Histoire de l'art N° 76 / 2015 (extrait)

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N° 76

2015/1

Revue de recherche et d’information publiée sous l’égide de l’Association des professeurs d’archéologie et d’histoire de l’art des universités (APAHAU), avec le soutien de la Direction générale des patrimoines, de l’École du Louvre, de l’Institut national d’histoire de l’art et du Centre allemand d’histoire de l’art


SOMMAIRE DU N°76 – 2015/1 xxe siècle : marges, récits 3

Christian Joschke et Camille Morando Introduction

Perspectives 7

Nathan Réra Une monstrueuse nudité. Reflets du nazisme, imagerie des « camps » et figures de l’obscène dans l’art contemporain

Études 21

Jean-François Guillot La ville comme œuvre d’art : errances d’une notion dans les premiers temps de l’urbanisme (1900-1940)

31

Vanessa Noizet Du Sahara au Mexique en passant par les sous-sols : correspondances et imaginaires autour de Gaston Chaissac

41

Nina Mansion Archives de l’art et de l’architecture : la contribution des sources au renouvellement disciplinaire

portfolio 51

Dessins d’architecture, dess(e)ins de villes, 1900-1950

Études 59

Élise Grandgeorge L’art psychédélique : une invention du discours psychiatrique ?

69

Judith Delfiner La peinture comme théâtre (al)chimique : la série Translations de Jess

83

Élise Koering Le Corbusier et la construction d’un intérieur androgyne. Taylorisme domestique et mesure féminine dans l’intérieur corbuséen de la seconde moitié des années 1920

Méthode 99

Monika Wagner Les matériaux, surfaces sociales

portfolio 113

Des affiches « fin de siècle » ?

informations 121 127

Résumés/Abstracts Auteurs ayant participé à ce numéro


études

Nathan Réra

Une monstrueuse nudité Reflets du nazisme, imagerie des « camps » et figures de l’obscène dans l’art contemporain

« [L]’Humanité souleva sa robe, et me montra, comme à un adepte digne d’elle, sa monstrueuse nudité. » Alfred de Musset, Lorenzaccio, acte III, scène 3 (1834).

L’art après 1945 s’affirme comme le miroir des extrêmes : il reflète les convulsions de notre monde et l’émergence de nouvelles formes de violence, tout en célébrant l’éclatement des tabous relatifs au sexe et à la mort. Le lien entre art et transgression n’est pas un phénomène moderne, loin s’en faut ; cependant, comme le constatent Gil Bartholeyns, Pierre-Olivier Dittmar et Vincent Jolivet, dans la conclusion de leur analyse essentielle des images médiévales, « le champ de la transgression dans le domaine artistique semble s’être constamment élargi au cours des xixe et xxe siècles1 ». À la charnière des années 1960-1970, des formes transgressives2 d’un genre nouveau ont fait leur apparition : elles se sont manifestées d’une part dans les figures de l’obscène qui ont gagné le territoire des représentations pour tendre vers un « extrême de l’art contemporain3 » ; elles se sont incarnées d’autre part dans la figuration du mal absolu – le nazisme et ses corollaires – auquel les artistes tentent d’apporter des réponses formelles, rejouant sur papier, sur pellicule ou à même leur corps les désastres contemporains. Il arrive parfois que ces deux types d’images antagoniques cohabitent au sein d’un même espace, au point de soumettre le spectateur à un véritable défi du regard – épreuve comparable à celle que subit Alex, le délinquant d’Orange mécanique (A Clockwork Orange, 1971) de Stanley Kubrick, forcé de regarder, les paupières maintenues ouvertes par un appareillage digne de l’Inquisition, une succession d’images pornographiques, d’images de propagande nazie et probablement, ainsi que le suppose Michel Chion, d’« images des camps de la mort4 ». La jouissance érotique que ressent d’abord Alex laisse progressivement place, sous le double effet d’un sérum injecté dans ses veines et d’un collyre qui dilate ses pupilles, à l’irrépressible angoisse de la nausée. Ce principe d’analogie entre le génital et le globe oculaire, envisagé dans une dimension négative, n’est pas sans évoquer les pages que lui consacre Georges Bataille dans son Histoire de l’œil5, ou les théories plus tardives de Susan Sontag sur l’image photographique : « Toute image montrant la violation d’un corps attirant est, à quelque degré, pornographique. Mais le repoussant peut aussi séduire6. » L’évocation simultanée du nazisme, de la mort de masse et de l’imagerie pornographique décuple ce malaise. À l’heure des porn studies7, nous voudrons moins interroger la question du genre que le processus de superposition, mis en œuvre par certains artistes, d’un imaginaire « érotico-pornographique8 » aux images du nazisme. Qu’est censée produire la monstration conjointe d’images de mort et de sexe, dans un contexte de génocide ? L’argument de la « transgression » ou de la « subversion », souvent avancé par la critique ou par les artistes eux-mêmes pour légitimer tel ou tel geste équivoque, est-il davantage qu’un simple prétexte ? Quel discours sur l’histoire et la mémoire façonnent ces représentations ? Par ailleurs, toutes choses n’étant pas égales, comment distinguer une image HISTOIRE DE L’ART N°76 2015/1

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études

Nina Mansion

Archives de l’art et de l’architecture : la contribution des sources au renouvellement disciplinaire

Parallèlement à la définition des archives en tant qu’instrument de l’État grâce à la grande Loi Archives de 19791, la seconde moitié du xxe siècle est marquée par le développement de réflexions autour du rôle et de la fonction des sources dans le champ de l’histoire, dans un contexte favorable aux mutations théoriques et aux renouvellements méthodologiques. En effet, les années 1960 et 1970 sont caractérisées par la mise en défaut d’une méthodologie de l’histoire dominée par les concepts de causalité, d’évolution, de cohérence et de continuité, auxquels des philosophes comme Michel Foucault vont opposer ceux de discontinuité, de seuils, de ruptures, de mutations, de séries. Dans ce nouveau discours de la méthode, Foucault utilise alors l’archive2 pour expliciter la manière dont l’histoire est faite de discours et de niveaux, reposant eux-mêmes sur des systèmes d’énoncés organisés « selon des a priori historiques ». L’archive devient ici l’occasion d’une réflexion sur l’histoire et ses méthodes, sur les correspondances effectives entre archives et récits, sur la « dialectique entre sources et construction disciplinaire3 » dont parle Éléonore Marantz au sujet de l’histoire de l’architecture à laquelle nous nous intéresserons ici. En effet, si les relations qui unissent archives et histoire ont été largement traitées, d’un point de vue historiographique chez Paul Ricoeur4, dans une perspective psychanalytique avec Jacques Derrida5 ou dans le sens d’une expérience sensible et personnelle telle qu’introduite par le récit d’Arlette Farge6, les apports de l’archivistique à l’histoire de l’art n’ont pas fait l’objet de beaucoup de publications. Ils ne vont pourtant pas sans poser de nombreuses questions, que cet article va chercher à soulever. L’archive est advenue en tant que fait social grâce à ces auteurs et au renouvellement épistémologique de l’histoire. Depuis quelques décennies, on assiste à un décentrement du rôle des archives mais aussi de leur champ d’intervention. Ainsi, de nouvelles disciplines venues des sciences exactes ou d’autres sciences sociales et humaines comme la psychologie, la littérature ou l’histoire de l’art – et c’est bien ce qui nous intéresse ici – ont déplacé le spectre des archives au-delà de leur fonction administrative initiale vers les sphères de la mémoire et de l’histoire, du patrimoine et de la création. Comment les archives se sont-elles constituées en outils de renouvellement de champs disciplinaires alors en construction tels que l’histoire de l’art et l’histoire de l’architecture ? De quelle manière la redécouverte de ces documents longtemps négligés a-t-elle entraîné l’expression de critiques à l’encontre des usages et des manières conventionnelles de faire l’histoire de l’art et de l’architecture, avant de permettre, voire de légitimer, la formulation de nouvelles propositions ? Autant d’enjeux disciplinaires que l’on tentera d’éclaircir, en analysant comment histoires de l’art et de l’architecture se sont, indépendamment ou conjointement, emparées de la question des archives. HISTOIRE DE L’ART N°76 2015/1

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méthode études

Monika Wagner

Les matériaux, surfaces sociales

Le degré de scepticisme et de rejet rencontré par les matériaux du quotidien lorsqu’ils sont employés dans les arts plastiques était connu bien avant le débat virulent qu’a soulevé le projet controversé de Hans Haacke : ce dernier a compilé dans la cour intérieure du Reichstag, à Berlin, de la terre venue de toute l’Allemagne, chaque député au Bundestag étant appelé à y contribuer en apportant un sac de terre1. Dès 1958, lors de la XXIXe Biennale de Venise, Henri Nannen reprochait à l’artiste italien Alberto Burri un dérapage l’amenant au « niveau intellectuel d’un vulgaire parasite du jute ou du bois » parce qu’il recourait dans ses œuvres à la toile de sacs usagés et à du placage déroulé2. Un rejet analogue fut également suscité par d’autres « matériaux non artistiques », tels que les utilise par exemple Robert Rauschenberg dans ses Combines depuis le milieu des années cinquante. Le scandale naquit tantôt du lit crasseux de Rauschenberg, tantôt du Schmierbutter [beurre étalé] de Joseph Beuys, ou encore des plaques de fer rouillées de Richard Serra3. Le reproche visant le plus souvent l’emploi de matériaux quotidiens dans l’art contemporain concerne les connotations « inférieures », qui entraveraient le plaisir artistique. Dans le détail, la critique a varié, portant d’abord sur tel matériau, puis sur tel autre4. Pourtant, malgré les objections inlassables dénonçant le recours de plus en plus fréquent, depuis les années soixante, à des matières nouvelles naguère jugées étrangères à l’art, les frontières entre les matériaux de l’art et ceux de la vie quotidienne ont aujourd’hui quasiment disparu ; néanmoins, toutes les matières ne sont pas tolérées partout. Dans certaines conditions, au terme d’une revalorisation due à leur utilisation à des fins artistiques, des déchets rejetés hors de la vie quotidienne peuvent même être recyclés par l’esthétique commerciale. Les matériaux sont des indicateurs des sensibilités sociétales, car ils emmagasinent l’histoire de leurs modes d’utilisation ; en cela, ils véhiculent déjà des codes sociaux. Il n’est pas besoin d’être un partisan de cet art du quotidien pris dans sa matérialité pour comprendre qu’un tel mouvement de transfert du pratique et du fonctionnel vers le domaine esthétique bouleverse de fond en comble l’ordre des matériaux, et par là-même leur hiérarchie, faisant bouger les limites devenues familières entre high et low, et donc entre des secteurs diversement caractérisés d’un point de vue social. En effet, les matières du quotidien ont fait entrer dans l’espace artistique l’industrie lourde, la cuisine et la décharge publique – pour ne citer que trois domaines majeurs. Sont ainsi présents des domaines menaçant de perturber le secteur des loisirs, où est aujourd’hui situé le plaisir artistique. Dans le sillage de Vladimir Tatline et de son programme d’une « culture du matériau », cette porosité des frontières a souvent été vue comme un lien entre l’art et la vie et à ce titre, elle est bel et bien voulue par les artistes. Dans leur emploi artistique cependant, les matériaux sont censés se soustraire à la rationalité instrumentale de la pure utilité. Selon leurs détracteurs, les travaux de ce genre entravent la contemplation et portent atteinte, si d’aventure ils sont transférés au musée, à l’aura de leurs voisins plus respectables. Plusieurs fois, la peur de la contagion due au « mauvais voisinage » a d’ailleurs entraîné une stricte séparation entre les œuvres, selon que les matériaux employés étaient traditionnels ou dépourvus de tradition5. HISTOIRE DE L’ART N°76 2015/1

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portfolio études

Des affiches « fin de siècle » ? Claude Baillargeon est l’auteur des affiches que voici. C’est un homme qui s’est fait luimême. Il n’est passé par aucune école d’art. Enfant, élevé par sa grand-mère dans une ferme de l’Eure, il sauvageonne dans les bois (où, en 1988, s’est enfermé le premier en date des center parcs en France : « ils m’ont volé ma nature », dit-il) Il devient un exceptionnel manuel, couteau suisse fait homme, et dessinateur, et photographe, virtuose du photomontage. Il met en scène, il appuie sur le bouton autant de fois que nécessaire, il découpe les photos, met en place et colle avec une minutie égale

à celle de Roman Cieslewicz ou de Jacques Prévert. Chacune de ses images raconte une histoire. C’est aussi un conteur, un poète. Jusqu’en 1982/83, Claude réalise des affiches de conviction, remarquables, pour le parti socialiste, jusqu’à ce que les agences de com’ ne l’évincent et ne l’éloigne la nouvelle situation politique. Il va ensuite, d’association en association, de ville en ville, de musée en musée... aller saisir des occasions d’exprimer ses convictions d’émancipation humaine. Claude Baillargeon est un auteur. Il affronte l’avenir.

Le compagnonnage, 1994, projet pour le Musée des Arts et Traditions Populaires. HISTOIRE DE L’ART N°76 2015/1

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Rever demain, 1994, affiche 60 x 80 cm, offset, Bibliothèque de Documentation et d’Information Contemporaine.

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Des affiches « fin de siècle » ?


1. Centre de vacances, ville de Montreuil, 1985, affiche 60 x 80 cm, offset, Ville de Montreuil-sous-Bois. 2. Rever demain, 1994, affiche 60 x 80 cm, offset, Bibliothèque de Documentation et d’Information Contemporaine.

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Des affiches « fin de siècle » ?



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