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L’ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES INVENTION, ÉRUDITION, INNOVATION
DE 1868 À NOS JOURS
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Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coédition et développement : Véronique Balmelle Coordination éditoriale : Sarah Houssin-Dreyfuss Conception graphique : Marie Gastaut Contribution éditoriale : Anne Chapoutot Fabrication : Béatrice Bourgerie, Mélanie Le Gros Index : Laura Pontillo, Lolita Wotin
Images de la couverture, de gauche à droite et de haut en bas
© Somogy éditions d’art, Paris, 2018 © École pratique des Hautes Études, Paris, 2018 ISBN 978-2-7572-1326-1 Dépôt légal : juin 2018 Imprimé en Union européenne
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Première de couverture : Allégorie de la Science (p. 85) Allégorie de la Vérité (p. 85) Marcel Poëte, Antonin ou Élie Debidour (p. 423) Henry Corbin (p. 565) Antoine Meillet (p. 268) Henri Hubert et Marcel Mauss (p. 582) Lucie Randoin, au centre (p. 221) Quatrième de couverture : Alfred Foucher (p. 486) Germaine Rouillard et Émile Chatelain (p. 331) Le laboratoire de Psychologie de l’enfant à Boulogne-Billancourt (p. 205) Gabriel Monod et Alfred Dreyfus (p. 616) Sylvain Lévi et Nadine Stchoupak (p. 290) Paul Passy (p. 626)
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L’ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ÉTUDES INVENTION, ÉRUDITION, INNOVATION
DE 1868 À NOS JOURS
Sous la direction de Patrick Henriet
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REMERCIEMENTS Cet ouvrage n’aurait pas vu le jour sans le soutien de nombreuses personnes qui ont apporté leur aide au coordinateur et qui l’ont souvent encouragé lorsque la tâche paraissait insurmontable. Au premier rang d’entre elles, il faut mentionner Hubert Bost, président de l’EPHE, qui a su lui accorder confiance et liberté en même temps qu’il accomplissait un grand travail de relecture et dispensait de judicieux conseils, le tout dans un climat d’amitié respectueuse. Michel Veuille, ancien doyen de la section des Sciences de la Vie et de la Terre, a joué un rôle essentiel dans la composition et l’achèvement des chapitres I, IV et encore V. Pour ce dernier, Olivier Dutour a été d’une aide précieuse. Beaucoup des documents reproduits dans les pages qui suivent sont issus des archives et de la bibliothèque de l’EPHE. Il convient ici de remercier tout spécialement Margot Georges, dont l’aide a souvent été déterminante, Philippe Sapet, qui a su se rendre indispensable, ainsi que Fily Sissako. Certains collègues, généralement mais pas toujours auteurs, ont supervisé la réalisation de certains chapitres et donné de précieux conseils : citons Ali Amir-Moezzi, Lyne Bansat-Boudon, Jean Baubérot, Nicolas Fiévé, Danielle Jacquart, Pierre Lory, Laurent Morelle, JeanMichel Mouton, Georges-Jean Pinault, Philippe Portier, Judith Olszowy-Schlanger, Alain Thote, Daniel Stökl. Mais il faudrait en réalité mentionner tous les auteurs, qui, tenus de rendre leurs textes dans des délais contraignants, ont apporté leur pierre à l’édifice commun. Sans oublier Pierre Marty pour son rôle dans la confection de l’index. La recherche d’une iconographie digne des textes a représenté une très lourde tâche, dans laquelle Tarik Belkadi a initialement joué un rôle. Remercions ici tout particulièrement, en respectant la logique des chapitres, Françoise Banat-Berger aux Archives nationales, Naomi Russo aux archives de l’EHESS, Christian Lévi-Alvarès, descendant de Maurice Vernes, la Société BinetSimon, Serge Nicolas, professeur à l’Université Paris Descartes, Anabel Vazquez, bibliothécaire du Centre Alexandre Koyré, ainsi que Nathalie Queyroux, responsable du centre documentaire
du Caphés, Lucie et Geneviève Gobillot pour Pierre Costabel, Nicole Capitaine pour René Taton, Jacqueline Artier et Isabelle Diry à la Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne, Claire Tissot pour René Poupardin, Élisabeth David pour Gaston Maspero, Françoise Bottéro, Emmanuel Turquin à l’École française de Rome, le service des archives de Dumbarton Oaks, Claire Guttinger et Christophe Labaune aux archives du Collège de France, Amina Abdrahman à la Société asiatique, Claude Stresser-Péan, Jean-Claude Kuperminc, conservateur de la bibliothèque de l’Alliance israélite universelle, Daniel Gastambide pour Henry Corbin, Bérengère Massignon et Manoël Pénicaud pour Louis Massignon, les frères Jean-Michel Potin et Adama Tapsoba aux archives de la Province dominicaine de France, Marie-Anne Miniac, descendante de Louis Duchesne, Ingeborg Gerdes, qui photographia Étienne Gilson en 1969, ainsi que le Pontifical Institute of Mediaeval Studies à Toronto, Philippe Oriol, grand connaisseur de l’affaire Dreyfus, Bénédicte Muller, descendante de Léon de Rosny. Un mot également pour Nathalie Gaudon, responsable du cimetière de Maisons-Laffitte où repose James Darmesteter. Chez Somogy, toute l’équipe éditoriale mérite des remerciements appuyés : Nicolas Neumann, Stéphanie Méséguer, Véronique Balmelle, Béatrice Bourgerie, Mélanie Le Gros. Trois personnes ont joué un rôle particulier dans la fabrication de cet ouvrage, toujours dans la bonne humeur : Sarah HoussinDreyfuss a su imprimer un rythme soutenu à cette entreprise tout en faisant preuve de compréhension lorsque c’était nécessaire. Anne Chapoutot n’a pas compté ses efforts en mettant son admirable connaissance de la langue française au service du projet. Enfin, last but not least, Marie Gastaut a conçu une superbe mise en page tout en résolvant joyeusement un grand nombre de problèmes : cet ouvrage n’aurait probablement pas vu le jour sans elle.
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PRÉFACE
L
orsqu’on cherche à résumer l’intuition qui présida à la fondation de l’École pratique des Hautes Études, deux mots s’imposent : le « séminaire » et le « laboratoire ». Le premier renvoie à une forme de recherche partagée en groupe restreint, qui entend dépasser la traditionnelle opposition entre maître et disciples : tous se penchent sur le document qu’ils scrutent, analysent, comparent et commentent. Le second terme conduit à la paillasse où se mènent les expériences de chimie, de physique, de physiologie, de biologie… Le premier concerne traditionnellement ce que l’on a pris l’habitude d’appeler les « sciences humaines et sociales », le second renvoie aux « sciences dures ». Mais, à bien y réfléchir, il s’agit du même exercice de raison critique, à la fois théorique et pratique. Il s’agit d’une mise à l’épreuve d’hypothèses de travail, sur des objets d’étude qui ne sont pas toujours aussi éloignés qu’on le croit parfois : que l’on songe, pour ne prendre qu’un exemple, à la destinée de l’anthropologie, qui fut, à l’École, comme on le verra dans les pages de ce livre, à la fois « biologique » et « sociale ». De nos jours, penser la pédagogie de l’enseignement supérieur sous forme de séminaires, promouvoir l’« apprentissage de la recherche par la pratique de la recherche », organiser des laboratoires et instaurer un tutorat personnalisé, sont devenus choses communes. En 1868, c’était totalement novateur. L’expression même de « hautes études », courante aujourd’hui, n’avait guère connu de réalisation institutionnelle dans un cadre universitaire. Tel est le destin de l’École pratique des Hautes Études : avoir été, au cours du second xixe siècle, le laboratoire d’idées et de
méthodes originales appliquées aux sciences les plus traditionnelles ; d’idées et de méthodes si fréquemment reprises par la suite – on pense notamment au CNRS après la Seconde Guerre mondiale – que l’on en a oublié la source. Cette singularité s’exprime dans l’encadrement pédagogique et scientifique individuel ainsi que dans le choix d’un enseignement portant sur « la recherche en train de se faire ». L’EPHE revendique d’être un conservatoire, un dispositif unique de savoirs classiques, de langues méconnues, des grands domaines comme des niches de l’érudition – les « disciplines rares » dont on a récemment compris qu’elles étaient menacées. Or, sans la moindre contradiction, cette recherche recourt aux outils les plus pointus des humanités numériques, elle pense big data et nouveaux enjeux des cognisciences : les disciplines rares sont aussi des disciplines émergentes, celles des développements scientifiques de demain. Depuis cent cinquante ans, l’EPHE défend et développe une recherche fondamentale, gratuite au sens où la connaissance n’a pas de prix. Et cependant elle veille aux applications concrètes que l’on peut en tirer, aux défis mondiaux lancés à la science. Elle peut s’intéresser tout autant à un système de pensée ou à une cosmogonie antique qu’aux phénomènes contemporains de « radicalisation » religieuse, au vieillissement de la cellule qu’à celui de la personne humaine. Les instituts qu’elle a créés s’attachent à l’enseignement des faits religieux et à la laïcité, au bon vieillissement et au réchauffement climatique à partir de l’étude des récifs coralliens.
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L’EPHE a toujours cultivé son excentricité, son intemporalité, son refus des modes. Cela ne l’empêche pas d’être, aux côtés de ses partenaires, un établissement très engagé dans l’Université Paris Sciences et Lettres. Les « Hautes Études », c’est à la fois une vieille dame portant dignement son bouquet de vénérables sciences, et une jeune garde connectée avec son époque. Mais n’allons pas trop vite. La création de l’École pratique des Hautes Études à l’instigation de l’historien et ministre de l’Instruction publique Victor Duruy, le 31 juillet 1868, visait à « placer à côté de l’enseignement théorique les exercices qui peuvent le fortifier et l’étendre ». Sa nécessité en avait été suggérée avec force par Ernest Renan dès 1864. À l’opposé des cours magistraux où étaient énoncées des théories générales dans de grands amphithéâtres, l’adjectif « pratique » renvoyait à une méthode expérimentale appliquée au sein de groupes réduits. Quelques décennies plus tard, Louis Liard rendait hommage à cette audacieuse entreprise : « Que l’on pèse chacun de ces quatre mots : École pratique des Hautes Études. Ils disent à merveille l’institution tout
entière, son but, son caractère, son originalité et ses services. L’École des Hautes Études, c’est un organe pour les recherches
savantes de tout ordre ; c’est une école, puisqu’on y enseigne, mais une école pratique, une sorte d’atelier où les élèves sont des apprentis, les maîtres des patrons. Telle que la conçut
M. Duruy, elle devait avoir cinq sections : les mathématiques, les sciences physiques, les sciences naturelles, les sciences his-
toriques et philologiques, et les sciences économiques. Mais
il serait inexact de se la représenter comme un établissement unique, subdivisé, sous une administration centrale, en cinq compartiments contigus. Son siège était partout, partout où
se trouvait un homme capable de faire œuvre de maître, au Muséum, au Collège de France, à l’École normale, à la Faculté
des Sciences, à la Faculté de Médecine, sorte de colonie des sciences, distribuée, sans points d’attache immuables, sur tout
le Quartier Latin, de la Bièvre au Luxembourg. Son personnel
n’avait rien d’une hiérarchie administrative, d’accès gardé, aux cadres fixes. Pouvait en faire partie quiconque avait un nom
dans la science et voulait former des savants. Avec des titres si
expressifs de directeurs d’études, de maîtres de conférences, c’était l’affiliation corporative des maîtres et des savants les plus autorisés1. »
C’est surtout dans les souvenirs de Gabriel Monod que l’on retrouve le caractère subversif du projet du ministre de l’Instruction publique de Napoléon III :
« Je me souviendrai toujours de l’entretien que M. Duruy
me fit l’honneur d’avoir avec moi au printemps de 1868, au moment où je revenais d’Allemagne, et dans lequel il m’ex-
posa son projet d’École des hautes études. Je lui disais que
nous avions déjà trop d’écoles spéciales, qu’au lieu d’en créer une nouvelle il vaudrait mieux réorganiser les Facultés, en en
remaniant les cadres et en y faisant entrer des éléments et un esprit nouveaux. “C’est impossible, me dit-il, on ne réforme pas
les vieux corps malgré eux ; d’ailleurs je n’ai pas d’argent ; pour réorganiser les Facultés, il faudrait beaucoup d’argent ; pour
créer l’École que je rêve, il suffit d’une plume et d’une feuille de papier ; j’obtiendrai ensuite pour elle l’argent qu’on ne me
donnerait pas pour les Facultés. Il faut, pour faire comprendre une idée aux Français, trouver un nom qui frappe l’esprit. Il
suffira de créer une école nouvelle et d’y mettre des hommes
dévoués à l’idée qui l’a inspirée pour que, si cette idée est juste, elle agisse et transforme tout autour d’elle. L’École des hautes études est un germe que je dépose dans les murs lézardés de la vieille Sorbonne ; en se développant il les fera crouler.”2 »
Quatre sections composaient initialement l’École en 1868 : Mathématiques (Ire), Physique et chimie (IIe), Histoire naturelle (puis très vite Sciences naturelles) et physiologie (IIIe), Sciences historiques et philologiques (IVe). Une cinquième, de Sciences religieuses, allait s’y ajouter en 1886, qui participait d’une volonté déjà développée à l’étranger d’assurer un enseignement non confessionnel des faits religieux. Enfin, après un éphémère 1 Liard (1894), 293-295. Liard précise en note : « Nul, parmi les contemporains de cette époque, n’ignore que ce fut devant les résistances des facultés à se transformer, et en désespoir de les convaincre, que M. Duruy se résolut à créer l’École des Hautes Études. » 2 Monod (1897), 128-129.
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premier essai (1869), une sixième section de Sciences économiques et sociales fut créée en 1947. Elle devait prendre son indépendance en 1975 pour devenir l’École des Hautes Études en Sciences sociales). Une décennie plus tard, les Ire et IIe sections disparurent, leurs personnels scientifiques étant dorénavant rattachés aux universités ou au CNRS. Ainsi demeurent aujourd’hui trois sections : les IIIe (devenue officiellement Sciences de la Vie et de la Terre en 1978), IVe et Ve. La souplesse du dispositif conçu par Duruy était audacieuse parce qu’il s’agissait de créer une École « hors murs », alors que toute institution appelée à durer doit se préoccuper de son implantation. Comment rester fidèle à cette légèreté fondatrice, indispensable pour privilégier la science et rester « agile » (comme on dit aujourd’hui), tout en pérennisant un mode de recherche et d’enseignement qui nécessitait des instruments de travail et des bibliothèques, des structures de recherche, une certaine continuité dans les matières étudiées ? Le premier à comprendre ce danger et à s’en préoccuper publiquement est le savant Gaston Paris, dans un discours prononcé à l’occasion des vingt-cinq ans de la fondation de l’École (1893). Après avoir cité le passage du livre de Louis Liard, il s’interroge : « S’est-on préoccupé, se préoccupe-t-on suffisamment de fortifier cet édifice construit en “porte-à-faux”, d’aider cette institu-
tion “irrégulière” à rendre tous les services qu’elle ne demande qu’à rendre ? Il serait injuste de méconnaître ce qu’on a fait
pour elle. […] Mais on ne nous a pas donné les moyens d’action qui nous auraient permis d’exercer sur la jeunesse studieuse une action plus étendue, sinon plus profonde. Nous les
donnera-t-on ? Le jour où on s’y décidera, on aura fait, j’en ai la conviction, un nouveau pas décisif dans la voie de la régénéra-
tion de notre haut enseignement. Le premier a été fait, tout le monde le reconnaît aujourd’hui, le 31 juillet 1868, le jour où 3 Discours des vingt-cinq ans (retranscription Patrick Henriet, infra, 96-99).
M. Duruy a fondé l’École pratique des Hautes Études. Je bois à la santé de M. Victor Duruy3. »
Longtemps, cette fragilité a été aussi revendiquée que redoutée. Dans le discours qu’il prononce à l’occasion du centenaire de l’École en avril 1969, Pierre Chantraine évoquait la période héroïque, antérieure à l’attribution de locaux propres en Sorbonne, montrant que ce sujet n’appartenait pas forcément au passé : « Jusqu’en 1900 deux ou trois pièces dans les combles de la Bibliothèque universitaire, avec un ou deux poêles dont un garçon, l’hiver, entretenait péniblement l’ardeur. Dans la Bibliothèque, car pour les philologues et les historiens ce sont
les bibliothèques et les archives qui servent de laboratoire et le problème des bibliothèques et des publications est un problème pressant, angoissant même, comme quelques-uns
d’entre nous le constataient l’autre jour dans une séance de commission du CNRS4. »
En 1901, à la fin des travaux de restauration et de restructuration de la Sorbonne conduits par Henri-Paul Nénot, les IVe et Ve sections entrèrent dans leurs locaux historiques en Sorbonne, de part et d’autre du palier de l’escalier E, au premier étage5. Les sections de Physique et Chimie et de Sciences naturelles continuaient d’être hébergées dans les établissements parisiens (Facultés des Sciences et de Médecine de la Sorbonne, Muséum, Collège de France, École normale supérieure, École centrale des Arts et Manufactures, École supérieure de Pharmacie de Paris…). Il y eut très vite aussi création de laboratoires en province et notamment sur les côtes, où des stations marines pouvaient être installées : zoologie à Marseille, physiologie à la Faculté de Médecine de Montpellier, recherches chimiques et agronomiques à Marseille et à Caen, recherches météorologiques au parc de Saint-Maur, zoologie expérimentale avec station maritime à Roscoff et Banyuls, géologie à Lille, zoologie marine à Marseille, à Villefranche, à Wimereux, à Sète… 4 Discours de Chantraine, avril 1969, p. 56. 5 « À l’École (pratique (?) (!)) des Hautes Études. Quatrième section. Ou cinquième. Ou troisième. Enfin section des sciences religieuses. À la Sorbonne, au bout de la galerie des Sciences, escalier E, au premier étage. » Charles Péguy, Cahiers de la Quinzaine, 17 juillet 1910, repris dans Péguy (1933), 76. Cité en exergue par Poulat (1987), 49.
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Aux difficultés pratiques, augmentées par les besoins en salles et en équipements lors de la création de la VIe section, s’ajouta celle que connaît toute institution d’avant-garde devenue centenaire… Il y avait une certaine coquetterie à prétendre que l’on pouvait faire de la science avec très peu de moyens. On a dit le mot de Duruy : « pour créer l’École que je rêve, il suffit d’une plume et d’une feuille de papier ». Ce qui était avant-gardiste en 1868 tend à devenir traditionaliste. En témoigne l’analyse de Jean Baubérot dans ses mémoires – il parle de la section des Sciences religieuses, mais son diagnostic vaut pour l’École : « La section n’a guère demandé de crédits à l’État pendant
les Trente Glorieuses, se faisant une gloire de travailler par “l’alliance du cerveau, du stylo et du papier”. Il faut remonter la pente en des temps difficiles6. »
À plusieurs reprises, la tutelle ministérielle envoya des signaux appelant instamment à réformer l’École, et en particulier à dépasser un fonctionnement qui se contentait de juxtaposer des sections sans se donner les moyens d’une politique scientifique commune. Ce fut en particulier le cas du rapport élaboré par Maurice Sartre en 2001, dont l’auteur jugeait sévèrement l’immobilité à laquelle l’École semblait s’être résolue. Pourtant, des soubresauts annonciateurs de prise de conscience s’étaient produits. À partir du cent vingt-cinquième anniversaire de l’École (1993), ses responsables prennent conscience de l’atout considérable que représente la coexistence – et donc potentiellement la collaboration – d’enseignants-chercheurs de pointe en sciences de la vie et de la terre et en sciences humaines et sociales. Une première grande initiative est alors prise par la présidente Monique Adolphe, avec un colloque sur « L’Homme dans son environnement, de la molécule aux systèmes symboliques », auquel participent des directeurs d’études des trois sections et qui donne l’occasion de décerner des doctorats honoris causa. Une seconde rencontre suivra, en novembre 1994, sur « L’Homme et les douleurs, réalités et représentations ». Jean Baubérot, qui lui succède à la présidence de l’École, mène un programme collaboratif sur l’eau et sur les routes de la Soie du
Japon à Lyon (Paris, 2000 ; Tokyo, 2002) ; et deux colloques internationaux sur « Les civilisations dans le regard de l’autre » (décembre 2001, janvier 2003) publiés par l’UNESCO. Cette veine a continué d’être explorée encore récemment, lors d’un séminaire « Interface » de deux jours à l’Institut d’Études avancées de Paris (novembre 2015). Mais elle est presque dépassée, tant l’évidence du dialogue interdisciplinaire s’est entre-temps imposée. Les sections travaillent dans le respect des spécificités de chacune, mais désormais naturellement en interaction : chacun sait que la question du vieillissement et celle de l’environnement se posent au biologiste comme au sociologue et à l’anthropologue, et que leurs enjeux éthiques et politiques s’énoncent à l’échelle planétaire. Moins évident peut-être, le travail sur l’écrit et sur son support des premières inscriptions humaines à nos jours pose la question du geste de l’écriture qui amène, au-delà des « humanités numériques », à dialoguer avec les spécialistes de sciences cognitives… L’histoire institutionnelle ne peut ici qu’être évoquée. Un premier important changement de statuts intervient en 2005, qui transforme des présidents de section en doyens et crée une École doctorale unique : très vite, celle-ci devient le creuset de la collaboration interne, le premier et le plus important lieu du dialogue entre disciplines et cultures scientifiques. Le passage aux responsabilités et compétences élargies (2013), puis une nouvelle réforme statutaire (2015) par laquelle elle se donne les moyens de définir une politique scientifique concertée et unique, ont permis d’armer l’École pour les défis contemporains dans la fidélité aux valeurs qui ont toujours été les siennes. Aujourd’hui, l’EPHE est profondément enracinée dans une histoire, et tournée vers un avenir qui l’a conduite à s’engager dans la dynamique de l’Université PSL. Elle ambitionne de contribuer à y déployer des programmes gradués, de formation et de recherche, à y promouvoir de nouvelles synergies, à participer à une reconnaissance de niveau mondial.
6 Baubérot (2014), 155.
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Demain, l’École s’installera sur le Campus Condorcet à Aubervilliers. Elle se réjouit de trouver bientôt, dans ce cadre, la réponse à ses besoins d’infrastructures, rendus criants par la nécessité de rationaliser le travail des équipes, d’accueillir d’ambitieux projets de recherche et de fournir aux doctorants, notamment internationaux, les postes de travail dont ils ont besoin. Le projet de cette « cité des humanités et des sciences sociales », dont la première phase est en cours de construction, a été conduit sous la présidence de Jean-Claude Waquet alors qu’il était également président de l’EPHE. Présente sur le site du futur campus, la ministre de l’Enseignement supérieur, de l’Innovation et de la Recherche Frédérique Vidal a excellemment résumé la situation lors des vœux de l’École, le 15 janvier 2018 :
cadre à la fois commémoratif et prospectif : un moment décisif pour l’EPHE, qui était à la croisée des chemins et qui a pris des décisions. L’ouvrage offre un regard sur une institution, mais à travers elle il ouvre sur des domaines et des disciplines rares, sur la politique scientifique en France et dans le monde. Je tiens à remercier très vivement Patrick Henriet, qui, en chef d’orchestre patient et bienveillant, a su mobiliser ses collègues et canaliser leur passion, attendu les textes avec patience et relancé les auteurs avec persévérance, supervisé l’architecture du volume et révisé son contenu dans les moindres détails. Hubert Bost Président de l’EPHE
« En se développant essentiellement hors-murs, l’EPHE a prouvé que ce n’est pas le bâtiment qui fait l’école mais une
pédagogie, une épistémologie, un certain rapport à la connais-
sance. L’EPHE a choisi comme fondations l’expérimentation et
l’exercice, c’est-à-dire la pratique. L’EPHE n’a pas trouvé sa cohérence dans l’unité de lieu ou de temps, mais bien dans l’unité
d’action. En associant dans un même nom de baptême “pratique” et “hautes études”, Victor Duruy réhabilitait l’action au
pays des idées et rappelait à une civilisation bâtie sur le ratio-
nalisme et la spéculation la valeur de l’expérience. Cette pos-
ture constituait une petite révolution au milieu du xixe siècle. Au xxie, elle mérite toujours d’être encouragée. »
Dans la vaste programmation du cent cinquantenaire de l’École, il convient de faire place pour terminer à l’ambitieuse aventure que représentait l’édition du présent ouvrage. Que soient ici vivement remerciés toutes celles et tous ceux qui ont contribué à la réalisation de cette belle synthèse historique : en un temps record, elles et ils sont parvenus à donner ensemble une image de l’École qui, sans se prétendre exhaustive, fait honneur à cet établissement singulier et précieux. La publication du livre prend place, on l’a compris, dans un
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AUTEURS Mohammad ALI AMIR-MOEZZI
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses). Direction du chapitre « Les études arabes et islamiques ».
Nalini BALBIR
Directrice d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Professeur à l’université Sorbonne nouvelle – Paris 3.
Lyne BANSAT-BOUDON
Directrice d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
Frédéric BARBIER
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Directeur de recherches au CNRS.
Jean-François BELHOSTE
Directeur d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Martine BLANCHARD
Maître de conférences à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre).
Hubert BOST
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses) – Président de l’EPHE.
Jenny BOUCARD
Maître de conférences à l’Université de Nantes.
Olivier BOULNOIS
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
Pascal BOURDEAUX
Maître de conférences à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
Jean-Pierre BRACH
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
Yves BRULEY
Maître de conférences à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Patrick CABANEL
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
Michel CACOUROS
Maître de conférences à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Michèle CHABERT
Maître de conférences à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre).
Michel CHAUVEAU
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Marc CHEVREUIL
Directeur d’études à l’EPHE – Professeur à l’Université Pierre-et-Marie-Curie.
Claudine COHEN
Directrice d’études à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre) – Directrice d’études à l’École des Hautes Études en Sciences sociales.
Marie-Noël COLETTE
Directrice d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Hélène COQUEUGNIOT
Directrice d’études à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre) – Directrice de recherches au CNRS.
Sophie DÉMARE-LAFONT
Directrice d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Professeur à l’université Panthéon – Assas.
Sylvie DEMIGNOT
Directrice d’études à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre) – Ancienne doyenne de la section des Sciences de la Vie et de la Terre.
François DÉROCHE
Professeur au Collège de France – Ancien directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
François-Xavier DILLMANN
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Jean-Pierre DRÈGE
Directeur d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Mathias DREYFUSS
Chef du département des Ressources pédagogiques au Musée national d’Histoire de l’immigration.
Laurent DUBOIS
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Professeur à l’Université Paris – Descartes.
Directeur d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Ancien président de la section des Sciences historiques et philologiques.
Danièle DEHOUVE
Jean-Charles DUCÈNE
Joël COSTE
Directrice d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences religieuses) – Directrice de recherches au CNRS.
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Thierry DUPRESSOIR
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre).
Olivier DUTOUR
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre). Direction du chapitre V (avec Michel Veuille).
Vincent ELTSCHINGER
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
Samuel ÉTIENNE
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre).
Francis EUSTACHE
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre).
Jean-Louis FERRARY
Directeur d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) –Membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Président de l’Institut de France.
Nicolas FIÉVÉ
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques). Direction du chapitre « Les études japonaises ».
Jean-Luc FOURNET
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Professeur au Collège de France.
Sabine FROMMEL
Directrice d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
René GALZIN
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre).
Claudine GAUTHIER
Professeur à l’Université de Bordeaux.
Frédéric GIRARD
Directeur d’études émérite à l’École française d’Extrême-Orient.
Martin GLESSGEN
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Professeur à l’Université de Zurich.
Vincent GOOSSAERT
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
Yves GOUDINEAU
Directeur d’études à l’École française d’Extrême-Orient.
Jean-Yves GRENIER
Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences sociales.
Michaël GUICHARD
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Patrick HENRIET
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Élodie HIBON
Doctorante à l’EPHE.
Philippe HOFFMANN
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses) – Ancien président puis doyen de la section des Sciences religieuses. Correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Danielle JACQUART
Directrice d’études émérite à l’EPHE – Ancien doyen de la section des Sciences historiques et philologiques. Direction du chapitre VI.
François JOUEN
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre) – Doyen de la section des Sciences de la Vie et de la Terre.
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Renée KOCH PIETTRE
Directrice d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
Mickaël LAISNEY
Maître de conférences à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre).
Jean-Michel LENIAUD
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Professeur et directeur (2011-2016) à l’École nationale des Chartes.
Gauthier LIBERMAN
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Professeur à l’Université Bordeaux Montaigne.
Peter N. MILLER
Professeur à Bard College (États-Unis).
Jean-Marie MOEGLIN
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Professeur à l’Université Paris-Sorbonne. Correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Brigitte MONDRAIN
Directrice d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Laurent MORELLE
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Martin MOTTE
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Charles MALAMOUD
Jean-Michel MOUTON
Pierre LORY
Directeur d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
Jean-Marc MANDOSIO
Maître de conférences à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Ghislain DE MARSILY
Professeur émérite à l’Université Pierre-et-Marie-Curie et à l’École des Mines de Paris – Membre de l’Académie des Sciences.
Catherine MASSIP
Directrice d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Conservateur général honoraire à la Bibliothèque nationale de France.
Jacques MICHAUX
Directeur d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre) – Ancien président de la section des Sciences de la Vie et de la Terre.
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Judith OLSZOWY-SCHLANGER
Directrice d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques). Direction du chapitre « Les études juives ».
Denis PELLETIER
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses) – Ancien président de l’EPHE.
Michel-Yves PERRIN
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
Georges-Jean PINAULT
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Serge PLANES
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre) – Directeur de recherches au CNRS.
François DE POLIGNAC
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses) – Doyen de la section des Sciences religieuses.
Philippe PORTIER
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses). Supervision du chapitre XIII.
Roger PRODON
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre).
Hélène PUISEUX
Directrice d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
Jean-Louis QUANTIN
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Ioanna RAPTI
Directrice d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
Jacques REVEL
Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences sociales (ancien président de l’EHESS).
Cécile REYNAUD
Directrice d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques). Direction du chapitre « La musicologie ».
Jean-Pierre ROTHSCHILD
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Directeur de recherches au CNRS.
Denis ROUSSET
Céline TRAUTMANN-WALLER
Isabelle SAINT-MARTIN
Nicolas VATIN
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques). Directrice d’études à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
Bernard SALVAT
Directeur d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre).
María Fernanda SÁNCHEZ GOÑI Directrice d’études à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre).
Kristofer SCHIPPER
Directeur d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
Perrine SIMON-NAHUM
Directrice de recherches au CNRS.
Andréas STAUDER
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Daniel STÖKL BEN EZRA
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Marie-Jeanne TEIL
Maître de conférences à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre).
Pierre TEISSIER
Maître de conférences à l’Université de Nantes.
Alain THOTE
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Direction du chapitre « Domaine chinois ».
Professeur à l’Université Sorbonne nouvelle – Paris 3 – Institut universitaire de France. Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Directeur de recherches au CNRS – Membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Jean-Michel VERDIER
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre).
Stéphane VERGER
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Michel VEUILLE
Directeur d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences de la Vie et de la Terre) – Ancien doyen de la section des Sciences de la Vie et de la Terre. Direction des chapitres III et V (avec Olivier Dutour pour le chapitre V).
Jean-Claude WAQUET
Directeur d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques) – Ancien président de l’EPHE.
Nicolas WEILL-PAROT
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Fabio ZINELLI
Directeur d’études à l’EPHE (section des Sciences historiques et philologiques).
Christiane ZIVIE-COCHE
Directrice d’études émérite à l’EPHE (section des Sciences religieuses).
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SOMMAIRE PRÉFACE Hubert Bost
AUTEURS AVANT-PROPOS Patrick Henriet
5 10
LA SECTION DES SCIENCES NATURELLES ET DE PHYSIOLOGIE
21
Les néo-lamarckiens à l’EPHE | Michel Veuille L’EPHE et les stations marines | Michel Veuille
Patrick Henriet et Michel Veuille
Victor Duruy (1811-1894) | Patrick Henriet Deux lettres de Victor Duruy à Jules Simon sur l’EPHE L’ombre d’Ernest Renan | Patrick Henriet Alfred Maury (1817-1892) | Patrick Henriet Les diplômes de l’EPHE | Céline Trautmann-Waller
Michel Veuille
LA SECTION DES SCIENCES HISTORIQUES ET PHILOLOGIQUES : CONSTRUCTION D’UNE IDENTITÉ
I. LES ORIGINES LES ORIGINES
II. SIX SECTIONS POUR UNE INSTITUTION
25 46 47 49 52 53
Patrick Henriet
La Revue critique d’histoire et de littérature | Patrick Henriet Gabriel Monod (1844-1912) | Yves Bruley Lettre de la marquise Arconati-Visconti à Louis Havet pour la mort de Gabriel Monod Banquets et discours de la IVe section | Patrick Henriet Discours de Gaston Paris au banquet des vingt-cinq ans de l’EPHE (28 avril 1894) Le journal de Louis Havet († 1925) | Patrick Henriet
LA CRÉATION DE LA SECTION DES SCIENCES RELIGIEUSES Patrick Cabanel
Une lettre inédite d’Ernest Renan critiquant la création de la Ve section (11 juillet 1885) Albert Réville (1826-1906). Jean Réville (1854-1908) | Patrick Cabanel
Maurice Vernes (1845-1923) | Patrick Cabanel LA SECTION DES SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Denis Pelletier
Fernand Braudel (1902-1985) | Denis Pelletier Jacques Le Goff (1924-2014) | Patrick Henriet Germaine Tillion (1907-2008) | Denis Pelletier Jacques Berque (1910-1995) | Mohammad Ali Amir-Moezzi Roland Barthes (1915-1980) | Denis Pelletier Jacques Lacan et l’EPHE | Patrick Henriet
59 72 74
75 88 90 92 94 96 100
103 111 114 116
117 125 126 128 130 132 133
De la VIe section à l’EHESS Interview de Jacques Revel
Propos recueillis le 23 novembre 2017 par Hubert Bost et Patrick Henriet
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III. PHYSIQUE, CHIMIE, MATHÉMATIQUES : DEUX SECTIONS DISPARUES
IV. BIODIVERSITÉ ET ENVIRONNEMENT
PHYSIQUE, CHIMIE, MATHÉMATIQUES : LES DEUX PREMIÈRES DÉCENNIES DES Ire ET IIe SECTIONS
Michel Veuille
Jenny Boucard et Pierre Teissier
Marcellin Berthelot (1827-1807) : entre science et philosophie | Jean-Michel Verdier
BIODIVERSITÉ ET ENVIRONNEMENT
141 153
Le laboratoire de Biogéographie et Écologie des vertébrés | Roger Prodon Le laboratoire maritime de Dinard | Samuel Étienne Georges Tessier (1900-1972) | Michel Veuille Louis Thaler (1930-2002) | Jacques Michaux
LES RÉCIFS CORALLIENS
Bernard Salvat, René Galzin et Serge Planes
Le CRIOBE à Moorea, centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement
LA PALÉONTOLOGIE Jacques Michaux
René Lavocat (1910-2007) | Jacques Michaux
159 166 169 171 172 175 185 186 189
HYDROLOGIE ET ENVIRONNEMENT
Marc Chevreuil et Ghislain de Marsily avec la collaboration de Martine Blanchard et Marie-Jeanne Teil
PALÉOCLIMATOLOGIE ET PALYNOLOGIE María Fernanda Sánchez Goñi
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190 192
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V. BIOLOGIE DU GENRE HUMAIN
VI. FAIRE L’HISTOIRE DES SCIENCES
LA PSYCHOLOGIE SCIENTIFIQUE
ENSEIGNEMENT ET ORGANISATION DE L’HISTOIRE DES SCIENCES
Francis Eustache et Mickaël Laisney François Jouen
Jean-Martin Charcot (1825-1893) | François Jouen Henry Beaunis (1830-1921) | François Jouen
LA PHYSIOLOGIE EN IIIe SECTION : LES COMMENCEMENTS Sylvie Demignot et Olivier Dutour
Claude Bernard (1813-1878) | Thierry Dupressoir Lucie Randoin (1885-1960) | Sylvie Demignot et
Michèle Chabert
Boris Ephrussi (1901-1979) et les débuts de la génétique physiologique | Michel Veuille
LES SCIENCES ANTHROPOLOGIQUES À LA IIIe SECTION Olivier Dutour
Paul Broca (1824-1880) | Hélène Coqueugniot et
199 208 210
211 218 221 222
225 234
d’Olivier Dutour
235 236 237 238
Henri-Victor Vallois (1889-1981) | Claudine Cohen Paul Rivet (1876-1958) | Olivier Dutour Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) | Claudine Cohen
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Alexandre Koyré (1892-1964) | Jean-Marc Mandosio Guy Beaujouan (1925-2007) | Nicolas Weill-Parot
L’HISTOIRE DE LA MÉDECINE À LA SECTION DES SCIENCES HISTORIQUES ET PHILOLOGIQUES Joël Coste
Mirko Dražen Grmek (1924-2000) | Joël Coste
L’HISTOIRE DES TECHNIQUES Jean-François Belhoste
Bertrand Gille (1920-1980) | Jean-François Belhoste
AU CROISEMENT DES COMPÉTENCES
Olivier Dutour
Paul Bert (1833-1886) | Sylvie Demignot, avec la collaboration
Nicolas Weill-Parot
Danielle Jacquart
243 249 252
253 256 258 260 261
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VII. TEXTES, LANGUES, PHILOLOGIE LA LINGUISTIQUE Georges-Jean Pinault
Michel Bréal (1832-1915) | Perrine Simon-Nahum Lettre de Georges Dumézil à Claude Lévi-Strauss à propos d’Émile Benveniste (13 décembre 1969)
PHILOLOGIE SÉMITIQUE Daniel Stökl Ben Ezra
SANSKRIT ET LANGUES INDIENNES Nalini Balbir
PHILOLOGIE ET LANGUES IRANIENNES Georges-Jean Pinault
PHILOLOGIE ET LITTÉRATURE GRECQUES ET LATINES L’épigraphie et la dialectologie grecques à la IVe section Laurent Dubois
Jean Irigoin (1920-2006) | Brigitte Mondrain
La philologie latine classique Gauthier Liberman
PHILOLOGIE ET LINGUISTIQUE ROMANES Martin Glessgen et Fabio Zinelli
Gaston Paris (1839-1903) | Patrick Henriet et Fabio Zinelli Albert Dauzat (1877-1955) | Martin Glessgen
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VIII. TECHNIQUES HISTORIQUES ET ÉRUDITION 269 279
L’HISTOIRE: ÉRUDITION, CRITIQUE DES SOURCES ET RÉFLEXION HISTORIOGRAPHIQUE
281
Laurent Morelle
283
LA PAPYROLOGIE Jean-Luc Fournet
337
287
LE LIVRE Histoire et civilisation du livre
340
Arthur Giry (1848-1899) | Laurent Morelle
294
Frédéric Barbier
301
François Déroche Le Coran | François Déroche
Le livre manuscrit arabe et la codicologie
L’ARCHÉOLOGIE 301 304 305
Stéphane Verger
L’archéologie islamique Jean-Michel Mouton
LES HUMANITÉS NUMÉRIQUES Daniel Stökl Ben Ezra
326 334
344 347 348 354 357
313 319 322
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IX. ÉCRIRE L’HISTOIRE L’ASSYRIOLOGIE
Sophie Démare-Lafont et Michaël Guichard
Vincent Scheil (1858-1940) | Sophie Démare-Lafont Jean Bottéro (1914-2007) | Michaël Guichard
ÉGYPTOLOGIE De Gaston Maspero à Gustave Lefebvre, le rôle central de l’EPHE dans l’enseignement de l’égyptien ancien en France Michel Chauveau
Gaston Maspero (1846-1916) | Michel Chauveau
X. LE MONDE COMME CHAMP DE RECHERCHE : ESPACES, TEXTES, RELIGIONS 363
GÉOGRAPHIE ET CARTOGRAPHIE
368 369
LES ÉTUDES SCANDINAVES
371
371 376
Georges Posener et son époque (1946-1976) : « un nouvel idéal normatif de précision » en philologie égyptienne Andreas Stauder
379 382 384
L’ANTIQUITÉ CLASSIQUE L’Antiquité classique à la IVe section et ses ramifications au fil de cent cinquante années
387
Jean Yoyotte (1927-2009) | Christiane Zivie-Coche Le Centre Wladimir Golenischeff | Christiane Zivie-Coche
Jean-Louis Ferrary et Denis Rousset
Louis Robert (1904-1985) | Denis Rousset Claude Nicolet (1930-2010) | Jean-Louis Ferrary
387 393 394
André-Jean Festugière (1898-1982) | Philippe Hoffmann Jean-Pierre Vernant (1914-2007) | François de Polignac Pierre Hadot (1922-2010) | Philippe Hoffmann
L’HISTOIRE DU MOYEN ÂGE EN IVe SECTION Jean-Marie Moeglin
Ferdinand Lot (1866-1952) | Patrick Henriet Bernard Guenée (1927-2010) | Jean-Marie Moeglin
L’HISTOIRE DE L’ART Jean-Michel Leniaud
Marcel Poëte (1866-1950) | Jean-Michel Leniaud André Chastel (1912-1990) | Sabine Frommel
LA MUSICOLOGIE Cécile Reynaud
Solange Corbin (1903-1973) | Marie-Noël Colette François Lesure (1923-2001) | Catherine Massip
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396 402 404 406 409 414 416
439
DOMAINE CHINOIS La sinologie
443
Alain Thote
Marcel Granet (1884-1940) | Yves Goudineau Henri Maspero (1883-1945) | Patrick Henriet
Les grottes de Dunhuang et les études chinoises Jean-Pierre Drège
Michel Soymié (1924-2002) | Jean-Pierre Drège Paul Demiéville (1894-1979) | Jean-Pierre Drège
Les études taoïstes
Kristofer Schipper et Vincent Goossaert Nicolas Fiévé
Bernard Frank (1927-1996) | Frédéric Girard
DOMAINE INDIEN Religions de l’Inde : hindouisme Lyne Bansat-Boudon
Sylvain Lévi (1863-1935) | Lyne Bansat-Boudon Lettre de Sylvain Lévi à Louis Havet (14 mai 1922) Madeleine Biardeau (1922-2010) | Lyne Bansat-Boudon et Charles Malamoud
Le bouddhisme indien Vincent Eltschinger
LES ÉTUDES SUD-EST ASIATIQUES Pascal Bourdeaux
419 423 424
LES ÉTUDES TURQUES À LA IVe SECTION Nicolas Vatin
L’AMÉRICANISME
Patrick Henriet, avec la collaboration de Danièle Dehouve 427 430 431
435
François-Xavier Dillmann
LES ÉTUDES JAPONAISES
L’Antiquité classique à la section des Sciences religieuses François de Polignac
Samuel Étienne
Miguel Ángel Asturias et le séminaire de Georges Raynaud | Patrick Henriet
443 449 451 453 456 457 458 463 470 473 473 479 482 484 486 489 495 499 503
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XI. ÉTUDES JUIVES, CHRISTIANISMES, ISLAM : PENSER LES MONOTHÉISMES LES ÉTUDES BIBLIQUES Daniel Stökl Ben Ezra
LE CHRISTIANISME ANTIQUE : FIGURES ET ARGUMENTS Michel-Yves Perrin
LES ÉTUDES JUIVES Judith Olszowy-Schlanger
La Revue des études juives | Jean-Pierre Rothschild
À l’ombre de Gaston Paris et de Gabriel Monod ? Les premiers pas de l’histoire des juifs en France Mathias Dreyfuss
Joseph Derenbourg (1811-1895) | Judith Olszowy-Schlanger Isidore Loeb (1839-1892) | Judith Olszowy-Schlanger Israël Lévi (1856-1939) | Judith Olszowy-Schlanger Shelomo Goiten et la VIe section | Peter N. Miller
ÉGLISE ET CHRISTIANISME DANS LE MOYEN ÂGE LATIN Patrick Henriet
Paul Alphandéry (1875-1932) | Patrick Henriet
L’EPHE ET L’ÉGLISE CATHOLIQUE (ÉPOQUES MODERNE ET CONTEMPORAINE) Jean-Louis Quantin
Jules Soury (1842-1915) | Jean-Louis Quantin Lettre de Jules Soury à Louis Havet (22 novembre 1912) Louis Duchesne (1843-1922) | Jean-Louis Quantin Jean Orcibal (1913-1991) | Jean-Louis Quantin
LA PHILOSOPHIE MÉDIÉVALE Olivier Boulnois
Étienne Gilson (1884-1978) | Michel Cacouros Paul Vignaux (1904-1987) | Olivier Boulnois
RÉFORME ET PROTESTANTISME Hubert Bost
Lucien Febvre (1878-1956) | Hubert Bost Lettre de candidature de Lucien Febvre à une chaire en Ve section (11 mars 1943) Émile-Guillaume Léonard (1891-1961) | Hubert Bost
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513 519 522
LES ÉTUDES ARABES ET ISLAMIQUES Jean-Charles Ducène et Pierre Lory
Louis Massignon (1883-1962) | Pierre Lory Henry Corbin (1903-1978) | Pierre Lory Régis Blachère (1900-1973) | Jean-Charles Ducène Maxime Rodinson (1915-2004) | Jean-Charles Ducène
L’HISTOIRE DES COURANTS ÉSOTÉRIQUES OCCIDENTAUX MODERNES Jean-Pierre Brach
559 563 565 566 568
571
523 526 527 528 529
530 534
535 538 539 540 541 543 546 550 553 556 557 558
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XIII. LE MONDE CONTEMPORAIN
XII. ANTHROPOLOGIE RELIGIEUSE, COMPARATISME, FOLKLORE COMPARATISME ET ANTHROPOLOGIE Renée Koch Piettre
Léon Marillier (1862-1901) | Renée Koch Piettre Marcel Mauss (1872-1950) | Renée Koch Piettre Maurice Leenhardt (1878-1954) | Renée Koch Piettre Georges Dumézil (1898-1986) | Renée Koch Piettre Claude Lévi-Strauss (1908-2009) | Renée Koch Piettre Ignace Meyerson (1888-1983) | Renée Koch Piettre
LE FOLKLORE Claudine Gauthier
Henri Gaidoz (1842-1932) | Claudine Gauthier
L’EPHE ET L’ALLEMAGNE 578 596 597 599 600 602 604 605 609
Céline Trautmann-Waller
L’EPHE ET L’AFFAIRE DREYFUS Patrick Henriet
L’HISTOIRE DES DOCTRINES STRATÉGIQUES Martin Motte
Paul Passy, un phonéticien pacifiste | Patrick Henriet Lettre de Louis Havet au ministre de l’Instruction publique (5 juin 1913) Lettre de Paul Passy à Louis Havet (6 juin 1913)
LA LAÏCITÉ Philippe Portier
UNE AFFAIRE D’ANTISÉMITISME : PAUL PÉGUIN, LOUIS-FERDINAND CÉLINE ET L’EPHE Patrick Henriet
L’HISTOIRE ÉCONOMIQUE
617 623 626 627 629 631
639
Jean-Yves Grenier
643
L’IMAGE DANS LE MONDE CONTEMPORAIN L’objectif à la recherche de Byzance : les photographies de la collection Gabriel Millet
651
Ioanna Rapti
Le cinéma : témoignage d’Hélène Puiseux Propos recueillis par Patrick Henriet
Art et religion dans un monde sécularisé Isabelle Saint-Martin
L’EPHE ET LA PROVINCE AUTONOME DU KURDISTAN IRAKIEN : NAISSANCE D’UNE ÉCOLE D’ARCHÉOLOGIE ISLAMIQUE FACE À DAESH Jean-Michel Mouton
Le tombeau de Jonas (Mašhad Nabī Yūnis) | Élodie Hibon La mosquée Al-Nūrī | Élodie Hibon
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651 659 664
667 670 672
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POSTFACE
Jean-Claude Waquet
674
ANNEXES I. Décret relatif à la création d’une École pratique des Hautes Études (31 juillet 1868) II. Présidents et doyens de sections, présidents de l’École III. Dépenses des sections entre 1869 et 1882 IV. Laboratoires de la IIe section (1868-1877) V. Les élèves du laboratoire de Chimie de la Sorbonne (1872-1889) VI. Présidents de l’Académie des Sciences ayant dirigé un laboratoire de la IIIe section VII. Directeurs du Muséum et doyens de la faculté des Sciences de Paris ayant dirigé un laboratoire de la IIIe section
684 686 687 688 689 689
690
BIBLIOGRAPHIE
691
INDEX DES NOMS DE PERSONNES
705
TABULA GRATULATORIA
710
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AVANT-PROPOS
C
e livre retrace à grands traits cent cinquante ans de recherches à l’École pratique des Hautes Études. Il ne prétend pas à l’exhaustivité. Rares sont les champs de recherche qui n’ont pas été abordés, mais leur grand nombre ne permettait évidemment pas de les présenter tous, pas plus qu’il n’était envisageable de rendre justice à tous les savants, directeurs d’études, directeurs de laboratoires, maîtres de conférences et chargés de conférences, qui se sont succédé depuis 1868. Le Dictionnaire prosopograhique de l’EPHE1, consultable en ligne, permettra de découvrir le parcours de ceux qui n’ont pu être évoqués ici ou qui l’ont été insuffisamment. Les grands champs de recherche ont été traités dans de courts chapitres synthétiques, qui vont de l’étude des récifs coralliens à celle des langues anciennes en passant par celle de la laïcité. Ils sont généralement suivis de notices d’une ou deux pages qui permettent d’éclairer plus en profondeur le parcours d’un chercheur (dans la plupart des cas), mais aussi des sites, des pratiques, des revues, des laboratoires et des événements marquants. Le lecteur pourra aussi prendre connaissance de diverses lettres inédites dont plusieurs sont issues des archives de l’EPHE : Ernest Renan, Louis Havet, Jules Soury, Paul Passy,
Sylvain Lévi ou encore Georges Dumézil apparaissent ainsi sous un jour inconnu. L’iconographie, qui a été pensée pour être plus qu’une simple illustration des textes, propose différents compléments d’information. Elle offre nombre d’images rares ou inédites, avec des clichés de savants dont on ignorait parfois jusqu’à l’apparence (ainsi Maurice Vernes), des photographies peu connues de personnages célèbres (ainsi Jean Moulin écoutant le rabbin Maurice Liber), des menus de banquets ou encore, de façon inattendue mais justifiée, certaines des images des monuments islamiques de Mossoul juste avant leur destruction par Daesh. Depuis cent cinquante ans, l’École pratique des Hautes Études dispense des enseignements dans des domaines extrêmement variés, souvent très rares. L’apprentissage de la recherche est « pratique, puisque à l’opposé de tout esprit de système, un examen attentif et savant des sources doit précéder les conclusions. Les pages qui suivent sont autant un hommage raisonné à cet idéal scientifique qu’un instrument de travail. Patrick Henriet
1 https://prosopo.ephe.fr/
Ci-contre Affiche de la IVe section pour l’année 1869-1870. Les cours ont lieu dans les salles de la bibliothèque de la Sorbonne.
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LES ORIGINES
22 â—† LES ORIGINES
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Patrick Henriet et Michel Veuille
LES ORIGINES « Un établissement assez mal conçu » Jean-Jacques Weiss, Le Gaulois, 26 janvier 18801
L’
École pratique des Hautes Études a été créée grâce à Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique sous Napoléon III, par un décret du 31 juillet 1868. Cet établissement de recherche et d’enseignement n’avait alors aucun équivalent dans le panorama universitaire français. Par sa philosophie, ses objectifs et ses méthodes, par le contenu des matières enseignées, par son fonctionnement institutionnel enfin, il a révolutionné en France ce que l’on appelait alors les « hautes études ». Cette création, qui ne fut pas remise en cause après la fin du Second Empire, devint très rapidement l’un des fleurons scientifiques de la République. Elle ne peut cependant être comprise que par rapport à un ample contexte idéologique, religieux et politique, que l’on s’est efforcé de retracer sommairement dans les lignes qui suivent.
Page précédente Victor Duruy (1811-1894). Ci-contre Fig. 1 | Début de l’article de Renan, « L’instruction supérieure en France. Son histoire et son avenir », paru dans la Revue des Deux Mondes, 2e période, 51, 1864, p. 73-95.
LE CONSTAT SANS CONCESSION D’ERNEST RENAN (1864)
Ernest Renan n’a jamais enseigné à l’EPHE et il a été tenu à l’écart de sa fondation ; ses mauvaises relations avec le ministre Victor Duruy, qui avait suspendu son cours au Collège de France en 1864, ne sont certainement pas étrangères à cette situation. Néanmoins, l’immense prestige dont il jouissait alors dans les milieux scientifiques et le fait qu’il ait écrit cette même année un article extrêmement influent sur « L’instruction supérieure en France » ne permettent pas de passer son rôle sous silence2. Dans ce célèbre texte (Fig. 1), Renan énonce en effet presque tous les principes qui présideront quatre ans plus tard à la création de l’EPHE : 1) La science dite « positive » est « la plus claire acquisition de l’humanité » et doit par conséquent succéder à la religion : « le monde amélioré par la science sera le règne de l’esprit, le règne des fils de Dieu » ; 2) Il ne faut pas séparer les sciences exactes des sciences que Renan appelle déjà « historiques et philologiques » : « L’art et la littérature » sont
1 Voir infra, 43. 2 Renan (1864). Cet article est repris dans Questions contemporaines en 1868, soit l’année de la création de l’EPHE.
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VICTOR DURUY (1811-1894)
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e fondateur de l’EPHE est issu d’une famille de tapissiers des Gobelins. Libéral et patriote, il hésite d’abord entre une carrière de professeur d’histoire et une carrière de militaire. Reçu au concours de l’École normale supérieure en 1830, il s’attache vite à Michelet, qui en fait son secrétaire particulier (fonction qu’occupera aussi Gabriel Monod), puis son suppléant. Sous la monarchie de Juillet, il est professeur de lycée (Reims puis Paris, à Saint-Louis et à Henri-IV) et se fait connaître par ses travaux d’historien, clairs sans être érudits : Histoire des Romains (18431844), Abrégé de l’Histoire de France (1848), qui deviendra une très influente Histoire de France (1858). Sous le Second Empire, son ascension est rapide : il devient inspecteur d’académie en 1861, professeur à l’École normale supérieure la même année, puis professeur à l’École polytechnique (1862). Relativement proche de Napoléon III, qu’il aidait (de même qu’Alfred Maury) à rédiger une Histoire de Jules César, il devient ministre de l’Instruction publique en 1863, à la condition que son ministère soit détaché de celui des Cultes. Jusqu’à son remplacement en 1869, il déploie une intense activité réformatrice à tous les niveaux. En 1865, il tente en vain de rendre l’enseignement primaire obligatoire et gratuit. Il crée des écoles publiques pour les filles. Il revalorise les instituteurs et introduit l’histoire contemporaine dans les programmes de l’enseignement secondaire. Il rétablit par ailleurs l’agrégation de philosophie, qui avait été supprimée en 1852, et crée un enseignement « spécial » qui préfigure l’enseignement technique. La création de l’EPHE est sa plus grande réalisation en ce qui concerne l’enseignement supérieur. Duruy insiste dans plusieurs textes sur le fait qu’il a dû œuvrer presque sans budget. Dans une lettre à son ami Edmond About, deux semaines après la promulgation du décret de fondation, il écrit : « Où trouverai-je l’argent ? Je n’en sais rien ; mais je sais bien que tout cela sera prêt le 1er décembre1. » Patrick Henriet
Fig. 1 | Victor Duruy (1811-1894). 1883. Eugène Pirou photographe. Bibliothèque nationale de France, département Société de Géographie, SG PORTRAIT-1328.
1 Fleury (1966-1967), 47.
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DEUX LETTRES DE VICTOR DURUY À JULES SIMON SUR L’EPHE* En décembre 1879 puis en décembre 1882, Victor Duruy écrit deux lettres à son ami Jules Simon, un républicain historique qui avait été ministre de l’Instruction publique du gouvernement provisoire en 1870, président du Conseil en 1877, et qui était alors sénateur inamovible. Il y donne sa vision de l’EPHE alors qu’il a quitté les affaires et se tient désormais à l’écart de la politique (« Je suis mort »). 10 décembre 1879 Mon cher ami, Je vous envoie : 1o L’ensemble des rapports sur l’École des hautes études de 1868 à 1877 ; 2o Le rapport particulier de la section d’histoire et de philologie pour 1877-1878 ; 3o L’affiche de ses cours pour 1878-1879. Cette seule section a publié déjà trente-neuf volumes. La bibliothèque des sections d’histoire naturelle, de physique, de chimie et de mathématiques n’est pas moins nombreuse. La cinquième section, celle des sciences économiques, n’a malheureusement pas été constituée. Envoyez une bonne parole à ces vaillants jeunes gens et à leurs maîtres qui ont ramené en France l’érudition bénédictine. C’est dans cette école des lettres savantes et de la science pure que j’avais pris mon point d’appui pour le mouvement tournant que j’opérais. Développer l’esprit scientifique sous toutes ses formes, c’est le vrai et bon combat. Jamais un chimiste n’achètera de l’eau de la Salette. Mais en parlant d’eux laissez-moi de côté. Je suis mort. Tout à vous, V. Duruy
Trois ans plus tard, Victor Duruy donne une assez longue description de l’EPHE à Jules Simon, qui lui avait demandé des informations. Bien qu’historien lui-même, il établit clairement une hiérarchie entre les sciences exactes et ce qu’il appelle « les lettres », qui doivent se tenir « à l’ombre » des premières. Il semble par ailleurs presque effrayé des succès de sa création et met en garde contre une extension exagérée du système des séminaires (les « conférences à la mode allemande »), qui ne doit pas selon lui déborder le cadre de l’EPHE. Cette mise en garde s’accompagne d’une défense des cours magistraux à l’ancienne (les « leçons publiques » de l’Université), où se conservent « quelques-unes des plus brillantes qualités de l’esprit français ». 6 décembre 1882 Mon cher ami1, Je vous envoie les renseignements que j’ai pu recueillir. Permettez-moi, en même temps, de vous remettre en mémoire le caractère particulier de l’École pratique des hautes études. Ouverte aux étrangers comme aux nationaux, et n’exigeant aucun grade, elle recueille au profit de la science les vocations spéciales qui se produisent en dehors de l’Université et de ses enseignements généraux. Aussi fait-elle des cours sur des matières qui ne sont enseignées nulle part ailleurs, et il se trouve parmi ses élèves des hommes qui, n’étant candidats à aucune fonction, ne suivent ses enseignements que pour arriver à un degré supérieur de culture intellectuelle. Son but est de faire des savants et non pas des professeurs. Elle se propose de fortifier pour les lettres savantes l’érudition et d’exciter dans les sciences l’esprit d’invention2. * Simon (1895), 112-115. La seconde lettre se trouve aussi dans Duruy (1901), II, 305-309. 1 L’orthographe a été respectée. 2 Duruy raisonne de façon binaire, comme si les trois premières sections n’en formaient qu’une seule.
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ors de sa création en 1868, l’École pratique des Hautes Études était composée de quatre sections : Mathématiques (Ire), Physique et chimie (IIe), Histoire naturelle et physiologie – rapidement dénommée « Sciences naturelles et physiologie », et renommée en 1978 « Sciences de la Vie et de la Terre » (IIIe) –, Sciences historiques et philologiques (IVe). Une section de « Sciences économiques » avait été prévue par un décret de janvier 1869 qui resta lettre morte, mais une autre, de Sciences religieuses (Ve), fut en revanche créée en 1886. L’année 1947 vit la naissance d’une VIe section de Sciences économiques et sociales, qui prit son indépendance en 1975 pour devenir l’École des Hautes Études en Sciences sociales. Enfin, en 1986, les deux premières sections furent supprimées. L’EPHE compta donc quatre (1868-1886), puis cinq (18861947), puis six (1947-1975), puis à nouveau cinq (1975-1986) et enfin, depuis 1986, trois sections (IIIe, IVe et Ve).
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Michel Veuille
LA SECTION DE SCIENCES NATURELLES ET DE PHYSIOLOGIE
L’
actuelle IIIe section de l’EPHE est une structure récente. Ses membres savent peu de chose de son passé et ne s’y reconnaîtraient guère1. Elle était pourtant à sa fondation, avec la IIe section, au cœur du dispositif de recherche français en sciences expérimentales. Elle regroupait les principales figures du monde universitaire. Destinée à appuyer la création de laboratoires de recherche et d’enseignement dans les établissements et à y assurer la formation à la recherche, selon le projet de Duruy, elle a conduit ce programme avec succès, au risque d’être dépassée par de nouveaux outils de politique scientifique. Le concept qu’elle portait consistait pour l’État, non pas à créer de nouveaux établissements, mais à favoriser les meilleurs laboratoires au sein des institutions existantes. Cet objectif est aujourd’hui poursuivi par les organismes de type CNRS. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, cette section reste au cœur de la recherche en biologie et géologie. Mais lorsque Paul Fournier en écrit l’histoire, en 1980, elle sort d’une longue période de traversée du désert ayant duré une génération. Aujourd’hui, elle a été investie par de jeunes générations qui utilisent les marges de manœuvre qu’elle offre pour mener des projets scientifiques d’actualité. Si cette section fait aujourd’hui preuve de vitalité, c’est parce qu’elle a été transformée par les membres de la communauté scientifique qu’elle a accueillis.
Page précédente Verso du fascicule de quatre pages donnant la fausse affiche distribuée au banquet des vingt ans de l’École (29 décembre 1888).
LES DEUX ÂGES DE LA IIIe SECTION
La grande césure dans l’histoire de la IIIe section est illustrée par la succession de ses responsables (annexe II, 686). De 1868 à 1983, tous, à une exception près, ont fait la plus brillante partie de leur carrière sur un poste non-EPHE. Pendant ces cent quinze ans, les présidents de la IIIe section ont déjà eu des responsabilités importantes dans d’autres institutions (faculté, Muséum, stations marines). Ils sont en
1 Ce texte a bénéficié des informations contenues dans les archives de la IIIe section, déposées au SCDBA (Service commun de documentation bibliothèques et archives) de l’EPHE, et de l’aide des membres de ce service.
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GABRIEL MONOD (1844-1912)
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endant près d’un demi-siècle, de la fondation de l’École pratique des Hautes Études jusqu’au crépuscule de la Belle Époque, Gabriel Monod occupa une position cardinale dans les sciences historiques françaises, alors en pleine mutation. Il est surtout connu pour avoir fondé en 1876 la Revue historique, où il publia d’emblée son premier credo méthodologique, et à laquelle il confia ensuite une grande partie de son œuvre. Mais il fut aussi une figure fondatrice de l’EPHE, dont il fit la base d’une rénovation profonde de la méthode historique en France. Né le 7 mars 1844 dans le bourg normand d’Ingouville, bientôt absorbé par la commune du Havre, Gabriel Monod est le rejeton d’une famille protestante aux vastes ramifications européennes. Venu étudier à Paris en 1860, il entre à l’École normale supérieure en 1862 et en sort en 1865 premier de l’agrégation d’histoire devant son ami Ernest Lavisse. Il commence une thèse sur les institutions municipales italiennes à la fin du Moyen Âge, rencontre à Florence Olga Herzen, qu’il épousera en 1873, puis se rend en Allemagne sur le conseil d’Hippolyte Taine. À Berlin, il suit des cours d’histoire, de diplomatique et de philosophie. Puis, à G ttingen, il prend part au séminaire de Georg Waitz. Rencontre décisive.
Victor Duruy, qui s’apprête à fonder l’École pratique des Hautes Études. Dès décembre 1868, Gabriel Monod y est nommé répétiteur, sous l’autorité d’Alfred Maury, directeur des études d’histoire. Mais quel sera le rôle des répétiteurs dans la nouvelle école ? Pour Maury, il s’agit simplement de donner des conseils personnels aux élèves. Mais Monod conçoit plus largement la mission des répétiteurs, qui devraient conduire un vrai travail en commun avec les élèves et les auditeurs, être de véritables maîtres de conférences. Dans les derniers jours de décembre 1868, quelques jours avant ses premières « réunions », le jeune
« Quand on voulait s’occuper du Moyen Âge, écrira-t-il plus tard, il
fallait aller à Goettingue recevoir le baptême scientifique. […] On
sortait de ces leçons non seulement plus instruit, non seulement avec les idées plus claires et l’esprit mieux ordonné, mais avec plus d’amour et de respect pour la vérité et la science, avec la conscience
du prix qu’elles coûtent et la résolution de travailler pour elles. »
Au printemps 1868, Gabriel Monod est de retour à Paris armé d’une ferme conviction : pour compléter les cours beaucoup trop généraux dispensés à l’École normale comme à la Sorbonne, il faut proposer « des cours réservés à des recherches d’érudition, des conférences intimes où, comme dans les séminaires allemands, les maîtres et les élèves puissent se connaître et entreprendre des travaux en commun ». Telle est aussi, au même moment, la conviction du ministre de l’Instruction publique,
Fig. 1 | Gabriel Monod (1844-1912).
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Fig. 2 | Cours de Gabriel Monod au Collège de France. Début du XXe siècle.
historien parvient à convaincre son directeur1. L’instauration de la « conférence de Critique historique » : tel fut l’immense apport de Monod à la fondation de l’EPHE. Et début janvier 1869, Monod inaugure son enseignement par l’étude des sources sur les rois mérovingiens. Cette recherche aboutira à la publication, en deux volumes, de ses Études sur les sources de l’histoire mérovingienne. Dès 1872, il est directeur adjoint auprès de Maury, qui n’enseigne pas. Malgré la relative modestie du titre, qu’il conserve jusqu’en 1893, Monod règne d’ores et déjà sur les études d’histoire, formant plusieurs générations de chercheurs aux profils très variés. Il est secondé par plusieurs maîtres de conférences, parmi lesquels il faut citer le diplomate Gabriel Hanotaux, que Monod charge en 1880 d’ouvrir l’EPHE à l’histoire moderne et à
l’histoire diplomatique. Directeur d’études de 1894 jusqu’à sa mort, Gabriel Monod est président de la IVe section à partir de 1895. Élu à l’Académie des Sciences morales et politiques en 1897, il est professeur au Collège de France de 1906 à 1911, cinq années de cours qu’il consacre intégralement à l’œuvre de Jules Michelet, dont il avait été le secrétaire particulier et dont il fut toute sa vie un admirateur. Car Monod ne fut pas seulement le chantre de l’érudition historique : il ne rejetait pas les historiens généralisateurs qui s’efforcent de « faire revivre le passé avec ses vraies couleurs ». Sans jamais renoncer aux exigences de la méthode la plus rigoureuse, il se méfiait d’une écriture desséchante de l’histoire, celle que son jeune ami Charles Péguy dénoncera comme « une vieille demoiselle » qui fait « des fiches et les met dans des boîtes ».
1 Bémont (1912-1913), 11.
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FERNAND BRAUDEL (1902-1985)
Fig. 1 | L’historien Fernand Braudel chez lui le 13 juin 1984.
F
ernand Braudel est l’auteur de deux chefs-d’œuvre de longue haleine. Entreprise en 1927, sa thèse, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, rédigée de mémoire en captivité et reprise à la Libération, a été soutenue en mars 1947 et rééditée en 1966 dans une version remaniée. Civilisation matérielle, économie et capitalisme, xvexviiie siècle, dont une première mouture paraît en 1972 mais dont la version finale est publiée en 1979 en trois volumes, se nourrit du savoir considérable accumulé pendant plusieurs décennies de fréquentation des archives. La Méditerranée est au cœur de l’œuvre de Braudel, marquée par une érudition impressionnante, un regard aigu sur la complexité des interactions entre les hommes et les milieux et une réflexion sur la pluralité
des temps où domine l’accent mis sur la longue durée des structures. Mais l’attention portée par Braudel aux acteurs de l’histoire et son sens de la synthèse laissent au lecteur un souvenir inoubliable. Un troisième « grand œuvre », L’Identité de la France, demeure inachevé à sa mort, cependant que les volumes publiés suscitent un accueil plus critique, à un moment où les enjeux et les méthodes de l’histoire ont changé. Braudel est l’homme d’une époque. Élu en 1937 directeur d’études à la IVe section de l’EPHE, grâce au soutien de Lucien Febvre, sur une chaire intitulée « Histoire des peuples ibériques et de la Méditerranée occidentale du Moyen Âge au xviiie siècle », il participe à la fondation de la VIe section, dont il est le premier secrétaire, avant d’en devenir le
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président incontesté à la mort de Febvre en 1956. Élu au Collège de France en 1949, président du jury d’agrégation pendant plusieurs années, il a été introduit aux Annales par le même Febvre et les a dirigées à sa suite, de 1956 à 1969. Soucieux d’assurer l’autonomie de la section des Sciences économiques et sociales, il s’engage à la fin des années 1950, avec Clemens Heller, dans la construction de la Maison des Sciences de l’Homme, dont il est l’administrateur à partir de 1963. C’est donc à juste titre qu’il est considéré comme le bâtisseur du premier paysage français des sciences sociales. Braudel fut un homme de pouvoir, redouté et redoutable. Il fut aussi un homme de combat, fin diplomate et bretteur infatigable. Il lui a fallu s’éloigner à S o Paulo, de 1934 à 1937, pour construire son système de pensée à l’écart des pesanteurs académiques hexagonales. Pierre Renouvin lui a barré l’élection en Sorbonne en
1947, et il a été écarté du jury de l’agrégation en 1955. Nombre des Écrits sur l’histoire réunis en 1969 témoignent de sa volonté de faire droit aux figures montantes des sciences sociales tout en les maintenant à une place qui ne remette pas en cause la primauté de l’histoire. Entrevue dès 1941, sa conception ternaire du temps historique s’est trempée dans le débat avec Claude Lévi-Strauss, avant d’être critiquée par Michel Foucault dans Les Mots et les choses. Mais il a su aussi ouvrir les portes de l’EPHE à Roland Barthes, Jacques Lacan, Pierre Bourdieu. Les événements de Mai-68 le conduisent à prendre ses distances avec un monde qui s’éloigne déjà de lui : Jacques Le Goff lui succède en 1972 à la présidence de la VIe section, puis mène les négociations qui conduiront à la fondation de l’EHESS en 1975. Denis Pelletier
JACQUES LE GOFF (1924-2014)
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acques le Goff est, avec Marc Bloch et Georges Duby, l’un des trois médiévistes français les plus influents du xxe siècle. Agrégé d’histoire, il assiste en 1948 au « coup de Prague ». Cette expérience le dissuade d’adhérer au Parti communiste. Il est membre de l’École française de Rome au début des années 1950, puis assistant à la Faculté de Lille. Il commence son enseignement à la VIe section de l’EPHE en 1960 et y devient directeur d’études en 1962. Ses deux principaux maîtres sont Maurice Lombard (directeur d’études en VIe section depuis 1949) et Charles-Edmond Perrin, qui avait été l’élève de Ferdinand Lot et que celui-ci considérait comme son fils spirituel.
Le Goff représente ce que l’on a parfois décrit comme une « troisième génération » de l’école des Annales, influencée par LéviStrauss et le structuralisme. Dans sa pratique de médiéviste, il propose de grandes synthèses qui, sans délaisser les sources, l’éloignent des études documentaires de première main si caractéristiques de l’EPHE depuis ses origines. Ses ouvrages les plus influents sont Les Intellectuels au Moyen Âge (1957), La Civilisation de l’Occident médiéval (1964), La Naissance du purgatoire (1981) et un monumental Saint Louis (1996). Son nom est associé au concept de « nouvelle Histoire », qui est décliné de multiples façons dans un ouvrage collectif dirigé avec Pierre Nora
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(Faire de l’histoire, 3 vol., 1974). La Civilisation de l’Occident médiéval a marqué des générations d’étudiants. Cet ouvrage se démarquait des synthèses alors disponibles par son refus d’une histoire trop événementielle et par une constante volonté de mettre au jour les dynamiques sociales. Le Goff y laisse libre cours à son sens de la formule (« Je ne vois guère que l’abricot comme fruit possible ramené des croisades par les chrétiens ») et rejette les schémas marxistes orthodoxes (« Ainsi dans les structures profondes se révèle cette union du réel et de l’imaginaire dont la compréhension se refuse à l’inacceptable problématique de l’infrastructure et de la superstructure, vieilles lunes qui n’ont jamais rien éclairé »). Les thèmes de la lutte des classes et de l’aliénation n’en sont pas moins omniprésents. Ainsi, « Les hérésies ont été les formes les plus aigu s de l’aliénation idéologique », car « les mots d’ordre proprement religieux des hérésies évacuent […] le contenu social de ces mouvements. Leur programme révolutionnaire dégénère en anarchisme millénariste qui prend des utopies pour solutions terrestres ».
La chaire de la VIe section était intitulée « Histoire et sociologie de l’Occident médiéval ». Le concept d’anthropologie historique prit cependant une importance croissante dans la pensée de Le Goff et il est déjà question d’« anthropologie culturelle » dans son dernier rapport d’activité. Par ses séminaires au moins autant que par ses livres, Jacques Le Goff, formidable agitateur d’idées, exerça une grande influence à partir des années 1960 : on relève alors parmi ses auditeurs plus ou moins réguliers les noms de Girolamo Arnaldi, Jean Batany, Dominique Barthélemy, Henri Bresc, Robert Delort, Gabrielle Démians d’Archimbaud, Georges Duby, Bronislaw Geremek, Aryeh Graboïs, Anita Guerreau, Christiane lapisch, Reyna Pastor de Togneri, Évelyne Patlagean, Jean-Claude Schmitt, Alberto Tenenti, Pierre Toubert ou Jacques Verger. En 1972, Jacques Le Goff devient à la suite de Fernand Braudel président de la VIe section. C’est lui qui transforme celle-ci en École des Hautes Études en Sciences sociales, désormais indépendante de l’EPHE. Il en sera le premier président (1975-1977). Patrick Henriet
Fig. 1 | acques le Goff, 2 mars 2004.
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GERMAINE TILLION (1907-2008)
Fig. 1 | Germaine Tillion (1907-2008).
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ésistante au sein du réseau du Musée de l’Homme puis aux côtés de Combat one Nord, déportée à Ravensbr ck où elle vit mourir sa mère, inlassable militante au service de la cause algérienne, des droits humains et de la lutte contre l’oppression des femmes, Germaine Tillion fut avant tout une ethnologue, formée au contact de Marcel Mauss et de l’orientaliste Louis Massignon. Ses liens avec l’EPHE sont précoces. Elle y suit, dans la seconde moitié des années 1920, l’enseignement de Mauss et du médiéviste Jean Marx, tous deux directeurs d’études à la Ve section. Elle fréquente aussi le séminaire de Paul Rivet à l’Institut d’Ethnologie. En 1933, elle commence sous la direction de Mauss une thèse sur « L’ombre et le reflet à travers le monde ». Une bourse de recherche en Algérie, obtenue grâce à ce dernier, est à l’origine de trois séjours dans les Aurès (1934-1935, 1936-1937, 1939-1940) qui marquent définitivement son itinéraire intellectuel. Elle réoriente son travail vers une enquête sur la population chaouïa des Aurès, au sein de laquelle elle séjourne longuement, et soutient en mai 1939 un diplôme de l’EPHE intitulé « Morphologie d’une république berbère. Les Ah-Abderrhaman, transhumants de l’Aurès méridional »,
devant Louis Massignon et Jean Marx. Son retour en France en juin 1940 prélude à son engagement résistant puis à la déportation, seconde expérience décisive. Son engagement d’intellectuelle et sa vocation scientifique sont dès lors étroitement liés. Après la Libération, elle mène pendant dix ans des recherches sur la déportation au sein de la section d’Histoire moderne du CNRS, avant de retourner en Algérie à la demande de Massignon après les événements de la Toussaint 1954. Elle y combat la torture et la pratique des déplacements de populations, et tire de son expérience de terrain une série d’articles regroupés dans deux ouvrages, L’Algérie en 1957 (1957) et Les Ennemis complémentaires (1960), publiés aux Éditions de Minuit issues de la Résistance. Élue en 1958 directrice d’études à la VIe section de l’EPHE sur une chaire de Sociologie algérienne, elle prendra sa retraite de l’EHESS en 1977. Paru au Seuil en 1966, Le Harem et les cousins est un très grand livre. En quête des structures matrimoniales spécifiques du monde méditerranéen, Germaine Tillion décrit une « république des cousins » où domine le souci de garder les femmes au sein de la famille, à l’inverse du modèle exogamique proposé par Lévi-Strauss dans Les Structures élémentaires de la parenté. Elle montre que ce système, hérité de structures aristocratiques antérieures à l’islam, survalorise l’enjeu des vertus féminines et l’exigence de les protéger par des stratégies d’enfermement réel et symbolique. Elle montre aussi la capacité des sociétés à jouer de ces règles, l’écart possible entre le prescrit et le vécu. Des camps de déportation à l’enfermement des femmes, de la résistance à l’oppression au contournement des règles, Germaine Tillion n’a cessé de se saisir des outils de son métier d’ethnologue pour penser la liberté, et ce qu’elle appelait elle-même « la recherche du vrai et du juste ». Sa dépouille entre au Panthéon le 27 mai 2015. Denis Pelletier
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ROLAND BARTHES (1915-1980)
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orsqu’il entre à la VIe section de l’EPHE comme chef de travaux en 1960, Roland Barthes a déjà publié Le Degré zéro de l’écriture (1953) et Mythologies (1957). Associé au Centre d’Études sociologiques depuis le milieu des années 1950, il vient pourtant de perdre son statut d’attaché de recherche au CNRS. Fernand Braudel lui sauve alors la mise. Barthes participe en retour, aux côtés de Georges Friedmann, à la fondation du Centre d’études des Communications de masse (CECMAS) en 1960, puis à celle de la revue Communications en 1961. En 1962, il est élu directeur d’études sur une chaire intitulée « Sociologie des signes, symboles et représentations ».
C’est donc en sociologue, à distance de la littérature, que Barthes rejoint la VIe section. Il y échange le statut d’intellectuel sans attaches, vivant de piges et de postes transitoires, contre celui d’enseignant-chercheur, qui lui assure la stabilité et lui permet de conduire sa recherche dans la durée. Le succès du séminaire est immédiat, au point que Barthes doit bientôt alterner séances publiques et séances fermées, où il travaille en compagnie de ses étudiants les plus proches. Il comparera le séminaire à « une société d’esprits libres (étudiants et enseignants mêlés), à ce qu’on eût appelé au xviiie siècle une académie (de savoir et de langage)1 ». Il y fait intervenir amis et alliés intellectuels, parmi 1 Samoyault (2015), 371.
Fig. 1 | Roland Barthes chez lui, 1979.
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lesquels André Green, Jean-Paul Aron, Algirdas Julien Greimas, Christian Metz, Philippe Sollers, Oswald Ducrot, Marthe Robert et Jean Starobinski. Parmi ses étudiants et auditeurs, on croise Luc Boltanski, Jean Baudrillard, Jules Gritti, Julia risteva, Françoise Choay, Georges Perec, Tzvetan Todorov, Claude Lebensztejn, Gérard Genette, qui le suppléera au début des années 1970. À l’EPHE, Barthes déploie sa propre version du structuralisme, notamment dans Communications, où paraissent ses « Éléments de sémiologie »2 et les deux grands textes que sont « Rhétorique de l’image »3, puis « Introduction à l’analyse structurale des récits »4. Il publie Sur Racine en 1963, les Essais critiques en 1964, Critique et vérité en 1966. Sa polémique avec Raymond Picard fait de lui la figure de proue de la « nouvelle critique », son amitié avec Sollers le rapproche de la revue Tel Quel et de l’avantgarde littéraire. Mais sa conception du mythe et de la structure, la manière dont il use de la notion de « systèmes de signes » pour
ouvrir la sémiologie à des interrogations proprement littéraires, l’éloignent de Lévi-Strauss, qui refuse de diriger sa thèse et lui reproche de trop céder à l’air du temps. La fin des années 1960 marque un tournant. Le séminaire sur la nouvelle de Balzac « Sarrasine » (1968-1970) débouche sur la publication de S/ , où le souci de formalisation de l’analyse atteint sans doute ses limites. Ses charges d’enseignement se multiplient, ainsi que ses séjours à l’étranger, notamment au Japon et au Maroc, où il enseigne de 1970 à 1973. Il n’en accepte pas moins d’entrer au bureau de la VIe section en 1972 à la demande de Jacques Le Goff. Son séminaire porte désormais la trace des certitudes ébranlées du structuralisme, entre inquiétude personnelle et mise en question de la frontière entre la critique et la littérature. Il est élu au Collège de France en 1976. Denis Pelletier
2 Communications, no 4, 1964. 3 Communications, no 4, 1964. 4 Communications, no 8, 1966.
JACQUES LACAN ET L’EPHE
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acques Lacan est incontestablement l’un des psychanalystes les plus célèbres et les plus influents du xxe siècle, en même temps que l’une des grandes figures de la vie intellectuelle française des années 1960-1970. Ses rapports avec l’EPHE ont été constants depuis les années 1930 jusqu’aux années 1970. Ils peuvent être résumés en trois points. Entre 1934 et 1937, Lacan fréquenta assidûment le séminaire d’Alexandre ojève1. Celui-ci, qui portait encore le nom de
ojevnikoff, donna pendant quelques années, grâce au soutien d’Alexandre oyré, un « séminaire libre » consacré à la pensée religieuse de Hegel. Lacan put y côtoyer Georges Bataille, Raymond Queneau, Henry Corbin, Éric Weil, Roger Caillois, Raymond Aron ou encore Gaston Fessard. En 1957, Lacan proposa sa candidature pour une « direction de psychanalyse à l’École des Hautes Études ». Celle-ci fut infructueuse. On a conservé le curriculum vitae du candidat, rédigé
1 Lucchelli (2016).
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Fig. 2 | Affiche du séminaire de acques Lacan pour l’année universitaire 1972-1973 (VIe section).
Fig. 1 | acques Lacan vers 1970.
pour l’occasion2. Alors âgé de quarante-six ans, Lacan déclare en préliminaire vouloir « s’affronter aux deux problèmes cruciaux de son avenir, soit ceux d’une mise en forme correcte de son expérience et d’une formation réelle de ses praticiens ». Il mentionne les noms de plusieurs savants ayant joué un rôle dans sa formation. Certains peuvent surprendre : ainsi Étienne Gilson (à la « Faculté des Lettres ») ou Paul Demiéville (« aux Langues orientales »). Lacan fournit aussi une précieuse liste de ceux avec qui il considère avoir alors un « dialogue scientifique » : « Mrs. oyré, Jean Hyppolite, Maurice Merleau-Ponty, Claude Lévi-Strauss, Marcel Griaule, Émile Benveniste ». Il donne pour finir un programme d’enseignement et la liste des pièces déposées « au centre de la rue de Varenne ». Dans les années 1960-1970, enfin, Lacan obtint une charge de conférences à la VIe section de l’EPHE, après avoir été recommandé auprès de Braudel par Althusser. Les séminaires se tinrent à l’ENS (salle Dussane)3. On peut trouver plusieurs résumés de ces conférences dans les annuaires de la VIe section : ils sont tous rédigés dans le plus pur style lacanien. Patrick Henriet 2 BAF, 40, 5-8. 3 Roudinesco (1993), 395.
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Propos recueillis le 23 novembre 2017 par Hubert Bost et Patrick Henriet
DE LA VIe SECTION À L’EHESS INTERVIEW DE JACQUES REVEL* ◆ Avez-vous fréquenté l’EPHE avant l’EHESS ? J’ai fréquenté la VIe section, en particulier le séminaire de Jean Meuvret1, dans les années 1965-1968. On y apprenait le métier. Après être passé par l’École française de Rome puis le CNRS, on m’a confié la rédaction des Annales en 1975, au moment où l’EHESS entrait dans le bâtiment de la Maison des Sciences de l’homme. ◆ Avant de se fixer boulevard Raspail, où les cours de la VIe section avaient-ils lieu ? Un peu partout dans Paris : à la Sorbonne (escalier E), rue de Varenne, où siégeait l’exécutif de la Section, rue de Tournon, à l’École normale, etc. La VIe section louait aussi des locaux dans Paris, rue des Feuillantines par exemple, où Meuvret a tenu ses derniers séminaires. Créée sans murs, la VIe section l’est restée jusqu’à son installation boulevard Raspail. Une transformation majeure pour une institution de recherche et de formation à la recherche. Mais la place a bientôt manqué… ◆ Quelle était, à l’EHESS après 1975, la perception de l’EPHE, et quelle mémoire en a-t-on gardée ? Avec la IVe section, il existait sans doute des frictions anciennes, scientifiques et peutêtre aussi politiques. Je ne les ai pas connues, mais elles faisaient partie du paysage et, de part et d’autre, on restait plutôt sur la réserve. Au point d’oublier que Braudel, et plusieurs des premiers enseignants de la VIe section venaient de la IVe ! Il faut pourtant nuancer ces postures affrontées, les « modernes » contre les « anciens ». Les passages existaient. Les relations étaient certainement plus ouvertes avec la Ve section : plus de références partagées, du côté de l’anthropologie et de la sociologie en particulier, davantage de collaborations, parfois au sein de centres communs. ◆ La personne de Lévi-Strauss rapprochait-elle la Ve section et la nouvelle école ? Son œuvre, son statut le lui permettaient. Le laboratoire d’Anthropologie sociale qu’il a créé et animé attestait, s’il en était besoin, les liens existants. Il était loin d’être le seul. Pensons au Centre de recherches sur les sociétés anciennes de Vernant, Vidal-Naquet, Detienne et quelques autres.
Fig. 1 | acques Revel.
* Président de l’EHESS de 1995 à 2004. 1 Moderniste, Jean Meuvret (1901-1971) était un spécialiste de l’histoire économique et sociale de l’Ancien Régime.
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PHYSIQUE, CHIMIE, MATHÉMATIQUES : DEUX SECTIONS DISPARUES
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Jenny Boucard et Pierre Teissier
PHYSIQUE, CHIMIE, MATHÉMATIQUES : LES DEUX PREMIÈRES DÉCENNIES DES Ire ET IIe SECTIONS
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e chapitre est consacré aux vingt premières années des Ire et IIe sections – Mathématiques et Physique et chimie – de l’École pratique des Hautes Études. On explicitera, dans un premier temps, les objectifs et les missions de ces deux sections voulues par le ministre de l’Instruction publique, Victor Duruy, et les savants associés à la création de l’École. On s’interrogera ensuite sur l’écart entre le fonctionnement imaginé et les réalisations effectives des sections en se limitant aux deux premières décennies de leur existence (1868-1889), période pour laquelle les archives et les sources imprimées sont le moins silencieuses1. La conclusion résume les principales structurations de cette période initiale et propose quelques hypothèses pour l’étude des deux sections jusqu’à leur suppression en 1986.
OBJECTIFS ET MISSIONS DES Ire ET IIe SECTIONS DANS LE PROJET DE 1868
Dans les années 1860, la science française, tout en étant considérée comme d’une importance fondamentale pour le développement de la nation, est perçue comme en déclin, par rapport à la science allemande notamment2. Aussi Duruy engage-t-il une série de réformes de l’enseignement supérieur dont la création de l’École pratique des Hautes Études constitue une étape déterminante, une sorte de « vitrine de grands changements » à venir3. L’association de la recherche et de l’enseignement supérieur au sein de l’EPHE marque une rupture car ils sont traditionnellement séparés en France. La recherche scientifique est surtout du ressort du Collège de
Page précédente Michel Chasles (1793-1880). Ci-contre Fig. 1 | Le laboratoire de Marcellin Berthelot au Collège de France. Photographie de presse (agence Meurisse) prise pour le centenaire de Berthelot (1927). Bibliothèque nationale de France, département Estampes et Photographie, EI-13 (2819). 1 Nous avons été confrontés à une quantité réduite d’informations pour les Ire et IIe sections. Notre travail s’appuie principalement sur les rapports annuels disponibles de l’EPHE (1872-1874, 1877, 1885-1888, 1892-1893), les archives de l’École partiellement consultables aux Archives nationales et à l’EPHE pour les périodes 1868-1887 et 1970-1986 principalement, les textes législatifs sur l’enseignement supérieur pour la période concernée, ainsi que sur les ouvrages sur l’histoire de l’enseignement supérieur. Croizat (2016) est à ce jour la source la plus complète sur la mise en place de la Ire section de l’EPHE. Nous tenons à remercier Margot Georges pour son aide précieuse dans la recherche et la consultation des archives de l’École pratique des Hautes Études. 2 Depuis les années 1970, plusieurs travaux relativisent cette vision décliniste. Voir par exemple Weisz (1977). 3 Croizat (2016), 391.
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Michel Veuille
BIODIVERSITÉ ET ENVIRONNEMENT
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a théorie de la sélection naturelle de Darwin date de 1858 et le terme d’« écologie » fut créé par Haeckel en 1866. Néanmoins, notre façon actuelle d’appréhender la diversité biologique est récente. Elle émane de quatre domaines qui naissent de façon échelonnée depuis 1930 : la génétique des populations, l’écologie évolutive et comportementale, la biologie de la conservation et l’étude du changement global. Le terme de « biodiversité », qui exprime notre étonnement devant l’étendue infinie des formes vivantes et devant le relatif maintien de l’équilibre des espèces, est un néologisme créé en 1988. Il n’a pas le sens d’un concept scientifique, mais possède une signification sociétale et une résonance politique de plus en plus affirmées. Il personnifie l’unité de ces recherches au point de conditionner désormais leur financement. Ce chapitre comprendra donc quatre premières parties – une par composante – puis une dernière pour leur récente synthèse. Outre ce découpage scientifique, l’histoire de l’EPHE connaît une rupture institutionnelle. Les sections de sciences expérimentales ont longtemps été un outil à la disposition de l’ensemble de la communauté scientifique, reflétant son point de vue moyen en France. Les recherches sur la biodiversité qui se développent dans l’aprèsguerre se dégagent progressivement du passé à bien des égards archaïque de la zoologie française, au moment même où la IIIe section s’émancipe. Celle-ci restait atomisée en de multiples laboratoires. Par le jeu des fermetures et des créations de directions d’études, elle attire des chercheurs qui participent à une communauté nationale et internationale en plein bouillonnement. Le processus est donc double : en même temps que la recherche française s’éveille à la modernité en biologie des populations et des écosystèmes, des chercheurs mobilisés par le renouveau des thématiques viennent à l’EPHE et utilisent les marges de manœuvre institutionnelles
Page précédente Scientifiques au travail dans 12 mètres d’eau sur les pentes externes nord de l’île de Moorea en Polynésie française. Ci-contre Fig. 1 | L’étude de la biodiversité est une science intégrative qui inclut les changements climatiques et les interactions croisées entre animaux, plantes et société humaine. Deux éléments complémentaires du paysage du parc de La Lopé au Gabon : ci-contre, des chercheurs et des étudiants en écologie tropicale hissent un piège à insectes dans la canopée de la for t claire, issue de la transformation de la for t primaire par les éléphants.
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Francis Eustache et Mickaël Laisney François Jouen
LA PSYCHOLOGIE SCIENTIFIQUE LES PREMIERS LABORATOIRES
L’École pratique des Hautes Études a été la pièce maîtresse du développement de la psychologie scientifique en France. Contrairement à la situation qui prévalait en Allemagne ou aux États-Unis, la psychologie a eu beaucoup de mal à trouver sa place à l’Université puisqu’elle n’y fut enseignée qu’à compter de 1885 et seulement sous la forme d’un cours dispensé à la Sorbonne par Théodule Ribot (1839-1916). En 1888, une chaire de Psychologie expérimentale et comparée fut enfin créée au Collège de France, mais c’est à l’EPHE, dans la section des Sciences naturelles, que le premier laboratoire de Psychologie fut créé en 1889 par Henri Beaunis (1830-1921), sous le nom de « laboratoire de Psychologie physiologique ». Médecin de formation, Beaunis pensait depuis de nombreuses années que la psychologie trouverait dans la physiologie des bases solides. Il avait été l’un des membres fondateurs de la Société de Psychologie physiologique, créée en 1885 à l’initiative de Jean-Martin Charcot (1825-1893). Par l’intermédiaire de Ribot, Beaunis obtint de Louis Liard (1846-1917), alors directeur de l’Enseignement supérieur et grand défenseur de la psychologie scientifique, la création de ce laboratoire. Celui-ci fut installé dans quatre pièces au troisième étage de la nouvelle Sorbonne, à l’angle de la rue Saint-Jacques et de la rue des Écoles (Fig. 1). En 1891, Alfred Binet (1857-1911) rejoint le laboratoire et, dès 1892, il en devient directeur adjoint sans traitement. À l’époque, Binet avait déjà mené plusieurs travaux de recherche dans le domaine de la psychologie pathologique auprès de Jean-Martin Charcot à la Salpêtrière (Fig. 2). Ces travaux, fondés sur l’étude de l’hystérie et de la suggestion hypnotique, le conduisirent à envisager l’existence chez les malades de différents états de conscience, contrairement au rétrécissement du champ de la conscience proposé par Pierre Janet (1859-1947). On retrouve cette idée d’association entre des états de conscience particuliers et des activités cognitives dans les modèles actuels de la mémoire humaine.
Page précédente Laboratoire de Psychobiologie de l’enfant créé par Henri Wallon (1879-1962) à Boulogne-Billancourt en 1922. Ci-contre Fig. 1 | Alfred Binet et son test d’intelligence dans le laboratoire de Psychologie physiologique de la Sorbonne.
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JEAN-MARTIN CHARCOT (1825-1893)
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ean-Martin Charcot est le fondateur de la neurologie moderne. Il est l’un des grands précurseurs de la psychopathologie et a donné une orientation nouvelle à la pathologie neurologique. C’est avec sa méthode anatomo-pathologique (étude des symptômes lors de la maladie, puis des lésions à l’autopsie) qu’il développa ses travaux sur les localisations cérébrales : il put ainsi affirmer, concept novateur à l’époque, que le cerveau, loin d’être homogène, est une association de territoires différents ayant des fonctions distinctes. Né le 29 novembre 1825 à Paris, Jean-Martin Charcot effectue ses études secondaires au lycée Bonaparte. Vers 1844, il s’oriente vers la médecine et devient en 1848 interne des Hôpitaux de Paris. En 1853, il est nommé chef de clinique à la Faculté de Médecine. Médecin des Hôpitaux en 1856, Charcot obtient son agréation en 1860. En 1862, il est nommé médecin-chef à la Salpêtrière dans le quartier « Vieilles femmes », immense hospice de plus de cinq mille patients chroniques que Charcot avait déjà connu en 1852 pendant son internat. De 1862 à 1870, son enseignement à la Salpêtrière est consacré aux maladies des vieillards. Sa contribution à l’étude de la physiologie et de la pathologie du système nerveux a été fondamentale. En 1861-1862, il présente une observation de paralysie agitante aujourd’hui connue sous le nom de « maladie de Parkinson ». En 1863, il présente ses travaux d’anatomie pathologique sur la goutte. En 1865, il s’intéresse à la paraplégie douloureuse liée aux cancers, aux maladies du poumon, du foie, documentant la description du lobule pulmonaire et du lobule hépatique, ainsi qu’à la pathologie des hémorragies cérébrales. Entre 1868 et 1869, il décrit l’atrophie musculaire progressive des mains et la façon dont elle peut s’étendre à l’ensemble du corps (bras, jambes, muscles de la langue, du pharynx et du larynx). La même année, il est le premier à donner une symptomatologie complète de la sclérose en plaques, qu’il différencie alors de la maladie de Parkinson.
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En 1872, il est nommé à la chaire d’Anatomo-pathologie de la Faculté de Médecine. Charcot sera élu en 1873 membre de l’Académie de Médecine et membre de l’Académie des Sciences en 1883. En 1882, la Faculté de Médecine de Paris crée pour lui une chaire de « Clinique des maladies du système nerveux » dans laquelle il va accomplir une œuvre immense et former les plus grands neurologues européens – dont Freud, qui étudie à l’hôpital de la Salpêtrière les manifestations de l’hystérie, les effets de l’hypnotisme et la suggestion. En 1885, Charcot fonde la Société de Psychologie physiologique avec la volonté de donner à la psychologie un véritable statut scientifique : « Jusqu’à présent, on s’est habitué à mettre la psychologie à part, on l’enseigne au collège, mais c’est une psychologie à l’eau de rose qui ne peut servir beaucoup. C’est une autre psychologie qu’il faut créer, une psychologie renforcée par les études pathologiques auxquelles nous nous livrons. »
Charcot meurt le 16 août 1893, d’un œdème aigu du poumon. Il a joué un rôle fondamental dans le développement de l’EPHE. Outre la direction du laboratoire d’Anatomie pathologique qu’il assure à partir de 1872, il a, fidèle à son ouverture d’esprit transdisciplinaire, grandement soutenu la création du premier laboratoire de Psychologie scientifique à l’EPHE. Ami de Théodule Ribot, premier titulaire de la chaire de Psychologie expérimentale et comparée au Collège de France, il a tout mis en œuvre pour que ce soit à un membre de la Société de Psychologie physiologique que soit confiée la responsabilité de construire le premier laboratoire de psychologie scientifique de France : HenriÉtienne Beaunis. François Jouen
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Fig. 1 | Jean-Martin Charcot (1825-1893). Atelier Nadar. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et Photographie, FT 4-NA-237 (4).
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PIERRE TEILHARD DE CHARDIN (1881-1955)
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é en 1881 d’une famille de vieille noblesse auvergnate, Pierre Marie Joseph Teilhard de Chardin se voue à l’état de jésuite1. Parallèlement à ses études de théologie, il conduit en amateur des recherches de géologie et de paléontologie. En 1912, il est stagiaire au Muséum national d’Histoire naturelle à Paris auprès du paléoanthropologue et géologue Marcellin Boule, et fouille à Altamira avec l’abbé Breuil. Ses études scientifiques sont interrompues par la guerre : en 1914-1918, il est caporal brancardier sur le front2. En 1918, il prépare une licence de sciences naturelles en Sorbonne (certificats de géologie, botanique, zoologie) et soutient en 1921, sous la direction de Boule, une thèse sur Les Mammifères de l’Éocène inférieur français et leurs gisements3. Dès 1922, il est maître de conférences associé de géologie à l’Institut catholique de Paris et président de la Société géologique de France. En 1923, à l’invitation du père Licent, du Muséum, il se rend à Tien Tsin en Chine et participe à une expédition paléontologique dans le désert de l’Ordos, visant à identifier les premiers sites paléolithiques chinois. Passionné de spiritualité autant que de science, Teilhard développe des thèses qui concilient une vision religieuse du monde avec les sciences de la Vie et de la Terre4. En cette première moitié du xxe siècle, où les idées évolutionnistes restent débattues en France5, Teilhard propose une téléologie, voire une théologie de l’évolution, orientée vers le « point Oméga », rencontre de la matière et de l’esprit, de l’homme avec Dieu6. Certaines implications de sa pensée, notamment la négation du péché originel, 1 Ordonné prêtre en 1911, il prononce ses vœux solennels le 26 mai 1918. 2 Il participe à toutes les grandes batailles ( pres, Verdun, Douaumont). Il est décoré de la Croix de Guerre en 1915. 3 Teilhard de Chardin (1922). 4 Cuenot (1962) ; Arnould (2004) ; Boudignon (2008). 5 Cohen (2017). 6 Cette « théologie de l’évolution » est proche de l’évolutionnisme « néo-lamarckien » américain, défendu par des paléontologues comme E. D. Cope, Theology of Evolution, 1897.
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sont jugées irrecevables au regard des dogmes de l’Église catholique, qui supprime son cours à la « Catho » en 1925, lui enjoint de repartir pour la Chine et lui interdit de diffuser ses idées philosophiques : il en résulte une séparation quelque peu artificielle, tout au long de sa carrière, entre ses travaux scientifiques publiés de géologue, de paléontologue et de paléoanthropologue7, et leur substrat théorique et évolutionniste, largement inédit de son vivant8. Cependant, Teilhard participe activement aux débats qui entourent l’introduction de la théorie néodarwinienne de l’évolution en France en 19479, défendant la notion d’orthogénèse, centrale dans sa vision évolutionniste comme dans ses travaux de paléontologue. En 1938, Teilhard est nommé à l’EPHE, section « Sciences naturelles et physiologie », directeur d’un laboratoire de « Géologie appliquée aux origines de l’Homme » créé pour lui à l’Institut de Paléontologie humaine10. Il est alors âgé de cinquante-sept ans et a déjà accompli une longue et riche carrière scientifique11. Paléontologue, il a exploré en Chine vingt et un sites du Carbonifère au Pliocène, défini une nouvelle famille (les Siphnéïdés), quatorze nouveaux genres et quatre-vingt-treize nouvelles espèces fossiles12. Géologue, il a contribué à l’établissement de 7 Son œuvre scientifique comprend, outre sa thèse, 209 articles dont 74 en anglais (70 en géologie, 49 en paléontologie, et 49 en anthropologie). Ses travaux scientifiques ont été réunis en 10 volumes. 8 C’est seulement après sa mort, de 1955 à 1976, que la plus grande partie de l’œuvre philosophique de Teilhard de Chardin, jusque-là inédite, est publiée en 13 volumes aux éditions du Seuil sous l’égide d’un comité scientifique prestigieux (pour éviter la censure de l’Église catholique). La publication de sa correspondance se poursuivra dans les décennies suivantes. 9 Piveteau (1950). 10 Un rapport très élogieux de son œuvre scientifique est présenté par Paul Rivet. Ce laboratoire sera dissous à son départ pour limite d’âge en décembre 1951. 11 Barjon et Leroy (1964) ; Piveteau (1964) ; Teilhard de Chardin (1971). 12 Le nom de Teilhard a été attaché à un grand nombre de taxons fossiles, parmi lesquels un genre de Primates (Teilhardina, Simpson 1940) comportant huit espèces connues, ancêtres des Tarsiers et un genre de Rhinocéros (Teilhardia preciosa, Matthew Granger, 1926).
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l’histoire géologique de la Chine du Nord-Est, effectuant « une coupe complète Est-Ouest, allant de l’extrémité du Shantung aux confins du Pamir », et « une autre section Nord-Sud, presque aussi complète, descendant de Mandchourie jusqu’en bordure de l’Indochine ». En 1935, il établit sur plus de 100 kilomètres la coupe géologique de la région riche en fossiles tertiaires des Siwaliks, en Inde. Mais ce sont surtout les recherches en paléoanthropologie qui mobilisent ses compétences de géologue : Teilhard s’applique à l’étude des niveaux Pléistocène dans les loess du désert de l’Ordos (1923-1925), où sont mis au jour les premiers sites quaternaires de Chine13. À partir de 1929, il est géologue associé au Service géologique national de Chine et au « Laboratoire cénozoïque » de Pékin, et participe à ce titre à la découverte majeure, à houkoudian, de fossiles humains datés du Pléistocène ancien, les Sinanthropes14 – aujourd’hui Homo erectus pekinensis. En 1935 et 1938, il se rend à Java et à Modjokerto, où il s’emploie à dater les gisements des Pithécanthropes. Retenu en Chine entre 1939 et 1946 du fait de l’invasion japonaise, de la guerre en Europe et de l’interdiction de séjourner en France prononcée par sa hiérarchie, il met au propre ses travaux scientifiques et rédige Le Phénomène humain, publié au lendemain de sa mort15. Il effectuera plusieurs missions en Afrique du Sud dans les années 1950, au moment de la reconnaissance des Australopithèques, convaincu que l’Afrique est « la seule région du monde où rechercher avec quelque chance de succès, les premières traces de l’origine humaine16 ». Teilhard est autorisé à rentrer en France en 1946, mais attend vainement de Rome l’autorisation de se présenter à la chaire de Paléoanthropologie du Collège de France qui lui est proposée. Il devient directeur de recherches au CNRS en 1947, membre correspondant de l’Académie des Sciences en 1947, puis membre de cette même académie en 1950. Il meurt à New ork le 14 avril 1955. Claudine Cohen 13 14 15 16
Boule et al. (1928). Weidenreich (1943). Teilhard de Chardin (1955). Teilhard de Chardin (1956).
Fig. 1 | Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955).
Références Arnould (2004) ; Barjon et Leroy (1964) ; Boudignon (2008) ; Boule, Breuil, Licent et Teilhard de Chardin (1928) ; Cohen (2017) ; Cuenot (1962) ; Piveteau (1950 ; 1954) ; Teilhard de Chardin (1922 ; 1955-1976 ; 1955 ; 1956 ; 1971) ; Teilhard de Chardin et Piveteau (1930) ; Weidenreich (1943).
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a création en Belgique en 1912 par George Sarton de la revue Isis, publiée depuis 1924 par l’History of Science Society américaine, situe chronologiquement les débuts d’une histoire des sciences conçue comme une discipline autonome. Certes, des savants se sont attachés de tout temps à retracer l’histoire de leur domaine ou plus généralement d’un ensemble de savoirs, mais ce furent le développement de la science dans la seconde moitié du xixe siècle et son détachement progressif des lettres qui contribuèrent à délimiter les contours d’une discipline autonome, des contours toujours à redéfinir en fonction de l’évolution à la fois des sciences et de la démarche historique. Malgré des réticences encore tenaces aujourd’hui, les apports intellectuels de chaque époque en une société donnée ont été durant les dernières décennies davantage pris en compte dans une histoire à visée généraliste, suivant les diverses inflexions de celle-ci. Cette tendance historiographique, qui ne s’attache pas qu’aux cadres politiques, sociologiques ou culturels mais fait place aux contenus, a été particulièrement illustrée et continue à l’être à l’École pratique des Hautes Études par des enseignements en histoire des sciences, de la médecine et des techniques.
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Nicolas Weill-Parot
ENSEIGNEMENT ET ORGANISATION DE L’HISTOIRE DES SCIENCES
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epuis longtemps, l’École pratique des Hautes Études a joué un rôle éminent dans la promotion de l’histoire des sciences en France. Cette discipline a connu une ébauche de développement à la Ve section, puis à l’éphémère VIe section devenue en 1975 l’EHESS, puis plus durablement à la IVe section. Cette spécialisation, qui se décline approximativement dans les noms de ces sections, s’est affirmée à travers quatre figures pionnières de directeurs d’études : Alexandre oyré (Ve et VIe sections), Pierre Costabel (VIe section), René Taton (VIe section) et Guy Beaujouan (IVe section). oyré est très tôt lié à l’EPHE : avant la Première Guerre mondiale, il y suit déjà l’enseignement de François Picavet sur le Moyen Âge. En 1922, c’est à la Ve section qu’il soutient un diplôme consacré aux preuves cartésiennes de l’existence de Dieu, ce qui, pour reprendre les mots de Suzanne Delorme, « lui ouvrira les portes de cette institution unique au monde qu’il chérira tout au long de sa vie pour la liberté de travail qu’elle laisse tant à ses élèves qu’à ses professeurs1 ». Devenu directeur d’études en 1931, titulaire de la chaire « Histoire des idées religieuses dans l’Europe moderne », il s’intéresse progressivement à l’histoire des sciences (en 1939 paraissent ses célèbres Études galiléennes). Sa seconde direction d’études à la VIe section (« Histoire de la pensée scientifique ») institutionnalise cette orientation en 1954 : oyré aborde alors dans ses conférences l’astronomie de epler et les inédits de Newton. Les parcours de Pierre Costabel et de René Taton s’inscrivent dans le sillage de l’activité scientifique de oyré. L’un et l’autre ont initialement une formation en sciences. Pierre Costabel (1912-1989), normalien et agrégé de mathématiques, prêtre oratorien, est très tôt impliqué dans le Centre de recherches d’Histoire des sciences créé
Fig. 1 | De gauche à droite : Vasilij Zoubov, Rosemarie Ferenczi, Alexandre Koyré, Suzanne Colnort, René Taton et Adolf P. Youchkevitch. Début des années 1960.
Page précédente Départ depuis Paris d’une délégation d’historiens se rendant au Congrès international d’Histoire des sciences d’Ithaca-Philadelphie, 1962. 1 Delorme (1965), 130.
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Fig. 2 | Pierre Costabel (à gauche) et Alexandre Koyré au Congrès d’Histoire des sciences de Florence, 1956.
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TEXTES, LANGUES, PHILOLOGIE
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Georges-Jean Pinault
LA LINGUISTIQUE
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es chaires et les conférences de l’EPHE qui relèvent de la linguistique reflètent le développement d’une discipline qui, à l’origine, ne portait pas ce nom. La direction d’études créée en 1868 pour Michel Bréal (1832-1915) s’intitulait « Grammaire comparée », implicitement « des langues indo-européennes », comme sa chaire au Collège de France, où il était professeur depuis 1866. Le but avoué de Bréal était d’introduire en France une discipline novatrice, née en Allemagne au début du xixe siècle, la « grammaire comparée » (vergleichende Grammatik). Elle reposait sur l’analyse comparative de langues apparentées, dont on suivait l’évolution à partir d’une langue reconstruite, appelée par convention « indo-européen ». Cette linguistique s’était beaucoup développée au cours du siècle dans les universités allemandes ou de langue allemande. Bréal, lui-même juif alsacien, chargé de responsabilités importantes dans le système français d’enseignement scolaire et universitaire, avait été l’élève à l’Université de Berlin de Franz Bopp (1791-1867), le fondateur de cette discipline. Il s’est chargé de traduire l’ouvrage fondamental de son maître (d’après la deuxième édition, 1857-1861) en français (Grammaire comparée des langues indo-européennes, 5 vol., Paris, 1866-1874, deux fois réédité). Mais, au moment de la diffusion en France de cette approche historique des langues, la grammaire comparée avait beaucoup changé en Allemagne. Au cours des années 1870, et précisément à partir de 1876, s’est développé à l’Université de Leipzig un mouvement qui a ensuite essaimé dans toute l’Allemagne, né à l’initiative de jeunes chercheurs, appelés « néo-grammairiens » (Junggrammatiker), qui ont renouvelé l’étude des langues indo-européennes par l’application conséquente de deux notions principales : le caractère régulier et sans exception des lois phonétiques qui gouvernent l’évolution des sons et l’analogie responsable de la modification par association des formes grammaticales. Ces principes donnaient une précision encore inégalée aux correspondances entre les langues, sur lesquelles repose la comparaison indo-européenne, et inscrivaient celle-ci dans les tendances
Page précédente Début du cours de Gaston Paris à l’EPHE pour l’année 1880-1881 (« La littérature française au Moyen Âge »). Ci-contre Fig. 1 | Séminaire d’Antoine Meillet en salle Graux (aujourd’hui disparue), entre 1902 et 1905. Debout au fond contre le mur, de gauche à droite, l’appariteur (en blouse), un inconnu et Robert Gauthiot. Devant eux, assis, au bout de la table, de gauche à droite : Jules Bloch (au coin de la table) et Alfred Ernout.
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Laurent Morelle
L’HISTOIRE : ÉRUDITION, CRITIQUE DES SOURCES ET RÉFLEXION HISTORIOGRAPHIQUE
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Page précédente Henri Duday en train d’étudier des restes humains de la nécropole romaine de Porta di Nocera à Pompéi, en Italie. 1 Sur Maury, voir supra, 52. 2 Sur Monod, voir supra, 90-92. 3 Nécrologie de Thévenin : Chatelain (Annuaire SHP, 1924), 86. Thévenin était entré à l’EPHE en 1871. 4 Sur Lot, voir supra, 414-145 ; sur Giry, voir supra, 334-335.
urant plus de cinquante ans, jusqu’au milieu des années 1920, le mot « Histoire », employé sans précision aucune, a servi à lui seul d’intitulé aux conférences dispensées par cinq ou six professeurs réunis jusqu’en 1905 sous l’autorité d’un seul directeur d’études. Ce furent d’abord Alfred Maury (1817-1892), dont la direction était lointaine sinon nominale puisqu’il n’assura jamais d’enseignement à l’EPHE1, puis Gabriel Monod (1844-1912), qui était depuis la fondation de la section l’âme de l’équipe chargée des « études historiques » (une expression également en usage)2, enfin l’historien du droit Marcel Thévenin (1843-1924) après que Monod eut rejoint le Collège de France en 1905 (tout en conservant le titre de directeur d’études). En 1916, la promotion des enseignants alors en poste en « directeurs d’études » n’entraîna aucun affichage de la spécialité de chacun. Si l’« Histoire » avait désormais plusieurs titulaires, elle continuait d’offrir le visage d’une direction d’études collective et indifférenciée. Un aggiornamento n’eut lieu qu’en 1924, à la disparition de Marcel Thévenin, alors doyen d’âge de la IVe section et salué par Émile Chatelain comme « le dernier représentant de la période héroïque et désintéressée (!) de ses débuts3 ». Les enseignants rangés sous la bannière de l’« Histoire » furent alors répartis sous trois intitulés : « Histoire médiévale » pour Ferdinand Lot (1866-1952), entré comme maître de conférences début 1900 après le décès brutal d’Arthur Giry (1848-1899)4, et pour Max Prinet (1867-1937), entré en 1914-1915 comme directeur adjoint ; « Histoire moderne » pour Louis André (1867-1948), entré en 1922-1923 comme chargé de conférences pour suppléer Rodolphe Reuss (18411924), lui-même entré en 1896 ; enfin « Histoire étrangère » pour Charles Bémont (1848-1939), entré en 1886-1887 comme chargé de cours complémentaire, et pour
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René Poupardin (1874-1927), entré comme directeur adjoint en 1911-1912. À vrai dire, ce changement n’était pas substantiel puisqu’il se bornait à ranger les conférences concernées dans des catégories usuelles au sein du monde universitaire : les intitulés étaient comme des étiquettes plaquées sur des enseignements préexistants, ils n’en procédaient pas. Mais l’abandon de la bannière unitaire semble avoir pris acte d’une évolution ample. Nombreuses étaient les conférences présentant un intitulé commençant par le mot « Histoire ». Le terme, pris isolément, ne servait plus qu’à les englober, comme d’autres l’étaient sous le terme « Philologie ». * e En fait, l’histoire enseignée à la IV section en ce premier demi-siècle débordait le groupe de conférences inscrit sous son fronton. D’autres conférences, que l’on pourrait qualifier d’autocéphales, étaient dotées d’un intitulé propre. La plus ancienne d’entre elles est celle de « Géographie historique de la France », créée en 1880 pour Auguste Longnon (1844-1911). Ancien apprenti cordonnier, Longnon ornait l’EPHE d’une belle image républicaine, celle d’un établissement capable de bousculer le déterminisme social en sachant reconnaître un talent hors du commun qu’elle avait cultivé en son sein5. Le savant traitait de toponymie et de géographie historique, une science des territoires où Gabriel Monod voyait se tisser « l’histoire de la constitution ethnographique de la France et de son organisation comme nation et comme royaume6 ». L’objectif scientifique se mettait au service d’un idéal national, celui d’une meilleure connaissance du territoire français en ses composantes humaines. Aussi bien la géographie historique appliquée au Moyen Âge occidental que l’outil onomastique retrouvèrent grâce dans les années 1960, avec Michel Roblin (1910-1998), spécialiste de toponymie et de la région parisienne (« Histoire de l’habitat et du peuplement en France aux époques anciennes »), et Charles Higounet (1911-1988), qui infléchit la discipline dans le sens d’une étude des paysages et des habitats (« Géographie historique de l’Occident médiéval »). Autre conférence au long cours, l’« Histoire de Paris », financée par la Ville de Paris durant près d’un siècle. Elle fut créée en 1914-1915 pour le chartiste Marcel Po te (1866-1950), qui entendait déployer toutes les ressources documentaires disponibles au service d’une « science de Paris » destinée à comprendre, à travers l’exemple parisien, l’« évolution d’un organisme urbain », et ce « dans la considération du présent et de l’avenir »7. Marcel Po te inaugura un enseignement qu’une lignée ininterrompue de spécialistes ont poursuivi dans des directions variées (topographie, histoire de l’art, archéologie, etc.)8. Une troisième direction d’études eut une fécondité exceptionnelle : l’« Histoire des doctrines économiques », créée en 1907 pour Adolphe Landry (1874-1956) et bénéficiant elle aussi d’un financement de la Ville de Paris9. Élu député de Corse à partir
Fig. 1 | Auguste Longnon (1844-1911). Photo parue dans l’Almanach de la Patrie française pour 1900, Paris, 1899, p. 37. Pierre Petit photographe.
5 Voir cette phrase vigoureuse de Ferdinand Lot (Célébration [1922], 27) : « Exemple magnifique qui prouve que la vocation scientifique se joue des obstacles. Oui, mais à la condition d’être découverte à temps et d’être encouragée ». 6 Nécrologie de Longnon : Monod (Annuaire SHP, 19111912), 107-109, 108. 7 Expressions tirées du rapport de Marcel Po te pour l’année 1914-1915. Sur Po te, voir infra, 422. Je remercie mon collègue Guy-Michel Leproux de m’avoir éclairé sur cette chaire. 8 Lui succédèrent Élie Debidour (1887-1965), élu en 1949 ; Michel Fleury (1923-2002), élu en 1958 ; Jeanne Pronteau (1920-2008), « sous-directeur d’études » en 1962, promue directeur d’études en 1974 ; Guy-Michel Leproux, élu en 1999. 9 L’intitulé fut vite modifié en « Histoire des faits et doctrines économiques ». Sur Landry et l’histoire économique à l’EPHE, voir la contribution de Jean- ves Grenier, infra, 643-649.
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Sophie Démare-Lafont et Michaël Guichard
L’ASSYRIOLOGIE
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e la fin du xixe siècle jusqu’à nos jours, l’EPHE a connu quinze directeurs d’études dans le domaine de l’assyriologie. Pour la IVe section : Jules Oppert (directeur d’études en 1883), Arthur Amiaud (en 1888), Vincent Scheil (à partir de 1906), René Labat (à partir de 1933), Raymond Jestin (à partir de 1946), Jean Bottéro (à partir de 1958), Paul Garelli (à partir de 1974), Jean-Marie Durand (à partir de 1982), Dominique Charpin (à partir de 1994), Sophie Démare-Lafont (à partir de 1999) et Micha l Guichard (à partir de 2014). Pour la Ve section : Charles Fossey (à partir de 1907), Jean Nougayrol (à partir de 1938), Daniel Arnaud (à partir de 1970) et Maria Grazia Masetti-Rouault (à partir de 2005), ce qui fait de l’École l’un des centres fondateurs de l’assyriologie française avec le Collège de France, qu’ont rejoint six des directeurs mentionnés. L’EPHE a formé la majeure partie des générations d’assyriologues de l’Hexagone. Si François Thureau-Dangin fait exception, il a eu pour maître en assyriologie Jules Oppert, professeur au Collège de France, et Alfred Loisy, professeur à l’Institut catholique, lequel avait reçu sa formation assyriologique aux Hautes Études, où il enseigna à partir de 1900. Les trois millénaires d’histoire du Proche-Orient cunéiforme ont ainsi été représentés par ces personnalités et par les nombreux conférenciers français ou étrangers invités à l’École, historiens, philologues ou archéologues. Le sumérien et l’akkadien (dans ses différentes versions dialectales : paléo-akkadien, paléo-, médio- et néo-babylonien, paléo-, médio- et néo-assyrien) constituent le socle de la discipline, distincte des champs voisins que sont l’élamite et le perse, actuellement enseignés par Wouter Henkelman, ainsi que le hittite et le hourrite, enseignés par Emmanuel Laroche (1914-1991) entre 1952 et 1981. L’assyriologie entre officiellement aux Hautes Études en 1881 avec la création d’un cours d’Arthur Amiaud (1849-1889), intitulé d’une manière caractéristique pour cette époque « Langues et Antiquités assyriennes ». Mais c’est Jules Oppert (18251905), déjà au Collège de France et célèbre, qui devient le premier assyriologue
Page précédente Tropaire-prosier à l’usage de Moissac, avec notations en neumes, XIe siècle. Ci-contre Fig. 1 | Tablette administrative de l’époque d’Ur III sur laquelle a été déroulé le sceau du gouverneur de la province d’Umma. Il est précisé qu’il est serviteur d’Amar-Suena (vers –2030). EPHE, HE 247.
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VINCENT SCHEIL (1858-1940)
Fig. 1 | Cours de Vincent Scheil (1858-1940) à l’EPHE.
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e Père Vincent Scheil entre à l’EPHE comme élève en 1887, et il y suit les enseignements d’égyptologie (Pierre-Paul Guieysse et Gaston Maspero) et d’assyriologie, assurés par Jules Oppert au Collège de France et Arthur Amiaud à l’EPHE. Après une première publication sur une inscription de am i-Adad V, il participe aux fouilles de Thèbes (Égypte), Boghazk y (Turquie) et Abu Habbah (Irak) et devient maître de conférences à l’EPHE en 1896. Intégré dans la Délégation archéologique française en Perse dirigée par Jacques de Morgan, il réussit l’exploit de déchiffrer et publier en 1902 le célèbre Code de Hammurabi, découvert l’année précédente, ce qui lui vaut de devenir directeur d’études adjoint en 1902, en attendant de succéder à Oppert au Collège de France. Évincé cependant de la chaire au profit de son élève Charles Fossey, il est admis en 1908 à l’Institut et conserve,
désormais seul, la direction d’études « Philologie assyrienne », qu’il occupe jusqu’à sa retraite en 1933. Il constitue avec le soutien de l’École une collection de tablettes très variées, écrites en sumérien, en akkadien et en élamite, couvrant les trois millénaires de l’histoire cunéiforme. Ces documents ont servi de matériel pédagogique aux auditeurs confirmés, formés directement à partir des originaux et encouragés à réaliser ainsi leurs premières publications. Enseignant passionné qui tantôt s’enthousiasmait du talent de ses étudiants, tantôt déplorait leur esprit rassis, Scheil a lancé, selon son souhait, « une véritable école française d’assyriologie » qui perdure encore aujourd’hui. Sophie Démare-Lafont
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JEAN BOTTÉRO (1914-2007)
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ean Bottéro est jusqu’à nos jours l’assyriologue le plus célèbre de France. Élève de René Labat à l’EPHE, il y fut élu en 1958 à la direction d’études « Antiquités assyrobabyloniennes » et y fit pratiquement toute sa carrière jusqu’en 1982. Ayant quitté les ordres à son entrée à l’EPHE, il conserva toujours un vif intérêt pour l’étude de la Bible, très présente dans ses travaux, nourris de grandes interrogations sur le problème du mal ou le rapport entre l’homme et le divin. D’abord intégré à l’équipe des épigraphistes de Mari dirigée par Georges Dossin, avec lequel il se lia d’amitié, et également associé un temps aux fouilles allemandes d’Uruk, il faisait preuve d’un esprit d’indépendance qui le prédisposait davantage à devenir un savant de cabinet, et il trouva rapidement sa place dans le réseau des grands assyriologues de son temps, notamment Samuel Noah ramer, avec lequel il cosigna en 1989 le monumental Lorsque les dieux faisaient l’homme : mythologie mésopotamienne. Personnalité atypique, Jean Bottéro méprisait la routine philologique et se plaignait avec une certaine exagération de l’austérité de la documentation cunéiforme, déclarant de façon pénétrante que les tablettes ne pouvaient se « lire », leur déchiffrement se faisant toujours au prix d’un effort. Personne mieux que lui n’a su transmettre les problèmes humanistes que contenait cette riche littérature, qu’il estimait avoir été perdue à deux reprises : d’abord dans la terre d’où les fouilleurs l’avaient sortie, puis dans les tiroirs poussiéreux où l’abandonnaient des épigraphistes débordés par cette masse documentaire.
Fig. 1 | Jean Bottéro (1914-2007).
L’œuvre de Jean Bottéro, élaborée à partir de ses conférences dont il donnait d’épais comptes rendus dans les Annuaires de l’EPHE, couvre l’ensemble de la littérature akkadienne, depuis l’épopée de Gilgamesh et le « Poème du juste souffrant » jusqu’à des recettes de cuisine vieilles de quatre mille ans. Ces publications ont su trouver une large audience, au-delà des spécialistes de la discipline, permettant ainsi à ces « monuments mutilés » de trouver la place qu’ils méritent dans le patrimoine culturel mondial. Micha l Guichard
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Michel Chauveau
ÉGYPTOLOGIE DE GASTON MASPERO À GUSTAVE LEFEBVRE,
LE RÔLE CENTRAL DE L’EPHE DANS L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉGYPTIEN ANCIEN EN FRANCE (1869-1948)
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a création d’une conférence intitulée « Philologie et antiquités égyptiennes », parmi les neuf disciplines retenues dans le programme de la section « Histoire et Philologie » de l’EPHE à sa fondation en 1868, est une éclatante illustration de l’intérêt des élites intellectuelles et politiques de la France du Second Empire pour l’Égypte ancienne. Après l’héroïque expédition de Bonaparte et la monumentale publication qui en fut le résultat le plus durable, après les retentissants travaux de Jean-François Champollion (1790-1832) qui permirent enfin de comprendre les textes hiéroglyphiques, les récents accomplissements d’Auguste Mariette (18211881) dans le champ archéologique en Égypte même avaient forgé la conviction que l’égyptologie était désormais l’un des domaines privilégiés de la science française. Ce fut Emmanuel de Rougé (1811-1872), le maître alors incontesté de cette nouvelle branche du savoir, qui fut désigné pour occuper ce poste. Déjà titulaire de la chaire créée pour Champollion au Collège de France, Rougé dut déléguer à un répétiteur la formation « pratique » qui devait être dispensée dans le cadre de l’EPHE. C’était ainsi mettre d’emblée l’EPHE en position d’annexe au Collège de France. Cependant, le choix de ce savant se porta audacieusement sur un jeune homme de vingt-trois ans, Gaston Maspero (1846-1916). Nulle autre nomination ne pouvait être plus heureuse pour la réputation future de l’enseignement égyptologique de l’EPHE. Bien que les élèves et auditeurs de ses premières conférences
Ci-contre Fig. 1 | Gaston Maspero, Les Momies royales de Deir El-Bahari, Paris, 1899, pl. VII. A. Thoutmos II vu de face. B. Thoutmos Ier (?).
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GASTON MASPERO (1846-1916)
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i Champollion a fondé l’égyptologie en tant que science, Gaston Maspero peut être considéré, avec Auguste Mariette, comme son véritable organisateur. Né italien à Paris d’un père inconnu, il sera naturalisé français après avoir suivi de brillantes études au lycée Louis-le-Grand puis à l’École normale supérieure. Passionné de langues anciennes et exotiques, il s’intéresse aussi très tôt à l’Égypte pharaonique et au déchiffrement des hiéroglyphes. Il suscite dès 1867 l’attention de Mariette, qui lui donne la matière de sa première publication, et d’Emmanuel de Rougé, qui lui trouve son premier emploi salarié en tant qu’égyptologue. Sa carrière faillit cependant prendre un autre tour quand un riche Uruguayen l’attira à Montevideo pour rédiger un ouvrage de linguistique comparée sur le quechua, mais il revint l’année suivante à Paris au moment même où se constituait l’École pratique des Hautes Études. De Rougé, ayant obtenu la direction d’études en « Philologie et antiquités égyptiennes », confie à Maspero le poste de répétiteur. Quand son mentor meurt, trois ans plus tard, Maspero devient naturellement son successeur. Les cours du nouveau directeur d’études se déplacent bientôt des locaux étroits de l’École aux salles égyptiennes du Louvre, où les étudiants peuvent lire les textes sur les monuments originaux. Il doit bientôt aussi accepter parallèlement la chaire d’Égyptologie au Collège de France, nul autre que lui n’ayant été jugé plus apte à l’occuper. Lorsque le ministère Jules Ferry décide, en décembre 1880, de constituer une mission française permanente en Égypte, prototype d’une future école d’archéologie sur le modèle de l’École d’Athènes, c’est encore Maspero qui est chargé de son organisation. À son arrivée au Caire, Maspero trouve Mariette à l’agonie. Celui-ci laisse en déshérence le Service des Antiquités qu’il avait fondé ainsi que le musée de Boulaq. Seul homme de la situation, Maspero doit assumer la direction du Service, laissant la mission française à Eugène Lefébure. Son activité en Égypte
est remarquable, répondant aux défis qui se succèdent alors à un rythme effréné. C’est d’abord en 1881 la découverte de la cachette royale de Deir-el-Bahari dans des conditions rocambolesques, et dont Maspero parvient à préserver tout le matériel archéologique pour le musée égyptien. Ce dernier est réaménagé, son catalogage entrepris. Bientôt, le Service est réorganisé de fond en comble pour devenir une administration efficace sous l’impulsion de son directeur, qui multiplie les missions d’inspection tant en Haute qu’en Basse Égypte. Le temple de Louqsor est enfin complètement déblayé, ainsi que le grand Sphinx de Giza. Maspero est sur tous les fronts à la fois, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre ses publications scientifiques dans les différents domaines de cette jeune science : archéologie, philologie, histoire, religion. Maspero démissionne cependant en 1886 pour reprendre à Paris son activité d’enseignement, d’autant plus féconde qu’elle est désormais nourrie de tous les monuments qu’il a pu étudier in situ. Les Textes des Pyramides, les plus anciens textes religieux de l’humanité, alors nouvellement découverts et dont il avait assuré la première édition, lui fournissent matière à développer des théories révolutionnaires sur les formes primitives des croyances funéraires égyptiennes. Il se consacre aussi à de monumentales synthèses sur l’histoire et la civilisation de l’Égypte pharaonique. Enfin, il entreprend la publication de la « Bibliothèque égyptologique », vaste collection des œuvres des égyptologues français depuis Champollion. En 1899, cédant à des pressions venues de toutes parts, collègues comme politiciens, Maspero repart en Égypte pour reprendre la direction du Service que l’impéritie de ses successeurs avait mis à mal. Après l’avoir réorganisé, il se consacre à l’emménagement du musée dans son bâtiment actuel au Caire, inaugure la publication de la série des « Annales du Service des Antiquités égyptiennes » ainsi que la monumentale collection
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du « Catalogue général du Musée du Caire », qui compte déjà une soixantaine de volumes en 1914. Il continue parallèlement ses missions en province, surveillant les chantiers de fouilles qui pullulent avec l’engouement général que connaît alors la recherche égyptologique en Occident. Cette inlassable activité l’épuise et il finit par démissionner en 1914. De retour à Paris, Maspero est élu secrétaire de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres… quelques jours seulement avant que n’éclate la Grande Guerre. Profondément affligé par la mort au combat en février 1915 de son fils Jean, espoir brisé des études byzantines, il meurt d’un arrêt du cœur le 30 juin 1916,
lors d’une séance à l’Académie. Unanime, le monde savant avait alors déjà reconnu tout ce que la recherche égyptologique lui devait. À la veille du conflit, le Berlinois Adolf Erman, co-auteur du Worterbuch der ägyptischen Sprache, résumait ainsi le sentiment général : « Si l’égyptologie est florissante aujourd’hui dans tous les pays, si partout des musées égyptiens se sont constitués et si toutes les nations font des fouilles et des publications, nous le devons avant
tout à votre longue administration à l’esprit ouvert, qui a su tirer parti des forces au lieu de les brimer1. »
Michel Chauveau
1 Cité par David (1999), 270.
Fig. 1 | Gaston Maspero (1846-1916). Carl Reutlinger photographe. Bibliothèque nationale de France, département Société de Géographie, SG PORTRAIT-1234.
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JEAN YOYOTTE (1927-2009)
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ean oyotte accomplit la plus grande partie de sa carrière à l’EPHE, son alma mater où, étudiant, il avait bénéficié des cours de Gustave Lefebvre, Jacques Jean Clère et Georges Posener, tandis qu’il suivait également l’enseignement de Pierre Montet au Collège de France. C’est très jeune, encore lycéen, qu’il aborda l’égyptologie, nouant en même temps une amitié indéfectible avec Serge Sauneron, que son parcours mena à la direction de l’IFAO. Jean oyotte passa quelques années en Égypte entre 1952 et 1957 comme membre scientifique, découvrant le pays et tout particulièrement les sites délaissés du delta du Nil. Auparavant, entre 1948 et 1952, et plus tard de 1957 à 1964, il occupa un poste de chercheur au CNRS. Élu à l’EPHE, section des Sciences religieuses, comme directeur d’études en 1964, il y poursuivit son enseignement jusqu’en 1991 avant d’accéder à la chaire d’Égyptologie du Collège de France (19911997). Il fut tout à la fois un enseignant hors du commun et un chercheur dont les travaux marquent durablement l’égyptologie française et internationale. En même temps, il assura la direction du chantier de Tanis dans le Delta oriental (1964-1985), capitale de l’Égypte au début du Ier millénaire avant notre ère, reprenant les fouilles longtemps menées par Pierre Montet, que les événements politiques avaient mises en sommeil. Dans le cadre de l’EPHE, il s’attela avec vigueur au développement du Centre Wladimir Golenischeff1, amorcé par son prédécesseur Jean Sainte Fare Garnot, avec l’accroissement de la bibliothèque orientée vers l’étude de la religion de l’Égypte ancienne, la mise en valeur des archives qui y avaient été déposées (Wladimir Golenischeff, Pierre Lacau, Pierre Montet), l’accueil des étudiants et des chercheurs.
Sa profonde connaissance de l’Égypte ancienne, des sources – les textes religieux en particulier –, mais aussi des monuments et de la géographie, était associée à un esprit d’analyse aguerri qui lui permettait de faire des rapprochements – ainsi dans les arcanes de la toponymie – qui aboutissaient à des éclairages entièrement neufs sur tel point d’histoire ou de « géographie religieuse », deux domaines auxquels il donna un élan qui se poursuit encore. Il fit œuvre de pionnier en s’intéressant, en liaison avec les fouilles conduites à Tanis, à l’histoire complexe de l’Égypte du Ier millénaire2, qui jusque-là avait été délaissée. C’est à lui que l’on doit le terme de « géographie religieuse », autre vision de la ulttopographie dont Hermann ees avait été le promoteur dans l’école allemande. C’est à partir d’une étude rigoureuse des toponymes sur les monuments de particuliers, dans les inscriptions des temples et dans les papyrus, qu’il parvenait à reconstituer la géographie réelle, et celle idéale, établie par les hiérogrammates, de telle ou telle région d’Égypte, tout particulièrement du Delta, sur lequel il a donné un coup de projecteur. À côté de ses articles savants et complexes, il possédait un réel talent de diffuseur de la culture égyptienne, comme en témoignent plusieurs de ses ouvrages3 et la grande exposition « Tanis4 » dont il fut le maître d’œuvre. Personnalité hors du commun, il reste l’un des maîtres de l’égyptologie et rayonna auprès de générations d’étudiants. Il demeure aujourd’hui par le truchement de ses écrits, auxquels on ne cesse de revenir. Christiane ivie-Coche
1 Voir dans cet ouvrage l’encart sur le Centre Wladimir Golenischeff.
2 oyotte (2012, 2e éd.). 3 oyotte, Posener et Sauneron (1959) ; oyotte (1968). Pour une bibliographie complète de J. oyotte, voir Mélanges oyotte (2012), xiii-xxix. 4 Exposition « Tanis. L’or des pharaons », Paris, Galeries nationales du Grand Palais, 1987.
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Fig. 1 | Jean Yoyotte (1927-2009) dans l’oasis de Dakkla, désert libyque, Égypte.
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Jean-Louis Ferrary et Denis Rousset
L’ANTIQUITÉ CLASSIQUE L’ANTIQUITÉ CLASSIQUE À LA IVe SECTION ET SES RAMIFICATIONS AU FIL DE CENT CINQUANTE ANNÉES
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epuis cent cinquante ans, l’Antiquité classique a occupé à l’EPHE, par la variété de ses chaires et le nombre de leurs enseignants, une place telle qu’il serait, dans l’espace imparti à cet article, aussi vain que peu instructif de chercher à en énumérer tous les intitulés et a fortiori les titulaires successifs. Il s’agit donc simplement de mettre ici en évidence, pour la section des Sciences historiques et philologiques, d’une part les moments où, à partir du tronc des directions d’études initialement fondées, ont surgi des branches nouvelles ou reconnues sous un intitulé propre, et d’autre part la façon dont, indépendamment de l’histoire propre des intitulés, d’autres lignes disciplinaires n’ont pas cessé d’être suivies. C’est en réalité seulement à partir de 1892 que se dessina clairement, et assez durablement, l’organisation des enseignements en Antiquité classique : quatre directions d’études, en « Épigraphie et antiquités grecques » (Bernard Haussoullier), « Épigraphie latine et antiquités romaines » (Antoine Héron de Villefosse), « Philologie grecque » (Édouard Tournier) et « Philologie latine » (Louis Havet). En effet, à la fondation de l’École, en 1868, W. H. Waddington avait été seul titulaire d’une direction d’études de « Philologie et antiquités grecques », et les deux directions d’études distinctes créées à l’origine pour Léon Renier et Gaston Boissier furent entre-temps, en 1882, réunifiées en une direction d’études unique de « Philologie latine et antiquités romaines », occupée par Renier ( 1885), puis par Boissier. Les trois fondateurs
Ci-contre Fig. 1 | Victor Bérard (1864-1931) en 1925, photographié en tant que sénateur du Jura, une fonction qu’il occupa de 1920 à 1931. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et Photographie, EI-13 (1181).
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JEAN-PIERRE VERNANT (1914-2007)
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ean-Pierre Vernant fut à maints égards une personnalité exceptionnelle. Né dans une famille de forte tradition républicaine et dreyfusarde, fils d’un agrégé de philosophie, Vernant ne fut pas seulement un grand intellectuel, mais aussi un homme d’action et une personnalité engagée. Tôt orphelin de père puis de mère, Vernant s’inscrivit dans la tradition familiale en faisant lui aussi des études de philosophie et, comme son frère Jacques deux ans avant lui, fut reçu premier à l’agrégation de philosophie en 1937. S’étant rapproché de la mouvance communiste dans les années précédant la guerre, il entra très vite en résistance avec son frère, lors de leur démobilisation à l’automne 1940. À Toulouse, où il avait été nommé professeur, Vernant retrouva celui qui avait été son maître en philosophie à la Sorbonne et qui devait exercer une profonde influence sur sa pensée, Ignace Meyerson, lui aussi entré en résistance. Ayant rallié le mouvement Libération de zone Sud, Vernant reçut en 1942, sous le nom de colonel Berthier, le commandement de l’Armée secrète en Haute-Garonne et mena la libération de Toulouse en août 1944 en étroite collaboration avec Serge Ravanel, ce qui lui valut d’être fait compagnon de la Libération. À ce moment, Vernant ne s’était pas encore consacré à l’étude de la Grèce ancienne. Membre du Parti communiste (il le resta jusqu’en 1970), mais toujours en position critique vis-à-vis de sa direction, Vernant découvrit en 1948 dans le monde grec antique un espace de liberté en même temps qu’un moyen de poser sur le monde contemporain un regard original et distancié. Car Vernant entendait se faire grec de l’intérieur, découvrir les modes de pensée des anciens Hellènes pour mieux s’affranchir des contraintes de l’immédiat et créer les conditions d’un dialogue critique avec les questions contemporaines. L’Antiquité non pas comme une fuite du présent, mais comme la source de la liberté intérieure nécessaire à l’intelligence du présent. Pour cela, Vernant eut comme guide non seulement Meyerson et sa
« psychologie historique », dont le nom dit bien l’ambition de comprendre les modes de fonctionnement, les catégories et les représentations mentales des Anciens, mais aussi Louis Gernet. Cet élève de Durkheim, ami de Marcel Mauss et grande figure de l’école sociologique française, en avait adapté les questionnements et les méthodes pour l’étude du monde grec, donnant ainsi naissance à ce qui fut appelé « anthropologie historique ». De cette conjonction, Vernant tira parti pour élaborer sa propre démarche, qui visait à montrer comment, chez les Grecs, le vaste monde des mythes, celui des pratiques et des représentations religieuses, et enfin les différents aspects de la vie sociale et des institutions politiques trouvaient leur sens les uns par rapport aux autres. À rebours d’une certaine pratique scientifique procédant par la fragmentation des réalités anciennes entre différentes spécialités, l’ambition était de mettre en lumière la cohérence profonde de la pensée grecque dans toute la diversité de ses manifestations. Philosophe, Vernant n’était passé ni par l’École normale supérieure, ni par l’agrégation de lettres classiques, ni par les Écoles de Rome ou d’Athènes, voies royales pour tout chercheur travaillant sur l’Antiquité. Aussi son parcours fut-il original. D’abord chercheur au CNRS à partir de 1948, il fut élu en 1957 directeur d’études à la VIe section de l’EPHE, celle des Sciences économiques et sociales – celle à laquelle Louis Gernet avait été rattaché. L’intitulé de sa chaire, « Pensée sociale et religieuse de la Grèce ancienne », montre bien l’originalité de son positionnement. Ce fut alors que Vernant publia les premiers ouvrages qui allaient lui assurer immédiatement un très grand rayonnement et modifier – non sans de vives et longues résistances – toute la compréhension de la Grèce ancienne : Les Origines de la pensée grecque, en 1962, où il développe le thème du passage du mythe à la raison, et le très fécond Mythe et pensée chez les Grecs en 1965. Ce fut aussi l’époque où il ouvrit
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Fig. 1 | Jean-Pierre Vernant en 1989.
son travail à une dimension comparatiste qui allait rapidement prendre une grande importance dans les travaux du groupe de recherche qu’il avait fondé en 1964, comme le montre le nom donné à ce groupe de « Centre de recherches comparées sur les sociétés anciennes ». En 1968 enfin, du fait de l’évolution de ses recherches, Vernant fut élu à la section des Sciences religieuses sous le même intitulé. Ces années virent se multiplier les enquêtes sur la naissance de la parole et de l’espace politiques dans la cité, le sacrifice sanglant, la pensée technique et l’intelligence rusée, la mort et l’altérité, le masque et le visage,
autour desquelles se constitua un groupe de recherches de plus en plus étoffé qui allait devenir le Centre Louis Gernet en 1984. Du fait de son élection à la Ve section, Vernant ne fut pas concerné par le départ de la VIe section lorsqu’elle devint, en 1975, l’École des Hautes Études en Sciences sociales ; il quitta l’EPHE en 1975 à la suite de son élection au Collège de France. Son empreinte fut si forte que tous ceux qui lui succédèrent à la direction d’études sur la religion grecque s’inscrivirent et continuent de s’inscrire dans son sillage, tout en illustrant des thèmes et des méthodes de recherche divers. François de Polignac
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Jean-Michel Leniaud
L’HISTOIRE DE L’ART
L’
archéologie est quasi consubstantielle aux sciences historiques et philologiques : il n’en est pas allé de même de l’histoire de l’art. La première est à ce point imbriquée dans les grands travaux à l’étranger qu’un ancien normalien, Louis Bertrand, devenu homme de lettres, n’hésite pas à écrire, c’était en 1908, que le chantier du Parthénon était devenu « une succursale de l’École des Hautes Études1 ». L’histoire de l’art, pour sa part, y entre par plusieurs voies de traverse : l’histoire du christianisme byzantin compte comme la première d’entre elles. Tout démarre à la section des Sciences religieuses avec Gabriel Millet (1867-1953), dont la longue carrière commença par un poste de maître de conférences en 1899. Il y créa la photothèque byzantine, entreprise doublement moderne puisqu’elle constituait en source historique les corpus d’images et privilégiait hardiment la duplication photographique. En 1907, Millet était nommé directeur d’études adjoint ; en 1913, il fut nommé directeur d’études sur une chaire intitulée « Christianisme byzantin et archéologie chrétienne », avant d’être élu au Collège de France en 1926. Millet était un véritable historien de l’art, mais son enseignement ne fut pas rangé dans la catégorie de l’histoire de l’art. Il en fut de même en 1914 à la section des Sciences historiques et philologiques quand fut créée, financée par le conseil municipal de la capitale, une chaire d’« Histoire de Paris » : il s’agissait d’histoire de l’urbanisme ou, pour reprendre l’expression d’alors, d’« histoire des villes », c’est-à-dire une manière de comprendre l’architecture comme des structures organiques d’immeubles construits. Cette chaire fut confiée à Marcel Po te, conservateur de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris et secrétaire de la Commission du Vieux Paris depuis 1913 ; il occupa cette fonction jusqu’en 19202. Alors directement impliqué dans le projet d’extension de Paris en compagnie de l’architecte Louis Bonnier, Po te fonda une science nouvelle en France : l’histoire de l’évolution des villes, vue non point, comme le préconisa plus tard Lucien Febvre, sous l’angle des sociétés, mais sous celui des transformations de la voierie
Ci-contre Fig. 1 | Les orateurs du colloque de Dumbarton Oaks, 1950, « The Emperor and the Palace ». Debout, de gauche à droite, Andreas Alföldi, Francis Dvornik, Albert Mathias Friend, Hans Peter L’Orange, Ernst Kantorowicz et Paul Underwood. André Grabar, qui avait dirigé le colloque, est assis au centre.
1 Bertrand (1908), 34-36. 2 Calabi (1997) ; voir aussi Marcel Po te (2000).
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ANDRÉ CHASTEL (1912-1990)
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ndré Chastel fait partie des grands protagonistes de l’histoire de l’art de la seconde moitié du xxe siècle, tant par son travail scientifique que par son rayonnement international et son action publique1. En 1933, il entre à l’École normale supérieure et obtient l’agrégation de lettres en 1937. Il s’initie à l’histoire de l’art au contact d’Henri Focillon (Sorbonne), dont il devient l’élève et qui marquera durablement ses travaux. Pendant son bref séjour des années 1934-1935 à l’Institut Warburg à Londres, il subit l’influence des travaux de Fritz Saxl et de l’iconologie d’Erwin Panofsky, ce qui lui fait pressentir la nécessité d’une histoire de l’art élargie. D’abord professeur de lycée au Havre, il est mobilisé en 1939 comme lieutenant, fait prisonnier et interné à l’Oflag III C de L bben-Spreewald. Après sa libération, en février 1942, il se consacre au catalogue de Vuillard, avant de réintégrer l’enseignement supérieur. Son pays d’élection devient l’Italie, où il se rend régulièrement après la guerre. Nommé assistant à l’Institut d’Art et d’Archéologie de la Sorbonne de 1945 à 1948, il soutient en 1950 une thèse de doctorat ès lettres, sous la direction d’Augustin Renaudet (1880-1958), intitulée « Art et Humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique ». Elle est publiée en 1959 (plusieurs fois rééditée), cinq ans après sa thèse complémentaire sur « Marsile Ficin et l’art »2. En 1951, il succède à Renaudet à la IVe section de l’EPHE avec une conférence intitulée « Histoire de la Renaissance ». Il est élu à la chaire d’Histoire de l’art moderne et contemporain de la Sorbonne en 1955, mais il continue son enseignement à l’EPHE jusqu’en 1978. Pendant plus d’un quart de siècle, Chastel a marqué l’histoire de l’art dans cette institution et y a créé une nouvelle génération de chercheurs. Ses conférences attirent un nombre croissant d’auditeurs, d’étudiants et de chercheurs, parmi lesquels
des Italiens, des Polonais, des Américains, des Japonais et des Brésiliens. Sans suivre une approche stricte sur le plan méthodologique, Chastel regarde l’œuvre d’art sous plusieurs angles et cherche des signes qui témoignent de l’interconnexion des arts. Pendant les premières années, son enseignement se développe autour de la notion de l’âge d’or du Quattrocento florentin, de la valeur historique et représentative de l’architecture à Florence au xve siècle et de la jeunesse de Léonard de Vinci. Il s’appuie sur une bibliographie internationale de langues allemande, anglaise et italienne et, par ses contacts avec des chercheurs à l’étranger, son enseignement intègre les expériences et les débats les plus récents3. L’exégèse de textes complète ce programme pédagogique, de la préface de Cristoforo Landino à l’édition florentine de La Divine Comédie (1482) jusqu’aux sources littéraires autour du concept des « hommes illustres » à partir de Pétrarque et Boccace. Dès 1955, le traité De Sculptura de Pomponius Gauricus (1504) est au cœur de ses réflexions, en vue d’une édition critique sous forme d’un travail collectif publié avec Robert lein en 19694. Pendant la seconde moitié des années 1950, ses thèmes gravitent autour des sources de l’histoire de l’architecture de la Renaissance, des échanges franco-italiens à la fin du xve siècle et autour des entrées et des fêtes, avec une attention particulière à l’art éphémère et à la fonction urbanistique des décors. Dans le sillage de Saxl et de Panofsky, il cherche à explorer les mécanismes de transmission tels qu’ils se profilent, par exemple, dans la représentation des dieux antiques pendant la Renaissance. Au début des années 1960, Chastel examine les relations entre art et science à la Renaissance et il se penche sur le « Diario » ou « journal » personnel des xve et xvie siècles comme source
1 Pour les différents volets de l’activité de Chastel, voir André Chastel (2015). 2 Thèse : Chastel (1959) ; thèse complémentaire : Chastel (1954).
3 Sa correspondance est conservée aux Archives de l’INHA. Voir Archives 090, 006 – 090, 022 et 090, 340 – 090, 361. 4 Chastel (1969c).
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Fig. 1 | André Chastel (1912-1990) en 1986.
fournissant une manne de dates et de repères. Une autre entreprise collective démarre en 1964 avec la traduction méthodique et commentée des Vite dei piu eccellenti architetti, scultori e pittori de Giorgio Vasari5, projet duquel découleront de nombreux sujets nourrissant ses conférences : l’activité artistique et la culture humaniste du milieu vénéto-padouan, Artes Memoriae à partir de la Vie de Titien et, plus tard, la cour des Farnèse à Rome. En 1970, André Chastel est nommé au Collège de France sur une chaire intitulée « L’Art et la civilisation de la Renaissance 5 En 1966 eut lieu la publication d’un recueil extrait des « Vies » : Chastel (1966). Douze volumes ont été publiés : Chastel (1981-1989).
en Italie ». Pendant les dernières années de son enseignement à l’EPHE, ses sujets se diversifient : les grotesques, l’adoption et la diffusion d’un ornement antique, l’œuvre et la fortune critique de Sebastiano Serlio, les façades ornées de grisailles et de grotesques, les architectures figurées dans les peintures de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance jusqu’aux châteaux détruits en France, notamment ceux de la Renaissance, les motifs de la décision et les processus administratifs. Cet enseignement coïncide avec une riche moisson de publications sur les mêmes sujets6. En 1977, Chastel dévoile, au sein des Mellon Lectures à Washington, le fruit de ses recherches sur le « sac de Rome »7. L’action publique bénéficie d’un moment particulièrement favorable pendant le ministère d’André Malraux aux Affaires culturelles (1959-1969). Avec Marcel Aubert et Louis Grodecki, André Chastel est à l’origine de l’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France en 1964. Les revues L’Information d’histoire de l’art (1957-1975), Art de France (1961-1964) et Revue de l’art (depuis 1968) lui doivent leur existence. Chastel s’est intéressé à l’art du xxe siècle et au débat contemporain, tant au sein de la peinture que de l’architecture, notamment au moment de la démolition des Halles de Victor Baltard8. Pendant la réforme orchestrée par Malraux, l’Académie de France à la Villa Médicis se dota d’un département d’Histoire de l’art sous son impulsion. À la fin des années 1980, Chastel fut aussi à l’origine de l’idée de l’Institut national d’Histoire de l’art (INHA), inauguré seulement en 2005. Sabine Frommel
6 Chastel (1957 ; 1963 ; 1965a ; 1965b ; 1969a ; 1969b ; 1978). 7 Chastel (1983). 8 Boudon (1977).
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LE MONDE COMME CHAMP DE RECHERCHE : ESPACES, TEXTES, RELIGIONS
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ès la première année de son existence, l’EPHE consacre environ un tiers de ses enseignements à des langues anciennes qui ne relèvent pas de la tradition classique (grammaire comparée, sanskrit, langues persanes et sémitiques…). En 1886, lors de la création de la Ve section, pratiquement la moitié des cours traitent de religions lointaines (Extrême-Orient, Inde, Égypte, Hébreux et sémites occidentaux, monde islamique). Certains savants, comme Sylvain Lévi (qui rendit une centaine de rapports annuels pendant un demi-siècle !), Hartwig Derenbourg ou encore Alfred Foucher, enseignaient à la fois les langues en IVe section et les religions en Ve. Si l’Orient, qui renvoyait dans tous les domaines aux origines de l’humanité, était de toute évidence perçu comme l’indispensable complément du monde gréco-romain et de la France, le nombre de zones couvertes par les enseignements ne cessa par la suite d’augmenter jusqu’à couvrir l’ensemble du globe. Le premier texte de cette partie est consacré à la géographie. Il montre comment, dans toutes les sections, se développèrent précocement des réflexions sur l’espace et ses représentations. Les chapitres suivants ne traitent sans doute pas l’ensemble des champs de recherche qui furent et qui sont encore pris en compte à l’EPHE, mais ils en proposent un large aperçu. De l’Inde à l’Amérique en passant par l’Extrême-Orient, du monde turc à la Scandinavie, les exposés se succèdent, qui rappellent la richesse et la complexité des travaux consacrés à des mondes largement délaissés par l’Université (Europe comprise). Aux zones mentionnées, il faut évidemment adjoindre celles qui n’ont pu faire l’objet de développements particuliers, ainsi le Tibet, l’Afrique subsaharienne ou encore l’Océanie. Mais c’est en réalité l’ensemble du livre qui, dans un grand nombre de chapitres, voit défiler les sociétés lointaines avec leurs religions, leurs histoires et leurs langues. Des figures comme Joseph Halévy, qui découvrit les juifs Falashas d’Éthiopie dès 1867, Léon de Rosny, Sylvain Lévi, Paul Pelliot et tant d’autres encore, rappellent que, bien avant le développement d’une histoire dite, non sans quelque emphase parfois, « globale », l’ensemble du monde était pris en considération à l’EPHE.
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Samuel Étienne
GÉOGRAPHIE ET CARTOGRAPHIE
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a géographie « science carrefour », selon l’expression de Paul Claval, est une discipline fille de l’histoire dont un des grands objectifs est de dresser le portrait du monde, de comprendre la dynamique des mutations des sociétés et des paysages, de marier espace et temps. Tiraillée tout au long de son histoire académique entre les sciences humaines et sociales et les sciences de la nature, la géographie traverse l’histoire de l’École pratique des Hautes Études dans une position souvent marginale, mais qui lui offre des champs féconds d’expérimentation et de liberté intellectuelle. Les premiers travaux géographiques menés au sein de l’École l’ont été au sein de la IVe section. Ils ont été amorcés par Auguste Longnon (1844-1911), nommé directeur d’études en géographie historique en 1879. Cet artisan cordonnier devenu archiviste autodidacte fonde cette discipline avec pour principaux ouvrages une Géographie de la Gaule au vie siècle (1878) et l’Atlas historique de la France (18841907). S’intéressant à la toponymie, il démêle l’écheveau territorial de la construction de la nation en exhumant l’origine linguistique des noms de lieux. La géographie linguistique est un autre apport majeur de l’École pratique des Hautes Études à l’évolution de la linguistique. La discipline naît en France sous l’impulsion de Jules Gilliéron (1854-1926) et Mario Roques (1875-1964), qui signent en 1912 des Études de géographie linguistique, ouvrage en apparence modeste puisque constitué d’un recueil d’articles précédemment publiés dans la Revue de philologie française, mais dont le retentissement sera énorme. L’Atlas linguistique de la France coordonné par Gilliéron entre 1897 et 1910 servit de base de données à la démonstration par l’exemple qu’on ne pouvait connaître l’histoire des mots qu’en s’appuyant sur la répartition géographique des formes actuelles. L’originalité de la géographie linguistique était de renouveler et d’enrichir l’étude historique des
Page précédente Sylvain Lévi (1863-1935) et Rabindranath Tagore à Santiniketan (1921).
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BERNARD FRANK (1927-1996)
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ernard Frank est le créateur d’un style d’études original qui a fait école au sein des études japonaises1. À l’École pratique des Hautes Études, dont il est diplômé à la section des Sciences religieuses en 1954, il s’est illustré comme maître de conférences en « Religions de l’Extrême-Orient » (Ve section, 1959-1963) et directeur d’études d’« Histoire et philologie japonaises » (IVe section, 1965-1981), écouté pour son enseignement généreux et son attitude empreinte de libéralité et de modestie, au point d’en sacrifier son œuvre écrite, laissée inachevée, au profit de son auditoire et de sa direction de travaux. Dans son analyse de l’autochtonie et des apports de la culture bouddhique et chinoise, il a allié l’étude savante des textes, du terrain – il a entre autre accompli le pèlerinage de Shikoku – et de l’iconologie, en philologue rigoureux attaché à la littérature, à la religion, à l’art et aux phénomènes de mentalité. Il s’est signalé par son sens aigu de la langue, dans les registres aussi bien raffiné que profane, en la passant au crible d’une critique lexicologique intégrale, tout en privilégiant la fidélité à l’original et la résonance du rendu en français. Disciple de Paul Demiéville, de Rolf A. Stein, de Paul Mus, de Jean Filliozat, de Louis Renou et de Charles Haguenauer, son maître, il a abordé des champs diversifiés, l’histoire des religions et de l’art, les récits légendaires et la littérature, couvrant l’époque antique. Dans ces domaines, il s’est entouré de savants japonais renommés, comme Akiyama Terukazu, Mabuchi azuo, Hiraoka J kai, ou Manabe Shunsh . La pluridisciplinarité était son approche de prédilection, et il s’est distingué par son analyse érudite et fine de la poésie, grâce à son langage choisi, faisant preuve d’une inventivité audacieuse.
Ses conférences abordaient des notions primordiales de la japonologie, celles de mono, de kami, de rei, de mitama, d’oni, de fūryū, d’ukiyo, l’« île flottante », dont il retraçait les origines et les développements. Il a abordé les récits du Yamato-monogatari, de l’Ise-monogatari, la compilation poétique du okin wakashū, le Sanb e-kotoba de Minamoto no Tamenori, les traités de poétique du Wakatai-jisshū attribué à Mibune Tadamine, le Wakakuhon de Fujiwara no int 2. Il s’attachait à des projets collectifs, dont ceux touchant le symbolisme des couleurs, les conceptions de l’au-delà à travers le rituel de l’Urabon, ou la « démonologie », impliquant les rites antiques d’expulsion des démons, le tsuina, dont il a retracé l’histoire et les contours de manière exhaustive, dans la lignée de ce qu’avait fait Haguenauer à propos du rite du Chinkonsai. Le nom de Bernard Frank restera lié à la traduction du onjaku monogatari shū3. Par l’érudition et la clarté de présentation qu’il y a déployées, ces Histoires qui sont maintenant du passé forment la matière par excellence où se conjuguent ses deux grands domaines d’intérêt : la religion et la littérature. Le bouddhisme japonais, qu’il connaissait si bien, a été abordé lors de ses dernières conférences, qui avaient trait au tantrisme et à son art, à travers les représentations de personnages du panthéon bouddhique4. Là encore, la finesse et la précision de ses descriptions ainsi que de ses analyses des objets personnifiés de culte, de leurs attributs symboliques et de leurs fonctions, sans oublier les récipiendaires et les acteurs de leur culte, ont fait de ses exposés des tableaux complets, qu’il n’a pu mettre à la disposition du public dans son panthéon bouddhique du musée Guimet, catalogue muséal sortant de l’ordinaire dont « l’auteur est incontestablement le meilleur japonisant français
1 Voir les notices biographiques sur Bernard Frank rédigées par Girard (1998), Jarrige (1998), Monnier (1995-1996), Robert (1998 ; 2007) et Rotermund (2000).
2 Frank (2000). 3 Frank (1987). 4 Frank (1991 ; 2017).
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Fig. 1 | Bernard Frank dans son bureau, à son domicile de Neuilly-sur-Seine (photographie prise au milieu des années 1980).
d’aujourd’hui » (André Bareau). L’étude du jardin du awara-no-in de l’homme politique et poète Minamoto no Shitagau, cet « original de haute volée » faisant penser à un Charles d’Orléans dont il était nourri, est un exemple de la méthode de ce japonologue hors pair, conjuguant les analyses de la cosmologie chinoise, du
système du savoir de la noblesse de cour, des représentations mentales de la société intéressant l’architecture, l’art des jardins, la symbolique botanique et minérale, les conceptions poétiques et esthétiques du Japon antique5. Frédéric Girard 5 Frank (2011).
LES ÉTUDES JAPONAISES ◆
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ÉTUDES JUIVES, CHRISTIANISMES, ISLAM : PENSER LES MONOTHÉISMES
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Daniel Stökl Ben Ezra
LES ÉTUDES BIBLIQUES
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Page précédente Louis Massignon (1883-1962). 1930.
ès sa fondation, l’EPHE fut un des lieux les plus importants en France pour l’étude scientifique de la Bible hébraïque et du Nouveau Testament. Contrairement à ce que l’on observe dans les autres pays européens, ces études se situaient et se situent encore en France dans un contexte particulier car elles sont complètement marginalisées, en particulier dans l’enseignement public. Alors que dans les autres pays les chercheurs sont des centaines à analyser les textes bibliques avec les mêmes méthodes historico-critiques que celles utilisées pour les lettres classiques ou l’histoire ancienne, ils ne sont qu’une poignée en France. Il semble exister un accord tacite entre catholiques fervents et laïcs militants sur le fait que ce sujet est trop sacré aux yeux des uns pour être laissé à l’esprit critique et trop délicat aux yeux des autres pour être confié à des ecclésiastiques. L’EPHE institue ces études dès sa création et s’impose dès lors comme un centre important à côté de l’Alsace-Lorraine et de l’École biblique et archéologique de Jérusalem. Les biblistes de l’EPHE sont en majorité des protestants, des catholiques défroqués ou – ce qui demeure exceptionnel dans le panorama européen jusqu’à nos jours – des enseignants juifs. Les deux points forts des études bibliques à l’EPHE sont l’expertise en épigraphie et en histoire et l’approche approfondie des littératures apocryphes. Des perspectives et des intérêts historiques particuliers distinguent l’École des facultés de théologie. À la IVe section, les textes bibliques sont analysés au sein de la chaire de Philologie sémitique, hébraïque et araméenne. Après des études à Genève, Strasbourg et G ttingen (chez le grand orientaliste Heinrich Ewald), Auguste Carrière (1838-1902, répétiteur en 1871, directeur d’études en 1896) écrivit d’abord sur Habacuc et la prophétie à son époque, puis sur la littérature apocryphe, vétéro- et néotestamentaire en syriaque et, surtout, en arménien (Psaumes de Salomon, 3 Corinthiens, Joseph et Aséneth). Cet intérêt pour la littérature apocryphe allait d’ailleurs devenir l’un des points forts de la recherche française. Pendant trente ans, l’enseignement des textes bibliques semble avoir été dédié à l’explication philologique du texte plutôt
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qu’à l’analyse historico-critique. Mayer Lambert paraît s’en être tenu aux explications grammaticales. Plusieurs enseignants lisaient dans leurs cours des versions bibliques en syriaque (Joseph Derenbourg), guèze (Halévy), etc., d’après des chrestomaties. Pendant de longues années, Isidore Lévy (« Histoire ancienne de l’Orient » à la IVe section) donna des conférences sur les Livres de la Genèse, de l’Exode, de Josué, des Juges, de Samuel, des Rois, de Néhémie. Isra l Lévi (1856-1939, maître de conférences en 1896, directeur d’études adjoint en 1907, directeur d’études en 1914, sur une direction « Judaïsme rabbinique et talmudique ») consacra une partie de son cours à des textes de la Bible hébraïque, grecque et syriaque. Les travaux de Charles Clermont-Ganneau et d’autres étaient en grande partie guidés par l’ambition d’apporter un nouveau matériel archéologique à l’interprétation et à la contextualisation de la Bible hébraïque et du Nouveau Testament. Mais, depuis 1885, la Ve section avait en la personne de Maurice Vernes (1845-1923), qui y enseigna pendant quarante ans, un directeur d’études en « Religions d’Isra l et des sémites occidentaux ». Comme Carrière et Sabatier, Vernes fut en 1877 parmi les fondateurs de la Faculté de Théologie protestante de Paris, mais il dut démissionner de ce poste en 1882 pour « athéisme ». Vernes est un personnage central de l’histoire de l’EPHE. De 1913 à 1923, il présida la Ve section ainsi que la Société des Études juives. Il a publié trois ouvrages d’une importance fondamentale : une histoire d’Isra l, un manuel d’histoire de religions et une synthèse de la religion d’Isra l. Il a en outre fondé la Revue de l’histoire des religions. Le successeur de Vernes fut le célèbre ex-abbé Alfred Loisy (1857-1940, directeur d’études en 1924), excommunié en 1908 pour ses positions « modernistes ». Il traita notamment de l’historicité des premiers chapitres de la Genèse, de l’attribution du Pentateuque à Moïse et des sources des Évangiles synoptiques. Lorsque ses difficultés avec la hiérarchie catholique atteignirent un point de non-retour, Loisy avait déjà donné des cours libres à l’EPHE entre 1900 et 1904 et il était depuis 1909 professeur au Collège de France. Contrairement à ce que laisse entendre l’intitulé de son poste, il enseignait à la fois l’Ancien et le Nouveau Testament. Le successeur de Loisy, l’ougaritologue Charles Virolleaud (1879-1968, directeur d’études en 1936) n’enseignait pas la Bible hébraïque (il appartenait d’ailleurs à ceux qui pensaient que Jésus était un mythe historicisé a posteriori), et il n’en eut à vrai dire pas besoin car pendant cette période c’est Édouard Dhorme (IVe section, 18811966, directeur d’études en 1933) qui se chargea de ce cours. Dhorme était lui aussi un prêtre défroqué et excommunié, et il avait dirigé l’École biblique et archéologique de Jérusalem. Outre de très nombreuses publications en études bibliques (des commentaires de Samuel et de Job, un livre sur la poésie biblique), Dhorme a signé avec son collègue Antoine Guillaumont la traduction de la Bible dans la Pléiade.
Fig. 1 | Édouard Dhorme (1881-1966), jeune étudiant à Jérusalem. Comme le précise Agnès Spycket dans l’article du Dictionnaire biographique des frères prêcheurs, Tangi Cavalin et Nathalie Viet-Depaule (dir.), à l’article « Dhorme » (en ligne) : « comme presque tous les frères du couvent SaintÉtienne à Jérusalem, Paul Dhorme porte la barbe, signe qui le désigne comme missionnaire ». Paul était le nom de religion d’Édouard Dhorme.
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Renée Koch Piettre
COMPARATISME ET ANTHROPOLOGIE Page précédente et page 580 Fig. 1 | Léon de Rosny (1837-1914) en 1897, dans son cabinet de travail de l’avenue Duquesne. Photo prise à l’occasion de sa troisième réélection à la présidence de l’Alliance scientifique universelle. Parution dans D. Marceron, Pensées extraites des ouvrages de Léon de Rosny, Paris, 1897. On se reportera, pour un décryptage approfondi de cette étonnante mise en scène, au remarquable commentaire de Fabre-Muller, Leboulleux et Rothstein (2014), p. 179-180. Derrière Léon de Rosny, la svastika lévogyre, symbole d’amour, et le bouddha Amit bha, qui avait « promis de ne pas entrer au nirvana tant que tous les êtres n’y seraient pas », un texte du philosophe taoïste chinois Tchang Tseu (IVe siècle avant J.-C.), ou encore une carte de l’Amérique (America antiqua). Sur la table devant lui, Léon de Rosny a placé entre autres un moulin à prières tibétain, un bouddha et un crucifix. Devant la table, des livres portant sur l’Amérique précolombienne (à la verticale) et sur l’Orient (à l’horizontale), ainsi qu’un bassin cultuel tripode. L’idéal syncrétique de Léon de Rosny, qui avait développé la doctrine du « bouddhisme éclectique », ne connaissait pas de frontières. Ci-contre Fig. 2 | Léon de Rosny (1837-1914) dans sa bibliothèque, avec ses boîtes pleines de fiches. 1 Voir les campagnes politico-médiatiques que mena le promoteur français d’un enseignement laïcisé des religions, Maurice Vernes, dans Cabanel (2016). 2 Réville, A. (1881 ; 1883-1889) ; Réville, J. (1909).
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a création d’une École pratique des Hautes Études regroupant des disciplines rares, auxquelles on n’accède qu’en plus d’études plus générales, autorisait les échanges sur la base de formations initiales partagées et de recherches croisées. Mais l’ambition comparatiste comme telle, accompagnant l’exploration des grands empires coloniaux, était inscrite dans le projet encyclopédique d’étude historique et critique des religions du monde qui motiva en Europe l’institutionnalisation des sciences laïcisées des religions et notamment, en France, stimulée par Maurice Vernes, la fondation de la section des Sciences religieuses à l’EPHE1. On sait qu’Albert Réville, ex-pasteur de la mouvance libérale, qui fut son premier président de février 1886 à sa mort en 1906, avait eu à honorer dès 1880 la chaire d’« Histoire des religions » que l’appui de Renan lui avait permis d’inaugurer au Collège de France : après des Prolégomènes (1881), lui qui n’était spécialiste que du christianisme publia donc, pour répondre à cet intitulé, une Histoire des religions en quatre volumes (1883-1889). Dans cette synthèse forcément généraliste, il se faisait tour à tour vulgarisateur des « religions des peuples non civilisés », des religions des Amérindiens et de « la religion chinoise », premiers paliers de ce qu’il envisageait – selon l’expression de son fils Jean Réville, qui fut son collègue à l’EPHE et qui lui succéda brièvement au Collège de France (1906-1908) – comme des « phases successives de l’histoire des religions » orientées vers une progressive prise de conscience de l’homme par lui-même2 : il dessinait là le chapitre qui lui était le moins familier du programme même des enseignements qu’il allait promouvoir dans la future section. De son côté, Alfred Loisy avait donné de 1901 à 1904 à la section des Sciences religieuses un cours libre qui porta d’abord sur « Les rapports de la Bible et de l’assyriologie » ; de 1924 à 1927, il avait encore assuré la direction d’études sur les religions d’Isra l et des Sémites occidentaux ; mais c’est sur la chaire d’Histoire des religions
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MARCEL MAUSS (1872-1950)
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arcel Mauss (Épinal, 10 mai 1872 – Paris, 10 février 1950) fut avec son oncle Émile Durkheim le plus illustre représentant de l’école française de sociologie, dont la revue L’Année sociologique, fondée en 1898 et dirigée successivement par l’oncle et le neveu, était l’organe principal (non sans éclipses ; elle renaît après la Seconde Guerre mondiale – avec Louis Gernet, de 1949 à 1961 – et elle existe toujours). Fils d’un négociant et de la fille d’un rabbin, Marcel Mauss fait ses études au lycée d’Épinal puis est boursier à l’Université de Bordeaux, où enseigne son oncle Durkheim. Reçu troisième à l’agrégation de philosophie en 1895, il obtient une bourse d’études de deux ans à l’Université de Paris et suit à l’EPHE, IVe et Ve sections, les enseignements de Meillet, de Sylvain Lévi, d’Isidore Lévy, de Léon Marillier, d’Alfred Foucher (dont il fut le suppléant, sur les religions de l’Inde, de 1900 à 1902). En 1897-1898, il est chargé de mission scientifique en Hollande et en Angleterre, et le sera de nouveau, sporadiquement, en Allemagne, Russie et Angleterre, de 1906 à 1929. Il est nommé le 3 décembre 1901 à la Ve section de l’EPHE sur la maîtrise de conférences « Religions des peuples non civilisés » laissée vacante par le décès de Léon Marillier, qui l’avait
inaugurée en 1890. Il y devient directeur adjoint le 20 août 1907 et directeur d’études le 14 février 1914. Il s’engage dans l’armée le 5 septembre 1914 et sera pendant la guerre officier interprète auprès des Anglais : il y trouve aussi, en quelque manière, un terrain ethnographique (difficile, par exemple, d’harmoniser la marche des soldats britanniques avec celle des Français). Démobilisé début 1919, doublement décoré en France et par les Anglais, il se remet difficilement de la perte, au front, de proches et de ses meilleurs étudiants. En 1925, il crée avec Lucien Lévi-Bruhl et Paul Rivet, sous les auspices du ministère des Colonies, l’Institut d’Ethnologie, où il donne des instructions d’ethnographie descriptive et siège au comité directeur. En 1930, il est élu – et nommé le 3 février 1931 – au Collège de France sur une chaire de Sociologie qui succède à la chaire de Philosophie sociale de Jean Izoulet : c’était alors sa troisième campagne, après notamment celle de 1909, où Alfred Loisy lui fut préféré sur la chaire d’Histoire des religions1. La nomination vient en quelque sorte après l’heure : la sociologie étant désormais admise, explique-t-il dans sa leçon inaugurale récemment exhumée2, sa tâche n’est plus de proposer un système, mais de faire connaître les travaux inachevés de ceux qui sont morts trop tôt, notamment Émile Durkheim, Henri Hubert, Robert Hertz, Maurice Cahen : « C’est toute leur œuvre qui retombe sur mes épaules. » Alors qu’il avait été élu à la présidence de la section des Sciences religieuses le 21 février 1938, les lois antisémites le contraignent à la démission, actée comme admission à la retraite le 12 octobre 1940. Après la guerre, il bénéficie d’une réintégration rétroactive, avec entrée en retraite officielle le 10 mai 1942 (arrêté du 21 novembre 1944). Mais après avoir rendu justice à tant d’ombres aimées et tant souffert encore, il n’est plus à son tour que l’ombre de lui-même. Revanche post mortem, la VIe section
Fig. 1 | Marcel Mauss pendant la Première Guerre mondiale. 1 Fournier (1996). 2 Mauss (2012).
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de l’EPHE, puis l’EHESS voient en lui une figure tutélaire et fondatrice par anticipation, au point que l’idée se répand qu’il y ait effectivement enseigné, ce que les dates excluent. Et son œuvre est aujourd’hui rassemblée, rééditée, voire ressuscitée et toujours plus largement commentée. Cette œuvre, comme telle, comprend essentiellement des articles, dont de nombreuses recensions d’ouvrages, à plusieurs reprises réunis en recueils3, et plus récemment réédités en neuf volumes, incluant ses travaux communs avec Hubert ou Durkheim ainsi qu’un volume de publications posthumes de Robert Hertz4. Les titres les plus connus sont l’« Essai sur la nature et la fonction du sacrifice », l’« Esquisse d’une théorie générale de la magie », l’« Essai sur le don » (de loin l’article – très long – le plus commenté) ou encore « La Prière ». Citons aussi l’ouvrage inachevé La Nation, avec son édition neuve de 2013. La curiosité de Mauss s’y étend à toutes les formes de l’activité, de l’organisation et de la pensée humaines, touchant de près ou de loin aux rites et aux croyances, qu’il ne sépare pas des autres réalisations sociales. Ses travaux fourmillent de notations pénétrantes et décisives. Sa chaire de l’EPHE sur les « non-civilisés » conduit ce féru d’indianisme et de judaïsme à suivre plus particulièrement les apports de l’ethnographie et à conseiller, en vue notamment de la collecte des informations, les administrateurs et les missionnaires en partance pour les colonies, sans avoir pourtant jamais été lui-même sur le terrain : c’est pourquoi on le tient volontiers pour le fondateur même de la discipline « ethnologie ». S’il croit à la nécessité d’une psychologie, il ne la sépare pas de l’étude des faits linguistiques, historiques et sociaux : un éclectisme maîtrisé réunissant les apports des travaux des IVe et Ve sections de l’EPHE tout en annonçant la VIe, et qui n’est pas sans évoquer celui de son presque contemporain Meyerson, qui lui survécut trente-trois ans. Plusieurs de ses étudiants qui purent appliquer et étendre ses enseignements entrèrent après la Seconde Guerre mondiale à l’EPHE. Lévi-Strauss n’avait pas
3 Mauss (1909 ; 1947 ; 1950 ; 1968-1969). 4 Neuf volumes réédités aux Presses universitaires de France sous la direction de Florence Weber à partir de 2012.
Fig. 2 | Marcel Mauss à Paris, le 10 septembre 1934. Dirk Käsler, Sociological Adventures: Earle Edward Eubank’s Visits with European Sociologists, New Brunswick, 1991, p. 140.
été son élève mais se sentait pourtant son héritier. La Revue du M.A.U.S.S. semestrielle, qui relève d’un « Mouvement anti-utilitariste en Sciences sociales », tire explicitement sa philosophe de l’« Essai sur le don », creuset d’une doctrine économique révolutionnaire toujours en attente de réalisations. Pendant toute sa vie, d’origine juive mais pour sa part agnostique et rationaliste, Mauss, ami de Jaurès, fut un militant actif et convaincu du dreyfusisme, du socialisme et des œuvres sociales. Renée och Piettre
Références Charle et Telkès (1988) ; Fournier (1996) ; Mauss (1909 ; 1947 ; 1950 ; 1968-1969 ; 2012 ; 2013).
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MAURICE LEENHARDT (1878-1954)
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ils de pasteur et pasteur missionnaire lui-même, Maurice Leenhardt (Montauban, 9 mars 1878 – Paris, 26 janvier 1954) fit ses études à la Faculté de Théologie protestante de Montauban et obtint en 1901 un baccalauréat de théologie avec un mémoire sur « Le mouvement éthiopien au sud de l’Afrique de 1896 à 1899 ». En 1902, il est consacré pasteur, épouse la fille du critique d’art André Michel, dont il aura cinq enfants, et part en Nouvelle-Calédonie, où il fonde en 1903, à Houaïlou sur la côte est de la Grande Terre, la mission de Do Néva. Il apprend la langue locale, en invente une transcription (il introduira plus tard son enseignement aux Langues orientales), forme une petite élite indigène, et protège efficacement ses ouailles pendant l’insurrection canaque de 1905. De retour en France, à Paris,
en 1926, non sans avoir parcouru les missions d’Afrique du Sud et de Madagascar, c’est pour des recherches ethnographiques (1938 : fondation de la Société d’Études mélanésiennes) ou la création à Nouméa de l’Institut français d’Océanie (1948) qu’il retourne en Nouvelle-Calédonie. Il se multiplie en œuvres, sociétés et revues. Le témoignage de première main apporté par ses Notes d’ethnologie et ses Documents néo-calédoniens a fortement intéressé Lévy-Bruhl et Mauss, qui le font entrer dans les cercles universitaires. Il assiste Mauss dans son enseignement durant sept ans, s’efforce de parvenir à une théorisation anthropologique (Do amo, 1947) et finit par succéder au maître, de mars 1941 à septembre 1950, à la Ve section de l’EPHE, sur la chaire des « Religions des peuples non civilisés ». Renée och Piettre
Fig. 1 | Maurice Leenhardt (1878-1954) en 1938.
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GEORGES DUMÉZIL (1898-1986)
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eorges Dumézil (né et mort à Paris, 4 mars 1898 – 11 octobre 1986) fut le créateur de la « mythologie [indo-européenne] comparée ». D’un père officier, il hérita la passion des langues, dont il sut à mesure « manier » plusieurs dizaines. Il reçut très jeune les conseils de Michel Bréal. « Cacique » à l’École normale supérieure, agrégé de lettres, puis lecteur à l’Université de Varsovie, il prépara son doctorat sous la direction de Meillet et le soutint en 1924 (Le Festin d’immortalité et Le Crime des Lemniennes). Il devint professeur d’histoire religieuse à l’Université d’Istanbul de fin 1925 à août 1931, puis fut durant deux ans lecteur à l’Université d’Upsal. Sauvant Dumézil de la méfiance de Meillet (« Il n’y a pas de place pour vous en France »), Sylvain Lévi fut l’artisan de son entrée à la section des Sciences religieuses, dont il était alors président : après deux années comme « conférencier temporaire », de 1933 à 1935, et moyennant un « article liminaire » dans l’Annuaire de l’année suivante, Dumézil devint directeur d’études sur une chaire de « Mythologie comparée » et le resta jusqu’à sa retraite (1936-1968). De Granet, Dumézil raconte comment il s’était rendu chez lui tout tremblant et avait été reçu par une critique en règle, et cependant stimulante, de tous ses travaux (« jusqu’à maintenant que des bêtises, mais ce sont des bêtises intelligentes »). Les travaux de Dumézil furent dès lors extraordinairement productifs. On compte un ou deux gros ouvrages par an, dont la plupart ne trouvaient guère de public. Dumézil enrichit de trois titres la collection de la « Bibliothèque de l’École des Hautes Études » : Mitra-Varuna. Essai sur deux représentations indo-européennes de la souveraineté (1940, t. 56), Jupiter Mars Quirinus IV (1952, t. 62) et La Saga de Hadingus (1953, t. 66). Mais ses recherches n’étaient pas seulement livresques, quelle que fût la mythologie qui environnait la bibliothèque de son bureau de la rue NotreDame-des-Champs, où ses auditeurs allaient parfois en véritables spéléologues mettre la main sur tel ou tel ouvrage qu’il réclamait pour sa conférence du jour. Fidèle à la passion des
langues caucasiennes qui lui était née lors de son séjour dans la Turquie de Mustapha emal, il retournait longuement, d’été en été, sur ce terrain de cultures en sursis – en 1864, la « pacification » russe du Caucase avait provoqué une émigration massive en Turquie de ces populations islamisées, qui continuèrent à parler leurs langues jusqu’au moment où la politique kémaliste organisa une uniformisation de la société à marche forcée – afin d’y poursuivre ses enquêtes, non sans y emmener, sur la fin de sa carrière, tel collègue ou élève (un mot qu’il récusait, revendiquant l’absence de disciples et n’ayant de fait jamais dirigé de thèse), voire un de ses voisins. En 1958, le professeur Hans Vogt de l’Université d’Oslo fut ainsi introduit dans « les deux villages où quelques vieillards parl[ai]ent encore l’oubykh » ; Dumézil reçut à Istanbul, en 1962, deux Vernonnais voisins de sa maison de campagne, acquise à Vernon en 1939 ; durant l’été 1965, c’est Georges Charachidzé qui l’accompagna « auprès des émigrés caucasiens et des Lazes ». Charachidzé poursuivit l’œuvre de Dumézil sur les langues et les cultes du Caucase, tant à l’École française d’Extrême-Orient qu’à la IVe section de l’EPHE, où il fut entre 1970 et 1991 chargé de conférences sur les « Langues et civilisations du Caucase ». Outre des recherches au Pays de Galles sur les traditions celtiques (août-novembre 1954), Dumézil séjourna aussi dans les Andes, de juin à septembre 1952, pour étudier le quechua : avec l’aide de son gendre, Hubert Curien, il en tira en 1957 des « Remarques statistiques sur les six premiers noms de nombres en turc et en quechua » (les noms de nombres intéressèrent notamment l’ami de Dumézil Lucien Gerschel), mais il y détermina aussi, par une rencontre providentielle, la carrière de Pierre Duviols, futur spécialiste des religions andines, qui devint directeur d’études à la « Cinquième » de 1979 à 1989 (notons ici que c’est aussi Dumézil qui sut repérer le jeune Michel Foucault1). Les langues n’étaient donc pas seulement venues à Dumézil tout armées au sortir d’un dictionnaire : lui qui, enfant, rêvait sur les grammaires arabes, il était véritablement allé au-devant des locuteurs.
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Fig. 1 | Georges Dumézil chez lui, 18 septembre 1984.
Le régime de Vichy lui imposa une mise à l’écart pour appartenance franc-maçonne. Cette sanction lui causa finalement moins de tort que le fait d’avoir pu être réintégré sous l’Occupation même, grâce à l’entregent de collègues trop bien inféodés à Vichy : d’où le procès que réanimèrent quarante ans plus tard Momigliano (1983) et Ginzburg (1985). Politiquement, Dumézil était à l’évidence un conservateur, mais non un collaborateur2. À son retour en chaire en 1943, l’intitulé de sa conférence devint brièvement « Mythologie comparée et anciennes religions de l’Europe », avant de se stabiliser sous la forme « Étude comparative des religions des peuples indo-européens ». Au Collège de France par ailleurs, où il fut élu grâce à l’appui d’Émile Benveniste, c’est sous le titre de « Civilisation indo-européenne » que Dumézil illustra sa chaire de 1949 à 1968 : ces intitulés n’allèrent pas sans poser problème dans la mesure où, comme Dumézil l’expliqua lui-même, ce qui permet de constituer 1 À noter ce jugement de Dumézil dans une lettre adressée à Lévi-Strauss depuis Chicago le 13 décembre 1969 : « Je pense que le Collège a bien fait, en dehors de tout souci d’équilibre, de prendre Foucault. Il n’a pas fini de nous étonner. J’espère fermement que ce sera dans le bon sens » (BnF, Fonds Lévi-Strauss). Voir supra, 281. 2 Voir Éribon (1992) et Vernant (2008), 21-22 et n. 10.
l’espace indo-européen ce sont non pas des nations ou une race, mais des faits linguistiques indéniables d’une part, et d’autre part les traces d’une idéologie, la fameuse « trifonctionnalité », que la gloire de Dumézil est d’avoir repérée en 1938 – le grand tournant dans sa carrière – dans les mythes, les rites, l’organisation sociale, les hiérarchies sacerdotales ou la légende historique selon les développements propres à chaque société. À sa retraite, Dumézil donna de 1968 à 1971 des conférences aux États-Unis. Il fut reçu à l’Académie des Inscriptions et BellesLettres en 1970, à l’Académie française en 1978. Il s’éteignit à l’âge de quatre-vingt-huit ans, comblé d’honneurs de toutes parts, non sans avoir donné de célèbres entretiens, dont le plus connu est sans doute le dialogue avec Bernard Pivot diffusé dans l’émission Apostrophes, le 18 juillet 1986. Renée och Piettre
Références Bonnet et Pralon (1981) ; Dumézil (1995) ; Eribon (1992) ; Malamoud et Scheid (1986) ; Ramnoux (1981) ; Smith et Sperber (1971).
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CLAUDE LÉVI-STRAUSS (1908-2009)
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Fig. 1 | Claude Lévi-Strauss vers 1980.
é à Bruxelles le 28 janvier 1908 et mort à Paris le 30 octobre 2009, Claude Lévi-Strauss a occupé à la Ve section de l’EPHE la direction d’études tantôt principale (19511960), tantôt « cumulante » (1960 – 31 octobre 1974), intitulée « Religion des peuples non civilisés » (1951-1954), où il succédait à Maurice Leenhardt, puis « Religions des peuples sans écriture » (1954-1974) ; il a d’autre part occupé à la VIe section la chaire de « cumulant » intitulée « Civilisations primitives » (19481951) puis « Anthropologie sociale » (1951-1959). Il reprit cette dernière chaire à l’occasion de la création de l’EHESS en 1975. Entre-temps, il avait été élu au Collège de France (1959) sur une chaire, à nouveau, d’« Anthropologie sociale », et y créa en 1960 le laboratoire d’Anthropologie sociale. Il fonda avec Émile Benveniste et Pierre Gourou la revue française d’anthropologie L’Homme. Il poursuivit ses enseignements jusqu’en 1982. Parmi de nombreux autres honneurs, il fut élu en 1973 à l’Académie française, au fauteuil d’Henry de Montherlant. Issu d’une famille d’artistes d’origine juive alsacienne, il a choisi comme nom d’usage celui de son père Raymond Lévi, peintre portraitiste, associé à celui d’un grand-père chef d’orchestre, Isaac Strauss (le jeune Claude passa les années de la guerre de 19141918 auprès de son grand-père maternel, rabbin à Versailles). Il retira de ce milieu le goût de la musique et des collections d’art et d’antiquités, qu’il put mettre en œuvre, par exemple, lorsqu’il fut directeur par intérim du Musée de l’Homme (19491950). Il accomplit sa scolarité à Versailles puis à Paris. Il milita à la SFIO pendant ses années d’études, devint licencié en droit et, en 1931, agrégé de philosophie. Il épousa successivement la philosophe Dina Dreyfus, Rose-Marie Ullmo et Monique Roman. De ces deux dernières il eut chaque fois un fils. Il effectua son stage d’agrégation en compagnie de Simone de Beauvoir et de Maurice Merleau-Ponty, enseigna ensuite deux années en province puis s’embarqua avec sa première épouse,
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Céline Trautmann-Waller
L’EPHE ET L’ALLEMAGNE
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n 1865, Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique depuis 1863, demande à différents savants de préparer des « rapports sur l’état des sciences et des lettres » destinés à être présentés lors de l’Exposition universelle de 1867 à Paris1. Ces bilans lui serviront de fondement pour écrire son Rapport sur l’enseignement supérieur de 1868. Il y déplore que, par opposition aux « mœurs studieuses de l’Allemagne2 », « le goût du public français pour les études sévères s’émousse et s’affaiblit », « qu’en dehors de l’Académie des inscriptions et l’Ecole des Chartes, l’érudition nous effraye3 », enfin que les « facultés des lettres et des sciences so[ie]nt, en plus d’un lieu, languissantes, et [que] nulle part elles ne réunissent un public d’élèves assidus4 ». Il rejoint par là le diagnostic critique de l’état de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique en France établi par d’autres savants et hommes politiques français. Pour y remédier, tous regardent vers les pays étrangers, estimant qu’« en Amérique comme en Allemagne, en Russie comme en Angleterre », des efforts considérables sont faits « pour constituer, à grands frais, ces arsenaux de la science qu’on appelle des laboratoires, les écoles enfin qui se forment autour des maîtres renommés et qui assurent la perpétuité du progrès scientifique5 ». L’Allemagne est souvent citée comme modèle, tout particulièrement dans le domaine des sciences humaines, dont elle aurait su renouveler profondément les méthodes. En s’appuyant sur les propositions d’un groupe de réformateurs réuni autour de Michel Bréal et d’Ernest Renan, Duruy fait donc promulguer en juillet 1868 deux décrets essentiels en matière de politique de la recherche : le premier crée les laboratoires de recherche dans les universités, l’autre fonde, en étroite association avec eux, une « école pratique des hautes études » destinée à accueillir et à développer des modèles innovants de recherche et d’enseignement scientifique. Il s’agissait ainsi de donner aux « savants, par la création de laboratoires de recherches, les moyens de développer leurs travaux et d’enrichir la science de découvertes nouvelles6 », aux étudiants la possibilité de ne pas voir « la science que de loin7 » mais de se former
Page précédente Athos, Gabriel Millet dans une chaloupe avec des moines et un évêque slave. Ci-contre Fig. 1 | Michel Bréal fait paraître entre 1866 et 1874, en cinq volumes, une traduction de la monumentale Grammaire comparée des langues indo-européennes de Franz Bopp (« François Bopp »), publiée à Berlin entre 1853 et 1852 (la traduction est faite sur la seconde édition, parue en 1857). Il la fait précéder d’une substantielle introduction qui est aussi publiée sous la forme d’un petit livre dès 1866, soit deux ans avant la création de l’EPHE. « [...] avec ce coup d’œil pratique et avec cet art de classer et de disposer les matières que l’étranger ne nous conteste pas, nous ferons sortir de la grammaire comparée et nous mettrons en pleine lumière les enseignements multiples quelle tient en réserve. Une fois que la science du langage aura pris racine parmi nous, aux fruits qu’elle donnera, on reconnaîtra le sol généreux où elle a été transplantée ».
1 Barbin, Godet, Stenger (2009). 2 Duruy (1868), xxvii. 3 Duruy (1868), xviii. 4 Duruy (1868), xxvi. 5 Rapport à l’Empereur (1868), dans Documents (1893), 2. Dans le recueil de 1893, ce rapport est attribué à Duruy. D’autres sources l’attribuent à H. Fortoul. Voir Bähler (2004). 6 Rapport à l’Empereur (1868), dans Documents (1893), 3. 7 Rapport à l’Empereur (1868), dans Documents (1893), 3-4.
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Ioanna Rapti
L’IMAGE DANS LE MONDE CONTEMPORAIN L’OBJECTIF À LA RECHERCHE DE BYZANCE : LES PHOTOGRAPHIES DE LA COLLECTION GABRIEL MILLET
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n confiant en 1899 une maîtrise de conférence de « Christianisme byzantin » à Gabriel Millet, l’École pratique des Hautes Études a été à l’origine d’un tournant décisif dans les études byzantines et dans l’histoire de l’art médiéval. Gabriel Millet (1867-1953) s’y est voué au sein de son enseignement, de 1906 à 1936 comme directeur d’études et après sa nomination au Collège de France en 1926, inaugurant une tradition de renommée et d’influence mondiales1. Cette première ouverture sur le monde byzantin en France – parallèle au cours de Charles Diehl en Sorbonne – s’est rapidement orientée vers l’expression artistique et matérielle de la civilisation de l’Empire romain d’Orient et de son aire de rayonnement : dès 1906, les mots « archéologie chrétienne » sont ainsi venus s’ajouter à l’intitulé « Christianisme byzantin »2. Premier byzantiniste membre de l’École française d’Athènes de 1891 à 1895, Millet s’est consacré pendant toute sa carrière à la documentation du patrimoine byzantin. Ses missions ont permis de découvrir et de mettre en valeur des sites et des monuments insignes : Mistra, Trébizonde, l’Athos et, surtout à partir de 1924, l’ex- ougoslavie alors récemment constituée. La documentation rassemblée dès ses campagnes en Grèce et dans les Balkans, généreusement offerte aux élèves de l’EPHE, a nourri ses travaux fondamentaux sur l’art byzantin. Riche de près de cent mille documents, la « Collection chrétienne et byzantine » abritée à l’EPHE
Ci-contre Fig. 1 | Athos, portrait de moine.
1 Outre les notices nécrologiques de Millet, notamment celles par Frolow (1954) et Grabar (1953), qui donne aussi aux pages 16-20 une « bibliographie sommaire des publications », voir notamment Jolivet-Lévy Lagou (2013), avec bibliographie, et plus récemment, Soria (2017). 2 Jusqu’en 1905, les comptes rendus des conférences de Gabriel Millet sont publiés dans la section de l’annuaire Littérature chrétienne et histoire de l’Église : http://www.persee.fr/doc/ephe 0000-0002 1905 num 19 15 19673.
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