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L’exposition Gustave Moreau – Georges Rouault. Souvenirs d’atelier se tient au musée national Gustave Moreau du 27 janvier au 25 avril 2016. Commissariat Marie-Cécile Forest, conservateur général du patrimoine, directrice du musée Gustave Moreau Assistée de Emmanuelle Macé, documentaliste au musée Gustave Moreau Samuel Mandin, documentaliste au musée Gustave Moreau Avec le concours de la Fondation Georges Rouault Administration David Ben Si Mohand, secrétaire général Régie des œuvres Christel Sanguinetti-Feghali, chargée de la régie et des prêts Communication David Ben Si Mohand, secrétaire général, et Aurélie Peylhard, chargée de la communication, musée Gustave Moreau Relations presse Catherine Dantan assistée d’Aurélie Dudoué, agence Catherine Dantan Muséographie Hubert Le Gall assisté de Laurie Cousseau Cette exposition a été présentée dans une première version au Japon, sous le titre Gustave Moreau et Georges Rouault. Filiation, au Panasonic Shiodome Museum à Tokyo, du 7 septembre au 10 décembre 2013 et au Matsumoto City Museum of Art à Matsumoto, du 20 décembre 2013 au 23 mars 2014, grâce au concours tout particulier de NHK Promotion Inc., de Masayoshi Hokoso, ex-directeur du Panasonic Shiodome Museum de Minoru Ogawa, directeur du Matsumoto City Museum of Art, de Miho Masuko, conservateur en chef, et d’Atsuko Hagiwara, conservateur au Panasonic Shiodome Museum, de Reiko Hosogaya, conservateur au Matsumoto City Museum of Art, de Shinji Goto, professeur à Seinan Gakuin University, ainsi que de Momoe Suga (Art & Culture).
Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coordination éditoriale : Laurence Verrand et Sarah Houssin-Dreyfuss Contribution éditoriale : Renaud Bezombes Conception graphique : Ariane Naï Aubert Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros Index : Jade Chu-Lejeune © Somogy éditions d’art, Paris, 2016 © Musée Gustave Moreau, Paris, 2016 © ADAGP, Paris, 2015, pour les œuvres de Jean Delville, George Desvallières, Edgard Maxence et Georges Rouault © Succession H. Matisse pour les œuvres d’Henri Matisse
ISBN 978-2-7572-0988-2 Dépôt légal : janvier 2016 Imprimé en République tchèque (Union européenne)
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Couverture Georges Rouault, Le Modèle, souvenir d’atelier (détail de la Fig. 16) 4e de couverture Gustave Moreau, Nu. Ébauche, dit aussi Ève (Fig. 21) Garde 1, Ill. 1 Anonyme, L’atelier de Gustave Moreau à l’École des beaux-arts, décembre 1896 (détail), photographie contrecollée sur carton, Paris, musée Gustave Moreau, Inv. 16006, dédicacée à Gustave Moreau : « A monsieur Gustave Moreau/Hommage respectueux de son atelier/École des Beaux-Artsdécembre 1896 » Garde 2, Ill. 2 Anonyme, L’atelier de Gustave Moreau à l’École des beaux-arts en 1897 (détail), photographie contrecollée sur carton, Paris, musée Gustave Moreau, Inv. 16004, dédicacée à Gustave Moreau : « A monsieur Gustave Moreau/Hommage respectueux de ses élèves/ École des Beaux-Arts-1897 » Page précédente, Ill. 3 Georges Rouault, première page du brouillon du Miserere (détail), plume et encre noire et rouge sur papier, Paris, Fondation Georges Rouault. Cet ouvrage, publié en 1948, fut dédié par Rouault à sa mère et à Gustave Moreau.
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Remerciements Le musée Gustave Moreau tient à exprimer sa gratitude à tous les prêteurs qui ont permis la réalisation de cette exposition : Bernard Blistène, directeur du Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou Jean-Marc Bustamante, directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris Guy Cogeval, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie Fabrice Hergott, directeur du musée d’Art moderne de la Ville de Paris Fondation Georges Rouault et les prêteurs particuliers Chozo Yoshii, Fondation Yoshii Cette exposition et son catalogue ont été rendus possibles grâce au concours de l’Association des Amis du musée Gustave Moreau que nous remercions chaleureusement pour son indéfectible soutien. Que tous ceux qui ont participé à cette exposition soient ici sincèrement remerciés, tout particulièrement la Fondation Georges Rouault à Paris, qui a œuvré dès l’origine pour que cette exposition puisse se réaliser, nous a donné accès à son irremplaçable documentation et a facilité de nombreux prêts. Le musée Gustave Moreau remercie Jean-Yves Rouault, président de la Fondation Georges Rouault, Anne-Marie Agulhon, directrice, ainsi que Gilles Rouault, secrétaire du conseil d’administration. Les commissaires remercient également les auteurs du catalogue, plus particulièrement Rémi Labrusse, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université Paris Ouest Nanterre-La Défense, et Emmanuel Schwartz, conservateur général du patrimoine à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Les commissaires expriment leur gratitude aux membres de la Commission administrative du musée Gustave Moreau ainsi qu’à celles et à ceux qui se sont associés à cette exposition et à son catalogue : Angelika Affentranger, Gérard Alaux, Clémence Alexandre, Maximilien Ambroselli, Lise Auber, Ariane Naï Aubert, Elsa Badie Modiri, Laurence Bardèche, Stéphane Ben Zerrouck, Françoise Bérard, Benoît Berge, Renaud Bezombes, Claire Both, Nicolas Bourriaud, Marie-Catherine Boutterin, Martine Briand, Emmanuelle Brugerolles, Véronique Cardon, Cécile Cayol, Laure Chabanne, Nathalie Coilly, Eva Constans, Anne Coron, Laurie Cousseau, Philippe Couton, Catherine Dantan, Sylvie de Fayet, Laëtitia Dehoul, Vincent Delieuvin, Aurélie Dudoué, Claire Etienne, Gwenaëlle Fossard, Mireille Fougerolles, Julien Fourrey, Jean-Louis Fraud, Mahnaz Garnier, Ingrid Goddeeris, Catherine Granger, Xavier-Philippe Guiochon, Ursula Held, Sarah HoussinDreyfuss, Leila Jarbouai, Jean-David Jumeau-Lafond, Karina Kennane, Geneviève Lacambre, Pierre Lançon, Hubert Le Gall, Serge Legat, Jérôme Legrand, Anne Lemonnier, François Lempereur, Mathilde LerouxHennard, Claire Lesage, Alexandra Létang, Dominique Lobstein, Isabelle Magnan, Stéphane Maréchalle, Géraldine Masson, Annabelle Matthias, Stéphanie Méséguer, Dominique Morelon, Nicolas Neumann, Guillaume Nicoud, René-Gabriel Ojéda, Yves Petit de Voize, Sandrine Pierrette, Pierre Pinchon, Odile Porthault, Agnès Poulain, Tony Querrec, Rodolphe Rapetti, Claude Renouard, Thierry Richaud, Marine Saunier, Aude Semat-Nicoud, Sophie Serra, Anne Sévi, Véronique Sorano, Séverine Vaillant, Laurence Verrand, Nadia Wezel, Eric Zafran. Les commissaires remercient le professeur Yves Pouliquen de l’Académie française ainsi que la Commission des bibliothèques et archives de l’Institut de France et son président, Madame Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française, pour leur avoir permis d’accéder à la bibliothèque et aux archives de l’Institut et pour les avoir autorisés à publier une lettre de Gustave Moreau à Henri Delaborde. Leur reconnaissance s’adresse tout particulièrement à David Ben Si Mohand pour les questions administratives, Aurélie Peylhard pour la communication, à Christel Sanguinetti-Feghali pour la régie des œuvres, à Carine Carrey pour la sécurité et la surveillance ainsi qu’à l’ensemble des agents d’accueil et de surveillance du musée Gustave Moreau.
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Avant-propos
C
oncevoir une exposition Gustave Moreau – Georges Rouault, c’est s’attaquer à un sujet mythique. Georges Rouault fut, en effet, doublement lié à Gustave Moreau de par son statut d’élève à
l’École des beaux-arts alors que Moreau, son « cher patron », y était professeur et son statut de conservateur du musée de 1902 à 1932. Le lien entre les deux artistes dépasse largement celui de maître à élève, comme le montrent la correspondance et les œuvres de Georges Rouault. L’influence de celui qu’il désigne comme un « bienfaisant émule » se prolonge bien au-delà du décès de Moreau. Cette exposition, longtemps évoquée, jamais réalisée jusqu’ici, a pris forme tout d’abord en 2013 au Japon, à l’occasion des dix années de la création du Panasonic Shiodome Museum à Tokyo, et en 2014 au Matsumoto City Museum of Art à Matsumoto. Le concours de la Fondation Georges Rouault, qui a généreusement porté à notre connaissance des œuvres rares et riches de sens, a été capital. Que les généreux prêteurs, institutionnels ou particuliers, soient ici sincèrement remerciés. L’étape au musée Gustave Moreau qui fut la maison familiale de l’artiste est essentielle pour restituer au mieux ce qui tient de l’immatériel : une communion d’âmes et un dialogue artistique. Le musée fut également la demeure de Rouault. Il s’y installa avec son épouse à partir de 1908 et leur fille Geneviève y naquit en 1909 ! Léon Bloy et André Suarès rapportent y avoir vu L’Enfant Jésus parmi les docteurs (Colmar, musée Unterlinden). Dans cette exposition-ci, il ne s’est point agi pour nous de montrer l’influence de l’un sur l’autre mais plutôt comment, à travers quelques thèmes communs, comme la femme, le paysage, la vision du sacré et enfin la matière même de l’œuvre, Georges Rouault a pu se rapprocher de son maître ou au contraire, faire sécession. Au vu de l’exiguïté des lieux, le choix des œuvres a été nécessairement drastique ; elles permettent toutefois de montrer chez Rouault ce passage de l’ombre à la lumière, depuis les premières œuvres rembranesques jusqu’au solaire Nocturne chrétien (Paris, Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou) réalisé en 1952. Une première section sur l’atelier présente les œuvres de Rouault alors qu’il est élève de Gustave Moreau, notamment une étude pour Le Christ mort pleuré par les saintes femmes (Paris, Fondation Georges Rouault), troisième tentative pour obtenir le prix de Rome en 1895. Georges Rouault réalise déjà, dès sa jeunesse, de nombreuses peintures religieuses qui sont marquées par les visites faites au Louvre à l’instigation de Moreau. Dans cette section, est présentée une variante de Jupiter et Sémélé (Paris, musée Gustave Moreau), œuvre majeure et testamentaire de Gustave Moreau au moment où il est professeur à l’École des beaux-arts et, de manière plus inattendue, des croquis de Moreau d’après des œuvres de Rouault, corroborant la proximité artistique du
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maître et de l’élève. La deuxième section, sur le paysage, est sans doute la plus novatrice avec des œuvres rarement montrées comme Paysage de nuit dit Le Bon Samaritain (Fondation Yoshii) de Rouault ou comme Thomyris et Cyrus (Paris, musée Gustave Moreau) de Moreau que Fabrice Hergott nous avait judicieusement suggéré de présenter. La troisième section, sur la femme tentatrice, confronte un sujet traité de manière très différente par les deux artistes. Avec Messaline (Paris, musée Gustave Moreau), Moreau reste attaché à la peinture d’histoire classique alors que Rouault avec ses prostituées atteint une crudité à laquelle Moreau ne se risqua jamais. La quatrième section, sur leur vision du sacré, affiche très clairement que leur parenté passe par une vision spiritualiste de leur art et une compréhension profonde de la Bible. À l’évidence, l’art est le moyen d’exprimer leur vision du sacré. Le Saint Jean-Baptiste (Collection particulière) de Rouault, œuvre rare présentée ici, montre le lien direct avec une iconographie chère à Gustave Moreau. La dernière section, enfin, a la prétention de montrer l’amour commun des deux artistes pour la couleur pure et la matière audacieuse. Rappelons que Moreau, contrairement à ses collègues de l’École des beaux-arts, incitait ses élèves à peindre et pas seulement à dessiner. La parenté évidente entre La Parque et l’Ange de la Mort (Paris, musée Gustave Moreau) de Moreau et Notre Jeanne (Collection particulière) de Rouault trouve sans doute une explication dans le fait que Rouault, conservateur du musée pendant de nombreuses années, a eu tout le loisir d’étudier les œuvres qui y étaient présentées. Enfin, les ébauches non figuratives de Gustave Moreau n’ont certes pas encore livré leur secret mais leur modernité est troublante. En 1934, Louis Vauxcelles analyse très justement cette filiation en écrivant : « De Moreau d’abord, il prit le goût de la matière. » Elles nous ramènent à ce que Moreau, se percevant comme un passeur, disait à ses élèves : « Je suis le pont sur lequel certains de vous passeront. » Les différents essais du catalogue font la lumière sur l’enseignement de Moreau à l’École des beaux-arts et la place particulière de Rouault, le mythe de l’« atelier Moreau », les débuts de Rouault au Salon, enfin sur Rouault conservateur du musée et hagiographe de son maître. Le catalogue raisonné fait, quant à lui, un point approfondi sur des œuvres parfois inédites. Que les auteurs du catalogue soient ici chaleureusement remerciés pour la grande qualité de leur travail scientifique et leur engagement enthousiaste pour ce projet, Emmanuel Schwartz, Rémi Labrusse et tout particulièrement Emmanuelle Macé et Samuel Mandin qui ont œuvré sans relâche pour la réussite de cette exposition et de son catalogue. Marie-Cécile Forest
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Les références Cat., Des. et Inv., précédées de la mention MGM, renvoient aux collections du musée Gustave Moreau. Cat. : Les numéros attribués aux peintures de Gustave Moreau, précédés de la mention Cat., renvoient à : Geneviève Lacambre, Peintures, cartons, aquarelles, etc. exposés dans les galeries du musée Gustave Moreau, Paris, Réunion des musées nationaux, 1990. Des. : Les numéros attribués aux dessins, précédés de la mention Des., renvoient à : - jusqu’au no 4830 : Marie-Cécile Forest (sous la direction de), Gustave Moreau. Catalogue sommaire des dessins. Musée Gustave Moreau, Paris, musée Gustave Moreau, Réunion des musées nationaux, 2009. - à partir du no 4831 : inventaire manuscrit des œuvres graphiques du musée Gustave Moreau. Inv. : Les numéros précédés de la mention Inv. renvoient à l’Inventaire du musée Gustave Moreau rédigé en 1904. La bibliographie et la liste des expositions citées en abrégé se trouvent en fin d’ouvrage, dans la bibliographie générale.
Abréviations Arch. : archives Arch. nat. : Paris, Archives nationales BCMN : Paris, Bibliothèque centrale des musées nationaux Corresp. : correspondance ENSBA : Paris, École nationale supérieure des beaux-arts FGR : Paris, Fondation Georges Rouault FNAC : Fonds national d’art contemporain GM : Gustave Moreau L.a.s. : lettre autographe signée MGM : Paris, musée Gustave Moreau MNAM : Paris, Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou MAMVP : Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris n.d. : non daté n.p. : non paginé Fig. : renvoi aux œuvres exposées Ill. : renvoi aux illustrations des essais et des notices
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Sommaire Gustave Moreau professeur à l’École des beaux-arts : études d’art et de poésie Emmanuel Schwartz
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Les premiers Salons de Georges Rouault (1895-1897) Emmanuelle Macé
25
Georges Rouault : la mémoire et la défense de Gustave Moreau marie-cécile forest
39
Une communauté rêvée Georges Rouault et le mythe de « l’atelier Moreau » Rémi Labrusse
49
Catalogue Samuel Mandin
49
Dans l’atelier de Gustave Moreau
60
Paysage. Entre rêve et réalité
100
Pécheresse, courtisane, fille
114
Visions du sacré
124
L’amour de la matière, l’imagination de la couleur
140
Annexes Emmanuelle Macé, Samuel Mandin
Correspondances. Sélection de lettres concernant les années de formation de Georges Rouault dans l’atelier de Gustave Moreau à l’École des beaux-arts
156
Éléments biographiques
180
Bibliographie
184 198
Index des noms de personnes
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Gustave Moreau
professeur à l’École des beaux-arts : études d’art et de poésie D
ans l’École des beaux-arts du xxie siècle, les élèves qui occupent l’atelier où professa Gustave
Emmanuel Schwartz
Moreau savent encore que Matisse et Rouault firent là leurs premières armes (Ill. 5). Nulle part
ailleurs dans l’École, l’esprit, l’ombre, la présence d’un professeur disparu et de ses disciples ne sont ressentis avec une telle persistance. En 1891, lorsque Moreau professeur revint dans l’École qu’il avait connue élève, quarante-cinq ans plus tôt, il la trouva agrandie et réformée. Autrefois enserrée entre les rues Bonaparte et des Saints-Pères, elle s’était ouverte sur la Seine et le Louvre par l’acquisition d’un bâtiment ancien, hanté de souvenirs historiques et romanesques, l’hôtel de Chimay, affecté aux nouveaux ateliers de peinture. L’histoire de l’École épouse celle de la compétition entre les ateliers. Vigoureuse au temps d’Ingres, alors que l’École était un musée voué au seul dessin, elle s’exacerba après 1863, quand les professeurs académiques, Cabanel, Bouguereau, Bonnat, Gérôme, furent invités à installer dans les murs de l’École leurs élèves – qui, admiratifs et reconnaissants, en répandirent le renom jusqu’aux États-Unis ou au Japon. La réputation de Gustave Moreau professeur resta plus parisienne. L’affrontement entre Moreau et ses collègues se lit jusqu’à nos jours sur le Monument d’Ingres dans un angle d’un couloir sombre. Le buste du vieux maître, impérieux, assène : « Le dessin est la probité de l’art. » L’élève Matisse
déplorait chaque jour « cette parole d’Ingres, si facile, et que les ignares prétentieux ne se sont pas fait faute de répéter à satiété1 ». L’apophtegme d’Ingres hanta Georges Rouault toute sa vie ; il absolvait le maître du dessin, mais accusait tant de professeurs médiocres, dont François Picot qui avait formé Moreau, d’avoir réduit l’idéal académique à des formules passe-partout et à des exercices puérils. Gustave Moreau procéda à l’inverse de ses collègues dénués d’imagination pédagogique : il enrichit les vieilles recettes ingresques d’innovations et de paradoxes, qu’il coucha sur le papier2.
Maîtres et disciples Tout atelier constitue une petite société. Matisse discernait « plusieurs groupes : ceux qui ne travaillaient que pour obtenir des médailles ; ceux qui travaillaient de façon indépendante ; ceux qui ne travaillaient pas beaucoup, les découragés ; ceux enfin qui travaillaient bien, les ardents comme Rouault et Maxence3 ». Moreau ne maintenait pas l’ordre ; dans sa blouse blanche salie, il subissait la vulgarité des uns et parlait avec les autres musique et poésie. Ses collègues Léon Bonnat et Léon Gérôme imposaient leurs certitudes sans les justifier. Les chahuteurs reconnaissaient au moins l’autorité de Rouault, qui lui venait peut-être d’une forme d’éducation qui s’est perdue, la morale ouvrière. Les facilités offertes aux fils de prolétaires faisaient honneur à l’École des beaux-arts, l’un de ces creusets sociaux de l’instruction publique, laïque et gratuite, qui de 1871 à 1940 s’identifia à la République en France. Des bourses, des compétitions (le prix Chenavard) étaient réservées aux étudiants pauvres. À cette École qui lui donnait, par ses concours anonymes, sa meilleure chance, Rouault rendit hommage : « Je n’ai jamais haï l’École. Pauvre, j’étais heureux d’y pouvoir
Ill. 4 Affiche de l’École des beaux-arts pour l’année scolaire 1894-1895, Paris, musée Gustave Moreau
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dessiner d’après le modèle vivant ou l’antique. Mais je n’ai jamais été un pilier de la Closerie des Lilas4. » Rouault avait simplement besoin de solitude pour travailler, se faisant ermite au milieu du charivari (Ill. 5) : « Je crois, à m’isoler, n’avoir pas tant d’orgueil qu’il paraît, mais souci de me recueillir, de travailler en paix… » Moreau était issu d’un milieu bourgeois aisé. Cela ne l’empêchait pas de goûter l’art et le ton de Daumier et d’Eugène Labiche5. Il n’éprouvait guère le sentiment de classe, cultivant l’esthétisme aristocratique, l’amour de l’art pour l’art. Moreau renvoya un élève et son père qui attendaient
Ill. 5 Anonyme, Les élèves de l’atelier Gustave Moreau à l’École des beaux-arts en avril 1896, photographie, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, PH 8692
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de la peinture une carrière administrative6 ; il sentait la noblesse de Mme Rouault travaillant pour payer les études de son fils ou de M. Rouault poussant une charrette, images bibliques de Marie et Samson7 (Fig. 7d). Toujours indulgent, Rouault rendait hommage au modèle titré de la peinture bourgeoise, Monsieur Ingres : « L’art d’Ingres me semble, avant tout, la protestation hautaine et fière d’un esprit sérieux contre le sans culottisme de ces bourgeois en mal de libéralisme qui pullulent
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chez les artistes8. » Les bourgeois, Ingres mort, n’étaient plus des sans-culottes voltairiens, mais les Cabanel et les Bouguereau qui avaient pleins pouvoirs dans les jurys des concours et que, parmi d’autres, les Goncourt avaient pris pour têtes de Turcs en 1867 dans Manette Salomon. Gustave Moreau défendait ses élèves. Lui qui avait jadis échoué au grand prix de Rome prépara Rouault et Fernand Sabatté à son déroulement immuable – esquisses, académie peinte, grand sujet d’histoire, littérature ou histoire antique (Ill. 8). En 1895, Moreau voulut imposer son meilleur élève pour le premier prix, qui l’aurait envoyé pendant cinq ans à Rome avec une pension de la République ; les autres jurés proposèrent un second prix de consolation ; Moreau refusa. Après la mort de Moreau, pour réussir au concours, certains de ses élèves firent allégeance à son successeur, le peintre préhistorien Fernand Cormon ; Sabatté triompha en 1900 avec un morceau terrifiant digne de Cormon. Rouault qui se déclarait élève du seul Moreau fut ravalé d’année en année à des classements toujours plus faibles.
Du chic académique Gustave Moreau sexagénaire ne reniait pas son éducation. Parti en Italie, il y avait trouvé ou retrouvé les compagnons de sa vie, Léon Bonnat, Élie Delaunay et Edgar Degas, l’impressionniste qui dessinait les académies mieux qu’un professeur de l’École. Après tant d’années, Bonnat et d’autres firent une politesse posthume à Delaunay, titulaire d’une chaire de peinture : il avait
Ill. 6 Anonyme, La cour vitrée du Palais des Études, 1884, photographie, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, PH 916
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Les premiers Salons de
Georges Rouault (1895-1897)
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ous êtes de ceux dont la carrière sera très dure, mais en revanche, je l’espère bien, très
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honorée et très lumineuse1. » Par ces quelques mots adressés à Georges Rouault en 1895,
Gustave Moreau prédit l’avenir artistique de l’un de ses élèves les plus doués de l’École des beauxarts. Le professeur transmit en effet au jeune peintre une carte le félicitant d’une récompense
obtenue au Salon pour son tableau L’Enfant Jésus parmi les docteurs2 (Ill. 16). Gardée précieusement par Rouault et citée dans certains de ses écrits sur le maître3, cette lettre évoque sa première participation au Salon de la Société des artistes français en mai 1895 et témoigne de ses débuts remarqués et encouragés par Gustave Moreau. Cet essai se propose d’étudier les prémices de la carrière de Georges Rouault, notamment ses premières expositions publiques à Paris et à l’étranger, entre 1895 et 1897, lorsqu’il est élève à l’École des beaux-arts. Il s’agit également de mettre en évidence le rôle joué par Gustave Moreau dans ce début de carrière prometteur. À la fois professeur, conseiller, soutien moral et financier, ce dernier n’hésite pas à aider Rouault, l’élève discret, en l’incitant à exposer régulièrement et en l’introduisant dans son cercle d’amis, de collectionneurs et de critiques d’art.
Le cercle Pour l’Art à Bruxelles : une opportunité à l’étranger En janvier 1895, Georges Rouault envoie une de ses œuvres en Belgique au cercle Pour l’Art. Rarement cité dans les monographies4 consacrées au peintre, il s’agit probablement de la première exposition publique de l’élève de Moreau. Bruxelles est à la fin du xixe siècle une capitale culturelle dynamique. Nombreux sont les liens artistiques entre Paris et la capitale belge et il n’est pas rare pour un peintre français d’exposer en Belgique5. Dans ce contexte d’échanges internationaux et de multiplication des structures artistiques, le cercle Pour l’Art est constitué en 1892 par des dissidents de L’Essor6, sous la direction de Jean Delville7. Ce dernier définit le groupe ainsi : « Une phalange nouvelle de lutteurs “Pour l’Art”, avec cette devise pour ralliement, s’est levée à Bruxelles au nom de l’évolution constante de l’Art, de visées plus neuves, plus hautes8. » Proche du critique d’art et écrivain Joséphin Péladan, Jean Delville organise à Bruxelles des expositions à vocation idéaliste9. La revue Le Mouvement littéraire, fondée et animée par Ray Nyst, soutient cette initiative. Souhaitant réunir « les maîtres vivants de l’École Moderne10 » et donner à son cercle une dimension internationale, le peintre et poète symboliste invite Gustave Moreau à sa première exposition bruxelloise dont l’ouverture est prévue au Musée moderne le 12 novembre 1892. Il n’hésite pas à adresser deux lettres à celui qu’il considère comme « l’un des plus grands peintres contemporains11 ». Malgré l’insistance du peintre belge qui rappelle le « caractère hautement esthétique12 » de ses Salons (Ill. 17), Moreau décline poliment l’invitation13. L’année suivante, en 1893, Jean Delville rencontre le maître dans son atelier rue de La Rochefoucauld grâce à un ami commun, le comte Pierre de Puliga. Proche de Péladan14, ce jeune mécène italien avait écrit à Moreau car il souhaitait lui présenter « un jeune peintre belge Delville15 ». Une carte de visite du comte, annotée par le peintre – « venu dans mon atelier & avec un belge » –, atteste de la rencontre entre
Ill. 16 Georges Rouault, L’Enfant Jésus parmi les docteurs (détail), 1894, huile sur toile, Colmar, musée Unterlinden, Inv. D-1921.1
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les deux artistes. Delville compose d’ailleurs, cette même année, un Orphée mort16 (Ill. 18 et Ill. 19), nettement inspiré de l’œuvre de Gustave Moreau, exposé au musée du Luxembourg depuis 1867. Contrairement à Gustave Moreau, Georges Rouault accepte d’envoyer une de ses œuvres à la troisième exposition « Pour l’Art » qui s’ouvre le 12 janvier 1895. Toutefois, la démarche n’est pas personnelle. C’est par l’entremise d’un camarade de l’École des beaux-arts, le peintre belge Henri Evenepoel, qu’il expose sous le nom de Rouault-Champdavoine son tableau L’Enfant Jésus parmi les docteurs17 (Ill. 20). Sa participation, ainsi que celle d’autres élèves de Moreau, est évoquée dans la riche correspondance échangée entre Henri Evenepoel et son père, Edmond Evenepoel : « Autre chose : à l’exposition “Pour l’Art” où Henri Ottevaere m’avait invité à exposer, cinq élèves de l’atelier Moreau exposeront, Desvallières, Bussy, Piot, Dabadie et (envoyé par moi) le fameux Rouault dont je t’ai parlé avec tant d’éloges! Je suis pour quelque chose pour cette intrusion en Belgique de notre cher atelier […]. Moreau m’a remercié, ce matin, pour la peine que j’avais prise à cet effet : ce sera sans doute Rouault, qui travaille chez lui en ce moment, qui lui aura dit mes démarches auprès de mes camarades18 ! » L’artiste belge Henri Ottevaere devient membre du cercle Pour l’Art en 1894. Possédant un atelier à Paris, il se rapproche de son compatriote Henri Evenepoel afin d’obtenir la participation d’élèves de Gustave Moreau à l’exposition bruxelloise de 1895. Rouault est un jeune homme réservé, voire « très sauvage19 », selon ses propres termes, lorsqu’il rencontre Moreau. Au début de sa carrière, il ne cherche pas de lui-même à être introduit dans les milieux artistiques et littéraires à la mode. Cependant, il sait saisir les opportunités qui s’offrent à lui, acceptant ainsi la proposition de son ami d’exposer une œuvre pour laquelle il avait obtenu, l’année précédente, à l’École des beaux-arts, le prix Chenavard20. Rouault peut donc « tester » son Ill. 17 Lettre de Jean Delville à Gustave Moreau, 23 juin 1892, Paris, musée Gustave Moreau
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tableau auprès du public et de la critique belges, quelques mois avant le fameux Salon de la Société des artistes français. Henri Evenepoel encourage d’ailleurs son père à s’attarder à l’exposition « Pour l’Art » devant cette peinture qui fut admirée par tous dans l’atelier Moreau : « Quant au Rouault, va le revoir un jour où il n’y aura pas trop de monde, laisse-toi aller à l’analyser, laisse-toi
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Ill. 18 Gustave Moreau, Orphée, Salon de 1865, huile sur toile, Paris, musée d’Orsay, RF 104 Ill. 19 Jean Delville, Orphée mort, 1893, huile sur toile, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Inv. 12209
imprégner de son ambiance, va le voir de près, regarde les blancs, les ors, les noirs, les verts ; j’ai eu à le regarder des jouissances exquises ; pour moi, c’est une œuvre à faire acheter à quelqu’un à qui on doit de la reconnaissance21… » Toutefois, comme le constate amèrement Evenepoel, cette toile ne semble pas particulièrement attirer l’attention des critiques belges, même dans les revues les plus modernistes : « Il ne me [reste] vraiment plus d’énergie que pour regretter le peu de cas qu’on a fait dans la presse belge du tableau de Rouault ! Je ne sais pourquoi je m’en étonne, après tout ! puisque c’est une œuvre hors pair22 ! » Émile Verhaeren dans L’Art moderne et le dénommé Kalophile dans La Jeune Belgique se contentent, en effet, de mentionner seulement le nom de Rouault parmi les élèves de Moreau23.
Le Salon de la Société des artistes français : des débuts remarqués À partir de mai 1895, après trois années de participation aux concours de l’École des beaux-arts, Georges Rouault présente ses œuvres au Salon de la Société des artistes français. Héritier du Salon unique, il reste encore, malgré la concurrence des autres Salons dans les années 1890, un lieu de référence convoité par de nombreux artistes. À cette époque, Gustave Moreau n’expose plus au Salon ; sa dernière participation remonte à l’année 188024. Peintre d’histoire recherchant la reconnaissance de ses pairs, il a accordé, durant une grande partie de sa carrière, un rôle majeur au Salon25. Au cours des années 1890, tout en poursuivant ses recherches plastiques et poétiques, Gustave Moreau est enfin reconnu par les institutions. Membre de l’Institut depuis 1888, il remplace son ami Élie Delaunay à l’École des beaux-arts en octobre 1891 et est nommé professeur chef d’atelier en janvier 1892. C’est donc tout naturellement qu’il est élu pour trois années, le 12 mars 1893, membre du « jury d’admissions et de récompenses de la section peinture » à la Société des artistes français. Les courriers envoyés à Moreau par Léon Bonnat, président
Les premiers Salons de Georges Rouault (1895-1897)
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Georges Rouault :
la mémoire et la défense de Gustave Moreau
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«J
e vous considère comme représentant ma doctrine picturale2. » La doctrine picturale de
Marie-Cécile Forest
Gustave Moreau (Fig. 1), professeur à l’École des beaux-arts de 1892 à 1898, ne nous a
pas été transmise par des notes de cours qui auraient été conservées mais par les écrits majeurs de deux de ses élèves, Henri Evenepoel3 et Georges Rouault (Fig. 11). Une note laissée par Moreau
théorise pour lui-même les deux opérations nécessaires à l’exécution d’une œuvre d’art : rentrer en soi-même et en sortir : « Rentrer en soi-même pour se bien rendre maître de son sentiment et de son inspiration. En sortir pour être à soi-même son propre juge et critique, et trouver le sang-froid nécessaire aux multiples difficultés des travaux d’exécution4. » Tel est son credo. Cet essai se propose d’examiner comment, après la mort de Gustave Moreau en 1898, son élève Georges Rouault va faire vivre sa mémoire en devenant conservateur du musée à partir de 1902 et en écrivant abondamment sur son maître. Du vivant de Moreau, le lien entre le maître et l’élève est attesté par la correspondance établie de 1892 à 1898 entre les deux hommes5 (Ill. 25) et par les dispositions testamentaires de Gustave Moreau (Ill. 34). La correspondance entre Moreau et son élève frappe par son caractère affectueux. Si Moreau appelle son élève « mon cher enfant », Rouault l’assure être son « élève qui vous aime ». À l’évidence, Moreau est plus qu’un professeur, il est pour son élève un véritable père spirituel. Moreau, grand lecteur de Pascal qu’il cite dans les lettres qu’il lui adresse, lui donne d’ailleurs des conseils d’ordre moral avec lesquels il n’est pas question de transiger. Moreau est confiant dans son avenir à condition qu’il ne se laisse pas « envahir par un sot amour-propre, ou par l’orgueil, cause de toute ruine chez un artiste6 ». Les jugements de Moreau sur les œuvres de son élève portent sur la composition et la pensée qui les sous-tendent. L’intrication entre le quotidien, notamment le souci réciproque et bienveillant de bonne santé, et l’idéal créateur est tout à fait caractéristique de cette correspondance. Moreau se montre à tout instant encourageant sur une carrière encore balbutiante qu’il prédit « très honorée et très lumineuse7 ». Au-delà des conseils artistiques prodigués par son maître, son soutien moral indéfectible a été primordial. Rouault exprime d’ailleurs son entière reconnaissance à celui qu’il appelle « le guide le meilleur et le Père8 ». Un autre témoignage tangible de l’affection et de l’intérêt de Moreau pour Rouault vient de ses dispositions testamentaires. Dans son testament rédigé le 17 septembre 1897, il lui lègue en effet la somme de cinq mille francs. Dans un document plus intime à Henri Rupp, son légataire universel (Ill. 26), rédigé deux mois avant sa mort, il lui demande de donner après son décès ses habits à Rouault et Delobre, autre élève proche du maître. Il dit également vouloir préparer un lot de livres à donner à trois de ses élèves : Rouault, Delobre et d’Eaubonne9. Nous n’avons pu vérifier si ce souhait avait pu être réalisé avant sa mort. Ce vœu nous semble tout à fait caractéristique de la valeur que Gustave Moreau accordait à la littérature. Elle devait, à ses yeux, être instructive. Ces ouvrages dont nous ignorons le contenu prolongeaient sans doute son enseignement au-delà de sa disparition.
Fig. 32 Gustave Moreau, La Parque et l’Ange de la Mort (détail), vers 1890, huile sur toile, Paris, musée Gustave Moreau, Cat. 84
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Georges Rouault conservateur du musée Gustave Moreau « L’homme vrai dans sa vraie place10 » : c’est par ces mots qu’André Suarès va conforter – et peutêtre même réconforter – Georges Rouault dans sa fonction de conservateur du musée Gustave Moreau. Nous sommes en 1924 et Rouault en est le conservateur depuis 1902 (Ill. 29). Il le restera jusqu’à sa démission le 2 juillet 1929, date à laquelle il est nommé conservateur honoraire « en reconnaissance de ses bons services depuis vingt-sept années ». Cette fonction lui est conservée jusqu’à sa démission définitive en 193211. L’année suivante, il refuse la proposition qui lui avait été faite de remplacer au conseil d’administration madame Blumenthal pour raisons de santé et à cause de ses travaux qui le retiennent souvent loin de Paris12. De la manière la plus ferme Suarès lui dit qu’il y est nécessaire et que sa présence installe une tradition. Cette tradition d’un élève devenu conservateur du musée perdurera avec la nomination d’un autre artiste peintre, comme le nomme Moreau dans son testament, devenu lui aussi conservateur du musée, à savoir George Desvallières. Les délibérations de la commission administrative du musée nous renseignent sur son fonctionnement, ses membres, les projets et les difficultés rencontrées. Rouault est nommé conservateur le 7 août 1902, alors que dans le même temps Henri Rupp, légataire universel de Moreau, devient administrateur délégué. Sa rémunération est fixée à deux mille quatre cents francs par an, ce qui lui permet d’être libéré de la nécessité de faire de la « peinture lucrative13 ». La commission administrative se réunit donc peu après le décret de la création du musée Gustave Moreau publié le 16 juillet 1902. Le musée n’ouvre ses portes qu’en janvier 1903. L’importance des élèves de Gustave Moreau au sein de la commission administrative a rarement été évoquée. Elle est pourtant capitale. Ill. 25 Lettre de Georges Rouault à Gustave Moreau, n.d. [août 1893], Paris, musée Gustave Moreau
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Ainsi, un autre élève, Paul Baignières, devient membre de la commission en novembre 1905 en remplacement du sculpteur Paul Dubois, décédé. L’importance de George Desvallières, exécuteur testamentaire, ne cesse de croître après le décès d’Henri Rupp en 1918 à qui il succède en tant qu’administrateur délégué. Après la démission de Rouault, celui que la commission définit comme
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un « animateur pieux et fervent14 » lui succède en tant
Ill. 26 Gustave Moreau, Portrait d’Henri Rupp, mine de plomb sur papier, Paris, musée Gustave Moreau, Inv. 18108
que conservateur15. En 1930, Matisse est pressenti pour faire partie de la commission administrative sans qu’il y ait de suite à cette proposition de Paul Baignières. À une époque où les expositions au sein du musée ou à l’extérieur n’avaient pas l’importance qu’elles ont aujourd’hui, c’est surtout la publication d’un catalogue qui mobilise l’énergie de tous. Avant même que le musée n’ouvre, un premier catalogue intitulé Catalogue sommaire des peintures, dessins, cartons et aquarelles exposés dans les galeries du musée Gustave Moreau paraît en 1902 (Ill. 31). Il sera suivi d’une deuxième publication dès 1904. Cette édition est beaucoup plus riche et complète que la précédente. Pour la première fois sont publiées les notices d’œuvres écrites par Gustave Moreau en 1897, une année avant sa mort. Une lettre particulièrement intéressante d’Auguste Marguillier, secrétaire de la Gazette des beaux-arts à qui le musée souhaite faire éditer le catalogue, à Rouault, en date du 21 août 190416, révèle l’extrême attention portée aux titres des œuvres qui sont âprement discutés. Il y est fait mention des écrits d’Édouard Schuré pour mieux les déterminer. En 1910, Henri Rupp, dont les initiatives sont décisives, propose de réaliser un album de luxe avec les reproductions en héliogravure des principaux tableaux avec une page de texte pour chaque œuvre. Ce luxueux ouvrage intitulé L’Œuvre de Gustave Moreau est édité par Bulloz avec une introduction de George Desvallières17. Durant cette première décennie, des œuvres sont également restaurées, comme L’Enlèvement d’Europe18 dont le rentoilage est fait en 1903 par un certain M. Bouvard, restaurateur très habile et recommandé par Rouault. Cette restauration est historique car elle marque la première intervention sur une œuvre du tout nouveau musée. Autre fait notable et significatif de la vitalité du musée, l’inventaire des collections est achevé le 28 novembre 190419. Rouault, très investi dans cette tâche, écrit à Desvallières se sentir une responsabilité véritable20. Avec la présence de Rouault, le musée prend un caractère familial. Marié à Marthe Le Sidaner, pianiste et sœur du peintre pointilliste Henri Le Sidaner, le couple s’y installe en 190821. Leur fille Geneviève y naît l’année suivante. Marthe Rouault y donne des leçons de piano jusqu’en décembre 1913, date à laquelle Henri Rupp, visiblement chagriné, demande à son mari de faire cesser ces cours et d’enlever le piano au plus vite22. Rouault conservait également certaines de ses œuvres au musée. Léon Bloy et André Suarès mentionnent en effet y avoir vu L’Enfant Jésus parmi les docteurs23. La situation financière du musée est particulièrement difficile, ce qui décide le conseil d’administration à instaurer à partir du 1er janvier 1923 un droit d’entrée. Avec le décès d’Henri Rupp, modèle de patience et de douceur, le 18 octobre 1918, la situation change. Desvallières devient administrateur délégué et des tensions semblent apparaître entre les deux artistes. Desvallières règle les emplois du temps et impose à Rouault de venir un jour fixe afin de laisser le musée « le moins seul possible24 ». Il lui demande de s’occuper des peintures, dessins et aquarelles de Moreau alors que Jean Paladilhe, neveu de Desvallières, est chargé des livres, carnets, reproductions photographiques, meubles et objets mobiliers25. La situation de Rouault au sein du musée ne dut pas être facile pour qu’il écrive en 1929 à Suarès : « Je puis vous le dire, à vous, j’ai toujours horriblement souffert dans ce Musée26. » La situation financière précaire de l’établissement, la guerre de 1914 et les rivalités expliquent cette confidence amère. Toutefois, l’attachement affectif pour ce qui fut la maison familiale de leur maître
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Une communauté rêvée Georges Rouault et le mythe de « l’atelier Moreau » S
ur la photographie la plus connue des élèves de l’atelier de Gustave Moreau à l’École des beaux-
Rémi Labrusse
arts, prise en 1897 peu avant la mort du peintre (Ill. 35), Georges Rouault est assis au premier
rang, au centre, et fixe l’objectif avec tant de concentration et de sérieux qu’on pourrait croire qu’il est lui-même le chef de ce vaste groupe de jeunes gens s’entassant en désordre derrière lui. Quelque chose, cependant, le sépare d’eux, physiquement – il tourne le dos à ses camarades, les mains croisées entre ses jambes – et mentalement, comme s’il n’entendait rien, ne voyait rien, ne sentait rien de ce qui se passe autour de lui. Ses larges épaules voûtées, derrière lesquelles Albert Marquet a du mal à montrer la tête, évoquent à la fois un lutteur qui rassemble ses forces et un rêveur ployant sous le manteau de la mélancolie. Son regard énergique et pourtant flottant marque aussi bien la détermination à agir que le retrait dans une rêverie intérieure. De sa personne émanent autant une volonté d’isolement qu’un désir de commandement. Il faut dire que le deuil est imminent, chez ce jeune homme qui, à l’époque, ne pouvait pas ne pas savoir que son maître tant aimé était condamné à brève échéance ; tout se passe donc comme s’il se préparait à affronter cette solitude que Moreau n’avait cessé de célébrer comme une vertu cardinale pour tout véritable artiste, et qu’il avait plus particulièrement prédite aux élèves pour lesquels il avait du respect, comme Matisse, ou de l’affection, comme Rouault lui-même. On sait d’ailleurs, par ses propres témoignages, que la mort de son maître a profondément déstabilisé le jeune disciple, pendant plusieurs années : « Le patron mourut bientôt et le novice solitaire trouva la route rude1. » Pourtant, au même moment ou presque, aux antipodes de cette éthique et de cette esthétique de la solitude vantées par Moreau et reprises à son compte par le jeune Rouault, s’esquissait l’idée d’un groupe, celui des « élèves de Moreau », dont l’identité collective et la cohérence interne devaient survivre au maître lui-même. Rouault, avec sa réputation d’élève préféré, puis en sa qualité de conservateur du musée Gustave Moreau à partir de 1902, paraissait destiné à devenir le gardien privilégié de cet héritage commun. Ainsi, comme sur la photographie de l’atelier en 1897, s’est-il rapidement trouvé déchiré entre la volonté de défendre un esprit collectif d’atelier et un penchant contraire pour l’appropriation solitaire, mélancolique, d’un passé plus ou moins rêvé. Car deux mythes se sont entrechoqués autour de la mémoire de Moreau : celui de l’atelier comme tel, orchestré par la critique et par un certain nombre d’anciens ; et celui de la relation élective entre un maître et un disciple, secrètement vécu par Rouault et finalement exprimé sur le tard. Impossible de comprendre le second sans avoir d’abord cerné les raisons du premier.
Vérités vagues de l’atelier Le mythe n’est pas un simple déni de la réalité mais son remodelage, en fonction d’autres besoins que la vérité historique. Dans le foisonnement des faits, se trouvent sélectionnés et transformés ceux que l’on pense le plus utiles pour constituer un récit fondateur, capable de donner corps à une construction identitaire, qu’elle soit personnelle ou collective. C’est ce qui s’est passé avec ce
Ill. 35 Anonyme, Les élèves de l’atelier Gustave Moreau à l’École des beaux-arts de Paris en 1897 (détail), photographie contrecollée sur carton, Paris, musée Gustave Moreau, Inv. 16003, dédicacée à Gustave Moreau : « A monsieur Gustave Moreau/Hommage respectueux de ses élèves/École des Beaux-Arts-1897 »
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qu’on a appelé « l’atelier Moreau » : ce thème, bâti sur la valorisation de certains éléments réels et sur l’exclusion d’autres aspects, a été utilisé par la critique d’art, dès le tournant du xixe et du xxe siècle, pour réconcilier l’idée d’art d’avant-garde et l’idée de filiation académique, sur un plan à la fois sociologique et esthétique. Encore fallait-il, pour cela, pouvoir s’appuyer sur un peu de réalité. Et, de fait, la cohérence intellectuelle et esthétique du vaste groupe de jeunes gens qui se sont succédé dans l’atelier de l’École des beaux-arts entre 1892 et 1898 ne relève pas que de la légende. Gustave Moreau, on le sait, loin de considérer son métier d’enseignant comme une simple position sociale, séparée de sa vie créatrice, a consacré une grande part de son énergie à s’affirmer comme un véritable maître à penser2. Les décisions de transformer son appartement en musée et de consigner systématiquement par écrit ses pensées sur l’art, par exemple, sont inséparables de son activité de chef d’atelier : il pouvait ainsi transmettre avec plus d’exactitude ses idées à ses élèves les plus proches, invités chez lui. Révélatrice de la profondeur de cet engagement est la phrase souvent répétée du maître à ses élèves : « Si je laisse deux ou trois bons peintres, voire un seul, je m’estimerai heureux3 » – autrement dit, le désir de faire naître des peintres avait fini par passer avant celui de laisser d’ultimes chefs-d’œuvre personnels, pour le dernier Moreau, entouré de ses toiles pour la plupart inachevées. Corrélativement, une intense tonalité affective imprègne ses relations connues avec nombre de ses élèves, si l’on en juge par les propos rapportés – « Ne me respectez pas tant, aimez-moi un peu4 » – ou par les correspondances conservées : « Mon cher enfant », par exemple, semble avoir été son expression de prédilection pour s’adresser à ses proches élèves, qu’il s’agisse de Rouault5, d’Ary Renan6, de George Desvallières7 ou de quelques autres. Réciproquement, nombreuses sont, dans les lettres d’élèves ou d’anciens élèves aujourd’hui conservées au musée Gustave Moreau, les expressions d’un sentiment filial – celui de Paul Audra, par exemple, qui lui adresse ses vœux pour 1898 « comme fait un enfant à son père, avec le même amour8 ». Enfin, il faut ajouter – sans pouvoir le développer ici – que le contenu même de l’enseignement de Moreau, sur ce fort fond affectif, a eu une évidente unité intellectuelle et esthétique, marquée par un idéalisme puissamment affirmé, un souci minutieux du métier pictural (et plus particulièrement du médium, des pâtes), des références artistiques – Rembrandt et la peinture hollandaise, Léonard de Vinci, Véronèse, Chardin – récurrentes et plutôt originales par rapport aux modèles habituels de l’École, enfin un libéralisme esthétique revendiqué, auquel Matisse, parmi d’autres anciens élèves, a rendu hommage magnifiquement : « Moreau a mis ses élèves non pas dans un chemin, mais hors des chemins. Il leur a donné l’inquiétude9. » Cela dit, pour cette raison même, on ne saurait comparer – comme la critique l’a pourtant fait assez rapidement – l’atelier Moreau avec l’atelier de David, par exemple, ou avec celui d’Ingres, au début du xixe siècle10. Le paradoxe d’une personnalité à la fois très forte et très discrète, car fondamentalement libérale, à la tête de l’atelier, a certainement contribué à brouiller l’identité du groupe. « L’atelier Moreau » était réputé pour le nombre élevé de ses élèves, attirés par la largeur de vue de l’enseignant : même si ce nombre est fluctuant selon les modes de calcul, il dépasse toujours la centaine et atteint deux cent dix-sept participants plus ou moins stables, selon le décompte récemment réalisé par Anne Coron à partir de listes établies par Gustave Moreau lui-même11. Parmi ces élèves, comme dans toute l’École, les statuts étaient éminemment divers et poreux, entre ceux qui étaient officiellement inscrits, occupés à passer les concours les plus variés, et ceux qui étaient informellement autorisés par le maître à travailler dans l’espace de l’atelier. Cette communauté disparate d’élèves plus ou moins assidus, plus ou moins durablement inscrits, était de surcroît divisée entre de véritables disciples, quasi imitateurs, comme le jeune Rouault ou le symboliste Edgard Maxence, et Ill. 36 Henri Matisse, Nu dans l’atelier, vers 1899, huile sur toile, Le Cateau-Cambrésis, musée départemental Matisse, 1982-51, don Marie Matisse en 1982
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des personnalités indépendantes, comme Matisse, Marquet ou tant d’autres tombés aujourd’hui dans l’oubli. Moreau lui-même, comme ses confrères, ne venait que deux fois par semaine, le mercredi et le samedi, corriger les études de jeunes gens qui, le reste du temps, travaillaient seuls (Ill. 36) dans une atmosphère de désordre dont Matisse a évoqué le souvenir dans ses conversations avec Pierre Courthion : « Il y avait des gens qui préparaient le concours de Rome et faisaient, en quelque
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Catalogue samuel Mandin
Nos stulti…1
Ill. 43 Eliza de Romilly, Portrait de Gustave Moreau assis dans un fauteuil en bambou, 1874, papier albuminé sur carton, Paris, musée Gustave Moreau, Inv. 16056
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Ill. 44 Studio Jules Allevy, Georges Rouault, photographie, vers 1897 ?, Paris, Fondation Georges Rouault
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Il nous apprit à discipliner notre volonté sans méthode préconçue ; à avoir respect de certaine vision intérieure ; il nous donna le goût d’un parfum d’héroïsme ou d’une réalité assez racée et haute, si, bien entendu, nos dons nous permettent d’y atteindre […]. Georges Rouault à propos de Gustave Moreau (Georges Rouault, « Gustave Moreau », L’Art et les artistes, avril 1926, p. 221)
Dans l’atelier de Gustave
Moreau Positivement à cette école de Moreau, j’ai appris qu’on devait peindre en aimant ce qu’on faisait, et que seul ce qui était aimé par le cœur était louable, que chaque touche de la brosse devrait être dirigée par sa sensibilité. Foin de ceux qui peignent avec les mains ; de ceux dont l’œuvre est une satisfaction de l’œil, mais dont le nerf optique n’est pas en relation avec le cœur ! Henri Evenepoel (Lettre d’Henri Evenepoel à son père, 8 novembre 1895)
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2. G U STAV E M O R E AU
Jupiter et Sémélé. Variante Huile sur toile H. 149 ; L. 110 Paris, musée Gustave Moreau, Cat. 73 (Inv. 10459) Bibl.: 1899 Bouyer, p. 121 (repr.); [1899] Flat, (repr. n.p.); 1900 Geffroy, p. 13 (repr.); 1900 Schuré, p. 619; 1900 Hellé, p. 18; 1901 Lorrain, p. 23; 1902 [Rupp], p. 57 no216; 1903 Fouquier, p. 5 (repr. gravée); 1904 [Rupp], p. 49 no216; 1904 Schuré, p. 372-373; 1926 [Rupp], p. 49 no216; 1960 Holten, (repr. n.p. no47); 1965 Holten, p. 86 (repr.); 1966 Paladilhe, p. 19
no73; 1974 Paladilhe, p. 19 (repr.), p. 48 no73; 1975 Rotterdam Bruxelles Baden-Baden Paris, p. 144; 1976 Hahlbrock, no95, p. 162 (repr. no95), p. 192; 1978 Selz, p. 64; 1979 Noël, (repr. n.p. no53); 1990 Lacambre, Cat. 73, p. 51, p. 57 (repr.); 1990 Las Palmas, p. 73, p. 315, p. 365; 1991 Mathieu, p. 110 (repr. no281), p. 111; 1992 Spolète, p. 102; 1992 Lacambre, p. 87 note 32; 1994 Mathieu, p. 208 note 22 (p. 283); 1994 Lacambre, p. 599 note 7 (p. 606), p. 603 (repr. fig. 657); 1996 Rome, p. 218 note 4 (p. 219); 1998 Capodieci Cooke Lacambre, p. 138 note 3; 2001 Millau, p. 53, p. 70; 2003 Paris, p. 140; 2007 Ferrare
Souvent comparée au Jupiter et Thétis1 d’Ingres, cette œuvre devait, dans le futur musée, remplacer son homonyme livrée à Léopold Goldschmidt en 18952. D’une facture plus libre, l’absence de signature laisse supposer que Moreau ne la considérait pas comme achevée. Elle a pourtant été minutieusement préparée comme en témoignent plusieurs dessins3, une aquarelle4 et une esquisse à l’huile5. Dans cette «variante», le peintre simplifie à la fois la composition et l’iconographie, réduisant le nombre de personnages; il ne s’écarte guère de sa source littéraire, Les Métamorphoses d’Ovide6, dont il fut, dès sa jeunesse, un grand lecteur7. Signalons que sa bibliothèque contient plusieurs livres traitant du mythe de Sémélé8, ainsi qu’une traduction de la Sémélé de Schiller9. Jupiter ainsi représenté est assimilable à un Christ pantocrator, sous son bras gauche en place du livre du Jugement: «la lyre qui règle l’harmonie des sphères10 ». Souverain des dieux, il tient le sceptre et un lotus. Cette fleur sacrée dans l’Égypte antique symbolise la naissance et la renaissance après la mort. Elle est également associée à de nombreux dieux du panthéon hindou. Jupiter est le maître de la foudre et du tonnerre. Les éclairs qui l’environnent sont cause de la mort de Sémélé, la fille de Cadmos et d’Harmonie. Cette
mortelle lui donna un fils, Bacchus. Est-ce lui qui se lamente, pleure sur son flanc ensanglanté? Ce personnage ailé, tel un Cupidon, Moreau le nomme «génie des sens, < de > l’amour < animal > & terrestre aux pieds de bouc11». Son auréole godronnée est identique à celle qui ceint la tête de l’aigle qui, ainsi christianisé, pourrait apparaître aux côtés de saint Jean l’évangéliste12 (Ill. 45) ou le symboliser dans le tétramorphe. Dans le nimbe du fils de Rhéa et Saturne, Moreau inscrit l’ouroboros13 et deux masques à la signification énigmatique. Le chef divin est surmonté d’étoiles et d’un zodiaque se déployant sur un ciel de lapis-lazuli. Ici se côtoient des symboles empruntés à diverses religions, Moreau a du mythe ovidien une vision syncrétique. De ce tableau il aurait pu dire, comme de celui peint pour Léopold Goldschmidt: «C’est un hymne à la divinité. Des germes < atomes >, des parcelles de Christianisme apparaissent dans cette composition – cette mort des sens, cette ruine de l’être matériel – pour entrer dans la vie immortelle. Cette allégresse des êtres à l’apparition de la lumière divine, au contact de l’idéal divin, tout cela sent son christianisme - le Paganisme est flétri dans son essence, une grande par un renversement une déviation de son symbolisme14.»
1. Jean-Auguste-Dominique Ingres, Jupiter et Thétis, 1811, huile sur toile, musée Granet, Aix-en-Provence, Inv. 831.1.1. 2. Jupiter et Sémélé, huile sur toile, MGM, Cat. 91. Léopold Goldschmidt fit don de cette œuvre au MGM en 1903. Cf. MGM, Corresp., L.a.s. de Léopold Goldschmidt à Henri Rupp, 12 janvier 1903 ; MGM, Arch., Procès verbal de la commission administrative du MGM, 14 janvier 1903, p. 24-25 ; séance du 12 mai 1903, p. 31. 3. MGM, Des. 273, 304, 312, 2689, 3969, 6917, 10718, 10728, 10729. 4. Jupiter et Sémélé, aquarelle, MGM, Inv. 13980. 5. Jupiter et Sémélé, huile sur carton, MGM, Cat. 622. 6. Les Métamorphoses d’Ovide […], traduites par Pierre du Ryer, Paris, A. de Sommaville, 1660, p. 114-117
(MGM, Inv. 14698) ; Ovide, Les Métamorphoses, traduction française de Gros refondue par M. CabaretDupaty, Paris, Garnier frères, 1877, p. 99-103 (MGM, Inv. 13528). 7. Cf. 2008 Lacambre. 8. Demoustier C[harles]-A[lbert], Lettres à Émilie sur la mythologie, tome II, Paris, Lemoine, 1826, lettre XXXIX p. 84-89 (MGM, Inv. 15235) ; La Croix, [Jean-François] (de), Histoire poétique tirée des meilleurs poètes et littérateurs français […] suivie d’un dictionnaire de la fable, 10e éd. revue corrigée et augmentée par J. F. Nouel, Paris, Thiériot et Belin, 1822, p. 64-65 (MGM, Inv. 15242) ; Noël Fr[ançois-JosephMichel], Dictionnaire de la Fable […], Paris, Le Normant, 1801 (Inv. 16685- 1 et 2) : tome I, p. 145-147 ; tome II, p. 110-113, 542 ; Jacobi E[duard], Diction-
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Rome, p. 198; 2009 Forest, p. 157, p. 162, p. 164, p. 549, p. 758; 2010 Rieger, p. 503 note 17 (repr.), p. 504 (repr. détail); 2014 Forest, p. 62, p. 63 (repr.) Exp. : 1964 Tokyo, no 46, (repr. n.p. pl. XXXIX) ; 1977 Le Mans, (n.p.), (repr. n.p.) ; 1979 Montrouge, no 18, (repr. n.p.) ; 1986 Zurich Munich, Kat. Nr. 111, p. 14, p. 245 (repr.), p. 331 ; 1989 Florence Ferrare, no 66 (repr.), p. 24 ; 1998 Paris Chicago New York, no 120, p. 225 (repr.) ; 2005 Matsue Kobe Tokyo, no 25 (repr.) ; 2009 Budapest, no 72 (repr.) ; 2009 Madrid, Cat. 94, p. 227 (repr.) ; 2014 Paris, ill. 64, p. 87, p. 75 (repr.)
Ill. 45 Gustave Moreau, Saint Jean de l’Apocalypse, n.d., aquarelle, gouache, mine de plomb sur papier, Paris, musée Gustave Moreau, Des. 843
naire mythologique universel […], traduit de l’allemand Th. Bernard, Paris, Firmin Didot, 1863, p. 64-67, 262-266, 438-439 (Inv. 14648). 9. Sémélé, in Schiller, Poésies, traduites par M. X[avier] Marnier, nouvelle édition, Paris, G. Charpentier et Cie éditeurs, 1886, p. 259-282 (MGM, Inv. 13409). 10. 1900 Schuré, p. 619. 11. MGM, Arch. GM 298, fol. 29 Carnet noir (cf. 2002 Moreau (II), p. 145). 12. Voir : MGM, Cat. 383 ; MGM, Des. 361, 362, 681, 843 (Ill. 45), 995. 13. Symbole que l’on retrouve plus distinctement sous le pied droit de Jupiter dans Jupiter et Sémélé (MGM, Cat. 91). 14. MGM, Arch. GM. 298, fol. 32 (note datée du 10 octobre 1897).
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Le Modèle, souvenir d’atelier
Huile, encre et gouache sur toile H. 81,3 ; L. 65,1 Collection particulière Exp. : 1969 Saint-Paul, no 134, (repr. n.p.) ; 2012 Neuss, Kat. 73, p. 88, p. 89 (repr.)
Durant sa période de formation à l’École des beaux-arts, Rouault eut maintes occasions de peindre d’après le modèle vivant. Ainsi, en 1893, participa-t-il au concours semestriel de la Figure peinte. Il se classa cinquième à la première épreuve, le 17 octobre, sur le sujet Ulysse et Calypso1. Mais la Figure qu’il exécuta en « quatre jours […] à raison de sept heures par jour, non compris le repos du modèle2 », pour la seconde épreuve ne lui permit pas de remporter le prix3. La présence d’un homme assis devant son chevalet près du modèle n’a rien d’incongrue dans ce contexte4. Peut-on voir dans Le Modèle, souvenir d’atelier le résultat du travail de Rouault pour ce concours ? Non, car cette année-là le modèle posait assis (Ill. 61). Faut-il alors considérer cette peinture comme une des Figures exigées annuellement des candidats au prix de Rome ? La réponse demande à être nuancée. Notons qu’elle est exécutée sur une « toile de 25 » (81 × 65 cm), ses dimensions sont donc celles requises par le règlement. Comme exigé, le modèle nu, debout sur la table, tenant le bâton d’appui, occupe toute la hauteur. Néanmoins, dans son état actuel, il est évident que Le Modèle, souvenir d’atelier ne peut être considéré comme une œuvre de jeunesse. Mais Rouault n’affirmait-il pas : « je suis le père “Revenez-y”5 » ? L’aurait-il retouchée
Ill. 61 Jules-Gustave Besson, Figure peinte, 1893, huile sur toile, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, FP 119
Ill. 62 Georges Rouault, Le Modèle, souvenir d’atelier, 1939-1949, huile, encre, gouache sur toile, Paris, Centre Georges Pompidou, Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle, AM 4231 (874), donation Mme Rouault et ses enfants, 1963
dans sa maturité au point de l’occulter, de la rendre méconnaissable ? Seule une radiographie pourrait confirmer cette hypothèse. Signalons une autre toile portant ce titre (Ill. 62). Selon Bernard Dorival, elle aurait été réalisée au cours des années d’études de Rouault et retravaillée « postérieurement à 1948 (date où apparaît son goût pour le jaune)6 », un précédent existe donc. L’œuvre que nous exposons fascine par la richesse de son coloris, l’infinie variété de ses nuances, les formes comme souvent chez
Rouault sont cernées par d’épais traits noirs. Dégagé des obligations de rendre avec précision les carnations, les proportions anatomiques du modèle, il se laisse aller à fixer une « vision intérieure », un souvenir empreint de mélancolie, de nostalgie de cette jeunesse laborieuse. Tout ici participe d’un climat d’irréalité. Ses condisciples Henri Matisse (Ill. 36) ou Albert Marquet7 au début de leur carrière peignirent des œuvres comparables portant sur la réalité un regard tout aussi distancié, subjectif.
1. Arch. nat. Fonds ENSBA, AJ52 p. 477: «Calypso présente à son hôte les aliments, et les breuvages, nourriture des mortels. Assise en face du héros, elle reçoit des mains de ses nymphes l’ambroisie et le nectar – Odyssée – Chant V. » Cf. « Livre cinquième », in L’Odyssée d’Homère traduite en vers françois par M. de Rochefort, Paris, Imprimerie nationale, 1782, p. 135 (MGM, Inv. 13935). 2. 1894 Anonyme, p. 13. À propos du déroulement de ce concours, cf. 2006 Bonnet, p. 91. 3. C’est Jules Besson, un élève de Gustave Moreau, qui obtint, le 24 octobre 1893, avec sa Figure peinte
(Ill. 61), la première médaille. Cf. Arch. nat. Fonds ENSBA, AJ52 p. 481. 4. Traditionnellement, beaucoup des participants aux concours de la Figure peinte se plaisaient à peindre le portrait de certains de leurs condisciples ou « rivaux » regroupés autour du modèle. Cf. par exemple : Georges Decôte (1894, ENSBA, FP 119 bis), Charles Lucien Moulin (1895, ENSBA FP 121), Léon Pierre Félix (1897, ENSBA FP 126), etc. 5. FGR, brouillon d’une lettre de Georges Rouault à Besson, n.d. : « […] je suis le père “Revenez y” et attention
le disant je ne donne pas leçon ni même conseil le moins du monde mais [deux mots barrés] on trouvera des œuvres datant de 1897 [sic] mort de G Moreau qui ont été reprises en 1949 et on pourra alors…. S’en payer de boniments fortuits – variés <souvent> indésirables mais ma peinture se fait avec les mains et non avec la langue… » 6. 1964 Paris, p. 54. 7. Albert Marquet, Nu, dit Nu fauve, 1898, huile sur papier collé sur toile, 1898, Bordeaux, musée des Beaux-Arts, Bx 1960.4.2.
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Ne luttez pas de « vérité objective » avec la nature, et ne croyez pas égaler les effets de la lumière. L’art, même très objectif et appuyé sur la réalité, on le transpose parfois. La vérité photographique n’est qu’une documentation, un renseignement […] La facilité des voyages et l’exotisme, même s’il apporte quelque parfum, ne semble [sic] pas tellement avoir enrichi le fond de l’imagination, le cœur ou la vision de tant de contemporains. Gustave Moreau (Georges Rouault, « Gustave Moreau », L’Art et les artistes, avril 1926, p. 242-243).
Paysage. Entre rêve et réalité Le ciel, la plaine infinie, les montagnes, la mer, les orages, les couchers et les levers de soleil et de lune devraient être une nourriture classique et obligatoire pour tous les enfants riches ou pauvres fût-ce quelques jours, quelques heures seulement… les êtres condamnés à vivre dans les prisons que sont les villes […] en garderaient un parfum et une fraîcheur dans l’âme […] l’on devrait leur favoriser les moyens d’aller se retremper et trouver de nouvelles forces vers la nature bienfaisante et sereine. Georges Rouault (Georges Rouault, Pages sceptiques. De la béatitude des ventres pleins et des cerveaux vides, manuscrit, Paris, Fondation Georges Rouault) Georges Rouault : la mémoire et la défense de Gustave Moreau
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Thomyris et Cyrus, dit aussi La Reine Thomyris
Huile sur toile H. 57,5 ; L. 87 S. b. d. : - Gustave Moreau Paris, musée Gustave Moreau, Inv. 13978 Bibl. : 1991 Mathieu, p. 104 (repr. no 233) ; 2006 Loyrette, p. 377 (repr.), p. 378 ; 2006 Madrid, p. 20 ; 2009 Forest, p. 551 Exp. : 1961 New York Chicago, no 176, p. 128 (repr.) ; 1964 Baden-Baden, no 17 ; 1979 Montrouge, no 13 ; 1984 Yamanashi Kamakura Mié, no 92 (repr.), p. 9 ; 1986 Zurich Munich, Kat. Nr. 118 (repr.) ;
Fig. 17
1989 Florence Ferrare, no 49 (repr.) ; 1989 Marcqen-Barœul, no 14, p. 19 (repr.) ; 1991 Herleen, no 31 (repr.) ; 1994 Édimbourg, no 141, p. 92, p. 93 (repr.) ; 1998 Paris Chicago New York, no 71 (repr.) ; 2001 Millau, no 66, p. 23 (repr.), p. 25 ; 2003 Rovereto, p. 433 (repr.) ; 2004 Bourg-en-Bresse Reims, no 117, p. 16, p. 145 (repr.), p. 146 ; 2006 Strasbourg, no 2, p. 38 (repr.), p. 267 ; 2007 Francfort, Kat. 136, p. 201, p. 207 (repr.), p. 208 ; 2008 Tokyo Hiroshima Niigata Aichi, (repr. n.p. S.2) ; 2012 Amsterdam Édimbourg Helsinski, fig. 25, p. 52, p. 53 (repr.), p. 200
Ill. 63 Gustave Moreau, Ébauche, n.d., huile sur toile, Paris, musée Gustave Moreau, Cat. 617
Paysage. Entre rêve et réalité
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Paysage animé
1897 Fusain, pastel sur papier marouflé sur toile H. 83,8 ; L. 121,6 S. D. b. d. : G. Rouault 1897 Tokyo, Panasonic Shiodome Museum Exposé uniquement à Tokyo et Matsumoto. Bibl. : 1897 Geffroy, p. 5 ; 1897 Marx (a), p. 2 ; 1897 Marx (b), p. 2 ; 1897 Marx (c), p. 2 ; 1897 Fertiault, p. 585 ; 1897 Hamel, p. 797 ; 1962 Courthion, p. 74, p. 387 ; 1983 Cologne, Abb. 15, p. 82, p. 83 (repr.) ; 1988 Dorival Rouault (I), fig. 68, p. 14, p. 36 (repr.) ; 2008 Paris (c), p. 69 ; 2012 Masuko, p. 12 (repr. no 2) Exp. : 1897 Paris (c), no 2507 ; 1963 Dieppe no 2, (repr. n.p.) ; 1965 Québec Montréal, no 6, p. 61, (repr. n.p. no 7 [sic]) ; 1965 Colmar, no 8 (repr. n.p.) ; 1966 Londres, no 5 (repr.) ; 1974 Munich Manchester, Kat. Nr. 2, (repr. n.p.) ; 1993 Salzbourg, Tafel 2, p. 60, p. 62 (repr.) ; 2008 Tokyo Hiroshima Niigata Aichi, no 7 (repr.), p. 186 ; 2009 Saint-Tropez, p. 45 (repr.), p. 119 ; 2011 Tokyo, no 3 (repr.) ; 2012 Tokyo, p. 20-21 (repr.)
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La découverte du musée Gustave Moreau, quand j’avais seize ans, a conditionné pour toujours ma façon d’aimer. La beauté, l’amour, c’est là que j’en ai eu la révélation à travers quelques visages, quelques poses de femmes. Le « type » de ces femmes m’a probablement caché tous les autres : ç’a été l’envoûtement complet. Les mythes, ici réattisés comme nulle part ailleurs, ont dû jouer. Cette femme qui, presque sans changer d’aspect, est tour à tour Salomé, Hélène, Dalila, la Chimère, Sémélé, s’impose comme leur incarnation indistincte. Elle tire d’eux son prestige et fixe ainsi ses traits dans l’éternel. André Breton (André Breton, Le Surréalisme et la peinture, 1965, rééd. 2006, p. 465)
Pécheresse, courtisane, fille Rouault ne méprise pas, Rouault ne condamne pas. Aussi éloigné de la misogynie de Degas que de la misanthropie de Toulouse-Lautrec, qui semblait heureux, lui, de mesurer, à cette jauge, le vice humain, il éclate peut-être en imprécations, mais elles sont ruisselantes d’amour. Ce qui l’indigne chez les Filles, c’est que l’homme – et elles-mêmes – ont fait d’elles ce qu’elles sont ; c’est le péché qu’il fustige, ce ne sont pas les pécheresses. Par-delà le drame humain, il voit le drame surnaturel et, de l’avoir vu, pleure sur elles des larmes de colère et de bonté. Bernard Dorival (Bernard Dorival, « Filles », in Cinq études sur Georges Rouault, 1956, p. 41) Georges Rouault : la mémoire et la défense de Gustave Moreau
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Messaline Huile sur toile H. 92 ; L. 62 M. b. g. : -GMParis, musée Gustave Moreau, Cat. 98 (Inv. 9235) Bibl. : 1902 Rupp, p. 38 no 98 ; 1904 Rupp, p. 33 no 98 ; 1926 [Rupp], p. 33 no 98 ; 1966 Paladilhe, p. 20 no 98 ; 1974 Paladilhe, p. 54 no 98 ; 1990 Lacambre, Cat. 98, p. 54 ; 2009 Forest, p. 498 Exp. : 1962 Marseille, no 3 ; 2010 Paris (b), Cat. 88 (repr. ill. 108) ; 2010 Melbourne, p. 35 (repr.), p. 37, p. 121 ; 2014 Paris, ill. 253, p. 232, p. 235 (repr.)
Valeria Messalina est la troisième épouse de l’empereur Claude. Nombre d’historiens de la Rome antique parmi lesquels Suétone1 ou Tacite2 la stigmatisent et voient en elle une débauchée, aux appétits sexuels insatiables. L’abbé Ladvocat dans son Dictionnaire la qualifie de «monstre d’impudicité & de déreglem[ent]3 ». Mais c’est Juvénal qui dans sa sixième Satire demeure à son encontre le plus féroce : « l’Augusta courtisane […] entre dans la tiédeur du lupanar […] une cellule vide lui est réservée, et là, sous l’inscription mensongère de “Lycisca”, les seins maintenus par un réseau d’or, elle prostitue sa nudité […] Elle accueille avec des cajoleries quiconque se présente, et réclame son salaire. […] tout ce qu’elle peut faire, c’est clore la dernière sa cellule. Encore ardente du prurit de ses sens tout vibrants, elle s’en va, fatiguée de l’homme, mais rassasiée non pas. Hideuse avec ses joues plombées que souille la suie de la lampe, elle apporte au lit impérial les relents du lupanar !4 ». Messaline, figure emblématique de la décadence romaine, devient sous le pinceau de Moreau une allégorie de la luxure. Il lui consacra deux œuvres majeures : une aquarelle (Ill. 72), pleine de détails raffinés, et une imposante huile sur toile datée de 18745 et laissée « en voie d’exécution ». Dans cette dernière, l’impératrice déchue s’apprête à s’unir à « un jeune marinier du Tibre, un pêcheur6 ». Près d’elle une vieillarde, l’entremetteuse, est assimilable – un fuseau et
des ciseaux pendent à sa ceinture – à la troisième des Parques, Atropos. Dans un coin sommeillent les « victimes » épuisées de vices. Entrevue dans l’atelier de Moreau, cette œuvre fascina Narcisse Berchère7 et surtout Louis Chabrier. Elle lui inspira une notice8 et, en 1898, il chargea Henri Rupp et Émile Delobre d’en réaliser une copie9. La Messaline que nous exposons est sans doute une variante. Elle peut être rapprochée d’un petit panneau et d’un dessin, identiques par leur composition10. Aux pieds des deux inquiétantes femmes, on distingue une figure curieusement étendue dans la position d’une Source11. L’adolescent debout a disparu. La gamme chromatique est restreinte, toute la scène baigne dans des ténèbres malsaines d’où se détache le corps sculptural, marmoréen, de la fille des Césars modelé en utilisant le blanc dont la toile a été préalablement enduite. L’œuvre, sans doute inachevée, fut brossée rapidement. Moreau traite ce sujet scabreux en moraliste : « l’idée est la débauche [un mot barré] conduisant à la mort12 ». Loin de céder à une érotisation de cette scène, en contempteur du vice, celui même d’un second Empire jugé par lui déliquescent, il conçoit une Messaline d’une beauté froide, hiératique, livide, comme déjà frappée de mort. « C’est [écrira-t-il] en élevant ce sujet d’histoire à la hauteur de l’allégorie α du symbole que j’ai fait de ce sujet un poème satanique des plus nobles13. »
Ill. 72 Gustave Moreau, Messaline, 1874, aquarelle, gouache sur papier, Paris, musée Gustave Moreau, Inv. 13962
1. « Claude », in Suétone, Vie des douze Césars, tome II, texte établi et traduit par Henri Ailloud, Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. 135. 2. « Annales, continuation du Livre XI », in Tacite, traduction nouvelle avec le texte latin en regard par [JeanBaptiste-Joseph-René] Dureau de la Malle, 3e éd., tome III, Paris, L. G. Michaud, 1817, p. 92-95, p. 110-153 (MGM, Inv. 13887). 3. Jean-Baptiste Ladvocat (abbé), Dictionnaire historiqueportatif […], tome I, Paris, Didot, 1755, p. 251 (MGM, Inv. 13500-1). 4. Juvénal, Satires, texte établi et traduit par Pierre Labriolle et François Villeneuve, Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. 63-64. 5. Gustave Moreau, Messaline, 1874, huile sur toile, MGM, Cat. 30. 6. MGM, Arch. GM 23, fol. 2. Cf. 2002 Moreau (I), p. 94. 7. MGM, Corresp., L.a.s. de Narcisse Berchère à GM, n.d. : « Au revoir jeune Titan : tu m’as fait lire une page de
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Suétone en me montrant ta Messaline. Quelle odeur fauve et suffocante de lupanar se dégage ! Et cette Rome des Césars entrevue dans la triste nuit. Et ton Hérodiade, et ta Salomé dansant sont-elle assez trouvées ? Es-tu heureux de pouvoir parfois réaliser tes rêves, et suivre tes pensées ailées. » 8. MGM, Corresp., L.a.s. de Louis Chabrier à GM, 10 novembre 1897 : « À la recherche de sensations toujours nouvelles, Messaline insatiable a déserté la couche de Claude pour finir sa nuit dans un des bouges qui bordent le Tibre, lupanar infame [sic] des portefaix et des bateliers de Rome. Debout, une jambe agenouillée sur un ignoble grabat, vêtue seulement d’un manteau qui couvre ses épaules, elle livre son corps nu aux embrassements d’un éphèbe vigoureux qui l’enlace avec passion et lève vers son visage ses yeux enflammés par le désir. D’un geste demi lascif demi pudique lascif pudiquement lascif, elle cache en souriant une partie de sa figure avec le pan relevé
du manteau. Dans un coin gisent, semblables à des cadavres, des corps d’hommes épuisés de luxure. Une vieille matrone le torse nu jusqu’à la ceinture, la gorge flétrie, les cheveux épars, les yeux baissés par la crainte, tient à la main la torche qui éclaire la scène, tandis qu’à travers une ouverture du bouge, les monuments de la Rome impériale se détachent orgueilleusement sur le ciel étoilé de l’Italie. Ne vous f... pas trop de moi ! » 9. MGM, Corresp., L.a.s. de Louis Chabrier à Henri Rupp, 7 octobre 1898 : « Merci […] pour les soins que vous apportez à la copie de la Messaline. Je vous en suis bien reconnaissant ainsi qu’à Mr Delobre et je vous fais toutes mes excuses pour la peine que vous vous donnez. » 10. Gustave Moreau, Messaline : huile sur bois, MGM, Cat. 686 ; mine de plomb sur papier, MGM, Des. 2371. 11. Gustave Moreau, Source, huile sur toile, MGM, Cat. 61. 12. MGM, Arch. GM 22, fol. 1. Cf. 2002 Moreau (I), p. 93. 13. MGM, Arch. GM 23, fol. 2 verso. Cf. 2002 Moreau (I), p. 94.
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Fille, dit aussi Nu aux jarretières rouges 1906 Aquarelle et pastel sur papier H. 71 ; L. 55 M. D. h. d. : G.R., 1906. Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, P.P. 53 3250 AMD 143 (Legs Girardin 1953) Exposé uniquement à Paris. Bibl. : 1926 Charensol (b), (repr. n.p. pl. 9) ; 1930 Cogniat, (repr. n.p. no 8) ; 1930 Martin, p. 113 (repr.) ; 1940 Venturi, fig. 25, p. 43, (repr. n.p. pl. 19) ; 1948 Venturi, fig. 25, p. 59 (repr. n.p. pl. 19) ; 1959 Venturi, p. 31, p. 36 (repr.), p. 54 ; 1962 Courthion, p. 97 (repr.), p. 160, p. 477 ; 1965 Marchiori, p. 15, (repr. n.p. no 2) ; 1971 Courthion, pl. 10 (repr. n.p.), p. 62 ; 1971 Collectif, p. 75-76 ; 1972 Yanagi, (repr. n.p. no 6), p. 112 (repr.) ; 1983 Molinari, no 12, p. 9 (repr.), p. 12, p. 45, p. 51 (repr.) ; 1988 Dorival Rouault (I), fig. 177, p. 64 (repr.), p. 108 ; 1993 Salzbourg, Abb. 24, p. 27 (repr.), p. 28 ; 1999 Bénézit, p. 14 ; 2005 Pagé, p. 45 (repr.), p. 47 ; 2008 Pagé, p. 454, p. 457 (repr.) ; 2008 Boston, p. 118 (repr. fig. 1), p. 120 Exp. : 1910 Paris (a) ; 1920 Paris, no 31 ; 1924 Paris, n.p. no 34 ; 1954 Paris (a), no 295 ; 1959 Paris, no 6 ; 1960 Vienne, no 21 ; 1960 Marseille, no 9 ; 1963 Dieppe, no 7, (repr. n.p.) ; 1965 Québec Montréal, no 14, (repr. n.p. no 15 [sic]) ; 1970 Paris, n.p. ; 1971 Paris, no 12, (repr. n. p.), n.p. (notice no 3) ; 1974 Okoyama Hiroshima Tokyo, n.p., (repr. n.p.) ; 1975 Tel-Aviv, no 25, (repr. n.p.) ; 1979 Paris (a), no 66, p. II (repr.) ; 1983 Cologne, no 11, p. 121 (repr.), p. 127 (repr. Abb. 7), p. 128 ; 1988 Berlin, no 7, p. 41 (repr.) ; 1992 Paris Fribourg, p. 24, p. 30, p. 81 (repr.), p. 240 ; 1993 Londres, no 31, (repr. n.p. plate 12) ; 1998 Tokyo Osaka Yamaguchi Kanagawa, no 23, p. 47 (repr.) ; 2006 Paris, (repr. couv.), (repr. n.p.), n.p. ; 2008 Tokyo Hiroshima Niigata Aichi, no 23, p. 20, p. 57 (repr.), p. 186, p. 194
1. 1926 Charensol (b), p. 22. 2. Cf. Pages sceptiques. De la béatitude des ventres pleins et des cerveaux vides, manuscrit, 12 pages, FGR. 3. MGM, Arch. GM 286, fol. 5 : « L’art est après la charité bien après la charité chrétienne l’unique moyen pour l’homme d’exprimer ce qu’il y a de sacré et de divin en lui dans un langage mystérieux sans cesse renouvelé bien qu’aux lois inflexibles sublimes α providentielles. » Cf. 2002 Moreau (II), p. 362. 4. 1999 Bloy (I), p. 526-527, 539. Cf. « Léon Bloy » in 1926 Rouault (c), p. 55-59. 5. FGR, Corresp., L.a.s. de Georges Rouault à George Desvallières, 2 septembre 1899 : « Moi quand je vois l’enfer fournaise humain.. je suis bien près certains jours.. de traiter de lâches.. et de paresseux les contemplateurs
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Après la mort de Gustave Moreau, Rouault traversa une grave crise morale et spirituelle : « Si mon art est âpre, c’est sans doute à cette période de mon existence qu’il le doit. C’est alors que j’ai compris le mot de Cézanne : “C’est effrayant la vie1 !” » De cette époque datent des pages2 – sorte de journal intime – d’un lyrisme violent, mais débordant de cette charité que son professeur plaçait si haut3, de cette immense pitié pour les humbles. Devant la misère humaine, Rouault en vient à douter de l’utilité de son labeur. Plusieurs lettres se font l’écho de ses révoltes, de ses obsessions. Avec la même véhémence que Léon Bloy dont il fit la connaissance en avril 19044, il invective les bourgeois, les nantis, lance des anathèmes contre ses contemporains5. La solitude dans laquelle il se trouve alors6 décuple son désespoir ; il brasse des idées funèbres : « […] Dieu de bontée [sic] et de miséricorde ait pitiéé [sic] de mon impuissance à secourir mes frères ! si il [sic] te faut ma vie, elle n’a plus à l’heure présente de valeur pour moi, et je te la donne de tout cœur et sans phrases7. » Cette crise fut pour son art salutaire. Rouault tourna progressivement le dos aux sujets édifiants, mythologique ou bibliques, héritage de ses années d’École, pour s’attacher à peindre les habitants des «Faubourgs de longue peine », ouvriers, clowns et prostituées…, trouvant là un moyen d’exprimer son amour, sa compassion pour les souffrances de ses « frères humains ». Une lettre à Henri Rupp annonçait ce « coup de Barre », cette révolution dans son art. Elle s’achève sur ces mots : « […] aucune force humaine ne m’empêchera d’aller à ceux qui saignent … silencieusement8 ».
À partir de 1902 et jusqu’en 1914, l’on assiste à une multiplication des figures de prostituées dans sa peinture. Elles réapparaissent dans Passion9, un livre pour lequel Rouault travailla en collaboration avec André Suarès, qui les interpelle en ces termes : « Tu es sacrée à qui peut le comprendre : non pas la pécheresse, mais la victime, le sac à tous péchés. Non pas la plus coupable, mais l’égout de la coulpe et des mensonges10. » Rouault a toujours porté sur ces Ève déchues un regard plein de mansuétude11, s’écartant en cela d’un Degas ou d’un Toulouse-Lautrec. Il garde en mémoire l’épisode de Jésus et la femme adultère12 et se souvient de la parole du Christ : « Je vous dis en vérité que les publicains et les femmes prostituées vous devanceront dans le royaume de Dieu13. » Leurs visages sont moins caricaturaux – souvent à leur propos le nom de Daumier fut invoqué – que déformés par les tourments : « Au fond des yeux de la créature la plus hostile, ingrate ou impure Jésus demeure14. » Leur nudité n’a rien de scabreux, il y a de la grandeur dans ces corps usés aux chairs bleuies, tuméfiées. François Mauriac affirmait à André Parinaud en 1952 : « […] ses prostituées sont des Marie Madeleine parvenues au bout de la nuit […] [Rouault] est le primitif le plus authentique du siècle. C’est un peu comme s’il nous présentait par son art les personnages de notre purgatoire terrestre. Je ne sais qui a remarqué que dans les cathédrales romanes, Satan avait quelque chose de Dieu. Eh bien, je dirais que dans les vertiges de hideur de Rouault, à travers son enfer, il y a la promesse d’un paradis. Aux frontières de l’univers peint par Rouault la grâce commence15 ».
parce que la vue des égoïsmes des lâchetés et des vilenies humaines centuple mes forces.. et quand je vois le chaos humain les broyés, les écrasés… je suis plein d’une sainte colère contre ceux qui se contentent de s’attrister.. de gémir et <d’autres> de trouver des phrases polies de gens du monde pour excuser leur indifférence. » 6. Les parents de Rouault s’étaient alors rendus à Mustapha (Alger) auprès de leur fille Émilie dont le mari, Arthur Thomas (3 septembre 1852-12 septembre 1899), venait de mourir. Ils n’en revinrent qu’en 1902. 7. FGR, Corresp., L.a.s. de Georges Rouault à la famille Desvallières, 17 juin 1899. 8. FGR, Corresp., L.a.s. de Georges Rouault à Henri Rupp, [1899].
9. 1939 Suarès rééd. 2004, p. 34, p. 92, p. 93, p. 97, p. 98. 10. 1939 Suarès rééd. 2004, p. 96. 11. 1924 Guenne, p. 5 : « Non, je n’ai jamais eu la prétention d’être un “vengeur” ni un moralisateur. Il y a de tels accents dans les têtes de mes “Filles” que certains ont cru que je voulais montrer l’ignominie de ces créatures. Cette ignominie je ne l’ai vue, qu’après qu’on me l’eut fait voir. Et je n’éprouvais pour elles que de la pitié. » 12. Évangile selon saint Jean, chap. VIII, v. 1-11. 13. Évangile selon saint Matthieu, chap. XXI, v. 31. 14. 1939 Rouault, p. 120. 15. 1971 Collectif, p. 80. Cf. François Mauriac, « Un geste d’amour. Interview recueillie par André Parinaud », Arts, 10 juillet 1952.
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[…] n’oubliez pas que l’art doit élever, ennoblir, moraliser, oui moraliser […] l’art peut conduire à la religion (je parle ici sans désignation aucune d’orthodoxie) et à la vraie religion, la seule qui mérite ce titre, qui élève l’âme, conduit ses actions vers un idéal de beauté et de perfection, pour cela ne regardez pas trop autour de vous, mais pensez. Gustave Moreau (Lettre d’Henri Evenepoel à son père, 22 avril 1894)
Visions
du
sacré
Mon pauvre enfant, je vous vois avec votre nature entière, votre acharnement, votre amour de la matière rare, vos qualités essentielles. Je vous vois de plus en plus solitaire. Vous aimez un art grave et sobre et, dans son essence, religieux, et tout ce que vous faites sera marqué de ce sceau. Gustave Moreau à propos de Georges Rouault (Georges Rouault, « Gustave Moreau », L’Art et les artistes, avril 1926, p. 225) Georges Rouault : la mémoire et la défense de Gustave Moreau
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26. G U STAV E M O R E AU
Pietà Huile sur toile H. 114 ; L. 145 Paris, musée Gustave Moreau, Cat. 89 (Inv. 9226) Bibl. : 1902 [Rupp], p. 37 no 89 ; 1904 [Rupp], p. 32 no 89 ; 1926 [Rupp], p. 32 no 89 ; 1966 Paladilhe, p. 20 no 89 ; 1974 Paladilhe, p. 52 no 89 ; 1990 Lacambre, Cat. 89, p. 52 ; 2009 Forest, p. 149 ; 2013 Aussibal, p. 380, p. 389
Au Salon de 1869, Gustave Moreau exposa une Pietà1. Cette petite aquarelle – à l’instar de celle intitulée Le Poète et la sainte2 –, contrairement à Prométhée et à Jupiter et Europe3, retint peu l’attention des critiques. Ernest Chesneau fut l’un des rares à la remarquer4. Peut-être est-ce la vente de cette œuvre, dont il conserva un dessin (Ill. 76), au marchand Brame5 qui décida le peintre à brosser cette imposante Pietà ? La composition en est identique. Regroupés à l’entrée du « sépulcre taillé dans le roc, où personne n’avait encore été mis6 », on reconnaît la Vierge, ceignant de son bras la tête meurtrie de son fils, Nicodème drapé de jaune et Joseph d’Arimathie. Saint Jean est agenouillé à droite près du tombeau ouvert, selon la convention, son manteau est « taché » de rouge. Marie Madeleine, à gauche, prostrée, est recroquevillée sur le sol, les mains appuyant sur sa nuque dans un geste pathétique rare dans les déplorations. Cette toile, non signée, d’ordinaire peu lisible car accrochée en hauteur sur les cimaises du musée, se révèle dans son
inachèvement particulièrement séduisante. C’est probablement à elle que Moreau fait référence dans son Livre rouge7. Sans doute contemporaine d’une série de petites compositions autour de la Passion du Christ toutes datées de 1867-18708, elle se ressent de l’influence de Delacroix9. Peinte sur fond clair, comme souvent chez Moreau, à ce stade de son élaboration un contraste est déjà ménagé entre les couleurs sombres, associées à la douleur et à la mort, dominant la partie droite, et celles claires, lumineuses, sereines du ciel où peut être lue la promesse de la Résurrection, l’espérance de la Rédemption. La composition, d’un bel équilibre, s’organise sur un axe vertical médian où s’inscrit symboliquement le corps du Christ, et un arbre – un peuplier ? – qui délibérément coupé par le bord de la toile matérialise la jonction entre terre et ciel, les hommes et Dieu. Selon Rouault, « G. Moreau avait un faible pour les sujets d’ordre sacré […]10 ». Et Huysmans d’affirmer qu’il « aurait pu être un grand peintre chrétien, un Angelico moderne, s’il s’était épanoui uniquement en ce sens11 ». Achevée, cette Pietà aurait aisément trouvé place dans une église à l’instar de celle de Delacroix à Saint-Denys-duSaint-Sacrement12, d’autant que le maître confiait à son élève Arthur Guéniot : « Le clergé a toujours montré de la sympathie pour mes œuvres. Rien ne pouvait le heurter, car je les ai toujours montrées à ma mère désirant que rien ne la choquât13. »
Ill. 76 Gustave Moreau, Pietà, n.d., plume et encre noire, mine de plomb sur papier-calque, Paris, musée Gustave Moreau, Des. 222
1. Gustave Moreau, Pietà ou Mise au tombeau, 1867, aquarelle, non localisé. Cf. 1869 Paris, p. 414 no 2989 ; 1998 Mathieu, p. 306 (repr. no 108) ; 2005 Paris, p. 218 (repr.), p. 219. 2. Gustave Moreau, Le Poète et la sainte (Le Miracle des roses), 1868, aquarelle avec rehauts d’or, Japon, Collection Hiroshi Matsuo (en 1995). Cf. 1869 Paris, p. 414 no 2989 ; 1998 Mathieu, p. 312 (repr. no 127). 3. Gustave Moreau, Prométhée, 1868, huile sur toile, MGM, Cat. 196 ; Gustave Moreau, Jupiter et Europe, 1868, huile sur toile, MGM, Cat. 191. Cf. 1869 Paris, p. 234 no 1746-1747. 4. 1869 Chesneau, n.p.: «[…] la petite Pietà du Salon (aquarelle), je signalerai ici le geste sublime de la Madeleine […]». 5. MGM, Arch. GM 500, p. 261 : « Catalogue des tableaux α Dessins vendus de l’année 1850 à […] A 39 Pietà (aquarelle) Brame 1000f ».
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6. Évangile selon saint Luc, chap. XXIII, v. 53. 7. MGM Arch. GM. 500, p. 184 : « travaux en Voie d’exé[cution] […] Peintures […] 39 Pieta ». 8. 1998 Mathieu, p. 305 no 106 ; p. 306 no 107 et 109 ; p. 307 no 111 et 112. 9. Eugène Delacroix, Le Christ au tombeau, 1847-1848, huile sur toile, Boston, Museum of Fine Art, 96.21 ; Eugène Delacroix, La Mise au tombeau, 1858-1859, huile sur toile, Tokyo, The National Museum of Western Art, P. 1975-2. 10. 1926 Rouault (a), p. 246. 11. 1926 Rouault (a), p. 238. 12. Eugène Delacroix, Pietà, 1844, huile sur toile, Paris (IIIe arr.), église Saint-Denys-du-Saint-Sacrement. Moreau a copié cette œuvre (mine de plomb sur papier, MGM, Des. 13266-4). 13. 1966 Prache, p. 236.
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Madeleine au Calvaire
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Huile sur bois H. 33 ; L. 45 S. b. g. : -Gustave MoreauParis, musée Gustave Moreau, Cat. 118 (Inv. 9255)
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Bibl. : 1902 Rupp, p. 40 no 118 ; 1904 Rupp, p. 36 no 118 ; 1926 [Rupp], p. 36 no 118 ; 1965 Holten, p. 158 (repr.) ; 1966 Paladilhe, p. 21 no 118 ; 1974 Paladilhe, p. 55 no 118 ; 1990 Lacambre, Cat. 118, p. 55 ; 2004 Bourg-enBresse Reims, p. 149 note 2 (p. 151) ; 2009
Forest, p. 137, p. 263, p. 575, p. 578 ; 2013 Aussibal, p. 380, p. 389 Exp. : 1961 Paris, no 37, (repr. n.p. pl. 13) ; 1964 Baden-Baden, no 12 ; 1964 Tokyo Nagoya, no 42, (repr. n.p. pl. LXIII) ; 1974 Okoyama Hiroshima Tokyo, (hors catalogue)
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Gustave Moreau se familiarisa probablement avec la figure de Marie Madeleine, la sœur de Marthe et de Lazare, en lisant La Légende dorée1. Dans ce livre, Jacques de Voragine, à l’instar d’AnneCatherine Emmerich, flétrit avec dureté le passé de la sainte, une ancienne courtisane2. Pour la peindre, Moreau s’écarta peu de l’iconographie traditionnelle. La Magdaléenne apparaît dès 1852 dans une Pietà3, son premier envoi au Salon. Présente dans diverses scènes de la Passion, il l’a aussi représentée agenouillée devant le Christ ressuscité dans un rembranesque Noli me tangere4, en prière devant la grotte de la SainteBaume5, telle une pénitente égarée dans des sites désolés, rocailleux6, où parfois la visitent les anges7. Mais nous avons vainement cherché un précédent à ses énigmatiques Madeleine au Calvaire. Au nombre de trois8, toutes sont signées, mais il ne les data pas. Elles présentent quelques analogies avec Les Gibets de Golgotha de JeanBaptiste Brunet9 (Ill. 77). Austères, doloristes, elles peuvent être rapprochées de La Vierge au pied de la Croix de Paul Delaroche10 ou la Mater dolorosa d’Hippolyte Flandrin11. Elles diffèrent les unes des autres par leur format, leur palette. Dans l’une d’elles la croix s’illumine sans doute pour signifier, symboliquement, la résurrection du Christ, sa victoire sur la mort. Francis Poictevin écrivit quelques phrases sibyllines12 après avoir surpris le maître y travaillant. Dans un dessin, Moreau substitua à Madeleine une femme tenant sur ses genoux son enfant malade13. Dans l’œuvre que nous exposons, peinte sur bois, les trois
croix nues se dressent au centre d’un paysage dépouillé. Une lumière surnaturelle s’étend, par bande, sur le ciel et la terre témoignant du retour en grâce de l’homme lavé par le sang du crucifié dont le sol est maculé, de sa Rédemption. Marie de Magdala fut souvent représentée prostrée, au pied d’un Jésus agonisant14. Moreau, s’écartant de cette tradition iconographique, imagine un retour de la sainte sur le Golgotha après que le Christ eut été enseveli, épisode dont on ne trouve nulle trace dans les Évangiles. Immobile, assise jambes tendues, son regard est étrangement fixe. Est-elle en proie à une vision ? Elle est ici déjà la pénitente d’Aix évoquée par Jacques de Voragine15. Curieusement, sa position rappelle celle de la Madeleine dans le désert16 (Ill. 78) de Jean-Jacques Henner. Mais le peintre alsacien, comme avant lui Paul Baudry17, s’était complu à détailler les grâces d’un corps féminin sensuel, ce que dédaigna Moreau. Sa Madeleine dont les longs cheveux, seuls, rappellent son passé de courtisane, a renoncé aux parures, n’est plus drapée dans de précieux tissus mais revêtue du noir cilice des ascètes, des vêtements pauvres, en lambeaux, des pénitents.
1. « Légende de sainte Marie Madeleine », in Jacques de Voragine La Légende dorée, traduite du latin et précédée d’une notice historique et bibliographique par M. G. B. [Monsieur Gustave Brunet], première série, Paris, C. Gosselin, 1843, p. 160-167 (MGM, Inv. 13365-1). 2. Ibid., p. 160 : « Madeleine brillait par ses richesses et sa beauté, mais elle avait abandonné son corps aux sales plaisirs ; et on ne l’appelait plus de son nom, mais l’on avait pris l’habitude de la désigner sous celui de pécheresse. » Anne-Catherine Emmerich, Visions sur la vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tome I, Paris, Tequi, n.d., p. 449-450 : « Elle était fantasque et très capricieuse […] Elle était extrêmement vaine, fière, friande, mobile, exaltée, orgueilleuse et toujours esclave de l’impression du moment […] elle aimait le luxe et la parure […] tout en elle était vanité, sensualité et adoration d’elle-même. » 3. Gustave Moreau, Pietà, huile sur toile, non localisé. Cf. 1852 Paris, p. 153 no 935. 4. Gustave Moreau, Le Christ et Madeleine ou Noli me tangere: 1899, huile sur bois, non localisé (1998 Mathieu, no 398, p. 401) ; 1893, aquarelle, coll. part. ; huile sur bois, MGM, Cat. 263. 5. Gustave Moreau, Madeleine en prière, huile sur bois, non localisé (1998 Mathieu no 394, p. 400). Cf. également: MGM, Des. 350, 480, 1572.
6. Gustave Moreau, Madeleine au désert : huile sur toile, MGM, Cat. 882 ; aquarelle, MGM, Cat. 306. 7. Gustave Moreau, Madeleine et les anges, huile sur bois, MGM, Cat. 865. 8. Gustave Moreau, Madeleine au Calvaire: huile sur toile, MGM, Cat. 47 ; huile sur toile, MGM, Cat. 208. 9. Cf. 1883 Paris (a), p. 37 no 406 ; 1883 Paris (b), p. 33-34 no 121 (MGM, Inv. 13531). 10. Paul Delaroche, Vierge au pied de la Croix ou Mater dolorosa, 1853, huile sur toile, Liège, musée d’Art moderne et d’Art contemporain, exposée au Salon de 1857. Moreau possédait une photographie de Goupil d’une gravure exécutée d’après cette œuvre (MGM, Inv. 11912-100). 11. Hippolyte Flandrin, Mater dolorosa, 1845, huile sur toile, Saint-Martory (Haute-Garonne), église paroissiale, exposée au Salon de 1845. 12. 1892 Poictevin (MGM, Inv. 14751), p. 134 : « Une Madeleine aussi, aux pieds de trois croix désertées, d’un ensanglantement coulant ses violets-sanguine en une ténèbre où luctueusement [sic] s’illumine le supplice auguste, tandis qu’à droite volent de blanc oiseaux, cette Madeleine, que le peintre dit devoir retoucher dans ses incertitudes sur la courtisane ou la princesse, telle que déjà elle s’affaisse sur elle-même, regarde à terre dans le vague, l’extérieur de la femme ne préoccupe plus, elle est celle sans plus ni feu ni lieu. Qu’elle reste donc ainsi,
Ill. 77 Jean-Baptiste Brunet, Les Gibets de Golgotha, 1883, huile sur toile, Poitiers, musée de la Ville de Poitiers et de la Société des antiquaires de l’Ouest, Inv. D887-1-1 Ill. 78 Jean-Jacques Henner, Madeleine dans le désert, 1874, huile sur toile, Toulouse, musée des Augustins, Inv. RO 122
visiblement inqualifiée [sic], toute dans le dénûment de son cœur. » 13. Marie Madeleine au Calvaire, mine de plomb sur papier, MGM, Des. 2844. Inscr. b. g. : « Madeine/ femme et enfant malade ». 14. Laurent de La Hyre, La Madeleine méditant devant le Christ mort, avant 1630, huile sur toile, Saint-Denis, musée d’Art et d’Histoire, Inv. 84-14-01 ; Delacroix, Marie Madeleine au pied de la Croix, 1829, Houston, Museum of Fine Arts, 2000.334 ; Henri Lévy, Christ en croix, 1873-1878, huile sur toile, Paris, église Saint-Merry (chapelle Saint Denis) ; etc. 15. Op. cit. Jacques de Voragine, p. 164 : « Alors Madeleine, avide de se consacrer à la contemplation, se retira sur une montagne escarpée, et elle resta trente ans dans un endroit qu’avaient préparé les mains des anges. Il n’y avait dans cet endroit ni eau, ni arbres, ni herbe, afin de manifester ainsi que le Sauveur voulait la soutenir, non d’aliments terrestres, mais de nourriture divine. » 16. Exposée au Salon de 1874. Cf. 1874 Paris, p. 131 no 909. 17. Paul Baudry, Madeleine pénitente, 1858, huile sur toile, Nantes, musée des Beaux-Arts, dépôt de l’État en 1859, Inv. 801. Exposée au Salon de 1859. Cf. 1859 Paris, p. 22 no 165.
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Notez bien une chose : c’est qu’il faut penser la couleur, en avoir l’imagination. Si vous n’avez pas l’imagination, vous ne ferez jamais de la belle couleur. Il faut copier la nature avec de l’imagination : c’est cela qui fait l’artiste. La couleur doit être pensée, rêvée, imaginée… Gustave Moreau (Lettre d’Henri Evenepoel à son père, 27 juillet 1893)
L’amour de la matière,
l’imagination de la
couleur
J’ignorais tout de la matière picturale quand je connus Gustave Moreau mais, dès nos premières entrevues, devant mes essais imparfaits, levant les bras au ciel, il me dit : « Ah ! vous aimez la matière, je vous souhaite du bonheur ! » comme un radiologue aurait dit : « vous avez un cancer d’estomac et il n’y a encore aucun remède pour vous guérir mais on peut vous empêcher de trop souffrir ». En l’occurrence je n’aurais pas tenu à être guéri. Georges Rouault (Georges Rouault, Stella Vespertina, 1947, n.p.). Georges Rouault : la mémoire et la défense de Gustave Moreau
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32. G U STAV E M O R E AU
La Parque et l’Ange de la Mort
Vers 1890 Huile sur toile H. 110 ; L. 67 Paris, musée Gustave Moreau, Cat. 84 (Inv. 9222) Bibl. : 1892 Poictevin, p. 133 ; 1900 Hellé, p. 18 ; 1902 [Rupp], p. 36 no 84 ; 1904 [Rupp], p. 30 no 84 ; 1926 [Rupp], p. 30 no 84 ; 1955 Beurdeley, p. 43 (repr.) ; 1960 Holten, p. 62, (repr. n.p. noVIII) ; 1964 Restany, p. 94 (repr.) ; 1965 Holten, p. 157 (repr.), p. 158 ; 1966 Paladilhe, p. 20 no 84 ; 1967 Durbé, p. 92 (repr.) ; 1971 Paladilhe Pierre, p. 142 (repr. no 89), p. 145 ; 1972 Frongia (a), (fig. 9), p. 146 (repr.), p. 149 ; 1972 Frongia (b), (fig. 31), p. 410, (repr. n.p.) ; 1974 Paladilhe, p. 50 no 84, p. 51 (repr.) ; 1976 Mathieu, p. 161 note 573 (p. 269), p. 186 (repr.) ; 1979 Noël, (repr. n.p. no 4) ; 1986 Mathieu, p. 27 (repr.) ; 1990 Lacambre, Cat. 84, p. 52, p. 59 (repr.) ; 1990 Mathieu, p. 46 (repr.) ; 1991 Mathieu, p. 10, (repr. n.p. pl. XXXIX), p. 108 (repr. no 261) ; 1994 Mathieu, p. 161 note 33 (p. 281), p. 163 (repr.) ; 1997 Lacambre, p. 87 ; 1997 Lacambre Mathieu, p. 30 (repr.) ; 2003 Ferrier, p. 846 (repr.) ; 2004 Bourg-en-Bresse Reims, ill. 1, p. 11, p. 12 (repr.), p. 13, p. 14, p. 156 note 4 ; 2005 Matsue Kobe Tokyo, fig. 7, p. 12 (repr.), p. 40 ; 2009 Forest, p. 194, p. 636 ; 2010 Melbourne, p. 24 (repr.), p. 30, p. 31 ; 2012 Paris, p. 68 note 3 (p. 116) Exp. : 1961 Paris, no 36, (repr. n.p. pl. 15) ; 1964 Munich, no 351 ; 1964 Neuss, Kat. Nr 5 ; 1964 Tokyo Nagoya, no 19, (repr. n.p. pl. XXXII) ; 1966 Trieste, no 6, (repr. n.p. Tav. 13) ; 1969, Saint-Paul, no 131, (repr. n.p.) ; 1972 Paris, (hors catalogue) ; 1974 Okoyama Hiroshima Tokyo, (n.p.), (repr. n.p.) ; 1980 Berlin, no 133, p. 96 (repr.) ; 1986 Zurich Munich, Kat. Nr. 119, p. 25, p. 39, p. 257 (repr.) ; 1986 Paris Toulon Pau, no 78 (hors catalogue) ; 1989 Marcq-en-Barœul, no 32, p. 24 (repr. inversée no 32) ; 1998 Paris Chicago New York, no 127, p. 215, p. 235 (repr.), p. 272 ; 2007 Francfort, Kat. 133, p. 202, p. 203 (repr.), p. 321
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La Parque et l’Ange de la Mort, comme le confirme un dessin daté 1890 (Ill. 82), fut entreprise en même temps qu’Orphée pleurant sur la tombe d’Eurydice1. Les deux œuvres se font l’écho du désespoir de Gustave Moreau à la mort, le 28 mars, d’Alexandrine Dureux – sa maîtresse ? –, sa « meilleure » et « unique amie2 ». Atropos, la plus vieille, la plus terrible des trois Parques, tient par la bride le destrier d’un Ange de la Mort à qui l’artiste a donné, de même qu’à son Démon tentateur ou à ses Génies du mal3, des ailes rouges. L’inquiétante silhouette de ce cavalier décharné rappelle certains Don Quichotte d’Honoré Daumier4. Moreau, tout à ses thématiques macabres, se souvint-il des gravures d’Alfred Rethel5 ? Ou songea-t-il au poème de Charles Baudelaire Une gravure fantastique6 dont les vers entrent curieusement en résonance avec l’œuvre ? On peut le supposer. La lecture du chapitre intitulé « Les comédies de la Mort » dans le livre de son ami Paul de Saint-Victor put aussi stimuler son imagination7. Comme souvent chez Moreau, le mythe grec est mâtiné de christianisme. Ainsi selon Hésiode, les Parques, filles de la Nuit (ou de Jupiter et Thémis), sont « [d’]implacables vengeresses, qui poursuivent toutes fautes contre les dieux et les hommes, [des] déesses dont le redoutable courroux jamais ne s’arrête avant d’avoir au coupable, quel qu’il soit, infligé un cruel affront8». Pour Platon, Atropos est fille de la Nécessité, maîtresse de l’Avenir.
C’est elle qui coupe à l’aide de ciseaux le fil de la vie filé par Clôtho et dévidée par Lachesis9. Moreau l’a par deux fois représentée entourée de ses sœurs10. Elle se profile également dans Les Fiancées et la Mort11 et se glisse au fond des bouges où Messaline s’adonne à la luxure. Dans un dessin préparatoire, elle apparaît sous les traits d’une vieille femme tenant le fil fatal avec à son côté un sablier ailé symbolisant la fuite irrémédiable du temps (Ill. 83). L’ange noir brandissant l’épée de feu nous ramène au christianisme. N’était-ce la robe noire de sa monture, la tentation est grande de voir en lui le quatrième cavalier de l’Apocalypse12. Moreau inscrit ces personnages au centre d’un paysage désolé, de fin du monde, détache leurs silhouettes sur un ciel nocturne troué par une lune ensanglantée et par l’auréole de l’ange qui, dénué de visage, inspire la terreur. En dessinant le contour de la monture du cavalier funeste, il se souvint probablement d’un des chevaux peints par Botticelli dans La Découverte du meurtre d’Holopherne copié lors de son séjour florentin en 1858 (Ill. 84) ou de Pégase dans le Parnasse13 de Mantegna. La Parque penchée, écrasée par son lourd vêtement de deuil, a l’aspect d’une pleureuse. L’œuvre très empâtée, travaillée au couteau, griffée, presque expressionniste, fascine. Selon Ragnar von Holten, elle est la seule « qui permette une association complète de forme et de couleur avec les peintures de Rouault14 ».
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Notre Jeanne 1948-1949 Huile sur papier marouflé sur panneau parqueté H. 66,7 ; L. 48 S. b. d. : G. Rouault (signature recouverte par l’artiste après 1948) Collection particulière Bibl. : 1948 Venturi, p. 23 (repr.) ; 1958 Fukushima, p. 65 (repr.) ; 1959 Venturi, p. 96, p. 98 (repr.), p. 99 ; 1960 Holten, (repr. n.p. no 85) ; 1962 Courthion, p. 308, p. 318, p. 319, p. 454 (repr. no 533) ; 1964 Paris, p. 105 ; 1965 Marchiori, (repr. couv.), p. 24, p. 26, (n.p.), (repr. n.p. no 29) ; 1965 Québec Montréal, p. 85 ; 1967 Carluccio, p. 105 (repr.) ; 1971 George Nouaille-Rouault, p. 28 ; 1971 Collectif, p. 120 (repr.) ; 1972 Frongia (b), (fig. 32), p. 410, (repr. n.p.) ; 1972 Yanagi, (repr. n.p. no 52), p. 131 (repr.) ; 1988 Dorival Rouault (II), p. 279 (repr. fig. 2519) ; 1992 Dorival, p. 78 (repr.), p. 83 ; 2004 Barcelone, p. 17 Exp. : 1946 Paris, (repr. n.p.) ; 1948 Zurich, Kat. Nr. 154, (repr. n.p. tafel XXIII) ; 1950 Mulhouse, no 10 ; 1953 Tokyo, no 37, (repr. n.p.) ; 1953 Cleveland New York, p. 29 ; 1953 Los Angeles, p. 31 ; 1954 Milan, no 69, (repr. n.p. Tav. XXXV) ; 1956 Albi, no 18 ; 1958 Delft, no 50, (repr. n p.) ; 1963 Dieppe, no 57, p. XX, p. XXI, (repr. n.p.) ; 1971 Paris, no 65, (repr. n.p.) ; 1979 Paris (b), no 177 (repr.) ; 1980 Paris, p. 26, p. 27 (repr.) ; 1982 Paris, no 32 ; 1983 Rome, no 27, p. 16, p. 19, p. 162 (repr.) ; 1993 Salzbourg, tafel 66, p. 149, p. 150 (repr.); 2001 Les Sables-d’Olonne, no 93, p. 95 (repr.) ; 2008 Paris (b), (n.p.), (repr. n.p.)
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Les travaux d’historiens laïcs tels Michelet, Jules Quicherat son élève, ou ceux plus hagiographiques d’Henri Wallon1 témoignent au xixe siècle d’un regain d’intérêt pour Jeanne d’Arc. Béatifiée en avril 1909 puis canonisée en 1920, la pieuse pastoure de Dompremy est aujourd’hui la plus célèbre de nos héroïnes nationales. Incarnation du courage, des vertus guerrières d’un pays prompt à se soulever contre l’oppresseur, son culte connut un essor considérable durant les guerres de 1870, 1914-1918 et 1939-1945. Selon Bruno Foucart, « Le xixe siècle est assurément l’âge d’or de l’iconographie de Jeanne d’Arc2 ». Les peintres du xxe siècle contribuèrent à l’enrichir3. La dévotion que lui porta Georges Rouault remonte à ses années de jeunesse, comme en témoigne une lettre adressée vers 1900 à ses amis George et Marie Desvallières4. Mais il attendit 1939 pour la peindre5. Avant cela il assista, au début des années 1920, à une représentation de la Sainte Jeanne de Bernard Shaw6. Cette « chronique » fut mise en scène par Georges Pitoëff. Sa femme
Ludmilla y tenait le rôle principal. Rouault la rencontra et, se souvient sa fille, « insista pour lui faire lire le “vrai procès” de Jeanne d’Arc, pour laquelle il eut toujours grande ferveur7 ». Il avait en sa possession plusieurs livres concernant la « Pucelle d’Orléans », celui de Léon Bloy publié en 19158 et celui d’André Suarès intitulé Portraits sans modèles9 qui l’enthousiasma10. En 1940, en pleine guerre, une Jeanne de Rouault fut reproduite dans la revue Verve. Dans le texte qui constitue son pendant on relève cette phrase : « A Rouen, sur la Place du Vieux-Marché, je pense au Procès de Jeanne d’Arc, à ses réponses auprès desquelles pâlit tant de littérature célèbre11. » La guerrière – sœur de ses Petites Écuyères12 – y apparaît le visage tendu vers le ciel, juchée sur un maigre cheval. À l’instar de Gustave Moreau13, Rouault privilégia les représentations équestres de Jeanne d’Arc, gardant le souvenir des fresques de Paolo Uccello ou d’Andrea del Castagno14. Notre Jeanne fut retouchée une première fois après l’exposition organisée à la galerie Droin en
1946 et une seconde après la rétrospective qui se tint à Zurich en 1948. Rouault en densifia la matière et l’œuvre gagna en intensité chromatique (sa palette est proche de celle qu’il utilisa en 1951 pour Vieux Faubourg15). La sainte est baignée par les lueurs d’un soleil déclinant. Les flammes de l’incendie qui fait rage derrière le clocher présagent celles qui, à Rouen le 30 mai 1431, la consumeront. Les litanies johanniques16 de Charles Péguy, le poète admiré17, résonnaient-elles en lui lorsqu’il la peignit ? Hiératique, portant haut son étendard, nul doute que Jeanne pour Rouault incarne idéalement cette France « du peuple » dont il est issu. Il aurait pu faire siens les mots d’André Suarès : « Jeanne d’Arc […] Quelle sainte égale celle-là ? Elle est la puissance et la bonté ; le tranchant de l’épée nécessaire, le soc de la justice ; et la douceur de femme qui, même vierge, est faite pour guérir, pour nourrir et pour donner du lait. Jeanne est vraiment la France : une énigme pour les Allemands. Et elle n’est pas plus le miracle que la France même, qui est tout miracle18. »
1. Jules Quicherat, Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d’Arc, dite la Pucelle […], 5 vol., Paris, J. Renouard et Cie, 1841-1849 ; Jules Michelet, Histoire de France, tome V, Paris, L. Hachette, 1841, p. 1-80 ; Jules Michelet, Jeanne d’Arc, Paris, L. Hachette, 1853 ; Henri Wallon, Jeanne d’Arc, Paris, L. Hachette, 1860. 2. Cf. 1979 Paris (b), p. 87, p. 115. 3. Cf. 1979 Paris (b) ; 2003 Rouen. 4. FGR, Corresp., L.a.s. de Georges Rouault à George et Marie Desvallières, n.d. [vers 1900]: «Madame Desvallières, je vous en prie, laissez à la plèbe ses beautées [sic] et ses vices, comme d’ailleurs à toutes classes humaines. Laissez nous Jésus-Christ crucifié, laissez nous Jeanne d’Arc brûlée, laissez nous en créer un type différent de ce que vous pouvez concevoir, laissez nous leur donner en partage toutes vertues [sic] profondes et cachées pour et leur retirer tout ce qui est extérieur et tout ce qui crée une supériorité mondaine, laissez nous leur créer (et surtout <en ce qui concerne> Jeanne d’Arc puisqu’il n’existe aucun document précis en ce qui concerne précise ses traits,) laissez nous dis-je, en faire non pas une vachère, comme vous dites, mais une pastoure, mais, une fille simple et au besoin point belle, la beauté pour moi ne consiste pas dans une régularité physionomique l’expression est tout, et à certaines heures, dans de certaines circonstances <sous> l’émotion d’un sentiment profond, des pauvres êtres que la nature a mal façonnés peuvent être plus beaux que bien des jolies femmes pour ceux qui veulent se donner la peine de voir un peu profondément. »
5. Georges Rouault, Jeanne d’Arc, 1939 ?, non localisé (1988 Dorival Rouault [II], p. 94 no 1584) ; Jeanne d’Arc (fond bleu et rose), vers 1939, huile, encre, gouache et craie sur papier, MNAM, AM 4231 (587) ; Jeanne d’Arc, vers 1939, huile, encre et gouache sur papier marouflé sur toile, MNAM, AM 4231 (489) ; Jeanne d’Arc (harmonie verte), 1940-1948, huile, encre et gouache sur papier marouflé sur toile, MNAM, AM 4231 (679). Cf. 1964 Paris, p. 105 no 136 et 137. 6. Bernard Shaw, Sainte Jeanne. Chronique en six scènes et un épilogue, version française par Augustin et Henriette Hamon, Paris, Calmann-Lévy, 1925. Jouée pour la première fois, à Paris, par la Compagnie Pitoëff au théâtre des Arts, le 28 avril 1925. 7. 1998 Nouaille-Rouault, p. 83. Un court poème, publié en 1948 dans son Miserere, évoque « Jeanne en ses brèves et sublimes réponses à son procès ». Cf. 1948 Rouault, n.p. 8. Léon Bloy, Jeanne d’Arc et l’Allemagne, Paris, Georges Grès et Cie éditeurs, 1915, FGR. Livre dédicacé : « à mon ami Rouault, en attendant les massacres joyeux & les exterminations suaves. Léon Bloy ». 9. André Suarès, Portraits sans modèles, préface de Caërdal, Paris, Grasset, 1935. 10. 1960 Rouault Suarès, lettre de Georges Rouault, 27 octobre 1935, p. 300 : « Je viens de recevoir votre livre mais il y avait belle lurette que je l’avais acheté là-bas, Suarès, et que je le connaissais et lisais, relisais. […] J’ai vu des papiers élogieux qui font vomir. Ils ne
parlent pas de Larchant, de Jeanne – ni de l’Arétin. » 11. 1940 Rouault, p. 12-20. 12. Voir par exemple : 1988 Dorival Rouault (I), p. 283 no 933 ; 1988 Dorival Rouault (II), p. 55 no 1372, p. 253 no 2436 ; 1978 Chapon Rouault (II), p. 136-137. 13. 2010 Paris (a), p. 118-119, p. 141-142. 14. Paolo Uccello, Monument équestre de John Hawkwood (Giovanni d’Acuto), fresque, Florence, cathédrale Santa Maria del Fiore; Andrea del Castagno, Monument équestre à Niccolò da Tolentino, fresque, Florence, cathédrale Santa Maria del Fiore (cette fresque fut copiée par Gustave Moreau, MGM, Cat. 473). 15. Georges Rouault, Vieux Faubourg, dit aussi Sainte Jeanne d’Arc, huile, coll. part. (1988 Dorival Rouault [II], p. 263 no 2479). 16. « Jeanne d’Arc. Drame en trois pièces (1897) », « Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (1910) », « La Tapisserie de sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc (1912) », in Charles Péguy, Œuvres poétiques et dramatiques, sous la direction de Claire Daudin, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade no 60, 2014, p. 7-299, p. 399-559, p. 1081-1117. 17. 1940 Rouault, p. 13, p. 15 : « Et ce visage [de la France], je le retrouve encore, ô Péguy, dans l’air que l’on respire en arrivant à Chartres […] Péguy, Bon chartrain, je te suis et t’entends fort bien. » 18. André Suarès, Péguy, Paris, Émile-Paul Frères éditeurs, 1915, p. 72-73, FGR. Livre dédicacé : « à mon cher G. Rouault. Caërdal ».
L’amour de la matière, l’imagination de la couleur
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Correspondances
Sélection de lettres concernant les années de formation de Georges Rouault dans l’atelier de Gustave Moreau à l’École des beaux-arts * Nous faisons suivre d’un astérisque le nom des auteurs des lettres lorsque nous avons la certitude qu’ils ont assisté aux funérailles de Gustave Moreau, le 22 avril 1898. Certains signèrent le registre de condoléances disposé à la maison mortuaire et à l’église de la Trinité durant la cérémonie (cf. MGM, Arch.). 1. Cristina Scassellati, « Correspondance Gustave Moreau/Georges Rouault (1892-1898) », in 1992 Paris Fribourg, p. 162-177. 2. Louise Émilie Thomas (née Rouault), Paris, 29 septembre 1866-Alger, 9 mars 1942. 3. 1961 Roulet, p. 87-88. 4. 1961 Roulet, p. 90 : « Mme Rouault n’hésitait pas à faire des heures supplémentaires pour améliorer son gain. En dehors de son travail de bureau, elle se chargeait de vérifier les cahiers de comptes que ses camarades lui confiaient pour lui permettre d’aider son fils Georges dans ses études de peintre. » 5. 1948 Rouault, Préface : « Je dédie cet ouvrage à mon maître Gustave Moreau et aussi à ma vaillante et bien-aimée mère qui, aux prix de dures veilles, facilita mes premiers efforts à la croisée des chemins où, jeune pèlerin de l’Art, fort démuni, j’errais. Ajouterais-je qu’en classes différentes ils avaient tous deux même bonhomie souriante, encourageante, loin de ces temps de hargnes et d’offenses où nous semblons vivre désormais […]». 6. Georges Rouault, Portrait de Marie Louise Rouault, mai 1899, crayon sur papier, coll. part. Cf. Dorival Rouault (I), p. 32 (repr. no 56) ; 1961 Roulet, p. 89 (repr.). 7. Léon Lehmann, La Mère de Rouault: 1907, huile sur toile, coll. part; 1906, crayon gras sur papier blanc, coll. Kijno; crayon sur papier blanc, coll. Kijno; vers 1906, plume, encre noire sur papier jaune, coll. part.; vers 1906, plume, encre noire sur papier blanc, coll. part. Cf. 2014 Gevin, p. 104 no 149; 1985 Boersch, p. 34 no 77, 78, 80, 81, p. 37 (repr.). 8. 2014 Gevin, p. 27. 9. Henri Evenepoel est inscrit dans l’atelier de Moreau (no 838) le 24 mars 1893 (AJ52 248, p. 16) puis dans le registre des élèves de l’École (no 5788) le 8 juillet 1893 (AJ36 236, p. 194) (Dossier individuel, AJ52 291). 10. MGM, Corresp., L.a.s. d’Ernest Blanc-Garin à GM, 6 mars 1893 : « […] vous recommander un élève que déjà vous avez vu : car ce jeune homme mû par l’amour de votre art est déjà allé se présenter à vous sans recommandation aucune ». 11. 1994 Evenepoel (I), lettre d’Henri Evenepoel, 2 mars 1893 (L. 33, Inv. 14545), p. 131-135. 12. 1994 Evenepoel (I), lettre d’Henri Evenepoel, 13 mars 1893 (L. 39, Inv. 14551), p. 139-143. À la même date, Ernest Blanc-Garin envoya une lettre à Gustave Moreau pour le remercier d’avoir accepté Henri Evenepoel comme élève (MGM, Corresp., L.a.s. d’Ernest Blanc-Garin à GM, 13 mars 1893). 13. Cette correspondance, adressée par le peintre à son père, est conservée à Bruxelles, aux Archives
Ill. 87 (fol. 1) Détail d’une lettre d’Henri Evenepoel à son père, Edmond Evenepoel, 20 novembre 1893, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Archives de l’Art contemporain en Belgique, L. 79, Inv. 14592
Les témoignages sur la vie de l’atelier dirigé par Gustave Moreau (d’octobre 1891 à 1897), sur ce que fut son enseignement à l’École des beaux-arts, sont rares. Et l’on sait peu de choses des relations qu’il entretint avec ses élèves, de son intimité avec certains d’entre eux. Les lettres (ou extraits de lettres) que nous avons rassemblées fournissent là-dessus de précieuses informations. Choisies parce que mentionnant le nom de Georges Rouault, elles sont classées chronologiquement, la première est datée du 23 septembre 1892, la dernière du 22 juin 1898. Parmi ces lettres, les trente-trois issues du fonds d’archives du musée Gustave Moreau et celles provenant de la bibliothèque de l’Institut de France sont inédites. À cet ensemble, nous avons ajouté des extraits de douze lettres d’Henri Evenepoel à son père. Elles avaient déjà fait l’objet d’une publication mais il nous a néanmoins paru important de leur donner une place car elles éclairent admirablement le début de la carrière de Georges Rouault. Le lecteur pourra légitimement s’étonner de l’absence d’une transcription des lettres échangées entre Gustave Moreau et Georges Rouault. Si nous y avons renoncé, c’est qu’en 1992 Cristina Scassellati se chargea de ce travail publié dans un catalogue d’exposition auquel nous renvoyons le lecteur1. Comprenant onze lettres de Moreau et onze de Rouault, cette correspondance débutée en décembre 1892, s’étend sur une période de six ans environ. Elle est conservée à Paris, au musée Gustave Moreau et à la Fondation Georges Rouault.
Notices biographiques des auteurs et destinataires des lettres MARIE LOUISE ALEXANDRINE ROUAULT, DITE LOUISE ROUAULT (NÉE CHAMPDAVOINE)* (Paris, 22 décembre 1843-id., 3 septembre 1924)
Le 15 septembre 1863, elle épousa Alexandre François Joseph Rouault dont elle eut deux enfants : Émilie2 et Georges qu’elle mit au monde le 27 mai 1871, dans une cave située 51 rue de la Villette où elle s’était réfugiée alors que les communards subissaient l’assaut des troupes versaillaises. Claude Roulet en parle comme «d’une femme remarquable, une femme de caractère, courageuse, qui supporta sans se plaindre, mais non sans en souffrir, une existence très dure. […] Elle était douée pour les sciences. Son rêve aurait été d’étudier les mathématiques. Mais son père n’était pas en situation de lui faire faire des études. Dès lors elle eût aimé devenir dame de compagnie, afin de s’instruire et de voyager. Elle acceptait n’importe quelle besogne, même au-dessus de ses forces3 ». D’abord fruitière, puis couturière, elle fut ensuite employée à la Caisse d’Épargne de la rue de Saint-Romain (Paris, VIe arr.). Loin de contredire la vocation de son fils, elle l’encouragea4. Il lui rendit hommage en lui dédiant, ainsi qu’à Gustave Moreau, la version finale du Miserere5. Il existe plusieurs portraits de Louise Rouault dont un dessiné par son fils au début de sa carrière6. D’autres furent exécutés par Léon Lehmann7 dans une période (1901-1907) où, en proie à de graves difficultés matérielles, doutant de sa vocation, il fut accueilli par la famille Rouault alors domiciliée rue Clauzel (Paris, IXe arr.): «Il émanait [selon lui] de ce foyer familial, je ne sais quelle vertu majeure cachée dans l’humble acceptation du rude devoir de chaque jour. Un tel exemple était lui-même le plus bel enseignement8.» CORRESPONDANCE : 3 lettres (29 septembre 1892, 16 novembre 1893, [n.d.]) ; 1 carte de visite ([1895])
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Ill. 87 (fol. 1 à fol. 8) Lettre d’Henri Evenepoel à Edmond Evenepoel, son père (sur papier de deuil), 20 novembre 1893, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Archives de l’Art contemporain en Belgique, L. 79, Inv. 14592
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Sélection de lettres (1892-1898) [n.d.] L.a.s. de Louise Rouault à Gustave Moreau, Paris, n.d., Paris, MGM. Corresp. « Monsieur, Nous sommes vraiment touchés de ce que vous venez encore de faire pour notre fils et nous ne savons comment vous exprimer notre reconnaissance. Veuillez agréer Monsieur tous nos compliments et nos sincères remerciements. L. Rouault »
1892 L.a.s. de Louise Rouault à Gustave Moreau, Paris, 23 septembre 1892, Paris, MGM. Corresp. « Monsieur, Très touchés de la bonté que vous avez toujours eue pour notre fils de tout l’intérêt que vous témoignez à ses efforts ainsi que de la préoccupation que vous cause sa santé ; nous ne savons vraiment comment vous prouver notre reconnaissance. Soyez certain que nous ne restons pas indifférents à ces marques d’estime, que nous nous associons à tous vos efforts et que nous sommes bien heureux du bonheur que vous lui procurez par tous vos bons et nobles conseils. Mon mari s’unit à moi pour vous prier d’agréer tous nos remerciements ainsi que nos souhaits de meilleure santé. L Rouault »
1893 L.a.s. de Louise Rouault à Gustave Moreau, Paris, 16 novembre 1893, Paris, MGM. Corresp. « Monsieur, Me trouvant dans l’impossibilité d’aller vous voir en ce moment, je ne veux pas attendre plus tard pour vous remercier, d’abord de toutes vos bontés pour mon fils et ensuite du magnifique faisan que vous nous avez offert hier agréez donc Monsieur de ma part ainsi que de celle de mon mari, tous nos remerciements et nos bien sincères salutations votre bien dévouée » L.a.s. d’Henri Evenepoel à Edmond Evenepoel, Paris, 16 novembre 1893172, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Archives de l’Art contemporain en Belgique « […] Il y a une grande effervescence en ce moment à l’École ! C’est la première année qu’on distribue le Prix Chenavard173 (à peu près 30.000 francs par an) institué pour [les] élèves dont les parents sont sans ressources et qui ont eu des récompenses dans l’année ! Parmi ceux qui concourent174, je ne puis m’empêcher de te citer un élève, nommé Rouault, élève de Moreau et qui, s’il continue, promet beaucoup ! Il a pour ce concours (d’esquisses) apporté une esquisse175 qui est une petite merveille (pas de fini) mais de couleur et de sentiment ! Inspiré par Rembrandt pour le costume, mais les couleurs sont plus vives. Des rouges, des blancs, des verts ! d’une sonorité puissante et harmonieuse ! Enfin ! j’ai été absolument épaté ! Moreau l’était aussi un peu, je crois, car il n’a dit que ceci, après cinq minutes : “C’est très bien ! c’est rare ! c’est très beau !.…. c’est la seule chose que je puisse vous dire !” Retiens ce nom, je crois qu’il en vaut la peine ! […] » L.a.s. d’Henri Evenepoel à Edmond Evenepoel, jeudi [23 novembre 1893]176, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Archives de l’Art contemporain en Belgique « […] Le matin, j’ai (hélas) une place près du feu, je suis sûr que je suis dans une atmosphère de 35° à 40°. Moreau en venant me corriger hier à ma place, m’a dit en me quittant : “Vous devez rudement souffrir ici !” Et je ne puis pas prendre d’autre place, tout est pris ! Je dois y rester jusqu’à la fin de la semaine ! Il y a un monde fou à l’atelier en ce moment. Je suis sûr que nous sommes au bas mot 70 autour du modèle ! Ah ! quand je me rappelle le tranquille petit atelier Blanc-Garin177, 4, 5 autour du modèle ! Quelle joie de ne jamais pouvoir se repayer cela ! Il est vrai qu’on n’a pas l’entrain qui règne ici. Ce potin qui règne à l’état latent dans l’atelier, au lieu de vous empêcher de travailler, finit (quand on s’y habitue) par ne plus vous gêner et, si je puis m’exprimer ainsi, par vous “porter” ! On ne [se] sent plus travailler. On bûche cependant,
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m’envoie de Paris un article des Débats [cf. 1899 Hallays] qui dit le musée accepté définitivement par l’état […] Je vous assure qu’après vous qui êtes l’héritier direct de toutes les idées de notre maître, il n’y en aura pas à Paris de plus profondément heureux de cela que Desvalières [sic] Rouault et moi. Et ce sera par souvenir tendrement filial mais surtout par amour complet et admiratif de sa belle œuvre. […] » 149. MGM, Corresp., L.a.s. de René Piot à Henri Rupp, [fin 1898 début 1899] : « Il est le voyant admirable d’une Renaissance nouvelle. Le premier, il a déterminé des séries d’éloquentes qui donneront à notre art des poésies et des musicalités neuves. Il a vu à nouveau l’éloquence des modes, l’éloquence des arabesques, l’éloquence des matières etc. etc. Il est humainement impossible qu’il put à lui seul faire aboutir cette évolution. Il a semé tous les germes, tracé toutes les voies qui doivent amener peut-être dans cent ans le génie qui chantera toute l’épopée des émotions modernes. Nous, ses élèves nous devons chacun prendre un de ces sillons qui soit l’expression de notre tempérament et le creuser à fond pour préparer les voies au génie final de cette évolution. » 150. Paris, Arch. Musées nationaux : Van Dyck, *LL 23, p. 62 (16 avril 1889) ; Rubens, Holbein, *LL 24, p. 154 (21 avril 1899), p. 175 (21 avril 1899), p. 591 (19 juillet 1899) ; Luini, Tintoret, *LL 27, p. 119 (22 mai 1900), p. 165 (8 septembre 1897) ; Poussin, *LL 31, p. 675 (29 mars 1899), p. 684 (29 mars 1899). 151. René Piot, Copies d’après Andrea Bonaiuti (Florence, église Santa Maria Novella, chapelle des Espagnols) : La Guérison des martyrs auprès de la tombe de saint Pierre martyr, deux détails de La Descente aux limbes, fresques, coll. part. Cf. 1991 Paris, p. 14, p. 15, p. 77. 152. La Chambre funéraire, exécutée entre 1906 et 1908, est constituée de trois fresques : In Pace (détruite en 1910), Miserere mei (détruite en 1910) et Requiescant (Saint-Germain-en-Laye, musée départemental du Prieuré, dépôt du musée d’Orsay). Cf. 1991 Paris, p. 18-25; 1908 Alexandre. 153. Arch. familiales René Piot, L.a.s. de Marcel Sembat à René Piot, n.d.: «Mon cher ami, immense succès ! Matisse enthousiasmé : il a dû vous le dire. Dans tous les ateliers, chez Marquet entre autres, on en parle avec une vraie admiration. L’atelier Rouault même, qui n’a pas l’habitude de prodiguer l’éloge, marche à fond […] ». Cf. 1991 Paris, p. 25. 154. René Piot, Le Parfum des nymphes, 1908, fresque, Auteuil, villa Montmorency. Cf. 1991 Paris, p. 25-29, p. 31 (Ill. 39). 155. Cf. 2007 Garban ; 1991 Paris. 156. Piot commença de travailler aux décors et costumes de l’opéra Les Troyens dès 1914. Le spectacle fut donné au Palais Garnier le 10 juin 1921. Cf. 1991 Paris, p. 57-65, p. 81-82. 157. Elektra fut donnée au Palais Garnier le 25 février 1932. Piot débuta son travail dès 1914. Cf. 1991 Paris, p. 67-73, p. 82. 158. René Piot, Les Palettes de Delacroix, Librairie de France, 1931. 159. Cf. 1991 Paris, p. 75-76, p. 82. 160. Jules Machard, Orphée descendu aux Enfers demander Eurydice, 1865, huile sur toile, ENSBA, PRP 116. 161. Le Cadavre du dernier fils de Frédégonde retrouvé par un pêcheur, 1867, huile sur toile, non localisée (Salon de 1867) ; Angélique attachée au rocher, 1869, huile sur toile, Dole, musée des Beaux-Arts, Inv. 78 (Salon de 1869) ; La Mort de Méduse, 1870, huile sur toile, Besançon, musée des Beaux-Arts, Inv. 874.1.1 ; Narcisse et la source, 1872, huile sur toile, Chartres, musée des BeauxArts, Inv. 3811, dépôt du FNAC (Salon de 1872) ; Sémélé, 1874, huile sur toile, non localisé depuis
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