Haim kern (extrait)

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Conseil général de l’Aisne, directeurs de la publication : Yves Daudigny, président du conseil général, sénateur de l’Aisne ; Philippe Mignot, directeur de cabinet Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Conception graphique : Stéphane Cohen Coordination éditoriale : Laurence Verrand Contribution éditoriale : Sandra Pizzo Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros © Somogy éditions d’art, Paris, 2014 © Conseil général de l’Aisne, conservation des musées et de l’archéologie, 2014 © Claude Frontisi, D.R., pour sa contribution, 2014 ISBN : 978-2-7572-0814-4 Dépôt légal : novembre 2014 Imprimé en Italie (Union européenne)


HAÏM KERN Sous la direction de Denis Defente Contributions d’Annette Becker, Claude Frontisi et Raymond Riquier



PRÉSENTATION DES AUTEURS

Denis Defente, conservateur en chef, dirige le service de la conservation départementale des musées et de l’archéologie de l’Aisne. Il a participé en 1998 à l’installation de l’œuvre de Haïm Kern Ils n’ont pas choisi leur sépulture à Craonne, sur le Chemin des Dames, et aux programmes de restauration et de réinstallation de cette sculpture en 1999 et en 2006. À partir de 2008, il a assuré le suivi de la donation par l’artiste de son fonds d’atelier au département de l’Aisne. Il a été chargé en 2013 de la mise en œuvre du catalogue de cette donation. Annette Becker est professeure à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense et membre senior de l’Institut universitaire de France. Après s’être consacrée principalement à la Grande Guerre, à sa mémoire, à l’histoire de l’humanitaire et au trauma, elle travaille désormais sur les liens entre les deux guerres mondiales, en particulier sur les différents aspects des occupations (Les Cicatrices rouges, France et Belgique occupées, 14-18, Fayard, 2010), sur les formes de violence (les génocides) qui se sont transmises de l’une à l’autre des deux guerres et les extraordinaires nouveautés dans l’horreur de la Seconde. Elle poursuit ses travaux sur les artistes, les écrivains (La Grande Guerre d’Apollinaire : un poète combattant, Tallandier, réédition, 2014), les intellectuels et la guerre, et réfléchit à la fois sur les artistes contemporains des conflits et sur ceux qui, aujourd’hui, prennent leur inspiration dans la violence du passé. Elle fait le point sur ces aspects visuels de son travail dans Voir la Grande Guerre, un autre récit (Armand Colin, 2014), dont Haïm Kern a dessiné la couverture. Dans sa contribution « En empathie avec les victimes », Annette Becker évoque, à partir de l’œuvre inaugurée dans l’Aisne en 1998 Ils n’ont pas choisi leur sépulture, le rapport de l’artiste à la Grande Guerre et à la Shoah. Claude Frontisi est professeur émérite à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense (chaire « Art du xxe siècle »). Il y a fondé et dirigé le Centre de recherches interdisciplinaires sur l’art contemporain Pierre Francastel ainsi que la revue 20/21 siècles. À l’ENS-Ulm, il a codirigé le séminaire La Confusion des genres (photographie et environs). Pour l’École du Louvre, il a élaboré le programme contemporain des cours en région et donné des cycles annuels de conférences. Il préside l’association des Amis d’Hector Guimard et celle des Historiens de l’art contemporain. Ses ouvrages portent notamment sur l’œuvre de Paul Klee (Paul Klee, anatomie d’Aphrodite : le polyptyque démembré, Adam Biro, 1990 ; Paul Klee, la création


et sa parabole : poétique, théorie et pratique en peinture, La Petite École, 1998 ; « Paul Klee : la peinture polyphonique », cat. exp. Paul Klee, 1879-1940 : la collection d’Ernst Beyeler, Hazan, 2010 ; « Paul Klee mythographe », Art et Mythe, Presses universitaires de Paris Ouest, 2011). Ses autres études concernent principalement les grands mouvements du « premier xxe siècle », en particulier l’Art nouveau (Guimard Hector, architectures, Les Amis d’Hector Guimard, 1978), le cubisme (Cubisme et cubistes, CNDP, 1989) et le futurisme. D’autres essais concernent l’actualité des artistes avec lesquels il collabore. Il a participé à l’édition française des Vies de Giorgio Vasari (Berger-Levrault, 1981-1989). La question des relations texte/image parcourt cet ensemble en un thème transversal et donne également lieu à diverses publications. Enfin, il a conçu et dirigé l’Histoire visuelle de l’art (Larousse, réédition, 2009). Avec « Haïm Kern : des formes pour le dire », Claude Frontisi focalise son analyse sur les œuvres proprement dites afin d’en dégager les caractéristiques et les significations profondes : thématiques sérielles, présence du langage dans l’image, humour, distance et tragique, engagement, poétique des sujets et de la matière… Au bout du compte, l’auteur insiste sur l’élaboration d’un style original, qui se constitue dans l’histoire tout en la révélant dans le monde visuel. Raymond Riquier, docteur en science politique, est inspecteur d’académie et lieutenant-colonel de réserve citoyenne. À sa demande, il a reçu en 1997 une mission interministérielle de la part du Premier ministre Lionel Jospin, dont il était alors le chef adjoint de cabinet, portant sur la préparation et l’exécution de la commémoration du 80e anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918 ; il a notamment contribué à la création d’une entité, la « région de mémoire ». Il a été le commissaire de l’exposition Tenir ! Reims sur le front, 1914-1918, inaugurée en novembre 2008. Il est l’un des fondateurs d’AMAN (Association pour la mémoire de l’Armée noire), qui a œuvré pour la reconstruction du monument de Reims, jumeau de celui de Bamako (Mali), dédié aux « héros de l’Armée noire », érigé en 1924 et détruit en octobre 1940. Depuis 2014, il est vice-président de l’Amicale pour la mémoire des tirailleurs comoriens et contribue à l’installation d’un « chemin de mémoire », en relation avec les ministères compétents et l’Union des Comores, inauguré en juillet 2014 à Cuts (Oise). Membre du bureau de l’Amicale des anciens déportés de Bergen-Belsen, il a mené plusieurs actions auprès de survivants de la Shoah, participant notamment à la publication, dans la collection de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, de textes d’Albert Bigielman (2005), de Jacques Saurel (2007) et de Denise Holstein (2008). Auteur de plusieurs ouvrages personnels, il est enfin membre de l’Association des écrivains combattants. Dans sa contribution « Quatre heures de trop. L’écartèlement de Damiens : l’espérance au bout du chemin ? », Raymond Riquier, à partir d’une analyse minutieuse des quatre gravures réalisées par Haïm Kern pour un ouvrage consacré au régicide Damiens, démontre combien ces œuvres témoignent d’un aboutissement de la première partie de la carrière de l’artiste et correspondent à un jalon dans le perfectionnement de son art, jusqu’aux visages si réussis du monument du plateau de Californie en 1998. « Ainsi, Quatre heures de trop, au-delà de ses impasses désespérantes, de sa noirceur, paraît-elle une œuvre grosse d’une clarté, d’une espérance que Haïm Kern, progressivement, affirmera et donnera en partage. »


REMERCIEMENTS

La publication de cet ouvrage a été menée à bien grâce au soutien de nombreuses personnes et institutions. Nos remerciements vont à celles et à ceux qui ont bien voulu nous aider dans nos recherches dans différents fonds d’archives et qui nous ont communiqué le fruit de leurs travaux : Aude Bodet, Isabelle Laurent et Christine Velut (Fonds national d’art contemporain, Paris) ; Susie Cox (George Bush Presidential Library and Museum, College Station, ÉtatsUnis) ; Raymond Delavigne (Histoire et Patrimoine, Villevêque) ; Thierry Deprez (Archives municipales, Metz) ; Lars-Gunnar Fällman (Galleri Pictor, Ängelholm, Suède) ; Katy Hazan (Archives et histoire de l’Œuvre de secours aux enfants, Paris) ; Jean-Éric Iung (Archives départementales de Moselle, Metz) ; Petra Oelschlaeger (Sächsisches Staatarchiv, Leipzig, Allemagne) ; Alexandra Pinter (Museum moderner kunst stiftung Ludwig, Vienne, Autriche) ; Olivier Quiquempois (Musée-atelier départemental du Verre, Sars-Poteries) ; Christophe Rosé (Institut François-Mitterrand, Paris) ; Olivier Rubinstein (Institut français, Tel-Aviv, Israël) ; Pauline Schaefer (Archives municipales, Montigny-lès-Metz) ; Karen Taieb et Cécile Fontaine (Mémorial de la Shoah, Paris). Au sein du service de la conservation départementale et du pôle Chemin des Dames, le pré-inventaire du fonds d’atelier a été réalisé, de 2008 à 2010, par Yann Périchaut, qui a bénéficié pour le transport, le stockage et la gestion des œuvres de l’aide de Stéphane Bernard et Gilles Bourdon. Cette équipe a ensuite participé à la mise en œuvre de l’exposition Du plateau de Californie à la Caverne du Dragon. Œuvres de Haïm Kern (16 juillet 2012-31 mars 2013) sous la direction d’Anne Bellouin, responsable du pôle Chemin des Dames. Le présent catalogue a été réalisé avec la participation d’Alexis Jama, qui en a accompagné les différentes étapes, de Patricia Douay et de Séverine Duchene. Que toutes et tous soient ici remerciés. Pour l’iconographie de cet ouvrage, notre gratitude va à René Fouin, Yannick Minous, Yann Périchaut, Gérard Rondeau et, plus particulièrement, Michel Minetto, qui a assuré la couverture photographique de l’ensemble de la collection départementale ; ainsi qu’au Centre national des arts plastiques qui a autorisé la reproduction de deux œuvres inscrites à l’inventaire du Fonds national d’art contemporain. Nous remercions Marie-Pierre Landry-Mitterrand, qui a bien voulu nous faire part de ses souvenirs sur la carrière de Haïm Kern lorsqu’elle était au ministère de la Culture et apporter son expertise sur les œuvres de la donation. Michel L’Huillier nous a pour sa part aimablement communiqué des informations concernant la création des verres thermoformés dans les ateliers Wehr, en Alsace, avant son départ pour les États-Unis en 1995. Nos plus vifs remerciements vont également à Annette Becker, Claude Frontisi et Raymond Riquier pour les nombreux et fructueux échanges dans le cadre de la réalisation de cette publication et à Haïm Kern, qui a bien voulu, tout au long de ces dernières années, nous confier une partie de sa documentation et de ses souvenirs, et accompagner la réalisation de cet ouvrage.


PRÉFACE

Haïm Kern, le Chemin des Dames et l’Aisne Lorsqu’en 1998, pour les commémorations du 80e anniversaire de l’armistice de 1918, l’État sollicite l’intervention de cinq artistes sur les champs de bataille de la Grande Guerre, c’est à Haïm Kern qu’échoit cette partie du front connue sous le nom de Chemin des Dames. Le Chemin des Dames est cette vivante et douce composition paysagère où le regard du sculpteur porte loin, qui marie de part et d’autre de la rivière Aisne plaine et collines, grandes cultures, bois et pâtures, tableau éclairé d’une lumière amplifiée d’humidité et survolé d’une armada de nuages en ciel de traîne. Paysage apaisant et apaisé, le Chemin des Dames se présente simultanément à Haïm Kern comme lieu d’une mémoire bouleversante. Supportant sa part des drames du xxe siècle, ce théâtre de fantômes parle à l’artiste et à l’homme intime, lui-même profondément marqué par la tragédie contemporaine. De cette dialectique, Haïm Kern va faire naître Ils n’ont pas choisi leur sépulture, œuvre sur commande publique de l’État avec le soutien du conseil général de l’Aisne, qui est inaugurée le 5 novembre 1998 par le Premier ministre Lionel Jospin. Le sculpteur dresse ce monument de bronze entre le rideau de pins qui domine la montagne de Craonne et l’écorché de la falaise calcaire du plateau de Californie, au-devant de la forêt qui a conquis la zone rouge. La sculpture évoque la mémoire des milliers d’hommes fauchés dans leurs jeunes vies et jetés à la terre dans ce théâtre ; précipités à leur corps défendant dans un événement sur lequel ils n’avaient pas pouvoir ; saisis en masse dans les mailles d’un filet qui laisse voir quelques-unes de ses captures : visages symbolisés aux yeux clos, métaphore de la multitude prise dans la nasse de la guerre au Chemin des Dames. Et ailleurs. « Si je parle de l’arbre qui est à ma porte, je parle de toute la forêt. Ainsi en est-il des épreuves et des souffrances endurées par ces hommes, ces femmes, ces enfants ; elles font partie de notre histoire à tous. » Appliquée à l’œuvre du plateau de Californie, cette réflexion de Haïm Kern permet d’en mesurer la signification profonde et l’universalité. Pour l’artiste et homme contemporains, la guerre est ce qu’elle fait, ce qu’elle est à l’homme : souffrance. Qu’une création ponctuelle allégorise cette souffrance, alors tout est dit de la guerre, prenant à témoin les spectateurs que nous sommes de l’absolue nécessité et urgence de la paix. Longtemps, le Chemin des Dames a été tenu en marge d’un récit national de la Grande Guerre pour partie voué à la célébration de la victoire. Ils n’ont pas choisi leur sépulture est


venue en 1998 dans un temps où le regard sur l’événement et ses acteurs connaissait un déplacement : porté hier à commémorer la geste des héros en bleu horizon, ce regard s’intéressait désormais davantage à l’homme, au citoyen sous l’uniforme et à ce qui lui fut (or)donné de vivre comme horreur durant ces quatre années et demie de guerre. Dans ce contexte, pleinement de son temps, expression de la souffrance humaine dans la guerre, l’œuvre singulière du plateau de Californie a puissamment contribué à la reconnaissance du Chemin des Dames comme lieu national. Ici, peut-être plus que partout ailleurs sur le théâtre des affrontements d’hier, s’érigeaient la vision d’acteurs qui n’avaient choisi ni le texte de la pièce ni leurs rôles, et l’idée que le répertoire – en définitive la tragédie – s’était imposé à eux. Que la sculpture de Haïm Kern, évocation de la mort anonyme et subie, ait été un temps perçue comme une œuvre symbole des mutins de 1917 n’est guère surprenant. Il faut y voir une conséquence des modalités de l’inauguration du 5 novembre 1998, en particulier un effet de l’exploitation du discours tenu par le Premier ministre à Craonne appelant à réintégrer dans la mémoire collective les fusillés de la Grande Guerre, mais aussi le résultat d’une longue affiliation des mutineries à la mémoire du Chemin des Dames. L’importance prise par cette intervention artistique au Chemin des Dames, les enjeux mémoriaux et aujourd’hui sa valeur d’emblème dessinent la relation particulière qu’au fil des années Haïm Kern a développée avec l’Aisne. Il ne pourrait être un simple passant du Chemin des Dames, d’autant moins que ce lieu d’impossible identité entre mémoire vive et paysage présent apaisé fait écho à une œuvre de plasticien marquée du sceau du tragique xxe siècle. Cette relation suivie et forte a conduit l’artiste à faire don au département de l’Aisne, en 2010, des 1 117 créations conservées dans son atelier. Point d’orgue d’un travail de mémoire entamé il y a près de vingt ans, la donation, qui a fait l’objet d’une première exposition à la Caverne du Dragon, musée du Chemin des Dames, assure la pérennité d’une aventure artistique contemporaine remarquable qui exprime l’impossible oubli des guerres. Après l’exposition de 2012, ce catalogue, réalisé sous la maîtrise d’ouvrage du département de l’Aisne et nourri par les contributions des meilleurs spécialistes de l’artiste, poursuit ce travail de conservation et de valorisation de son œuvre. Il est en même temps hommage à Haïm Kern et geste de gratitude à son égard.

Yves Daudigny Président du conseil général Sénateur de l’Aisne


SOMMAIRE

15 DENIS DEFENTE

59 ANNETTE BECKER

73 CLAUDE FRONTISI

LA DONATION HAÏM KERN

EN EMPATHIE AVEC LES VICTIMES

HAÏM KERN : DES FORMES POUR LE DIRE


99 RAYMOND RIQUIER

115 DENIS DEFENTE

145

QUATRE HEURES DE TROP L’ÉCARTÈLEMENT DE DAMIENS : L’ESPÉRANCE AU BOUT DU CHEMIN ?

NOTICES

ANNEXES 147 HAÏM KERN

MONSIEUR BROUIVARD 151 HAÏM KERN

LE DEUSÈLE EN MILIEU PÉRIURBAIN 155 BIBLIOGRAPHIE 159 PRINCIPALES EXPOSITIONS



AVERTISSEMENT AU LECTEUR

Cet ouvrage a été réalisé selon des choix éditoriaux liés à l’hétérogénéité de la collection étudiée, à celle des sources documentaires et aux demandes particulières de l’artiste, qui sont des points sur lesquels il nous semble utile d’attirer l’attention du lecteur. La collection, composée pour l’essentiel de la donation partielle de son fonds d’atelier par l’artiste, est éclectique tant par la nature que par la qualité des œuvres. La sélection d’une centaine d’œuvres a été réalisée parmi les 1 117 numéros d’inventaire afin de dégager les lignes de force de cette collection et de constituer un ensemble représentatif des productions de Haïm Kern. Le CD-ROM joint à cette publication permet de compléter l’analyse du fonds d’atelier par la reproduction de plus de deux cents œuvres et de présenter l’actualité des activités de l’artiste par l’insertion de onze films numériques. La documentation sur les œuvres à laquelle l’artiste a donné accès se compose à la fois de plaquettes éditées par les galeries dans le cadre de la promotion des œuvres vendues, de listes des œuvres exposées et de leur prix, de notices dans des publications liées à des expositions collectives, d’articles de presse généralement liés aux expositions organisées, de factures des fondeurs qui ont permis de dater une partie des œuvres et d’interviews de l’artiste dans lesquelles celui-ci s’exprime sur son rapport aux œuvres. Ces sources ont été complétées, autant que faire se peut, par des recherches dans les archives tant publiques que privées. L’exploitation des matériaux ainsi rassemblés permet de donner un premier éclairage sur la carrière de l’artiste. Pour plusieurs expositions, la liste exhaustive des œuvres est présentée en annexe, mais les prix de vente de ces œuvres, initialement retenus comme faisant partie intégrante des critères de lecture de l’évolution de sa carrière, ont été supprimés suite à la demande de l’artiste. Concernant l’iconographie utilisée, il a été choisi de centrer l’image sur l’œuvre elle-même, les estampes et les peintures étant systématiquement reproduites sans cadre et les bronzes sans socle, ceux-ci pouvant modifier la lecture de l’œuvre elle-même. Les sculptures ont été photographiées de face afin de favoriser la neutralité de la présentation dans les textes généraux, des cadrages différents étant reproduits avec chaque notice sur les œuvres. La première partie de l’ouvrage présente les œuvres sélectionnées par ordre chronologique, afin de restituer l’évolution de l’artiste, tandis que les contributions d’Annette Becker, de Claude Frontisi et de Raymond Riquier, sollicitées par Haïm Kern, sont autant de regards croisés sur les nombreuses créations de l’artiste.



LA DONATION HAÏM KERN DENIS DEFENTE

À l’origine de la donation : Haïm Kern et le département de l’Aisne En 1998, le gouvernement de Lionel Jospin décide de porter une attention particulière à la commémoration du 80e anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918 : cinq commandes publiques sont passées à cinq artistes plasticiens, Christine Canetti, Alain Fleischer, Haïm Kern, Ernest Pignon-Ernest et Michel Quinejure. Le département de l’Aisne est retenu pour recevoir la sculpture de Haïm Kern Ils n’ont pas choisi leur sépulture et il est décidé d’un commun accord d’installer l’œuvre à Craonne, sur le plateau de Californie. Le conseil général de l’Aisne participe au financement de l’opération et le monument de 4 mètres de haut, en bronze, est inauguré le 5 novembre 1998 par le Premier ministre, accompagné de la ministre de la Culture et de la Communication Catherine Trautmann et du secrétaire d’État aux Anciens Combattants Jean-Pierre Masseret. Le 24 mai 1999, l’œuvre est retrouvée abattue ; restaurée, elle est remise en place le 8 novembre. Une nouvelle fois retrouvée à terre le 24 avril 2006, elle est restaurée et réinstallée le 6 novembre. Ces épreuves renforcent les liens entre le département de l’Aisne et Haïm Kern : ce dernier propose le don de son fonds d’atelier, ce que le département accepte sous réserve d’inventaire. Celui-ci répertorie 1 117 œuvres et le conseil général accepte ce don en septembre 2010, s’engageant de son côté à éditer un catalogue des œuvres données. Dans cette donation faite au département de l’Aisne, la production de Haïm Kern est représentée par 323 sculptures, 247 moules, 214 peintures et dessins, 151 estampes, 127 modèles en cire, 33 verres thermoformés, 12 installations et 10 résines de synthèse. Cet ensemble est complété par l’acquisition, en 2013, auprès de Reinhard Tietze, de deux exemplaires de Damiens, ouvrage illustré en 1978 de quatre gravures de l’artiste, et par le don, en 2014, par Marie-Pierre Landry-Mitterrand, d’une œuvre en bronze réalisée en 1987, pour laquelle elle avait posé. La plus ancienne pièce de la collection ainsi constituée est une petite sculpture réalisée en 1944, témoignage unique des premières productions de l’adolescent durant les années de guerre, la collection elle-même couvrant cinquante années d’activité de l’artiste, de 1954 à 2003. Carrière de l’artiste Page de gauche

14 Attrape-mirage (détail)

Haïm Kern, né en Allemagne en 1930, est un artiste français, qui vit et travaille à Paris. Après avoir fréquenté plusieurs centres de formation parisiens à partir de 1954 (École nationale 15


Ci-contre

Haïm Kern, Paris, juin 2011, par Gérard Rondeau On reconnaît au premier plan, à gauche, Lettres en cage, à droite, suspendus, quelques Deusèles, sur la table Les Gardiens du livre et derrière l’artiste Nu allongé. Ce document appartient à une série de photographies de Haïm Kern réalisées à son domicile, à la demande du département de l’Aisne, par Gérard Rondeau. Né à Châlons-sur-Marne en 1953, ce dernier est photographe et artiste plasticien à la carrière internationale. Il « voyage dans un monde en noir et blanc, il emprunte des chemins sans fin, joue avec les mots, les jeux d’ombre et les silences, il assemble des histoires et restitue des mondes en souffrance ». Page de droite

supérieure des beaux-arts de Paris, Académie de la Grande Chaumière), il travaille dans l’atelier de Georges Visat (1910-2001), imprimeur et éditeur d’artistes célèbres tels que Max Ernst (1891-1976), Hans Bellmer (1902-1975) et Roberto Matta (1911-2002). Haïm Kern obtient la nationalité française en 1967. En 1971, il bénéficie d’une bourse de l’État de Genève qui lui permet de travailler au Centre genevois de gravure contemporaine, que dirige alors Daniel Divorne. Dès cette époque, collages, peintures et estampes sont présentés dans de nombreuses expositions en France et à l’étranger. L’année 1978, date à laquelle Georges Visat ferme son atelier et quitte Paris, marque le terme de cette grande production d’images : c’est la sculpture qui devient le moyen d’expression privilégié de Haïm Kern. Cette production abondante, de terre et surtout de bronze, d’une grande créativité, évolue à la fin des années 1990 vers la réalisation de personnages décharnés qui prennent une place privilégiée dans les installations de l’artiste liées au souvenir de la Shoah. Plusieurs œuvres sont conservées dans les collections publiques françaises, telles que celles du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, du département des estampes de la Bibliothèque nationale de France et du Fonds national d’art contemporain (FNAC). Par ailleurs, de nombreuses collections à travers le monde conservent des sculptures de Haïm Kern, offertes par le président de la République François Mitterrand dans le cadre des échanges diplomatiques de la France. La statue de François Mauriac, place Alphonse-Deville à Paris, commande de l’État en 1985 pour le vingtième anniversaire de la mort de l’écrivain, est réalisée par Haïm Kern, tout comme le monument commandé en 1998 pour le 80e anniversaire de l’armistice, installé sur le Chemin des Dames. L’artiste est nommé au grade de chevalier de la Légion d’honneur pour l’ensemble de son œuvre en 1999 1.

Classe d’école primaire à Villevêque (Maine-et-Loire), année scolaire 1941-1942 Haïm Kern, dont la famille est alors réfugiée à Villevêque, est en haut à droite. Le troisième élève à sa droite est Claude Poperen, l’un des deux fils de Maurice Poperen, l’enseignant qui succède à Pierre Lagadec en 1942. Au premier rang, à la droite de l’élève qui tient l’ardoise, est le fils du maire, René Fouin, qui a aimablement confié un tirage de cette photographie. Haïm Kern dessinant, année scolaire 1944-1945 Cette photographie a été prise au centre de formation professionnelle Maurice-et-Daniel-Fleg, à Moissac (Tarn-et-Garonne), où l’adolescent est alors recueilli (Weissenberg, 1979, p. 5).

Enfance et adolescence Né à Leipzig le 4 décembre 1930, Achille Haïm Kern est le second enfant du couple KrelbaumKern. En 1933, la famille fait partie des nombreux Juifs fuyant le nazisme. Elle arrive en France, en Moselle, et s’installe dans un premier temps à Montigny-lès-Metz 2. Par la suite, le père de Haïm Kern rejoint la Palestine et sa mère, Jenny Kern, se fixe à Valenciennes avec ses enfants. Haïm Kern garde d’innombrables souvenirs de cette époque, où se mêlent à la fois l’odeur de la tarte aux pommes des propriétaires de leur logis, les Bremesse, le bruit rassurant des carillons de son beau-père horloger et la musique de jazz des oncles venus 16 LA DONATION HAÏM KERN

1 « M. Kern (Achille), sculpteur ; 34 ans d’activités professionnelles. » Décret du 31 décembre 1999 portant promotion et nomination, JORF du 1er janvier 2000. 2 Le registre des étrangers et le registre des populations pour Montigny-lès-Metz, conservés aux archives municipales, mentionnent la présence de Mendel Krelbaum, commerçant, né le 8 novembre 1893 à Pilica, en Pologne, de son épouse Jenny Kern et de leurs enfants Claire et Achin, nés à Leipzig, de nationalité polonaise, réfugiés politiques, de religion israélite, venant de Leipzig, arrivés le 10 mai 1933, domiciliés 79, rue de Pontà-Mousson, et partis pour Metz, 12, rue des Francs, le 16 juillet 1933. Les dossiers des services de l’État chargés de surveiller l’immigration dans les années 1920-1930 sont conservés aux archives départementales de la Moselle dans les sous-séries 304 M et 24 Z.


3 L’Association nationale des anciens combattants de la Résistance, comité du Morbihan, met en ligne de nombreuses informations concernant les réfugiés et les déportés du Morbihan durant la Seconde Guerre mondiale. 4 L’association Anonymes, Justes et persécutés durant la période nazie dans les communes de France met en ligne de nombreux renseignements sur Villevêque pendant la Seconde Guerre mondiale. 5 Delavigne, 2014. 6 Delavigne, 2010, p. 268-269 et 298-302. 7 Jacobzone, 2002. 8 Moscovici, 2009. 9 Arrêté du 18 janvier 2011 portant apposition de la mention « Mort en déportation » sur les actes et jugements déclaratifs de décès, « Krelbaum, née Kern (Jenny, Jetty) le 8 juin 1907 à Leipzig (Allemagne), décédée le 21 septembre 1942 à Auschwitz (Pologne) », JORF, no 0049, 27 février 2011. Il faut préciser que ces actes tardifs, destinés à légaliser le décès des déportés, restent sujets à caution faute de moyens de connaître les dates réelles. 10 Hazan, 2008. 11 Dossier no 4422 du mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem. 12 Leur fils, Pierre Ferrand, jeune résistant, mourra les armes à la main à Monbalen, au sud de Villeneuve-sur-Lot, le 16 juin 1944.

d’Allemagne avec leurs instruments de musique, faisant de la maison un joyeux lieu de rendez-vous pour tout le quartier. Lors de la naissance de sa deuxième sœur, en 1934, le petit garçon part vivre un moment chez ses grands-parents maternels à Paris, qu’il découvre. En 1940, c’est de nouveau l’exode car il faut fuir l’avancée des troupes allemandes (voir p. 63). Neulliac, dans le Morbihan, est l’une des premières étapes 3, puis Villevêque, dans le Maineet-Loire, où la vie se réorganise 4. Parmi les instituteurs, Pierre Lagadec (1901-1975) a laissé un vif souvenir 5. Ce dernier inculque aux enfants les précieuses valeurs de la République ; considéré comme « hostile à l’œuvre de rénovation nationale », cet enseignant est muté, ainsi que son épouse, en mars 1942. C’est Maurice Poperen (1897-1991) qui lui succède 6. Après l’exigence du port obligatoire de l’étoile jaune par les Juifs, en juin 1942, arrive le temps des rafles 7. Pinkus Grinspan, le beau-père de Haïm Kern, et Klara Selig-Kern, sa tante, sont arrêtés le 15 juillet ; ils font partie du convoi no 8, parti d’Angers pour Auschwitz le 20 juillet 8. Jenny Kern, qui a échappé à cette rafle, fuit et traverse seule avec ses trois enfants la ligne de démarcation et se réfugie à Septfonds, dans le Tarn-et-Garonne. Elle est arrêtée lors de la grande rafle en zone dite « libre » d’août 1942 et transférée à Rivesaltes puis à Drancy. Elle fait partie du convoi parti le 16 septembre, qui comporte 586 hommes et 407 femmes, dont 33 survivront dans les camps jusqu’en 1945. Elle-même décède le 21 septembre 1942 9. Dorénavant, le parcours de Haïm Kern et de ses deux sœurs sera celui des orphelins juifs, pris en charge lorsque cela est possible par l’Œuvre de secours aux enfants (OSE) 10. L’itinérance du jeune adolescent trouve un terme à Villeneuve-sur-Lot, où une personnalité exceptionnelle, le proviseur Gaston Bourgeois, accueille au lycée Georges-Leygues, sous de faux noms, des enfants juifs, leur trouve des familles d’accueil pour les temps extrascolaires et réussit à éviter les perquisitions allemandes dans son établissement ; il sera reconnu Juste parmi les Nations 11. Haïm Kern s’appelle alors Paul Cayrol, sa famille d’accueil est celle des Ferrand 12. En 1944, il doit quitter le collège avant la fin de l’année scolaire : la division Das Reich est en mouvement dans la région, remontant depuis Montauban vers le front de Normandie. Le garçon est hébergé dans une ferme, chez la famille Seunes. C’est à cette époque qu’il modèle dans l’argile la tête qui subsiste dans la donation (fig. 49). Il est par la suite recueilli au centre de formation professionnelle Maurice-et-Daniel Fleg, à Moissac 13.

13 Hazan, 2003 et « Moissac ou la mémoire oubliée des Justes », La Revue civique, 2013 (consultable sur Internet).

LA DONATION HAÏM KERN 17


1 Chaussée d’Antin 1954

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2 Chanson 1955 3 Nu sur fond orange ca 1956-1957 4 Robert Thomas de profil ca 1958

L’artiste à travers la collection départementale Les années de formation À la sortie de l’adolescence, Haïm Kern part pour Israël, peu de temps avant la déclaration d’indépendance du pays, en 1948. Il y vivra plusieurs années. De retour en France en 1953, il se fixe à Paris. Il est hébergé un moment au foyer de l’Union chrétienne de jeunes gens, rue de Trévise, et des amis lui prêtent un local qui lui sert d’atelier sur le toit d’un immeuble, dans le quartier de la rue des Mathurins. En 1954, il loge dans une chambre square de Robiac, où il peint et réalise ses premières eaux-fortes. C’est à cette époque qu’il rencontre Georges Visat, qui lui imprime ses premières gravures. À partir de 1956, le jeune homme habite quai de la Mégisserie. Il tire ses lithographies sur les presses à bras des Beaux-Arts et s’essaie à la tempera et aux pastels. Puis il séjourne dans les dépendances d’une maison de campagne à Girouard, à Lévis-Saint-Nom, près de la vallée de Chevreuse, où il pratique l’huile sur papier et la détrempe à l’huile et réalise des pointes sèches. En 1960, Haïm Kern revient à Paris et loge boulevard du Montparnasse. C’est à partir de cette époque qu’il réalise des eaux-fortes dans les ateliers de Georges Visat. En 1962, il se fixe définitivement rue des Gobelins. Cette période correspond aux années de formation, au cours desquelles l’artiste fréquente le milieu des étudiants de l’École nationale supérieure des beaux-arts, où il peut bénéficier des séances de pose des modèles et du matériel pour tirer ses estampes. À cette époque, Édouard Goerg (1893-1969) y enseigne la gravure et l’eau-forte, René Jaudon (1889-1966) est professeur de lithographie et le peintre Jean Souverbie (1891-1981) dirige l’atelier d’art LA DONATION HAÏM KERN 19


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5 La Communiante ca 1955 Ci-contre

6 Nature morte à la table de toilette ca 1955

monumental. À l’Académie de la Grande Chaumière, Haïm Kern peut également bénéficier des séances de pose des modèles. Le jeune artiste s’exerce aux différentes techniques de l’estampe et de la peinture. Les estampes conservées dans la collection départementale correspondent presque toutes à des représentations en deux dimensions. Les effets de perspective sont pratiquement absents et les effets de volume très rares. Le dessin reste très linéaire et s’apparente la plupart du temps à un dessin au trait, en lien avec l’écriture des textes souvent intégrés à l’œuvre, comme pour les eaux-fortes Chaussée d’Antin (fig. 1) et Chanson (fig. 2). Les lithographies permettent les premiers essais de couleur, tels que Nu sur fond orange (fig. 3). À Girouard, en l’absence de bac et d’acide, n’ayant plus de contact avec Georges Visat, Haïm Kern s’exerce aux pointes sèches. Il les réalise sur cuivre avec soin et ses représentations sont davantage mises en volume, comme pour le portrait de son ami Robert Thomas de LA DONATION HAÏM KERN 21


7 Nu allongĂŠ ca 1957

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8 Lévis-Saint-Nom 1959

profil (fig. 4). À cette époque, il participe aux activités de l’association Pointe et Burin ainsi qu’aux expositions collectives que celle-ci organise, par exemple à la galerie Vendôme, rue de la Paix, en 1959. Les pointes sèches sont généralement tirées chez Camille Quesneville, qui est sociétaire de l’association. Les peintures conservées dans la collection départementale témoignent également des essais de Haïm Kern en la matière. L’artiste s’exerce à différentes techniques à partir de l’étude des grands peintres, tels que Vélasquez ou Van Gogh, en réalisant des copies parfois très libres de leurs œuvres (voir p. 76). Il complète sa formation par des voyages d’études, notamment en Belgique, aux Pays-Bas, en Italie et en Grèce. Globalement, les premières œuvres sont des peintures sous influence, comme La Communiante (fig. 5), mais, pour quelques toiles représentant son cadre de vie, Haïm Kern réalise des œuvres plus personnelles, comme Nature morte à la table de toilette (fig. 6), qui représente sa chambre square de Robiac, ou Lévis-Saint-Nom (fig. 8). Les peintures de cette époque sont toujours très soigneusement mises en page par un dessin de contour sur la toile qui délimite les champs colorés, le pourtour des formes étant parfois souligné par des cernes. C’est le temps des premières participations à des expositions collectives, celles par exemple du centre culturel de la Cité internationale universitaire (1956), du salon de la Société nationale des beaux-arts (1959), à l’occasion duquel lui est attribué un prix de 5 000 francs, ou du salon Terres latines (1960), que préside alors François Baboulet (1914-2010). C’est aussi le temps des premières citations dans la presse. Ainsi, en 1961, à l’occasion du 12e Salon de la jeune peinture, organisé au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Raymond Charmet signale dans la revue Arts, à propos de Nu allongé (fig. 7), les « tentatives curieuses » de l’artiste. Au début des années 1960, époque à laquelle Haïm Kern s’installe rue des Gobelins, sa peinture se transforme. Une véritable recherche sur les rendus des volumes par le seul traitement des couleurs est engagée. D’après l’artiste, la technique qu’il met alors en œuvre lui permet de retrouver plus de liberté et une certaine capacité d’improvisation, n’étant plus contraint, dans l’exécution de la toile, par le dessin et la tempera qu’il avait cherché à maîtriser, qui ne permettaient guère le repentir. En tout cas, l’expression se libère, parfois avec violence, tel Le Cri (fig. 64), parfois avec douceur, comme Jeune femme blonde aux cheveux courts (fig. 9). En 1964, Haïm Kern fait partie des artistes sélectionnés pour le grand prix de peinture Othon Friesz, dont l’exposition a lieu à l’École nationale supérieure des beaux-arts du 17 au 24 avril. LA DONATION HAÏM KERN 23


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9 Jeune femme blonde aux cheveux courts Sans date Ci-contre

10 Une Ha ! Attaque de cœur 1970

Peintures et gravures L’année 1970 est caractérisée par la réalisation de nombreux collages, dont plusieurs exemplaires, comme Une Ha ! Attaque de cœur (fig. 10), sont conservés dans la collection départementale. Ces productions, qui témoignent des nouvelles recherches dans lesquelles s’est engagé Haïm Kern, sont associées à une grande production d’estampes. L’une d’entre elles, Lithography drives me mad (fig. 11), qui représente l’artiste déchirant l’une de ses lithographies antérieures, Nu sur fond orange (fig. 3), illustre cette volonté de changement. En septembre 1971, son séjour comme boursier au Centre genevois de gravure contemporaine lui permet d’avoir une importante activité de gravure sur zinc tout en entretenant de nombreux échanges avec son directeur, Daniel Divorne, mais aussi avec d’autres artistes tels que Riccardo Pagni, très marqué dans son œuvre par le contexte de guerre de son enfance, et Alain Petitpierre, qui a fondé en 1968 la Galerie 2016. L’une des eaux-fortes gravées à Genève, Malagnou 17. Ne répond plus (fig. 12), en faisant allusion dans son titre à l’adresse du Centre de gravure contemporaine, perpétue le souvenir de cette période. Les œuvres de Haïm Kern connaissent rapidement une grande diffusion. À partir de 1972, quatre d’entre elles, Une Ha ! Attaque de cœur (fig. 10), So did I (fig. 15), Bonne nuit, Madame Ingres (fig. 65) et Lithography drives me mad (fig. 11), sont reproduites à plusieurs centaines d’exemplaires et diffusées par la Circle Gallery de Chicago, aux États-Unis, que dirige alors Jack Solomon Jr. L’appui de la galerie Visat, à Paris, et les liens établis à Genève favorisent la participation de l’artiste à de nombreuses manifestations. Expositions collectives et personnelles se succèdent. À Paris, ce sont donc Georges et Suzanne Visat qui assurent la promotion de l’œuvre de Haïm Kern. Celui-ci est associé à l’exposition collective 54. Imprimés. Recommandé organisée par la galerie Suzanne Visat du 20 décembre 1972 au 31 janvier 1973. De même, il participe au 27e Salon des réalités nouvelles organisé au Parc floral du 5 avril au 13 mai 1973 ; l’artiste y est référencé sous le numéro 121 pour Adam et Ève unisex (fig. 88). Une plaquette commerciale, avec un texte de présentation de Jacques Lassaigne, est éditée à cette époque pour LA DONATION HAÏM KERN 25


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11 Lithography drives me mad 1973 Ci-dessus

12 Malagnou 17. Ne répond plus 1971-1972 13 La Rencontre 1971-1972

14 Haïm Kern, ca 1972. 15 Visat, 2001.

accompagner différentes manifestations 14. Les œuvres reproduites sont Une Ha ! Attaque de cœur, Lithography drives me mad, So did I, Au diable l’amour (fig. 16), Bonne nuit Madame Ingres (fig. 65), Au large du désir (625 CDR) et Hommage à Nobel Gustave (dont il n’y a pas d’exemplaire dans la donation). Parallèlement, Georges Visat assure le dépôt d’estampes à la Bibliothèque nationale, parmi lesquelles on peut citer La Rencontre (fig. 13). Dans le catalogue de l’exposition L’Estampe contemporaine à la Bibliothèque nationale, organisée du 25 octobre au 9 décembre 1973, Haïm Kern est mentionné dans l’inventaire de la collection comme « peintre et graveur français », avec treize tirages de Visat et un tirage de la Circle Gallery. Du 13 mai au 7 juin 1975, une exposition personnelle intitulée Au-delà de cette ligne – Haïm Kern est organisée par la galerie des Éditions Georges Visat et vingt-quatre gravures tirées à soixante exemplaires – hormis J’ai bu la mer (618 CDR), tiré à soixante-quinze exemplaires, et Les Trois Témoins (fig. 17) et Feeding (fig. 18), tirés à cent exemplaires – sont inscrites au catalogue des ventes. En 1976, six eaux-fortes et lithographies de Haïm Kern sont inscrites dans le catalogue des ventes : Madame Heelbeen aime la nature (663 CDR), Massacre de la Saint-Valentin (704 CDR), J’ai bu la mer, Malagnou 17. Ne répond plus, Les Trois Témoins et Feeding ; les trois premières œuvres y sont reproduites. Ces années sont celles d’une grande proximité avec Georges Visat 15. C’est ainsi que Haïm Kern l’accompagne en Angleterre chez Henry Moore (1898-1986) dans le cadre de la préparation de l’ouvrage Bonjour Max Ernst. Kern figurera d’ailleurs dans ce livre publié en 1976 avec L’Haleine du peintre (fig. 75) parmi les vingt-quatre artistes réunis par Visat : Alechinsky, Arman, Baj, Bellmer, Ben, César, Copley, François, Lam, Lichtenstein, Masson, Matta, Messagier, Miró, Moore, Nilsson, Oppenheim, Penrose, Ray, Saint Phalle, Tanning, Titus-Carmel et Wunderlich. LA DONATION HAÏM KERN 27


En Suisse, la Galerie 2016, très active, organise une exposition consacrée à Haïm Kern en 1972 à Peseux puis à Lausanne avec la galerie-club Migros, du 9 au 30 juin. Il participe également à l’exposition collective Aspects de l’imagerie critique organisée par la même Galerie 2016 à Hauterive à partir du 21 septembre 1974 ; Feeding est reproduit dans la plaquette éditée pour cette manifestation. En 1975, nouvelle exposition personnelle intitulée Haïm Kern. Peintures, collages et dessins, qui est présentée à Hauterive du 5 septembre au 5 octobre, puis à Bâle, à la galerie Geiger, du 7 octobre au 1er novembre et enfin à Lucerne, à la galerie Müller, du 13 novembre au 6 décembre. Les plaquettes réalisées pour ces trois expositions contiennent deux textes, l’un de Sylvio Acatos, qui donne son impression de l’œuvre « entre le drame et le charme », l’autre de Remo Forlani, disant de Haïm Kern, son voisin de la rue des Gobelins, qu’il est « le plus romantique des Allemands du XIIIe arrondissement de Paris » ; sont reproduites également cinq œuvres non légendées, parmi lesquelles on identifie Vivre au pied d’une petite montagne (fig. 23). À Berne, la galerie Schindler, dont les éditions L’Œuvre gravée achètent le tirage de l’eau-forte Au diable l’amour, inclut Haïm Kern dans sa présentation d’artistes à la Foire de Bâle du 20 au 25 juin 1973 puis à la FIAC de Paris du 30 janvier au 5 février 1975. Du 8 mars au 5 avril 1975, elle organise à Berne une exposition personnelle, Haïm Kern. Bilder und Grafik ; Adam et Ève unisex est reproduit sur le carton d’invitation. En Allemagne, c’est la galerie De Bernardi, à Aix-la-Chapelle, qui organise du 12 au 31 mai 1974 une exposition personnelle intitulée Haïm Kern. Ölbilder-Collagen-Druckgraphik ; le carton d’invitation reproduit la partie supérieure des Trois Témoins, tandis que l’affiche, tirée chez Fernand Mourlot, célèbre éditeur et imprimeur parisien, présente Feeding. Puis c’est au tour de la galerie Rost de Coblence de faire une importante exposition du 2 avril 28 LA DONATION HAÏM KERN

14 Attrape-mirage 1971-1973 Ci-dessus, à gauche : plaque en zinc du tirage


15 So did I 1972

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16 Au diable l’amour 1972 Ci-contre

17 Les Trois Témoins ca 1974

16 « Er ist mehr Zeichner als Maler » : Basler Woche, 1975. 17 « Hier bereits sehen wir eines der wichtigsten Stilmerkmale von Haïm Kern, der von der Kinderzeichnung ausgeht. Sie tragen alle die gleichen Merkmale ; Vergrösserungen, Vereinfachungen, die kleinen sehr wohl sichtbaren Schwindeleien, die Symbole und die Substanz der Kunstwerkes so bereichern » : Diesen Monat in Bad Aachen, 1974. 18 « Das Verwenden von Zahlen und Buchstaben trägt viel und wesentliches zur Überzeugungskraft der Werke Kerns bei » : Basler Volksblatt, 1975.

au 5 mai 1976, où sont présentés quatorze peintures, trente-neuf dessins et collages, huit lithographies et vingt et une eaux-fortes. Grâce aux contacts établis avec Reinhard Tietze lors des expositions De Bernardi, Haïm Kern est très présent en Allemagne. À Hanovre, c’est la galerie Christoph Kühl qui présente, du 1er au 9 mai 1976, des œuvres de l’artiste à son stand de la Kunst und Antiquitätenmesse ; Le Joueur de papillon en nocturne (fig. 22) est reproduit en pleine page dans le catalogue de cette manifestation. En juin 1976, la même galerie organise une exposition consacrée à l’artiste à l’occasion des semaines françaises à Hannover-Kirchrode. Du 22 avril au 12 mai 1977, c’est au tour de la galerie Elitzer de Sarrebruck. Wolfgang Rost commande à Haïm Kern quatre gravures (fig. 84, 85, 86 et 87) pour illustrer l’ouvrage qu’il publie en 1978, Damiens, oder Vier Stunden zuviel. Enfin, une nouvelle présentation d’œuvres, Winteraccrochage, est organisée à la galerie Rost du 10 décembre 1978 au 10 février 1979. L’on ne saurait évoquer cette période sans mentionner l’exposition Haïm Kern. Gravures et lithographies organisée par Robert Thomas à l’Institut d’études françaises d’Ankara (Turquie) du 17 au 31 mai 1973 ; Au diable l’amour illustre le carton d’invitation. Il faut également mentionner l’exposition Haïm Kern, gravures organisée à l’Institut français de Tel-Aviv (Israël) en 1977, dont Au large du désir (625 CDR) illustre le carton d’invitation. Les vingt-cinq œuvres présentées sont alors particulièrement représentatives de la production d’eaux-fortes et de lithographies par l’artiste depuis 1971. Lors de ces expositions qui sont consacrées à Haïm Kern en Suisse et en Allemagne, de nombreux textes de présentation sont publiés. Parmi ces textes, pour la plupart écrits en allemand, il faut noter que les observateurs voient plus l’artiste comme un dessinateur qu’un peintre 16, notant certaines analogies avec les dessins d’enfants, comme l’agrandissement et la simplification des motifs, ainsi qu’une grande liberté dans l’usage des techniques employées 17. C’est effectivement le cas de plusieurs peintures présentées, telles que Peinture non identifiée (fig. 20) ou Le Joueur de papillon en nocturne (fig. 22). L’agrandissement des motifs sera même poussé à l’extrême par l’artiste en fin de carrière avec des installations telles que Marraine de guerre (327 CDR). Il est également observé que la force de conviction des œuvres de Haïm Kern doit beaucoup à l’emploi des chiffres et des lettres 18, comme LA DONATION HAÏM KERN 31


18 Feeding 1974

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19 Toute ressemblance avec l’imaginaire ne serait que l’effet du hasard 1974

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20 Peinture non identifiĂŠe 1975

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21 Au-delĂ de cette ligne tout devient possible ca 1975

22 Le Joueur de papillon en nocturne ca 1975

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dans Au-delà de cette ligne tout devient possible (fig. 21) ; il est même parfois précisé qu’une solide connaissance de la langue française est requise pour saisir les jeux de mots, dans les œuvres comme dans les titres. La tragédie de l’homme et de son milieu est ressentie dans l’œuvre 19 ; on peut considérer que Lithography drives me mad, So did I et Au diable l’amour illustrent ces sentiments. Enfin, à l’occasion de l’exposition de Sarrebruck, Wolfgang Koch avoue son malaise face à la violence faite au corps 20. C’est effectivement le cas, par exemple, dans Malagnou 17. Ne répond plus, Les Trois Témoins, Feeding et Adam et Ève unisex, qui annoncent les thèmes qui seront par la suite largement exprimés par Haïm Kern dans ses sculptures. Pour Koch, le paroxysme de l’horreur est atteint avec Étude de comportement (fig. 89), daté de 1976, où un enfant est enchaîné à une colonne en brique. Ce thème sera repris dans Le Petit Théâtre (fig. 86), puis dans plusieurs bronzes, dont Figure imposée (fig. 92), qui date de 1982 : la structure en brique, déjà présente dans Toute ressemblance avec l’imaginaire ne serait que l’effet du hasard (fig. 19), mais ici beaucoup plus haute, évoque pour de nombreux spectateurs – bien que l’artiste s’en défende – les cheminées carrées des crématoriums d’Auschwitz. C’est en effet à la fin de cette période qu’apparaissent dans la collection départementale les premiers barbelés de l’univers concentrationnaire, avec La Corde à sotter (fig. 24). Dans cet univers noir, exprimé par exemple dans La Rencontre (fig. 13), se manifestent quelquefois la tentation de l’illusion, comme dans Attrape-mirage (fig. 14), mais aussi, parfois, le désir de simplicité, avec Vivre au pied d’une petite montagne (fig. 23). 36 LA DONATION HAÏM KERN

23 Vivre au pied d’une petite montagne ca 1975

19 « Wenn man sich in Haïm Kerns Bildwelt vertieft kommt die Tragödie des Menschen und seiner Umvelt zum Vorschein : die Einsamkeit, die Kontaktarmut, die Verletzlichkeit und seine Umweltprobleme » : galerie Kühl, 1976. 20 « Un étrange malaise vous envahit du fait de la présence, maintes fois répétée, d’un crâne d’enfant, généralement dénudé, parfois pourvu de cheveux coupés en brosse, et devant le regard vide d’expression des yeux entourés d’un cercle qui expriment une angoisse profonde. La chose devient franchement macabre quand le bébé joufflu, ficelé comme un paquet, est enchaîné à un poteau » : Journal de Saarbrück, 1977.


24 La Corde Ă sotter 1978

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25 Le Masque inutile ca 1977 Ci-contre

26 Les Larmes 1978-1980

21 Cf cat. exp. « 10e Anniversaire... », 1978, p. 64 et Claude Glayman, 1984.

Sculptures Haïm Kern, après tant de recherches en peinture et en gravure, s’engage, à partir de 1976, dans une nouvelle voie, celle de la sculpture 21. Il produit rapidement une remarquable série de têtes, dont le plus ancien témoignage conservé dans la donation s’intitule Les Larmes (fig. 26). Cette représentation peut être associée à deux dessins : Le Masque inutile (fig. 25) et Il faut savoir retenir ses larmes (523 CDR). Une version en terre blanche, en partie mutilée par le feu lors d’un incendie à la Fonderie d’art de La Plaine, est également conservée dans la collection départementale (322 CDR). En 1978, la rétrospective réalisée à Neuchâtel (Suisse) par la Galerie 2016 concernant trente-six artistes apparaît comme un jalon dans cette nouvelle orientation. Dans son article « Trois fragments pour Haïm Kern » publié dans le catalogue de cette exposition, François Dupuigrenet Desroussilles note la continuité entre les nouveaux personnages en bronze et les œuvres réalisées antérieurement. La photographie de Haïm Kern et celle du Personnage aux écoutes (158 CDR), qui accompagnent le texte, présentent le même angle de vue, de profil à droite, comme deux portraits associés. En 1979, deux expositions personnelles sont organisées en Allemagne. La première, Ein unvollendetes Spiel : die neuesten Arbeiten von Haïm Kern, a lieu à la galerie Karl Vonderbank, à Francfort, au début de l’année. La seconde, Haïm Kern, est réalisée par la galerie Rost, à Coblence, du 6 avril au 2 mai. Quarante gouaches, gravures et lithographies ainsi que cinq bronzes y sont présentés. Une plaquette commerciale éditée en allemand, sans indication de date ni de lieu, est probablement liée à ces deux expositions. Elle contient un autre texte de François Dupuigrenet Desroussilles, daté de Paris, 27 novembre-9 décembre 1978, « Ein unvollendetes Spiel : die neuesten Arbeiten von Haïm Kern ». Il y observe l’envahissement par les mots de la peinture récente de Haïm Kern, dans laquelle la figure humaine n’apparaît presque plus et où règnent les prairies, les nuages, les cheminées d’usines et les murs en brique. L’auteur évoque, entre autres, Nuage cachant mal ses mauvaises intentions (466 CDR), Nuage en forme de pluie avec rafales de vent à l’ouest (538 CDR), Dans une heure d’ici peutêtre (490 CDR). Il propose par ailleurs de voir dans les bronzes récents Les Larmes (fig. 26) et Le Personnage perfectible (fig. 70) un prolongement des thèmes abordés dans les eaux-fortes publiées en 1978 par Wolfgang Rost dans Damiens (voir p. 99). LA DONATION HAÏM KERN 39


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27 La Grande Figure 1979-1981 Ci-dessus

28 Esquisse Sans date 29 Figure libre ca 1981-1984

22 Œuvres de Haïm Kern, LIVE Productions, 1982.

Parmi cette série de personnages, La Grande Figure (fig. 27), œuvre conservée dans la collection départementale, est représentative des variations à partir des différents thèmes anatomiques de prédilection de l’artiste. Le corps est ici suggéré par un simple cylindre. Les deux boutons en forme de petites boules sur le vêtement, au niveau du thorax, confirment cette identification. On pense à « la marche des évêques-troncs » dans Monsieur Brouivard, en 1973 (voir p. 147), et à l’Esquisse (fig. 28), personnage au fusain sur papier calque dont l’habit présente une succession de cinq petits boutons identiques. Le crâne est parsemé de trous prévus pour fixer du crin afin de créer une chevelure. Le regard, quant à lui, appartient à la série des yeux globuleux que l’on retrouve dans d’autres sculptures de cette époque, telles que Toc antique (2010.30.203) et L’Indien intérieur (66 CDR). Avec Le Jardin (fig. 32), le corps cylindrique devient un support pour un enroulement végétal. Les oreilles sont absentes, leur emplacement étant marqué par une simple forme en creux. Le crâne chauve est piqueté de trois trous à l’emplacement de la tempe droite, d’où sortent des ramifications végétales annonçant les représentations futures d’où sortiront des barbelés, comme dans Hommage à Monte-Cristo (fig. 30). Cette série de personnages connaîtra un nouvel avatar avec La Sereine des Gobelins (2010.30.233), datée de 1997 : le corps, cette fois, a une base carrée, mais l’on retrouve les petits boutons de La Grande Figure et les oreilles rappellent celle du Personnage perfectible. Du 8 au 30 décembre 1981, à l’occasion de la Triennale européenne de sculpture au Grand Palais, à Paris, la fonderie Taube présente des œuvres de Haïm Kern en même temps que de Jacqueline Diffring, Blasco Mentor, Alain Rucheton et Claude Torricini. En mars 1982, une vidéo intitulée Œuvre de Haïm Kern  22 met en scène dix bronzes, florilège représentatif des premières réalisations de l’artiste : Les Larmes, Figure libre (fig. 29), Hommage à Monte-Cristo, L’Oreille orientale (fig. 31), Le Jardin, Lunettes d’accroche (fig. 53), Qu’est-ce que t’as Martha (fig. 74), Colonne brisée (fig. 98), L’Indien intérieur (66 CDR) et Le Sommeil (165 CDR). En avril, Haïm Kern présente ses sculptures récentes chez Georges et LA DONATION HAÏM KERN 41


30 Hommage à Monte-Cristo 1981 Page de droite

31 L’Oreille orientale 1981-1999

Suzanne Visat ; c’est Figure libre, photographiée par Gilles Valentiny, qui est reproduite sur le carton d’invitation. Avec cette « dé-nomination » donnée à cette tête suspendue à un portique par des chaînes, on retrouve l’antinomie si souvent pratiquée par l’artiste lors de l’attribution de ses titres – par exemple avec Le Prisonnier (15 CDR), où le seul élément mobile du bronze est le boulet du détenu 23. Enfin, du 16 novembre au 18 décembre, il participe à l’exposition Le Bronze, ses applications artistiques organisée par la Société d’encouragement aux métiers d’art chez Bernheim-Jeune, à Paris, où il présente, toujours avec la fonderie Taube, trois œuvres qui deviendront des classiques : Qu’est-ce que t’as Martha (fig. 74), Hommage à Monte-Cristo (fig. 30), reproduite page 26 du catalogue, et L’Oreille orientale (fig. 31). Avec Hommage à Monte-Cristo, c’est le thème de l’enfermement qui est exprimé, comme dans d’autres œuvres de la même époque, telles que L’Évasion (14 CDR) et Le Prisonnier. On y retrouve à la fois le principe de l’œuvre dans l’œuvre – ici un prisonnier dissimulé dans une cage derrière le menton (voir p. 125), qui s’emboîte dans une maçonnerie en brique servant de socle – et la représentation du crâne chauve percé de trous – ici associé au thème du barbelé, dont tout un réseau sort du crâne. Le thème du petit personnage à l’intérieur d’une représentation humaine plus monumentale est présent dans de nombreux dessins, comme Überlebenswürfel K, reproduit en 1979 dans la plaquette liée aux expositions de Francfort et de Coblence, ou encore Esquisse (534 CDR), conservé dans la donation, où est placé un petit personnage dans un passage à l’intérieur d’un autre six fois plus grand. Hommage à Monte42 LA DONATION HAÏM KERN

23 Meur, 1998.


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Ci-dessus, à gauche

32 Le Jardin 1981-1983 Ci-dessus, à droite

33 Damiens Sans date Page de droite

Cristo a souvent été reproduit, par exemple lors de l’exposition Haïm Kern. Bronsskulpturer organisée du 19 mars au 10 avril 1983 à la galerie Pictor, à Göteborg, en Suède. Avec L’Oreille orientale, c’est plus particulièrement le thème du secret qui est évoqué. L’oreille gauche du personnage, la seule qui soit représentée, est formée par un petit battant qui s’ouvre et qui donne accès à une cavité où, sous un croissant de lune, se dresse un minaret. Sous le minaret amovible se trouve une cache, un secret. Lors d’une interview radiophonique donnée en 1984 à Claude Glayman 24, Haïm Kern a proposé d’interpréter l’opposition entre le visage fermé du personnage et son « secret », à l’intérieur de l’oreille, comme une évocation selon laquelle, derrière des apparences pessimistes, l’homme peut cacher une forme d’espoir. En 1983, l’œuvre est acquise par le Fonds national d’art contemporain 25 et installée sur le bureau de la chambre du président Mitterrand à l’Élysée ; elle y est visible dans de nombreux reportages sur le palais présidentiel, comme ceux publiés dans The Sunday Times Magazine en juin 1985 ou dans Paris Match en avril 1988. Haïm Kern, soutenu au ministère de la Culture par Marie-Pierre Landry-Mitterrand, chargée de mission, qui le présente à son oncle François Mitterrand, devient l’un des artistes dont les sculptures sont offertes par la France dans le cadre de ses relations diplomatiques. Il convient d’ajouter, parmi les œuvres produites à cette époque, celles où est figuré le corps d’un enfant emmailloté et ficelé, déjà présent dans Étude de comportement et dans la gravure Le Petit Théâtre publiée dans Damiens (fig. 86). Le Damiens en bronze (fig. 33) appartient à cette série, à laquelle on peut également rattacher Piège à la mémoire (fig. 90), Le Plat Pays (fig. 91) et Figure imposée (fig. 92). 44 LA DONATION HAÏM KERN

34 Hommage à François Mauriac 1985-1988

24 Glayman, 1984. 25 Inv. FNAC 10256, en dépôt, présidence de la République, depuis 1984.


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37 Le Livre Sans date Page de gauche

35 La Teste 1985 Ci-dessus

36 L’Avantage du silence 1986

26 Inv. FNAC 91264 (voir également 91265). 27 Herpe et al., 1990.

Le président Mitterrand souhaitant renouer avec la tradition des statues monumentales pour représenter les grands hommes, une nouvelle politique de commandes publiques est engagée dès 1983 pour honorer les personnalités littéraires de notre temps. Le ministère de la Culture lance des appels à projets auprès de différents artistes – Ipoustéguy pour Rimbaud, Hucleux pour Aragon, Roseline Granet pour Sartre, William Chattaway pour Bernanos, Patrice Alexandre pour Saint-John Perse. François Mitterrand, étant donné l’intérêt qu’il porte à François Mauriac (1885-1970), est particulièrement attentif au projet qui doit être réalisé pour l’anniversaire des vingt ans de sa mort. En 1985, c’est la proposition de Haïm Kern qui est retenue pour cette commande publique, l’artiste bénéficiant pour cette réalisation d’un atelier à Nogent-sur-Marne. Une maquette est conservée dans les collections du FNAC 26 et des esquisses sur papier (496 CDR) ainsi qu’un tirage en bronze du visage (voir p. 127) se trouvent dans la collection départementale. L’œuvre représente l’écrivain debout devant deux stèles évoquant un livre ouvert où sont inscrits, de bas en haut, comme sortis de terre, les titres de ses principaux ouvrages ; une croix évidée entre les deux stèles où passent des sarments de vigne évoque les origines du personnage. La statue est installée en 1990 place Alphonse-Deville, dans le sixième arrondissement de Paris, près de l’hôtel Lutetia, où elle est toujours visible (fig. 34). Des documents préparatoires sont présentés au moment de l’inauguration dans le cadre de l’exposition Mauriac et les grands esprits de son temps organisée, du 11 septembre au 6 octobre, à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, qui édite un catalogue 27. L’autre commande de l’année 1985 est celle d’une grande tête en bronze, La Teste (fig. 35), par les magasins Fnac à l’occasion d’une exposition à la Grande Halle de la Villette sur l’industrie et les technologies françaises du 27 octobre au 20 janvier 1986 : cette tête trône sur LA DONATION HAÏM KERN 47


38 Claire-Obscure 1987-1989

48


39 Liberté-Égalité-Fraternité 1989

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