Guadeloupe - Années 30. ALI TUR, l' architecte d'une reconstruction (extrait)

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Michèle Robin-Clerc est architecte DPLG et titulaire d’un doctorat en urbanisme obtenu en 2006 à Paris IV, La Sorbonne. Spécialisée dans le domaine des risques majeurs, elle s’intéresse très tôt au domaine technique, puis historique de l’acte de bâtir, privilégiant toujours une approche pluridisciplinaire. Elle a pu ainsi réaliser pour la Région Guadeloupe l’inventaire général du patrimoine culturel de l’œuvre d’Ali Tur et aujourd’hui cet ouvrage, au terme de quatre ans de recherches. Guadeloupéenne, elle s’attache à mettre en valeur son environnement et ses richesses.

mrobinclerc@gmail.com

Une campagne photographique commandée par la Région Guadeloupe a été réalisée pour cet ouvrage en 2013 par Siméon Levaillant.

Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coordination et suivi éditorial : Marie-Astrid Pourchet assistée de Marie Levacher et Marine Mayon Conception graphique : Sophie Charbonnel assistée de Larissa Roy Contribution éditoriale : Renaud Bezombes Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros

ISBN Somogy éditions d’art : 978-2-7572-0962-2 Dépôt légal : septembre 2015 Imprimé en Italie (Union européenne) L’auteur a bénéficié pour la rédaction de cet ouvrage du soutien du Centre national du livre.

© Somogy éditions d’art, Paris, 2015 © Région Guadeloupe, 2015


PATRIMOINES de GUADELOUPE

Michèle Robin-Clerc

GUADELOUPE – ANNÉES 30

Ali TUR L’ARCHITECTE D’UNE RECONSTRUCTION



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AVANT-PROPOS

48 HUIT ANS POUR REBÂTIR

Victorin Lurel, député et président de Région

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Ali TUR, PRÉCURSEUR DU MODERNISME TROPICAL EN GUADELOUPE Bernard Toulier, conservateur général honoraire du patrimoine

12 MA RENCONTRE AVEC Ali TUR Michèle Robin-Clerc

16 Ali TUR DANS SON ÉPOQUE 16 17 24 24 25

Une lignée prestigieuse L’École des beaux-arts du début du XXe siècle Un legs précieux Au front pendant la Première Guerre mondiale Un artiste de son temps

28 L’ŒUVRE D’Ali TUR EN MÉTROPOLE 28 34 34 35 35

Ali Tur en concours Les innovations hygiénistes Le descriptif technique des HBM Architecte de la Compagnie des eaux et de l’ozone Après guerre

36 LES CONDITIONS DE L’INTERVENTION D’Ali TUR EN GUADELOUPE 36 36 37 39 39 41 43 44 45 46

L’installation d’une équipe structurée Une présence périodique Les entreprises de la reconstruction Des infrastructures détruites Le financement de la reconstruction Les fonds consacrés aux travaux réalisés par Ali Tur Les matériaux de la reconstruction L’étanchéité défectueuse des toitures-terrasses Les carrelages de la dette allemande L’après Ali Tur

Un homme complet La reconstruction Bâtiments emblématiques

96 L’ARCHITECTURE DES ANNÉES 1930 DANS LES PAYS D’OUTRE-MER 96 L’expérience française 117 L’expérience américaine

120 Ali TUR DEVANT LA JUSTICE 120 Le procès pour non paiement de ses honoraires 123 Instances initiées par le gouverneur Sorin

130 LA RÉCEPTION DE L’ŒUVRE D’Ali TUR EN GUADELOUPE 130 Les débats autour de l’architecture coloniale des années 1930 132 Les acteurs de l’œuvre guadeloupéenne 136 Les difficultés rencontrées de 1928 à 1943 144 Louis Caillat, Ali Tur et la Martinique 145 Les « enfants » d’Ali Tur 146 La réception actuelle de l’œuvre d’Ali Tur

150 ÉLÉMENTS DE L’INVENTAIRE DU PATRIMOINE CULTUREL 206 REPÈRES BIOGRAPHIQUES D’Ali TUR 216 SOURCES DOCUMENTAIRES 226 ANNEXES 226 228 230 234 236

Annexe no 1 Annexe no 2 Annexe no 3 Annexe no 4 Annexe no 5

240 TABLE DES ILLUSTRATIONS



Victorin Lurel Le député et président de Région

Permettre à la population de s’approprier sa culture, la rendre accessible à tous et ce faisant, bâtir l’avenir, telle est notre ambition pour la Guadeloupe. Il s’agit d’une exigence qui nécessite des engagements forts. Aussi, la collectivité régionale initie, seule ou en partenariat, des actions structurantes. La Région Guadeloupe a ainsi entrepris une politique éditoriale importante par la publication des anthologies de la peinture en 2009, du sport en 2011, ainsi que des œuvres classiques dont la première série est sortie en novembre 2014, voire l’ouvrage Les Paroxysmes climatiques en cours de parution. J’éprouve donc une grande satisfaction à parrainer cette fois une nouvelle collection, « Patrimoines de Guadeloupe », destinée à valoriser tous les patrimoines de notre archipel, immatériels ou matériels, des saveurs à la case, des œuvres de l’esprit aux savoirfaire, des langues aux paysages… Guadeloupe – Années 30, Ali TUR : l’architecte d’une reconstruction est le premier ouvrage de cette collection. Il fait suite à l’opération d’inventaire des bâtiments Ali Tur conduite par la collectivité régionale et déjà réalisée par Michèle Robin-Clerc, dans le cadre du transfert de la compétence de l’Inventaire général du patrimoine culturel aux Régions. Ce livre richement illustré replace l’œuvre d’Ali Tur dans son contexte international et l’inscrit dans les apports qui ont contribué

à forger l’identité architecturale de la Guadeloupe. En effet, les bâtiments d’Ali Tur ont été édifiés en huit ans seulement, de 1930 à 1937. Ce qui a pu paraître parfois brutal. Ils sont à présent identifiés et appréciés des Guadeloupéens qui les fréquentent dans leurs activités quotidiennes : mairies, hôpitaux, églises, tribunaux, palais ou écoles. Valoriser et faire connaître cet ensemble patrimonial a conduit la Région Guadeloupe à soutenir avec détermination le projet de l’auteur à toutes les étapes, tant pour la recherche documentaire, la campagne photographique que pour cette publication. Car au regard de son caractère historique, de sa qualité architecturale et de son impact sur le paysage urbain, ce patrimoine bâti mérite une attention particulière. En ce sens, l’État et les collectivités territoriales veillent désormais à la protection de certains de ses éléments au titre des Monuments historiques. D’ailleurs, pour mieux donner à voir cette architecture, la Région Guadeloupe propose, dans une démarche concertée, de faire décerner à l’ensemble de l’œuvre d’Ali Tur en Guadeloupe, le label patrimoine du XXe siècle. D’ores et déjà, je vous invite, chers Guadeloupéens, à parcourir ce bel ouvrage, à vous en imprégner, avant d’aller par la suite à la découverte sur site de votre patrimoine Ali TUR.

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DU MODERNISME TROPICAL EN GUADELOUPE Bernard Toulier Conservateur général honoraire du patrimoine

La recherche sur l’architecture coloniale et postcoloniale, aujourd’hui un des thèmes essentiels de l’historiographie de l’architecture du XXe siècle, a considérablement progressé depuis une génération1. De nombreuses contributions, en particulier sur l’architecture moderne dans les Caraïbes, ont largement renouvelé le sujet2. La monographie de Michèle Robin-Clerc, aboutissement d’un cheminement de près d’un quart de siècle pour une reconnaissance de l’œuvre de l’architecte Ali Tur, s’inscrit dans le renouveau de ces études. Dès 1992, année de parution du premier essai de synthèse, L’Architecture française d’outre-mer3, la direction régionale des Affaires culturelles de Guadeloupe lève un coin du voile sur l’histoire occultée et partiale de la reconstruction des édifices publics de l’ancienne colonie après le passage du cyclone de 19284. Elle engage, dans une politique volontariste et pionnière, une campagne de protection thématique par l’inscription puis le classement de quelques édifices majeurs. Contrairement à la Martinique, où depuis les années 1990 une association travaille avec dynamisme à la promotion de l’architecture moderne, il faut attendre près d’une quinzaine d’années pour que l’administration poursuive cette première démarche par un inventaire systématique de la centaine d’œuvres édifiées par Ali Tur de 1929 à 19375. Michèle Robin-Clerc, qui se prend d’un intérêt passionné pour cet architecte si longtemps décrié, ne se contente pas d’enregistrer les traces de son activité sur le sol guadeloupéen : elle rassemble avec acharnement et méthode toutes les archives – locales et métropolitaines, publiques et privées, orales et écrites – nécessaires au procès en réhabilitation de ce bâtisseur humaniste, profondément rigoureux et honnête. Grâce à son travail remarquable, c’est un des vides sur la carte de l’architecture du XXe siècle qui se trouve aujourd’hui comblé.

l’École des beaux-arts, et particulièrement dans l’atelier de Victor Laloux ; elle éclaire également sur la transmission des techniques, comme celle du brevet Hennebique pour les hourdis de planchers des toitures-terrasses. Jugé plus efficace contre les cyclones, les tremblements de terre et les incendies, l’usage du béton armé est d’ailleurs recommandé par Louis-Ernest Muller, inspecteur général des colonies, dans son rapport de mission consécutif au passage du cyclone de 1928. Les sources archivistiques permettent, tout d’abord, de percevoir chez Ali Tur une méthode très élaborée de la pratique du chantier, telle qu’il l’a apprise à l’École des beaux-arts, impliquant toujours des devis descriptifs détaillés (par exemple sur le dosage des mortiers et bétons). Choisissant de préférence les rares entreprises ayant l’expérience du béton armé, l’architecte leur assure, si besoin, un complément de formation pour la mise en œuvre de ce procédé. Les mécanismes particuliers de la maîtrise d’œuvre – l’architecte et ses collaborateurs, l’ingénieur des structures et l’entrepreneur – et côté maîtrise d’ouvrage, ceux qui engagent l’État, la

1. Johan Lagae, Bernard Toulier, « De l’outre-mer au transnational. Glissements de perspectives dans l’historiographie de l’architecture coloniale et postcoloniale », Revue de l’art, no 186, 2014-4, p. 45-55. 2. Gustavo Luis More, Barry Bergdoll (dir.), Carribbean Modernist Architecture, actes du colloque organisé par le MOMA et Utech Jamaïque, 29 février-1 mars 2008, Archivos de arquitetura antillana, no 34. Voir notamment l’article de Jean Doucet, « Modernist architecture in Guadeloupe and Martinique », p. 65-75. Voir aussi Emmanuelle Gallo, Jean Doucet « La Martinique moderne. Études de cas », DOCOMOMO, no 33, sept. 2005, p. 73-79. 3. Maurice Culot, Jean-Marie Thiveaud (dir), Architectures françaises outre-mer, IFA – Mission des travaux historiques de la Caisse des Dépôts et

UNE ARCHITECTURE MODERNE COLONIALE : LA GUADELOUPE COMME LABORATOIRE DE LA MODERNITÉ

Consignations, Paris, Liège, Mardaga, 1982, 405 p. 4. Christian Galpin, Ali Tur 1929-1937. Itinéraire d’une reconstruction, direction régionale des Affaires culturelles de la Guadeloupe, conseil général de la Guadeloupe, Basse-Terre, 1991. L’étude a servi de base à l’opération de

Les matériaux historiques ici présentés révèlent des mécanismes administratifs et techniques qui ne se réduisent pas à l’importation d’idées, de modèles ou de pratiques en vigueur dans la métropole : ils témoignent des flux de savoir-faire, de techniques et d’influences opérant au sein des réseaux professionnels, comme de l’impact de la production du bâti dans un monde en cours de globalisation dès la première moitié du XXe siècle. Certes, inscrite dans le réseau colonial, l’œuvre d’Ali Tur porte aussi un témoignage sur la diffusion des méthodes enseignées à

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protection. 5. Jean Doucet, Architectures modernistes en Martinique (1927-1968), Paris, Somogy éditions d’art, 2013. Sur les méthodes d’inventaire du patrimoine dans les Caraîbles, Céline Frémaux (dir), Rencontres Caraïbe-Amazonie, Méthodes et expériences d’inventaire du Patrimoine, Actes des « Rencontres Caraïbe-Amazonie de l’Inventaire général du Patrimoine culturel », Cahiers du patrimoine, 2013, 224 p. 1 - Église du Lamentin



AVEC Ali TUR Michèle Robin-Clerc Architecte DPLG, docteur en aménagement et urbanisme

Comme beaucoup de mes compatriotes guadeloupéens, j’ai arpenté les salles de classe d’une école Ali Tur, et nous connaissons tous un proche baptisé dans une église ou marié dans un hôtel de ville construit par cet architecte. Il a accompagné plusieurs générations, de leur naissance à l’hôpital de Pointe-à-Pitre ou de Basse-Terre, jusqu’à leur dernière demeure. Nombre de caveaux, les plus célèbres étant ceux du cimetière de Morne-àl’Eau, sont inspirés de ses chapelles sépulcrales. En cela, Ali Tur est inscrit dans notre inconscient collectif. Il nous emmène dans la vie autant qu’il nous entoure de sa qualité architecturale. Ainsi, le premier immeuble que j’ai construit à Pointe-à-Pitre porte en façade des colonnes engagées de section tripartite, la marque aliturienne. En 1973, j’ai débuté mes études d’architecture aux Beaux-Arts de Paris, rue Bonaparte. Quel regret de ne pas l’avoir croisé deux ans plus tard, le 3 février 1975, quand il est venu y faire un legs d’une dizaine de livres de sa bibliothèque personnelle ! À l’École, l’enseignement portait principalement sur l’œuvre de Le Corbusier qui était le maître à penser. Nous composions des immeubles tramés aux proportions du Modulor, avec des étages courants, des façades-rideaux … ce qui ne me satisfaisait pas pleinement. Au contraire de son contemporain, Ali Tur n’est pas un théoricien. J’ai pu m’en rendre compte au cours de mes premiers travaux pour l’inventaire du patrimoine culturel. En urbanisme, il est toujours resté très pragmatique. Pour justifier l’implantation de la mairie de Capesterre Belle-Eau, il a expliqué qu’elle constituerait un prolongement de l’avenue de l’église et une ouverture du bourg sur la mer, permettant l’aménagement d’un « coquet square ». Lorsqu’il explique son intervention en Guadeloupe dans le numéro de L’Architecture d’aujourd’hui de mars 1936, il précise juste que l’urbanisme est un problème de gouvernement fort et continu, et qu’il passe par « l’étude du terrain, du climat, des besoins, et l’expression par le plan, du cadre où se développera la Ville future ». L’ensemble urbain du Lamentin est une place de centre-ville fonctionnelle, belle et structurée, mais Ali Tur n’a jamais expliqué comment il y est parvenu, pourquoi il a placé l’école ici, la Justice de paix là, pourquoi le square est de telles dimensions, quels alignements il a choisis,

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les prospects qu’il a préconisés … Et comment cet urbanisme est la bonne réponse pour le Lamentin, pour la Guadeloupe, pour les hommes enfin. En architecture, il s’exprime aussi toujours de manière technique et sobre. Il parle dans ce même numéro de L’Architecture d’aujourd’hui de « l’humilité de l’Architecte devant la nature qu’il comprend, qu’il aime et qu’il révère et aux nécessités de laquelle il tente chaque jour de se conformer le mieux possible, en y apportant cependant sa part d’humanité ». On ne trouve ainsi dans aucun de ses textes une explication, pas la moindre clé pour comprendre son œuvre. Il faut se contenter de la mention suivante : « Le gouvernement ayant décidé de réparer les dommages subis, nous donna mission d’étudier le problème de la reconstruction des édifices gouvernementaux. » Ali Tur peut de même détailler la nécessité de la ventilation, des auvents, des sols en ciment ou des carrelages « pour défendre les habitants des insectes ». Ou encore des citernes et des fosses septiques, comme il le fait dans la préface de son Architecture coloniale – Guadeloupe, parue aux éditions Albert Morancé. Mais il ne dit rien sur les principes de composition de ses plans et de ses façades, ni du dessin des éléments non structurels mis en œuvre dans ses bâtiments : escaliers, claustras, garde-corps, carrelages, lettrages ou vitraux, fonts baptismaux, chaires, autels, ainsi que rampes, grilles et clôtures … Sur la composition des plans et des façades, il a reçu de Victor Laloux, dont il fut l’élève, un enseignement de très grande qualité dont j’ai pu retrouver les éléments. Il utilisa ce savoir dans beaucoup de ses réalisations, plus particulièrement pour la question du plan dont Laloux disait qu’en son absence « on ne pouvait avoir une seule bonne façade ». Lors de la composition de ces dernières, il s’est inspiré des leçons des maîtres qui lui avaient été enseignées : Leon Battista Alberti, Jean-François Blondel, ou Albert Louvet … C’est ainsi que l’on comprend mieux comment, dans la Guadeloupe des années 1930 dévastée par un terrible cyclone, sans véritables infrastructures, Ali Tur, se déplaçant sur des chemins de terre et de tuf qui levaient la poussière au passage de sa Citroën 5 HP, a pu bâtir une œuvre de cette qualité.


À mon père Isabelle Peltzer, née Tur

Mon Papa bien aimé était un architecte de grand talent. Il a montré son attachement à la Guadeloupe en y laissant une œuvre belle et cohérente, élaborée jusque dans les détails architectoniques : claustras, garde-corps, carrelages, vitraux… D’une grande conscience professionnelle et d’une parfaite honnêteté, il est allé au bout de son œuvre avec constance et acharnement, malgré les difficultés qu’il a rencontrées. Par-dessus tout, il souhaitait que ses bâtiments durent en dépit des aléas et je peux voir aujourd’hui, par ce livre, qu’il y a réussi. Comme lui j’ai eu une enfance sans mère. En outre, il se partageait entre la Guadeloupe et son agence à Paris et j’avais ce chagrin profond de le voir partir souvent et longtemps. Ses retours cependant étaient une fête. De lui, je me rappelle ses nœuds papillons et ses cravates à pois, et ce petit punch qu’il prenait parfois le soir, jusqu’à la fin de sa vie, les yeux perdus dans ses souvenirs. Ce livre lui rend hommage, ce dont je remercie sincèrement son auteur. Mon père en aurait été heureux. 3 - Ali Tur et sa fille Isabelle, Nîmes, janvier 1941

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Ali Tur est né en 18891 à Tunis, qu’il quitte à l’âge de huit mois. Après des études primaires à l’École alsacienne, il entre au lycée Louis-le-Grand ou Henri IV, puis est admis en 1910 à l’École des beaux-arts en section architecture. Il obtient son diplôme en 1920. Officier2 lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, il appartient à cette génération meurtrie, dont les mouvements de l’Histoire n’ont pas toujours laissé au génie le temps de s’exprimer. La Guadeloupe a eu la chance d’accueillir l’œuvre majeure de cet humaniste qui construisit l’école de Morne-Lolo à Marie-Galante, comme le palais du gouverneur de Basse-Terre, avec le même soin et les mêmes envolées architecturales. De 1929 à 1937, il réalise ainsi une centaine de bâtiments gouvernementaux et communaux sur l’archipel guadeloupéen3. Dans le même temps, il édifie des habitations à bon marché (HBM) aux portes de Paris4. Mobilisé lors du conflit de 39-45, puis réquisitionné en mai 1944 pour le Service du travail obligatoire (STO) en Europe de l’Est5, il cesse de fait ses activités. Dans les années 1950, il participe à certains travaux de reconstruction, il a alors plus de soixante ans. Il meurt paisiblement à Paris chez sa fille un matin de 19776, à l’âge de quatre-vingt-huit ans. Ali Tur nous a laissé une œuvre magnifique et nous verrons comment elle a été rendue possible par une éducation et un enseignement pleins de rigueur, par un intense travail, dans une époque transitoire entre l’académisme et la modernité, mais aussi par les bouleversements conjoints de la Première Guerre mondiale et du béton armé.

fils avec lui8. Le 4 janvier 1910, à l’âge de vingt et un ans, Ali Tur entre en seconde classe à l’École des beaux-arts. Son grand-père, Barthélemy Augustin Tur, était conducteur des Ponts et chaussées et son père, Paul Tur (1857-1929), polytechnicien, lauréat d’un deuxième prix d’architecture aux Ponts et Chaussées. Son oncle maternel, Maximilien Raphel (1863-1943)9, dont il restera toujours très proche et chez qui il se réfugiera pendant l’Occupation, avait épousé la sœur de son père, sa tante Madeleine Tur. Élève aux Beaux-Arts de 1883 à 1887, architecte DPLG, il y obtient comme son neveu plus tard, une médaille au concours Godeboeuf en 1886, puis une seconde au Rougevin en 1887. Admis au deuxième essai à concourir au grand prix de Rome le 10 mars 1886, il termina neuvième « logiste » en 1887. On lui doit de nombreuses constructions à Nîmes et dans sa région dont la citadelle dite Maison centrale en 1891, les Hospices de la ville, l’hôpital en 1897, un kiosque à musique en 1899 et le musée des Beaux-Arts de Nîmes en 1902. Quant à son oncle paternel, Auguste Henri Léon François Tur, frère cadet de son père, né le 25 octobre 1858 à Nîmes, il était

UNE LIGNÉE PRESTIGIEUSE Ali Tur a eu alternativement des gouvernantes anglaises et allemandes, ce qui lui permet d’acquérir les deux langues. Sa scolarité s’accomplit tout d’abord à l’École alsacienne, rue d’Assas, de 1895 à 1902, soit de l’âge de six à douze ans, de la dixième à la quatrième où il est entré avec deux ans d’avance. Puis il intègre Louis-le-Grand ou Henri IV, où il obtient ses deux baccalauréats, latin, sciences et philosophie7. En 1906 son père publie un ouvrage sur la voirie urbaine en Amérique, après un assez long séjour aux États-Unis pendant lequel on peut supposer qu’il a emmené son

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4 – Petites maisons pittoresques, villa au Lavandou par Max Raphel, 1924. Le livre dont cette photo est extraite faisait partie de la bibliothèque d’Ali Tur, in Ducher, Petites Maisons pittoresques, Paris, Librairie d’architecture R. Ducher, années 1920


ingénieur architecte, membre de la Commission des travaux publics du Gard, chevalier de la Légion d’honneur et architecte ordinaire des Monuments historiques (MH) du département du Gard du 4 décembre 1902 au 1er janvier 192810. C’est donc sur les traces de sa famille que marche Ali Tur quand il entame des études d’architecture en 1910. Il sera diplômé le 17 novembre 192011.

L’ÉCOLE DES BEAUX-ARTS DU DÉBUT DU XXe SIÈCLE Julien Guadet12 décrit l’École des beaux-arts, constituée d’un ensemble d’ateliers librement créés par les élèves et réunissant à tout moment de l’histoire de l’architecture toutes les positions doctrinales en présence, comme le modèle d’un « enseignement libéral ». Les élèves gèrent en effet eux-mêmes ce système car ils disposent du pouvoir de nommer ou de chasser leur professeur. L’atelier fonctionne avec la masse (celui qui gère ces fonds s’appelle le « massier »13), qui est une caisse commune, gage d’indépendance ; seuls les locaux et le chauffage sont en effet fournis par l’École. Le maître ou patron est le chef de l’atelier. Agissant non comme un professeur mais comme un tuteur, il doit savoir discerner la nature de chaque élève et le guider de façon à développer ses aptitudes et compléter ses points faibles. Une activité pédagogique principale, la pratique du projet d’école, dit « concours d’émulation », permet aux différents ateliers de se confronter sur un programme. Un jury enfin, formé de la réunion des chefs d’atelier, se charge, en distribuant des récompenses, de désigner ceux des projets qui méritent d’être portés à l’attention des élèves. C’est bien ainsi que fonctionne l’École de 1850 à 1950. Mais les débats qui accompagnent crises et scissions, les désignations et, à partir de 1863, les nominations par le gouvernement des trois chefs d’atelier officiels, feront qu’il existe au temps d’Ali Tur quatre sortes d’atelier : les ateliers préparatoires, les ateliers officiels, les nouveaux ateliers et les ateliers libres. L’admission comporte des épreuves d’architecture et de dessin mais aussi de mathématiques et d’histoire ; la préparation de l’examen d’entrée se fait en atelier préparatoire, au contact des

élèves les plus avancés, avec les conseils du maître choisi par l’élève. Indispensable, le « Vignole » est le catéchisme des candidats. Giacomo Barozzi da Vignola (1507-1573), dit Vignole, architecte et théoricien italien de la Renaissance, est l’auteur des Règles des cinq ordres d’architecture, ouvrage appelé plus communément le Vignole. Le type de sujet à l’admission peut par exemple être de concevoir une entrée de catacombes en utilisant un ordre dorique grec. Une fois admis, l’étudiant entre en seconde classe. Il va se former en technique et en architecture, en mathématiques, géométrie, calculs de statique, géométrie descriptive, stéréotomie (science de la coupe des matériaux, pierres ou charpente en bois) et perspective ; il fait des exercices de levés de plans et de nivellement. À l’issue de cette phase technique, il subit l’épreuve

1. Bulletin de naissance, extrait des Registres d’état civil de la ville de Tunis et livret de famille, pièces en possession de la fille d’Ali Tur, Isabelle Peltzer. 2. Dossier Ali Tur au ministère de la Défense. SHD/DAT/8Ye51637. 3. Liste des bâtiments construits en Guadeloupe par Ali Tur établie par M. Robin-Clerc pour la Région Guadeloupe. 4. Ali Tur, Ma plaidoirie, document dactylographié, 1937, p. 4 et 5. ADG/4 Mi 195 1. 5. Certificat établi par la mairie de Bagnac-sur-Célé le 23 mars 1959, pièce en possession de la fille d’Ali Tur, Isabelle Peltzer. 6. Certificat de décès établi par la mairie du 16e arrondissement de Paris, pièce en possession de la fille d’Ali Tur, Isabelle Peltzer. 7. Dossier Ali Tur no 4180. AVP/2327/W39. 8. Paul Tur, La Voirie urbaine en Amérique et l’asphalte américain, Paris, Imprimerie Marcel Picard, 1906, AVP/55DB 51. 9. Notice de Marie-Laure Crosnier-Leconte sur Max Raphel. R. Ducher, Petites Maisons pittoresques, Paris, Librairie d’architecture R. Ducher, Première série, 48 pl. de photos et 6 pl. de plans, Deuxième série, 30 pl. de photos et 20 pl. de plans, Troisième série, 30 pl. de photos et 12 pl. de plans, années 1920. 10. Dossier administratif de François Tur. AN/ F 21 7956. 11. Voir ses feuilles de valeurs en Annexe no 1. 12. Institut français d’architecture, Roger-Henri Expert, 1882-1955, Paris, Éditions du Moniteur, 1983, p. 39-42-70. 13. BMO : carton 400, Victor Laloux.

Ali Tur dans son époque 17


Ali Tur dans son ĂŠpoque 27


EN MÉTROPOLE

Le 5 octobre 1928, à l’âge de trente-neuf ans, Ali Tur gagne un concours de la Ville de Paris pour la réalisation de 120 millions de francs pour des travaux d’habitations à bon marché (HBM) qu’il réalisera de 1929 à 1934. Moins d’un an après, soit le 3 avril 1929, il signe un contrat avec le gouvernement de la Guadeloupe pour lequel il construira de 1929 à 1937 des bâtiments gouvernementaux et communaux pour un montant de 72 millions de francs. De quarante à quarante-sept ans il accomplira ainsi l’essentiel de son œuvre. Auparavant il n’a rien bâti, par la suite il n’assurera que de modestes chantiers. Si les HBM en métropole représentent presque le double des bâtiments construits en Guadeloupe, leur caractère standardisé et répétitif et les impératifs de rentabilité ne laissent que peu de place à la création. L’habitat social dans les années 1930 est cependant accompagné des théories hygiénistes les plus novatrices et utilise les techniques les plus modernes : le béton armé et la standardisation. Il place par ailleurs l’être humain au cœur des préoccupations. Ce sera une très bonne école pour Ali Tur.

Ali TUR EN CONCOURS C’est en juin 1928 que la Ville de Paris met en concurrence des groupements concepteurs-constructeurs en vue de bâtir des immeubles de trois niveaux de confort (confort réduit, moyen et complet), aux prix de location d’un maximum déterminé, dans le cadre de la loi Loucheur du 13 juillet 1928. Ces opérations se situent sur les terrains de la ceinture de fortifications de Paris déclassés par la loi du 19 avril 1919. Les HBM parisiennes se situent sur ces terrains, une délibération du Conseil municipal du 29 décembre 1923, approuvée par arrêté préfectoral du 30 janvier 1924, a en effet réservé à l’Office public d’habitations à bon marché de la Ville de Paris (OPHBM) un certain nombre de zones en faisant partie. Les groupes d’habitations ainsi réalisés porteront le numéro de l’ancien bastion le plus proche. La date de remise du concours, successivement reportée au 15 septembre puis au 1er octobre 1928, est fixée en définitive au 15 novembre de la même année. Le consortium des entreprises Vandewalle, Gilquin, Gianotti, Borie et Mège, avec pour architecte

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Ali Tur, a été retenu dans la catégorie « confort moyen »1. L’architecte n’apparaît que comme sous-traitant de l’entreprise, sans contrôle des chantiers2. Ce volet de travaux, représentant 120 millions de francs, est réalisé entre 1930 et 1934, et se compose des bâtiments suivants : 1. L’immeuble du boulevard Soult, réalisé entre 1930 et 1932, est inclus dans un carré constitué des 74-80, boulevard Soult, 1-3, avenue Courteline, 1-7, avenue Lamoricière, 4-8, rue Changarnier, et se situe dans le 12e arrondissement de Paris à la porte de SaintMandé. C’est un immeuble à confort moyen de cinq bâtiments et de 231 logements. Il constitue le lot no 1 du bastion 9 du plan d’ensemble des HBM-ILM (habitations à bon marché – immeubles à loyer modéré ou moyen). Il a fait l’objet d’un marché de travaux le 19 juin 1930 avec la Compagnie de constructions générales et de travaux publics. Il sera réceptionné de décembre 1931 à février 1932. Le montant des travaux est de 26 750 000 francs. La surface des bâtiments est de 3 841 m2 au total. Il est géré aujourd’hui par la Régie immobilière de la Ville de Paris, division centre. 2. L’ensemble immobilier de la place du Général Stéfanik3 à proximité de la porte de Saint-Cloud, est inclus dans un carré constitué des 3 et 5, place du Général Stéfanik, 3, 5 et 7, rue du Général Roques, 31, avenue du Parc des Princes, et 8, 10, 12 et 14, place du Docteur Paul Michaux, dans le 16e arrondissement de Paris. Les travaux, commencés en août 1932, sont achevés en avril 1934. C’est un immeuble à loyer moyen de 500 logements. Il correspond à l’îlot no 6 des bastions 64 et 65 du plan d’ensemble des HBM-ILM. Il est aujourd’hui géré par la Société de gérance d’immeubles municipaux. 3. L’HBM du Point-du-Jour qui se situe à la porte du Point-duJour, d’où sa dénomination. Il est inclus dans un carré constitué

1. La Petite Architecture, 8e année, no 5, 1er mai 1929. 2. Marie-Jeanne Dumont, Le Logement social à Paris, 1850-1930, Liège, Mardaga, 1991, p. 170-171. 3. AVP/VM/59/16.


14 - Immeuble Stéfanik. Dessin d’Ali Tur. Archives de la Ville de Paris, Pérotin/10653 117


2. L’IMMEUBLE PLACE DU GÉNÉRAL STÉFANIK


D’Ali TUR EN GUADELOUPE À son arrivée en Guadeloupe, Ali Tur découvre un pays dévasté par le cyclone de 1928. En huit ans, il va réaliser à la fois le programme et la construction d’une centaine de bâtiments dans une unité architecturale de style Art déco pour un montant de 72 millions de francs. Les cyclones, les tremblements de terre et les incendies qui se sont succédé sur l’île depuis sa prise de possession par la France en 1635 font qu’il ne dispose que de peu de références locales. L’architecte va devoir puiser dans l’enseignement qu’il a reçu et dans les idées du courant moderniste alors rayonnant dans les colonies, les capacités de mener à bien sa mission.

L’INSTALLATION D’UNE ÉQUIPE STRUCTURÉE Ali Tur s’embarque le 14 mars 1929 à Saint-Nazaire, accompagné du gouverneur Tellier, et arrive à Basse-Terre le lundi 25 mars 1929, avec Ch. Bourdais, Edmond Mercier et sa voiture, une petite 5 HP Citroën. Il a précisé d’emblée au gouverneur qu’il lui serait impossible de « quitter personnellement » son bureau de Paris, qui représentait pour lui le centre de ses affaires et où il avait le vaste programme d’habitation à bon marché à réaliser pour la Ville de Paris. Aussi a-t-il fait inscrire à l’article 2 de son contrat1 qu’il s’engageait à créer et à maintenir sur place à ses frais une annexe de son bureau parisien dont le directeur et, si nécessaire, le directeur adjoint, le représenteraient et l’engageraient valablement. Ce bureau a pour première adresse le 29, rue Achille René-Boisneuf à Pointe-à-Pitre ; au 4 août 1932, l’en-tête du papier de l’agence se présente ainsi : M. Bourdais, ingénieur ECP directeur de l’agence de M. Tur à Pointe-à-Pitre, et en son absence M. Auguste Duval, architecte DPLG, directeur adjoint. On voit, sur un rapport de l’inspecteur général Muller du 9 juin 19332, que le directeur en est toujours Ch. Bourdais, ingénieur des Arts et Manufactures, et le chef du bureau d’études Edmond Mercier, architecte DPLG (ENSBA). Y sont également mentionnés Mlle P. Panur, dactylographe-comptable, un commis, un architecte-dessinateur, M. Chabana, un dessinateur d’études, M. Paris, élève de l’École des arts décoratifs, un vérificateur-architecte, M. Dionisius, ancien élève de l’École des travaux publics, et un

36 GUADELOUPE ANNÉES 30 – Ali TUR

géomètre inspecteur, M. Molinier, diplômé des Arts et Métiers de Lille, ex-capitaine du génie. Le 24 avril 1933, Dionisius remplace Ali Tur à l’adjudication de la mairie des Abymes ; à son tour, Bourdais le représentera le 5 juin 1934 à l’adjudication des travaux de l’école de la rue Carangaise à Capesterre Belle-Eau. En 1936, le bureau d’Ali Tur se trouve désormais au 13, rue Delgrès, avec pour nouveau directeur R. Molinier, ingénieur des Arts et Métiers.

UNE PRÉSENCE PÉRIODIQUE Présent depuis le 25 mars 1929 à Basse-Terre, Ali Tur ne séjourne dans l’île que par intermittence. Le décès de son père le 20 septembre 1929, inhumé le 3 octobre, ne semble pas avoir entraîné son retour en métropole. Mais l’année suivante, le 19 février 1930, Ali Tur quitte la Guadeloupe via Trinidad pour Cherbourg où il arrive le 14 mars. Il se marie à Paris le 16 juin de la même année. Le 11 septembre, l’architecte fait paraître une annonce dans le Bulletin de la SADG pour embaucher un dessinateur. Un retour en Guadeloupe en 1931 n’est pas à exclure, mais il travaillait plus probablement alors à ses programmes d’habitations à bon marché. À la naissance de sa fille Isabelle, le 17 avril 1932, il occupe sa résidence du quai Voltaire. Le décès de sa femme Jacqueline, survenu le 22 janvier 1933, atteste de sa présence dans la capitale. Du 1er au 14 avril, Ali Tur accomplit une période d’exercices au SROT (Section de repérage par l’observation terrestre). Puis, du 13 au 18 mai, il se rend à Ouarzazat au Maroc pour un voyage d’agrément3. Durant l’année 1934, un séjour en Guadeloupe semble improbable car l’architecte termine d’importants travaux pour la Ville de Paris. Le 19 janvier 1935, il met en location son appartement de la rue des Saints-Pères, depuis Paris. La même année, il accomplit une nouvelle période d’exercices au SROT, du 20 février au 12 mars. On perd ensuite sa trace jusqu’au 28 février 1937, date à laquelle il se rend dans les locaux du journal La Démocratie sociale. Un nouveau voyage, accompagné de l’expert Marc Brillaud de Laujardière, le conduit en Guadeloupe du 25 novembre 1937 au 20 janvier 19384. Il y reviendra du 1er novembre au 10 décembre 19385 afin de prononcer sa plaidoirie6.


27 - Famille Guerino Diligenti en 1928. Source : son fils Georges Diligenti

On est donc certain qu’Ali Tur était présent en Guadeloupe du 22 mars 1929 au 18 février 1930, autour de février 1937, du 25 novembre 1937 au 20 janvier 1938 et du 1er novembre au 10 décembre 1938. Selon Georges Diligenti, l’architecte pourrait s’y être rendu également en 1935, pendant le chantier de l’hôpital.

LES ENTREPRISES DE LA RECONSTRUCTION Lorsque Ali Tur arrive en Guadeloupe, une entreprise de BTP, qui compte parmi les membres de son conseil d’administration des conseillers généraux de la Guadeloupe, réalise la presque totalité des travaux publics de l’île. Cette société prépare les plans et marchés de l’administration et exécute, sous le contrôle des agents du service local des Travaux publics, les travaux étudiés bien souvent par elle. Ce fait est confirmé par Léon-Ernest Muller dans son rapport du 19 janvier 19297, qui souligne la nécessité de mettre un terme au monopole de fait dont jouit la Société d’entreprises industrielles de la Guadeloupe (SEI) en matière de travaux publics pour le compte de la colonie. Ali Tur établira des séries de prix en accord avec l’administration en fonction des coûts de revient observés sur place et réduira la dépense pour les marchés, parfois jusqu’au septième. Lors de la première adjudication, le 26 juillet 1930, celle du palais de justice de Pointe-à-Pitre, la SEI demande une majoration du prix forfaitaire proposé par Ali Tur. Mais selon l’usage introduit par ce dernier, l’adjudication sera désormais faite à l’entrepreneur concédant le rabais le plus important sur le forfait proposé, généralement entre 5 et 10 % ; c’est ainsi que Guerino Diligenti obtient son premier chantier avec Ali Tur. La main-d’œuvre qualifiée, charpente et menuiserie mises à part, est alors pratiquement inexistante en Guadeloupe. Les ouvriers et les entreprises feront leurs classes sur les chantiers et sous l’autorité d’Ali Tur. Si, à la fin des années 1920, on reconnaît à l’ouvrier guadeloupéen une certaine « valeur », on estime cependant indispensable le recours à des officiers et soldats du génie militaire pour la reconstruction. Dans le numéro du 13 octobre 1928 du Nouvelliste, on apprend ainsi qu’un premier contingent de sapeurs doit embarquer à la fin du mois. Toutefois le numéro du 19 février 1929 précise que le génie est seulement affecté à

la construction des routes. Muller, dans son rapport de 1928, ne peut d’ailleurs que constater l’absence de main-d’œuvre spécialisée en béton armé à la Guadeloupe. Guerino Diligenti était un entrepreneur italien du Piémont qui avait servi sous le drapeau français pendant la Grande Guerre. En 1928, apprenant par la presse qu’à la suite du cyclone des crédits ont été votés pour la reconstruction de la Guadeloupe, il s’y rend par bateau, laissant à Saint-Étienne sa femme et son fils Georges. Il déclarera par la suite que s’il avait pu repartir à peine débarqué, il l’aurait fait, tant Pointe-à-Pitre était dévastée. Selon ses dires, des bateaux à vapeur gisaient au cœur de la ville. Faute d’hôtel où se loger, pendant plusieurs jours il dort sur une table de restaurant en songeant qu’il n’y a pas ici d’avenir pour lui. Mais l’avenir justement lui donne tort. Il fait appel à des ouvriers qualifiés du nord de l’Italie, dont un chef de travaux, Cesar Perino. L’entreprise Diligenti, encore dénommée Entreprise générale de bâtiments et travaux publics à ses tout débuts, réalise ainsi successivement le palais de justice de Pointe-à-Pitre, le palais du gouverneur, le conseil général et le palais de justice de Basse-Terre, l’hôpital de Pointe-à-Pitre, l’ensemble du Lamentin puis la gendarmerie, le presbytère, l’église, la mairie et l’école de Fontarabie à Petit-Bourg. Guerino Diligenti assurera aussi les travaux d’empierrement de la route de Sainte-Rose pour 500 000 francs. La Société d’entreprises industrielles de la Guadeloupe (SEI), avec pour directeur Louis Pravaz, exécute quant à elle l’église 1. Voir Annexe no 2 : Le contrat Tur. 2. FM/1TP/carton 440/29 : Rapport de mission de Muller concernant l’examen du contrat Tur et le fonctionnement du service d’architecture. 3. Dossier Ali Tur à la SFA. 4. Ibid. 5. ADG, Versement du secrétariat du greffe du tribunal administratif de Basse-Terre, carton 4963, dossier no 114. 6. Ali Tur, « Ma plaidoirie », document dactylographié, 1938, 340 p. ADG/4 Mi 195/1. 7. FM/1TP/carton 440 : 22 et 23 : Rapports de Muller concernant les immeubles détruits par le cyclone de 1928, 1928-1929.

Les conditions de l’intervention d’Ali Tur en Guadeloupe 37



HUIT ANS POUR REBÂTIR

Comme il le rappelle dans le préambule de sa plaidoirie, Ali Tur a toujours considéré la Guadeloupe comme une fraction, simplement plus éloignée dans l’espace, mais aussi chère que toutes les autres, de sa patrie. C’est pourquoi il a mis dans son œuvre toutes ses forces, son art et son âme. Nous allons voir comment il a, très sérieusement, porté à l’œuvre de reconstruction ses connaissances, son humanisme et ses qualités d’artiste.

UN HOMME COMPLET L’urbaniste L’œuvre urbanistique d’Ali Tur a trouvé sa plus belle expression au Lamentin avec la réalisation du square de la mairie entouré de la mairie, du presbytère, de l’école, de l’église et du tribunal. Mais l’architecte a aussi beaucoup œuvré pour que la mairie de Capesterre Belle-Eau, de par son orientation perpendiculaire au

30 - Ensemble du Lamentin, Ali Tur, 1933

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littoral, ouvre la ville sur la mer et non pas qu’elle lui tourne le dos. Le 25 janvier 19331 en effet, la commission d’urbanisme de la ville se prononce à l’unanimité pour le projet Ali Tur. Ce jour-là, Ch. Bourdais, représentant l’architecte, réaffirme les avantages d’une telle implantation : un prolongement de l’avenue de l’église et une ouverture du bourg sur la mer, permettant l’aménagement d’un coquet square. Succédant à Bourdais, M. Jalet et M. Jeannot réfutent tour à tour et non sans véhémence le projet en question, insistant surtout sur l’inconvénient fort grave d’avoir la façade principale du nouvel édifice sur une avenue au lieu qu’elle ne donne sur la principale rue du Bourg. Mais MM. Nadal et Edmond se déclarent partisans de l’implantation Ali Tur, après l’avoir combattue, s’étant depuis pénétrés des avantages du nouveau projet. Le plan Ali Tur est alors adopté. En l’occurrence, pourtant, Ali Tur a peut-être fait une erreur d’implantation car ce choix n’a pas ouvert la ville sur la mer, comme il le souhaitait, cette dernière étant située en contrebas de 7 à 8 mètres. Il aurait été plus urbain que la façade principale de la mairie soit


31 - Mairie de Capesterre Belle-Eau, 1948

32 - Ensemble urbain de Capesterre Belle-Eau, Ali Tur, 1934. Extrait cadastral, 2010

face à l’église, pour constituer ainsi un ensemble autour de la place, avec le marché et le monument aux morts. Aujourd’hui l’entrée de la mairie a un caractère excentré, presque confidentiel. On doit aussi à Ali Tur les plans d’extension des villes de PetitBourg2, de Pointe-à-Pitre3 et de Fort-de-France4, projets qui ne furent jamais réalisés. Sur celui de Pointe-à-Pitre, on peut remarquer que le tracé rocade est dessiné dans sa forme actuelle depuis le carrefour Blanchard, mais qu’il se rabat ensuite au niveau du cimetière de Bergevin sans aller jusqu’au carrefour Grand-Camp.

L’architecte L’art de la composition5 Selon Albert Louvet, dont l’ouvrage était une des références des élèves des Beaux-Arts, l’architecte est l’artiste qui compose les édifices, en détermine les proportions, les distributions et la décoration, celui qui les fait exécuter sous ses ordres et en règle la dépense. Il doit avoir des qualités techniques et artistiques. Il lui faut d’abord connaître la théorie mathématique de la construction, être capable de calculer tous les éléments d’un édifice. Il doit de plus posséder des connaissances en physique, en chimie et en minéralogie ; une expérience pratique, des qualités administratives en gestion, en comptabilité et en droit lui sont également indispensables. Mais, au niveau artistique, ce qui distingue l’architecte du décorateur et du constructeur, c’est l’art de la composition : autrement dit beaucoup de bon sens, de la mesure, de la logique, du goût, tant pour une construction modeste que pour un ensemble important. Composer c’est d’abord disposer les divers éléments d’un plan, mettre chaque chose à sa place, et lorsqu’ils le sont, les manier avec adresse, les souder habilement, trouver d’heureuses proportions, ménager des perspectives et des vues, inventer des arrangements gracieux et imprévus. Il faut former des dispositions somptueuses s’il s’agit d’un palais, être majestueux et grave pour une église, faire large et simple si l’on construit un hôpital ou un collège, être ingénieux et varié si l’on bâtit une villa. Ces qualités de composition doivent se trouver au même degré

dans tous les éléments d’un monument, que ce soit pour les façades ou pour les intérieurs . Il faut balancer convenablement les pleins et les vides, donner à chaque détail de construction et de décoration sa place et son importance, et faire coordonner avec le plan l’aspect extérieur de l’édifice. La décoration ne doit s’appliquer que sur un monument d’abord disposé avec art, logique et mesure dans toutes ses parties, sortir en quelque sorte de la composition même. Une bonne composition doit éviter les pièces mal éclairées, les vestibules et les escaliers noirs, les coins perdus. Les exemples que donne Louvet pour l’art de la composition sont les plans issus de L’Architecture française, ou Recueil de plans, d’élévations, coupes et profils, en quatre volumes, de l’architecte Blondel, et l’Opéra de Paris. Concernant l’Opéra Garnier, Louvet sépare l’art de la composition et des proportions, qui ont selon lui parfaitement répondu au programme, des formes décoratives, discutables dans le détail. Il cite d’autres exemples, tels l’hôtel des Invalides et sa noble simplicité, les Halles centrales, adaptation franche et neuve de la composition à un programme utilitaire, le château de Versailles, d’une composition à la fois ordonnée et pleine d’imprévus, ou encore la place de la Concorde et son unité. Mais à ses yeux une composition raisonnée ne signifie pas sèche rectitude et ennui. La composition en effet ne suffit pas, il faut aussi que l’architecte possède des qualités artistiques d’étude et de décoration. Ainsi le restaurant Duval situé rue de Montesquieu à Paris a selon lui une

1. Inc 124/4 ADG. Extrait de la délibération du 25 février 1933. 2. Évêché de Basse-Terre, dossier historique de Petit-Bourg. 3. Ali Tur, Architecture coloniale Guadeloupe, Paris, Albert Morancé, s.d. 4. « France d’outre-mer », L’Architecture d’aujourd’hui, 1936, 7e année, no 3, mars 1936, p. 86. 5. Albert Louvet, L’Art d’architecture et la profession d’architecte, Paris, Librairie de la Construction moderne, 1910-1913, t. 1, La Formation de l’architecte, t. 2, L’Exercice de la profession.

Huit ans pour rebâtir 49


61 - Mairie du Baillif

62 - Église de Petit-Bourg

64 - Marie du Lamentin

63 - Tribunal de Port-Louis

Huit ans pour rebâtir 61



84



114 - Façade du palais de justice de Pointe-à-Pitre. Dessin d’Ali Tur


DANS LES PAYS D’OUTRE-MER Il serait réducteur de parler pour les années 1930 des seules colonies. En effet, les pays d’outre-mer1, selon l’expression de Vivier de Streel, comprennent les protectorats, les territoires sous mandat et les colonies2. L’architecture qui s’y développe dans l’entredeux-guerres, tout à fait originale, témoigne d’une grande unité. En urbanisme comme en architecture, les recherches en Occident et dans les colonies vont aller de pair. Concernant les bâtiments, il s’agit surtout pour les puissances occidentales d’exporter leurs valeurs tout en construisant rapidement, à l’économie, et avec des matériaux résistant au climat et aux termites. Mais un métissage imprévu se produit : si les façades de l’église de Petit-Bourg ou l’horloge du marché de Basse-Terre sont arabisantes, ce n’est pas parce qu’Ali Tur a vécu les huit premiers mois de sa vie à Tunis ni à cause de son prénom, mais bien en raison d’un flux et reflux entre l’architecture des colonies et celle de la métropole, d’une interpénétration des cultures et des pratiques. Le même phénomène interviendra par exemple entre la Californie aux ÉtatsUnis et les Philippines. Quand Ali Tur se voit confier le programme de reconstruction de la Guadeloupe, les architectes français sont depuis longtemps à l’œuvre dans les colonies, que ce soit en Afrique ou en Asie du Sud-Est.

ailleurs de la création du Groupe algérien qui lui est rattaché avec pour président, en 1933, Marcel Lathuillière. Le 15 juillet 1936, Ali Tur en devient adhérent. La SAM, par la voix d’Emmanuel de Thubert, énonce les maîtres mots de l’architecture moderne : caractère, beauté et style. Le caractère en est atteint par la conformité des matériaux avec le plan et du plan avec le programme ; le style par la répartition des pleins et des vides, de l’ossature et du remplissage et la beauté par la coordination et le rythme entre les différentes parties d’un bâtiment. Le ciment armé, matériau de cette architecture, étant « scientifique », il est aussi pour la SAM un moyen de servir l’unité entre les nations comme entre les individus, car il entraîne des formes assez constantes d’une construction à l’autre5. L’architecte doit être considéré non plus comme un créateur d’ornement, comme en 1900, mais comme un inventeur de structures, un savant autant qu’un artiste. Thubert oppose à l’idée qu’il faille bannir des façades tout mouvement et retirer de l’intérieur du bâtiment tout ce qui n’est pas strictement nécessaire afin d’arriver au « mur nu », la pensée d’Henri Sauvage pour qui l’on ne peut vivre longtemps dans une demeure froide et dépouillée de toute fantaisie. Ainsi c’est le sentiment, l’émotion ou la sensibilité qui vont permettre à l’architecte de ne pas confondre la nudité architecturale avec la simplicité et la clarté.

L’EXPÉRIENCE FRANÇAISE

L’Exposition de 1931

L’architecture des années 1930

Le premier vote du Parlement relatif à l’Exposition coloniale remonte à 1919. La crise du franc et la crise économique ont repoussé chaque fois cette manifestation qui aurait dû avoir lieu en 1929 mais qui fut à nouveau reportée par son commissaire général, le maréchal Lyautey6, pour se tenir finalement à Vincennes du 6 mai au 15 novembre 1931. Une telle exposition présente un caractère inédit. Albert Duchêne, commissaire de la section Rétrospective, écrit à ce propos : « Dans une exposition coloniale, c’est le présent qu’on veut offrir au public. Avant tout, on cherche à l’intéresser à des résultats acquis, existants, réels, en même temps qu’à des promesses d’avenir. Dans notre pays, au milieu des polémiques courantes, on voulait aussi montrer que la politique suivie depuis une quarantaine d’années n’avait pas été stérile7. »

La Société des architectes modernes (SAM)3 est fondée en 1922 par Hector Guimard, en pleine phase de préparation de l’Exposition internationale de 1925, définie par le rapport Carnot comme devant être exclusivement d’art moderne. L’article 2 des statuts de la SAM déclare ainsi : « Le Groupe demande à tous ses adhérents de construire selon les principes de l’esthétique moderne, à l’exclusion de tout pastiche et de toute reproduction de styles anciens, chaque fois qu’ils n’en seront pas empêchés par une nécessité absolue4. » Parmi ses membres figurent entre autres Mallet-Stevens, Henri Sauvage, Prost, Perret, Jourdain, son président en 1933, Marrast, Favier, Expert, mais aussi Letrosne. La SAM est à l’origine par

96 GUADELOUPE ANNÉES 30 – Ali TUR


Dans l’opuscule qu’il a préfacé, Henry Bérenger, président du Comité central exécutif d’organisation du palais des Beaux-Arts pour l’Exposition, donne l’ambiance de l’époque autour de cette manifestation. Art et colonie sont pour lui indissociables, les attributs essentiels de tout art – l’originalité, la nouveauté, la révélation – étant à son sens ceux de tout colonialisme. L’artiste et le colonial sont selon lui des « chercheurs d’inconnu, des inventeurs de nouveau8 ». Aujourd’hui on imagine mal ce que pouvaient représenter les colonies en termes de sources de « rajeunissement et de beauté » pour la déjà vieille Europe, mais la France d’outre-mer est alors présente sur les cinq continents, avec ses colonies d’Afrique, d’Asie, de l’Insulinde (Asie du Sud-Est insulaire), d’Océanie et d’Amérique. Selon Bérenger, « l’énorme et splendide substance de sensations, de sentiments, d’idées qui naît chaque jour de notre empire colonial, chaque jour aussi s’incorpore dans notre esthétique française ». Il prend en exemple Gros et Géricault peignant l’Orient historique, Delacroix inspiré par l’Asie Mineure qui devient à ses yeux le maître du « romantisme colonial », Fromentin qui passe un été dans le Sahel en 1846 et décrit la qualité de la lumière, pendant que Chassériau visite Alger et que Guillaumet s’entiche du Sahara algérien en 1862. Quant à Auguste Renoir, qualifié d’« impressionniste colonial » par Bérenger, il peindra à Alger la blanche en 1881 et 1882. Paul Gauguin, lui, le fera aux Antilles, à Tahiti et aux Marquises à la fin du siècle. À l’intérieur de cette brochure, sont citées les œuvres des artistes exposés au palais des Beaux-Arts, dont le comité exécutif de la section architecture se compose de Marrast, Laprade, Mazeau et Charles Duval. Cette section expose, principalement sous forme de photos, les ouvrages de Marius Boyer dont son cercle des officiers de Casablanca, la banque d’État de Cadet et Brion à Marrakech, divers immeubles de Laforgue, Lescure, Marchisio, Marrast, Tournon et Prost au Maroc, ainsi que onze œuvres d’Ali Tur en Guadeloupe. Le numéro de L’Illustration consacré à l’événement9 donne la parole au maréchal Lyautey ; pour ce dernier, l’Exposition est une œuvre de paix, et l’action coloniale permet « de réaliser une notion de solidarité humaine, au milieu des déchirements et des ruines ». Il ajoute : « Coloniser ce n’est pas uniquement, en effet, construire des quais, des usines ou des voies ferrées ; c’est aussi gagner à la douceur humaine les cœurs farouches de la savane ou du désert. »

Dans ce même numéro, Pierre Deloncle, réfutant les objections de certains intellectuels et politiciens annonciatrices d’une faillite ou d’un crépuscule de l’Occident, affirme que les grandes nations européennes ne sont pas prêtes à renoncer à la mission civilisatrice qu’elles ont assumée jusque-là. Le pavillon de la Guadeloupe réalisé par Ali Tur est ainsi décrit dans L’Illustration : « La très basse construction de la Guadeloupe est entourée d’une véranda qui s’incurve autour d’une crique simulée par un bassin. » Dans le numéro suivant de la revue, consacré à cette même Exposition10, on peut voir une photographie de l’intérieur de ce pavillon avec ses trois niveaux de ventilation en toiture en claustras de béton, une vue de la galerie couverte aux toits arrondis posés sur des piliers cylindriques et une autre du phare central. C’est le seul pavillon dessiné dans un sobre style Art déco, tous les autres étant chargés d’exotisme, en dépit des efforts de Lyautey pour éviter à l’Exposition ce côté « vulgaire »11 ; l’architecture la plus brouillée est à cet égard celle du pavillon de la Martinique qui affiche à la fois une coupole, des colonnes et des ananas sculptés, selon une

1. Edmond du Vivier de Streel, Jean Royer, L’Urbanisme aux colonies et dans les pays tropicaux, Nevers, Fortin, La Charité-sur-Loire, Delayance, t. I, 1932, t. II, 1932-1935, p. 10. 2. Simone Gille-Delafon, « Le Centre colonial de l’Exposition de 1937 », La Construction moderne, 1938, 53e année, no 13, 16 janvier 1938, p. 224-230, ici p. 225. 3. Société des architectes modernes (S.A.M.), no 1, juillet-octobre 1936. 4. « L’Exposition d’urbanisme et d’architecture moderne d’Alger », Chantiers, Revue mensuelle illustrée des arts, de la construction en Afrique du Nord, 1933, no 3 spécial, mars 1933, p. 291. 5. La Cité moderne, 1931, 11e année, no 11, 11 juin 1931. 6. La Petite Architecture, 6e année, no 10, 1er novembre 1927. 7. Albert Duchêne, Exposition coloniale internationale de Paris, Paris, 1931. 8. Henry Bérenger, Exposition coloniale internationale de Paris, Beaux-Arts, Paris, Éditeur scientifique, 1931. 9. « L’Exposition coloniale », L’Illustration, 89e année, no 4603, 23 mai 1931, n.p. 10. « L’Exposition coloniale », L’Illustration, 89e année, no 4608, 27 juin 1931, n.p. 11. Patricia A. Morton, Hybrid Modernities, Architecture and Representation at the 1931 Colonial Exposition, Paris, Massachusetts, MIT, 2000, p. 5.

L’architecture des années 1930 dans les pays d’outre-mer 97



DEVANT LA JUSTICE

Le député Gratien Candace, dès l’arrivée d’Ali Tur en Guadeloupe, lança sur l’île une campagne de dénigrement de l’architecte par l’entremise de son journal, La Démocratie sociale. Il fit de même en métropole dans La Dépêche coloniale. Ce n’est pas sans rapport à mon sens avec les deux actions judiciaires que subira Ali Tur. La première émanera en 1934 d’Ali Tur, auquel la colonie refusera de payer une partie de ses honoraires, et la seconde sera initiée par la circulaire du 4 mai 1942 signée du chef de la colonie, le gouverneur Constant Sorin, engageant vivement les communes, pour sauvegarder leurs intérêts, à introduire d’urgence une instance au conseil du contentieux contre l’architecte et ses entreprises. De même, le 20 mai 1942, Sorin désignera Gérard Robert, chef du service des travaux publics, pour introduire et soutenir, pour le compte du gouvernement, et devant le conseil du contentieux, des instances en responsabilité décennale contre Ali Tur et divers entrepreneurs1. L’architecte ne dispose plus alors des appuis et soutiens sur lesquels il pouvait compter naguère. Georges Gubiand, ingénieur des Ponts et Chaussées, inspecteur général au ministère des Colonies et ami et collègue du père d’Ali Tur, est décédé en 1930. Quant au gouverneur Tellier, il est parti à la retraite en 1932. Pourtant l’architecte obtiendra satisfaction par deux fois.

LE PROCÈS POUR NON PAIEMENT DE SES HONORAIRES Il avait été confié à Ali Tur par contrat2 du 3 avril 1929 un minimum de travaux de 10 millions de francs par an en moyenne pendant quatre ans, soit un total de 40 millions de francs. Ainsi ses honoraires, fixés à 5 % du montant des travaux, ne pouvaient en aucun cas être inférieurs à 2 millions. Les constructions réalisées pour l’État ne dépassèrent pas les 22 millions de francs et l’administration pallia les conséquences de cette situation nouvelle par deux avenants, en date des 9 janvier et 17 février 19303, qui vinrent modifier le préambule du contrat : « 1o – La Colonie de la Guadeloupe et dépendances, représentée par Monsieur Tellier, Gouverneur des Colonies », de façon que le gouverneur de la Guadeloupe n’agisse plus seulement au nom de l’État mais aussi au nom de la colonie, et que des travaux imputables au budget

120 GUADELOUPE ANNÉES 30 – Ali TUR

local se trouvent ainsi placés sous la direction de l’architecte. Mais les ressources de la Colonie ne lui permirent d’affecter par la suite à ces travaux que 8 millions, ce qui porta à 30 millions seulement le montant total des travaux exécutés dans le cadre du contrat Tur. À ces travaux et à diverses études demandées par l’administration correspond en 1935 une rémunération de 1 400 000 francs. Le contrat ayant garanti à l’architecte 2 millions d’honoraires en quatre ans, l’État et la colonie restaient donc redevables solidairement envers ce dernier, au 3 avril 1933, de plus de 600 000 francs. Le 23 mai 1934, Ali Tur intente une action envers la colonie en raison de l’insuffisance du montant des travaux. Il réclame le paiement de la somme au conseil général, représentant la colonie, qui se refuse alors à voter le crédit nécessaire et, le 30 novembre 1934, attaque à son tour l’architecte en responsabilité au titre de la garantie décennale. Selon l’article 7 du contrat du 3 avril 1929, Ali Tur était libre de se charger de projets et de travaux pour le compte des communes ou des particuliers. Il a ainsi dirigé pour le compte des communes des travaux dont le montant s’est élevé à environ 40 millions de francs, soit 2 million de francs d’honoraires. Si le gouverneur, comme il l’avait déjà fait pour des travaux intéressant le budget local, avait inclus l’ensemble des travaux communaux dans le cadre du contrat du 3 avril 1929 – il suffisait pour cela d’un simple avenant –, l’État et la colonie ne se seraient pas vu réclamer cette somme de 600 000 francs qui ne correspondait à aucun travail effectif. L’affaire est alors portée par le conseil général pour la colonie devant le tribunal administratif. Par son arrêt du 7 mai 1935, le contentieux administratif ordonne une expertise des bâtiments Tur, « en demande reconventionnelle au titre de la garantie décennale », au titre de « la responsabilité légale de tous travaux exécutés par lui » de l’article 4 de son contrat. On comprend bien que la colonie, pour ne pas payer à Ali Tur la somme qu’il réclame, l’attaque en garantie afin de tenter d’imputer à l’architecte tous les désordres des constructions, dus pour la plupart à un manque d’entretien et aux défauts de la nature des produits d’étanchéité des toitures-terrasses imposées. Ali Tur sollicite Auguste Perret afin de réaliser ce rapport4 mais ce dernier refuse car il dit souffrir de paludisme et recommande au ministère des Colonies M. H. Brillaud de Laujardière, demeurant 7 quai Voltaire à Paris5, qui accepte.


Ali Tur dans son ĂŠpoque 129


D’Ali TUR EN GUADELOUPE L’architecture développée dans les pays d’outre-mer sera qualifiée au fil des années par les termes suivants : occidentale, internationale, éclectique, cosmopolite, hybride, syncrétique, créole, métisse, européenne outre-mer, tropicale, climatique, ou, plus récemment, « localiste ». Dans les années 1930 elle n’est que coloniale et, d’origine exogène, elle reste cependant un lieu où se créent des rapports et des échanges. Ali Tur est arrivé en Guadeloupe plein de bonnes intentions. Sa présence et ses ouvrages seront rejetés par les politiques de manière particulièrement violente, les acteurs locaux ignorant l’œuvre exceptionnelle bâtie par Ali Tur sur leur territoire. Il s’agissait seulement pour eux de combattre cette intrusion étrangère, avec d’autant plus de force peut-être que ses réalisations étaient belles. Ainsi dans un article publié dans La Démocratie sociale en 1937, le rédacteur en chef Denis Méry précise que les « pauvres gens » de Guadeloupe ne se sont pas contentés de « rester béats devant la magnificence des constructions Tur1 » mais qu’ils ont su en voir les défauts. Aujourd’hui encore l’acte d’intégration n’est pas achevé et la méfiance vis-à-vis de tout ce qui n’est pas insulaire filtre encore le regard porté par les Guadeloupéens sur cette œuvre.

LES DÉBATS AUTOUR DE L’ARCHITECTURE COLONIALE DES ANNÉES 1930 L’opposition à l’Exposition coloniale de 1931 La France a voulu à cette occasion mettre en scène la « mission civilisatrice » de l’architecture dans les colonies2. Celle-ci a en effet, ainsi scénarisée, la double fonction de représenter le pouvoir colonial français et les différentes sociétés colonisées de l’empire. Mais cette « foire » a de fait des buts économiques, elle est organisée alors que la crise de 1929 a rendu les colonies indispensables en termes de commerce. L’opposition anticoloniale qu’elle va générer sera très importante : Léon Blum en tête, les partis de gauche, communistes ou socialistes, critiquent l’ambiance frivole et vaine de cette manifestation. Louis Aragon, dans son poème « Mars à Vincennes », compose quelques vers sanglants, tels

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« Barbe excrémentielle des Gouverneurs » ou « Soleil des esclaves numérotés » . Cette Exposition apparaît à ses opposants comme une justification de la colonisation et tous les surréalistes, d’André Breton à Paul Eluard, distribuent tracts et pamphlets. Ils montent une Exposition anti-impérialiste en septembre 1931 dans le pavillon constructiviste de Melnikov, édifié pour l’URSS à l’Exposition des arts décoratifs de 1925, et vont jusqu’à se réjouir de l’incendie du pavillon des Indes néerlandaises. Le député Gratien Candace se plaint auprès de Lyautey que l’un de ses compatriotes, Fernand Balin, employé au pavillon de la Guadeloupe, ait été brutalisé par un garde à la porte 7. Il proteste contre « les brutalités exercées contre des Noirs qui venaient visiter l’Exposition ». Lyautey répond à ce courrier que ledit Balin avait provoqué le garde et qu’aucun membre employé à la sécurité de l’Exposition ne peut être taxé de racisme.

La mission civilisatrice de l’architecture mise en scène à l’Exposition de 1931 Selon Marcel Zahar, auteur d’un article3 sur l’architecture de « La Coloniale », « les constructions sont tantôt des traductions fidèles, exécutées en staff d’édifices indigènes, tantôt des évocations, tantôt des variations exécutées sur un thème colonial ». C’est aux traductions fidèles que Zahar donne sa préférence, tel le temple d’Angkor par Blanche, celui du Maroc par Laprade, la porte de Bali par Moojen, la basilique de Leptis Magna par Brasini ou le cottage de Mount Vernon par Sears, Roebuck and Co. Il réprouve la « fantaisie des auteurs qui, dans des arrangements d’une esthétique discutable, cherchent à faire prévaloir leur propre invention décorative sur le véritable style de la région », comme pour le pavillon de la Côte française des Somalis ou celui de la Martinique par Wulffleff. En tout état de cause, il s’agit pour les architectes d’offrir une image précise du niveau atteint par les arts et la construction dans chaque colonie. Pour Zahar, Ali Tur a rempli là sa mission en évoquant l’œuvre de reconstruction en cours à la Guadeloupe. « L’allure générale des édifices trahit le goût des hommes pour la guerre, la poésie, l’indolence, la contemplation, l’ascétisme ou la sensualité, leurs jalousies ou leur je-m’en-fichisme [sic] », écritil, ajoutant cependant à propos des œuvres des modernistes


DU PATRIMOINE CULTUREL1 Abymes Halle à viande et à poissons des Abymes Avis d’adjudication du 18 mai 1931. Montant des travaux : 115 000 francs. Entreprise SEI retenue. Marché du 18 mai 1931. Réception définitive en juin 1932. Ce bâtiment est de forme simple, de plan rectangulaire. Il est constitué d’une dalle aux abouts finement travaillés reposant sur des colonnes cylindriques. On remarque la qualité du dessin des auvents et le soin apporté au traitement des emmarchements. Ce marché est l’un des trois subsistant en Guadeloupe, avec ceux de Capesterre Belle-Eau et du Lamentin. Ceux de Pointe-à-Pitre et de Port-Louis ont aujourd’hui disparu. Clôture du cimetière communal des Abymes Avis d’adjudication du 18 mai 1931, montant des travaux : 168 763,87 francs. Entrepreneur Rosemond Rabinaud retenu. Marché du 4 août 1931. Réception définitive en octobre 1932. Aujourd’hui disparu.

Église des Abymes On peut dater cette réfection d’une église et ajout d’un clocher à 1930 d’après le revêtement de sol ; en effet il est en granito et on peut ainsi penser que cette réfection fait partie des premiers travaux effectués par Ali Tur en Guadeloupe, avant qu’il ne reçoive les carrelages de la dette de guerre. C’est la raison de sa datation présumée en 1930. L’église, sans transept, présente une nef flanquée de bas-côtés. L’architecte a ajouté une travée de chaque côté du vaisseau central conservé et ajouté un clocher en façade antérieure. Les éléments remarquables de cette réfection, pour le soin apporté à leur traitement, sont le clocher et les vitraux. Le très bel autel est vraisemblablement du même architecte. Cette église est intéressante pour son revêtement de sol en granito surligné de petits carreaux en mosaïque que l’on ne retrouve que dans le presbytère de Morne-à-l’Eau. Ali Tur fait ici la démonstration d’une intervention douce comme pour l’église de Capesterre Belle-Eau et celle de Capesterre Marie-Galante.

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Hôpital des Abymes (de Pointe-à-Pitre) Avis d’adjudication du mercredi 25 novembre 1931, construction de la première tranche de l’hôpital hospice, montant des travaux : 7 740 000 francs. Entrepreneur Guerino Diligenti retenu. Marchés approuvés les 11 août 1930, 8 décembre 1931, 15 et 31 octobre 1932, 29 septembre 1933. Réceptions définitives 16 décembre 1932, 13 décembre 1934, 5 juin 1935, 18 juillet 1935, 30 novembre 1936. L’organisation générale en plan de l’ensemble est en L. Une branche du L est constituée de deux bandes parallèles et l’autre de pavillons en peigne. Le tout est relié par une allée centrale qui dessert les pavillons. L’hôpital a deux accès, aux deux extrémités de l’allée centrale. Il reste encore d’Ali Tur, en sus de la forme de plusieurs bâtiments, quelques escaliers, carrelages, grilles, et persiennes en béton. Cet ensemble hospitalier est le plus important réalisé par l’architecte en Guadeloupe. Il avait semblé surdimensionné à l’époque.

Groupe scolaire des Abymes Avis d’adjudication du samedi 30 juillet 1932, groupe scolaire, montant des travaux : 1 080 000 francs. Entrepreneur Camille Vincent retenu. Marché du 30 juillet 1932. Réception définitive en juillet 1934. Procès-verbal d’adjudication au 30 juillet 1932 : adjugé à Camille Vincent, offre à 1 080 000 francs avec un rabais de 3 % ce qui porte l’offre à 1 047 600 francs. Le maire est Camille Dain et l’agent-voyer André Baudin. Les enveloppes : G. Diligenti, Société française d’entreprises, Diony, Louis Ollivier, Viellard, Robert Petrelluzzi. Concurrents admis : Société française d’entreprises : 1 080 000 francs, rabais 2 %. Camille Vincent : 1 080 000 francs, rabais 3 %. Robert Petrelluzzi : 1 080 000 francs, rabais 1 %.

1. ADG, versement du secrétariat du greffe du tribunal administratif de BasseTerre, carton 4963, Inc 124/4, Inc 174/5, Inc 43/1, Inc 47/5 et Inc 47/7.

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Bureau de contributions des Abymes Grands travaux sur fonds d’emprunt, avis d’adjudication, samedi 8 octobre 1932, Abymes, bureau des contributions, montant des travaux : 180 000 francs. Entrepreneur Camille Vincent retenu avec un rabais de 4 %. Membres de la commission d’adjudication : Robert et Nétry. Marché approuvé le 31 octobre 1932 par le gouverneur Choteau. Réception définitive le 31 décembre 1935. Ce bâtiment est de forme simple, de plan rectangulaire. Sa façade principale est composée de trois parties égales, de proportions favorisant la verticalité. Il est signé par l’architecte. Cette perception est l’une des trois construites par Ali Tur subsistant en Guadeloupe avec celle de Morne-à-l’Eau et celle de Sainte-Anne.

Monument sépulcral ou maison mortuaire des Abymes Avis d’adjudication du jeudi 8 décembre 1932, maison mortuaire, montant des travaux : 30 600 francs. Entrepreneur Camille Vincent retenu. Marché du 8 décembre 1932. Réception définitive en juillet 1934. Ce bâtiment est de forme simple, de plan rectangulaire. On remarque le soin apporté au traitement des éléments d’architecture suivants : le fronton, la croix, les claustras, le plafond à caissons, les colonnes cylindriques, la porte et les corniches. Le fronton en façade antérieure est de forme triangulaire, surmonté d’une croix latine ; les ouvertures rondes sur les côtés sont ornées de claustras béton en forme de rosace. Ce monument sépulcral est l’un des quatre subsistant en Guadeloupe, avec ceux du Lamentin, de Petit-Bourg et de Baillif. Celui de Saint-François a aujourd’hui disparu.

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Presbytère des Abymes Avis d’adjudication du jeudi 8 décembre 1932, réfection et transformation du presbytère, montant des travaux : 200 000 francs. Entrepreneur Camille Vincent retenu. Marché du 8 décembre 1932. Réception définitive en juillet 1934. Ce bâtiment est de forme simple, de plan rectangulaire. Les éléments remarquables pour la qualité de leur exécution sont l’acrotère à redents des pignons, la clôture, le portail métallique, les carrelages, l’escalier intérieur et les jardinières. Logement des maîtres des Abymes Entrepreneur Camille Vincent. Marché du 11 avril 1933. Réception définitive en juillet 1934. Bâtiment non retrouvé, peut-être est-il inclus dans le groupe scolaire. Canalisation derrière l’église et la mairie des Abymes Avis d’adjudication du jeudi 1er juin 1933, Canalisation derrière l’église et la mairie, montant des travaux : 35 000 francs. Équipement non visible.

Mairie des Abymes Avis d’adjudication du jeudi 24 août 1933, Abymes, mairie, montant des travaux : 544 000 francs. Marché adjugé à Camille Vincent, seule offre à 544 000 francs avec un rabais de 13 % ce qui porte l’offre à 473 280 francs. Ali Tur est représenté par M. Dionisus. Le maire est Camille Dain. Marché du 24 août 1933. Réception définitive en juillet 1934. Travaux supplémentaires pour un montant de 3 903,32 francs au 4 juin 1934. Ce bâtiment est de forme simple, de plan carré. Sa façade principale est divisée en trois parties. On remarque le soin apporté au traitement de ses emmarchements, garde-corps, balcons, auvents et corniches, grille d’entrée, plafond à caissons, carrelages et claustras béton, menuiseries, escalier intérieur et rampe. Des chaises, tables et portemanteaux en bois sont probablement du même architecte. Cette mairie est, avec celles du Lamentin, de Saint-Louis, de Pointe-Noire, de Grand-Bourg et des Abymes, parmi celles réalisées par Ali Tur en Guadeloupe et conservées à l’identique. Aujourd’hui ce bâtiment sert de centre communal d’action sociale.

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Bureau des PTT de Bouillante Adjudication du 17 octobre 1932. Montant forfaitaire : 191 000 francs. Rabais de 4 %. Entrepreneur Viellard. Membres de la commission d’adjudication : Robert et Nétry. Approuvé le 31 octobre 1932 gouverneur Choteau. Marché résilié le 15 septembre 1933. Marché de gré à gré adjudication du 16 juillet 1934. Entrepreneur Camille Vincent retenu. Réception provisoire le 31 décembre 1934. Réception définitive le 31 décembre 1935.

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Capesterre Belle-Eau École de filles du bourg de Capesterre Belle-Eau Procès-verbal d’adjudication au 17 avril 1931 : adjugé à la Société d’entreprises industrielles, offre à 500 000 francs avec un rabais de 3 % ce qui porte l’offre à 485 000 francs. Le maire est Léon Seymour Philis. Les enveloppes : Société d’entreprises industrielles, Jean-Baptiste Capitaine. Concurrents admis : Société d’entreprises industrielles : 500 000 francs, rabais 3 %. Jean-Baptiste Capitaine : 500 000 francs, rabais 2 %. Un étage a été ajouté au bâtiment originel et l’école a été agrandie. Cette école primaire est de forme simple, de plan en U. Les éléments remarquables pour le soin apporté à leur traitement sont sa cage d’escalier, ses balcons, ses auvents, son escalier extérieur aux trois colonnes carrées, sa clôture et ses garde-corps.

École mixte du hameau de Carangaise à Capesterre Belle-Eau Procès-verbal d’adjudication au 17 avril 1931 : adjugé à la Société d’entreprises industrielles, offre à 435 000 francs avec un rabais de 2 % ce qui porte l’offre à 426 300 francs. Le maire est Léon Seymour Philis. Les enveloppes : Société d’entreprises industrielles, Jean-Baptiste Capitaine. Concurrents admis : Société d’entreprises industrielles : 435 000 francs, rabais 2 %. Jean-Baptiste Capitaine : 435 000 francs, rabais 1 %. Travaux supplémentaires de 5 880 francs. Cette construction est de forme simple, de plan en U. Les éléments remarquables pour le soin apporté à leur traitement en sont le plan de distribution, les colonnes cylindriques, les corniches et les auvents. Cette école est intéressante car elle est, en Guadeloupe, l’une des deux seules écoles de l’œuvre d’Ali Tur existantes, avec l’école de Faup à Grand-Bourg, ayant un plan en U avec des arrondis aux deux angles. Elle a été aujourd’hui transformée.

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Lamentin Groupe scolaire du Lamentin Avis d’adjudication du jeudi 20 août 1931, construction d’un groupe scolaire, montant des travaux : 225 000 francs. Les étages des parties droite et gauche ont été ajoutés dans les années 1960. Ce bâtiment est de forme simple, de plan en U. Sa façade principale est divisée en trois parties. Les éléments remarquables sont ses lettres, ses balcons, ses carrelages, ses auvents, son escalier extérieur, sa clôture et ses garde-corps. Cette école primaire est intéressante par sa clôture, ses garde-corps et son bâtiment central d’origine sur deux niveaux.

Presbytère du Lamentin Avis d’adjudication du jeudi 20 août 1931, construction d’un presbytère, montant des travaux : 120 000 francs. Entreprise Guerino Diligenti. Ce bâtiment est de forme simple, de plan rectangulaire arrondi sur les petits côtés. Sa façade principale est divisée en trois parties. Les éléments remarquables sont sa croix, ses balcons, ses carrelages, son escalier intérieur et ses jardinières. Ce presbytère est unique en Guadeloupe car c’est le seul réalisé par Ali Tur dont les balcons sont arrondis sur les deux côtés.

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Église du Lamentin Avis d’adjudication du samedi 26 septembre 1931, construction d’une église et sacristie, montant des travaux : 1 230 000 francs. Entreprise Guerino Diligenti. Le bâtiment, sans transept, présente une nef centrale flanquée de bas-côtés. La façade est composée d’une travée centrale encadrée de deux clochers identiques. Les éléments remarquables pour le soin apporté à leur traitement sont les claustras, les fonts baptismaux, les carrelages, les emmarchements extérieurs, l’escalier intérieur, les colonnes cylindriques. Cette église est intéressante pour son Christ aux pieds joints, ses vitraux et ses poutres échelles à claustras.

Mairie du Lamentin Avis d’adjudication du 19 décembre 1931, mairie, montant des travaux : 570 000 francs. Entreprise Guerino Diligenti. Ce bâtiment est de forme simple, de plan rectangulaire. Sa façade principale est divisée en trois parties. On remarque le soin apporté au traitement de ses garde-corps, balcons, auvents, corniches, grille d’entrée, carrelages, claustras béton, escalier intérieur et rampe. Cette mairie est conservée à l’identique, comme celles de Pointe-Noire, de Saint-Louis, de Grand-Bourg et des Abymes.

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Tribunal du Lamentin Bâtiment défini comme une Justice de paix par l’architecte Ali Tur. Ce tribunal a fait l’objet d’une adjudication le 22 octobre 1932 pour 345 000 francs. Aujourd’hui, on y trouve le commissariat de police au rez-de-chaussée et une école de musique à l’étage. Ce bâtiment est de forme simple, de plan carré. Les éléments remarquables pour le soin apporté à leur traitement sont ses emmarchements, son plafond à caissons, ses balcons, ses carrelages et son escalier intérieur. Ce tribunal est un des trois construits et subsistant en Guadeloupe, avec ceux de Saint-Martin et de PortLouis. Seul celui de Saint-Martin est aujourd’hui opérationnel.

Square du Lamentin Avis d’adjudication du samedi 1er octobre 1932, travaux d’aménagement d’un square et édification d’un monument aux morts, montant des travaux : 175 000 francs. Entreprise Guerino Diligenti. Sur la place on trouve un monument aux morts de la guerre de 1914-1918 qui est de forme régulière et élancée et composé d’une colonne centrale et de trois colonnes de chaque côté. On remarque le soin apporté au traitement des emmarchements, du mur de clôture et des espaces verts du square. Cette place est l’unique réalisée à notre connaissance par Ali Tur qui permette l’articulation d’un aménagement urbain fort. Le monument aux morts est le seul en Guadeloupe dont on soit sûr qu’il est d’Ali Tur.

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Morne-à-l’Eau Presbytère de Morne-à-l’Eau Adjudication du samedi 26 juillet 1930, construction d’un presbytère, montant des travaux : 310 000 francs. Entreprise SEI retenue. Marché du 26 juillet 1930. Réception définitive le 30 décembre 1932. Ce presbytère est de forme simple, de plan rectangulaire. Il est intéressant pour son revêtement de sol en granito décoré que l’on ne retrouve dans l’œuvre d’Ali Tur que dans l’église des Abymes. Ses éléments remarquables pour le soin apporté à leur traitement sont ses menuiseries, ses jardinières et son escalier intérieur.

Église de Morne-à-l’Eau Adjudication du samedi 26 juillet 1930 : construction d’une église, montant des travaux : 1 800 000 francs. Entreprise SEI retenue. Marché du 15 août 1930. Réception définitive le 2 décembre 1933. Adjudication du mercredi 18 janvier 1933 : ameublement de l’église paroissiale, 1er lot, mobilier du chœur et de la sacristie, les confessionnaux et ouvrages divers, montant des travaux : 34 160 francs ; 2e lot, bancs des fidèles, montant des travaux : 73 444,60 francs ; 3e lot, autel et baptistère, montant des travaux : 56 500 francs. Avis d’adjudication du 19 avril 1933 : clocher, montant des travaux : 160 000 francs. Avis d’adjudication du 14 juin 1933 : clocher avec horloge, montant des travaux : 300 000 francs. L’église, sans transept, présente une nef centrale flanquée de bascôtés. La façade est composée d’une haute travée centrale. Les éléments à noter pour le soin apporté à leur traitement en sont les claustras et les plafonds à caissons. On remarque pour son importance l’imposant vaisseau central qui atteint 13 m de haut et est éclairé par de grandes baies verticales, favorisant ainsi la bonne ventilation de l’édifice et créant des jeux de lumières. Bâtiment classé à l’Inventaire des monuments historiques.

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Perception de Morne-à-l’Eau Grands travaux sur fonds d’emprunt, avis d’adjudication, samedi 8 octobre 1932 à 9 h, Morne-à-l’Eau, immeuble à usage de Trésor et construction avec logements des directeurs. Montant des travaux : 332 000 francs, Robert, chef du Service des travaux publics, présent. Entreprises : Petrelluzzi, Gourdon. Soumissions de M. Vieillard et de M. Quistin écartées. Petrelluzzi, rabais 9 %, retenu. Marchés approuvés le 31 octobre 1932. Réception provisoire le 20 décembre 1933. Réceptions définitives les 30 juin 1934, 17 janvier 1935 et 17 novembre 1935. Le bâtiment a depuis été transformé par ajouts et la plupart des carrelages ont été remplacés. Cette construction est de forme simple, de plan en U. Sa façade principale est composée de trois parties, la partie centrale étant la plus large. Cette perception est l’une des trois construites par Ali Tur en Guadeloupe avec celle des Abymes et celle de Sainte-Anne. C’est la plus grande des trois.

Groupe scolaire de Morne-à-l’Eau Avis d’adjudication du mardi 25 octobre 1932, école de filles avec logement de la directrice et clôtures, montant des travaux : 975 000 francs. Entreprise SFE retenue. Marché du 26 octobre 1932. Réception définitive le 19 mars 1936. Cette école primaire est de forme simple, de plan en L. L’aile gauche a un étage et l’aile droite est en simple rez-de-chaussée. Ses éléments remarquables pour le soin apporté à leur traitement sont ses lettres, ses carrelages, ses auvents, son escalier extérieur et sa rampe, ses menuiseries en persiennes mobiles, ses garde-corps et ses emmarchements extérieurs. Son plan peut être rapproché de celui de l’école du bourg du Moule.

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Petit-Canal Église, clocher et sacristie de Petit-Canal Avis d’adjudication du mardi 7 octobre 1930, travaux de réfection et réaménagement de l’église, du clocher et de la sacristie en partie détruits, montant des travaux : 499 768,04 francs. Entreprise SEI retenue. L’église, sans transept, présente un seul vaisseau. L’architecte a largement réhabilité l’église et ajouté un clocher en façade postérieure. Les éléments remarquables de cette réfection, pour le soin apporté à leur traitement, sont le clocher, les vitraux et les revêtements de sol composés de granito et de carrelages. Le bel autel en maçonnerie est vraisemblablement du même architecte.

École communale de Bazin à Petit-Canal Avis d’adjudication du jeudi 23 juillet 1931, construction d’une classe annexe avec logement du maître à l’école de Bazin, montant des travaux : 160 000 francs. Entreprise SEI retenue. Réception provisoire le 2 juin 1932. Refus de réception définitive du 17 décembre 1936 (Molinier a signé pour Ali Tur). Cette école a été très remaniée. Cette école primaire est constituée de plusieurs bâtiments. Elle est actuellement désaffectée. Les éléments remarquables pour le soin apporté à leur traitement sont les carrelages et les garde-corps.

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Mairie de Petit-Canal Avis d’adjudication du jeudi 23 juillet 1931, construction d’une mairie, montant des travaux : 530 000 francs. Entreprise SEI retenue. Adjudication 29 juillet 1931. Réception définitive en 1933. L’ameublement sera réalisé par Gaston Dorocant, ébéniste à Pointe-Noire3. Cette construction est de forme simple, de plan rectangulaire. On remarque le soin apporté au traitement de ses emmarchements, ses garde-corps, ses balcons, ses auvents et corniches, ses carrelages et claustras béton, ses menuiseries, son escalier intérieur et sa rampe. Cette mairie, comme celles de Capesterre Belle-Eau et de Petit-Bourg, a été agrandie, mais de nombreux éléments de la partie originelle ont été conservés. L’escalier à deux volées droites de cette mairie est presque unique par son dessin dans l’œuvre d’Ali Tur, on ne retrouve un escalier du même type que dans le palais de justice de Grand-Bourg de Marie-Galante. Les poutres de l’auvent du premier étage en façade antérieure sont terminées par des redents décoratifs.

École communale de Sainte-Geneviève à Petit-Canal Avis d’adjudication du samedi 30 septembre 1933, école avec logements d’instituteurs à Sainte-Geneviève, montant des travaux : 400 000 francs. Entreprise SEI retenue. Réception définitive en 1933. École aujourd’hui désaffectée.

3. « Procès-verbaux des séances du conseil d’administration de la Banque de la Guadeloupe », 13J46 : 1935, p. 92.

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Saint-Claude Réfection de l’église de Saint-Claude Avis d’adjudication du samedi 1er août 1931, réfection et réaménagement de l’église, du clocher et de la sacristie, montant des travaux : 499 768,04 francs. Non repérable aujourd’hui.

Presbytère de Saint-Claude Avis d’adjudication du samedi 1er août 1931, construction d’un presbytère, montant des travaux : 168 000 francs. Cette construction est de plan rectangulaire. Les éléments remarquables pour le soin apporté à leur traitement sont principalement ses carrelages, la forme du bâtiment ainsi que les terminaisons de la dalle de couverture. Ce presbytère est de forme très simple et ne présente pas d’arrondi. On peut le rapprocher de celui de Gourbeyre. Il participe à la grande variété de déclinaisons que pouvait faire Ali Tur d’un même objet architectural.

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BIOGRAPHIQUES D’Ali TUR Sur la photo en page suivante, Ali Tur, au centre, porte une cravate à pois, sur le chantier de l’hôpital de Pointe-à-Pitre/Abymes vers 1935, avec l’entrepreneur Guerino Diligenti à l’extrême gauche et l’ingénieur Dionisius, à l’extrême droite. Les « porteurs de galons » sont les représentants du Service de santé et les autres civils ceux du Service des travaux publics. 1857 : naissance le 9 janvier d’Henri Eugène Auguste Paul Tur, fils de Barthélemy Augustin Tur, conducteur des Ponts et Chaussées, âgé de trente ans, domicilié à Nîmes, section première, 3 rue Dufort, et de Suzanne Louise Zélia Lombard, son épouse1. Dans son dossier administratif, Paul Tur signale son père comme étant ingénieur architecte – peut-être le deviendra-t-il par la suite – et le domicilie au 2 rue Balorre à Nîmes2. Tur est un patronyme alsacien, sans doute cet établissement de toute la famille à Nîmes est-il lié au traité de Francfort de 1871 qui a permis aux Alsaciens désireux de rester français de quitter leur région d’origine. 1876 : Paul Tur entre quatorzième à l’École polytechnique. Son signalement est ainsi rédigé : cheveux et sourcils bruns, front haut, nez moyen, yeux bruns, bouche moyenne, menton rond, visage ovale, taille 1,686 m. Il sortira dixième de l’École avec le diplôme d’ingénieur des Ponts et Chaussées. Il obtiendra le 2e prix d’architecture en 18793. 1885 : Paul Tur est nommé directeur des travaux de la ville de Tunis le 16 décembre4. 1889 : naissance de Georges Ali Tur le 20 février à Tunis à sept heures du soir, fils d’Henri Eugène Auguste Paul Tur, ingénieur des Ponts et Chaussées, et de sa femme Caroline Lucie Jeanne Lucius5. La mère d’Ali Tur décède en le mettant au monde6. Son père entre au service municipal de la ville de Paris le 16 octobre7. Ali Tur n’aura vécu que huit mois en Tunisie. 1889-1909 : nous n’avons pas de renseignements précis sur l’enfance et la prime adolescence d’Ali Tur, hormis la présence à ses côtés alternativement de gouvernantes anglaises et allemandes ce qui lui permet d’acquérir les deux langues8. Il entre en dixième à l’École alsacienne, rue d’Assas, en 1895, suit la neuvième en 18961897, la huitième en 1897-1898, la septième en 1898-1899, la sixième en 1899-1900, la cinquième en 1900-1901 et la quatrième en 1901-1902. Son père, remarié9 quelques années plus tard avec

206 GUADELOUPE ANNÉES 30 – Ali TUR

Marthe Durand Claye, restera à Paris et fera toute sa carrière dans les travaux publics. Il deviendra délégué permanent au Conseil supérieur des travaux publics en mars 1925, et prendra sa retraite en 1927. Paul Tur sera décoré de la Légion d’honneur, chevalier en 1897, officier en 1900, puis commandeur enfin en 192310. 1906 : c’est l’année où Paul Tur, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, édite un ouvrage sur la voirie urbaine en Amérique. Il s’agit d’un rapport de mission dans lequel on trouve des photos prises à New York, Chicago, Washington, Philadelphie, Long Island, Boston, Saint Louis, ce qui suppose un assez long séjour aux ÉtatsUnis. Son fils ayant alors entre seize et dix-sept ans, on peut supposer que Paul Tur l’a emmené avec lui11. 1909 : Ali Tur a vingt ans. Jeune soldat, il est appelé au service armé de la classe 1909 de la subdivision de la Seine à compter du 2 octobre 1911, avec pour numéro matricule le numéro 1313. Son signalement est : cheveux châtains, yeux bleus, front ordinaire, nez moyen, menton rond, visage ovale, taille 1,70 m12. 1910 : le 4 janvier, Ali Tur est admis en 2e classe à l’École nationale des beaux-arts, dans l’atelier Laloux, section architecture. Il avait subi les épreuves d’admission en décembre 1909 et janvier 191013. 1911 : il est incorporé au 27e régiment de dragons de 2e classe le 2 octobre14. 1912 : il devient brigadier le 25 septembre 191215. 1914 : le 5 mai, après quatre ans d’études, Ali Tur est admis en 1re classe de l’ENSBA. Mais il ne peut y rester que jusqu’en juillet. Le 2 août il rejoint la mobilisation générale en tant que brigadier16. Il ne reprendra ses études qu’après la guerre. 1916 : le 1er janvier, devenu maréchal des logis, il est détaché au Service géographique17. 1917 : il rejoint le SROT (Sections de repérage par l’observation terrestre)18. 1918 : le 6 septembre il part au front. Le 10 novembre il est promu sous-lieutenant19. 1919 : le 15 mai, Ali Tur est cité à l’ordre de la Brigade par le général Fréjet car « Il a fait preuve pendant les attaques de septembre 1918 des plus belles qualités d’endurance et de courage en assurant dans des régions fréquemment battues par obus toxiques, la reconnaissance et l’installation rapide des postes d’observation de sa section ». Démobilisé le 7 août, il se retire au 81 rue des


415 - Ali Tur sur le chantier de l’hôpital des Abymes, photo de Georges Diligenti, fils de Gueriro Diligenti

Saints-Pères à Paris 6e, dans l’appartement familial. Il est décoré de la croix de guerre avec étoile de bronze20. Ayant repris ses études d’architecture21, il reçoit le prix Destors, de l’Institut de France, qui récompense l’élève qui a obtenu le plus de médailles dans l’année dans les concours de composition d’architecture22.

1920 : le 10 février, il remporte le premier prix du concours Rougevin avec « La décoration et l’aménagement d’un salon ». Le 17 novembre il reçoit le diplôme d’architecte diplômé par le gouvernement (DPLG)23. La bibliothèque de l’École des beaux-arts conserve son projet de diplôme, une caserne d’artillerie présentée

1. Extrait d’acte de naissance de Paul Tur.

12. Dossier administratif de Paul Tur. AN/F14 11 618.

2. Dossier administratif de Paul Tur. AN/F14 11 618.

13. Dossier scolaire d’Ali Tur. AN/AJ 52 346.

3. Ali Tur, Ma plaidoirie, document actylographié, 1937, p. 3 et 4. ADG/4 Mi 195 1.

14. Dossier administratif de Paul Tur. AN/F14 11 618.

4. Ali Tur, Ma plaidoirie, op. cit., p. 7. ADG/4 Mi 195 1.

15. Ibid.

5. Extrait d’acte de naissance de Paul Tur.

16. Ibid.

6. Ali Tur, Ma plaidoirie, op. cit., p. 7. ADG/4 Mi 195 1.

17. Ibid.

7. Ibid., p. 8. ADG/4 Mi 195 1.

18. Ibid.

8. Ibid., p. 8. ADG/4 Mi 195 1.

19. Ibid.

9. Ibid., p. 8. ADG/4 Mi 195 1.

20. Ibid.

10. Ibid., Ma plaidoirie, op. cit., p. 7. ADG/4 Mi 195 1.

21. Ali Tur, Ma plaidoirie, op. cit., 1937, p. 8. ADG/4 Mi 195 1.

11. Paul Tur, La Voirie urbaine en Amérique et l’asphalte américain, Paris,

22. Ibid., 1937, p. 3 et 4. ADG/4 Mi 195 1.

Imprimerie Marcel Picard, 1906, 80 p. AVP/55DB 51.

23. Ibid., p. 8. ADG/4 Mi 195 1.

Repères biographiques d’Ali Tur 207


Fig. no 18 - Tableau chronologique de l’œuvre d’Ali Tur en Guadeloupe et en France en fonction des avis d’adjudications ayant pu être recueillis et de diverses sources

Lieu

Dénomination

Date adjudication

Réception des travaux

Montant des travaux en francs 1930

Abymes Sainte-Anne Paris Bd Soult Pointe-à-Pitre Morne-à-l’Eau Morne-à-l’Eau Petit-Canal Petit-Bourg Saint-François Sainte-Rose Petit-Bourg Moule Moule Moule Petit-Bourg Petit-Bourg Port-Louis Port-Louis Port-Louis Paris Bd Murat

Réhab et agrand. de l’église Presbytère Habitations à bon marché Palais de justice Église Presbytère Réhab et agrand. de l’église École de Fontarabie Gendarmerie Gendarmerie Gendarmerie Presbytère Clocher et sacristie École de garçons Église Presbytère Halle aux poissons Justice de paix Groupe scolaire Habitations à bon marché

1930 08/05/1930 19/06/1930 26/07/1930 26/07/1930 26/07/1930 07/10/1930 23/10/1930 25/10/1930 25/10/1930 25/10/1930 21/11/1930 21/11/1930 21/11/1930 22/11/1930 22/11/1930 20/12/1930 20/12/1930 20/12/1930 1930

1932 1932 1932 1934 1931 1931 1932 1933 1933 1932 1932 1932 1932 1931 1932

SOUS-TOTAL

300 000 272 040 30 000 000 2 300 000 1 800 000 310 000 500 000 430 000 400 000 405 000 410 000 290 000 135 000 1 100 000 950 000 190 000 175 000 360 000 1 000 000 30 000 000 71 327 040 1931

Trois-Rivières Sainte-Anne Pointe-à-Pitre Sainte-Anne Sainte-Anne Baie-Mahault Baie-Mahault Baie-Mahault Moule

Église Groupe scolaire du bourg Halle aux poissons École de hameau École de hameau Église Presbytère Mairie Écoles de hameau filles/garçons

212 GUADELOUPE ANNÉES 30 – Ali TUR

08/01/1931 05/03/1931 31/03/1931 23/04/1931 23/04/1931 04/04/1931 04/04/1931 04/04/1931 23/04/1931

1931

1933 1933 1933 1932

920 000 1 250 000 195 000 430 000 445 000 850 000 240 000 605 000 1 050 000


DOCUMENTAIRES

GLOSSAIRE ADG : Archives départementales de la Guadeloupe ADC : Archives départementales du Calvados ADT : Archives départementales du Tarn AN : Archives nationales ANOM : Archives nationales d’outre-mer AVP : Archives de Paris ASOM : Académie des sciences d’outre-mer BHVP : Bibliothèque historique de la Ville de Paris BNF : Bibliothèque nationale de France BMO : Bibliothèque du musée d’Orsay CARAN : Centre historique des Archives nationales IFA : Institut français d’architecture MSJP : Musée Saint-John Perse à Pointe-à-Pitre RMN-AP : Réunion des musées nationaux – Agence photographique SFA : Société française des architectes, autrefois SADG : Société des architectes diplômés par le gouvernement. SHD/DAT : Service historique de la Défense/Département Armée de terre.

a) Sources d’archives ADC : Services administratifs et caserne des sapeurs pompiers. Ali Tur. 15 mai 1955. ADC/PC/10/16517. ADG : « Procès-verbaux des séances du Conseil d’administration de la Banque de la Guadeloupe », 13J40 : 1928-1930 ; 13J41 : 19301931 ; 13J42 : 1931 ; 13J43 : 1932 ; 13J43/44 : 1932-1934 ; 13J45 : 1934-1935 ; 13J46 : 1935. TUR, Ali, Ma plaidoirie, document dactylographié, 1938. ADG/4 Mi 195 1. Dépôt Michel Corbin. 2008.

216 GUADELOUPE ANNÉES 30 – Ali TUR

Comptabilité du cyclone de 1928 1 P 1 ADG - Arrêté portant création du Service de la comptabilité du cyclone (27 septembre 1928). - Mission de contrôle envoyée à la Guadeloupe à la suite du cyclone (décembre 1928). 1 P 101 ADG - État des sommes perçues par l’architecte du gouvernement Ali Tur à titre d’honoraires pour les travaux de construction de l’hôpital-hospice de Pointe-à-Pitre. - Demande de procès-verbaux de réception de bâtiments coloniaux au 30 janvier 1936 de la part d’Ali Tur. Inc 43/1 ADG - Extrait du registre des délibérations du conseil municipal de Sainte-Anne, séance extraordinaire du 25 mars 1934. - Devis descriptif avec estimation de la dépense. Inc 47/4 ADG Dossier d’Ali Tur pour la construction de clôtures et aménagements divers au pourtour de la mairie d’Anse-Bertrand. Inc 47/5 ADG - Dossier d’Ali Tur pour la construction d’une mairie aux Abymes. Inc 47/7 ADG - Dossier d’Ali Tur pour la construction d’un groupe scolaire aux Abymes. Inc 100/6 ADG - Dossier d’Ali Tur, projet pour la construction d’une école de hameau avec logement d’instituteurs à Dolé. Inc 124/4 ADG - Dossier d’Ali Tur, projet pour le projet de la mairie de Capesterre B/E. - Dossier d’Ali Tur pour la clôture de l’école de filles de Capesterre B/E.


ANNEXE NO 11 École nationale supérieure des beaux-arts. Atelier Laloux.

Enseignement scientifique

Architecture

Nature des concours

Dates des jugements

Récompenses

Valeurs

Mathématiques Géométrie descriptive Stéréotomie Perspective Construction

22 octobre 1910 22 mars 1910 2 juin 1910 23 juin 1911 27 juillet 1911

Mention Mention Mention Mention Mention

2 2 2 2 2

Éléments analytiques Éléments analytiques Projet rendu Projet rendu Esquisse d’octobre Projet rendu Esquisse

28 juin 1910 26 juillet 1910 2 mai 1911 23 juillet 1913 4 novembre 1913 5 mai 1914 5 mai 1914

2e mention 2e mention 2e mention 2e mention 2e mention 2e mention 2e mention

1 1 1 1 1 1 1

Dessin Modelage

21 février 1910 23 décembre 1910

Mention Mention

1 1

15 novembre 1910

Mention

1

25 janvier 1910

3e médaille

1,5

Enseignement simultané des trois arts Dessin ornemental Exercices d’histoire de l’architecture

Fig. no 19 - Feuille de valeurs d’Ali Tur 1910-1914. Dossier scolaire d’Ali Tur, AN/AJ 52 346

226 GUADELOUPE ANNÉES 30 – Ali TUR




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