EMMANUEL RÉGENT Pendant qu’il fait encore jour / While it’s Still Day
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EMMANUEL RÉGENT Pendant qu’il fait encore jour / While it’s Still Day
L’ombre des idées / The Shadow of Ideas Rudy Ricciotti, avril 2014 Grand Prix national d’Architecture / Winner of the National Architecture Prize
Emmanuel Régent is lanky. Finalist of the Canson Prize, that’s awesome! At the very least it is reactionary and that already is a talent. Beyond that, one could imagine this tall skinny guy: stone mason, solderer, carpenter, blacksmith, or inquisitor, smiling and anxious under the influence of absinthe. Little black strokes, small dots, obsessive marks infiltrate reality and pare it back to the bone as far as the soul. The artist is neither disillusioned, nor ironic, nor cynical, he is a believer. And this distinction alone makes me inclined to admire him. But “defend him,” says Gérard Traquandi, a womanizer who knows well what transforming reality would mean. As General De Gaulle used to say: “Better a bad idea than no idea at all.” There lies the crux of the artistic question. To refuse the dictatorship of the idea to keep only metaphysical sexuality, as one could put it. A question of autonomy following on from the silly imperialism of the minimalist and conceptual saga. The shadow of ideas will always be political. The artist is never autonomous, Emmanuel Régent claims the contrary. He’s wrong, Régent is responsable and guilty! That is the territory of talent. His is powerful. His ruins hurt, a lot. They make one feel guilty, his landscapes too. His large format (300 x 400 cm) My Rampart Walk / My Plans for the Comet exhibited at the Palais de Tokyo is fascinating. Resist Emmanuel, resist! Like Barbey d’Aurevilly, militant mannerism is our only destiny. Your work touches, that is considerable!
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Emmanuel Régent est un grand maigre. Finaliste du prix Canson, ça a de la gueule ! Au minimum cela fait réactionnaire et là est déjà un talent. Au-delà, on pourrait imaginer ce grand maigre : tailleur de pierre, soudeur, menuisier, ferronnier à la forge ou encore inquisiteur hilare et anxieux sous l’effet de l’absinthe. Des petits traits noirs, des petits points, des petites taches jusqu’à l’obsession pour infiltrer le réel et le peler à l’os jusqu’à l’âme. L’artiste n’est ni désabusé, ni ironique, ni cynique, il est dans la croyance. Sur cette seule distinction, je suis enclin à l’admirer. Mais « défends-le », dit Gérard Traquandi, homme à femmes qui sait bien ce que transformer le réel veut dire. Le général de Gaulle disait : « Vaut mieux une mauvaise idée que pas d’idée du tout. » Là est le cœur de la question artistique. Refuser la dictature de l’idée pour n’en retenir que la sexualité métaphysique, si l’on peut dire. Une affaire d’autonomie consécutive à l’impérialisme niais de l’épopée minimale et conceptuelle. L’ombre des idées sera toujours politique. L’artiste n’est jamais autonome, Emmanuel Régent prétend le contraire. Il a tort, Régent est responsable et coupable ! Là est le territoire du talent. Le sien est puissant. Ses ruines font mal, très mal. Elles culpabilisent, ses paysages aussi. Son grand format (300 x 400 cm) Le Grand Chemin de mes rondes / Mes plans sur la comète, exposé au Palais de Tokyo est fascinant. Résiste Emmanuel, résiste ! Tel Barbey d’Aurevilly, le maniérisme militant est notre seul destin. Ton travail émeut, c’est beaucoup !
Courants contraires / Counter Currents Patrice Joly, octobre 2012
Why would one spend a crazy amount of time covering a canvas with multiple layers of color to give it a homogenous tone only to then destroy this patient work of finishing with a perfectly monochrome rendering? After all, the monochrome has gained its spurs ever since a multitude of renowned painters devoted themselves to it, transforming what was merely genre painting into an essential phase in contemporary painting. To preserve this burial of multicolored layers of paint to guard only the final appearance without revealing its origin was already highly interesting from the aspect of the monochrome, contributing to reenact an endlessly renewed story of the links between the world and its apprehension through painting, and thus participating in the representation of a secret reality unveiled to public knowledge—a sort of metaphor for state secrets or the smoothness of industrial design concealing complex mechanisms. This technique used by Emmanuel Régent might initially recall certain schools of painting that are interested in variations on the monochrome, making him dialogue, for example, with the minimialism of Olivier Mosset... Except that Emmanuel Régent does not present himself as a defender of restricting the pictural propos. The treatment to which the artist subjects the canvas might subsequently be seen more as a tendancy to place him on the side of the “iconoclasts” of the monochrome, if this appellation were not aberrant, the monochrome, by definition, being iconoclasm in its purest form. In returning to this first stage that imprints the canvas
Réalisation de Nébuleuse (Carole), 2010, peinture acrylique poncée sur toile / sanded acrylic paint on canvas, 168 x 300 cm 7
Pourquoi passer un temps fou à recouvrir une toile de multiples couches de couleur afin de lui donner une teinte homogène pour ensuite venir détruire ce patient travail de finissage d’un rendu parfaitement monochrome ? Après tout, le monochrome a conquis ses quartiers de noblesse depuis qu’une multitude de peintres de renom s’y sont adonnés, transformant ce qui n’était qu’une peinture de genre en l’un des passages obligés de la peinture contemporaine. Préserver cet enfouissement de couches de peinture multicolore pour n’en conserver que l’apparence finale sans en dévoiler la provenance eût été déjà fort intéressant du point de vue du monochrome, contribuant à rejouer une histoire sans cesse renouvelée des liens entre le monde et son appréhension par la peinture, et participant ainsi de la représentation d’une réalité dérobée à la connaissance du public, sorte de métaphore du secret d’État ou de la lisséité du design industriel dissimulant des mécanismes complexes. Cette technique qu’Emmanuel Régent utilise dans un premier temps pourrait le rapprocher de certaines écoles de peinture qui s’intéressent aux variations du monochrome, le faisant dialoguer par exemple avec le minimalisme d’un Olivier Mosset… Sauf qu’Emmanuel Régent ne se présente pas comme un défenseur du resserrement du propos pictural. Le traitement que fait subir l’artiste à la toile dans un deuxième temps aurait plutôt tendance à le ranger du côté des « iconoclastes » du monochrome si cette appellation n’était aberrante, le monochrome étant par définition de l’iconoclastie à l’état pur. En revenant sur cette première phase qui imprime à la toile son intégrité colorée et en attaquant la surface avec la violence que lui confère l’utilisation de la ponceuse, Régent fait réémerger des motifs
plus ou moins facilement identifiables : la série des Nébuleuses, à laquelle il octroie en sous-titre un prénom féminin, permet de « réincarner » chaque toile en laissant aussi supposer un rapport de proximité avec les personnes évoquées. Ainsi, après être allé dans le sens d’une pure abstraction monochromique, il rebrousse chemin vers une figuration brouillée d’une confusion langagière entre ce qui relève du générique (la nébuleuse) et du familier (les prénoms). L’attribution d’un prénom renvoie à la désignation utilisée par les premiers astronomes arabes, tandis que le substantif joue sur le double sens du terme, à la fois constellation et imprécision optique : la nébuleuse, amas d’étoiles distant, se reforme sur l’écran de l’ordinateur après de multiples traitements et se confond avec les pixels de ce dernier. Le détour par le monochrome qui apparaît de prime abord plutôt déconcertant, permet somme toute de produire une représentation du réel assez fidèle. Emmanuel Régent privilégie un rapport au monde qu’il développe à travers une multitude de pratiques pour répondre à des projets spécifiques : la plupart de ceux-ci proviennent de rencontres dues au hasard (comme une pierre immergée aperçue lors d’une plongée) et déboucheront nécessairement sur l’utilisation du médium ad hoc (en l’occurrence ici la sculpture). Il n’est lié à aucun d’entre eux de manière absolue même si l’on retrouve chez lui une très forte propension à la peinture ou au dessin, encore que cette affinité envers ces deux-là corresponde plus au désir d’une exploration formelle très poussée à un moment donné qu’à l’affirmation d’une identité de peintre ou de dessinateur : une démarche proche d’un Francis Alÿs, faite de déambulation à travers les accidents du paysage, de la ville, de la destinée, en quête d’événements mais sans pour autant les provoquer, dans une attitude de grande réceptivité. Quand bien même Régent semble fortement marqué par la proximité de la mer et de ses reliefs, c’est encore parce que la côte participe du décor de son existence et qu’il lui a semblé naturel de retranscrire l’extraordinaire « graphogénie » de sa découpe via le médium le plus immédiat dans sa mise en œuvre : question d’adéquation entre une forme projetée et le temps de sa réalisation, de correspondance entre le lent travail du dessin au trait et les allées et venues journalières du promeneur le long du littoral, entre l’infinie patience nécessaire au remplissage des vides et l’incessant labeur du ressac… On retrouve cet épuisement dans les gestes de son art envisagé désormais comme un véritable travail — au sens étymologique de pénibilité — plutôt que comme une source de plaisir : le ponçage de la toile lestée
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with its colorful integrity and in attacking the surface with the violence granted him by the use of a sander, Régent makes more or less readily identifiable motifs reappear: the Nebulous series, to which he attaches a female forename as subtitle, allows each canvas to be “reincarnated,” while also leaving the supposition of a close relationship with the people evoked. Thus, after having gone towards a pure monochrome abstraction, he retraces his steps towards a figurative style fogged by a linguistic confusion between what is generic (the nebulous) and familiar (the forenames). Giving a forename recalls the designation used by the earliest Arab astronomers, while the substantive plays on the double meaning of the term, both constellation and optic imprecision: the nebulous, distant star cluster, reforms on the computer screen after numerous treatments, to be confused with the latter’s pixels. The diversion via the monochrome that initially seemed, rather disconcertingly, to take precedence, ultimately allows the production of a quite faithful representation of reality. Emmanuel Régent privileges a relationship with the world that he develops through a multitude of practices to answer specfic projects: most of these stem from chance encounters (like an immersed stone spotted when diving) and necessarily lead to the use of the medium ad hoc (in this case, sculpture). He is not bound to any one of them exclusively, even if one finds with him a marked inclination for painting or drawing, an affinity for these two media that corresponds more with a desire for advanced formal exploration at a given moment than an affirmation of his identity as a painter or draftsman: a procedure close to that of Francis Alÿs, made of perambulation across the hazards of the landscape, the town, of destiny, in an attitude of great receptivity, in search of events but without, however, provoking them. Even though Régent seems strongly marked by the proximity of the sea and its relief, this is still because the coast participates in the decor of his existence and that it seems natural to him to transcribe the extraordinary “graphogeny” of its jagged profile through the most immediate medium in his hands: a question of adequacy between a projected form and the time to realize it, of correspondence between the slow work of drawing and the daily comings and goings of the walker along the coast, between the infinite patience necessary to fill the spaces and the ceaseless
work of the backwash... We rediscover this exhaustion in the gestures of his art considered henceforth as a real labor—in the etymological sense of effort— rather than as a source of pleasure: the sanding down of the canvas aggravated by the thicknesses of acrylic (Nebulous) reflects intense physical work, far from the much more sensual stroke of the brush. The repetition of the felt-tip pen necessary for the composition of the drawing echoes the Sisyphusian dimension of the ball of aluminum (Decisive) whose fabrication also necessitated several hours of rolling. As exhausting as it is absurd, this work recalls the performance where in a torrid heat Francis Alÿs him again slid a huge block of ice through the streets of Mexico City, just till the moment when the ice disappeared under the dual effect of its rubbing against the bitumen and the rays of the sun: there again it is a question of being in a counter-current to a generally accepted idea that would like art to obey a principle of pleasure. When Régent fills the surface of a sheet of paper with countless felt-pen strokes—not unlike those with which prisoners cover the walls of their cells to count the days—he contradicts the rapidity of drawing, its capacity to capture a scene instantaneously. The empty spaces around these false planes permit the spectator to escape the weight of the subject: his drawings of queues make one think of somber moments in history: Eastern Bloc countries before the fall of the Wall, concentration camps in the Nazi winter, or refugees nearer to us. The dramatization of the subject here reflects the weariness of repeating the gesture, when, moreover, the blanks serve as possible diversions: the human-scale format again encourages the inclusion of the spectator within the space of the drawing, as much in its aspect of enclosure as in its call for escape. The discovery of a buried stone on the sea floor set to work a process that turns out to be recurrent for Régent. Valles Marineris is the fruit of an unexpected encounter with this stone, which gave birth to the creation of his alter ego in stainless steel, and then to the elaboration of a monumental wall, result of the accumulation of bricks built on the same model. The erection of a wall is a primary gesture in sculpture,
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par les épaisseurs d’acrylique (Nébuleuse) renvoie à un travail physique intense, loin de la caresse du pinceau aux accents beaucoup plus sensuels, la répétition du feutre nécessaire à la composition du dessin entre en résonance avec la dimension sisyphienne de la boule d’aluminium (Décisif) dont la fabrication nécessite elle aussi plusieurs heures de roulage. Ce travail aussi exténuant qu’absurde rappelle cette performance où Francis Alÿs, encore lui, fait glisser dans les rues de Mexico un énorme bloc de glace sous une chaleur torride, jusqu’à ce que la glace disparaisse sous le double effet du frottement contre le bitume et des rayons du soleil : là encore il est question d’être à contre-courant d’une idée généralement admise qui voudrait que l’art obéisse à un principe de plaisir. Quand Régent remplit la surface de la feuille de multitudes de traits au feutre — qui ne sont pas sans rappeler la manière dont les prisonniers recouvrent les murs de leur cellule pour compter les jours —, il s’oppose à la rapidité du dessin, à sa capacité à saisir une scène dans l’instant. Les espaces vides autour de ces faux aplats permettent au spectateur de fuir la lourdeur du sujet : ses dessins de files d’attente font penser aux moments sombres de l’histoire, pays de l’Est d’avant la chute du Mur, camps de concentration de l’hiver nazi ou de réfugiés plus proches de nous. La dramatisation du sujet renvoie ici à la lassitude de la répétition du geste, quand par ailleurs les blancs font état de possibles diversions : le format à taille humaine incite encore plus à l’inclusion du spectateur dans l’espace du dessin, aussi bien dans sa dimension d’enfermement que dans ses appels à l’évasion. La découverte au fond de la mer d’une pierre enfouie met en œuvre un processus qui s’avère récurrent chez Régent. Valles marineris est le fruit d’une rencontre inopinée avec cette pierre qui donne naissance à la réalisation de son alter ego en inox puis à l’élaboration d’un mur monumental, résultat de l’agrégation de briques construites sur le même modèle. L’érection d’un mur est un geste premier en matière de sculpture. Cependant, ici encore, Régent ne se confronte pas à l’historicité du médium même s’il se détache nettement de la tendance du moment qui consiste en l’utilisation de matériaux pauvres, dans une revisitation un peu pesante de l’Arte povera : l’inox est le symbole de la
résistance à la corrosion et au passage du temps, il est l’exact opposé de la pierre friable et, de ce fait, contredit un rapport attendu entre forme et matière. De même que, pour le monochrome, Régent déconstruit ici une certaine linéarité des avancées sculpturales en proposant des scénarios déviants. La prégnance de ces derniers se traduit autant par une mise en lumière des vides via un pur effet d’éblouissement optique (voir le surgissement de la « lumière » au centre des Nébuleuses) que par l’utilisation de dispositifs plus métaphoriques. Mes plans sur la comète, qui relie parfaitement la représentation de l’objet céleste via l’utilisation de feuilles dédiées à la réalisation d’architectures bien réelles, en est le meilleur exemple ; cette pièce est très proche de Facinils (Odiam), condensé de toutes les préoccupations de l’artiste en matière d’esquive intentionnelle : sorte d’ouvroir, non de littérature potentielle1, mais de toutes les interprétations possibles, Odiam se présente formellement comme le fameux texte d’« explication » qui trône désormais à l’entrée de chaque exposition, sauf que le texte en question est doublement illisible parce que partiellement gratté comme s’il annonçait le démontage en cours de cette dernière et qu’il est composé du fameux « lorem ipsum2 », synonyme, en matière d’imprimerie, d’attente du véritable énoncé à venir : comme si l’artiste tenait à signifier de manière claire mais cependant brouillée qu’il appartenait toujours au spectateur de déchiffrer lui-même le « texte » de l’exposition.
however, here again, Régent does not confront the historicity of the medium, even if he distances himself clearly from the current trend that consists of using poor materials in a rather lightweight revisiting of Arte povera: the stainless steel is the symbol of resistence to corrosion and the passing of time, it is the exact opposite of the crumbly stone and, from this fact, contradicts the expected relationship between form and matter. As with the monochrome, Régent here deconstructs a certain linearity of sculptural progress by proposing deviant scenarios. The significance of these sculptures translates as much by an illumination of the hollows through a pure effect of optical dazzling (see the eruption of the “light” in the center of the Nebulouses) as by the use of more metaphorical processes. My Plans for the Comet, which perfectly connects the representation of the celestial body through the use of sheets dedicated to making perfectly real architecture is the best example of this; this piece is very close to Facinils Odiam, a concentration of all the artist’s preoccupations concerning intentional evasion. A sort of ouvroir— workshop—not of potential literature,1 but of all possible interpretations, Odiam looks formally like the famous “explanatory” text that reigns henceforth at the entrance to each exhibition, except that the text in question is doubly unreadable because partially scratched away, as if announcing the dismantling of the exhibition, and because it is composed of the famous lorem ipsum,2 synonymous, in printing terms, with the pig Latin dummy text inserted before the real text arrives: as if the artist wanted to indicate clearly yet nonetheless fuzzily that it is always up to the spectator to decipher the explanatory “text” for himself.
1 — En référence à l’Ouvroir de Littérature Potentielle, le
1. — In reference to the celebrated Oulipo (Ouvroir de Littérature
fameux Oulipo de Pérec et ses amis.
Potentielle or Workshop of Potential Literature) of Georges Pérec
2 — C’est ainsi que les professionnels de l’édition désignent
and his friends.
le faux texte qui remplit la maquette du graphiste en vue
2. —The name given by publishing professionals to the dummy
d’anticiper la taille qu’occupera le véritable texte dans l’édition
text used by book designers in order to anticipate the space that
définitive.
will be taken up by text in the final book.
Nébuleuse (Giulia) (détail), 2011, peinture acrylique poncée sur toile / sanded acrylic paint on canvas, 168 x 300 cm 10
Dans les bras‌, 2011, feutre à encre pigmentaire sur papier / pigmented ink felt-tip pen on paper, 56 x 76 cm 12
L’hypothèse d’un voyage / The Hypothesis of a Voyage Rébecca François, octobre 2012
The expression “Sortir de son lit, en parlant d’une rivière”—to burst its banks, in talking of a river—was found by the artist in Le Littré French dictionary at the definition of the word divaguer (to meander or ramble). Adopted as the title for a series of exhibitions, it jostles the action into a domain that runs contrary to customary common sense. The highly poetic turn of phrase indeed depicts a strange situation, that of erring to abandon, of losing reason for an instant, of letting one’s imagination flow freely without budging an inch, and then forgetting it all. A trope, in becoming the initial signification of the terms used, insists on the indeterminacy and the interpolation of the meaning to the detriment of univocity and resemblance. Incoherences sometimes reveal the greatest mysteries. One could say that Emmanuel Régent’s entire oeuvre functions this way, like an uncertain trope, an unverifiable methodic approach, a provisional demonstration with unsuspected results. It is for us to complete the blanks in the paper... The underground derivations and the implicit connections made by the artist sketch out an unstable, floating universe, an initiator of surprising overturnings and latent overflowings. Anachronistic and attractive, the image is always reversible; it sheds confusion on his intentions. Here, all is only ambiguity and fiction. Indecision and doubt rule inexorably. “Greek antiquities” have henceforth given way to the uprising of a people. The banners are void of meaning. The routine, endless waiting becomes a glacial, suspicious normality. The outing in a boat becomes a clandestine crossing. The sight of a tunnel dug into the rock becomes the somber and piercing call set off by nothingness. Even the mountains, rocks, and seas seem able to submerge us. At present, beauty is sordid, the dawn, uncertain. Silent crowds move
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L’expression « Sortir de son lit, en parlant d’une rivière » a été trouvée par l’artiste dans le dictionnaire Le Littré à la définition du mot « Divaguer ». Reprise en titre d’une série d’exposition, elle bascule l’action dans un domaine qui va à l’encontre du bon sens coutumier. La tournure imagée à forte puissance poétique figure en effet un état étrange, celui d’errer à l’abandon, de perdre l’espace d’un instant la raison, de laisser libre cours au cheminement de son imagination sans bouger d’un pouce, puis de tout oublier. Un trope, en déviant la signification initiale des termes employés, insiste sur l’indétermination et l’interpolation de sens au détriment de l’univocité et de la vraisemblance. Les incohérences sont parfois révélatrices des plus grands mystères. Aussi, on pourrait dire que l’ensemble de l’œuvre d’Emmanuel Régent fonctionne ainsi, comme un trope incertain, une approche méthodique invérifiable, une démonstration provisoire aux conséquences insoupçonnées. À nous de compléter les blancs du papier… Les dérivations souterraines et les rapprochements filigranés par l’artiste esquissent un univers instable et flottant, initiateur de surprenants renversements et de débordements latents. Anachronique et attractive, l’image est toujours réversible ; elle jette le trouble sur ses intentions. Ici, tout n’est qu’ambiguïté et fiction. L’indécision et le doute trônent inexorablement. Désormais,
les « Antiquités grecques » ont laissé place au soulèvement d’un peuple. Les banderoles sont vides de sens. L’attente routinière et perpétuelle devient une normalité glaciale et suspicieuse. L’escapade en bateau dérive en une traversée clandestine. La vue d’un tunnel creusé dans la roche renvoie à l’appel sombre et lancinant lancé par le néant. Même les montagnes, les rochers et les mers semblent pouvoir nous submerger. À présent, la beauté est sordide, l’aube, incertaine. Les foules muettes se dirigent vers la mort. La rafle d’or a un goût amer. Un détail, et tout peut basculer. « J’avais oublié », cet aveu de tous les jours sonne dorénavant comme une menace à retardement. Emmanuel Régent part pour l’inconnu dans des territoires familiers. À contre-courant de l’immédiateté promulguée par notre société, il s’infiltre dans le réel, prend la tangente et opte pour la lenteur avec la divagation comme matière première. Ces objets (qu’il nomme sculptures, peintures et dessins) décrivent des trajectoires inattendues connectant la banalité du quotidien à l’apparition enchanteresse et surnaturelle. Ils participent d’un imaginaire futuriste provenant parfois d’une minéralogie factice et intime. Une boule de papier d’aluminium ménager fait office de planète échouée. Plus loin, toutes sortes de météorites jusque-là jamais observées : un polyèdre, une rafle de raisin dorée, des pierres recouvertes d’argent… Là, le vestige d’un mur de blocs géométriques en inox, Rubik’s cube® aux éclats épars, architecture primitive de haute technologie, ruine subaquatique inaltérable : fragment, fiction ou reconstitution ? Cependant, tout lyrisme est évincé au profit de gestes mécaniques, laborieux et minutieux. Mettant en doute le pouvoir triomphant et illusionniste des images, Emmanuel Régent préfère la transparence des procédés de fabrication à l’innovation. Les effets spéciaux usent des low-tech. Dessiner quotidiennement une multitude de petits traits noirs parallèles très étriqués, tous à peu près de même longueur, regroupés en amas pour former des figures émergeant du territoire vierge du papier. Ensevelir un portrait ou un bouquet de
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towards death. The golden bounty has a bitter taste. A detail, and everything can topple. “I had forgotten,” this everyday confession sounds henceforth like a belated threat. Emmanuel Régent sets off for the unknown in familiar territories. In counter-current to the immediacy promulgated by our society, he infiltrates reality, takes it at a tangent and opts for slowness, with digression as his raw material. These objects (which he calls sculptures, paintings, and drawings) describe unexpected pathways connecting everyday banality with enchanting, supernatural apparitions. They participate in a futurist imagination stemming sometimes from an artificial, intimate mineralogy. A ball of household aluminum foil makes do as a fallen planet. Further off, all sorts of never-seen-before meteorites: a polyhedron, a bunch of golden grapes, stones covered in gold... There, the remains of a wall in geometric blocks of stainless steel, Rubik’s cube® in sparse splinters, primitive high-tech architecture, an unalterable underwater ruin: fragment, fiction, or reconstitution? However, all lyricism is excluded in favor of laborious and painstaking mechanical gestures. Casting doubt on the triumphal and illusory power of the image, Emmanuel Régent prefers the transparency of the means of manufacture over innovation. The special effects use the low tech. To draw daily a multitude of little parallel black lines, cramped together, all more or less the same length, clustered in heaps to form figures emerging from the virgin territory of the paper. To bury a portrait or a bouquet of dieffenbachias behind a series of different colored layers of paint until the motifs are barely discernible to an attentive surveyor. Scratch, dig the remnants of another timescale like a paleontologist doing an excavation, from the Pensives with miraculous auras to the paintings in luminous colors made from the sedimentation of varied planes of monochromes. Sanding: the idea came to him when going about the upkeep of the hull of his sailboat. Like the forgotten and the souvenir, burial and excavation allow the most marvelous discoveries and goings back in time. Setting up these systems aims to apprehend the suspension of time like a safeguard and its possible futures. Emmanuel Régent composes almost blindly to the extent of favorizing the apparition of acheiropoeta images (not made by the hand of man, like the image on the Turin Shroud). In praising slowness (as much in the reflexion as in the production), he convokes techniques that give rise to happy accidents.
Automatism and the aleatory are two primordial notions because they are the engine of serendipity. Yes, Emmanuel Régent works by serendipity. Despite the strange sonority of this word, it does not amount to a flaw but indeed to an aptitude, that of making unexpected discoveries. In drawing, sanding, walking, or waiting, he escapes, to instantly connect information, proceed by intuition and the unspoken, and unearth something completely different. The unexpected discoveries are the fruit of a knowing blend of chance, intelligence, and aberration. This “strangeness of providence,” to borrow a phrase by Voltaire in Zadig, or the Book of Fate, would not exist without empirical experience, curious and precise observation, but also setbacks and false starts, an ability to see things differently. Habits sometimes give birth to an unexpected falling into place. Think of Galileo or Newton; many scientific breakthroughs have been made almost fortuitously. Serendipity also goes hand in hand with the association with the senses, the temporary, hypertext, and zapping. Emmanuel Régent is not afraid of diversifying, he has “the Parachute Reflex,” he is an unearther of hypothetical interstices. The artist saves, samples, twists, and archives, tries to capture “the eternity of the transitory,”1 refers as much to current events and the mood of the time as to ancient, more rudimentary techniques. He always links borrowings with inventions, real facts with the virtual, the figurative and abstraction. He does not quote, he evokes, intermixes a plurality of time spaces avoiding all reference points. The graphic and pictural interference of his works recalls just as much the snowy screens of early televisions and radio interference as it does the grain of pixels (the matrix unit of digital images) and the noise of fossil radiation, present at the birth of the universe. The over-exposure echoes the flattening of images and backlighting of digital screens as well as the luminous flashes produced by an explosion or by lightning; luminescent radiation calls on thermic vision as it does on interstellar phenomena and, of course, the Big Bang. And if light interests Emmanuel Régent so much, from drawings where the abrasive light eats the paper, to radiant paintings and sculptures with sparkling shards,
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Dieffenbachias derrière une succession de couches de peinture aux couleurs différentes jusqu’à ce que les motifs deviennent à peine discernables pour un arpenteur attentif. Gratter, creuser les vestiges d’une autre temporalité comme un paléontologue réaliserait une fouille, des « Pensifs » aux auras miraculeuses jusqu’aux peintures aux couleurs luminescentes faites à partir de la sédimentation d’aplats monochromes variés. Poncer, l’idée lui est venue en entretenant la coque de son voilier. L’enfouissement et l’excavation permettent, comme l’oubli et le souvenir, les plus merveilleuses découvertes et remontées dans le temps. La mise en place de ces dispositifs vise à appréhender la suspension du temps comme sa sauvegarde et ses possibles devenirs. Emmanuel Régent compose presque à l’aveugle jusqu’à favoriser l’apparition d’images archéopoïetiques (non faites de la main de l’homme, à l’image du Saint-Suaire). En faisant l’éloge de la lenteur (aussi bien dans la réflexion que dans la production), il convoque des techniques qui permettent d’heureux hasards. L’automatisme et l’aléatoire sont deux notions primordiales car elles sont le moteur de sérendipité. Oui, Emmanuel Régent travaille par sérendipité. Malgré la sonorité bizarre de ce mot, ce dernier ne renvoie pas à une tare mais bien à une aptitude, celle de faire des découvertes inattendues. En dessinant, en ponçant, en marchant ou en attendant, il s’évade, connecte instantanément des informations entre elles, procède par induction et non-dit, déterre tout autre chose. Les découvertes inopinées sont le fruit d’un savant mélange fait d’accident, d’intelligence et d’égarement. Cette « bizarrerie de la providence », pour reprendre une expression de Voltaire dans Zadig ou la destinée, n’existerait pas sans l’expérience empirique, l’observation curieuse et minutieuse, l’imagination mais aussi une somme d’échecs et de retours
en arrière, une capacité à voir autrement. De l’habitude naît parfois un déclic que l’on n’attendait pas. Pensons à Galilée ou à Newton ; beaucoup de découvertes scientifiques ont été percées de manière presque fortuite. La sérendipité va aussi de pair avec l’association de sens, l’aléatoire, l’hypertexte et le zapping. Emmanuel Régent n’a pas peur de se disperser, il a « Le Réflexe du parachute », il est un découvreur d’interstices hypothétiques. L’artiste sauvegarde, sample, détourne et archive, tente de capter « l’éternel du transitoire1 », se réfère autant à l’actualité et à l’air du temps, qu’aux techniques les plus ancestrales et rudimentaires. Il connecte toujours la reprise à l’invention, le fait réel au virtuel, la figuration à l’abstraction. Il ne cite pas, il évoque, entremêle une pluralité d’espace-temps évinçant tout repère. Le grésillement graphique et pictural de ses œuvres rappelle autant les neiges parasites de nos premiers téléviseurs et les interférences radiophoniques que le grain du pixel (unité matricielle de l’image numérique) et le bruit du rayonnement fossile, présent à la création de l’Univers. La surexposition fait écho à l’aplatissement des images et au rétroéclairage des écrans numériques comme aux flashs lumineux produits par une explosion ou la foudre ; l’irradiation luminescente en appelle à la vision thermique comme aux phénomènes interstellaires et, bien sûr, au Big Bang. Et si la lumière intéresse tant Emmanuel Régent, des dessins où la lumière rasante grignote le papier, aux peintures irradiantes jusqu’aux sculptures aux éclats étincelants, c’est sans doute parce qu’elle permet un extraordinaire voyage spatio-temporel et matérialise le phénomène d’appariage de toutes choses et du monde, là où tout n’était au départ qu’obscurité. L’astronomie avec toute la mythologie qui en découle traverse l’œuvre d’Emmanuel Régent ; elle, qui suscite depuis toujours la curiosité et l’engouement collectifs, avec des phases particulièrement frénétiques jalonnant notre connaissance de soi et du monde, de Copernic jusqu’aux nouveaux modes de captation et d’exploration spatiales (ondes, photo, infrarouge)
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it is no doubt because it allows an extraordinary spatiotemporal journey and materializes the phenomenon of apparition of all the things in the world—there where at the beginning there was nothing but darkness. Astronomy and all the mythology that stems from it pervades Emmanuel Régent’s work; it has always aroused curiosity and collective enthusiasm, with particularly frenetic episodes spurring our knowledge of self and of the world, from Copernicus right up to the latest means of spatial exploration and captation (wavelengths, photo, infrarouge) via the theory of relativity. The much-vaunted “Untitled” is not common here. The stepladders in a star are called Deneb of Cygnus, a brilliant, magistral constellation. Valles Marineris refers to the largest area of canyons explored on the planet Mars. The exhibition “Vespucci’s Triangle” evokes a group of stars discovered in the fifteenth century by the Florentine merchant and explorer Amerigo Vespucci who was probably the first to contemplate the existence of a new continent South America—the navigators of the epoch thought they were landing in Asia. The sound recording of man’s first steps on the Moon is retransmitted backwards like a coded message, which rocks us in a gentle nursery rhyme both familiar and hostile. On the wall are paintings from the Nebulouses family, bearing, like hurricanes, female first names: Giulia, Carole, Angèle… Synthesizing the artist’s pharaonic, fantastical, or abandoned projects, “My Plans for the Comet” makes up an extraordinary satellite of the artist’s planet. This work is as marked by a fascination with images from new technological advances (computers, space, medicine) as by a questioning of their status at the moment of their dematerialization. In a society where images are ripe for consumption, the artist reflects on other perceptive stances. What he transmits does not lead to a synoptic vision. Perception is not immediate; it is activated by insignificant details: to leave one’s breath on an immaculate Plexiglas; to look more closely at this seemingly monochrome painting. The work lets us see what we no longer see, that which escapes us in everyday life. It demands the spectator’s physical and mental participation. It requires more than just attentive observation, it induces a sidewards regard, “slanted” to use an expression dear to the architect Claude Parent. It invites us to circumvent, to avoid reflections, to approach and take the necessary distance, to see while moving, to imagine. It reaffirms the spectator’s presence before the work in its duration. And, above all, it leaves the field of
interpretation open. Up to everyone (in all times and all places) to make of it their own history. A wall with adhesive lettering, no longer explanatory as one often sees in exhibitions, but indecipherable. The educational intent remains but the meaning has evaporated; the inscription has been scrubbed. Behind this unknown writing hides the computer tool generating its own discourse, that of “automatic flowing in” of a page, of a text that, electronically, writes itself and which Emmanuel Régent tries in vain to parasite. If the artist consciously contemplates the failure of the Modernist utopia, he hopes, nonetheless, to continue to hope. He gives us much more than the flying saucers we were promised; he gives us pleasure and emotion that can provoke discovery and belief, though a belief conscious of history in all its profundity, no longer disillusioned, ironic, and amnesiac. This reenchantment with the world passes by his capacity to arouse both memories and wonder, sign of all the possibles. Ruins, hatching, limits, and absences elaborate an archaeology of the future made of oscillation and mystery. These precious vanities, fossils, images of another time, talk of an unknown spatio-temporal territory, both original, modern, and current, that is neither the immediacy of our present nor a nostalgic past nor a projection in the future, but indeed the three intrinsically mixed up. Like the sky, Emmanuel Régent’s works provoke a fusion of time and space. With a quasi-cinematographic viewpoint, the association of this plurality of objects in the exhibition encourages a promenade where our relationship with the passing of time and moving through the space is always fluctuating. This memorial route in the concretization of the images, as of the world, speaks of our way of being and of our society (social criticism and the notion of crisis are always implicit) and also the origin and the evolution of the universe, the occult meaning of certain manifestations be they human, earthly, or heavenly. Ontological, this work contains the hypothesis of a voyage in the murmuring of the universe.
1 — Charles Baudelaire, “The Painter of Modern Life,” 1863, in Charles Baudelaire (trad. P E Chauvet), Selected Writings on Art, London, Penguin Modern Classics, 1992.
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en passant par la théorie de la relativité. Le si considéré « Sans titre » n’est pas légion ici. Les escabeaux en étoile se nomment Déneb du Cygne, une constellation brillante et magistrale. Valles Marineris fait référence à la plus vaste région de canyons, explorés sur la planète Mars. L’exposition « Le Triangle de Vespucci » évoque un groupe d’étoiles découvert au XVe siècle par le marchand et navigateur florentin Amerigo Vespucci qui fut vraisemblablement le premier à considérer l’existence d’une nouvelle contrée, l’Amérique du Sud , les navigateurs de l’époque pensant alors débarquer en Asie. La captation audio des premiers pas de l’Homme sur la Lune est retransmise à rebours comme un message crypté qui nous bercerait dans une douce comptine à la fois familière et hostile. Au mur, les peintures sont de la famille des Nébuleuses et portent, à l’instar des ouragans, des prénoms féminins : Giulia, Carole, Angèle… Synthétisant les projets démesurés, fantasmés ou avortés de l’artiste, « Mes Plans sur la comète » constituent un formidable satellite de la planète de l’artiste. Ce travail est empreint aussi bien d’une fascination pour les images issues des nouvelles avancées technologiques (informatiques, spatiales et médicales) que d’un questionnement sur leur statut à l’ère de leur dématérialisation. Dans une société où les images sont prêtes à être consommées, l’artiste réfléchit à d’autres postures perceptives. Ce qu’il transmet n’engendre pas une vision synoptique. La perception n’y est pas immédiate ; elle s’active à partir de détails insignifiants : déposer son souffle sur un plexiglas immaculé ; regarder de plus près cette peinture en apparence monochrome. L’œuvre donne à voir ce que l’on ne voit plus, ce qui, dans le quotidien, nous échappe. Elle sollicite la participation physique et mentale du spectateur. Elle requiert plus qu’une observation attentive, elle induit un regard de biais, « en oblique » pour reprendre une expression chère à l’architecte Claude Parent. Elle nous invite à contourner, à éviter les reflets, à s’approcher et prendre le recul nécessaire, à voir en mouvement, à imaginer. Elle réaffirme la présence du spectateur face à l’œuvre dans la durée. Et surtout, elle laisse le champ d’interprétation ouvert. À chacun (de tout temps et de toutes régions), d’en faire sa propre histoire.
Un mur au lettrage adhésif, non plus explicatif comme on en voit souvent dans les expositions, mais indéchiffrable. L’intention pédagogique demeure mais le sens s’est évaporé ; l’inscription a été grattée. Derrière cette écriture inconnue se cache l’outil informatique générant son propre discours, celui du « remplissage automatique » d’une page, d’un texte qui, électroniquement, s’auto-écrit et qu’Emmanuel Régent tente en vain de parasiter. Si l’artiste pose un regard conscient sur l’échec de l’utopie moderniste, il espère, toutefois encore, espérer. Il nous rend bien plus que les soucoupes volantes qu’on nous avait promises ; il nous rend le plaisir et l’émotion que peuvent provoquer la découverte et la croyance, mais une croyance consciente de l’histoire dans toute son épaisseur, non plus désabusée, ironique et amnésique. Ce ré-enchantement du monde passe par sa capacité à susciter aussi bien le souvenir que l’émerveillement, prémices de tous les possibles. Ruines, hachures, brides et manques élaborent une archéologie du futur faite d’oscillation et de mystère. Car ces précieuses vanités, fossiles et images d’un autre temps, parlent d’un territoire spatio-temporel inconnu, à la fois originel, moderne et actuel qui n’est ni l’immédiateté de notre présent, ni un passé nostalgique ou une projection dans le futur, mais bien les trois intrinsèquement enchevêtrés. À l’image du ciel, les œuvres d’Emmanuel Régent provoquent la fusion des temporalités et des spatialités. Avec un point de vue quasi cinématographique, l’association de cette pluralité d’objets dans l’exposition invite à une déambulation où notre rapport à l’écoulement du temps et au déplacement dans l’espace est toujours fluctuant. Ce parcours mémoriel dans la concrétion des images comme du monde parle de notre manière d’être et de notre société (la critique sociale et la notion de crise sont toujours sous-jacentes) comme de l’origine et de l’évolution de l’univers, du sens occulte de certaines manifestations aussi bien humaines, terrestres que célestes. Ontologique, cette œuvre contient l’hypothèse d’un voyage dans le bruissement de l’Univers.
1 — Charles Baudelaire, « Le peintre de la vie moderne », 1863, in Charles Baudelaire, Écrits sur l’art, Paris, Poche, 1999.
La File de l’homme au bonnet, 2013, feutre à encre pigmentaire sur papier / pigmented ink felt-tip pen on paper, 110 x 130 cm. Collection du Fonds municipal d’Art contemporain de la Ville de Paris 18
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Mes plans sur la comète / Drifting away PALAIS DE TOKYO (Module 2), Paris, 2010 Commissariat de Daria de Beauvais
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Triple banderole, 2009, feutre à encre pigmentaire sur papier / pigmented felt-tip pen on paper, 220 x 130 cm. Collection de la Ville de Vitry-sur-Seine, dépôt MAC / VAL
Page 24 Sans retour, 2007, verre, 40 cm, et UC, 2007, antivol / antitheft device, 40 cm
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Le Temps du territoire CENTRE NATIONAL D’ART CONTEMPORAIN VILLA ARSON, Nice, 2011 Commissariat de Éric de Backer et de Éric Mangion
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Chalet Capron, extrait de la série « Architectures », 2011, feutre à encre pigmentaire sur papier / pigmented felt-tip pen on paper, 21,5 x 31,5 cm
Pages 28-29 IBM 1, extrait de la série « Architectures », 2011, feutre à encre pigmentaire sur papier / pigmented felt-tip pen on paper, 21,5 x 31,5 cm
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978-2-7572-0853-3 •35 €