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MODE SPORT S O T
Directeur de publication Marie-Christine Grasse Coordinateur de publication Laurène Rolland-Bertrand L’exposition En mode sport a été conçue et réalisée par le Musée National du Sport Présidente du conseil d’administration Annie Lhéritier Président du comité d’orientation Denis-Michel BoëlL Directrice générale Marie-Christine Grasse COMMISSARIAT D’EXPOSITION Commissariat général Marie-Christine Grasse Commissariat scientifique Pascale Ballesteros, Hélène BARBIERO, Claude Boli, Nadine Chaboud, Marie-Laure Gutton, Sandrine Jamain-Samson Chef de projet Hélène Barbiero équipe du musée Hélène Barbiero, Claude Boli, Alice Bosca, Florentin Bouet, Alice Charraix, Sophie De Grande, Céline Dolle, Frédéric Dubloc, Sontekin Durak, Michel Erlich, Thomas Fanari, Flora Gervais, Laetitia guenzi, Clément Leminoux, Marie-France Lousteau, Pascale Marchand, Cécilia Marisquirena, Dusan Pjevac, Aurélien Qualiozzi, Laurène RollandBertrand, Claire Vasdeboncœur, Élodie Vianai. SCÉNOGRAPHIE Sarl Artcomposit Graphisme e/n/t/design
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REMERCIEMENTS Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports Ministère de la Culture et de la Communication Association des Gladiateurs du Musée National du Sport AUTEURS Rebecca Arnold, Claude Boli, Sophie Bramel, Mette Bruun, Nadine Chaboud, Pascale Gorguet Ballesteros, Marie-Laure Gutton , Sandrine JamainSamson, Paul Miquel, Emmanuelle Polle, Rachel Pretti, Georges Vigarello PRÉTEURS Adidas, Aquaman, Armani, Surya Bonaly, Castelbajac, Centre européen des textiles innovants, Chanel, château de Montpoupon, château musée de Dieppe, conservatoire d’Art et d’Histoire de Haute-Savoie, Annecy, École de la Chambre syndicale de la couture parisienne, Paris, Fusalp, Hermès, Institut français du textile et de l’habillement Interfilière, Istituto Europeo di Design - IED Moda, Milan, Jean Paul Gaultier, Lacoste, Lafuma/ Eider, Lanvin, Le Coq Sportif, Le Stade Français, Lycra, magazine Sport&Style, Maison des Jeux olympiques d’Albertville, Millet, Frédéric Molénac, Montant, MuCEM, Marseille, musée d’Art et d’Histoire de Provence, Grasse, musée des Arts décoratifs, de la Faïence et de la Mode, château Borély, Marseille, musée des Arts décoratifs, Paris, musée de la Mode de la Ville de Paris, palais Galliera, Paris, Musée national Picasso, Paris, Antoinette Nana Djimou, Nike, Patou, Nathalie Péchalat, Picture, Polartec, Rica Lewis, Rossignol, Société d’Histoire du Sport Français,Tommy Hilfiger, Uniqlo.
s t n e t n o C / e r i a m Som En mode sport
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Annie LHÉRITIER
Mode, sport et sociétés
Annie LHÉRITIER
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Denis-Michel BOËLL
Préface
Fashion, Sport and Societies Denis-Michel BOËLL
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Marie-Christine Grasse
Le sport, la mode, le temps
En mode sport
Preface Marie-Christine Grasse
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Georges Vigarello
Sport, Fashion, and Time Georges Vigarello
Sports d’élégance
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Elegant Sports
Noblesse oblige !
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Nobility obliges!
Naissance d’une garde-robe sportive 1860-1910
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The Emergence of a Sports Wardrobe 1860–1910
Marie-Laure Gutton & Pascale Gorguet Ballesteros
Marie-Laure Gutton & Pascale Gorguet Ballesteros
Le chic balnéaire
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Seaside chic
Modèles d’hiver
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Winter models
Le ski et ses modes
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Skiing and its Fashions
Nadine Chaboud
Nadine Chaboud
L’ère du changement
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The era of change
La révolution vestimentaire des Années folles aux années trente
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The Clothing Revolution in the Roaring Twenties and 1930’s
Sandrine Jamain-Samson
Jean Patou, couturier sportif
Sandrine Jamain-Samson
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Emmanuelle Polle
Jean Patou, the Sporty Couturier Emmanuelle Polle
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the sporting touch
Place à la performance
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The quest for performance
Le match des marques
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The competition between the brands
Plus performant et plus responsable
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Better performance & more environmental responsibility
Les textiles techniques dans le sportswear
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Sportswear Textiles with Technical Features
QUAND le SPORT s’en mêle
Mette Bruun
Mette Bruun
Équipementiers et créateurs : stylés en sport
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Equipment suppliers & designers: sporty elegance
Mode : le nouvel eldorado du sport
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Fashion: Sport’s New El Dorado
Rachel Pretti
Rachel Pretti
Sportifs de marque
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Sports personality brands
La mode urbaine
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Urban fashion
De la glisse à la rue
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From board sports to the street
Le style américain : le sportswear new-yorkais des années 1930 et 1940
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American Style: New-York Sportswear in the 1930’s and 1940’s
Rebecca Arnold
Rebecca Arnold
Le sport au quotidien
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Sport in everyday life
Histoire de la basket. De la salle de basket-ball aux podiums des défilés de mode
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The History of Sneakers. From the Basketball Court to Fashion Shows
Claude Boli
Quand la Haute Couture embrasse le sport
Claude Boli
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When haute couture embraced sport
Marquer, se démarquer, se faire remarquer
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Making a mark, standing out, getting noticed
Des podiums du sport aux podiums de la mode
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From the Sports Podiums to the Catwalks
Sophie Bramel
Sophie Bramel
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Sports personalities as brand ambassadors
Chic et sport
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Stylish and sporty
Irréversible
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Irreversible
Les sportifs égéries de marques
Paul Miquel
Paul Miquel
Travail de l’École de la Chambre syndicale de la couture
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Work of the École de la Chambre syndicale de la couture
Bibliographie
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Bibliography
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Annie LHÉRITIER
t En mode spor
Moins d’une année après avoir ouvert ses magnifiques galeries permanentes à Nice, le Musée National du Sport nous propose aujourd’hui une exposition temporaire ambitieuse sur le thème inattendu du sport et de la mode, deux univers a priori bien distants l’un de l’autre. C’est donc à une découverte passionnante que nous conduit En mode sport tout au long de son riche parcours : une véritable histoire d’amour entre la mode et le sport, née dès la fin du xixe siècle avec les sports d’élégance, affichée des décennies plus tard lorsque le style sportif quitte l’enceinte du stade pour entrer dans la vie quotidienne, amplifiée de nos jours par une interaction féconde entre les deux univers, phénomène de société aussi bien populaire qu’élitiste, phénomène économique porteur d’innovations technologiques et de développements commerciaux… Cette exposition n’aurait pu être aussi ample et documentée, aussi vivante, sans la collaboration et les prêts de grande qualité de collections publiques mais aussi de partenaires privés qui viennent abonder le fonds déjà riche du Musée, qui n’avait jamais été présenté au public. Je leur exprime ma vive reconnaissance. Je souhaite grand succès à cette première exposition d’été à Nice qui participe à la saison PromenadeS des Anglais organisée par la Ville et témoigne ainsi de l’insertion réussie du Musée National du Sport dans le paysage local tout en contribuant à affirmer sa vocation nationale et internationale. J’adresse mes vives félicitations aux commissaires de l’exposition ainsi qu’à toute l’équipe du Musée qui a su relever brillamment ce nouveau défi.
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ire Préfet honora n tio tra is in conseil d’adm or t Présidente du Sp du l na tio Musée Na ec t Honorary Pref ard Bo e tiv the Administra Spor t Chairwoman of du l na tio Na The Musée
Less than a year after opening its magnificent permanent galleries in Nice, the Musée National du Sport is presenting an ambitious temporary exhibition on the somewhat unusual theme of sport and fashion—two worlds that are, a priori, very different from each other. The exhibition, entitled ‘En mode sport’ (‘Sportswear’) takes visitors on an exciting journey of discovery via its rich itinerary, which attests to the veritable love affair between sport and fashion that began at the end of the nineteenth century with the emergence of elegant sports, and continued decades later when the sports style left the stadium and became part of everyday wear. This tendency has now been intensified by fruitful collaboration between the two worlds—a societal phenomenon that is as popular as it is elitist, and an economic phenomenon that fosters technological innovations and commercial developments. This comprehensive, well-documented, and dynamic exhibition has been made possible by the collaboration with public and private partners who have loaned the Musée exceptional items that complement its already rich collections, which are on display to the general public for the first time. I would like to extend my deepest gratitude to all these partners. I hope this first summer exhibition at Nice—as part of the ‘PromenadeS des Anglais’ season organised by the City Hall—is a great success; it will also attest to the successful integration of the Musée National du Sport in the local fabric, while strengthening its national and international reputation. I would like to extend my congratulations and thanks to the exhibition curators and the Musée’s entire staff for their excellent work on this new challenge.
Denis-Michel
ciétés o s t e t r o p s , e Mod Societies d n a t r o p S , n Fashio Dans les sociétés préindustrielles, dites « traditionnelles », le costume était un marqueur de statut social mais surtout d’identité locale, régionale voire nationale. La distinction individuelle au sein du groupe comptait moins que les signes d’appartenance à la communauté, au village, au « pays ». Née en Europe à la fin du Moyen Âge dans l’aristocratie, la mode occidentale a mis six siècles à s’imposer sur – presque – tous les continents, particulièrement dans le domaine du vêtement de travail, chez les cols bleus comme chez les cols blancs parmi lesquels s’est largement répandu l’uniforme masculin du costume-cravate. Le vêtement sportif, malgré une variété qui correspond aux besoins des multiples disciplines pratiquées, n’échappe pas à cette uniformisation. Certes, il est un terrain d’expérimentation de matières et de coupes en réponse à la recherche de la performance, de l’efficacité, du confort, de la meilleure adéquation au geste et à la mobilité des corps, que ce soit sur l’eau, dans l’eau, dans l’air, sur la neige ou la glace ; mais la mondialisation des pratiques sportives et de leur spectacle conduit très vite à l’adoption massive, par les pratiquants, des plus récentes innovations vestimentaires. Les équipementiers, en s’appuyant sur l’image des champions, veillent au renouvellement de leurs marchés. Bien au-delà des pratiquants, une large part des populations adopte des vêtements « de ville » ou de loisir influencés par les tenues sportives et produits industriellement. Le sportswear fait également des stars du sport des leaders d’opinion. Quant aux supporteurs, qui arborent la copie du maillot de leur joueur préféré, ils illustrent de la manière la plus évidente à quel point le vêtement peut faire signe et marquer l’appartenance à une « tribu ».
BOËLL
trimoine général du pa Conser vateur ntation ie or d’ ité m Président du co Spor t du l na Musée Natio e Curator General Heritag mmittee Co n io at nt e Or ie Spor t Chairman of th du l na tio The Musée Na
In so-called pre-industrial ‘traditional’ societies, outfits represented the wearer’s social status and, above all, local, regional, and even national identities. The distinction of individuals within the group was less important than demonstrating that one belonged to a community, village, or ‘country’. Western fashions emerged in Europe at the end of the Middle Ages within the aristocracy, and it took six centuries to spread to every continent, particularly with regard to work clothes, both for blue- and white-collar workers; for the latter the suit and tie became the customary attire. And sportswear, despite the great variety of styles that reflects the requirements of the various disciplines, has also become relatively uniform. Admittedly, many experiments are carried out to test materials and forms, to improve performance, effectiveness, and comfort, and provide greater freedom of movement and mobility, whether through water, air, and over snow or ice; however, the globalisation of sports and the transmission of sports events means that sportsmen and sportswomen everywhere immediately adopt the latest clothing innovations. Sports equipment suppliers are using the images of the champions to regenerate their markets. However, aside from these sports professionals, a large segment of the general public is adopting industrially produced ‘urban’ and recreational clothing influenced by sports attire. Sportswear is also turning the sports stars into opinion leaders. And the supporters, who sport the jerseys of their favourite players, provide the clearest example of the capacity of clothes to display and indicate ‘tribal’ membership.
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Marie-christi
ne Gr a sse
rale Directrice géné oine m tri pa du ef en ch Conser vatrice l du Spor t Musée Nationa
Préface Preface La nouvelle exposition En mode sport du Musée National du Sport présente l’évolution du vêtement des hommes et des femmes qui s’adonnent aux sports aristocratiques (polo, golf, chasse à courre) au xixe siècle, aux habits adaptés à la bicyclette, aux salles de fitness des années 1970, à la tenue de sport portée en ville aujourd’hui. Elle dévoile l’influence du développement des pratiques sportives sur l’habillement, imposées par ses lois d’adresse, de déplacements ou de liberté de mouvement, ses exigences de geste précis… Initialement, il s’agit souvent de l’adaptation d’une tenue usuelle, véritable garde-robe spécifique qui se développe au cours du xxe siècle. Avec le passage du loisir mondain au sport de compétition, la mode urbaine adopte d’une manière plus ou moins systématique « l’esprit sport » qui l’amène à l’intégration complète de l’habillement de sport parmi les tenues citadines. Par des jeux de miroirs et d’influences réciproques la séparation des deux mondes, le sport d’un côté, la ville de l’autre, tend à disparaître dans le dernier quart du xxe siècle. Des passerelles, parfois inattendues, s’établissent entre les deux milieux. Le vêtement de sport sort progressivement de son domaine réservé. Parallèlement, au cours du xxe siècle, la couture adopte sous des formes diverses un certain esprit sport et intègre ces habits dans l’univers citadin. Les Années folles sont celles des stades, de la boxe, du golf, du tennis… L’architecture tisse elle aussi des ponts entre ces mondes. La célèbre et étonnante villa du vicomte de Noailles à Hyères est conçue comme un lieu à la fois d’habitation exceptionnel et de loisirs sportifs (avec piscine et espace de pratique des sports et de la gymnastique). Dès les années 1910, Coco Chanel porte des vêtements en tricot proches de ceux utilisés dans les milieux sportifs mais lance les pyjamas de plage dans les années 1930 alors que René Lacoste fait de ses tenues de sport des objets d’élégance et d’exploits sportifs. À la même époque, Elsa Schiaparelli débute dans la couture en imaginant sweaters et vêtements de sport… Jean Patou s’attache à créer une véritable ligne de vêtements pour la compétition. Il habille Suzanne Lenglen à la ville et sur les courts. L’impact de la culture américaine transparaît rapidement dans la mode urbaine. Dès les années 1940 les États-Unis puis quelques décennies plus tard l’Europe constituent les principales zones historiques du sportswear, mode dérivée du monde sportif qui bouleverse aujourd’hui encore les codes de l’apparat et des gestes vestimentaires (on ne boutonne plus, on enfile). Il correspond à l’apparition d’un style de vie rapide, pratique, efficace… 6
The
or General Direct age rit He of r to ra Chief Cu l du Spor t Musée Nationa
The new exhibition entitled ‘En mode sport’ (‘Sportswear’) at the Musée National du Sport presents the developments of clothing for men and women who participated in aristocratic sports (polo, golf, and hunting with hounds) in the nineteenth century, clothing that was adapted for cycling, weight training rooms in the 1970s, and the sports items worn in contemporary towns and cities. The exhibition shows how developments in sports have influenced clothing, imposed by its specific requirements relating to dexterity, mobility, or freedom of movement, and the requirements for precision. Initially, it often involved adapting a habitual item of clothing, a very specific wardrobe that emerged during the twentieth century. When recreational sports became competitive, urban fashions more or less systematically adopted the ‘sports approach’, which led to the complete integration of sports clothing into urban wear. Through reciprocal mutual influences, the separation of the two worlds, with sport on the one hand, and the city on the other, began to disappear during the last quarter of the twentieth century. Bridges—sometimes quite surprising ones—were established between the two milieus. Sports clothing gradually moved away from its limited sector. Meanwhile, during the twentieth century, the fashion world adopted a sports mindset that took various forms and integrated these clothes into urban fashions. The Roaring Twenties was the decade of stadiums, boxing, golf, and tennis. Architecture also forged links between these two worlds. The Vicomte de Noailles’s famous and amazing villa at Hyères was designed to be both an exceptional residence and a place for multiple sports activities (with a swimming pool, a sports area, and a place for gymnastics). As of 1910, Coco Chanel began producing knitwear similar to that used in sporting milieus, and she launched her ‘beach pyjamas’ in the 1930s, while René Lacoste turned his sports clothing into objects of both elegance and sports achievements. In the same era, Elsa Schiaparelli began her career in couture with her designs for sweaters and sports clothing, and Jean Patou introduced a whole line of clothes specifically for competitive sports. He created clothing for Suzanne Lenglen that could be worn in town and on the tennis courts. The impact of American culture rapidly affected urban fashions. In the 1940s, the United States, and several decades later, Europe, were historically the main regions for sportswear fashions; this clothing, which was grounded in the sports world, continues to challenge established fashion codes and even the gestures associated with clothes (for example, one no longer buttons up, one slips on the item). It reflects the emergence of a rapid, practical, and efficient lifestyle. In the
Georges Vig
temps le , e d o m la , t Le spor nd Time a , n io h s a F , t r Spo
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ce sitaire de Fran nstitut univer de France Membre de l’I ire ta si er iv e Institut Un Member of th
Les « premières » tenues sportives, leur absence de particularité
The ‘first’ sports attire had no distinctive characteristics
Tout tendrait à montrer que le sport, dans ses manifestations premières, durant les années 1870-1880 du xixe siècle, n’invente pas de mode spécifique. Silhouettes, vêtements, matières ou tissus ne sauraient révolutionner l’existant. Aucune surprise ici, la naissance du sport explique, à elle seule, de tels croisements et de telles proximités : cette pratique toute particulière, exaspérant la performance et le défi, directement centrée sur la perfection de quelque efficacité physique, naît non pas d’une volonté d’apparence, mais d’une volonté de faire, une volonté d’accélérer l’espace et le temps. Ce qui la condamne d’ailleurs, dans ces premiers moments, à bricoler avec les tenues familières. Innombrables sont les exemples qui le montrent. Illustrées par Femina Sport, les femmes au tout début du xxe siècle pratiquent le gymkhana automobile ou le tir à la carabine avec leurs robes quotidiennes 1 , les tenniswomen conservent leurs longs ensembles plissés, fussent-ils à peine plus légers que ceux portés à la ville 2. Alors que les écuyères conservent leurs étoffes bouffantes, leur chemisier blanc, leur corset resserré, leur chapeau canotier 3 ou que les cyclistes féminines portent leur casaque de tous les jours, malgré son ampleur et ses plis, sa longueur couvrant les chevilles, celle même portée à la ville avec sa ligne devenue, sans doute, dès la fin du xixe siècle, plus étroite et plus cintrée 4 . Leurs gestes, bien sûr, sont plus rapides, leurs repères plus précis, leurs activités plus techniques, mais ces sportives des « premiers temps » n’ont pas rompu avec leur environnement et leur ajustement familiers. Les hommes des premiers sports le confirment tout autant, installés dans leurs repères ordinaires, adoptant des vêtements inchangés : les patineurs n’ont pas quitté leurs vestes et pantalons habituels pour glisser sur la glace, les coureurs à pied, lancés dans le tout premier affrontement au Champ-de-Mars, le 28 novembre 1875, portent encore chaussures de ville, vestes entr’ouvertes, chemises et gilets 5 . Quant aux premiers « lugeurs », ils n’ont d’autre tenue que celle des habitants des montagnes avec leur casquette de laine, leur pantalon épais, leurs souliers ferrés 6 . Difficile, tout autant et enfin, de déceler quelque tenue particulière dans l’improbable accoutrement du vainqueur de Paris-Brest-Paris cycliste, en 1901. Aucune singularité à nouveau : le héros d’un tel périple, Charles Terront, photographié par L’Illustration, semble affublé de la tenue des travailleurs anonymes croisés dans les villes de la même époque, un pantalon sombre à peine
There are few indications that specific fashions were designed for sports when they first emerged as distinct activities in their own right in the 1870s and 1880s. Existing clothing was not revolutionised by new silhouettes, clothing, materials, or fabrics. This is not particularly surprising, as only the establishment of sports disciplines would explain these adaptations and associations: these very specific practices focused on a combination of performance and challenges, with an emphasis on the perfection of specific physical effectiveness; they had little to do with appearances, and more to do with a need for action and a desire to accelerate space and time. Hence, in this initial phase, existing outfits were simply adapted. There are numerous examples of this: illustrated in Femina Sport, the women of the early twentieth century practised automobile gymkhana and rifle shooting dressed in their habitual garb, 1 and female tennis players wore long, pleated ensembles, which were only marginally lighter than the attire they wore in town. 2 Horse riders still dressed in voluminous fabrics, with a white chemise, tight corset, and boaters, 3 and female cyclists wore their habitual attire, despite its bulkiness and pleats, and its length that covered the ankles; it was the very same attire worn in town, although, from the end of the nineteenth century onwards, it probably became less cumbersome and more close fitting. 4 While their movements increased in rapidity, their practices more precisely defined, and their activities more technical, these ‘first’ sportswomen had not yet made a real break with their familiar environments and modified clothes. And the first sportsmen confirmed this trend, maintaining their familiar practices, and adopting their everyday clothing: the ice skaters wore city trousers and jackets, and the runners, participating in their very first competition on the Champ-deMars, on 28 November 1875, still wore their shoes, with open jackets, and shirts, and waistcoats. 5 And the first ‘tobogganers’ wore the same garb as the mountain inhabitants, with their woollen hats, thick trousers, and shoes with crampons. 6 It was also difficult to identify any distinguishable characteristics in the curious accoutrements of the cyclist who won the Paris–Brest–Paris race in 1901. Once again, the clothing was quite unremarkable: the hero of this exploit, Charles Terront, photographed by L’Illustration, seems to have been attired in the same clothing worn by the anonymous workers in the cities at the time—dark trousers that were only slightly fitted
1. Femina Sport, Pour bien faire du sport, Paris, Lafitte, 1912, p. 140 et p. 167. 2. Ibidem, p. 329. 3. Ibidem, p. 205. 4. Voir C. Pasteur, Les femmes à bicyclette à la Belle Époque, Paris, Éditions France Empire, 1986, planches p. 128. 5. Voir « Le club des coureurs », L’Illustration, 4 déc. 1875. 6. Voir « Tobboganing », L’Illustration, 11 févr. 1899.
e c n a g é l é ’ d s t r Spo
s t r o p S t n a g e El « La silhouette sportive, c’est le chic absolu » Jean Patou
Suzanne Lenglen, Coll. MNS
La rencontre entre le sport et la mode va de soi. Elle est fortement liée à l’invention du sport moderne initié par les Britanniques. Dès le milieu du XIXe siècle, les catégories aisées trouvent dans les pratiques un espace de distinction sociale. Le choix de la discipline (tennis, équitation, golf ) et le raffinement des tenues vestimentaires deviennent les signes d’une affirmation de classe. Dans les années 1920-1930, les stations hivernales et balnéaires se transforment en véritables lieux d’apparat du chic absolu. L’engouement et l’essor des compétitions obligent à une spécificité du vêtement sportif. Face à cette singularité, des personnalités de la mode et des célébrités sportives développent matières, lignes et collections de sport. Progressivement, « le style sport » sort de ce vestiaire spécifique pour pénétrer dans la garde-robe de l’élégance masculine et féminine.
‘The sports silhouette is the smart silhouette’ Jean Patou The connection between sport and fashion is quite natural and is closely linked to the invention of modern sport that was initiated by the British. In the mid-nineteenth century, the upper classes saw these activities as a way of highlighting social differences. The choice of discipline (tennis, horse riding, or golf) and the refinement of the attire became indispensable signs that affirmed the social class of the wearer. In the 1920s and ‘30s, the winter and sea resorts were transformed into veritable centres for high fashion. The enthusiasm for and emergence of competitive sports encouraged the development of highly specific forms of clothing. This singularity led to the development of materials, clothing lines, and sports collections by fashion and sports celebrities. The ‘sports style’ gradually emerged from this specific wardrobe and became a regular feature of masculine and feminine elegance. 13
Noblesse oblige ! Nobility obliges! BD
La Comtesse de Greffulhe au bois de Boulogne © Roger-Viollet, RV-521086 14
Gutton & Marie-L aure teros guet Balles Pa sc ale Gor
860-1910 1 e iv t r o p s e b garde-ro e n ’u d e c n a s 0 –1910 Nais 6 8 1 e b o r d r a Sports W a f o e c n e g r e The Em Le Manuel technique et pratique du vélocipède de A. Gaston Cornié publié vers 1893 présente un certain nombre de publicités dont l’une vante des « chaussures pour vélocipédiste. Modèles Charles Terront. Les meilleures, les plus légères et les plus souples pour les courses sur route et sur pistes. Poids : 330 gr 1. »La préoccupation du fournisseur quant au rôle spécifique des chaussures dans la performance cycliste semble étonnamment précoce si on la mesure au commentaire d’Olivier Burgelin portant plus généralement sur le début du xxe siècle : « Les premiers vêtements de sport pour la chasse, le golf, le tennis ou la bicyclette sont en réalité des tenues de ville légèrement modifiées 2. » L’idée qu’il n’existe quasiment pas de vêtements spécialisés adaptés aux pratiques sportives au xix e siècle est récurrente. Elle concerne, il est vrai, principalement le vêtement féminin. Et pourtant, elle est démentie à la fois par l’usage qui veut qu’à cette époque un costume soit adapté à chaque circonstance de la vie sociale, par les commentaires des journalistes de la période, ou encore par les tenues et accessoires présentés dans les catalogues commerciaux des grands magasins et des fournisseurs spécialisés dans le sport.
The Manuel technique et pratique du vélocipède (‘A Technical and Practical Guide to Velocipedes’) by A. Gaston Cornié, published circa 1893, contains a certain number of advertisements, one of which promotes ‘shoes for velocipedists. Charles Terront models. The best, most supple and lightweight shoes for track and road races. Weight: 330 g.’ 1 The supplier’s concern about the specific role played by the shoes in the cyclist’s performance is surprisingly ahead of its time when compared, for instance, with Olivier Burgelin’s comment, which refers more generally to the beginning of the twentieth century: ‘The first sports clothing for hunting, golf, tennis, and cycling was in fact urban clothing that had been slightly modified.’ 2 The idea that there was almost no specialized clothing adapted for sport activities in the nineteenth century is a recurrent one. It does, of course, largely relate to women’s clothing. And yet, it is contradicted both by the practice at the time of adapting clothing for use in every social occasion and the journalists’ comments during the period, and also by the clothing and accessories presented in the commercial catalogues produced by the department stores and suppliers who specialized in sports clothing.
En effet, le savoir-vivre exige, au xix e et au début du xx e siècle, que l’on accorde son apparence à ses activités. Svelt, journaliste de La Vie parisienne, cite le « raffinement […] de la toilette exactement appropriée au temps, à l’heure, à la circonstance 3 ». Le Guide des convenances de Liselotte, publié vers 1905, insiste sur les tenues dédiées aux activités physiques : les « costumes spéciaux » sont nécessaires. Pour les « jeux à la mode 4 » les « jeunes filles accompagnées de leur mère […] ont un costume très spécial : blouse, jupe courte, bottines jaunes, canotier. Le tout est recouvert d’un paletot-sac, qu’on défait en arrivant. Les jeunes gens cachent de même, sous un pardessus, leurs pantalons blancs, leurs chemises de couleur 5 . » L’auteur consacre un chapitre aux « modes originales » ou tenues féminines à revêtir par sport. « Notre costume féminin subit nécessairement toutes les modifications utiles pour être adapté à chacun de ces sports. […] Comment une femme s’habille pour faire de l’escrime – le costume se compose d’une veste en toile grise avec plastron en peau, jupe et culotte en toile grise. Masque avec grillage […] Le costume de gymnaste est en toile grise avec blouse longue et culotte agrémentée de galons rouges. Sandales de toile 6 . »
Coll. MNS
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À la fête de la glace, piscine Molitor, organisée au bénéfice de l’Union des Artistes : un modèle gracieux de costume de sports d’hiver, 1930 Coll. MNS, inv. MS 7238 photo106
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Nadine Chab
odes m s e s t e i k s Le hions s a F s it d n a g Skiin Dès 1910, seuls quelques privilégiés se rendent en villégiature l’hiver à la montagne. À Saint-Moritz, Chamonix puis à Megève, on pratique les sports en costume de ville accompagné de lainages ou en tenue de bicyclette, d’équitation ou de chasse. Ces mélanges de style donnent aux silhouettes une allure singulière qui fait dire à Jacques Henri Lartigue « Nous étions à mi-carême ! » Les vacanciers se débarrassent progressivement des contraintes urbaines et privilégient la couleur et la décontraction. L’affiche du Cachat Majestic (1910) montre les lainages colorés et la réclame des Laines Bisanne (1920) présente un pullover à motifs jacquard multicolore. En 1920, le tailleur Maurice Och, à Saint-Moritz, crée les « norvégiens », pantalons longs et larges resserrés à la cheville. Assorti à des vestes en drap ou sergé de laine, l’ensemble de ski tend à s’uniformiser. Les maisons spécialisées se multiplient à Paris où Tunmer, Saint-Didier Sports, Burberry ou les grands magasins proposent des collections « Sports d’hiver » pour toute la famille. Chez Hermès, Lola Prusac conçoit, dès 1929, des ensembles de laine graphiques et colorés et lance la première collection, « Pour les sports d’hiver », de la maison. La création du fuseau, en 1930, par Armand Allard à Megève va profondément et durablement modifier la silhouette du skieur. Testé lors des compétitions, il est le premier vêtement technique pour le ski. Repris par tous les couturiers, qui vont se l’approprier, il reste l’ultime symbole d’une silhouette élégante et fuselée.
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In 1910, only a privileged few went on holiday to the mountains in the winter. At Saint Moritz, Chamonix, and Megève, sports were practised in urban clothing with woollens, or in cycling, horse riding, or hunting outfits. These combinations of style gave the holidaymakers’ silhouettes a somewhat unusual appearance and prompted Jacques Henri Lartigue to comment: ‘It was like a carnival!’ The holidaymakers gradually freed themselves from the constraints of urban clothing and replaced it with more colourful and casual attire. The poster for the Cachat’s Majestic hotel (1910) represents people wearing colourful woollens and the Les Laines Bisanne wool company poster (1920) presents a pullover with multicoloured jacquard motifs. In 1920, at Saint Moritz, the couturier Maurice Och, created ‘Norwegian’ trousers: long, wide trousers, tightened at the ankles. Accompanied by jackets in wool or wool twill, skiing outfits became standardised. There was an increase in the number of companies specialising in such attire in Paris, where Tunmer, SaintDidier Sports, Burberry, and the major department stores created ‘winter sports’ collections for the whole family. At Hermès, Lola Prusac began designing (in 1929) colourful woollen outfits with graphic patterns and launched the fashion house’s first ‘winter sports’ collection. The creation of stretch ski pants by Armand Allard at Megève in 1930 radically and definitively altered the skier’s silhouette. Tested in various competitions, it was the first technical item of clothing for skiing. Copied by various couturiers who have incorporated it into their designs, it remains the ultimate symbol of an elegant and streamlined silhouette.
Album de famille, Suzanne Lenglen, années 1930 Coll. MNS
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L’ère du changement The era of change
Codie Austin à côté de T.O. Brandon sur un terrain de golf, 1935 © Bettmann/Corbis 31
ain-Sa Sandrine Jam
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ntaire e im t s trente s e e é v n n n a io t x u l u o a v s é r le l La des Années fo nd 1930’s evolution a R s g ie in t h n t e o l w C T e g Th in the Roarin La période de l’entre-deux-guerres renouvelle considérablement les silhouettes des sportifs et sportives et marque un premier virage dans l’histoire des vêtements sportifs, sur le plan tant quantitatif que qualitatif. Bouleversée par les nouvelles aspirations des « Années folles », la mode vestimentaire connaît sa révolution aussi bien dans le civil que dans le monde du sport. Ce dernier connaît d’ailleurs, lui aussi, sa révolution : circonscrit à quelques initiés à la Belle Époque, le sport devient au cours de l’entre-deux-guerres, à travers la multiplication de compétitions nationales et internationales, un véritable spectacle dont les résultats et l’identification des champions intéressent autant la foule que les gouvernements. C’est dans ce contexte que s’inscrivent les différentes transformations vestimentaires au sein de la sphère sportive. La première de ces modifications est liée à l’avènement du sport-spectacle, qui consacre les champions – et quelques championnes. Ainsi, l’affichage des écussons nationaux sur les maillots, l’apparition des numéros ou des couleurs propres à une nation montrent que le spectacle sportif a ses règles du jeu spécifiques.
Maxime Decugis, Suzanne Lenglen, Pierre Albarran et André Gobert, 1919 Coll. MNS, inv. MS 7231 photo6
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In the period between the two World Wars, the silhouettes of sportsmen and sportswomen changed considerably, and this era marked the first turning point in the history of sports clothing, both in terms of quantity and quality. Influenced by the new aspirations of the ‘Roaring Twenties’, fashions underwent a revolution on the street and in the sports world. The latter also underwent its own particular revolution: reserved for a select few during the Belle Époque, sport became— with the increase in the number of national and international competitions in the period between the two World Wars—a veritable form of entertainment, and the results and the identification of the champions interested both the spectators and the various governments. This was the context in which the various changes in clothing took place in the sports sphere. The first of these changes was linked to the emergence of spectator sport, which created champions, some of whom were female. Hence, the presence of national emblems on sports shirts and the emergence of national numbers and colours showed that sports events now had their own specific rules. The other innovations were attributed to other factors. The increase in the number of sportsmen and, particularly, sportswomen, and the new sporting regulations linked to the emergence of single-sport federations fostered changes in sports clothing, resulting in more practical and healthier outfits. Apart from the use of new fabrics such as cotton, silk, and flannel, the new clothing was much shorter. Shorts and T-shirts gradually became more popular in the stadiums, revealing arms and legs, and were worn by many sportswomen, such as athletes and female football players. The sportswomen’s somewhat controversial practice of wearing clothes that were similar to those of their fellow sportsmen revived old fears about the masculinisation of women and, above all, a ‘genderless’ civilization. The legitimacy and recognition of women’s achievements in sport seemed to be related to a certain conformity with the prerogatives of femininity, like the emblematic tennis player Suzanne Lenglen, who was not only famous for her talent, but also the originality of her dresses. The French tennis player made a much-noted and quite remarkable debut on the international tennis scene in 1919 by winning the international finals at Wimbledon, and, above all, by not wearing the traditional long dress at a time when the tennis world was particularly hostile to the idea of outfits that revealed parts of the
L’ère du changement The era of change
Portrait devant le filet de Borotra, Perry, Bernard et Hughes pour la rencontre France–Grande-Bretagne en double à Roland-Garros, années 1930 Coll. MNS, inv. IMG.2011.0018.0031
Pull-over de Jean Borotra années 1930 Coll. MNS, inv. 2004.67.1 35
Emmanuelle
Polle
portif s r ie r u t u o c , u Jean Pato uturier o C y t r o p S e h t Jean Patou, « On me fait peut-être plus de compliments encore sur mes toilettes que sur mon jeu : c’est presque vexant ! Il est certain que le succès de Patou n’est pas moindre que le mien 1 » faisait mine de s’offusquer Suzanne Lenglen. Lors de sa première victoire à Wimbledon en 1919, sa tenue signée Jean Patou surprend autant que la puissance de son jeu. Elle a vingt ans, ne porte ni corset ni jupon, mais une robe de soie plissée aussi courte de manche que d’ourlet qui laisse au public, lorsqu’elle se jette sur la balle, tout loisir d’observer ses bas blancs. La championne est une publicité vivante pour le jeune couturier français tout comme le seront Helen Wills, grande rivale de Lenglen elle aussi habillée par Patou, ou l’aviatrice américaine Ruth Elder. Ces sportives professionnelles propulsent la vague du « sportswear » qui bientôt contamine toutes les femmes de la haute société. Le sportswear n’est pas une mode, c’est un état d’esprit qui nous profite encore aujourd’hui. C’est l’association du chic et du décontracté et la mise en valeur du corps par une utilisation nouvelle de matières plus souples.
Croquis d’une tenue de golf, jupe et sweater de jersey, vers 1926 DR/Archives Jean Patou
Croquis d’une robe de tennis pour Suzanne Lenglen, 1926 DR/Archives Jean Patou
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‘I probably get more compliments for my attire than my playing: it’s almost irritating! I do believe that Patou’s success is no less than my own,’ 1 Suzanne Lenglen declared, feigning offence. During her first victory at Wimbledon, in 1919, her outfit, which was designed by Jean Patou, caused as much of a stir as her vigorous playing style. The twenty-year-old tennis player wore neither a corset nor a petticoat, but rather a short-sleeved knee length pleated silk dress, and every time she lunged at the ball, her white undergarments were fully displayed to the spectators. The champion was a living advertisement for the young French couturier, as were Helen Wills, Lenglen’s great rival, who also wore Patou’s designs, and the American aviator Ruth Elder. These professional sportswomen were a veritable driving force in the vogue for ‘sportswear’ that soon became essential attire for every woman in high society. Sportswear was not a passing trend, but rather a mindset that is still very much with us today; its effectiveness lies in blending the stylish and the casual, and physical enhancement via the innovative use of increasingly supple materials.
L’ère du changement The era of change
Blouson Schiaparelli, vers 1950 Palais Galliera, Musée de la Mode de la Ville de Paris, inv. GAL 2009.25.3
Affiche, Automoto, années 1920 Coll. MNS, inv. 81.39.12
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e l ê m n e ’ s t r o p s e l quand
0001 © IMG.2011.0068. , coll. MNS, inv. 08 20 en n ki de Pé ux olympiques aillé d’or aux Je Usain Bolt, méd
liakov Jean-Michaël Po
h c u o t g n i the sport
Établi comme un loisir de mondanité à la fin du xixe siècle, le sport prend des allures de compétition à partir de l’entre-deux-guerres. La quête de la performance devient une motivation pour les athlètes. Le vêtement s’en trouve modifié. L’élaboration de nouvelles fibres constitue une révolution des matières qui a son incidence dans la tenue sportive. L’engouement pour le sport crée un nouveau marché. Plusieurs entreprises rivalisent pour gagner le leadership des équipementiers. Le match oppose Européens et Américains. Dans les années 2000, l’esprit sport pénètre dans les ateliers de couture et conduit au mariage entre l’industrie sportive et les créateurs de mode. Le lancement de marques par les sportifs renforce la relation entre la mode et le sport. Le tennis et le rugby sont des sources d’inspiration pour des célébrités sportives. L’innovation et l’attention environnementale pénètrent également le marché des articles sportifs.
Established as a recreational activity at the end of the nineteenth century, sport became more competitive between the two world wars. The quest for performance became a great motivation for athletes, and consequently clothing needed to be adapted. The development of new fibres constituted a veritable revolution in materials that had a great effect on sports clothing. The enthusiasm for sports created a new market, and various companies competed to become the leading providers of sports equipment; this competition was between the Europeans and the Americans. In the 2000s, the sporting mindset entered fashion ateliers, leading to a marriage between the sports industry and fashion designers. And the launching of brands by famous sportsmen and sportswomen has strengthened the relationship between fashion and sport. Famous sports personalities have been inspired by tennis and rugby. Innovation and environmental concerns are also influencing the market in sportswear. 41
Place à la performance The quest for performance
Tour de France 1955 : Louison Bobet dans le Ventoux Coll. MNS, inv. MS 25888 photo9
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s e u q r a m s e le match d
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Yannick Noah q Spor tif, 1986 Af fiche, Le Co v. D.86.131.1 b in , NS Coll. M
Tenue de sk i Rossig no Infini Com l pression R ace réalisée a vec la mati ère Lycra® Sp ort © Monica Dalmasso
Plus perform ant et plus respo nsable Better perfor m a n environmenta ce & more l responsibili ty
Mette Bruun
tswear r o p s le s n a d hniques c e t s e il t x e t s Le ures t a e F l a ic n h c e es with T il t x e T r a e w s t Spor Les innovations actuelles apportées aux équipements de sportswear dérivent souvent des avancées technologiques issues des industries de l’armement et de l’espace. Toutefois, le marché du sportswear joue un rôle moteur croissant dans la mise au point de textiles techniques ou « intelligents ». Les consommateurs étant prêts à payer cher pour des vêtements et des accessoires à haute performance, l’intérêt économique pour le secteur est fort, et la recherche d’innovation, impressionnante. On estime que le taux de croissance du marché des équipements de sport est le double de celui de l’économie mondiale 1. Lors des compétitions sportives, les athlètes tiennent de plus en plus compte de la performance de leur équipement. Les textiles techniques et intelligents créés par l’homme et utilisés dans le sportswear présentent des spécificités et des avantages dans les domaines de la vitesse, de la sécurité et du confort. Les premières tentatives de production de textiles artificiels remontent au xixe siècle. On cherchait alors à créer une soie artificielle. La soie était l’étoffe la plus recherchée et, depuis l’Antiquité, l’approvisionnement du marché européen dépendait presque entièrement de la Chine et du Japon. La viscose, fibre semi-artificielle dite « soie artificielle » produite à partir de cellulose, fut inventée en 1885. L’entreprise pionnière DuPont la rebaptisa « rayonne » et, en 1938, cette même entreprise mit au point le Nylon, première fibre textile entièrement artificielle. Dans la foulée de la création de cette première fibre artificielle, d’autres furent rapidement introduites sur le marché dans les années 1950 : les fibres acryliques, le Lycra, le Polyester, l’Orlon, le Tactel, etc. Le Néoprène, développé par le surfer Jack O’Neill durant la même décennie, a eu depuis un énorme impact sur le sportswear et il entre dans la confection de très nombreux vêtements de sport. Le Lycra, fabriqué à partir de plusieurs fils de polymères, a été utilisé pour les maillots de bain lors des Jeux olympiques de Munich en 1972 2 et son incomparable élasticité a accompagné l’engouement pour les activités de fitness et de bodybuilding des années 1980. Aujourd’hui, tout athlète est parfaitement au fait des caractéristiques des vêtements fonctionnels. Sur l’étiquette du fabricant, la référence à une fonction comme l’évacuation de la sueur pourra être signalée par le terme « respirant ». Citons, par exemple, la microfibre développée par l’entreprise japonaise Toray. C’est un textile dont l’emploi est très fréquent dans le sportswear, par exemple dans les sous-couches des vêtements. Il se compose de fibres de polyester soixante fois plus fines que des cheveux humains. L’une des propriétés des microfibres étant que ses chaînes de molécules sont
Current innovations in sportswear apparel are often adoptions of technological developments seen in the military and the aerospace industries. The sportswear market is, however, increasingly becoming a driving force for the development of textiles with technical or intelligent features. Consumers are willing to spend huge sums on performance wear and gadgets and consequently, the economic interests are huge and the innovation drive impressive. It is estimated that the growth rates of sports equipment are twice that of the global economy as such.1 Athletes rely increasingly on the performance of their apparel to combat competitors. The man-made textiles used in sportswear are designed with technical and intelligent features providing an advantage on parameters such as speed, safety and comfort. The first experiments with production of artificial textiles were made in the 19th century as an attempt to produce artificial silk. Silk was the most sought after textile and since Antiquity Europe had been dependent on China and Japan to saturate the market. Viscose, a semi-artificial fibre known as ‘artificial silk’ made out of cellulose,
Veste chaude hybride Eider Pulse Hybrid JKT avec matière innovante Polartec® Alpha® © Eider
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: s r u e t a é r c t e s r e i t n e équipem t r o p s n e s stylé
ig nol intégrale Ross Combinaison r pa 15-2016 pour l’hiver 20 15 Castelbajac, 20 de s rle ha -C an Je stelbajac/ Ca de s le ean- Char © Rossig nol/J Sonny
& s r e i l p p u s t Equipmen e c n a g e l e y t r o p s : s r e n g desi 59
R achel Pretti
sport u d o d a r o ld e vel Mode : le nou rado o D l E w e N ’s t Fashion: Spor Les liens entre les marques de sport et de mode n’ont jamais été aussi forts. Un mariage pas si étonnant pour deux secteurs caractérisés par leur innovation et leur croissance. Alors que la star du ballon rond Zinédine Zidane lance une collection avec Mango, la top brésilienne Gisele Bündchen s’affiche en vêtements de sport Under Armour et l’emblématique Karl Lagerfeld, patron de Chanel, revisite les sacs Vuitton en punching-ball et gants de boxe pour les cent cinquante ans du célèbre Monogram. « Le sport est en train de devenir fashion, il y a une “hybridation” de ces deux mondes », estime Vincent Grégoire, chasseur de tendances au bureau de style NellyRodi. Le tendanceur prend l’exemple des mannequins qui défilent depuis quatre ans chaussées de baskets signées Dior, Gucci ou Chanel mais aussi Nike, Puma ou Adidas. « Les filles, comme la top Cara Delevingne, veulent garder les pieds sur terre et oublient leurs talons », poursuit Vincent Grégoire. Mieux : elles craquent pour la déclinaison de la sneaker Instapump Fury de Reebok, revisitée par Sandro, et se parfument avec la fragrance de Jeremy Scott pour Adidas, dans un flacon en forme de basket avec des ailes. Les marques de sport ont bien compris l’intérêt de s’afficher avec les icônes de mode et les stars des podiums. En sortant des terrains de gazon ou de terre battue, elles touchent une cible bien plus large que les fans de sport qui détournent depuis belle lurette survêtements et baskets dans la rue.
Présentation de la veste casual Rossignol Aiko Light Down, 2015 © Rossignol - Vanessa Andrieux
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Veste de ski Rossignol, collection hiver 2015-2016 par Jean-Charles de Castelbajac, 2015 © Rossignol/Jean-Charles de Castelbajac
The links between sports and fashion brands are stronger than ever. This successful collaboration is hardly surprising given the innovative nature and growth of both sectors. The football star Zinédine Zidane is launching a collection with Mango, the Brazilian top model Gisele Bündchen is modelling Under Armour sportswear, and the emblematic head of Chanel, designer Karl Lagerfeld, has transformed the famous Louis Vuitton bags into punching bags and boxing gloves to mark the one hundred-and-fiftieth anniversary of the famous ‘Monogram’ canvas design. ‘Sport is turning into fashion—we are seeing a process of “hybridisation” between these two worlds’, observes Vincent Grégoire, a trend-tracker at the Nelly Rodi styling agency. To illustrate this, the trend-tracker points out that over the last four years catwalk models have been parading in trainers made by Dior, Gucci, and Chanel, as well as Nike, Puma, and Adidas. ‘Young women, like the top model Cara Delevingne, want to remain “down-to-earth” and step out of their high heels’, says Vincent Grégoire. Even better—they just love Sandro’s version of Reebok’s Instapump Fury range, and their favourite perfume is Jeremy Scott’s fragrance for Adidas, in a bottle in the form of winged trainers. The sports brands have fully grasped the importance of being associated with fashion icons and the stars of the podiums. By going beyond sports fields and tennis
e u q r a m e Sportifs d s d n a r b y t i l a n o s r e p s t Spor
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90 e blazer en 19 avec son célèbr René Lacoste e) st co lle/Scoop/(La © Fouli Elia/E
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rkais o y w e n r a e w s le sport 1940 t : e in 0 a 3 ic 9 r 1 é s m e a é n le des an Le sty rtswear o p S k r o -Y 40’s w 9 e 1 N d : n le a y t ’s S 0 3 n 9 a 1 in the Americ En 1933, Mme Anny Blatt, designer de vêtements de sport en maille d’origine française, s’était rendue à New York pour explorer le potentiel commercial de la mode new-yorkaise alors en plein essor. À l’occasion d’un déjeuner organisé par le Fashion Group, elle avait déclaré que, « à l’avenir, les vêtements de sport et la maille se développeront bien plus ici que dans n’importe quel autre pays 1 ». Cette remarque était on ne peut plus juste ; le secteur du sportswear américain croissait alors rapidement et se diversifiait en intégrant des pièces coordonnées et combinables qui venaient s’ajouter à la gamme complète des équipements de sport dont ils s’inspiraient. Anny Blatt avait ajouté qu’elle se rendrait dorénavant régulièrement aux États-Unis pour consolider les précieux contacts qu’elle y avait d’ores et déjà noués, et pour développer son entreprise française. New York était alors le principal centre de production de sportswear et cherchait à affirmer une identité de capitale de la mode distincte de celle de Paris. L’essor du sportswear était partiellement dû au changement de statut des femmes après la Première Guerre mondiale. De plus en plus nombreuses à entrer dans le monde du travail, à voyager en toute indépendance et à mener une vie active, elles recherchaient des vêtements pratiques, élégants et d’entretien facile. Le prêt-à-porter sportswear avait évolué pour se conformer à cette demande, et il s’inspirait des vêtements anglais de ville et de loisirs, des costumes de voyage et des équipements de sport. À cela s’ajoutait une demande accrue de facilité et de confort dans tous les aspects de la vie urbaine, de l’aménagement intérieur des boutiques jusqu’à l’amélioration des transports publics. On vantait comme démocratique et accessible à tous le style de vie moderne américain, et la technologie favorisait son émergence. Comme le notait Vogue en 1929, « la véritable efficacité conjuguée au confort ne compte guère pour beaucoup d’Américains. Arriver rapidement à destination, quelles que soient les secousses du trajet, le prix payé pour être secoué, et l’inconvénient d’arriver trop tôt, voilà ce que l’on considère comme un moyen de transport efficace 2 ». Le sportswear, conçu pour être facile à porter, fabriqué industriellement et présenté par la publicité comme portable en de multiples occasions, transposait au vêtement le concept d’efficacité. Parallèlement à ces modes de vie émergents, on assistait à une professionnalisation accrue de l’industrie de la mode américaine et à la prise de conscience par les fabricants, les détaillants et les commerciaux que la mise en valeur des designers et de leur personnalité ferait mieux vendre le sportswear. C’est ainsi que des créatrices
In 1933, knitted sports clothes designer, Mme Anny Blatt visited New York from her native France, eager to gain insight into the burgeoning American fashion market. Speaking at a Fashion Group luncheon, she commented that: ‘sport and knitted things in the future are proceeding much more here than in any other country.’ 1 Her observation was accurate, American sportswear was developing apace, expanding to incorporate a range of interchangeable separates, as well as the full selection of active sports garments from which it originated. Blatt went on to note that she would therefore make regular visits to America and build upon the valuable contacts she had already made to develop her own Parisian business. New York was by this point the centre of sportswear, and increasingly aimed to define itself as a fashion city with its own identity, distinct from Paris. In part, sportswear’s rise was connected to changes in women’s status after the First World War. As more women entered the work place, travelled independently and led active lives, they needed clothes that were adaptable, smart and easy to care for. Readymade sportswear evolved to meet this demand, drawing upon English town and country wear, travel clothes and active sportswear as inspiration. Allied to this was a developing expectation of ease and comfort in all aspects of city life, from well laid out shop interiors to better public transport. Modern American life was promoted as democratic and accessible, and technology provided the means to create this environment. As Vogue noted in 1929, ‘real efficiency, combined with
Publicité, Mrs Franklin, 1931
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Le sport au quotidien Sport in everyday life
Veste femme Nike Tech pack Š Nike
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Claude Boli
ket-ball s a b e d e ll a s e mode ket. De la s d a s b lé la fi é e d d s e e ir d o Hist aux podiums eakers n Shows n S io f h s o a y F r o o t t t is r H u The etball Co k s a B e h t m o r F La photo a fait le tour du monde. Jean-Marie Gustave Le Clézio, prix Nobel de littérature en 2008, assis sur une chaise à paillage, vêtu d’un costume sombre, d’une chemise à carreaux et d’une cravate à fleurs. Il porte des baskets. Le contraste est saisissant ! Parti des États-Unis dans le milieu des années 1980, l’usage ordinaire de la basket (ici, terme qui comprend toutes les chaussures à semelle en caoutchouc) pénètre aujourd’hui toutes les couches sociales. L’histoire a négligé cette pièce remarquable de la vie quotidienne perceptible dans tous les continents, alors que la basket permet de déceler l’influence du vestiaire sportif dans l’expression des mutations des modes vestimentaires. L’histoire de la basket découle de l’invention du caoutchouc. En 1839, le chimiste américain Charles Goodyear met au point le procédé de vulcanisation (action de la chaleur sur un mélange de caoutchouc et de souffre) qui donne à la gomme des caractéristiques plastiques. S’ensuit au milieu du xixe siècle un usage du caoutchouc dans diverses activités, notamment la fabrication de chaussures. En 1917, l’entreprise américaine Converse (fondée en 1908) lance la première chaussure dédiée à la pratique du basket-ball, une discipline en plein essor depuis la création d’un championnat en 1898. Converse associe la chaussure avec le nom d’une vedette sportive. En 1923, à côté de la marque étoilée s’ajoute le nom du basketteur Chuck Taylor. Ainsi naît la Converse Chuck Taylor All Star. Elle est appréciée par les basketteurs pour sa forme (tige montante, protège-talon et cheville) et plaît aux ouvriers d’usine pour sa robustesse. La scène artistique (cinéma, théâtre, musique) contribue à sa popularité au-delà des frontières américaines. L’Europe ne reste pas en dehors de cette mode. Adidas, la marque allemande (fondée en
Croquis des baskets Nike Air Foamposite, 1997 © Nike
Croquis des baskets Nike Hyperdunk, 2008 © Nike
The photo went around the world. Jean-Marie Gustave Le Clézio, who was awarded the 2008 Nobel Prize for Literature, is pictured sitting in a wicker chair, dressed in a dark suit, a check shirt, and a flowery tie. He is wearing trainers. The contrast is striking! Originating from the United States in the mid 1980s, the use of trainers for everyday wear (in this case, the term refers to any shoes with a rubber sole) has now become common at all levels of society. Whereas history has overlooked this remarkable everyday item, which can be seen on every continent, trainers reflect the influence of sports clothing in the expression of the changes in clothing fashions. The history of trainers began with the invention of rubber. In 1839, the American chemist Charles Goodyear developed the vulcanisation process (brought about by heating rubber with sulphur), which makes rubber more flexible. Subsequently, in the mid-nineteenth century, rubber was used for various purposes, particularly in the manufacture of shoes. In 1917, the American company Converse (founded in 1908) launched the first shoes for playing basketball, a sport that had been growing in popularity since the creation of a championship in 1898. Converse associated the shoes with the name of a sports star. In 1923, the name of the basketball player Chuck Taylor was added to the brand’s star logo, and the Converse All Star ‘Chuck Taylor’ basketball shoe was born. They are appreciated by basketball players for their exceptional form (high cut with heel and ankle protectors) and are worn by factory workers because of their durability. The arts scene (cinema, theatre, and music) has contributed to their popularity outside America. There is also a fashion for these shoes in Europe. The German brand Adidas (founded in 1948) has positioned itself with the Stan Smith shoe. Since they were first produced in 1964, 40 million pairs have been sold around the world, which is a record. The brand’s fame grew two decades later. In 1985, the hip hop group Run-D.M.C.’s use of the Adidas Superstar, complemented by their song My Adidas, consolidated the sports 81
e r u t u o C e t u a H a l d Quan t r o p s e l embrasse e r u t u o c e t u a h n e h W t r o p s d e embrac « Le sport fait partie de notre vie quotidienne et, qu’on le pratique ou non, il exerce une influence certaine sur la vie moderne. » John Galliano (maison Christian Dior), 2006 Les années 2000 voient l’explosion des connexions entre l’univers du luxe et celui des tenues abordables et du champ sportif. Désormais, le sport s’inscrit dans les inspirations artistiques et les ambitions commerciales des créateurs de tendances vestimentaires. La rencontre n’est plus un effet de mode mais témoigne de la prise en compte des valeurs sportives et de la nécessité de conquête d’un marché qui prospère. La création s’invite dans le monde du sport afin d’en extraire des images valorisantes, qu’elle renvoie dans la société. La mode vestimentaire est alors marquée par la silhouette virile, le corps désirable ou la confusion des genres. Les maisons de haute couture et les puissantes enseignes de vêtements à prix accessibles pour une large partie de la population trouvent dans les célébrités sportives une façon de faire fructifier leur produit et leur image. Des sportifs sont érigés en ambassadeurs de marque. L’esprit sport s’installe sur le terrain du chic et redessine les contours de l’élégance. 84
‘Sport is part of daily life, and, whether we practise it or not, it has a significant impact on contemporary life’ John Galliano (maison Christian Dior), 2006 The 2000s saw a veritable explosion in collaboration between the luxury sector and that of affordable attire and sportswear. Hence, sport designs have permeated the artistic inspirations and commercial ambitions of the fashion designers. This was no longer simply a fashion trend but rather attests to the integration of sports values and the need to conquer a flourishing market. Fashion design looked to the world of sport to draw on positive images that were then projected onto society. Henceforth, fashions assumed a distinctly manly silhouette, promoted a desirable body, or mixed the genders. The famous fashion houses and the powerful brands producing affordable clothes for a large part of the population realised that the backing of sports celebrities would be the best way to promote their products and image. So famous sports personalities became brand ambassadors. The sports mindset has been integrated into the world of style and has redefined the ‘contours’ of elegance. Le couturier Alexandre Vauthier pour le shooting Silhouette Blanche à l’occasion de la sortie du nouveau kit de l’Équipe de France de football, 2012 © Boris Diaw/Nike
r e u q r a m e r e r i a f e s , r e u q r a m é d Marquer, se d e c i t o n g n i t t e g , t u o g n i d n a t s , k Making a mar
y Hilfiger, Défilé Tomm êt-à-por ter collection Pr 5, 2015 ne autom 201 ce/ S Photo er vi © Fairchild rbis Co t/ as N é Cond
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Sophie Br am
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ode m la e d s m iu d t aux po r o p s u d s m iu Des pod twalks a C e h t o t s m ts Podiu From the Spor Tout au long du xxe siècle, le vêtement de sport et plus largement le vêtement utilitaire ont inspiré les couturiers et créateurs de mode. Dans les années 1920, lorsque Gabrielle Chanel adopte et détourne la tenue des marins, et notamment le pantalon, elle propose aux femmes des vêtements pratiques offrant une vraie liberté de mouvement. Au-delà d’une volonté de renouveler la garde-robe, cette démarche permet de répondre à la supposée « frivolité » de la mode par des vêtements fonctionnels, conçus pour un usage précis. Au cours de la seconde moitié du xxe siècle, la pratique sportive se démocratise et de grands événements sportifs, jeux Olympiques ou Coupes du monde de football, accèdent à une audience planétaire. Fortement impliquées dans la promotion de ces compétitions internationales, les marques de sport cherchent à les utiliser pour étendre leur empire au-delà des seuls stades. Mais si elles réussissent à placer leurs baskets, tennis et sneakers aux pieds des « fashionistas » des années 1990 et 2000, elles peinent à imposer leurs vêtements. Les chaussures de sport font de nombreuses apparitions sur les podiums des défilés de mode pendant cette période et signent l’époque des éditions limitées de sneakers « collectors » réalisées avec des marques de mode. Ces partenariats prennent une nouvelle dimension avec la création de collections cosignées, à l’image de la ligne Y-3 réalisée par le créateur de mode japonais Yohji Yamamoto et Adidas, qui voit le jour en 2003. La marque aux trois bandes se rapproche par la suite de la créatrice de mode anglaise Stella McCartney, en 2005, développant une des premières collections techniques exclusivement féminines. Troisième volet de cette offensive auprès des créateurs de mode, le groupe allemand noue un accord avec un trublion de la mode, Jeremy Scott, pour Adidas Originals, en 2008. Plus récemment, en 2014, Mary Katrantzou signe une ligne pour la marque streetwear du groupe.
Throughout the twentieth century, sports clothes and, more generally, utilitarian clothing inspired couturiers and fashion designers. In the 1920s, when Gabrielle Chanel adopted and transformed the sailor’s outfit, and particularly sailor’s pants, she provided women with practical clothing that provided greater freedom of movement. Apart from a desire to reinvent the female wardrobe, this initiative helped provide an answer to the apparent ‘frivolity’ of fashion by offering functional clothing designed for a specific purpose. In the second half of the twentieth century, sport became more popular and major sports events, such as the Olympic Games and football World Cups, were viewed by audiences around the world. Closely involved in promoting these international competitions, the sports brands used them to extend their empires beyond the stadiums. But although they succeeded in getting the ‘fashionistas’ to wear their trainers, tennis shoes, and ‘sneakers’ in the 1990s and 2000s, they failed to popularize their clothes.
Shooting pour la collection capsule NikeLab x sacai, 2015 © Nike
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Les sportifs égéries de marques Sports personalities as brand ambassadors
Le footballeur Olivier Giroud posant pour le magazine Sport&Style © Sport&Style, n° 54, avril 2014 94
Chic et sport Stylish and sporty BD
Défilé Hermès, collection Prêt-à-porter printemps 2011, 2011 © Fairchild Photo Service/Condé Nast/Corbis 97
Paul Miquel
Irréversible Irreversible Il y eut l’âge du flirt et des premières audaces, puis la période des fiançailles et l’époque des grandes amours. L’officialisation du mariage entre le sport et la mode peut être très précisément datée au passage du siècle. C’est en effet au tout début de l’an 2000 que tout a réellement basculé. En 2001 très exactement, quand Yohji Yamamoto prépare sa collection automne/hiver. Il se met alors en tête de faire défiler ses modèles baskets aux pieds. Le couturier japonais frappe à la porte d’Adidas et demande aux dirigeants de la marque aux trois bandes – très puissante au Japon – de lui prêter des sneakers, le temps du show. Yohji Yamamoto est persuadé que sa requête sera poliment rejetée d’un revers de main. À sa grande surprise, elle est acceptée avec enthousiasme. Et le défilé fait un carton ; à tel point que les sneakers portées sur le catwalk sont finalement produites. Elles s’arracheront comme des petits pains aux quatre coins du monde. Plus qu’un épiphénomène, c’est un signe, presque un oracle. Dans la foulée, Adidas propose au créateur une association à la fois artistique et commerciale. Ainsi naît la marque Y-3, l’une des premières à avoir assumé dans ses gènes l’alliance du sport et de la mode.
There was a period of flirtation and the first daring trial runs, and then there was a ‘betrothal’ period and the era of the great love affairs. The formalization of the marriage between sport and fashion can be dated very precisely to the turn of the twenty-first century. Indeed, everything changed completely right at the beginning of the year 2000. Or, to be more precise, in 2001, when Yohji Yamamoto prepared his autumn/winter collection. He decided to give his models trainers to wear on the catwalk. The Japanese couturier contacted Adidas and asked the managers of the three-band brand—which had a particularly strong market presence in Japan—to lend him some trainers for his fashion show. Yohji Yamamoto was convinced that his request was going to be politely rejected out of hand. Much to his surprise, however, his request was greeted with enthusiasm. And the show was such a success that the trainers worn on the catwalk were eventually produced. They were snapped up like hotcakes around the world. It was not merely an epiphenomenon—it was a sign, almost a harbinger. In the wake of this, Adidas offered the fashion designer a commercial and artistic partnership. Thus was born the Y-3 brand, one of the first brands that married sport and fashion as part of its genetic makeup. 105
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© Somogy éditions d’art, Paris, 2015 © Musée National du Sport, 2015 © Succession Picasso, 2015, p. 26
Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coordination et suivi éditorial : Anna Bertaccini Conception graphique : Nelly Riedel Contribution éditoriale pour le français : Anne-Marie Valet Contribution éditoriale pour l’anglais : Bernard Wooding Traduction de l’anglais vers le français : Annie Pérez Traduction du français vers l’anglais : David et Jonathan Michaelson (JD-Trad) Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros ISBN Somogy éditions d’art : 978-2-7572-0978-3 Dépôt légal : mai 2015 Imprimé en Italie (Union européenne) La photogravure a été réalisée par Quat’Coul, Toulouse. Cet ouvrage a été achevé d’imprimer sur les presses de ReBus (Italie) en mai 2015.