Hervé
T L MAQUE
Hervé
T L MAQUE
Comptant parmi les artistes français les plus marquants de sa génération, Hervé Télémaque (né en Haïti en 1937) commence sa carrière de peintre à New York, avant de s’installer définitivement à Paris, où il contribue à l’émergence au début des années 1960 du mouvement de la figuration narrative. D’abord situé au point de rencontre du surréalisme et du pop art, son œuvre puise autant dans son histoire personnelle que dans une profonde réflexion autour de l’objet, qui permet à Télémaque d’explorer sur un mode ludique les relations entre image et langage. Longtemps adepte de la « ligne claire » et combinant souvent peinture et objets réels, Télémaque porte tout au long de son évolution un regard à la fois poétique et politique sur le monde, sans jamais renier ses racines haïtiennes. Avec un ensemble de peintures témoignant de la diversité de son œuvre, de son acuité critique et de sa réjouissante ironie, la rétrospective organisée par le Centre Pompidou à la Fondation Clément en Martinique constitue la première exposition de cette importance dans la région et signe le grand retour de Télémaque dans la Caraïbe.
978-2-7572-1051-2
25€
Couverture : Le Silence veille à Saint-Marc (Haïti), 1975 Acrylique sur toile, diam. 150 cm Collection particulière
Quatrième de couverture : Hervé Télémaque en 1989 (photographe Philippe Bonan)
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ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’œil mort de la terre ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale elle plonge dans la chair rouge du sol elle plonge dans la chair ardente du ciel elle troue l’accablement opaque de sa droite patience. Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, 1939
Ouvrage publié à l’occasion de l’exposition « Hervé Télémaque » présentée par le Centre Pompidou à la Fondation Clément, Le François (Martinique) du 23 janvier au 17 avril 2016.
Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial Nicolas Neumann Responsable éditoriale Stéphanie Méséguer Coordination et suivi éditorial Sarah Houssin-Dreyfuss Conception graphique François Dinguirard Contribution éditoriale Nicole Mison Fabrication Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros Iconographe Caroline Gibert Coéditions et développement Véronique Balmelle
© Somogy éditions d’art, Paris, 2016 © Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2016 © ADAGP, Paris, 2016, pour les œuvres d’Hervé Télémaque © ADAGP, Paris, 2016, pour les clichés de : Jean-Louis Losi (p. 89), Marcel Lannoy (p. 173), Philippe Migeat (p. 130, 160) © Présence Africaine Éditions, 1956, pour la citation d’Aimé Césaire extraite de Cahier d’un retour au pays natal, p. 3 © Philippe Bonan, Paris, 2015 : portrait de 4e de couverture Légendes Page 14 : Habitation Clément Pages 16-17 : Villejuif, atelier de l’artiste, 28 novembre 2014 ; à gauche, Le Moine comblé (Amorces, avec Arshile Gorky) Pages 213 et 214-215 : Villejuif, atelier de l’artiste, 28 novembre 2014 ISBN 978-2-7572-1051-2 Dépôt légal : janvier 2016 Imprimé en République tchèque (Union européenne)
HERVÉ TÉLÉMAQUE Sous la direction de Christian Briend
Centre national d’art et de culture Georges Pompidou Le Centre national d’art et de culture Georges Pompidou est un établissement public national placé sous tutelle du ministère chargé de la Culture (loi no 75-1 du 3 janvier 1975). Serge Lasvignes Président Denis Berthomier Directeur général Bernard Blistène Directeur du musée national d’Art moderne – Centre de création industrielle Kathryn Weir Directrice du département du développement culturel
Jack Lang Président de l’Association pour le développement du Centre Pompidou Didier Grumbach Président de la Société des Amis du musée national d’Art moderne
Exposition Commissariat Christian Briend Conservateur au musée national d’Art moderne assisté de Bénédicte Ajac Attachée de conservation
Direction de la production Directeur Stéphane Guerreiro Directrice adjointe, chef du service administratif et financier Anne Poperen
Fondation Clément Président Bernard Hayot Chefs de projet Colette Sorel Florent Plasse
Chef du service des manifestations Yvon Figueras
Administration du site Célia Sainville Frantz Cadet-Petit
Architecte-scénographe Corinne Marchand
Chef du service de la régie des œuvres Hélène Vassal
Accueil des publics Régine Bonnaire Cathy Théotiste-Sejean
Régisseur des œuvres Juliette Ballif
Chef du service audiovisuel Sylvain Wolff
Communication Laurence Sauphanor Claudine Colin / Claudine Colin Communication Léa Levkovetz / Claudine Colin Communication Marie-Christine Duval / Comecla
Chargée de production Dominique Rault-Kalabane
Musée national d’Art moderne – Centre de création industrielle Directeur Bernard Blistène Directeurs adjoints Brigitte Leal Collections Catherine David Recherche et mondialisation Frédéric Migayrou Création industrielle Didier Ottinger Programmation culturelle
Chef du service des ateliers et moyens techniques Gilles Carle Chef du service architecture et réalisations muséographiques Katia Lafitte
Transport des œuvres Sylvie Michel / Crown Fine Art Sabine Estrabaud / Afretair Sonia Duchamp / Set Cargo Accrochage des œuvres Crown Fine Art Restauration des œuvres Florence Half-Wrobel Menuiserie Alain Piraud / CCA
Administrateur Xavier Bredin
Peinture
Service des collections Ariane Coulondre
Éclairage Dominique Guesdon / La Servante
Service de la restauration des œuvres Véronique Sorano-Stedman
Serge Pain
Conception graphique de l’exposition Bastien Morin Graphisme Yvana Vaïtilingon / Hexode Hugo Blanzat / H5 Signalétique Marc et Rémy Rosaz / Dazibao Dossier pédagogique Valérie John Monique Mirabel
Catalogue Conception et direction Christian Briend assisté de Bénédicte Ajac Photographes Philippe Migeat (Centre Pompidou) Philip Bernard Vincent Leray
Éditions du Centre Pompidou Directeur Nicolas Roche Chef du service éditorial Claire de Cointet Responsable du pôle éditorial Françoise Marquet Responsable contrats et recettes Matthias Battestini
Remerciements Le Centre Pompidou et la Fondation Clément tiennent à remercier très vivement les responsables des collections publiques qui ont bien voulu leur accorder le prêt d’œuvres importantes d’Hervé Télémaque pour la durée de l’exposition : Bordeaux, FRAC Aquitaine Claire Jacquet Alexandra Neveux
Carquefou, FRAC des Pays de la Loire Henri Griffon Laurence Gateau
Dole, musée des Beaux-Arts Amélie Lavin Samuel Monier
Dunkerque, FRAC Nord – Pas-de-Calais Richard Leydier Anne Blondel
Fort-de-France, collection régionale d’Art contemporain / Région Martinique Manuel Césaire
Ville de Lille Martine Aubry Angélique Dekoker, François Delagoutte, Virginie Thiery, Laurie Szulc
Marseille, FRAC Provence-AlpesCôte d’Azur Pascal Neveux France Paringaux, Pascal Prompt
Marseille, musée d’Art contemporain Christine Poullain Thierry Ollat, Jasmine Grisanti, Claude Miglietti
Nice, musée d’Art moderne et d’Art contemporain Jean-François Pin, Olivier Bergesi, Julia Lamboley
Orléans, musée des Beaux-Arts Olivia Voisin Bénédicte de Donker, Véronique Galliot-Rateau, Angélique Quinquenel
Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris Fabrice Hergott Clémence Gabant, Dominique Gagneux, Sophie Krebs
Puteaux, Centre national des arts plastiques/Fonds national d’Art contemporain Yves Robert Aude Bodet, Marie-Liard-Dexet, Sébastien Faucon, Ruth Peer
Saint-Étienne, musée d’Art moderne et contemporain, Saint-Étienne Métropole Lóránd Hegyi Marc Bœuf, Évelyne Granger
Villeurbanne, Institut d’art contemporain Rhône-Alpes Nathalie Ergino Jeanne Rivoire
Vitry-sur-Seine, MAC/VAL, musée d’Art contemporain du Val-de-Marne Alexia Fabre Ingrid Jurzak
ainsi que Collection contemporaine BNP Paribas Carole Mirault Audrey Binault, Stéphane Belver
Fondation Gandur pour l’art, Genève Jean Claude Gandur Carolina Campeas Talabardon, Eveline Notter, Sylvain Rochat, Yan Schubert
Galerie Louis Carré & Cie, Paris Patrick Bongers Catherine Lhost Gilles Bounoure et Frédérique Longuépée Martine et Michel Brossard Michel et Dominique Buono Annabel-Lee Faroux
et tous les collectionneurs privés qui, sous couvert de l’anonymat, ont bien voulu répondre favorablement à nos demandes de prêt, ainsi que Sylvie Poujade. Le commissaire de l’exposition tient à remercier particulièrement M. Bernard Hayot, président de la Fondation Clément, qui lui a donné l’occasion de concevoir cette nouvelle rétrospective, et à saluer la disponibilité et le professionnalisme de son équipe. Enfin, qu’Hervé Télémaque trouve ici l’expression de notre très profonde gratitude pour son engagement de tous les instants dans la préparation de cette exposition.
SOMMAIRE 12 - AVANT-PROPOS SERGE LASVIGNES / BERNARD BLISTÈNE 15 - PRÉFACE BERNARD HAYOT 18 - LE FRANÇOIS 2016 CHRISTIAN BRIEND 24 - QUATRE ENTRÉES POUR HERVÉ TÉLÉMAQUE JEAN-PAUL AMELINE 44 - HERVÉ TÉLÉMAQUE : L’ÉTERNEL RETOUR RENAUD FAROUX 61 63 71 83 99 113 135 145
- ŒUVRES EXPOSÉES CHRISTIAN BRIEND - New York (1959-1960) - Paris (1962-1964) - Peintures pop et combines (1964-1968) - Passages et variations (1970-1973) - Retour d’Haïti (1975-1989) - Assemblages et fusain (1993-1996) - Trottoirs d’Afrique et Canopée (2000-2015)
166 - PEINDRE UNE VIE : BIOGRAPHIE BÉNÉDICTE AJAC ANNEXES 198 - Œuvres exposées 202 - Expositions 206 - Bibliographie sélective
AVANT-PROPOS
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Le Centre Pompidou est particulièrement heureux de présenter à la Fondation Clément une rétrospective qui va permettre au public de la Martinique de prendre la juste mesure de l’œuvre d’un peintre, dessinateur et sculpteur originaire de la Caraïbe et devenu une figure majeure de la scène artistique française. Cette exposition « Hervé Télémaque » constitue une version renouvelée de celle organisée par le Centre Pompidou entre février et mai 2015 qui a été saluée par la critique française et étrangère et visitée par plus de 270 000 visiteurs. Elle a été conçue par le même commissaire, Christian Briend, conservateur au cabinet d’Art graphique du musée national d’Art moderne. S’étendant sur plus de cinquante années, l’œuvre de Télémaque frappe par sa capacité de renouvellement et par l’acuité du regard à la fois poétique et politique porté sur le monde. Commencée sous les auspices de l’expressionnisme abstrait new-yorkais, puis frottée de surréalisme à Paris, l’œuvre de Télémaque, qui a régulièrement puisé son inspiration dans son identité haïtienne, n’a jamais cessé d’être profondément personnelle. Si sa contribution au mouvement de la figuration narrative apparaît essentielle, elle ne saurait à elle seule résumer un parcours d’une singulière richesse. Cette exposition, voulue par Bernard Hayot, président de la Fondation Clément, dont nous saluons la remarquable action artistique et culturelle en direction du public martiniquais, est la première de cette importance organisée dans la Caraïbe. Sous le commissariat de Christian Briend, l’exposition fait la part belle aux collections publiques françaises qui ont accueilli très tôt les œuvres de Télémaque, mais aussi à plusieurs importantes collections particulières, que nous tenons ici à remercier pour leur engagement dans ce projet.
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Grâce à la complicité et la générosité d’Hervé Télémaque qui, lors de la préparation de cette exposition, avait bien voulu gratifier les collections nationales de quatre œuvres importantes, le Centre Pompidou a ainsi l’occasion de réaffirmer sa mission de diffusion de l’art moderne et contemporain, tout en collaborant pour la première fois avec une institution d’outre-mer. Ce n’est pas là pour nous le moindre attrait de cet évènement concernant un des grands artistes de notre pays.
Serge Lasvignes Président du Centre Pompidou Bernard Blistène Directeur du musée national d’Art moderne
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PRÉFACE
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Je me réjouis d’accueillir, à la Fondation Clément, l’exposition « Hervé Télémaque » conçue et réalisée par le Centre Pompidou. Fondation d’entreprise de GBH, la Fondation Clément occupe une place singulière dans le paysage culturel martiniquais. Installée au sein d’une maison de rhum centenaire classée Monument historique, elle est active depuis vingt-cinq ans sur le plan patrimonial à travers la sauvegarde et la mise en valeur de l’architecture créole traditionnelle. Elle est aussi un support important pour la création plastique et visuelle contemporaine. Grâce à son programme d’expositions, la Fondation Clément a en effet permis à plus de cent soixante artistes de la Caraïbe de faire rayonner leur diversité, leur dynamisme et leur créativité et nous sommes fiers d’accueillir chaque année plus de cent mille visiteurs sur le site de l’Habitation Clément. Cette exposition « Hervé Télémaque », préparée par Christian Briend assisté de Bénédicte Ajac, inaugure les nouveaux espaces d’exposition de la Fondation Clément conçus par l’agence Reichen et Robert & Associés. Présenté pour la première fois avec cette ampleur dans la Caraïbe, l’œuvre de cet artiste français d’origine haïtienne est un symbole fort qui répond aux objectifs du projet culturel de la Fondation Clément : contribuer à la diffusion de l’art issu des cultures caribéennes y compris de sa diaspora et rendre accessible de grandes expositions d’envergure internationale à la Martinique. Je remercie Serge Lasvignes, président du Centre Pompidou et Bernard Blistène, directeur du musée national d’Art moderne, ainsi qu’Hervé Télémaque d’avoir accepté ce projet qui témoigne de l’intérêt de grandes institutions et d’artistes majeurs pour le dynamisme culturel de la Caraïbe.
Bernard Hayot
Président de la Fondation Clément
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CHRISTIAN BRIEND
LE FRANÇOIS 2016
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L’exposition « Hervé Télémaque » que découvrent les visiteurs de la Fondation Clément prend la suite de la rétrospective que le Centre Pompidou et le musée Cantini de Marseille ont successivement présentée avec succès l’année dernière 1. L’exposition en Martinique s’avère toutefois très différente autant par la sélection des œuvres que par son « concept ». Selon le vœu exprimé par l’artiste, la double exposition présentée en métropole avait fait la part belle aux collections publiques françaises. Se souvenant de son premier statut d’immigré, le peintre d’origine haïtienne avait ainsi souhaité manifester sa reconnaissance envers son pays d’accueil, dont les responsables culturels l’avaient très tôt et régulièrement fait entrer dans les collections publiques. Pour autant, les collections nationales et territoriales n’avaient pu permettre à elles seules de réunir un ensemble pleinement représentatif de la production de Télémaque. Ainsi, sur les soixante-quatorze peintures, œuvres graphiques et sculptures qui composaient l’exposition à Paris et à Marseille 2, treize seulement provenaient de collections particulières. À la Fondation Clément, la proportion s’est inversée, puisque seules vingt-deux œuvres proviennent de collections publiques sur les cinquante-trois exposées. Des raisons pratiques (formats des peintures incompatibles avec les conditions du transport aérien, mais aussi impératifs de conservation pour les dessins et les collages) ont conduit non seulement à resserrer la sélection, mais aussi à remplacer les pièces devenues indisponibles par des œuvres nouvelles, au nombre de vingttrois. Le projet de départ s’en est ainsi trouvé profondément modifié 3. Ayant dû renoncer aux œuvres sur papier, mais aussi aux « sculptures maigres » des années 1968-1969, importantes pourtant dans le parcours de Télémaque (Fig. 3), l’exposition martiniquaise est devenue, à quelques exceptions près 4, une rétrospective centrée sur l’œuvre peint.
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1. Cumulée, la fréquentation des deux expositions s’est élevée à plus de 270 000 visiteurs. 2. Quatre œuvres présentées à Paris n’avaient pu faire le voyage de Marseille (nos 18, 47, 50 et 52 du catalogue). 3. C’est la raison pour laquelle a été entrepris un nouveau catalogue qui reprend sans modification l’article de Jean-Paul Ameline et l’entretien de l’artiste avec Renaud Faroux. La biographie de Bénédicte Ajac, la liste des expositions et la bibliographie ont été corrigées et réactualisées. 4. Deux collages, quatre assemblages et un unique fusain.
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JEAN-PAUL AMELINE
QUATRE ENTRÉES POUR HERVÉ TÉLÉMAQUE « Et puis nous avons tous la terreur de “l’explication” 1 »
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Autobiographie Brouilleur de cartes, Hervé Télémaque n’est pas forcément à un paradoxe près et s’en félicite même. N’a-t-il pas déclaré un jour : « Ma peinture est extraordinairement simple, contrairement à ce que l’on a pu dire. Elle est, quelque part, très limpide car le fil conducteur est l’autobiographie 2. » Mais, à d’autres moments, il avait aussi dit : « Dans le fond, ma peinture n’est pas vraiment autobiographique : elle s’enracine dans mon vécu, dans les anecdotes, de petites histoires qui me sont arrivées, mais mon problème en tant que peintre, c’est : comment passer de ce vécu à des images qui puissent circuler, et ce avec mes seuls moyens : le plan, les couleurs, les titres 3 », ce qui, si l’on y réfléchit bien, n’est pas tout à fait contradictoire. Plonger les critiques et les historiens de l’art dans la perplexité face à la nécessité d’expliquer la peinture de Télémaque doit donc être un des bonheurs du peintre car celui-ci n’a pas la réputation d’être un artiste facile à commenter. C’est pourquoi certains d’entre eux ont vu dans la biographie du peintre une planche de salut envisageable. Il est vrai que ses tableaux sont pleins de références autobiographiques connues de lui seul – si du moins on ne l’interroge pas à leur propos. Et pourtant, de sa naissance à Haïti, mais « dans un quartier bourgeois à dominante allemande 4 », de ses ascendances blanches et mulâtres, de son oncle fondateur de revues indigénistes, de ses premières émotions de peintre, ses tableaux n’en disent apparemment rien de clair, sauf à se faire préciser la raison de tel ou tel détail. Télémaque n’est pas un réaliste et il en sera ainsi tout au long de son itinéraire d’artiste. On pourrait considérer que la peinture autobiographique de l’artiste naît en 1957, à New York, où, venu apprendre l’art moderne, il se trouve pour la première fois confronté brutalement à ses origines caraïbes par un racisme latent qui fait de lui un marginal dans le milieu artistique de la
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1. Gassiot-Talabot 1992, p. 8. 2. Ibid., p. 4. 3. Durozoi 1976, p. 6. 4. Serge Fauchereau, « Biographie », in Tronche 2003, p. 183.
5. Télémaque 1977 (3), p. 630.
ville. En écho à son sentiment de déréliction, ses peintures new-yorkaises, dictées par un automatisme figuratif et gestuel, sont faites de déflagrations de mots, d’images, de signes raturés, de pictogrammes illisibles. Télémaque peint alors comme on tiendrait un journal intime : missives inachevées, secrets suggérés par des figurations sexuelles esquissées, représentations incongrues d’objets contemporains : ces éléments épars forment comme le brouillon raturé de confessions personnelles et parfois impudiques. Ils sont autant d’allusions à sa situation bien inconfortable de jeune peintre noir en exil au pays des Blancs, coupé de ses racines, une sorte de Toussaint Louverture à New York (pour reprendre le titre de l’un de ses tableaux d’alors, [Cat. 3, p. 69]), en proie à un malaise et qui se révèle d’abord par le désordre voulu de ses toiles, tohu-bohu existentiel peint sur mesure pour lui seul. À partir de 1961, c’est désormais en France qu’il multiplie dans ses peintures les masques qui pourraient être des portraits de lui-même, noir de peau, hirsute, criant d’une bouche édentée des imprécations muettes et grotesques. Ce cow-boy unijambiste, abîmé et ridicule, qui occupe le centre de My Darling Clementine, 1963 (Cat. 7, p. 77), Télémaque l’a reconnu : c’est lui 5. Une autre peinture (Présent, où es-tu ?, 1965 [Fig. p. 55]) nous fournit même un extrait de la page d’état civil qui mentionne sa naissance à Haïti : « Année 1937, page 26, numéro 696 ». Dans le même tableau, elle est complétée par son autoportrait dans un rétroviseur. Télémaque parle parfois d’« exotisme à l’envers » pour désigner sa situation d’artiste, dont la vraie patrie est un territoire qu’il s’est aménagé, cette étrange agglomération de choses vues, vécues, rêvées, que ravivent, selon les lois du hasard, telle image qu’il a entr’aperçue, tel mot qu’il a lu incidemment, telle situation qu’il a rencontrée ou provoquée et qu’il reporte sur la toile comme il consignerait le procès-verbal d’un évènement profondément enfoui, dont il reste le seul témoin. À partir de 1963, ses autoportraits obsessionnels ont cédé peu à peu la place à de nouvelles représentations empruntées au monde de la rue qu’il entreprend de lire comme autant de référents à lui-même. La marée iconographique de la nouvelle société de consommation parle à tous et à lui tout particulièrement. Mais, parallèlement, d’autres signes renvoient le peintre à des réminiscences plus lointaines : celles qui appartiennent à l’univers qu’il a laissé à Haïti. Dans Convergence, 1966 (Cat. 15, p. 91), sous forme de schémas, d’objets ou de photos, plusieurs évocations familiales coexistent mais s’ignorent alors que flottent, parmi d’autres, les ombres tutélaires d’André Breton, d’une chauve-souris et d’un chat noir. À travers ces images hétéroclites, il se raconte à lui-même ses obsessions voyeuristes, ses pulsions
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RENAUD FAROUX
HERVÉ TÉLÉMAQUE : L’ÉTERNEL RETOUR
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Renaud Faroux : Peux-tu nous présenter les grandes lignes de ton exposition au Centre Pompidou ? A-t-elle un titre ? Quelles sont tes relations avec la culture française ? Hervé Télémaque : J’avais pensé à un joli titre, un peu audacieux, qui aurait été Affranchi éduqué, mais nous y avons renoncé. Je ne veux pas faire une simple rétrospective avec un bel accrochage, mais une exposition à caractère politique ! Je veux montrer la relation ancienne de la France avec les colonies. Quand j’arrive des États-Unis à Paris fin 1961, l’accueil est exceptionnel ! Je raconte souvent cette histoire : je rencontre aux Deux Magots JeanJacques Lebel, Alain Jouffroy qui parlent de Guy Debord que je ne connais pas… Et Jouffroy m’invite dès le lendemain pour me prêter tous les livres que je veux ! C’était une grande différence avec New York que j’avais quitté surtout à cause du racisme ambiant. À Paris, en retrouvant avec le français ma langue de travail, de pensée, je suis très conscient de la continuité de ma vie de Haïtien se référant en permanence à la culture française. Je fais alors une boucle pour relier mon actualité à tout mon passé et à mes origines : mon éducation faite en français, ma mère qui a reçu un enseignement français, mon oncle le poète Carl Brouard… Aux États-Unis, j’avais perdu cet instrument primordial – la langue française –, et c’était pour moi une chose très grave. Venir en France, c’était renouer avec mon enfance, ma formation, mon histoire. Avec le protestantisme anglo-saxon et la langue anglaise, je me diluais dans un ailleurs qui ne m’intéressait pas ! J’ai voulu au fond me recentrer sur mes sources et sur ce qui pouvait être ma force, c’est-à-dire la langue, la culture française et ses rapports avec Haïti. C’était aussi un désir de continuer par là ma psychanalyse commencée à New York.
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Pour cette exposition, les œuvres choisies dans les collections publiques rendent hommage à tous les commissaires, conservateurs qui m’ont aidé pendant quarante ans en engageant leur jugement, leur esprit, en achetant des pièces de moi pour leurs musées. Il me semble aussi judicieux d’indiquer qu’il y a une vieille structuration coloniale qui fonctionne toujours entre les institutions et mes origines antillaises. Voilà pourquoi j’avais pensé proposer tout au long de l’exposition un accompagnement verbal avec des lectures du Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire. R. F. : Peux-tu déployer le tapis de tes influences et préciser comment tu as nettoyé le paysage folklorique antillais ? H. T. : Tu fais ici allusion à nos propos sur Kandinsky, lorsque nous disions qu’il avait nettoyé le paysage folklorique russe ! Il y a de ça chez moi. Haïti, c’est compliqué : un pays à 90 % d’analphabètes avec une élite de 10 %, dont je fais partie. À mes débuts, je vais d’abord admirer, sans trop la comprendre, la peinture haïtienne dite naïve mais je ne vais pas tout de suite m’attaquer à la valoriser, à l’intégrer dans mon travail. Il y a aussi la poésie qui est importante pour moi, incarnée de façon physique par mon oncle qui propose des concepts de négritude, négritie… Il rappelle que « L’âme d’un peuple ne peut se scinder en deux comme une cellule. Ainsi l’histoire d’Haïti n’est-elle qu’une suite d’oscillations où tantôt l’emportent nos survivances françaises, tantôt nos survivances africaines… » Dans un de ses poèmes, il écrit : « Antilles ! Antilles d’or vous êtes d’odorants bouquets que bercent sur la mer les vents alizés, île de saphir, où la lune baigne d’argent les palmistes, cependant que là-bas résonne, sourd, le tam-tam… » Tout est déjà là et ce n’est pas un enfermement ! L’idée stupide serait de penser que la conscience d’être haïtien noir de langue française est un emprisonnement ; au contraire, c’est une ouverture ! Quand je commence à peindre à Port-au-Prince à quinze ans, je fais du « sous-Braque ». Je quitte ensuite mon île pour aller vers un ensemble culturel fort qui est l’Occident, New York, ses musées, ses galeries et retrouver déjà indirectement une certaine culture française.
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Les dates indiquées en tête des différentes sections ne bornent pas d’hypothétiques périodes de la production de Télémaque, mais reprennent celles des œuvres qui y figurent. Lorsqu’elles ne sont pas créditées, les citations entre guillemets reprennent des propos tenus par l’artiste.
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ŒUVRES EXPOSÉES
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New York Installé à New York, où il a rejoint sa compagne en 1957 après un bref séjour au Mexique, Télémaque s’inscrit à l’Art Students League où il suit l’enseignement du peintre Julian Edwin Levi. Il entreprend alors un ensemble de peintures qui ref lète sa situation de jeune Haïtien exilé, tout en manifestant sa perméabilité au contexte artistique local. La plupart d’entre elles se caractérisent par des formats importants, proches du carré, et par une gestualité affirmée. La mise en évidence de la touche et des mouvements du pinceau trahit l’inf luence de l’expressionnisme abstrait qui domine encore la scène new-yorkaise. Arshile Gorky, Willem De Kooning ou Roberto Matta, mais aussi, de façon plus inattendue, Alberto Giacometti comptent alors parmi les références picturales de Télémaque. Ses œuvres se distinguent cependant par la place importante qu’y tient l’écriture, dont les lignes animent préalablement la surface avant un recouvrement partiel. L’étendue picturale prend ainsi l’allure d’un imposant palimpseste révélant par endroits des mots isolés à la lisibilité compromise. Témoignant de la résistance de Télémaque à toute assimilation linguistique, l’usage du français doit être mis en relation avec la cure psychanalytique qu’il entreprend alors dans cette langue. C’est d’ailleurs cette exploration de l’inconscient qui inspire
l’iconographie de ces peintures new-yorkaises. Disséminés dans un espace agité, divers motifs se heurtent en un kaléidoscope d’images fragmentaires aux formes incertaines, scories de rêve, corps morcelés et souvent agressifs, accessoires vaudous, dont l’apparition relève d’un automatisme proche du surréalisme. Rendue manifeste par la présence récurrente d’un autoportrait schématique sous la forme d’un masque primitif, mais aussi par des évocations de la femme aimée (le M de Maël), la part d’autobiographie s’avère décisive : espoir de paternité dans L’Annonce faite à Marie (Cat. 1, p. 67) d’abord intitulé Maternité, inquiétudes touchant à la sexualité dans Histoire sexuelle (Cat. 2, p. 69) mais aussi relation indissoluble à la mère dans Toussaint Louverture à New York (Cat. 3, p. 71) où se reconnaît une boîte aux lettres aux couleurs du drapeau haïtien. Dans ce tableau, qui doit se lire comme une évocation de la condition coloniale et de la mémoire de l’esclavage, la figure du précurseur de la révolution haïtienne est accompagnée d’une sirène qui donne son titre à une autre peinture de 1959 (collection particulière). Tout imaginaire, le séjour du gouverneur noir à New York vaut comme métaphore du déracinement et mise en évidence du racisme diffus qui décidera Télémaque à quitter la métropole américaine.
Hervé Télémaque, New York, novembre 1959 63
1. L’Annonce faite à Marie, 1959 Huile sur toile, 134 × 118,5 cm Puteaux, Centre national des arts plastiques / Fonds national d’art contemporain
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Paris L’installation de Télémaque à Paris à l’automne 1961 se traduit par d’importantes évolutions picturales. Désormais, les fonds, jusqu’ici mouvementés, tendent vers l’aplat tandis que les motifs, en nombre plus restreint, s’individualisent. Pour mieux se démarquer sans doute du « lyrisme » de l’abstraction qui domine alors la scène artistique parisienne, les formes se font plus précises. La violence latente des représentations perdure pourtant dans la série des Éclaireur (Cat. 4, p. 75) où l’on retrouve les boules dentées que l’on distinguait déjà dans Histoire sexuelle (Cat. 2, p. 69). S’y ajoutent des sortes de « membranes obscènes s’étendant à l’infini » qui trahissent l’influence diffuse de Wifredo Lam et de Roberto Matta. Cette violence laisse parfois la place au sarcasme comme dans Aérolithes pour rire (Cat. 5, p. 74), où semblent ricaner d’inquiétantes créatures, comme vues sous microscope. La métaphore cosmique (ne sommes-nous pas à la grande époque de l’exploration spatiale ?) est agissante dans Ciel de lit, no 3 (Cat. 6, p. 75) où semblent graviter autour d’une planète aride divers éléments à caractère sexuel. Inspirés par le magazine Elle, des sous-vêtements féminins qui, pour Télémaque, révèlent et interdisent tout à la fois le corps désiré, se confrontent à de premiers objets réels, flacon identifié comme un pot de moutarde ou fermeture Éclair insérés dans la toile. Œuvre emblématique de cette période, My Darling Clementine (Cat. 7, p. 77), qui s’organise autour d’un autoportrait en « nègre mi-cow-boy, mi-flibustier », explore à nouveau des stéréotypes racistes. Collées à même la toile, des images publicitaires
prônent le décrêpage des chevelures, tandis qu’un petit caisson, hors du tableau, renferme un jouet représentant un enfant noir tenant une banane épluchée. Si cette peinture, « made in France », reprend le titre américain d’un film de John Ford, c’est surtout le langage visuel des comics qui, comme dans Femme merveille (Cat. 8, p. 79), est ici convoqué : vivacité chromatique, rapidité du trait, recours à des « bulles » et à des onomatopées graphiques. Sous l’égide du dollar, les formes, auxquelles se mêlent toujours intestins et boules dentées, semblent se livrer à une sorte de Poursuite infernale (titre français du film de Ford). Quant au châssis incomplet de ce faux diptyque, il contribue à discréditer le support traditionnel de la peinture. Dans Voir ELLE (Cat. 9, p. 81), le schéma perspectif, fondé sur l’articulation sol/mur, est contredit par la désinvolture spatiale dont font preuve objets du quotidien, souvenirs vaudous et débris divers qu’une chasse d’eau peut à tout moment engloutir. Simultanément, mains et jambes féminines, inspirées par le magazine qui donne son titre au tableau, entrent dans le champ pictural. Centrée sur un appareil photographique, la composition intéresse bien la question du « voir ». Aux visages sans regard des révolutionnaires Toussaint Louverture et Fidel Castro répond un œil, découpé dans une enseigne de cinéma, qui fixe le regardeur à la façon du tireur d’élite figurant en partie basse. Jouant sur l’homophonie des mots anglais « by » (« par » en français) et « buy » (« acheter »), Télémaque revendique la paternité du tableau tout en adoptant ironiquement la posture du camelot.
Hervé Télémaque, Paris, 1964 71
7. My Darling Clementine, 1963 Huile et papiers collés sur toile ; boîte en bois peint, poupée en caoutchouc 194,5 × 245 cm ; boîte : 25,3 × 25,3 × 24,9 cm Paris, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne
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Peintures pop et combines Au mitan des années 1960, l’œuvre de Télémaque achève son évolution vers une peinture en aplats qui, tout comme l’utilisation nouvelle de l’épiscope, le rapproche du pop art américain. Olympia (Cat. 10, p. 85) en montrant plusieurs silhouettes d’athlètes sur des fonds de couleurs vives recourt à une iconographie sportive fréquente à cette époque chez Télémaque. Son titre reprend celui en allemand des Dieux du stade, le film de propagande tourné par Leni Riefenstahl aux Jeux de Berlin de 1936. Le Noir américain Jesse Owens en remportant quatre médailles d’or y avait opposé un démenti éclatant aux théories racistes d’Adolf Hitler. Séduit par l’immédiateté du langage publicitaire et de la bande dessinée, Télémaque se révèle bientôt adepte de la « ligne claire », celle du dessinateur belge Hergé qui fait désormais l’objet de nombreuses citations. Fiche (Cat. 11, p. 87) met en miroir une vignette tirée d’Au pays de l’or noir et celle d’un comics américain, tandis qu’une guillotine à roulette, métaphore castratrice, dialogue avec un sous-vêtement. Cette allusion à la sexualité, l’une des inspirations constantes de l’artiste, se double d’une dénonciation du racisme dans Petit célibataire un peu nègre et assez joyeux (Cat. 12, p. 88) qui réactive la figure du « nègre publicitaire ». L’efficacité visuelle de ce faux tondo rappelle celle des peintures de l’Américain Roy Lichtenstein de la même époque. Conforté par les combines de Robert Rauschenberg qu’il découvre en 1963 à Paris, galerie Sonnabend, Télémaque inclut souvent désormais des objets réels dans ses peintures. Ceux-ci ont pour première fonction d’« élargi[r] le plan peinture » (Tronche). « Simul[ant] la trajectoire du corps qui s’élève », Confidence (Cat. 13, p. 89) intègre ainsi un escabeau réel
conduisant à un trapèze, où un vrai marteau posé en équilibre fait allusion, à distance d’un clou peint, au coït. Ce « chevalet inversé » et détaché du mur fait place à une ceinture herniaire, allusion à l’opération qui avait mis un terme aux activités sportives du jeune Télémaque. Cet appareil orthopédique fait à nouveau son apparition dans un diptyque aux panneaux séparés par une véritable corde à sauter, Convergence (Cat. 15, p. 91) qui apparaît comme une somme autobiographique. Autour d’un autoportrait inspiré par une photographie prise par le peintre Gérard Gasiorowski (p. 82), Télémaque y convoque représentations féminines (Renée, la mère, et Maël, l’épouse de l’artiste), souvenirs haïtiens, figures de référence (le poète André Breton et le comédien américain Jerry Lewis), mais aussi des photographies de presse relatant les émeutes raciales de Watts à Los Angeles en août 1965. Autre objet emblématique de cette époque, une chaussure de sport réelle est intégrée dans Le Mal des hauteurs (Cat. 14, p. 92). Cette tennis se trouve démesurément agrandie dans Le Poète rêve sa mort, no 2 (Cat. 16, p. 93), où elle entre en lévitation avec un mobilier de camping dans un paysage de neige, associé pour Télémaque à la mort de son aïeule. Liées aussi au thème de l’envol, les voiles, équivalents nautiques de la toile à peindre, constituent une autre série importante. Dans Le Large (ensablé) [Cat. 19, p. 97], le fin grillage qui recouvre cette peinture (qui la rend invisible de côté) et la prosaïque serviette de bain (« le sable ») mettent ironiquement à distance le thème baudelairien de l’évasion. Quant au torchon souillé de Batailler sa peine, no 2 (Cat. 18, p. 96) [une allégorie du tachisme qui sévissait encore il y a peu en peinture ?], il contribue à remettre en cause la facture pop du panier de basket qui le surmonte.
Hervé Télémaque, Collioure, 1964 83
11. Fiche, 1965 Huile sur toile, 97 × 130 cm Collection particulière
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Passages et variations En 1968, Télémaque a pris la décision radicale de cesser de peindre pour se consacrer à la production d’assemblages, ses « sculptures maigres », où la canne d’aveugle joue un grand rôle. Dans la série des Passages avec laquelle il commence à renouer avec la peinture de chevalet, celle-ci, en suspension au centre de la composition, est désormais associée à des objets bruyamment sonores, siff lets ou cor de chasse, qui rappellent le primat de l’auditif quand la vision est compromise (Cat. 20 et 21, p. 100 et 101). Également présente, la paire de ciseaux qui a pour principale fonction de « dramatiser l’espace du tableau » se retrouve, tout comme le siff let, dans Objets usuels, pour Vincent Van Gogh ? (Cat. 23, p. 103). Télémaque y oppose société des loisirs obsédée par la quête solaire et drame individuel de l’« artiste maudit ». Semblant faire écho au fameux slogan de Mai 68, « sous les pavés, la plage », qui s’inscrit sur la toile, l’invitation à découper selon les pointillés vaut comme suggestion ironique à ouvrir une fenêtre dans la peinture. Mais cet attentat contre la toile n’est sans doute pas sans corrélation avec celui que le peintre des Tournesols avait perpétré contre lui-même : son oreille tranchée figure à deux reprises dans la bordure périphérique. Télémaque donne une plus grande extension à cette bordure dans Caca-Soleil ! (Cat. 22, p. 104105) qui constitue, pour lui, « une parodie amusante du Grand Verre, issu d’un rêve obscène. Le Célibataire est le soleil en état de crise, en éruption – en érection et faisant ses besoins à la fois. La fillette a installé sa dînette dans un espace sidéral jaune verdâtre. Elle est encore vierge ».
La référence duchampienne transposée dans un univers enfantin, dont participe le titre volontairement régressif, est ici réactivée dans un contexte pop. En témoignent des produits de consommation miniaturisés encadrant un vaste espace vacant. Télémaque poursuit son dialogue avec l’histoire de l’art moderne dans la série des cinq Suite à Magritte (Cat. 24 et 25, p. 106 et 107). Observant un carton d’emballage resté dans l’atelier (Fig. 5, p. 41), l’artiste y reconnaît le parapluie et le verre d’eau que Magritte avait superposés dans Les Vacances de Hegel (1958, collection particulière). Les logotypes attirant l’attention sur la fragilité et le sens de préhension s’appliquent bien entendu au tableau lui-même, ce que confirme la frontalité insistante de la représentation. Nouvel objet paradoxal, car situé à l’interface entre nature et artifice, la coque de paraffine rouge enrobant les fromages industriels prend bientôt une soudaine importance dans la peinture de Télémaque. Son rouge vif, assimilé dans son esprit à la terre de Madagascar, dont la capitale est d’ailleurs nommément citée dans Coupe, no 1 (Cat. 26, p. 109), renvoie ici à la sanglante répression par le colonisateur français de l’insurrection malgache de 1947. Très présente dans Par le sang, no 3 (avec clefs) [Cat. 27, p. 111], cette coque fromagère côtoie divers objets réunis par la « phonétique visuelle » propre à Télémaque. Les clefs du titre ne désignent pas celles qui auraient pu éclairer la lecture de cette peinture énigmatique, mais les simples éclisses de bois insérées dans les traverses du châssis, sans lesquelles une toile peinte peut dangereusement perdre de sa tension.
Hervé Télémaque, Paris, vers 1970 (autoportrait avec, en surimpression, la fille de l’artiste) 99
22. Caca-Soleil !, 1970 Acrylique sur toile, 120,5 × 315,5 cm Paris, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne
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Retour d’Haïti En 1973, Télémaque a rejoint Haïti pour la première fois depuis seize ans. Ce séjour estival, aux dires de l’artiste lui-même, ne sera pas sans conséquences sur son évolution artistique. En témoignent, de retour à Paris, une iconographie renouvelée, la recrudescence du collage et du dessin mais aussi le recours fréquent au tondo. Ce format, proche de la vision oculaire, offre notamment l’intérêt d’entrer « en contradiction avec les éléments figurés sur l’image, qui sont souvent anguleux ». Le Silence veille à Saint-Marc (Haïti) [Cat. 28, p. 115] trouve son origine dans une excursion de l’artiste dans la plaine rizicole de l’Artibonite dans le centre de l’île. À gauche, le pied d’un Haïtien faisant la sieste dans un vieux camion de pompier que Télémaque – évènement rarissime – a lui-même photographié dans un hangar ; à droite, divers objets, dont deux bornes d’amarrage évoquant l’importante activité portuaire de la ville de Saint-Marc. Pervertissant subtilement le fameux « l’ordre règne à Varsovie » (employé par un ministre français alors que les troupes russes venaient d’écraser dans le sang l’insurrection polonaise de 1830), le titre doit être mis en relation avec la dictature corrompue de JeanClaude Duvalier qui sévissait toujours. « Trahi[ssant] l’orthodoxie pop qui était pleine d’interdits », Télémaque cède désormais à une plus grande « subjectivité ». La Mère-patrie (Cat. 31, p. 118-119), triptyque qu’il se plaît à présenter comme un « pur exercice formaliste », répète l’image d’une même voiture accidentée à Port-au-Prince, faite à l’aide de l’épiscope à droite, peinte plus librement à main levée à gauche. Télémaque entreprend alors « d’abandonner les aplats pour des zones aléatoires plus floues, plus aquarellées », comme cette zone indécise qui apparaît derrière l’« hybride bananier-palmier » de La Mère-patrie, la partie droite du tondo
Gardeur de mare (Cat. 33, p. 123) ou encore la partie inférieure de Fil (Cat. 39, p. 133). Cette liberté nouvelle profite aussi aux collages qui, prenant la suite de l’importante campagne de 1973-1974, se multiplient au retour d’Haïti. Associant les calques préparatoires, qui s’inspirent des patrons de couturière de Maël, ces collages exhibent les étapes de leur fabrication en cultivant un certain inachèvement : « déchets du travail », déplacements intempestifs de motifs, attaches bien visibles et découpes imparfaites rappellent le bricolage des « habitations misérables » d’Haïti. Une série de ces collages s’intéresse à un motif à la fois complexe et fascinant, la selle de cuir, que Télémaque interprète comme un symbole de domination, mais aussi comme un objet à connotation sexuelle, voire religieuse (dans le vaudou, le possédé n’est-il pas « monté » par le loa invoqué ?). Ce motif, caractérisé par une « luxuriance de courbes », est susceptible de toutes sortes de métamorphoses (Selles comme montagne, Cat. 30, p. 120). Plus ancré dans la réalité politique du continent noir, Mère-Afrique (Cat. 32, p. 121) résulte d’une commande pour dénoncer l’apartheid en Afrique du Sud. L’artiste haïtien y associe deux images à première vue antagonistes, une photographie montrant une domestique noire promenant des enfants le long d’une plage réservée aux Blancs et une affiche fameuse de Paul Colin pour La Revue nègre de Joséphine Baker (1925). Entremêlant les motifs, dessins et papiers de couleur découpés passent d’un panneau à l’autre pour opposer la réalité de la discrimination des Noirs dans le monde et la place que leur réserve l’industrie du spectacle. Au centre trône une cravache de cuir réelle, métaphore explicite de la violence du rapport dominant-dominé.
Hervé Télémaque, Paris, 1974 (détail de la fig. p. 177) 113
31. La Mère-patrie, 1981 Huile sur toile (triptyque), 146 × 342 cm Dunkerque, FRAC Nord – Pas-de-Calais
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Assemblages et fusain Au début des années 1990, Télémaque remplace les ciseaux et le papier par la scie sauteuse et par le bois et se consacre à des assemblages, qu’il révèle lors de sa première exposition à la galerie Louis Carré & Cie à l’automne 1994. Encore tributaire de son admiration pour les reliefs dada de Jean Arp, Caraïbes I (Cat. 40, p. 137) est composé des modules de bois peints sur un arc de cercle, dont la forme rappelle la baie de Port-au-Prince que Télémaque avait déjà évoquée dans une peinture de format ovale en 1987 (Cat. 36, p. 130). Non content de recourir à un imaginaire géographique haïtien, le sculpteur intègre bientôt un nouveau matériau, indissolublement lié à l’économie de l’île, le marc de café, qui fait pour l’occasion son entrée dans l’histoire de l’art. Préalablement teinté, puis posé sur des surfaces encollées, ce résidu d’infusion (qui, comme on sait, peut aussi avoir des vertus divinatoires) était apparu ponctuellement dans la série « La Chambre noire » (Blème, 1991, Paris, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne). Désormais, il recouvre tout ou partie de reliefs aux découpes élaborées. Parfois monumentaux comme Entre-jambes (avec le garde du corps) [Paris, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne], beaucoup de ces reliefs adoptent des dimensions plus intimes. Cocofesse (Cat. 41, p. 139), qui s’inspire du fruit d’un palmier des Seychelles aux formes suggestives, apparaît comme le dernier avatar de la gaine féminine qui obsédait le jeune Télémaque. Formellement plus complexe avec ses allures d’oiseau des îles,
La Séancière (Cat. 44, p. 143) rend hommage par un néologisme à la maîtresse de cérémonies magiques à la Martinique. Contemporains des assemblages au marc de café, dont ils sont parfois la vérification, et présentés d’ailleurs pour la première fois lors de la même exposition de la galerie Carré, les dessins d’Hervé Télémaque manifestent le plaisir retrouvé du fusain. Ce matériau, dont il n’est sans doute pas indifférent pour l’artiste qu’il résulte d’une combustion, autorise des aplats d’une profondeur inédite et des modelés savants. La série que Télémaque consacre dans ce médium à la chauvesouris, l’un de ses animaux fétiches (elle apparaissait déjà en 1966 dans Convergences [Cat. 15, p. 91]), n’est pas sans évoquer, malgré son parti pris d’abstraction, les replis d’un sexe féminin. Dernier dessin de la série, Chauve-souris IV et la Gonâve (Cat. 43, p. 141) associe à l’animal nocturne, en partie basse, la forme de la grande île, victime au temps de l’esclavage d’une déforestation sauvage, qui fait face à la baie de Port-au-Prince. La même année, Télémaque consacre à la chauve-souris un assemblage dont la complexité formelle semble se souvenir des natures mortes de Braque et Picasso au temps du cubisme « analytique ». Comme dans Cocofesse, des éléments recouverts de marc de café teinté en noir enserrent des éclats de bois rouges. En 2000, le chiroptère fera une dernière et monumentale apparition dans une spectaculaire peinture de grand format (L’Envoyé, chauve-souris, collection particulière).
Hervé Télémaque, Villejuif, 1994 135
41. Coco-fesse, 1993 Marc de café coloré sur bois découpé et collé sur bois, 95,5 × 97 × 3 cm Collection particulière
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Trottoirs d’Afrique et Canopée La fin des années 1990 est marquée dans l’œuvre de Télémaque par un regain d’intérêt pour le médium peinture, qui sert souvent à des évocations de ses racines africaines envisagées sous un angle plus explicitement politique. En témoigne son exposition présentée à la galerie Carré en 2001 sous le titre « Trottoirs d’Afrique à l’acrylique ». Y figure notamment Le Voyage d’Hector Hyppolite en Afrique, no 1 (Cat. 45, p. 147), où Télémaque reprend fidèlement une composition, Papa Lauco, du peintre haïtien Hector Hyppolite (1894-1948). La haute silhouette du Baron Samedi, figure du panthéon vaudou attachée au monde des morts, se détache sur des aplats aux couleurs du drapeau haïtien. À l’arrièreplan, Télémaque a ajouté un tableau noir où s’inscrivent à la craie les noms des différents dictateurs qui ont ensanglanté le continent africain. Resté imaginaire, le voyage dont se vantait Hyppolite constitue un rappel des origines africaines du peuple haïtien tout en sollicitant la mémoire de l’esclavage. Autre peinture transposant une image préexistante, Deep South (Cat. 46, p. 149), s’inspire d’une photographie fameuse (1950) de l’américain Elliott Erwitt. En supprimant le jeune homme de couleur qui entrait dans le champ, Télémaque concentre l’attention sur les objets représentés. Une fontaine dernier cri réservée aux Blancs et un lavabo usagé destiné aux Noirs constituent une métaphore parlante de la ségrégation raciale dans le sud des États-Unis. Lors d’un séjour au Bénin, pays d’où sont originaires nombre de familles haïtiennes, Télémaque de façon inhabituelle prend ses sujets dans la vie quotidienne. Les marchés de Cotonou sillonnés de moto-taxis donnent notamment lieu à des peintures
comme Saison, no 1 (Marchande, étude de genre) [Cat. 47, p. 150], dont la construction s’opère par des surfaces colorées aux tonalités d’aquarelle. Celles-ci se retrouvent dans une peinture inspirée par la caricature de Nicolas Sarkozy par Plantu, le dessinateur du quotidien Le Monde, dont Télémaque apprécie, comme chez Hergé autrefois, le trait efficace. Et si c’était ainsi, no 2 (Âne et Sarko/Plantu) [Cat. 48, p. 151] associe l’image du ministre de l’Intérieur au nouvel animal fétiche de l’artiste. Victime fin 2006 d’un accident vasculaire cérébral qui lui fait perdre l’usage de la main droite, Télémaque n’en continue pas moins à peindre. Commencé avant la maladie et achevé avec la seule main gauche, Mode autre, l’inachevé, la canopée (Cat. 49, p. 152) porte un titre éloquent. Abandonnant définitivement les aplats, l’artiste peint en effet désormais sans souci de masquer les irrégularités du pinceau. C’est la période de la « canopée », titre d’une nouvelle exposition présentée à la galerie Carré en 2011. Pour Télémaque, ce terme désigne un lieu échappant par nature au regard humain qui « permet de camoufler l’imprécision ». À l’Escalier, permaculture (Cat. 50, p. 155) s’insère dans cette série où la ligne semble épouser les asymétries du végétal. Dernière en date des peintures de Télémaque, De la jeune Flamande… au canal Saint-Martin (Cat. 53, p. 160-161) est liée à un « souvenir très précis », celui d’une jeune femme légèrement vêtue « traversant la place royale à Bruxelles, peut-être pour rejoindre son jeune amant arabe ou autre », « peut-être pour aboutir au bord du canal Saint-Martin ». À partir de cet argument empreint d’érotisme, Télémaque propose une « fiction » à la picturalité débridée.
Hervé Télémaque, Villejuif, vers 2001 145
45. Le Voyage d’Hector Hyppolite en Afrique, no 1, 2000 Acrylique sur toile et craie, 161,5 × 243 cm Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris
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BIOGRAPHIE
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[…] je ne crois qu’à une peinture autobiographique ; je crois qu’il y a une histoire humaine à raconter. Autrement dit, le style pour moi est un concept creux ; il ne s’agit en fait que d’une simple cohérence des moyens par rapport au projet. Et le projet c’est : voilà ce que j’ai vécu, voilà ce que j’ai perçu ! Jean-Luc Chalumeau, in Opus International, été 1981
Hervé Télémaque dans l’atelier de l’avenue Secrétan à Paris, vers 1968
BÉNÉDICTE AJAC
PEINDRE UNE VIE : BIOGRAPHIE
1937 Naissance d’Hervé Télémaque le 5 novembre à Port-auPrince, en Haïti, dans un quartier bourgeois à forte présence allemande, Saint-Louis-Roi-de-France. Il habite une maison en bois « gingerbread style », semblable à celles de La Nouvelle-Orléans. Paul Thémistocle (1900-1970), son père, « cultivé, intelligent mais insensible », est médecin spécialiste des maladies vénériennes, et propriétaire d’une pharmacie. Renée (1907-1993), sa mère, une mulâtresse, « tellement intelligente que ça ne se voyait pas » nous dit-il, est issue d’une famille bourgeoise. Elle est la fille de Raphaël Brouard, cofondateur avec Jacques Roumain et Clément MagloireSaint-Aude, des deux revues haïtiennes, Les Griots et La Revue indigène que dirige son frère Carl Brouard (1902-1965), poète de la négritude haïtienne. Josette, sœur de l’artiste, est de six ans son aînée. « Je suis venu au monde bercé par de grandes femmes d’ombre au balancement de cocotiers. Elles me préservaient du soleil trop brûlant, de la pince des crabes, des épines de roses – du monde extérieur, en somme. J’ai vécu longtemps ainsi, les yeux embués par l’incertitude des méridiennes à stores bas, l’imagination rougie des gestes tendres qui m’enveloppaient. Parfois surgissait des touffeurs de l’après-midi l’arabesque svelte d’une liane : toute la lumière s’y accrochait comme un essaim d’oiseaux-mouches. Le bonheur fusait soudain en mille
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éclaboussures de couleurs. Puis tout retombait parmi les velours sombres au doux parfum de poussière… », écrit-il avec José Pierre (Pierre 1965, n.p.). À la mort de sa grand-mère Brouard (il sera très marqué par la vision de son corps sur un lit de glace dans la pièce mortuaire), la famille s’installe chez son grand-père qui l’élève de façon très libérale et suit attentivement ses études primaires et secondaires à l’école Saint-Louis-de-Gonzague, chez les frères de l’Instruction chrétienne. Télémaque songe alors au séminaire. Plutôt sportif, il monte à cheval avec les cadets de l’école militaire d’Haïti. Mais, vers 1950, opéré d’une hernie, il doit renoncer au sport, et notamment au saut en hauteur, dont le thème restera très présent dans sa peinture. Du coup, il s’intéresse à différentes expressions artistiques : très tôt dans le désir de raconter, il hésite entre littérature et art.
1953 Son père, dont les liens avec la France sont étroits et qui rêve de l’orienter vers une carrière diplomatique, l’envoie à l’école des Roches à Verneuil-sur-Avre, en Normandie, où il entre en classe de seconde. Il suit les cours de dessin d’Alain Gerbaudt et peint alors son premier tableau.
1955 De retour à Haïti pour sa classe de philosophie, il fait la connaissance de Maël Pilié (1938-2012), une cousine éloignée, qui deviendra sa femme.
Il noue dès cette époque des relations avec le Centre d’art de Port-au-Prince.
1957
Hervé Télémaque avec sa mère Renée et sa sœur Josette, Port-au-Prince, vers 1940
Hervé Télémaque et Julian Levi à New York, vers 1961
Il part d’abord pour le Mexique, où il retrouve Nicole, une amie haïtienne, qui fait ses études d’architecture. Ce voyage, traditionnel pour tout jeune Haïtien cultivé, lui permet de découvrir la sculpture amérindienne ainsi que le peintre Rufino Tamayo et les muralistes José Clemente Orozco et David Alfaro Siqueiros. Quand Francis Duvalier prend le pouvoir en Haïti, il part pour New York. Maël s’y trouve déjà, engagée dans des études de médecine. Il s’inscrit à l’Arts Students League, où il suit les cours de Julian Edwin Levi, peintre américain (1900-1982) qui le remarque et le soutient. Contrairement aux conseils de ce dernier, Télémaque ne cherche pas à se faire naturaliser américain. Il ne se résigne pas non plus à acheter un téléviseur conseillé par Julien Levi pour l’apprentissage de l’anglais… Les conditions de vie sont difficiles dans les quartiers de Brooklyn Heights, puis de Hoboken. Il se dit qu’il ne pourra « jamais devenir un peintre à plein titre. Impossible de trouver un atelier, etc., aucune présence “noire” dans les galeries, musées, où [il] passe ses journées, à part quelques gouaches discrètes de Jacob Lawrence ». (Ameline-Ajac 2008-2009, p. 329). Dans les musées, il découvre les peintures des expressionnistes américains Adolph Gottlieb, Arshile Gorky, Willem de Kooning, ainsi que Mark Rothko, Barnett Newman, Ad Reinhardt. Il fréquente les galeries où sont exposés les artistes français comme la Kootz Gallery (Pierre Soulages) et la Pierre Matisse Gallery où il découvre la peinture d’Alberto Giacometti, qui influence ses premières œuvres américaines, et de Jean Dubuffet. Les œuvres de quelques artistes néodadas, au premier rang desquels Robert Rauschenberg et Jasper Johns, à la Stable Gallery, lui font d’autre part découvrir ce qu’il appelle le « pré-pop ». Ayant visité la première exposition Cy Twombly chez Leo Castelli, il est surtout un visiteur assidu des « focus » que le MoMA consacre aux jeunes artistes. Il remarque particulièrement les œuvres de Lee Bontecou et de Jasper Johns, de Grace Hartigan et Julius Hatofsky.
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ANNEXES
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ŒUVRES EXPOSÉES
1. (p. 65) L’Annonce faite à Marie 1959 Huile sur toile 134 × 118,5 cm Signé et daté au revers Puteaux, Centre national des arts plastiques / Fonds national d’art contemporain Acquis en 1990 En dépôt au musée des Beaux-Arts de Dole depuis 1991 Inv. FNAC 90080
2. (p. 67) Histoire sexuelle 1960 Huile sur toile 150 × 171 cm Signé et daté en bas à droite ; titré, signé, daté, situé au revers Collection contemporaine, BNP Paribas
3. (p. 69) Toussaint Louverture à New York 1960 Huile sur toile 177 × 195 cm Signé et daté en haut milieu Dole, musée des Beaux-Arts Acquis en 1988 Inv. 1988-2-1
4. (p. 73) Éclaireur 1962 Huile sur toile 130 × 195 cm Collection particulière
5. (p. 74) Aérolithes pour rire 1962 Huile sur toile 140 × 110 cm Signé et daté en bas à droite Paris, collection particulière, courtesy galerie Louis Carré & Cie
6. (p. 75) Ciel de lit, no 3 1962 Acrylique, huile et objets (flacon et fermeture à glissière) collés sur toile 195 × 130 × 10 cm Signé et daté en bas à gauche Nice, musée d’Art moderne et d’Art contemporain Acquis en 1988 Inv. 988.10.1
7. (p. 77) My Darling Clementine 1963 Huile et papiers collés sur toile ; boîte en bois peint, poupée en caoutchouc 194,5 × 245 cm Boîte : 25,3 × 25,3 × 24,9 cm Paris, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne Acquis en 1991 Inv. AM 1991-100
8. (p. 79) Femme merveille 1963 Caséine sur toile 159 × 169 cm Signé et daté au revers Villeurbanne, collection Institut d’art contemporain Rhône-Alpes Acquis en 1983 Inv. 83.033
9. (p. 81) Voir ELLE 1964 Caséine et papiers collés sur toile 195 × 130 cm Titré, signé et daté au revers Collection particulière, courtesy galerie Louis Carré & Cie
10. (p. 85) Olympia 1964 Huile sur toile 130 × 195 cm Collection particulière
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EXPOSITIONS Les notices en caractères gras correspondent aux expositions personnelles de l’artiste.
New Haven 1961 [Exposition collective], New Haven, Yale University Gallery of Art, décembre 1961. New York 1961 [Exposition collective], New York, Saint James’ Church, décembre 1961. Paris 1962 (1) « L’Art latino-américain à Paris », Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2 août-4 octobre 1962. Paris 1962 (2) « Donner à voir 2 », Paris, galerie Creuze, salle Balzac, 1er-22 décembre 1962. Paris 1963 (1) « Vues imprenables », Paris, galerie du Ranelagh, 30 janvier-15 mars 1963. Paris 1963 (2) « Donner à voir 3 », Paris, galerie Creuze, salle Balzac, 7-29 mai 1963.
Paris 1965 (4) « 21e Salon de Mai », Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 3-23 mai 1965. Paris 1965 (5) « La Figuration narrative dans l’art contemporain », Paris, galerie Creuze, salle Balzac, 1er-29 octobre 1965. Paris 1965 (6) « L’Écart absolu », 11e Exposition internationale du surréalisme, Paris, galerie de L’Œil, décembre 1965. Rome/Turin 1965-1966 « Hervé Télémaque », Rome, Galleria L’Attico, 27 novembre-décembre 1965 / Turin, Galleria Il Punto, 1966.
Paris 1963 (3) « Phases », Paris, galerie du Ranelagh, 19 juin-30 juillet 1963.
Leverkusen 1966 « Realismus der Symptome », Leverkusen, Städtisches Museum Schloss Morsbroich, 28 janvier-6 mars 1966.
Paris 1963 (4) « Image à cinq branches », Paris, galerie Mathias Fels, 6-30 novembre 1963.
Paris 1966 (1) « Donner à voir 4 », Paris, galerie Zunini, 19 avril-13 juillet 1966.
Paris 1963-1964 « La Boîte et son contenu », Paris, galerie Henriette Le Gendre, fin 1963 – 20 janvier 1964.
Paris 1966 (2) « 22e Salon de Mai », Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2-22 mai 1966.
Kassel 1964 « Documenta 3 », Kassel, Museum Fridericianum, Orangerie, Alte Galerie, 27 juin-5 octobre 1964. Londres 1964 « Hervé Télémaque, paintings – Klaus Geissler, space chambers », Londres, Hanover Gallery, 10 mars-11 avril 1964. Paris 1964 (1) « Télémaque », Paris, galerie Mathias Fels, 24 janvier-22 février 1964. Paris 1964 (2) « 20e Salon de Mai », Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 16 mai-7 juin 1964. Paris 1964 (3) « Mythologies quotidiennes », Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, juilletoctobre 1964. Paris 1964 (4) « Royal Garden Blues », Paris, galerie Mathias Fels, 9-30 octobre 1964. Bruxelles 1965 « Pop Art, Nouveau Réalisme, etc. », Bruxelles, palais des Beaux-Arts, 5 février-1er mars 1965. Paris 1965 (1) « 16e Salon de la Jeune Peinture », Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, janvier 1965. Paris 1965 (2) « Indicateur 65 », Paris, galerie Mathias Fels, 18 février-20 mars 1965. Paris 1965 (3) « La Leçon des Choses », Paris, galerie du Ranelagh, mai 1965.
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Paris 1965 (3 bis) « Artistes latino-américains de Paris », Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, juin 1965.
Paris 1966 (3) « Schèmes 66 », Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2-27 décembre 1966. Milan 1967 « Brusse, Bertholo, Camacho, Dietman, Klasen, Kudo, Télémaque », Milan, Studio Marconi, 15 février-12 mars 1967. Paris 1967 (1) « 18e Salon de la Jeune Peinture », Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 3-25 janvier 1967. Paris 1967 (2) « La Fureur poétique », Paris, ARC/musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 15 mars23 avril 1967. Paris 1967 (3) « Hervé Télémaque », Paris, galerie Mathias Fels, 17 mars-15 avril 1967. Paris 1967 (4) « Bande dessinée et figuration narrative – Histoire/esthétique/production et sociologie de la bande dessinée mondiale, procédés narratifs et structure de l’image dans la peinture contemporaine », Paris, musée des Arts décoratifs, 7 avril-12 juin 1967. Paris 1967 (5) « 23e Salon de Mai », Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 29 avril21 mai 1967. Paris 1967 (6) « Objets 67 » (manifestation associée à la 5e Biennale de Paris), Paris, galerie Mathias Fels, 2-31 octobre 1967.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
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Pierre 1966 José Pierre, « J’enseigne ce que je ne sais pas », cat. exp. Paris 1966 (1).
Gassiot-Talabot 1967 (2) Gérald Gassiot-Talabot, « Hervé Télémaque », cat. exp. Paris 1967 (2). Gassiot-Talabot 1967 (3) Gérald Gassiot-Talabot, « La Figuration narrative », cat. exp. Paris 1967 (4). Jouffroy 1967 Alain Jouffroy, « L’Actualisme », Connaissance des Arts, no 18, août 1967. Kenedy 1967 R. C. Kenedy, « Paris », Art International, mai 1967. Muller 1967 Grégoire Muller, préface, cat. exp. Paris 1967 (6). Pierre 1967 (1) José Pierre, « À la découverte d’Hervé Télémaque », cat. exp. Paris 1967 (3) et cat. exp. Brescia 1967-1968. Pierre 1967 (2) José Pierre, « La Fureur poétique », cat. exp. Paris 1967 (2). Restany 1967 Pierre Restany, « La Morte del gusto non è la morte dell’arte », cat. exp. Milan 1967 (2). Télémaque 1967 Hervé Télémaque, « Pourquoi représentes-tu Jean ? », L’Archibras, no 2 (Le surréalisme en octobre 1967), Paris, Éditions Le Terrain Vague, 1967, p. 22-23 (repris dans Tronche 2003, p. 192). Anthonioz 1968 Bernard Anthonioz, préface, cat. exp. Washington D.C./New York/Boston/Chicago/ San Francisco 1968. Barilli 1968 Renato Barilli, « Introduction », cat. exp. Bologne 1968, s.p. Gassiot-Talabot 1969 Gérald Gassiot-Talabot, « Actualités : Distances », Opus international, no 12, septembre 1969, p. 46-49.
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Hervé
T L MAQUE
Hervé
T L MAQUE
Comptant parmi les artistes français les plus marquants de sa génération, Hervé Télémaque (né en Haïti en 1937) commence sa carrière de peintre à New York, avant de s’installer définitivement à Paris, où il contribue à l’émergence au début des années 1960 du mouvement de la figuration narrative. D’abord situé au point de rencontre du surréalisme et du pop art, son œuvre puise autant dans son histoire personnelle que dans une profonde réflexion autour de l’objet, qui permet à Télémaque d’explorer sur un mode ludique les relations entre image et langage. Longtemps adepte de la « ligne claire » et combinant souvent peinture et objets réels, Télémaque porte tout au long de son évolution un regard à la fois poétique et politique sur le monde, sans jamais renier ses racines haïtiennes. Avec un ensemble de peintures témoignant de la diversité de son œuvre, de son acuité critique et de sa réjouissante ironie, la rétrospective organisée par le Centre Pompidou à la Fondation Clément en Martinique constitue la première exposition de cette importance dans la région et signe le grand retour de Télémaque dans la Caraïbe.
978-2-7572-1051-2
25€
Couverture : Le Silence veille à Saint-Marc (Haïti), 1975 Acrylique sur toile, diam. 150 cm Collection particulière
Quatrième de couverture : Hervé Télémaque en 1989 (photographe Philippe Bonan)