montaiglon, 1875-1892, IV , p. 340. Moulages tardifs à Paris, N S B A , et Chaumont, musée (repr. : Schwartz E., 2010, p. 15). Il reçoit officiellement la médaille d’or du premier prix de sculpture le 30 avril 1723 (Montaiglon, 1875-1892, IV , p. 354). AN , AB XIX , 4228. Ronot, 2002, II , p. 225-226. AN , AB XIX , 4228 ; C . D ., VI , p. 259. C . D ., VI , p. 261. C . D ., VI , p. 285. C . D ., VI , p. 322. A .- L . D ., p. 35. C . D ., VII , p. 49. Valesio, 1977-1979, IV , p. 585-586 ; A .- L . D ., p. 40. Ms. Fondation Custodia, inv. 5543 001-004. C . D ., VII , p. 270. C . D ., VII , p. 286. C . D ., VII , p. 318, 323. C . D ., VII , p. 415. C . D ., VII , p. 425. C . D ., VII , p. 433 ; A .- L . D ., p. 37. C . D ., VII , p. 444-445. C . D ., VII , p. 451-452 ; Desmas, 2008, p. 93-94. Ronot, 2002, II , p. 114-115. Ronot, 2002, II , p. 114-115. Ronot, 2002, II , p. 115-116 Dautrey et Mercier, 2010, p. 227. Baker, Harrison et Laing, 2000, p. 756 ; Sénéchal, 2000, p. 142 ; A .- L . D ., p. 116. C . D ., VIII , p. 111, 121. Desmas, 2012, p. 304 ; Kieven, 2016, p. 312. C . D ., VIII , p. 119. C . D ., VIII , p. 125. C . D ., VIII , p. 126. A .- L . D ., p. 37 et 38. C . D ., VIII , p. 128, 132.

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17 1 5

23 septembre : Naissance de Marie-Thérèse († 1783). Elle épousera en 1742 François Girard († 1785) 17.

1692

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26

22 octobre : Naissance de Nicole Catherine († 1749). Le parrain est son frère Edme. Elle épousera en 1741 Hugues Voillemier († 1781) 16.

17 1 6

Premier projet de J.-B. Bouchardon pour la façade de l’église Saint-Étienne à Dijon 18 [c at. 199].

1694

17 17

29 septembre : Naissance de Jacquette († 16 juin 1756) 3.

Second projet de J.-B. Bouchardon pour la façade de l’église Saint-Étienne à Dijon 19.

1696

4 novembre : Naissance de Marguerite (morte en bas âge) 4. 1698

29 mai : Naissance d’Edme [« Eigme »]. Son parrain, Edme Favier, est greffier au grenier à sel de Chaumont ; sa marraine, Marie Dufour, est la femme d’Étienne Le Cerf, garde-marteau en la maîtrise des eaux et forêts de Chaumont 5. 1699

17 19

20 juin : Commande pour l’église Saint-Étienne de Dijon, où « J.-B. Bouchardon, sculpteur et architecte, demeurant en Bassigny, s’engage à faire les bas-reliefs du Martyre de Saint-Étienne avec les quatre enfants dans les petits tympans pour août 1720 [...] ». Bouchardon confie l’exécution de l’œuvre à son fils Edme, qui travaille sous sa conduite [c at. 199]. Dessin daté d’une académie de deux hommes s’efforçant de soulever un bloc à l’aide d’un levier 20.

1 er août : Naissance d’Arnout († ?) 6. 172 0 170 0

22 octobre : Naissance de Jean François (mort en bas âge) 7.

15 juin : B. annonce dans une lettre à son père l’achèvement du bas-relief du Martyre de saint Étienne [c at. 199]. 26 juillet : Naissance d’Anne (morte en bas âge) 21.

170 2

22 septembre : Naissance d’Anne († 1719) 8.

172 1

170 5

Date du portrait dessiné représentant probablement la mère d’Edme [c at. 70].

12 avril : Naissance de Jean-Baptiste († ?) 9. 172 2 170 6

12 avril : Naissance de Joseph Antoine († 1720) 10. 170 7

7 juillet : Naissance de Nicolas (mort jeune) 11. 170 8

17 juillet : Naissance de Marie († 1787) 12. 170 9

5 novembre : Naissance d’André († 1709). Le parrain est son frère Edme 13.

Ayant quitté l’atelier parental, Edme devient à Paris élève de Guillaume I er Coustou à l’Académie royale de peinture et de sculpture 22. Mariette signale qu’il entra une première fois chez Coustou, dut retourner à Chaumont pour des problèmes de santé, avant de revenir à Paris poursuivre sa formation chez Coustou 23. 22 mars : Lettre de B. à son père : « Vostre lettre que j’ay recüe m’a donné bien de la joie d’apprendre de vos nouvelles, de même que l’heureux voyage de Dijon que je soite qu’il réussise. […] Je n’aime pas trop à courir à Paris, il est si grand que pour aller

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