Ce catalogue est édité dans le cadre de l’exposition Gérard Schlosser, rétrospective 1957-2013 présentée au Palais Synodal de Sens du 23 juin au 8 septembre 2013 et au Musée des Beaux-Arts de Dole du 28 septembre 2013 au 26 janvier 2014 Commissariat général : Samuel Monier Commissariat à Sens : Sylvie Tersen
Palais Synodal - Musées de Sens Palais Synodal, parvis de la cathédrale 89100 Sens contact@cerep-musees-sens.net www.ville-sens.fr Exposition organisée sous le patronage de M. Daniel Paris, maire de Sens, et de M. Bernard Pernuit, maire adjoint chargé de la culture, patrimoine et développement Conservateur des Musées de Sens : Sylvie Tersen Conservateur du patrimoine : Lydwine Saulnier-Pernuit Équipe des Musées de Sens : Monique de Cargouët, Dorothée Censier, Sylvie Chameroy, Cyril Chaudron, José Dos Santos, Jean-Pierre Fouteau, Virginie Garret, Isabelle Heiden, Florence Jackiw, Alain Soudé, Jean-Michel Vélo
Musée des Beaux-Arts de Dole 85 rue des Arènes 39100 Dole musee.dole@wanadoo.fr www.doledujura.fr et www.musees-franchecomte.com Exposition organisée sous le patronage de M. Jean-Claude Wambst, maire de Dole, et de M. Christian Parent, maire adjoint chargé de la culture Conservation : Samuel Monier Responsable administrative : Sandrine Weil-Robin Équipe technique : Laurent Rouge, Marc Ocler, Olivier Berthet Chargée d’étude des collections d’art ancien : Sylvie de Vesvrotte, ingénieur d’étude au CNRS, mise à la disposition des musées des Beaux-Arts du Jura Responsable du service des publics : Laurence Collombier Équipe des médiateurs : Nicole Régnier, Béatrice De Dumast, Élisabeth Legros Agents d’accueil : Olivier Berthet, Patricia Grandjean, Éloïse Riduet et Laurent Saillard Cette exposition, conçue par le Musée des Beaux-Arts de Dole en partenariat avec les Musées de Sens, a reçu le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles de Franche-Comté, du conseil général du Jura, du conseil général de l’Yonne, du conseil régional de Franche-Comté, et de l’Association des amis des musées du Jura. Elle a également reçu la participation financière de la galerie Laurent Strouk et de la Fondation Gandur pour l’Art, Genève, Suisse.
Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Coordination éditoriale : Laurence Verrand Contribution éditoriale : Renaud Bezombes Conception graphique : Pearl Huart/Cholley Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros © Somogy éditions d’art, Paris, 2013 © Musées de Sens, 2013 © Musée des Beaux-Arts de Dole, 2013 © pour les auteurs : Amélie Adamo, Samuel Monier, Nicolas Pesquès © Adagp, Paris, 2013 ISBN : 978-2-7572-0680-5 Dépôt légal : juin 2013 Imprimé en Italie (Union européenne)
Gérard Schlosser rétrospective 1957-2013
Musées de Sens - Musée des Beaux-Arts de Dole
Depuis près de trente ans le Musée des Beaux-Arts de la ville de Dole s’est constitué une collection originale d’art contemporain avec une prédilection pour la Figuration narrative. Une politique suivie d’acquisitions et d’expositions d’œuvres des peintres s’inscrivant dans ce contexte artistique (la coopérative des Malassis, Monory, Peter Saul, Rancillac, Fromanger, Jean-Olivier Hucleux et Erró entre autres) donne aujourd’hui toute sa singularité et sa qualité au projet développé à Dole. L’œuvre de Gérard Schlosser, conteur atypique de la vie quotidienne, s’inscrit dans ce compagnonnage artistique. Rencontrer sa peinture, c’est au premier abord s’immerger dans un univers baigné par une figuration qui célèbre la vie quotidienne avec sensualité et plénitude. C’est certes cela, mais c’est aussi beaucoup d’autres choses, que l’épiderme de cette réalité harmonieuse dissimule, et que cette remarquable exposition nous convie à découvrir. Dans un parcours riche de toute la palette du travail de ce peintre depuis ses débuts, c’est un monde plus dense et singulier qu’il n’y paraît sur lequel on peut méditer en parcourant les salles du Musée des Beaux-Arts de Dole. Des premières peintures aux tonalités expressives des années cinquante, en passant par les scènes champêtres dépeintes avec un soin particulier qui l’ont fait connaître dans les années soixante-dix, jusqu’aux œuvres dénuées de figures humaines, ce travail est beaucoup moins monolithique et linéaire qu’il n’y paraît. Ce cheminement foisonnant est le fruit de la réflexion sincère d’un peintre et d’un homme, pour qui l’être humain est au cœur de toute chose, même quand il en est absent, tel le ferment d’une composition sans lequel rien n’a de sens. Cette leçon de mise en scène à laquelle nous convie Gérard Schlosser n’est pas gratuite. Elle est un message explicite nous incitant à prendre le temps de saisir puissamment le fil de notre existence pour en jouir avec tout le bonheur qu’il est possible d’y consacrer. Un hymne à la vie, au corps magnifié, dans ses plis et replis, tel est le sens de ce travail pictural subtilement exprimé. Cette exposition est le fruit d’un partenariat avec les Musées de Sens, et cette collaboration a permis de donner l’ampleur souhaitée au projet. Nos deux villes bénéficieront ainsi d’un bel événement culturel. Cette exposition doit aussi beaucoup à Anne Dary, ex-conservatrice en chef des Musées du Jura. Je tiens ici à la remercier pour la qualité du travail qu’elle a mené pendant une vingtaine d’années au Musée des Beaux-Arts de Dole. La ville de Dole vient de reprendre en gestion municipale le Musée Pasteur. Désormais regroupés sous l’appellation « Musées de Dole », le Musée des Beaux-Arts et le Musée Pasteur vont poursuivre et développer une programmation appelée à gagner encore en qualité et en diversité dans le futur. C’est en tout cas le vœu que nous formulons car nos musées sont le symbole vivant de notre label « Ville d’art et d’histoire ».
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Jean-Claude Wambst Maire de Dole
Bernard Pernuit Maire adjoint aux affaires culturelles, Sens
Un partenariat entre deux musées (de Dole et de Sens) n’est – presque – jamais une rencontre fortuite. Un point de convergence, une passion commune pour un grand mouvement artistique particulièrement bien représenté en France depuis les années soixante, la Figuration narrative, furent le déclencheur du projet d’exposition-hommage consacrée à l’un de ses plus éminents représentants, Gérard Schlosser. Les Musées de Sens, sans s’être aussi fortement impliqués que leur partenaire jurassien, n’en avaient pas moins décliné quelques incontournables du genre avec les expositions dédiées à Ivan Messac (1998), Gérard Guyomard (2004), Jan Voss (2008) et Peter Klasen (2010). Le projet Gérard Schlosser ne survient donc pas en terra incognita ; il s’inscrit dans une continuité, dans une logique de découverte d’un courant artistique dont n’ont été révélées que certaines facettes. Gérard Schlosser est un narrateur figuratif d’une singularité différente d’une approche militante (Rancillac, Fromanger), clinicienne (Klasen) ou violemment dramatique (Monory). Sa saisie d’un réel qui, dans l’expression artistique (il n’est pas inutile de le rappeler), s’est toujours dérobé à la tentation du mimétisme, semble se situer quelque part entre un réalisme qui n’a jamais été la pure transcription du réel, un certain hyperréalisme trop désincarné pour être schlossérien, et un côté pop dans l’intention plasticienne. Le regardeur pressé n’y verra que du réalisme, faute d’être entré, à force de contemplation patiente, dans un univers, mieux encore dans une atmosphère, à nulle autre pareille. Car, il nous y invite fortement (ne serait-ce que par un trou de serrure), il faut être plus qu’un regardeur, oser un voyeurisme artistique, sans la délectation pornographique ; se laisser séduire par le théâtre de scènes intimes où se jouent l’amour, le désir, le plus souvent par la simple suggestion érotique. Les fragments, les gros plans sensualisent les formes et les carnations des corps jamais autant sublimés par une lumière souvent caressante. Gérard Schlosser transfigure en « mythologie quotidienne » le pique-nique banal dans la torpeur d’un été trop lumineux, à proximité d’une 2CV qui, pour le coup, participe de l’héroïsation du réel. Gérard Schlosser est un condensé en émotion humaniste, en réel érotisé et en douceur plastique du pique-nique des Bords de Marne de Cartier-Bresson, du Sommeil de Courbet et de L’Odalisque bleue de Matisse. C’est ce parti pris de la « révolte silencieuse » de la beauté anonyme, faussement ordinaire, qui nous a séduits et incités à nous engager dans un projet commun dont la première mise en œuvre a lieu à Sens, durant l’été 2013, sous les voûtes du Palais Synodal, sur les deux niveaux des salles du Synode et de l’Officialité.
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C’est plus vrai qu’on ne croit . 1995/96 (détail) _06
Samuel Monier Sylvie Tersen
Gérard Schlosser, « la révolte silencieuse » à l’œuvre
« J’aimerais qu’en voyant mes images on ait envie de modifier son comportement, qu’on prenne conscience de l’importance de la recherche de l’équilibre, de l’énergie que l’on possède et dont on pourrait se servir pour transformer la vie. …
Je ne suis pas un homme d’action, dans le sens militant, mais j’essaie d’agir à ma façon. Il faut montrer que malgré l’usine, le bureau, les cadences, le peuple aime vivre et a la force nécessaire pour se battre, ceci sans grand discours, dans la banalité du quotidien1.» L’extrait de cet entretien qu’accorda en 1974 Gérard Schlosser à Jean-Marie Gibbal restitue de manière concrète la portée de son projet artistique et la dimension humaine qu’avec subtilité il recèle au regard de l’évolution de la société. Pour arriver à ce stade de compréhension, il faut au préalable lever certains écueils qui parsèment une lecture superficielle de sa démarche figurative à l’apparence illusionniste, et qui voilent un univers plus complexe qu’il n’y paraît. Gérard Schlosser s’est fait connaître sur la scène artistique française au début des années soixante-dix par un langage pictural parfois hâtivement classé au sein de l’hyperréalisme. Des corps baignant lascivement dans un univers champêtre, restitués avec un sens aigu du réalisme, telle est l’image d’Épinal qui colle trop souvent à l’artiste et insuffle une dimension réductrice à son travail. Peintre de la « révolte silencieuse2 » comme aime à le décrire Alain Jouffroy, Schlosser est en fait un artiste qui a la réalité – et non le réalisme – chevillée au corps, une réalité qui a acquis au fil de son expérience une plénitude à nulle autre pareille. Le fil conducteur de cette exposition s’attache ainsi à montrer, au-delà des multiples inflexions qui ont marqué son œuvre, qu’une constante essentielle innerve sa démarche : la place de l’individu dans son environnement intime et social, et par-delà, le questionnement critique du quotidien.
1. Jean-Marie Gibbal, « Entretien avec Gérard Schlosser », in Exit, n° 2, 1974, p. 50. 2. Alain Jouffroy, Gérard Schlosser, Éditions Frédéric Lœb, 1993, p. 102.
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Devenu peintre après avoir pratiqué l’orfèvrerie et la sculpture, Schlosser est en tout point un amoureux des formes, de la matière. Ses premières peintures, peu connues du monde de l’art et encore moins du grand public, témoignent de cette appétence. Elles révèlent, à la fin des années cinquante, un univers figuratif expressif, mu tant par la matière et la touche picturale alors déployées avec vigueur, que par le registre chromatique fondé sur un contraste saisissant de noir et blanc. La couleur fait irruption dans son œuvre dès le milieu des années soixante dans la série dite des Poubelles (cat. 6 et 7), avant de s’affirmer avec une tonalité pop dès les années suivantes dans des saynètes où filtre déjà une expression charnelle explicite (cat.12 à 14). La couleur s’affirme dès lors comme une constante de son vocabulaire pictural, ensoleillée par une lumière immanente et une modulation chromatique plus douce, avant que le volume ne se mêle à quelques peintures originales réalisées en polystyrène découpé, probable réminiscence de sa brève expérience de sculpteur. La matière gardera toujours une prégnance particulière au fil de sa production artistique. Sous l’épiderme d’une couche picturale devenue plus lisse, l’artiste systématise le recours à une toile préalablement enduite de sable, donnant à ses œuvres une myriade de vibrations. Un dernier élément décisif devait jeter en 1970 les bases définitives de sa démarche et la projeter vers une figuration singulière, le recours à la photographie. Cette mutation essentielle dans la phase préparatoire de sa démarche ne sous-tend en aucun cas une quelconque vision objective du réel, car Schlosser l’exploite pour réaliser des photomontages dont l’espace est habité par des raccourcis perspectifs le plus souvent improbables. Savamment mis en scène par un cadrage frontal, l’individu a désormais une présence inédite dans ses toiles, tantôt saisi en très gros plan, tantôt suggéré dans des séries d’œuvres valant davantage pour le vide apparent d’un paysage marin ou champêtre déserté par l’homme. Ces deux ensembles de séries jouant sur une dialectique surprésence/absence de la figure humaine n’ont rien d’antinomiques. Elles incarnent même une forme de symbiose qu’a admirablement su déceler Jean Clair dès 1973 en évoquant des « paysages anthropomorphes3 » au sujet des paysages sans figures humaines. Soulignant le lien organique de l’homme et de la nature, il montre ainsi à quel point Gérard Schlosser initie une figuration faite d’une substance intimiste et sensible : la surprésence crée une connivence avec l’observateur, l’absence lui suggère de se fondre dans le paysage pour percevoir l’essence de la figure humaine. Cette approche trouve une matérialisation concrète dans une petite peinture de curiosité réalisée en hommage à Gustave Courbet (cat. 40). Elle révèle, derrière un paysage d’herbes déployé sur un fond vallonné s’ouvrant tel un polyptyque sur une seconde œuvre, une résonance contemporaine à la célèbre Origine du monde du maître d’Ornans. C’est pourquoi ne pas dépasser la dimension technique de sa démarche, la facture virtuose à l’œuvre dans son travail, aboutit forcément à ignorer le vécu plus profond exprimé par l’artiste et l’ineffable beauté du quotidien qu’il s’emploie à restituer.
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3. Jean Clair, « Gérard Schlosser, l’ordre des corps », in cat. exp. Gérard Schlosser, ARC/Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 1973, p. 4.
Cette exposition de référence sur son travail invite à un parcours déployant, tant sur un axe chronologique que thématique, soixante œuvres s’échelonnant essentiellement de la fin des années cinquante au début des années deux mille, dont un ensemble inédit de peintures de jeunesse très rarement exposées. Le point d’orgue est évidemment le seuil ultime de ce parcours, incarné par deux œuvres clés peintes par l’artiste dans les années quatre-vingt-dix. C’est plus vrai qu’on ne croit (cat. 59) nous met en présence d’un subtil moment d’équilibre et de sérénité mêlant cadre champêtre enchanteur et frise alanguie de personnages disposés dans une composition soigneusement ordonnancée. Son pendant choisi pour cette exposition est un paysage désert de la même période, et dont la dimension plus contemplative que les précédents s’accommode d’un titre assonant – C’est Paul ou Carla (cat. 58), en référence au couple de musiciens/compositeurs de jazz Paul et Carla Bley – avec la passion pour la musique si chère à Schlosser. Tout semble presque alors dit, à l’exception peut-être de la dimension purement charnelle de cet œuvre en constante évolution, dimension que vient de présenter la galerie Laurent Strouk dans une remarquable exposition des œuvres récentes de l’artiste, et que suggère la peinture qui clot le parcours, réalisée par l’artiste pour cet événement à Dole et Sens, Celui qui fait l’angle (cat. 60). Le propos de cette rétrospective vise à démontrer que l’art de Schlosser exprime beaucoup plus qu’il ne montre en apparence, et qu’il engage l’homme à se réapproprier un espace de liberté lui permettant d’exister pleinement dans le quotidien. Critique, Gérard Schlosser l’est donc, mais à la manière d’un scrutateur qui porte un regard empreint de scepticisme sur notre monde dont les valeurs annihilent notre aptitude au bien-être. La « révolte silencieuse » à l’œuvre dans son cheminement artistique doit donc être appréhendée sous le prisme d’une forme de transcendance mue par la sensualité des formes qui bouleverse les codes habituels de notre perception de la réalité. Gérard Schlosser occupe en cela une place particulière au sein de la Figuration narrative dont il est l’un des acteurs « indépendants », mais non moins essentiels pour avoir participé à l’exposition « Mythologies quotidiennes 2 ». Au travers de cet événement artistique de grande envergure, les musées de Dole et de Sens manifestent aussi leur attachement à ce courant artistique qu’ils valorisent depuis de nombreuses années par une programmation d’expositions temporaires très active.
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08– Pousse toi un peu . 1965 huile et sable sur toile . 97 x 130 cm [Collection Fondation Gandur pour l’Art, Genève, Suisse]
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13– Le voyage de noces . 1966 acrylique sur toile . 114 x 146 cm [Collection David Holder]
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21– Je vais avoir un bleu . 1973 acrylique sur toile sablée . 150 x 150 cm [Collection particulière]
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30– Mais si tu les connais . 1976 acrylique sur toile sablée . 150 x 150 cm [Collection particulière]
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39– Ils s’en foutent complètement . 1981 acrylique sur toile sablée . 100 x 100 cm [Collection Doris et Max Barges]
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47– À cause d’elle . 1992 acrylique sur toile sablée . 250 x 200 cm [Collection Philippe Marin]
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55– Il est fou . 1978 acrylique sur toile sablée . 150 x 150 cm [Collection Martine et Michel Brossard]
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57– On entendait tout . 1990 acrylique sur toile sablée . 200 x 200 cm [Collection particulière]
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59– C’est plus vrai qu’on ne croit . 1995/96 acrylique sur toile sablée . 220 x 400 cm [Collection Philippe Dian]
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