Familles À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE (extrait)

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brutalement couples et familles. Puis l’absence s’installe et un nouvel équilibre familial se crée, rythmé par les permissions et soutenu par le lien épistolaire qui voit les soldats investir, à distance, leur rôle de mari, de fils et de père. La catastrophe a détruit, brisé, dispersé hommes, femmes et enfants mais elle a aussi rapproché, brassé, quelques fois provoqué des unions. Surtout, la famille a formé le réservoir de résistance dans lequel les poilus ont puisé quatre années durant pour trouver le courage de continuer à se battre. Ce catalogue qui accompagne l’exposition « Familles à l’épreuve de la guerre » nous révèle quelques-uns des destins familiaux bouleversés par l’empreinte de la guerre. Il propose une plongée au cœur de récits et histoires de familles à travers correspondances, œuvres graphiques et objets des collections du musée de la Grande Guerre.

978-2-7572-1428-2

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23 €

À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

Guerre. En août 1914, elles affrontent le choc des mobilisations qui séparent

Familles

Les familles françaises ont été largement touchées par l’épreuve de la Grande

Familles

À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

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Ce catalogue est publié à l’occasion de l’exposition « Familles à l’épreuve de la guerre » présentée du 2 juin au 2 décembre 2018 au musée de la Grande Guerre à Meaux.

« Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture / Direction générale des patrimoines / Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État. »

OUVRAGE RÉALISÉ SOUS LA DIRECTION DE SOMOGY ÉDITIONS D’ART Directeur éditorial Nicolas Neumann Responsable éditoriale Stéphanie Méséguer Coéditions Jean-Louis Fraud Coordination éditoriale Clémence Gatien Conception graphique Lucie Polard Fabrication Béatrice Bourgerie, Mélanie Le Gros

978-2-7572-1428-2 Dépôt légal : mai 2018

Couverture : Affiche de l’exposition, conception-réalisation agence CSUPER. Musée de la Grande Guerre rue Lazare Ponticelli – 77100 Meaux 01 60 32 14 18 www.museedelagrandeguerre.eu Et retrouvez toute l’actualité du musée sur sa page Facebook, sur Twitter et Instagram.

Imprimé en Union européenne © Somogy éditions d’art, Paris, 2018 © Musée de la Grande Guerre, Meaux, 2018

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Le musée de la Grande Guerre, un musée d’histoire et de société

L

e musée de la Grande Guerre propose une découverte du premier conflit mondial (1914-1918) pour comprendre ses causes, son déroulement et son héritage pour

notre monde contemporain, grâce à une très riche collection, unique en Europe, et une muséographie innovante. Érigé à Meaux, sur le territoire historique de la première bataille de la Marne, le musée s’appuie sur cet épisode comme point d’entrée pour appréhender la Grande Guerre dans son ensemble. S’il est commun de dire que le XXe siècle commence avec la Première Guerre mondiale,

le parcours de visite du musée traduit pour la première fois cette idée sur le plan muséographique. Cette approche novatrice fait du musée de la Grande Guerre avant tout un musée d’histoire et de société, témoin des bouleversements sociaux, techniques, militaires, géopolitiques du monde durant cette période décisive dans la compréhension de notre histoire contemporaine. De nombreuses thématiques sont par ailleurs abordées : le rôle des femmes, la vie quotidienne des soldats, les progrès nécessaires de la médecine, la présence des États-Unis, etc. Une muséographie attractive a ainsi été mise en place grâce à la reconstitution d’un champ de bataille, à la présentation d’avions et de véhicules (char, taxi, camion pigeonnier, etc.), en passant par les projections d’images, les bornes audiovisuelles et interactives. Le musée propose ainsi une visite adaptée à tous les publics, utilisant les nouvelles technologies et jouant avec les sens du visiteur. Un parcours de visite sur les animaux dans la Grande Guerre est proposé au sein de l’exposition permanente pour les enfants à partir de huit ans. Le musée de la Grande Guerre : une expérience à vivre, pour comprendre et se souvenir.

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Remerciements Nous adressons nos plus vifs remerciements aux

Jean-Marie Ferrand, Yannick Marques, Florent Menut,

membres du conseil scientifique de l’exposition pour

Mélanie Messant-Baudry.

leur disponibilité et leurs précieux conseils dans l’élaboration de cette exposition : Vincent Gourdon, Maud

Cette exposition n’aurait pu voir le jour sans le ferme

Bass-Krueger, Sophie Kurkdjian, Sébastien Richez, Xavier

engagement de la directrice du musée, Aurélie Perreten.

Senée et bien évidemment à notre commissaire hors pair

La production et l’organisation de l’exposition ainsi que le

Jean-Yves Le Naour.

suivi éditorial du catalogue ont été assurés pas à pas par le service de la conservation, sous la direction de Johanne

Nous souhaitons exprimer notre gratitude aux directeurs

Berlemont avec Samantha Graas, Stéphanie Derynck,

et collaborateurs des institutions culturelles pour leur

Yannick Marques et Anaïs Raynaud, avec la participation

bienveillance et pour le concours décisif qu’ils ont apporté

de nos indispensables stagiaires Lise Delaplace et Sara

par leurs prêts, au succès et à l’intérêt de notre exposition.

Mitura. Merci pour leur dévouement pour la réussite

– Historial de la Grande Guerre, Péronne : Hervé

de ce projet.

François, Marie-Pascale Prévost-Bault, Marion Duplaix,

L’exposition propose une médiation participative et

Christine Cazé,

attractive conçue avec attention par le service des Publics

– Musée de l’outil du Val d’Oise, Wy-dit-Joli-village : Céline Blondeau, François Collinot,

sous la direction d’Elena Le Gall. Mélanie Messant-Baudry et Pierre Lejeune ont ainsi travaillé en lien avec plusieurs

– Musée du sous-officier de Saint Maixent : lieutenant-

établissements scolaires et remercient toute la classe de

colonel Gérald Souprayen, adjudant-chef Jean-Yves

CM2 du RPI du Plessy-l’Evêque et son enseignante ; les

Bertrand,

élèves volontaires des classes des 3e A et D du collège

– War Institute Heritage, Bruxelles : Michel Jaupart, Emilie Gaillard, Ellen Lefevre, – Musée Antoine Lecuyer, Saint-Quentin : Stéphanie Prenant, – Musée aéronautique et spatial Safran, Moissy-Cramayel : Dominique Beaufrère, Dominique Prot, – Musée de la vallée, Barcelonnette : Hélène Homps, Aurélie Berenger, – Musées de La Porte du Hainaut : Philippe Gayot, Germain Hirselj.

Henri IV de Meaux et leurs enseignants et les jeunes volontaires de l’EPIDE de Montry encadrés par leur professeur. Merci à Stéphanie Dardenne et Lyse Hautecoeur qui valorisent et font connaître l’exposition au public le plus large. Un immense merci à toute l’équipe technique et sécurité du musée, sous la direction de Sébastien Saura, qui participe au montage de l’exposition : Kevin Souverain, Xavier Grodecky, Patrice Djojouhouin, Philippe Herpsont, Christelle Michelet-Swal, Philippe Ravin, Sanaa Tarifa,

Nos remerciements s’adressent également aux particuliers

Bahoua Wolou.

et collectionneurs privés qui ont accepté de se séparer

Un chaleureux merci à tous les collègues pour leur

quelques mois d’objets et d’œuvres auxquels ils sont

aide et leur soutien : Agnès Davy, Léa Davy, Alexandre

attachés. Merci à Bertrand Calvé-Cantinotti, Xavier Corvol,

Dherbilly, Mariline Coillot, Nathalie David, Charlotte

Xavier de Bayser et Catherine Ambroselli de Bayser,

Delory, Ingrid Gardelle, Sylvie Isidore, Stéphane Jonard,

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Marie-Jeanne Marsault, Marie Leterme, Anne-Cécile Roy,

Un très grand merci enfin à tous ceux qui ont soutenu

Emilie Zanovello. Et merci encore à nos restauratrices

l’élaboration et la réalisation de cette exposition : Jean-

Annaé Annenkoff et Fabienne Vandenbrouck.

Pierre Verney, François Cochet, Geneviève Taillade, David Mitzinmacker, Anthony Guyon, les Archives

Une exposition ne se conçoit pas sans un catalogue

départementales de Seine-et-Marne et en particulier

solide qui en assure la pérennité. Nous remercions

Olivier Plancke et Lucie Bergont, Yves Pourcher, Sophie

chaleureusement tous ceux qui assurent la qualité de

Delaporte, Béatrice Pau, Emmanuelle Crosnier, les média-

cette publication, les auteurs en premier lieu, merci

thèques de Meaux et Nathalie Bauer, l’équipe de Généanet

à Maude Bass-Krueger, Johanne Berlemont, Sandra

et en particulier Benoît de Maigret, la bibliothèque

Brée, Marion Duplaix, Tiphaine Garnier, Véronique

sonore de Meaux – Association des Donneurs de Voix,

Goloubinoff, Vincent Gourdon, Sophie Kurkdjian,

la Société des Amis du Musée de la Grande Guerre, Jean-

Jean-Yves Le Naour, Yannick Marques, Marie-France

François Bouchet, Jean-Luc Bravi, Emmanuel Courteau

Montel, Marie-Pascale Prévost-Bault, Sébastien Richez,

de DDB, le photographe Didier Pazery, la Mission du

Anaïs Raynaud, Isabelle Robin, Jean-Marc Rohrbasser.

Centenaire, Aude Pessey-Lux du Service des Musées de

Nos remerciements s’adressent également aux fournis-

France, Laurence Isnard de la Direction Régionale des

seurs d’images pour la scénographie et le catalogue :

Affaires Culturelles d’Ile-de-France. Nos remerciements

l’ECPAD, la Bibliothèque nationale de France et l’évêché

s’adressent également au Ministère de la Culture qui

de Meaux qui nous a donné accès aux archives diocésaines,

a attribué le label exposition d’intérêt national à cette

merci à Monseigneur Nahmias, Marc Piton et Marie-

exposition qui nous tient à cœur.

Laure Gordien pour son aide et ses précieux conseils.

Merci également à nos mécènes pour leur confiance

Merci à l’agence Roger-Viollet, à Camille Viandier du

et leur engagement pour notre exposition : la France

centre de ressources du Petit Écho de la Mode, à Vincent

Mutualiste, DDB, le groupe La Poste, le groupe Sanef et

Tuchais aux Archives de Paris, à Peter Harrington de

également à la Région Ile-de-France pour son soutien.

la Brown University Library (Providence, États-Unis). Enfin un grand merci à Jean-François Copé, Président Nous remercions toutes les entreprises qui ont œuvré

de la Communauté d’Agglomération du Pays de

à la mise en œuvre et la valorisation de l’exposition :

Meaux (CAPM), Muriel Héricher, vice-présidente délé-

Présence, 3CDB, Delorme, GL Events, Csuper, Somogy,

guée à la Culture, Pierre-Edouard Dhuicque, président

Flashmat, Chenue, Le Socle, APM, Traduction IN, Agence

de la commission Culture et tous les élus de la CAPM

Observatoire, le Tailleur Sincère.

pour leur soutien, sans oublier les différents services supports qui nous apportent leur aide au quotidien dans

Merci aux partenaires média qui nous accompagnent pour

la réalisation des missions du musée.

faire connaître cette exposition au plus grand nombre : Sortiraparis.com, Grandmercredi.com, Radio Classique, Connaissance des Arts, CNews, la revue 14/18.

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Le musée de la Grande Guerre tient à remercier tout particulièrement l’Historial de la Grande Guerre de Péronne pour sa collaboration. Partenaire régulier du musée, l’Historial a consenti à plusieurs prêts enrichissant le discours de notre exposition et a contribué à ce catalogue par la rédaction de deux articles.

C

réé en 1992 à l’initiative du Conseil général de la Somme, l’Historial de la Grande Guerre présente une vision comparée des nations européennes en guerre.

L’historiographie, axée sur une approche culturelle, privilégie l’homme, soldat ou civil, confronté à la violence guerrière. Comme le rappelle son directeur Hervé François,

le néologisme qui associe les mots Histoire et Mémorial émergea avec l’Historial, et traduit les dimensions historiques et mémorielles conjuguées aujourd’hui avec ses deux musées à Péronne et à Thiepval. En 2018, l’Historial propose l’exposition « Amours en guerre » qui explore les liens amoureux bouleversés par le conflit et propose une plongée au cœur de l’intime, à travers correspondances, œuvres graphiques et objets. Clémentine Vidal-Naquet, commissaire de l’exposition, souligne que l’entrée en guerre et les mobilisations générales scellent la séparation entre ceux qui partent et celles qui restent. Le conflit secoue les histoires personnelles et brise parfois les relations amoureuses. Manque affectif et sexuel, attente, peur de la mort, urgence du partage, décalage irréductible des expériences, espoir et abattement composent alors le complexe quotidien de couples, déjà formés ou en devenir, qui n’échappent pas au désastre de la guerre. À l’échelle intime, le conflit crée des bouleversements profonds, parfois difficilement décelables cent ans plus tard. Les nombreuses correspondances permettent d’entrer dans ces liens de papier, tissés entre le front et l’arrière, et donnent à voir des espaces de l’intime beaucoup moins cloisonnés qu’il n’y paraît. À leur lecture, on comprend à quel point le conflit agit en profondeur sur les individus et leurs pratiques sociales. Plus largement, le maintien de ces liens épistolaires réguliers et quotidiens explique en partie comment civils et combattants ont enduré, si longtemps, cette guerre. « Amours en guerre » suit les traces de ces intimités bouleversées par la grande catastrophe.

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José de Andrada, L’Adieu, ca. 1916-1918, estampe, Péronne, Historial de la Grande Guerre.

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Préface

C

haque année, le ministère de la Culture décerne le label « Exposition d’intérêt national » à un petit nombre d’expositions, présentées en région par des « musées

de France » et répondant à des critères d’exemplarité. Les expositions sont sélectionnées en fonction de leur qualité scientifique et du caractère innovant des actions de médiation culturelle en direction de tous les publics. J’ai fait de la politique culturelle de proximité ma priorité, en encourageant des projets ambitieux, au cœur de nos territoires et au plus près de nos concitoyens. C’est ce que propose cette année les expositions labellisées d’intérêt national. Je souhaite ainsi souligner et valoriser le rôle particulier que jouent les « musées de France » et, à travers eux, les collectivités territoriales. Ces dernières ont un rôle essentiel pour mettre en œuvre des politiques dynamiques de diffusion culturelle et d’élargissement des publics, encouragées et soutenues par l’État. L’exposition « Familles à l’épreuve de la guerre » présentée par le musée de la Grande Guerre à Meaux est à cet égard exemplaire. L’originalité du thème traité, tout comme sa qualité scientifique, accessible au public le plus large, lui confèrent les atouts nécessaires pour en faire un événement d’intérêt national. Je félicite l’ensemble des acteurs qui ont contribué à cette réussite et souhaite aux visiteurs comme aux lecteurs de ce catalogue de partager l’expérience sensible de la découverte et de l’émotion.

Françoise NYSSEN Ministre de la Culture

[Une famille française], ca. 1916-1918, carte postale photographique.

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Avant-Propos

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artir, tenir, revenir… : ces trois mots, ces trois réalités ont constitué le quotidien fatidique des familles françaises pendant la Grande Guerre. Exténuées et brisées par

la douleur, les familles ont continué malgré tout de vivre et de résister au front comme à l’arrière pendant les quatre années de guerre. Ces destins familiaux, vécus dans l’intimité et dans l’authenticité, nous conduisent aux chemins de la grande histoire. L’exposition « Familles à l’épreuve de la guerre » est ainsi une occasion unique de prendre conscience des difficultés affrontées au jour le jour pour que les générations à venir n’oublient jamais. Vous pourrez vous rendre compte des énergies individuelles et collectives déployées dans les familles pour tenir et gagner la guerre, et de tous les sentiments exprimés dans l’attente et l’éloignement. Fidèle à la philosophie du musée de la Grande Guerre qui place l’humain au centre, l’exposition s’illustre à travers une scénographie innovante qui révèle magnifiquement bien les grandes mutations économiques, sociales, culturelles et politiques de la société française traversée par la guerre. Le label « exposition d’intérêt national » décerné à notre exposition par le ministère de la Culture est une reconnaissance de la qualité absolument remarquable du projet et un soutien précieux. C’est une grande fierté pour nous tous. En cette dernière année de commémoration du centenaire de la Grande Guerre, l’exposition est très riche de sens pour notre territoire du Pays de Meaux, profondément marqué dans sa chair par les combats. Elle sublime le musée de la Grande Guerre, joyau de notre histoire, qui a déjà conquis 700 000 visiteurs et qui rayonne sur la France entière. Je voudrais remercier chaleureusement tous ceux qui ont pris part à la réalisation de cette magnifique exposition, notamment les soutiens de l’État, les prêteurs privés et publics et l’équipe du musée. Je suis convaincu que toutes ces initiatives forment un repère et un modèle pour comprendre le monde d’hier et d’aujourd’hui et construire celui de demain. Je vous souhaite de profiter pleinement de la richesse de cette exposition.

Jean-François COPÉ Président de la Communauté d’Agglomération du Pays de Meaux

[Une famille française], début 1915, carte postale photographique.

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P

our la dernière année de commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale, le musée de la Grande Guerre a souhaité mettre en lumière l’autre effort

de guerre, indissociable du sacrifice des soldats : celui des familles. On ne peut pas

comprendre le conflit sans prendre en compte l’incroyable mobilisation de ceux restés à l’arrière. La longue séparation, tout d’abord, qui oblige à repenser le fonctionnement du foyer, bien entendu, mais également du travail : les femmes, parents et enfants restés à l’arrière doivent s’organiser sans la présence du traditionnel chef de famille. L’angoisse de l’attente, ensuite, avec cette guerre qui ne sera pas courte, les permissions tant attendues, le courrier et la correspondance qui deviennent le fil de vie des familles séparées. Avec 1,4 million de morts, toutes les familles françaises ou presque sont endeuillées. Et quand les soldats reviennent, souvent ce ne sont plus les mêmes : la guerre les a changés, tout comme leur famille. Les retours tant attendus peuvent donc être difficiles, douloureux, complexes, au prix parfois de ruptures définitives. La durée et les modalités inédites de la guerre créent des situations exceptionnelles au sein des familles et bouleversent la sphère familiale, provoquant des cicatrices profondes et durables. La guerre est également terreau de mutations sociétales majeures comme l’émancipation des femmes, un nouveau rapport au couple, l’expression des sentiments, la place du père ou encore l’évolution des rôles traditionnellement dévolus à l’homme et à la femme au sein du foyer et plus largement, dans la société. Dans cette exposition, nous souhaitions valoriser un autre aspect des collections du musée, en donnant à voir des objets moins spectaculaires, plus intimes, comme les correspondances, les porte-bonheur mais aussi les photographies et souvenirs de famille. C’est l’occasion également de mettre en avant quelques-uns des très nombreux dons reçus par le musée. J’en profite ici pour remercier tous les donateurs qui permettent au musée d’approfondir ses connaissances tout en enrichissant sa collection. Ces dons racontent encore et toujours des histoires familiales qui se poursuivent, bien au-delà du conflit, toujours chargées d’émotions. Comme tous les objets du musée de la Grande Guerre, ils sont eux aussi des passeurs de mémoire. Cette exposition a ainsi pour ambition de faire le lien entre hier et aujourd’hui, en donnant l’occasion de mieux comprendre l’ampleur des efforts et des sacrifices consentis par nos familles et d’évoquer les souvenirs qui en restent aujourd’hui. À nous de continuer de transmettre cette Histoire aux plus jeunes, car c’est aussi, le plus souvent, leur propre histoire qui se raconte.

Aurélie PERRETEN Directrice du musée de la Grande Guerre

[Une famille allemande], 1914, carte postale photographique.

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LES AUTEURS Maude Bass-Krueger Docteur, chercheur post-doctorale, Leiden University, et chercheur associée, IHTP-CNRS Johanne Berlemont Responsable du service de la conservation, musée de la Grande Guerre, Meaux

Jean-Yves Le Naour Historien, spécialiste de la Grande Guerre Yannick Marques Assistant de conservation du patrimoine, conseiller en histoire militaire, musée de la Grande Guerre, Meaux

Sandra Brée CNRS, LARHRA

Marie-France Montel Agrégée d’histoire-géographie, chargée des projets pédagogiques à l’ECPAD

Marion Duplaix Chargée de la muséographie, Historial de la Grande Guerre, Péronne

Marie-Pascale Prévost-Bault Conservateur en chef, Historial de la Grande Guerre, Péronne

Tiphaine Garnier Titulaire d’un master 2 en Histoire

Anaïs Raynaud Régisseuse des collections, musée de la Grande Guerre, Meaux

Véronique Goloubinoff Chargée d’études documentaires, Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense, Ivry-sur-Seine Vincent Gourdon Directeur de recherches au CNRS, Centre Roland Mousnier Sophie Kurkdjian Docteur en Histoire et chercheur associée, IHTP-CNRS

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Sébastien Richez Historien auprès du comité pour l’histoire de La Poste Isabelle Robin Maîtresse de conférences à Sorbonne Université, Centre Roland Mousnier Jean-Marc Rohrbasser Agrégé de philosophie, chargé de recherches à l’Ined

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Sommaire

11 13

Préface Avant-propos

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LES FAMILLES FRANÇAISES AVANT LA GRANDE GUERRE

127

RETOURS Jean-Yves Le Naour

Vincent Gourdon 140

33

SÉPARATIONS

Globe de mariage de Marie Fontalba, épouse Cassagneau Yannick Marques

Jean-Yves Le Naour 148 48

Séparations et retrouvailles

Le deuil du fils Johanne Berlemont

Marie-Pascale Prévost-Bault 158 60

Le recensement de Paris. Août-septembre 1914 Tiphaine Garnier, Vincent Gourdon, Isabelle Robin

Sophie Kurdjian, Maude Bass-Krueger 170

Les divorces de la Grande Guerre Sandra Brée

176

71

Codes et pratiques du deuil

ABSENCE

Machines à coudre et veuves de guerre Anaïs Raynaud

Jean-Yves Le Naour 182 84

La Poste, lien familial

Démographie et familles Jean-Marc Rohrbasser

Sébastien Richez 94

L’enfant dans la guerre

193

Marie-France Montel, Véronique Goloubinoff

NOUS, LES ENFANTS DE 14 Jean-Yves Le Naour

106

Prénommer pendant la Première Guerre mondiale

Vincent Gourdon 116

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La guerre d’Alexandre de Gieysz

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Marion Duplaix

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Sélection bibliographique Crédits photographiques

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Les familles françaises avant la Grande Guerre Des normes et des pratiques en mutation

Vincent GOURDON

Il est d’usage de considérer que la Grande Guerre a constitué une cassure dans l’histoire des familles françaises, non seulement par les ruptures temporaires (mobilisation) ou définitives (décès) qu’elle a provoquées, mais encore du fait de son impact à long terme dans la vie affective des personnes comme dans la prise en charge étatique de la famille. Mais pour être appréciée à sa juste valeur, cette vision, qu’il ne saurait être question de contester, appelle deux remarques. Il n’existe pas, en 1914, un modèle unique de famille : celuici fluctue selon les régions mais aussi les milieux sociaux. En outre, les valeurs et les pratiques familiales des Français sont déjà en pleine évolution avant la guerre, présentant un tableau souvent plus novateur qu’on ne le pense ordinairement et, par bien des aspects, singulier en Europe.

[Une famille française], début XXe siècle, carte postale photographique.

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Séparations Jean-Yves LE NAOUR

Ouvrez vos armoires et fouillez les étagères, exhumez du grenier les vieux albums couverts de poussière. Vous y trouverez des photos qui ont un siècle à peine, des photos de ceux qui vous ont précédés, de votre famille, des visages que vous peinez bien souvent à identifier. Au milieu de ces groupes, réunis pour un baptême, un mariage, une communion, combien sont-ils ceux qui ne sont pas revenus de la guerre ? Car le fléau a frappé largement, et bien rares sont les familles épargnées par la grande boucherie. Avec 1 400 000 morts, toutes les familles françaises pleurent au moins l’un des leurs : qui un fils, un mari, un cousin, qui un oncle, un père ou un frère. Oui, la guerre de 14-18 a été la grande catastrophe qui a marqué durablement les familles de son empreinte, elle a détruit, dispersé ; mais elle a aussi rapproché, provoqué des unions, et, surtout, elle a formé le réservoir de résistance dans lequel les poilus ont puisé quatre années durant pour trouver le courage de continuer à se battre. Regardez vos photos de famille, celles du monde d’hier, avant l’orage et le grand bouleversement.

[Mariage dans la famille Brûlé], ca. 1909-1910, photographie, détail.

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Séparations et retrouvailles Marie-Pascale PRÉVOST-BAULT

D

ans son chaos, la guerre entraîne un resserre-

« Au nom de l’amour sacré de la patrie », le civil

ment autour de la sphère de l’intime et de la

devient militaire : il rejoint sa caserne, son unité, et

cellule familiale qui offrent le seul réconfort

endosse une identité autre au sein d’une communauté

possible, non sans un sentiment de compensation face

exclusivement masculine. Représenter cet homme

aux sacrifices consentis.

partant en uniforme est pour les artistes une façon

La séparation des couples en août 1914 se fit massive-

de rappeler l’entrée rapide dans la guerre, tout en

ment dans l’inquiétude : l’apparente gaieté et le mythe

généralisant le phénomène de l’épreuve partagée et

de « la fleur au fusil » ne furent que le fait des citadins

maîtrisée. Alors que le conflit dure, rappeler en 1915

et des images destinées à la presse illustrée dans ce qui

ou 1916 ce moment de séparation permet de garantir

inaugura la propagande de l’effort de guerre.

la confiance réciproque entre civils et soldats : à la

Dans les campagnes, la mobilisation des hommes

femme de gérer le foyer, de travailler à l’exploitation

rappelait les souvenirs douloureux de 1870 et l’entrée

agricole ou en usine pour subvenir aux besoins de

dans une organisation de restrictions, de difficultés

la famille, et à l’homme de repousser l’ennemi et

au quotidien alors que les moissons et les vendanges

de le vaincre.

exigeaient la présence d’une main d’œuvre efficace et rompue aux lourdes tâches agricoles. Détail de la fig. 1, p. 52.

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S É P A R AT I O N S

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FIG. 8 G. Coll, You’ve not said how I’ve growed, daddy!, 1919, huile sur toile, H. 37 ∞ L. 32 cm, Péronne, Historial de la Grande Guerre. µ FIG. 9

Catherine Gross-Fulpius (1878-1967), Soldat français embrassant sa femme et son enfant, terre cuite, H. 35 ∞ L. 19 ∞ P. 17 cm, Péronne, Historial de la Grande Guerre.

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Le recensement de Paris Août-septembre 1914 Tiphaine GARNIER Vincent GOURDON Isabelle ROBIN

«G

ouverner, c’est prévoir », psalmodiait

Docteur, démographe et directeur des Bureaux de

Talleyrand. Cette maxime n’a guère

la statistique de la Ville de Paris, celui-ci prône alors

été suivie lors du siège de Paris en

une simplification sur le fond et sur la forme d’un

1870-1871. La postérité a retenu la désastreuse orga-

tel recensement afin d’accélérer les opérations en

nisation en matière d’approvisionnement en denrées

allégeant les questionnaires, tout en ciblant au mieux

combustibles et comestibles. À la suite de cet épisode

les besoins des Parisiens.

calamiteux, il a été décidé dès 1890 de se préparer à l’éventualité d’une nouvelle situation de blocage de

Lancée immédiatement après la déclaration de guerre

la capitale. Pour ce faire, non seulement on pouvait

allemande à la France le 3 août 1914, l’offensive fran-

organiser les réserves, mais il fallait également pré-

çaise en Lorraine est un échec cuisant, tandis que les

voir un recensement, le moment venu, des bouches

Allemands progressent en Belgique face aux Anglais.

à nourrir et des besoins en combustible de chauf-

Peu à peu, des villes belges puis françaises deviennent

fage. Un programme aussi ambitieux et complexe

possessions allemandes, comme Bruxelles le 20 août

ne peut s’improviser ; dès 1900, l’autorité militaire

ou Mons le 23 ; on se bat au Cateau-Cambrésis le 26.

l’élabore en collaboration avec Jacques Bertillon.

La presse française, par patriotisme, ne laisse rien Détail de la fig. 1, p. 64.

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Absence Jean-Yves LE NAOUR

Quatre années durant, les familles vont vivre avec l’absence du père, du fils ou du mari. Mais l’absent, par le vide qu’il crée, par sa photographie qui trône au milieu du salon, par la place qu’il occupe dans les pensées des siens, est bien plus présent qu’on ne l’imagine. Par ailleurs, la distance est abolie par les lettres quotidiennes, celles que le poilu écrit du front et celles que sa famille lui adresse. À l’absence correspond donc l’attente de la distribution du courrier qui rassure l’arrière et soutient le moral de l’avant. Avec cette attente s’installe une nouvelle économie familiale où chacun joue son rôle, même à distance.

Carte postale photographique de la famille de Louis Janicaud (au centre), à sa droite sa femme et la sœur de celle-ci, devant ses enfants Marcel et Maurice, détail, H. 8,9 ∞ L. 13 cm.

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La Poste, lien familial Sébastien RICHEZ

L

es innombrables éditions de correspondances

absolument plus cours 44 ans plus tard. Deux jeunes

couvrant la période 1914-1918 l’ont encore rap-

générations d’hommes et de femmes au moins, désor-

pelé à l’occasion des commémorations du cente-

mais largement acculturés à l’écrit, s’apprêtent à voir

naire de la Grande Guerre : le courrier a constitué une

leur couple et leur famille durablement séparés.

« ligne de vie », selon les termes de Benjamin Thierry,

Voltaire, décrivant la Poste comme « la consolation de

entre l’arrière et le front. Le défi relevé par les Postes,

la vie », avait jadis magnifié ses vertus curatives face à

civile et militaire, a été à la hauteur de cet immense

l’absence et à l’éloignement des proches : au cours de

enjeu humain.

la Grande Guerre, les Français le vérifient à une très grande échelle, jamais tant mesurée jusqu’alors dans

À l’été 1914, les prémices de la guerre ressemblent à

l’histoire des échanges. Au moins dix milliards d’objets

celles des Postes. En effet, les contemporains n’ont alors

sont transportés dans le pays en 1918, contre un peu

aucune idée des bouleversements qui s’annoncent : le

plus de trois milliards en 1913. Facilitant la circulation

conflit franco-prussien de 1871 a installé dans les esprits

monétaire dématérialisée, le service des mandats-poste

des dimensions matérielles et humaines comme des

a noyé les guichets des bureaux, passant de 62 millions

paradigmes culturels et économiques, qui n’auront

à 79 millions d’opérations effectuées. Alors que le FIG. 1 [Le vaguemestre distribue le courrier sur le front], ca. 1916-1918, photographie, détail.

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L’enfant dans la guerre D’après les fonds de l’ECPAD Marie-France MONTEL Véronique GOLOUBINOFF

L

es fonds de l’ECPAD concernant les enfants

photographique et cinématographique des armées1

dans la Première Guerre mondiale sont diffi-

nous conforte dans l’idée qu’ils sont aussi des acteurs

ciles à quantifier précisément : 184 reportages,

de la Première Guerre mondiale.

sur 572, correspondent à une recherche documentaire

La répartition chronologique des images met en

utilisant le mot-clef « enfant », mais les clichés pré-

évidence les tensions majeures de l’année 1917, qui

sentant des enfants sont évidemment beaucoup plus

compte le plus de reportages (plus de 36 % de l’en-

nombreux.

semble, 29 % pour l’année 1918) et montre combien

La nature militaire de ces fonds explique que le regard

cette année constitua un moment de mobilisation

porté sur « l’enfant dans la guerre » ne puisse abor-

intense de toutes les forces de la population. Cette

der tous les aspects de ce thème. Cependant, cette

année, tournant du conflit, fut celle où l’État affirma

remarque permet a contrario de saisir combien cette

sa volonté de renforcer l’information sur la guerre.

guerre, totale, emporte avec elle toutes les générations

La répartition géographique des images produites fait

du pays y compris les plus jeunes, qu’on imagine-

apparaître une surreprésentation, logique, des départe-

rait pourtant mieux protégées du conflit. La présence

ments proches du front, et souligne l’absence d’images

d’enfants sur les images réalisées par les services

concernant les régions occupées par l’Allemagne. FIG. 1 Dufour, Rosendaël (Nord). Bombardement de l’hôpital par des avions allemands. Bébé blessé portant l’insigne des blessés, 14 octobre 1917.

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Prénommer pendant la Première Guerre mondiale Vincent GOURDON

À

l’aube de la Grande Guerre, le système de

s’écarter à la marge de l’enregistrement civil. Il était

prénomination des Français restait forte-

courant d’ajouter dans l’acte de baptême un prénom

ment encadré par deux institutions, l’État

choisi par le parrain ou la marraine (souvent le leur), ou

et l’Église. Seuls avaient valeur légale les prénoms

d’attribuer celui d’un saint dûment reconnu par l’Église

déclarés à l’officier d’état civil dans l’acte de naissance

lorsque les prénoms civils n’étaient pas conformes au

rédigé dans les trois jours suivant la venue au monde.

martyrologe chrétien (fig. 2).

En vertu du décret napoléonien du 11 germinal an XI qui ne tolérait que les « noms en usage dans les dif-

Le conflit ne modifia guère le mode de déclaration des

férents calendriers », les mêmes officiers pouvaient

prénoms civils, mais la pratique baptismale fut quant

s’opposer à certains choix des familles ; en revanche,

à elle durablement affectée. Si dans de nombreuses

le nombre de prénoms civils était relativement libre,

régions françaises détachées des normes catholiques

les parents en attribuant souvent deux ou trois voire

(Île-de-France, Limousin, Yonne, etc.), les familles

quatre à cette période. Par ailleurs, l’écrasante majo-

avaient pris l’habitude de retarder la cérémonie de

rité des Français faisaient baptiser leurs enfants et il

baptême de plusieurs semaines voire plusieurs mois

existait donc une prénomination religieuse qui pouvait

pour mieux la préparer ou attendre la venue des FIG. 1 Robert Dammy, Melle Victoire, 1917, bois coloré au pochoir.

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La guerre d’Alexandre de Gieysz Maintenir un lien familial quand on est prisonnier Marion DUPLAIX

A

lexandre Charles Louis Eliaszowiez de Gieysz

20 septembre 1902, et passe dans la réserve de l’armée

naît le 1 juillet 1878 à Saint-Lô. Ses parents,

active le 1er novembre suivant, au 10e bataillon du génie

Victor et Augustine, lui ont donné le prénom

d’Angers. Il effectue ses deux périodes d’exercices

de son grand-père, réfugié polonais et ancien mili-

en 1905 et 1908, et passe dans l’armée territoriale le

taire. Le 25 juillet 1905, Alexandre épouse Amélie,

1er octobre 1912.

toujours à Saint-Lô. Au moment où la guerre éclate,

Lors de la mobilisation générale, Alexandre de Gieysz

ils ont deux petites filles, de huit ans, et un an et demi :

rejoint son corps dès le 3 août 1914 (fig. 3). Il part

Madeleine, née le 16 janvier 1906, et Geneviève, née

« aux armées » le 8 août, comme soldat brancardier, et

le 23 octobre 1912 (fig. 1 et 2). Alexandre exerce la

est fait prisonnier le 7 septembre 1914, à Maubeuge. Il va

profession de peintre : il possède un véritable don

passer quatre années dans un camp de prisonniers en

artistique dont attestent les éléments du fonds que

Allemagne, celui de Friedrichsfeld, près de Wesel. Il est

possède l’Historial de la Grande Guerre.

rapatrié via Mannheim par la Croix-Rouge, à Lyon, puis

er

De la classe 1898, il rejoint à Angers le 6 régiment

Rennes pour cause de maladie1, le 10 septembre 1918.

du génie le 16 novembre 1899. Son certificat de

Il est alors mis en « sursis », c’est-à-dire détaché au

bonne conduite accordé, il est « envoyé en congé » le

titre de peintre, à Rennes, du 26 octobre 1918 au

e

FIG. 1 Photographie de Geneviève (à droite) et Madeleine (à gauche), ca. 1913-1914.

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Retours Jean-Yves LE NAOUR

Un jour, la guerre a pris fin. Ce retour à la vie, dans son foyer, cela fait des années que les poilus en rêvent et qu’ils en parlent. « Rien ne saurait à l’avenir me séparer de toi. Combien je désire cet heureux jour qui sera le plus beau de ma vie », écrit Constant à sa chère Gabrielle dès juin 19151. Et l’on se promet une vie douce et tranquille, autour de l’amour conjugal et du foyer en paix. Mais Constant ne pourra pas tenir sa promesse d’aimer « plus qu’autrefois »2 son épouse : il est mort en janvier 1916. Pour 1,4 million de familles françaises, c’est-à-dire pour plus de dix millions d’individus, si l’on compte les parents, grands-parents, enfants, oncles, tantes et cousins, l’après-guerre est un temps de deuil, celui d’une blessure profonde. Pour ceux qui s’en sont sortis, c’est aussi le temps béni des retrouvailles ; mais s’ils reviennent vivants, ils ne sont pas indemnes pour autant. Il faut alors réapprendre à vivre, à vivre en couple, à reprendre sa place de mari et sa place de père.

[Fait à Dinan, amical souvenir], 18 octobre 1918, carte postale photographique.

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Globe de mariage de Marie Fontalba, épouse Cassagneau Yannick MARQUES

L

a tradition du globe de mariage apparaît en

Le globe de mariage est généralement composé

France au milieu du

siècle avant de décliner

d’un socle en bois laqué noir sur lequel est posée

progressivement après la Première Guerre mon-

une structure en métal doré formant une guirlande

diale. Cette coutume s’inscrit dans la pratique populaire

agrémentée de divers ornements. En son centre, une

autour du mariage catholique qui s’est étendue à toutes

calotte matelassée, garnie de velours ou de satin, reçoit

les régions et à toutes les classes de la société française.

des souvenirs liés au mariage et à la vie du couple.

Cet objet, généralement offert aux fiancés par la mère

Une cloche de verre recouvre et protège l’ensemble.

ou la marraine de la mariée, devient le reliquaire du

À l’origine, ces cloches de verre étaient destinées à

nouveau foyer et trouve une place importante dans

la protection des mécanismes d’horlogerie, de ce

l’aménagement de la chambre à coucher. Au lende-

fait, l’achat du globe de mariage se faisait chez le

main des noces, la mariée y dépose sa couronne ou

bijoutier-horloger. Celui-ci effectue l’agencement des

son bouquet puis, au fil des années, d’autres objets

divers éléments décoratifs en fonction du choix de la

qui symbolisent les évènements marquants du foyer

famille. Chacun des ornements revêt une symbolique

viennent y prendre place, résumant ainsi l’histoire

précise. La guirlande de métal doré qui encadre la com-

matérialisée de la vie du couple.

position est constituée de motifs floraux et végétaux

XIXe

FIG. 1 Globe de mariage de Marie Fontalba et Edmond Cassagneau, H. 45 ∞ L. 25 ∞ P. 20 cm.

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Le deuil du fils Itinéraire de la famille Prost vers le deuil Johanne BERLEMONT

L

a Grande Guerre a fauché les vies de millions

si le deuil de guerre devient le quotidien partagé par

d’hommes, et si pour les familles certaines situa-

une majorité de familles, chaque deuil, bien qu’inscrit

tions sont clairement identifiables – l’épouse

dans une émotion collective, sociale et codifiée, se vit

devient « veuve de guerre », l’enfant « pupille de la na-

de façon unique et personnelle. Et encore plus pour

tion » –, d’autres manquent de qualificatifs, comme les

les parents survivant à leur enfant, dont il existe peu

pères ou mères de tués ou de disparus. L’iconographie

de traces des souffrances que la perte a pu infliger.

patriotique figure la douleur des mères et des pères qui perdent un enfant à la guerre comme un sacri-

Dans les collections du musée de la Grande Guerre, un

fice, un don pour la Patrie (fig. 2). L’exemple du géné-

ensemble d’archives1 concernant le caporal Roger Prost,

ral de Castelnau, qui perd trois fils au cours du conflit,

au destin funeste, permet d’esquisser le parcours de vie

frappe les Français et inspire les illustrateurs et la presse,

endeuillé de ses parents. Le caporal Roger Prost est mort

en raison de sa notoriété et de sa dignité reconnue (fig. 3).

le 16 septembre 1914 à Autrèches (Oise) à l’âge de 22 ans.

Derrière cette représentation magnifiée du deuil de

Ses parents Marguerite et Jules, instituteur à Goux-les-

guerre se cachent nombre d’histoires et de vécus dont

Usiers (Doubs), ses sœurs Hélène et Valentine, ainsi que

la réalité intime et familiale nous est peu connue. Car

son frère Camille, également mobilisé, restent plusieurs

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FIG. 1 Lettre du bureau de renseignements aux familles du ministère de la Guerre, adressée à Jules Prost, concernant le lieu d’inhumation de son fils Roger, H. 30,7 ∞ L. 19,6 cm. RETOURS

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Codes et pratiques du deuil Maude BASS-KRUEGER et Sophie KURKDJIAN

“ Si le costume de deuil a le souci avant tout d’être correct, il doit cependant être à la mode et la suivre dans ses grandes lignes. ” « Le Deuil Correct », Femina, mars 1917.

A

u total, la Première Guerre mondiale fait

des textiles, la palette de couleurs appropriées, et la

1,3 million de victimes, soit 10 % de la popu-

nature des accessoires à porter. Agissant comme un

lation masculine active française. En 1918, on

symbole visuel de la perte d’un être cher, le vêtement

compte 600 000 « veuves de guerre » de tout âge et

de deuil traduit la nature de la relation avec le défunt,

986 000 orphelins. Entre 1914 et 1918, le deuil devient

le degré d’éloignement avec la date de décès, ainsi

ainsi un élément du quotidien. À cette époque, pour

que le rang social des femmes en deuil (fig. 3). Selon

les femmes, il se manifeste par une période de retrait

leur fortune et la nature de leur travail, les femmes

de la société puis par une réintégration progressive,

adhèrent néanmoins plus ou moins étroitement au

mais s’exprime aussi à travers le langage visuel de leurs

code du deuil en vigueur.

vêtements (fig. 2). Dans les règles, en effet, les femmes

Oscillant entre code moral et mode vestimentaire,

marquent leur deuil en suivant trois temporalités, cha-

les règles et pratiques du deuil, qui sont soumises à

cune prescrivant, selon la période, la qualité et l’éclat

plusieurs évolutions au cours des quatre ans du conflit, FIG. 1 « Toilettes de deuil », Le Petit Écho de la Mode, 4 octobre 1914.

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Les divorces de la Grande Guerre Sandra BRÉE

L

a Première Guerre mondiale a fortement

Certains couples ont éprouvé des difficultés à retrouver

perturbé les couples et les familles en raison

le cours de leur vie conjugale, comme le montre les

des séparations de longue durée liées à l’envoi

sources judiciaires3. D’ailleurs, si l’on divorce peu pen-

des hommes au front, et conséquemment de la

dant la guerre4, on observe une forte hausse des divorces

réorganisation des foyers en l’absence des hommes qui

après l’armistice (fig. 2). Plus de 109 000 divorces

a modifié la place des femmes au sein des ménages. Ces

sont prononcés entre 1919 et 1922 contre 56 750 les

couples qui ont peu à peu appris à vivre ensemble loin

quatre années précédant la guerre (et 19 000 pendant)5.

l’un de l’autre (tout en ayant des échanges épistolaires

Mais ces divorces sont-ils des conséquences de la guerre

nombreux ) doivent, au sortir de la guerre, réapprendre

ou bien ne sont-ils qu’un rattrapage de ceux qui n’ont

à vivre ensemble. Les femmes, qui avaient goûté à une

pas eu lieu pendant le conflit ? Si l’on s’en tient stric-

certaine forme d’indépendance et s’étaient affirmées

tement aux chiffres, le « rattrapage » des divorces de

dans la gestion des foyers, doivent reprendre leur place

l’après-guerre ne comble pas le « déficit » des divorces

de femme et surtout de mère lorsque les hommes

pendant le conflit, et le rythme de la divortialité de

reprennent leur place de chef de famille alors même

l’entre-deux-guerres est finalement moins soutenu que

qu’ils ont encore les horreurs de la guerre en tête2.

pendant la période 1900-1913. La guerre a sans doute

1

FIG. 1 Fabien Fabiano, « Les ligueuses », La Baïonnette, no 60, 24 août 1916.

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Machines à coudre et veuves de guerre Anaïs RAYNAUD

A

u lendemain de la guerre, il se trouve plus

Toutefois, l’effort moral, physique et financier que le

de 700 000 veuves de guerre en France.

veuvage causé par la guerre impose aux femmes n’est

Pensionnées, elles ont bénéficié pendant

pas oublié. Ce ne sont pas uniquement des victimes

le conflit de privilèges à l’embauche dans les manu-

que l’État a le devoir de prendre en charge, comme

factures d’État, dans l’administration publique et

les pupilles de la nation, mais des personnes actives

via l’assistance privée apportée par les œuvres de

assurant la conduite matérielle de leur foyer. La loi du

charité qui leur sont totalement ou partiellement

31 mars 1919 entérine cette dimension en octroyant aux

dédiées. Prioritaires sur les autres femmes, elles ne

veuves pensionnées de la guerre les mêmes droits aux

le sont toutefois plus sur les hommes qui reviennent

dispositifs de réinsertion des anciens combattants inva-

du front à partir de la fin de l’année 1918. L’opinion

lides. Sous l’égide du conseil de perfectionnement de

générale et les pouvoirs publics estiment qu’il est du

l’Office national des mutilés et réformés (ONMR) pré-

devoir des femmes de s’effacer devant les hommes

sidé par Constant Verlot (fig. 3), elles peuvent bénéficier

qui doivent retrouver leur place dans la société et leur

des écoles de rééducation professionnelle, de bourses

source de revenus.

d’études, d’aides aux coopératives de production et de FIG. 1 Une femme utilisant une machine à coudre Singer.

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Démographie et familles Jean-Marc ROHRBASSER

L

es pertes que la Première Guerre mondiale a

population active. Proportionnellement à sa population,

occasionnées ont souvent fait parler d’« héca-

la France est le pays où les pertes de guerre s’avèrent

tombe » : les données démographiques dont on

les plus lourdes. La moitié des jeunes Français nés

dispose justifient pareille dénomination. En effet, que ce

en 1894, donc âgés de vingt ans en 1914, ont disparu à

soit dans la population civile ou chez les soldats directe-

l’issue du conflit. Aux 28 % déjà décédés avant la guerre,

ment engagés, la Grande Guerre opère une dramatique

surtout du fait des mortalités infantile et juvénile,

saignée entraînant une modification sans précédent

s’ajoutent les 24 % de la « classe 14 » morts au combat.

du cours de l’histoire et de profonds bouleversements

Dans les premiers mois de la guerre, les populations

des conditions matérielles et morales dans lesquelles

civiles sont maintenues dans l’ignorance de la vérité

se trouvent les populations. La mobilisation convoque

des chiffres. Les pertes sont d’emblée énormes : par

73,3 millions d’hommes : 48,2 millions pour les puis-

exemple, pour les seuls mois d’août et septembre 1914,

sances alliées dont 7,9 millions de Français, 8,9 millions

l’armée française perd 313 000 hommes, morts, dispa-

de Britanniques et 18 millions de Russes ; 25,6 millions

rus et prisonniers, soit 4 % des mobilisés (fig. 2 et 3).

pour les puissances centrales dont 13,2 millions d’Alle-

Pendant la longue guerre de position, les villes et les

mands et 9 millions d’Austro-Hongrois (fig. 2).

villages situés à proximité immédiate du front sont

Selon une estimation moyenne, les pertes s’élèvent en

les plus exposés aux bombardements et aux destruc-

France à près de 1,5 million d’individus, soit 19 % des

tions. Des villages entiers disparaissent totalement et

mobilisés, 3,4 % de la population totale et 10 % de la

beaucoup de familles vivent dans les ruines de leur FIG. 1 Henri Lebasque, L’Emprunt de la paix, 1920, affiche, H. 120 ∞ L. 80 cm.

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Nous, les enfants de 14 Jean-Yves LE NAOUR

Évoquant la Seconde Guerre mondiale, Françoise Dolto décrit dans Tout est langage « le grand traumatisme des familles » et la « brisure des liens familiaux ». Cette analyse vaut-elle aussi pour la Première Guerre mondiale ? Certes, la longue séparation, la peur constante de la mort des uns et l’angoisse de l’abandon ou de l’oubli des autres ont construit un nouveau rapport au couple et à la paternité. Les conditions économiques et sociales de ce temps d’exception, l’engagement des femmes dans des métiers jusque-là réservés aux hommes, leur plus grande mobilité et, finalement, leur plus grande liberté ont ébranlé les stéréotypes et brouillé les frontières du genre. Et ce d’autant plus que la guerre est une expérience profondément « émasculatrice » pour les hommes, dont l’héroïsme se résume à tenir et à souffrir, de façon statique, en situation de dépendance affective et matérielle visà-vis des femmes. Sans tomber dans le piège qui consisterait à faire de la Grande Guerre le creuset unique de la modernité des mœurs, force est de constater que le retour à l’ordre d’avant-guerre n’aura pas lieu en 1919 et que la famille est en voie de mutation accélérée.

[Couple dans un parc], ca. 1916-1920, autochrome.

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brutalement couples et familles. Puis l’absence s’installe et un nouvel équilibre familial se crée, rythmé par les permissions et soutenu par le lien épistolaire qui voit les soldats investir, à distance, leur rôle de mari, de fils et de père. La catastrophe a détruit, brisé, dispersé hommes, femmes et enfants mais elle a aussi rapproché, brassé, quelques fois provoqué des unions. Surtout, la famille a formé le réservoir de résistance dans lequel les poilus ont puisé quatre années durant pour trouver le courage de continuer à se battre. Ce catalogue qui accompagne l’exposition « Familles à l’épreuve de la guerre » nous révèle quelques-uns des destins familiaux bouleversés par l’empreinte de la guerre. Il propose une plongée au cœur de récits et histoires de familles à travers correspondances, œuvres graphiques et objets des collections du musée de la Grande Guerre.

978-2-7572-1428-2

EXE_Couv_Familles_def.indd Toutes les pages

23 €

À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

Guerre. En août 1914, elles affrontent le choc des mobilisations qui séparent

Familles

Les familles françaises ont été largement touchées par l’épreuve de la Grande

Familles

À L’ÉPREUVE DE LA GUERRE

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