Jean Dewasne Extrait

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COUVERTURE ET RABATS, PAGES 1,2 ET 224 : JEAN DEWASNE LA LONGUE MARCHE, 1969 14 SÉRIGRAPHIES SUR PAPIER ÉDITION GALERIE LAHUMIÈRE 50 X 74 CM DÉPÔT DE L’ÉTAT, SERVICE DES MUSÉES DE FRANCE, DONATION JEAN DEWASNE MUSÉE DÉPARTEMENTAL MATISSE, LE CATEAU-CAMBRÉSIS AUX PAGES : 15, 107, 129, 141, 167, 183 ET 199 SONT REPRODUITS SUCCESSIVEMENT DES DÉTAILS DES PLANCHES 1, 2, 4, 6, 8, 9 ET 14 DE CETTE ŒUVRE

JEAN DEWASNE RÉPARANT PROMÉTHÉE (AVRIL-MAI), 1966, KUNSTHALLE DE BERNE DÉPÔT DE L’ÉTAT, SERVICE DES MUSÉES DE FRANCE, DONATION JEAN DEWASNE. COLLECTION MUSÉE DE CAMBRAI



Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture et de la Communication/Direction générale des patrimoines/Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État Ce catalogue accompagne les trois expositions qui vont se dérouler successivement : • au musée départemental Matisse : Dewasne, la couleur construite, De l’Antisculpture à l’architecture, du 22 mars au 9 juin 2014. Commissariat général Patrice Deparpe, conservateur adjoint, musée départemental Matisse ; • au musée de Cambrai : Dewasne, vers une peinture plane, 1939-1989, du 26 juin au 28 septembre 2014. Commissariat Sara Smah, • au LAAC, musée de Dunkerque : La donation Jean Dewasne, du 11 octobre 2014 au 15 février 2014. Commissariat Aude Cordonnier, conservatrice en chef, musées de Dunkerque. Il vise à remercier Mythia Dewasne, épouse de l’artiste, de l’importante donation qu’elle vient de consentir à plusieurs musées français. Par ce don d’un intérêt majeur, Mythia Dewasne va permettre un enrichissement considérable des collections publiques françaises, et surtout, une redécouverte du rôle incontournable tenu par Jean Dewasne dans le paysage artistique à partir des années 1940. Son immense générosité donne la possibilité de montrer des œuvres essentielles à la compréhension de l’art construit qui, pour certaines, n’ont plus été exposées depuis 40 ans. Que Madame Dewasne trouve ici l’expression de notre profonde reconnaissance. Pour être rendue possible, cette donation a bénéficié du concours attentif, passionné et constant de Monsieur Gérard Galby, conseil de Madame Dewasne. Monsieur Galby a non seulement œuvré à l’organisation de cette donation,

mais par sa connaissance de Jean Dewasne, par son enthousiasme à faire connaître son œuvre, par sa disponibilité et son investissement, il a joué un rôle incontournable dans l’organisation des expositions. Nous tenions à l’en remercier infiniment. La donation Jean Dewasne a été faite à l’État, Service des musées de France, qui a ensuite ouvert une procédure de transfert de propriété des œuvres vers les musées de France. Le soutien et l’accompagnement de l’État ont été indispensables pour nous permettre la mise en place de nos actions autour de l’œuvre de Dewasne. Que la directrice du Service des musées de France, MarieChristine Labourdette, ainsi que Bruno Saunier, Lorraine Maihlo, Blanche Grinbaum-Salgas, Claire Chastainier, Thierry Bajou, François Augereau de la Direction générale des patrimoines, trouvent ici l’expression de nos sincères remerciements. De même, la Direction régionale des Affaires culturelles du NordPas-de-Calais, par sa permanente et efficace attention, a rendu possibles nos actions. Nous en remercions vivement sa directrice, Madame De la Conté, et Madame Myriam Boyer, conseiller pour les musées. Ce catalogue, premier ouvrage publié depuis celui consacré par la Galerie Lahumière à Jean Dewasne, se veut le trait d’union entre nos expositions. Nous en remercions chaleureusement les auteurs : Mythia Dewasne, Lydia Harambourg, Ariane Coulondre, Céline Berchiche, Ann Hindry, Sara Smah, Patrice Deparpe, ainsi

que Jacqueline et Jean-Étienne Grislain, Nicolas Neumann et toute l’équipe des éditions Somogy. La recherche documentaire et iconographique a été particulièrement importante et complexe. Je remercie tout particulièrement ceux et celles qui, par leur concours scientifique, leurs connaissances et leurs conseils ont permis de mener à bien cette recherche : Didier Schulmann, directeur, Stéphanie Rivoire, Brigitte Vincens, Bibliothèque Kandinsky, Centre Georges Pompidou, Paris ; les archives de Madame Dewasne, les archives du musée de Cambrai, les archives du LaM, Villeneuve-d’Ascq ; la mémoire de Jean-Claude et Anne Lahumière ainsi que les archives de la Galerie Lahumière, Paris ; les archives de la Galerie Denise René, Paris, les archives de la Galerie Obadia, Paris ; Catherine Arborati, Vicki Macgregor, Rogers Stirk Harbour + Partners, Londres ; Stefania Canta, Renzo Piano Building Workshop, Gênes, Italie ; Bo Lidegaard, rédacteur en chef et Peter Michael Hornung, rédacteur Culture, journal Politiken, Copenhague, Danemark ; Katja Vinther, Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhague ; Laurence Tilliard, conservateur, et Frédéric Bodet, conservateur, musée national de la Céramique, Sèvres ; Maël Bellec, conservateur au musée Cernuschi, Paris. Pour enrichir le propos de l’exposition, le concours de prêteurs privés et institutionnels est indispensable. Leur générosité, leur aide et leur confiance permettent la réalisation de nos projets. Aussi, je tiens à remercier sincèrement et très chaleureusement pour leur

précieux concours les prêteurs particuliers, les musées et galeries ainsi que leurs directeurs, au premier rang desquels : Gérard Galby, Paris Galerie Lahumière, Paris Anne et Jean-Claude Lahumière Diane Lahumière Galerie Obadia, Paris Nathalie Obadia Maïmiti Cazalis Musée des Beaux-Arts, Cambrai Société des Amis du Musée de Cambrai Florence Albaret-Gilson directrice des Affaires culturelles Tiphaine Hébert, chargée de communication Musée des Beaux-Arts, Dunkerque Aude Cordonnier, conservateur en chef Pauline Lucas, régisseur des œuvres LaM - Lille Métropole Musée d’Art moderne, d’art contemporain et d’art brut, Villeneuve-d’Ascq Sophie Lévy, directrice conservatrice Marc Donnadieu, conservateur Peggy Podemski, régisseur des œuvres MNAM - Musée national d’Art moderne - Centre de création industrielle, Paris Alain Seban, président Bernard Blistène, directeur Ariane Coulondre, conservateur Olga Makhroff, conservateur L’Adresse, Musée de La Poste, Paris Pascal Rabier, conservateur Monika Nowacka, chargée de conservation des collections philatéliques Marie-Elisabeth Ballet-Dadouche, régisseur des œuvres

Statens Museum for Kunst, National Gallery of Denmark Dorthe Aagesen, Curator, Senior Researcher Karoline Hvalsøe, Registrar Assistent Centre national des Arts plastiques, Paris Richard Lagrange, directeur Musée des Beaux-Arts de Caen Patrick Ramade, conservateur en chef Caroline Joubert, conservateur Ministère de l’Égalité des Territoires et du Logement Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie Vincent Mazauric, secrétaire général des Ministères, JeanFrançois Morel, sous-directeur, Françoise Sappin, chargée de mission, Tour Sud, La Grande Arche de la Défense, Paris Le développement du musée départemental Matisse, la richesse de son programme d’expositions, la diversité de ses actions exigent une volonté et un engagement sans faille. Que soient ici remerciés le Conseil général du Nord et plus particulièrement Patrick Kanner, président du Conseil général du Nord, Françoise Polnecq, viceprésidente du Conseil général du Nord chargée de la Culture, Laurent Coulon, conseiller général du Canton du Cateau-Cambrésis, vice-président chargé du Tourisme et du Sport, qui soutiennent le musée et lui apportent les conditions de son rayonnement.

Cette exposition bénéficie du soutien, du mécénat et du concours amical de partenaires attentifs à nos réalisations. Je remercie particulièrement la banque Crédit du Nord représentée par Henri Rogeau, directeur régional. L’exposition bénéficie du concours des Amis du musée Matisse du Cateau-Cambrésis, qui apportent un soutien inestimable à la communication et aux manifestations du musée. J’en remercie amicalement son président, Jean-Marie Faugeroux, les membres du bureau et l’ensemble des adhérents. J’ai, en plus de cordiaux remerciements à l’ensemble des collègues des services du département du Nord, une pensée particulière pour le personnel du musée départemental Matisse et leur compétent et indéfectible soutien dans l’organisation de l’exposition et la réalisation du catalogue : Carrie Pilto, direction ; François Delcroix, administration générale ; AnneSophie Bermonville, coordination des prêts, suivi du catalogue, documentation ; Louise Boisson, régie des œuvres ; Éric Langer, régisseur technique, et son équipe, montage de l’exposition ; Benoît Lamotte, Fabian François, direction technique ; Laetitia Messager, Stéphany Durieux, communication et tourisme ; Sandrine Baivier, encadrement et photothèque ; Emmanuelle Macarez, médiation, et les médiateurs ; Sandrine Mailliez, secrétariat ; Nathalie Gaillet, Magali Demuynck, Isabelle Sabattier, secrétariat et comptabilité ; ainsi que l’ensemble du personnel d’accueil et de surveillance du musée.


jean dewasne DIRECTION D ’OUVRAGE : PATRICE DEPARPE


6 L’exposition « Dewasne, la couleur construite. De l’Antisculpture à l’architecture », présentée au musée départemental Matisse du Cateau-Cambrésis, musée de France, répond pleinement aux critères d’une « Exposition d’intérêt national » par la qualité scientifique du projet et le caractère innovant des actions de médiation culturelle qui l’accompagnent.

The exhibition “Dewasne, Constructed Color, from Antisculpture to Architecture” presented at the Musée Départemental Matisse in Le CateauCambrésis, one of the Musées de France, fully meets the criteria of an “Exhibition of National Importance” for the scientific quality of the project and the innovative nature of the cultural mediation that accompanies it.

Elle intervient dans le cadre d’une récente donation de l’atelier de Jean Dewasne faite à l’État par son épouse Mythia Dewasne. Considérant le vif intérêt d’un certain nombre de musées de France pour l’œuvre de l’artiste, l’État, par le biais du Service des musées de France, a souhaité enrichir les collections de quinze musées dont le musée départemental Matisse.

It takes place within the framework of a recent donation of Jean Dewasne’s studio made to the State by his wife Mythia Dewasne. Considering the strong interest of several French museums in the artist’s work, the State, through the intermediary of the organization Musées de France, wished to enrich the collections of 15 museums, among them the Musée Départemental Matisse.

Complémentaire de l’importante collection d’œuvres d’Herbin présentée au CateauCambrésis, cette donation offre la possibilité d’une nouvelle approche du passage de l’abstraction géométrique à l’art construit, permettant l’étude des relations entre création artistique, architecture, recherches scientifiques et applications industrielles. Par les ponts qu’il a su édifier entre ces différents univers, Jean Dewasne favorise la multiplication d’actions de médiation auprès de publics parfois éloignés du musée Matisse, notamment pour les personnes travaillant dans la production industrielle.

Complementing the important collection of works by Herbin presented at Le Cateau-Cambrésis, this donation offers the possibility of a new approach to the transition between geometric abstraction and constructed art, allowing the study of the relationships between artistic creation, architecture, scientific research, and industrial applications. Through the bridges he knew how to build between these different worlds, Jean Dewasne’s work allows mediation with the very broadest public.

« Dewasne, la couleur construite. De l’Antisculpture à l’architecture » et le catalogue qui l’accompagne rappellent le rôle prépondérant joué par Jean Dewasne sur la scène artistique nationale et internationale. Cette exposition d’intérêt national répond à une préoccupation commune entre cet artiste majeur du XXe siècle et le ministère de la Culture et de la Communication : rendre la culture accessible au plus grand nombre et aller à la rencontre de tous les publics.

“Dewasne, Constructed Color, from Antisculpture to Architecture” and the accompanying catalogue recall the important role played by Jean Dewasne on the national and international stage. This “Exhibition of National Importance” responds to a common desire shared by this major 20th-century artist and the Ministry of Culture and Communication: to make culture accessible to the greatest number and to reach out to all publics.

Aurélie FILIPPETTI

Ministre de la Culture et de la Communication


7 L’importance de cette nouvelle exposition organisée par le musée départemental Matisse vient d’être soulignée par l’obtention du label « Exposition d’intérêt national », décerné par le ministère de la Culture et de la Communication. Cette récompense souligne l’ampleur du travail scientifique effectué en parallèle de l’enrichissement des collections. Elle vient aussi couronner la qualité et la pertinence du travail de médiation engagé auprès de tous les publics, faisant de ce musée un véritable passeur de culture. L’exposition « Dewasne, la couleur construite, de l’Antisculpture à l’architecture » est élaborée dans le cadre de la récente donation de l’atelier de Jean Dewasne faite à l’État par son épouse Mythia Dewasne. Le musée Matisse a reçu 5 œuvres exceptionnelles : l’Antisculpture, série des Cerveaux Mâles, 14 sérigraphies de la série La Longue Marche, 9 sérigraphies de Grenoble 72, la sculpture L’Enfant de chœur et l’ensemble de 32 panneaux que constituent l’Habitacle Rouge. Cette donation permet également au musée Matisse d’organiser dans le Nord, département natal de Dewasne, une exposition en coopération avec les musées des Beaux-Arts de Cambrai et le LAAC de Dunkerque. Jean Dewasne, né à Hellemmes-Lille en 1921, est un des maîtres de l’abstraction constructive française. Après des études classiques et musicales très poussées, il s’inscrit à l’École des Beaux-Arts de Paris où il fréquente les ateliers d’architecture. Il se tournera ensuite vers la peinture et militera ardemment pour l’abstraction. En 1946, année où il contribuera à la création du Salon des Réalités Nouvelles aux côtés d’Auguste Herbin, il recevra le prix Kandinsky. Dewasne a conçu un œuvre d’une puissante modernité où se conjuguent arts plastiques, architecture, musique, mathématiques, urbanisme et industrie. Toute sa vie, il privilégie les formes géométriques dynamiques et les couleurs vives en aplats, agencées selon des rythmes complexes en dehors de toute référence au réel et de toute illusion de la troisième dimension. Novateur, il détourne carrosseries et squelettes manufacturés pour expérimenter ses Antisculptures. L’art de Dewasne se caractérise par l’abandon de la peinture à l’huile au profit de matériaux techniques et industriels, à la recherche d’un nouveau langage plastique. Il parvient au sommet de son art avec les compositions des 4 Murales de la Grande Arche de la Défense, des métros de Rome et de Hanovre, ou encore dans la conception des couleurs du Centre Pompidou à Paris qu’il désigne comme sa plus grande Antisculpture. Avec ma collègue Françoise Polnecq, vice-présidente du Conseil général du Nord chargée de la Culture, je vous invite à découvrir l’exposition réalisée autour de cette donation Dewasne qui, de nouveau, participe au développement du musée départemental Matisse. Cet enrichissement de notre patrimoine permet de faire vivre ce lieu culturel d’exception.

The importance of this new exhibition organized by the Musée Départemental Matisse has just been confirmed by the award of the label “Exhibition of National Importance” by the Ministry of Culture and Communication. This designation highlights the breadth of the scientific work carried out in parallel to enriching the collections. It also honors the quality and the pertinence of the work of public mediation undertaken by the museum, making it a true transmitter of culture. The exhibition “Dewasne, Constructed Color, from Antisculpture to Architecture” comes within the framework of the recent donation of Jean Dewasne’s studio made to the State by his wife Mythia Dewasne. The museum has received five exceptional works: the Antisculpture from the Male Brains series, 14 screenprints from The Long March series, nine screenprints from Grenoble 72, the sculpture Choirboy, and the group of 32 panels that make up Red Container. This donation has also enabled the Matisse museum to organize an exhibition in collaboration with the Musée de Beaux-Arts in Cambrai and the LAAC in Dunkerque, in the the département of the Nord, where Dewasne was born. Jean Dewasne, born in Hellemmes near Lille in 1921, is one of the masters of French constructive abstraction. After extensive classical and musical studies, he enroled at the Ecole des Beaux-Arts in Paris, where he attended the architecture courses. He next turned towards painting and militated ardently for abstract art. In 1946, the year when he contributed to the creation of the Salon des Réalités Nouvelles alongside Auguste Herbin, he was awarded the Kandinsky Prize. Dewasne conceived a powerfully modern oeuvre, where fine art, architecture, music, mathematics, urbanism, and industry meet. All his life, he privileged dynamic geometrical forms and bright colors in flat tints, arranged according to complex rhythms without any references to reality or illusion of depth. An innovator, he transformed car chassis—manufactured skeletons—to experiment his Antisculptures. Dewasne’s art is characterized by his abandon of oil paint for technical and industrial materials that underlie his search for a new visual language. He attained the summit of his art with the competitions for the four murals for the Grande Arche de la Défense, the Rome and Hanover subways, and the conception of the colors of the Centre Pompidou, which he described as his largest Antisculpture. With my colleague Françoise Polnecq, vice-president of the Conseil général du Nord, responsable for culture, I invite you to discover the exhibition created around the Dewasne donation and which contributes to the development of the Musée Départemental Matisse. This enrichment of our heritage allows us to sustain an exceptional cultural site.

Patrick KANNER Président du Conseil général du Nord


AVANT-PROPOS

MUSÉE DES BEAUX ARTS CAMBRAI DEWASNE, VERS UNE PEINTURE PLANE 1939-1989 28 juin - 28 septembre 2014

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MUSÉE MATISSE, LE CATEAU-CAMBRESIS JEAN DEWASNE, LA COULEUR CONSTRUITE DE L’ANTISCULPTURE À L’ARCHITECTURE 22 mars - 9 juin 2014 « Jean Dewasne, la couleur construite. De l’Antisculpture à l’architecture », exposition organisée au musée départemental Matisse du 22 mars au 9 juin 2014, présente la récente donation reçue d’œuvres de Jean Dewasne. Mythia Dewasne, épouse de l’artiste, vient de consentir, par le biais de l’État, un don important dont une réalisation majeure, Habitacle Rouge. Il était important que le musée départemental Matisse puisse présenter des œuvres de Dewasne tant le travail de cet artiste majeur de l’abstraction construite s’inscrit dans la continuité d’Auguste Herbin, maître quant à lui de l’abstraction géométrique. En effet, le musée possède et présente la plus importante collection d’œuvres d’Herbin, artiste natif du Nord (à proximité du Cateau-Cambrésis), tout comme Dewasne, originaire d’Hellemmes près de Lille. En cela, et par le respect qu’il lui portait, Jean Dewasne est également proche de Matisse, né au CateauCambrésis où il a fondé son musée. L’exposition consacrée à Henri Matisse, il y a quelques mois au musée départemental, traitait

de « La couleur découpée » dans son travail,

Jean Dewasne, peintre du Nord disparu en

aujourd’hui « La couleur construite » de Jean

1999, a consacré cinquante ans de sa vie

Dewasne vient compléter l’important travail

à l’art abstrait. À la fois praticien et théoricien,

de recherche commencé avec « La couleur

il développe son propre système artistique

géométrisée » d’Auguste Herbin.

dès la fin des années 1940 et n’a de cesse

Cette continuité dans le travail mené par le

de poursuivre dans la voie qu’il a dessinée.

musée départemental Matisse trouve également

Apprécié ou non, Jean Dewasne est un artiste

sa logique dans une de ses particularités :

incontournable du courant abstrait. Néanmoins,

présenter au public des espaces transformés

peu de ses œuvres étaient jusqu’à présent

par les artistes eux-mêmes, faisant ainsi vivre une

conservées

dans

les

collections

publiques

expérience unique. La salle à manger de Tériade décorée par Matisse et Giacometti, le plafond de la chambre de Matisse sur lequel il a dessiné ses trois petits-enfants, les deux panneaux de papiers découpés d’Océanie, le ciel et Océanie, la mer qui sont en fait les murs de l’appartement parisien de Matisse, le cabinet des dessins qu’il avait si méticuleusement agencé pour raconter une vie de travail, le vitrail Joie, les Totems et le piano d’Herbin, autant d’espaces qui placent le spectateur au cœur de processus créatifs, le plonge dans une espèce d’œuvre d’art totale,

françaises. Avec la donation Jean Dewasne,

à l’image de ce qu’a voulu faire Dewasne avec

nous

Habitacle Rouge, son Antisculpture pénétrable.

d’étude important et inédit. Le fonds conservé

Force est de constater qu’avec cette donation

au musée de Cambrai est composé de

reçue, Jean Dewasne va enrichir le champ des

centaines de dessins, notamment ceux réalisés

possibles au musée départemental Matisse.

dans sa jeunesse, de sérigraphies et d’une

Patrice Deparpe Commissaire de l’exposition

disposons

aujourd’hui

d’un

matériel

sélection d’œuvres picturales représentatives de sa production, comme Studio Pôle ou les quatre

panneaux

reproduisant

la

peinture

murale pour la Grande Arche de la Défense. Ce fonds vient considérablement enrichir la collection d’abstraction géométrique du musée de Cambrai composée d’artistes de premier plan comme Marcelle Cahn, Aurélie Nemours, Auguste Herbin,

Geneviève Claisse, Sonia


9 Delaunay, Joan Palà et Guy de Lussigny pour ne

musées de France de les répartir dans une

citer qu’eux.

douzaine de musées, la Ville de Dunkerque a

Le musée de Cambrai propose du 28 juin au

acquis douze œuvres de l’artiste. Cet ensemble

28 septembre l’exposition « Dewasne, vers

vient enrichir de manière significative la collection

une peinture plane, 1939-1989 » qui retrace

du LAAC dont le fonds consacré à l’art d’après

l’ensemble de sa carrière, depuis ses années

la Seconde Guerre mondiale est l’un des plus

de formation à l’École des Beaux-Arts de Paris

importants dans les musées français.

dans les années 1930, jusqu’aux années 1980.

L’ensemble des peintures et des estampes

À travers des œuvres graphiques, des peintures,

offert au LAAC illustre parfaitement l’art de Jean

des Antisculptures et des archives issues de

Dewasne qui, durant toute sa vie, privilégia les

son atelier, l’exposition montre le passage

formes simples aux couleurs vives, agencées

vers l’abstraction et les nouvelles possibilités

selon des rythmes complexes.

artistiques imaginées par Jean Dewasne.

Trois estampes font écho aux deux œuvres

Sara Smah Commissaire de l’exposition

de Dewasne déjà conservées au LAAC ; elles confortent la représentation de l’art abstrait géométrique de la seconde moitié du

XX

e

siècle

au sein du cabinet d’arts graphiques du musée

LAAC DUNKERQUE LA DONATION JEAN DEWASNE 11 octobre 2014-15 février 2015 Grâce à la générosité de Madame Jean Dewasne, qui a offert à l’État en 2011 la majeure partie des œuvres de son époux dont elle était héritière, et au choix fait par le service des

qui conserve déjà de nombreuses œuvres de Sonia Delaunay, César Domela, Auguste Herbin, Alberto Magnelli ou encore Victor Vasarely. Deux peintures à la laque glycérophtalique sur panneau, dont une inachevée, une peinture sur soie, Liberté en soi, et deux petites sculptures en verre témoignent du désir de l’artiste d’expérimenter de nouvelles techniques de peinture et de nouveaux matériaux, et de leur impact sur la couleur et la forme.. La Ronde-bosse et l’Antisculpture de la série des Cerveaux Mâles, réalisées à partir d’éléments de carrosserie automobile, participent de cette même recherche. En remplaçant les matériaux et les techniques traditionnels par des laques glycérophtaliques et des supports métalliques, Dewasne

rivalise

avec

les

techniques

du

monde de l’industrie qui le fascine. Les quatre gouaches sur papier, Ordinateurs Renault, liées à la réalisation entre 1973 et 1974 d’un mural de plusieurs mètres de long pour le siège de

Renault, dit le Siège du Point-du-Jour à BoulogneBillancourt,

s’inscrivent

dans

cette

même

volonté de relier art et industrie. Ces œuvres entrent en résonance directe avec le territoire de

Dunkerque

profondément

marqué

par

l’implantation d’Usinor au début des années 1960 et le développement industriel et portuaire sans précédent qui s’ensuivit. Elles viennent dialoguer avec les œuvres des Nouveaux Réalistes, Arman et César, nombreuses dans la collection du musée, et font écho à l’œuvre icône du LAAC, Car Crash (1963) d’Andy Warhol. Enfin, la petite œuvre, Gai gai marions-nous, l’une des premières Antisculptures de l’artiste, souligne, par la reprise d’un refrain de chanson populaire, l’intérêt de Jean Dewasne pour la musique, très présente dans la programmation du LAAC. Aude CORDONNIER Conservatrice en chef Commissaire de l’exposition


FOREWORDS 10

The exhibition devoted to Matisse a few months ago at the Musée Départemental, treated

MUSÉE DES BEAUX ARTS CAMBRAI

“Cutting-Up Color” in his work, today Jean Dewasne’s the

“Constructed

important

research

Color”

completes

begun

with

“The

Geometricized Color” of Auguste Herbin.

JEAN DEWASNE, TOWARDS FLAT PAINTING 1939-1989 June 28-September 28, 2014

This continuity in the work of the Musée

MUSÉE MATISSE, LE CATEAU-CAMBRESIS JEAN DEWASNE, CONSTRUCTED COLOR. FROM ANTISCULPTURE TO ARCHITECTURE March 22-June 9, 2014

Départemental Matisse also finds a logic in one

Jean Dewasne, painter from the north of France

of its specificities: the presentation to the public

who died in 1999, devoted 50 years of his life

of spaces transformed by the artists themselves,

to abstract art. Both practician and theorist, he

providing a unique experience.

developed his own artistic system at the end

Tériade’s dining room decorated by Matisse and Giacometti, the ceiling of Matisse’s bedroom on which he drew his three grandchildren, the two cut-out paper panels Oceania, the Sky and Oceania, the Sea, which are in fact the walls of Matisse’s Paris apartment, the room of drawings

“Jean Dewasne, Constructed Color. From

that he had meticulously arranged to present

Antisculpture to Architecture,” exhibition at the

a lifetime’s work, and Herbin’s stained-glass

Musée Départemental Matisse from March 22

window Joy, Totems, and piano are all spaces

to June 9, presents the recent donation of works

that place the spectator at the heart of the

by Jean Dewasne. Mythia Dewasne, the artist’s

creative process, plunged in a form of total art,

wife, has consented an important donation,

similar to what Dewasne wanted to do with his

through the intermediary of the State, including

Red Container, his enterable Antisculpture.

the major work, Red Container. It was important

It should be noted that with this donation, Jean

that the museum could present the works of

Dewasne will enrich the sphere of possibilities of

Dewasne, so well does the work of this major

the Musée Départemental Matisse.

figure of constructed abstraction fall within the

of the 1940s and never ceased to pursue the route he had laid out. Appreciated or not, Jean Dewasne is an indisputable figure of abstract art. Nonetheless, until now few of his works have been in French public collections. With the Jean

continuity of that of Auguste Herbin, master of

Patrice Deparpe

geometric abstraction. The museum possesses

Dewasne donation, we today have important

Curator of the exhibition

and previously unseen study material. The

the most important collection of works by Herbin, a native of the Nord département (from near Le Cateau-Cambrésis), like Dewasne, originally from Hellemmes, near Lille. In this, and through the respect he had for him, Jean Dewasne is also close to Henri Matisse, born in Le Cateau-Cambrésis where he founded his museum.

collection conserved in the Cambrai museum is made up of hundreds of drawings, notably those done in his youth, screenprints, and a selection of pictorial works characteristic of his output, such as Studio Hub and the four panels reproducing the mural at the Grande Arche de la Défense. These holdings considerably enrich the collection of geometrical abstraction in the


Cambrai museum, comprising first-rate artists

her husband, and to the decision made by the

including Marcelle Cahn, Aurélie Nemours,

directors of the group of Musées de France to

Auguste Herbin,

Geneviève Claisse, Sonia

distribute them between a dozen museums, the

Delaunay, Joan Palà, and Guy de Lussigny to

town of Dunkerque has acquired 12 works by

mention just a few.

the artist. This group will significantly enrich the

From June 28-September 28 2014, Cambrai

collection of the LAAC, which possesses one of

museum presents the exhibition “Jean Dewasne,

the most important holdings of postwar art in a

Towards

French museum.

Flat

Painting,

1939-1989,”

which

retraces his whole career, from his student

The group of paintings and prints offered to

years at the Ecole des Beaux-Arts in Paris in the

the LAAC perfectly illustrates the art of Jean

1930s up to the 1980s. Through graphic works,

Dewasne, who, throughout his life, privileged

paintings, Antisculptures, and the archives from

simple,

his studio, the exhibition shows the route towards

according to complex rhythms.

abstraction and the new artistic possibilities

Three prints echo the two works by Dewasne

imagined by Jean Dewasne.

already in the LAAC collection; they strengthen

brightly

colored

forms,

arranged

the array of geometrical abstract art from the Sarah Smah

second half of the 20th century in the museum’s

Curator of the exhibition

graphic art department, which already holds numerous works by Sonia Delaunay, César Domela, Auguste Herbin, Alberto Magnelli, and

LAAC DUNKERQUE

Victor Vasarely. Two paintings in glycerophtalic gloss paint, one

THE JEAN DEWASNE DONATION October 11, 2014-February 15, 2015

of them unfinished, a painting on silk, Liberty in Itself, and two small sculptures in glass testify to the artist’s desire to experiment with new painting

Thanks to the generosity of Madame Jean

techniques and new materials, and their impact

Dewasne, who in 2011 offered the State the

on color and form.

majority of the works she had inherited from

The sculpture in the round and the Antisculpture from the Male Brains series, made from pieces of automobile bodies, form part of this same research. In replacing traditional materials and techniques by glycerophtalic gloss paint and metal supports, Dewasne rivalled the techniques of the industrial world that fascinated him. The four gouaches on paper, Renault Computers, linked to his creation in 1973-74 of a mural several meters long for the Renault headquarters in Boulogne-Billancourt, form part of this same desire to link art and industry. These

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works have a direct resonance with Dunkerque, which was strongly marked by the arrival of the Usinor steelworks at the beginning of the 1960s and the unprecedented industrial and port development that followed. They dialogue with numerous works in the museum by the Nouveaux Réalistes, Arman and César, and with the LAAC’s iconic work, Car Crash (1963) by Andy Warhol. Finally, the small work, Gay Gay Let’s Marry, one of the artist’s first Antisculptures, underlines through its adoption of the chorus of a popular song, Jean Dewasne’s interest in music, ever present in the program of the LAAC. Aude Cordonnier Head curator, curator of the exhibition.


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MYTHIA ET JEAN DEWASNE, NON DATÉ, NON LOCALISÉ DÉPÔT DE L’ÉTAT, SERVICE DES MUSÉES DE FRANCE, DONATION JEAN DEWASNE. COLLECTION MUSÉE DE CAMBRAI


MYTHIA KOLESAROVA-DEWASNE

PRÉFACE FOREWORD

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L’œuvre de Jean Dewasne, artiste majeur du mouvement Abstraction Géométrique, qu’il aimait lui-même qualifier de Construite, ne pouvait trouver un lieu plus propice à son rayonnement que les prestigieuses collections des musées de France.

The work of Jean Dewasne, major figure in the geometrical abstraction movement—which he himself preferred to call “constructed abstraction”— could not find a better home than the prestigious collections of the group of Musées de France.

De formation pluridisciplinaire, ayant étudié aussi bien l’architecture que la musique, la philosophie, les mathématiques et, bien sûr, les beaux-arts, il défend ses théories au sein du fameux Atelier d’art abstrait qu’il fonde dès 1946 en compagnie de son ami Edgar Pillet et qui formera nombre d’artistes venus du monde entier.

With a pluridisciplinary training, having studied architecture, music, philosophy, and maths, as well as, of course, fine art, he defended his theories through the celebrated Abstract Art Studio that he founded as early as 1946 alongside his friend Edgard Pillet and which would train numerous artists from all over the world.

Il poursuit ses recherches et rédige de nombreux écrits, publiés dans les revues les plus avant-gardistes des années d’après-guerre, encouragé par les critiques d’art et les galeries telles Denise René et Daniel Cordier qui défendent avec passion ce mouvement.

He continued his research and wrote numerous texts, published in the avant-garde reviews of the postwar era, encouraged by art critics and such galleries as Denise René and Daniel Cordier, who passionately supported this movement.

Grand théoricien de la peinture abstraite, cofondateur du Salon des Réalités Nouvelles et premier prix Kandinsky 1946, Jean Dewasne a entrepris dès l’âge de trente ans la rédaction du Traité d’une peinture plane, texte majeur et des plus pénétrants en matière d’esthétique picturale, plaidoyer pour une peinture libre, débarrassée de toute contrainte figurative, une peinture riche de formes et de couleurs au langage universel.

Grand theoretician of abstract painting, cofounder of the Salon des Réalités Nouvelles and winner of the first Kandinsky Prize in 1946, at the age of 30 Jean Dewasne began writing his Treatise on Flat Painting, a major text and one of the most perspicacious concerning the pictorial esthetic, which pleaded for free painting, liberated of all figurative constraints, a painting in a universal language rich in forms and colors.

Sa reconnaissance précoce tant par les institutions que par la critique, lui valut une notoriété qui trouva son aboutissement quand il fut choisi pour représenter la France à la Biennale de Venise en 1968.

His early recognition by both institutions and critics earned him a notoriety that reached its summit when he was chosen to represent France at the 1968 Venice Biennial.

Passionné par le monde industriel et l’inscription de son travail dans la cité, il n’aura de cesse de multiplier les œuvres monumentales planes ou tridimensionnelles ; en témoignent les murales pour l’usine Gori au Danemark (1979), le Stade de glace de Grenoble (1968), la Grande Arche de la Défense (1989) ainsi que des fresques pour les métros de Hanovre et de Rome.

Passionate about the industrial world and the integration of his work in the city, he never ceased to multiply his monumental flat and three-dimensional works; as witnessed by the murals for the Gori factory in Denmark (1979), the ice stadium in Grenoble (1968) and the Grande Arche de la Défense (1989), as well as murals for the subways in Hanover and Rome.

La donation du fonds de son atelier que j’ai consentie à l’État, trouve son aboutissement dans l’enrichissement des collections des musées, et les expositions qui lui seront consacrées participeront au rayonnement de son œuvre qu’il souhaitait inscrite dans l’intemporalité.

The bequest of his studio reserves that I granted to the French State finds its fulfillment in museum collections and the exhibitions that will be consecrated to him, participating in the diffusion of his work, which he wished enshrined in timelessness.

Je suis particulièrement honorée et sensible à l’hommage que le musée Matisse, le musée de Cambrai et le LAAC de Dunkerque rendend à Jean Dewasne à travers les expositions qui lui sont consacrées dans cette belle région du Nord dont il était originaire.

I am particularly honored and sensitive to the homage paid to Jean Dewasne by the Musée Départemental Matisse in Le Cateau-Cambrésis, the Musée de Beaux-Arts in Cambrai, and the LAAC in Dunkerque through the exhibitions devoted to him in this beautiful region of the north of France from where he came.

Que tous ceux qui ont œuvré à sa réussite trouvent ici l’expression de ma profonde reconnaissance.

May all those who have worked towards its success recognize my profound gratitude.




JEAN DEWASNE AUTOPORTRAIT PHOTOMONTAGE RÉALISÉ PAR JEAN DEWASNE, NON DATÉ DÉPÔT DE L’ÉTAT, SERVICE DES MUSÉES DE FRANCE, DONATION JEAN DEWASNE, COLLECTION MUSÉE DE CAMBRAI

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LYDIA HARAMBOURG

JEAN DEWASNE : L’AVENTURE D’UNE PEINTURE PLANE JEAN DEWASNE: THE ADVENTURE OF FLAT PAINTING

En 1946, Jean Dewasne reçoit le premier prix Kandinsky « destiné à couronner la recherche de jeunes peintres dans le domaine de l’abstraction pure ». Il a vingt-cinq ans et milite pour l’abstraction dans laquelle il s’est résolument engagé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Après des études musicales et d’architecture, suivies par un court passage à l’École des Beaux-Arts de Paris, il fréquente les ateliers de Montparnasse où les discussions enflammées alimentent « un brassage brûlant de toutes théories et de tous styles faisant surgir des ferments incroyablement féconds » et de conclure « c’était cela l’École de Paris ». Les combats artistiques entre figuration/abstraction, abstraction géométrique/abstraction lyrique sont tendus. Dewasne a choisi son camp. Il fait sa première exposition en 1941 à la galerie L’Esquisse qui organisera la première exposition posthume de Kandinsky en 1944, l’année du décès du peintre, avant la rétrospective de 1946 à la galerie Drouin. L’offensive abstraite prend ses marques dans de nouveaux lieux. Les galeries Maeght, Colette Allendy, du Verseau, Lydia Conti lui offrent ce qu’il sait être l’unique voie de la peinture moderne. Dewasne y découvre des recherches identiques aux siennes chez ses aînés, Poliakoff, De Staël, Hartung, dont le hasard objectif, selon André Breton, lui fera occuper le fauteuil à l’Académie des Beaux-Arts après son élection en 1993 à l’Institut. En 1945, la galerie Drouin présente, sous le titre « Art concret », des œuvres de Robert et Sonia Delaunay, Domela, Freundlich, Gorin, Herbin, Magnelli, Pevsner, Taueber-Arp, Van Doesburg, fondateurs en 1929 du mouvement Cercle et Carré, devenu Abstraction-Création en 1931. Dewasne les rejoint en 1946 et participe à la refonte du Salon des Réalités Nouvelles dont les bases avaient été jetées dès 1939 par Fredo Sidès. Sa présence

In 1946, Jean Dewasne was awarded the first Kandinsky Prize “destined to honor the research of young painters in the field of pure abstraction.” He was 25 and a militant in the cause of abstraction in which he had become resolutely engaged in the aftermath of World War II. After studying music and architecture, and a brief stint at the Ecole des Beaux-Arts in Paris, he frequented the artists’ studios of Montparnasse, where heated discussions fuelled “a boiling brew of all theories and all styles from which surged incredibly fertile ferments” and to conclude “that was the School of Paris.” The artistic battles between figuration/ abstraction, geometrical abstraction/lyrical abstraction were tense. Dewasne had chosen his camp. He had his first exhibition in 1941 at the Galerie L’Esquisse, which was to organize the first posthumous exhibition of Kandinsky in 1944, the year of the artist’s death, before the retrospective at the Galerie Drouin in 1946. The abstract offensive made its mark in new places. The Maeght, Colette Allendy, Verseau and Lydia Conti galleries offered him what he knew to be the sole route for modern painting. There Dewasne discovered research identical to his own among his elders, Poliakoff, De Staël, and Hartung. Dewasne— by objective chance, according to André Breton’s concept—would occupy the latter’s seat at the Académie des Beaux-Arts following his election to the Institut de France in 1993. In 1945, under the title “Concrete Art,” Galerie Drouin presented works by Robert and Sonia Delaunay, Domela, Freundlich, Gorin, Herbin, Magnelli, Pevsner, Taueber-Arp, and Van Doesburg, the founders in 1929 of the movement Cercle et Carré, renamed Abstraction-Création in 1931. Dewasne joined them in 1946 and participated in its reformulation as the Salon des Réalités Nouvelles, whose foundations had already been laid as early as 1939 by Fredo Sidès. Dewasne’s presence demonstrates the

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témoigne de la part active qu’il prend dans la dénonciation de « l’absence des abstraits dans toutes les manifestations officielles ». Une pétition datée du 12 décembre 1946 est accompagnée d’un projet de manifeste sans suite, « l’effectivisme », dans lequel Dewasne pourfend la figuration, « inutile et pernicieuse. Elle empêche le libre épanouissement de notre matériau pictural ». Les Réalités Nouvelles entendent y pallier en montrant des œuvres appelées communément art concret, art non figuratif, art abstrait et non objectif, soit « un art dégagé de la vision directe et de l’interprétation de la nature », comme le stipule le premier article des statuts. Ce qui n’est pas sans entraîner une confusion des genres qui déclenche des joutes épistolaires sous la plume des critiques. Le clivage esthétique est permanent et se complique de la ligne esthétique du Parti qui prône le réalisme socialiste, et de l’art abstrait défendu par Léon Degand. Celui-ci fait paraître le 29 novembre 1946, dans la revue Arts de France, un article titré « Progrès de l’Expressionnisme » en réponse à celui de Roger Garaudy, « Artistes sans uniformes » dans la même revue, daté du 20 novembre. En clair, les figuratifs n’ont pas le monopole de l’engagement politique. Dewasne le démontre en réalisant L’Apothéose de Marat, une immense peinture de 260 × 900 cm, en hommage à l’écrivain révolutionnaire.

active role he played in the denunciation of the “absence of abstracts in all the official exhibitions.” A petition dated December 12, 1946 was accompanied by a project for a manifesto “l’effectivisme” that came to nothing, in which Dewasne attacked figurative art: “useless and pernicious. It prevents the free flourishing of our pictorial material.” The Réalités Nouvelles intended to compensate by showing works typically described as concrete art, non-figurative art, abstract art, and non-objective art, that is, “an art removed from direct vision and the interpretation of nature,” as stipulated in the first article in its statutes. This was not without causing a certain confusion of genres that was to set off epistolary jousting in the pens of the critics. The esthetic break was permanent, and was further complicated by the esthetic line of the Communist Party, which advocated Socialist Realism, and by the abstract art defended by critic Léon Degand. On November 29, 1946, the latter published an article “Progrès de l’Expressionisme” (“The Progress of Expressionism”) in Arts de France, in response to Roger Garaudy’s article, “Artistes sans uniformes” (“Artists without Uniforms”), which had appeared in the same review, dated November 20. Clearly, figurative painters did not have a monopoly on political engagement. Dewasne demonstrated this in The Apotheosis of Marat, a huge 2.6 by 9 meter painting in homage to the Revolutionary writer.

C’est dans ce climat houleux que Dewasne contribue à poser les assises de l’art d’avant-garde. Une de ses premières peintures, La Joie de vivre (1948), contient en substance ses théories sur le plan et la forme, les illusions d’optique du chromatisme : lorsqu’un bleu et un rouge se touchent, on observe à leur intersection une ligne colorée qui provoque une vibration. Sa priorité est la capture de l’intensité maximale de la couleur en maintenant les principes de topologie. Cela exige de travailler en aplats sur un support inaltérable qui le fait renoncer à la toile. Il recourt alors à un matériau nouveau, l’Isorel, qu’un rapport récent de l’Unesco recommande aux peintres pour sa pérennité, et à des peintures industrielles, la laque glycérophtalique en pot, qu’il expérimente avec L’Apothéose de Marat, une œuvre charnière réalisée en 1951.

It was in this tempestuous atmosphere that Dewasne contributed to establishing the bases of avant-garde art. One of his earliest paintings, La Joie de vivre (1948), effectively sums up his theories on planes and forms, the optical illusions of chromatism: when a blue and a red touch each other, one can see at their intersection a colored line that sets off a vibration. His priority was to capture the maximum intensity while adhering to the principles of topology. This required working in flat areas of color on a stable support, which led him to give up canvas. He thus turned to a new material, Isorel hardboard, which a recent UNESCO report had recommended to painters for its durability, and to pots of industrial glycerophtalic oil-based gloss paint, which he tried out in The Apotheosis of Marat, a pivotal work painted in1951.

Cette recherche l’amène à interroger les objets industriels utilisés comme supports. « J’ai trouvé un arrière de voiture de course d’avantguerre dont la forme m’a intéressé. J’en ai scié la base, je l’ai mise

This research led him to examine the use of industrial objects as supports. “I found the back of a prewar racing car whose form interested me. I sawed the base, I stood it up and I realized that I


debout et je me suis aperçu que je pouvais peindre l’intérieur et l’extérieur […]. Ce n’est pas une sculpture : c’est une peinture qui, au lieu d’être sur un plan, est une surface creusée ou bombée. » Le Tombeau d’Anton Webern inaugure une longue suite d’œuvres avec lesquelles il explore les possibilités de l’espace non euclidien. En détournant de leurs fonctions des carénages de motos, des châssis de voitures et semi-remorques, dont il peint le volume comme un tableau qui aurait des bosses et des trous, il reste un peintre. Il vient d’inventer les Antisculptures, un terme qui reflète bien sa pensée. Elles développent un vocabulaire nouveau pour des émotions inconnues à partir de l’inversion des trois couleurs fondamentales qui sont, pour Dewasne, le rouge, le vert et le bleu, tandis que le jaune transparaît par oscillation.

could paint the interior and the exterior [...]. It is not a sculpture: it is a painting that, rather than being on a flat plane, is a concave or convex surface.” The Tomb of Anton Webern inaugurated a long series of works in which he explored the possibilities of non-Euclidian space. In diverting motorcycle fairings and the chassis of cars and articulated trucks from their original functions, painting the volume like a painting with bumps and holes, he remained a painter. He had just invented the Antisculptures, a term that well reflects his thought. They developed a new vocabulary for unknown emotions, beginning with the inversion of the three fundamental colors that were for Dewasne, red, green, and blue, while yellow appeared through oscillation.

Années de combat, années pionnières pour Dewasne qui clame haut et fort, sans ambiguïté : « L’abstraction est une éthique, un mode de vie qui s’adapte. » Un art constructif défendu par Denise René dans sa galerie de la rue La-Boétie ouverte fin 1944. L’abstraction essaime en Scandinavie et en Belgique avec des groupes itinérants, auxquels participe Dewasne, l’artiste phare de la galerie. Il bénéficie d’une forte audience au Danemark où il pose les problèmes de l’art abstrait au musée de Thorwaldsen, à Copenhague. En 1949, l’illustration pour la Préface à un livre futur de Lautréamont (éd. Sörensen) est un monochrome jaune. Intégré à la galerie Denise René, qu’il quittera en 1953, il participe dès 1946 à une première exposition collective aux côtés de Deyrolle (avec lequel il a partagé le prix Kandinsky), Hartung, Schneider, Arp, Poliakoff, Sonia Delaunay. Tous se retrouvent le samedi à la galerie pour des conversations passionnées qu’ils prolongent dans un café de la rue Duvivier.

The years of combat were pioneering years for Dewasne, who proclaimed high and loud, without ambiguity: “Abstraction is an ethic, a way of life that adapts.” A constructive art was defended by Denise René in her gallery opened in Paris at the end of 1944 in rue La Boétie. Abstraction spread to Scandinavia and Belgium with itinerant groups in which Dewasne, the gallery’s star artist, participated. He enjoyed a large public in Denmark, where he laid out the problems of abstract art at the Thorwaldsen Museum in Copenhagen. In 1949, his illustration for Lautréamont’s Préface à un livre futur (Preface to a Future Book, published by Sørensen) was a yellow monochrome. Integrated in Galerie Denise René’s stable of artists, which he was to leave in 1953, as early as 1946 he participated in a first group show alongside Deyrolle (with whom he had shared the Kandinsky Prize), Hartung, Schneider, Arp, Poliakoff, and Sonia Delaunay. They would all meet at the gallery on Saturdays for passionate discussions that they prolonged in a café in rue Duvivier.

L’année du prix national des Arts (1946), décerné à André Fougeron, il entérine son militantisme en faveur d’une non-figuration radicale. Il dénonce « l’absence des abstraits dans toutes les manifestations officielles ». Déjà il élabore une pédagogie de l’art d’avant-garde dont les étapes posent les assises du futur Atelier d’art abstrait. Un de ses premiers écrits, le Traité de la peinture plane (1949) publié en 1972, inaugure un appareil théorique indissociable d’une vision de la beauté contemporaine à travers ses corollaires emblématiques, l’architecture et l’industrie. Ses conférences, au Centre de recherches

In 1946, the year that the National Arts Prize was awarded to the politically engaged Socialist Realist painter [translator’s note], André Fougeron, Dewasne confirmed his militant stance in favor of a radical non-figuration. He denounced the “absence of abstracts in all the official exhibitions.” Already he was elaborating an instruction of avantgarde art of which the stages would set the bases of the future Atelier d’art abstrait (Abstract Art Studio). One of his first texts, the Traité de la peinture plane (Treatise on Flat Painting, 1949, published 1972) inaugurated a theoretical apparatus indissociable from a vision of

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JEAN DEWASNE PROJET POUR LE STADE DE GLACE DE GRENOBLE, JEUX OLYMPIQUES D’HIVER DE 1968 DÉPÔT DE L’ÉTAT, SERVICE DES MUSÉES DE FRANCE, DONATION JEAN DEWASNE, COLLECTION MUSÉE DE CAMBRAI

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de la rue Cujas, argumentent de nouvelles possibilités esthétiques en parallèle avec les recherches du dodécaphonisme et de l’atonalisme familiers à celui qui a suivi de sérieuses études musicales. Dans ce local mis à la disposition de Domela par une communauté de religieuses, sont organisées des expositions d’art abstrait qui réunissent Kandinsky, Del Marle, Deyrolle, Herbin, Hartung… En octobre 1951, Dewasne fonde le groupe Espace avec André Bloc, Béothy, Gorin, Jacobsen, Lardera, Del Marle, Prouvé, Vasarely, Claude Parent qui aspirent à une synthèse des arts dans l’urbanisme. Tous tendent vers « un art constructif qui participe à une action directe avec la communauté humaine ». Dewasne le concrétise avec la patinoire et le Stade de glace pour les jeux Olympiques de 1968 à Grenoble, et surtout avec La Longue Marche (1967), présentée en 1969 à l’ARC du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, aujourd’hui installée à la Faculté des Lettres de Lille : trente-six panneaux de cent mètres de long sur deux mètres de hauteur.

contemporary beauty through its emblematic corollories, architecture and industry. His fellow artists at the Centre de Recherches in rue Cujas, argued for new esthetic opportunities in parallel with the research into dodecaphonism and atonality that were familiar to Dewasne, who had followed serious musical studies. In these premises lent to Domela by a community of nuns, exhibitions of abstract art were organized that assembled Kandinsky, Del Marle, Deyrolle, Herbin, Hartung… In October 1951, Dewasne founded the group Espace (Space) with André Bloc, Béothy, Gorin, Jacobsen, Lardera, Del Marle, Prouvé, Vasarely, and Claude Parent, who all aspired to a synthesis of art and urbanism. They all tended towards “a constructive art that participates in a direct action with the human community.” Dewasne concretized this with the ice rink and ice stadium for the 1968 Winter Olympics in Grenoble, and, in particular, with The Long March (1967), presented at the Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris’s ARC in 1969, today installed in the Lille arts faculty: 36 panels, 100 meters long by 2 meters high.

L’activisme intellectuel et pédagogique de Dewasne sous-tend ses réalisations picturales. Avatar de l’histoire contestée de l’art abstrait après la guerre, le manifeste de 1948 des Réalités Nouvelles suscite l’année suivante le départ de tout un groupe d’artistes du Salon, dont celui de Dewasne. Sous la plume de Denys Chevalier, de Michel Seuphor mais aussi de Jean Arp, André Breton, les prises de position sont virulentes comme celles de Charles Estienne qui publie en 1950 un pamphlet, L’Art abstrait est-il un académisme ? à la suite de l’ouverture de l’Atelier d’art abstrait. En 1951, Léon Degand prend la défense de Dewasne dans un article intitulé « L’épouvantail de l’académisme abstrait » publié dans Art d’aujourd’hui.

Dewasne’s intellectual and educational activism underlies his pictorial work. An embodiment of the controversial history of postwar abstraction, the 1948 manifesto of the Réalités Nouvelles led to a group of artists, including Dewasne, resigning from the Salon the following year. Under the pens not only of Denys Chevalier and Michel Seuphor but also of Jean Arp and André Breton, the stances were virulent, like those of Charles Estienne, who in 1950 published a pamphlet L’Art abstrait est-il un académisme ? (Art Abstract is it an Academicism?) following the opening of the Atelier d’art abstrait. In 1951, Léon Degand defended Dewasne in an article titled “L’épouvantail de l’académisme abstrait” (“The Scapegoat of Abstract Academism”), published in Art d’aujourd’hui.

Installé au 14 rue de la Grande-Chaumière, l’Atelier d’art abstrait est créé à l’initiative de Jean Dewasne et d’Edgard Pillet. C’est à la demande de l’ambassade américaine que Dewasne ouvre un atelier destiné à accueillir les GI auxquels leur gouvernement alloue une bourse de quatre ans. À la fois lieu d’enseignement de la peinture et de réflexion sur l’art abstrait, l’atelier ne désemplit pas, fréquenté par des étudiants venus du monde entier. Les cours théoriques alternent avec des séances de correction confiées à des artistes comme Deyrolle, Domela, Vasarely. Cependant, la principale activité de l’atelier demeure les conférences publiques qui seront organisées

Based at 14 rue de la Grande-Chaumière, the Atelier d’art abstrait was created at the initiative of Jean Dewasne and Edgard Pillet. At the request of the American Embassy, Dewasne opened a studio destined to welcome GIs, to whom the government had allocated a grant for four years. Both place of teaching and reflection on abstract art, the studio never emptied, frequented by students from all over the world. Theoretical classes alternated with correction sessions conferred on artists, such as Deyrolle, Domela, and Vasarely. However, the studio’s main activity turned out to be the public lectures that were organized

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JEAN DEWASNE JET-UNDERGROUND 2, 1975, 110 M MÉTRO DE HANOVRE, ALLEMAGNE DÉPÔT DE L’ÉTAT, SERVICE DES MUSÉES DE FRANCE, DONATION JEAN DEWASNE, COLLECTION MUSÉE DE CAMBRAI

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d’octobre 1950 à juin 1952, initiées par des collaborateurs réguliers de la revue Art d’aujourd’hui (Léon Degand, Charles Estienne, André Bloc, Julien Alvard, R.G. Gindertael) et quelques artistes comme Del Marle, Herbin.

from October 1950 to June 1952, initiated by regular contributers to the review Art d’aujourd’hui (Léon Degand, Charles Estienne, André Bloc, Julien Alvard, R.G. Gindertael) and some artists such as Del Marle and Herbin.

Dewasne concentre son enseignement sur la « Technologie de la peinture » qui consiste en l’étude de la chimie des couleurs, la théorie sur la vision, la physiologie, la colorimétrie. Pour lui, il y a deux façons d’appréhender la couleur. La « couleur lumière », avec l’étude du spectre solaire pour en extraire les couleurs à l’état pur, et la « couleur matière », donnée par les couleurs chimiques qu’il étudie dans les ouvrages des ingénieurs de chez Philips. Grâce aux matières plastiques liquides, rapportées de Suisse et de Suède par ses élèves, la couleur pure posée au pistolet atteint un éclat maximum. Il donne des conférences en Europe, en Amérique du Sud où il expose ses Antisculptures. Lorsqu’il rentre en France en 1955, il assiste au triomphe de l’abstraction lyrique.

Dewasne concentrated his teaching on the “Technology of Painting,” which consisted of the study of the chemistry of colors, the theory of vision, physiology, colorimetrics. For him, there were two ways of understanding color: “light color,” with the study of the solar spectrum from which to extract colors in their pure state, and “matter color,” obtained by the chemical colors that he studied in works by engineers at Philips. Thanks to liquid plastic materials, brought from Switzerland and Sweden by his pupils, pure color applied with a spray gun attained its maximum brightness. He gave lectures in Europe and in South America, where he exhibited his Antisculptures. When he returned to France in 1955, he witnessed the triumph of lyrical abstraction.

En 1956, il expose chez Daniel Cordier qui a ouvert une galerie rue de Duras. L’ancien secrétaire de Jean Moulin admire le théoricien inventeur autant que le peintre qui a « baroquisé la peinture géométrique trop froide ». En 1962, il l’expose à New York. Sa donation au Centre Pompidou fait entrer dans les collections nationales plusieurs de ses œuvres capitales.

In 1956, he exhibited with Daniel Cordier, who had opened a gallery in rue de Duras. The former secretary of French Resistance leader Jean Moulin admired Dewasne as theorist and inventor as much as the painter who had “baroqued too-cold geometric abstraction.” In 1962, Cordier exhibited Dewasne in New York. Cordier’s donation to the Centre Pompidou saw several of his important works enter the national collection.

Les conquêtes plastiques de Dewasne lui permettent de réaliser des ensembles de plus en plus grands, en France et l’étranger où il est régulièrement invité. À côté de ses Antisculptures, ses sérigraphies et ses tapisseries, il faut citer parmi ses œuvres monumentales identitaires de son langage, les deux œuvres murales pour le métro de Hanovre (1975) et la Grande Arche de la Défense en collaboration avec l’architecte Otto von Spreckelsen (1985-1989), représentant au total 15 280 m2 de peinture-émail cuit à 120° sur plaque d’acier. Une œuvre toujours d’avant-garde de celui qui a élevé l’abstraction « en concrétisant un nouveau domaine des vertigineuses découvertes de la mathématique contemporaine, sœur des mondes sensoriels » en demeurant peintre.

Dewasne’s plastic conquests allowed him to realize larger and larger ensembles in France and abroad, where he was invited regularly. Beside his Antisculptures, his screenprints, and his tapestries, one must also mention among his defining monumental works, his two murals for the Hanover subway (1975) and the Grande Arche de la Défense in Paris (1985-89), in collaboration with architect Otto von Spreckelsen, representing a total of 15,280 square meters of enamel paint fired on sheet steel at 120° C. An ever avant-garde oeuvre by the person who had raised abstraction “in concretizing a new domain of the vertiginous discoveries of modern maths, sister of sensorial worlds” in remaining a painter.

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ENVELOPPE INAUGURALE (RECTO ET VERSO) POUR LE TIMBRE AURORA SET COLLECTION PARTICULIÈRE

JEAN DEWASNE AURORA-SET BON À TIRER DE LA GRAVURE DU TIMBRE, 1983 PAPIER VÉLIN D’ARCHES 11 X 14 CM COLLECTION L’ADRESSE MUSÉE DE LA POSTE, PARIS / LA POSTE

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JEAN DEWASNE AURORA-SET BON À TIRER DE L’ILLUSTRATION DU DOCUMENT PHILATÉLIQUE OFFICIEL, 1983 PAPIER VÉLIN D’ARCHES 16 X 17,8 CM COLLECTION L’ADRESSE MUSÉE DE LA POSTE, PARIS / LA POSTE


JEAN DEWASNE AURORA-SET MAQUETTE DU TIMBRE, 1983 50 X 65 CM COLLECTION L’ADRESSE MUSÉE DE LA POSTE, PARIS / LA POSTE

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JEAN DEWASNE, AVRIL-MAI 1966, KUNSTHALLE DE BERNE DÉPÔT DE L’ÉTAT, SERVICE DES MUSÉES DE FRANCE, DONATION JEAN DEWASNE. COLLECTION MUSÉE DE CAMBRAI

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PATRICE DEPARPE

JEAN DEWASNE, LA COULEUR CONSTRUITE. DE L’ANTISCULPTURE À L’ARCHITECTURE JEAN DEWASNE, CONSTRUCTED COLOR: FROM ANTISCULPTURE TO ARCHITECTURE « La collaboration avec l’architecte, c’est comme un match de boxe ; pour qu’il soit beau, réussi, on tape le plus fort l’un et l’autre ; si c’est l’architecture qui disparaît sous la peinture, tant pis pour elle ; si c’est la peinture qui disparaît sous l’architecture, tant pis pour le peintre ; mais c’est comme cela que je conçois la collaboration, et que chacun donne le maximum, il ne s’agit pas d’une petite chanson au pipeau1. »

“Collaboration with an architect is like a boxing match: for it to be beautiful, a success, you punch each other as hard as possible; if it’s the architecture that disappears under the painting, hard cheese for it; if it’s the painting that disappears under the architecture; hard cheese for the painter; but that’s how I conceive the collaboration, each one puts in their maximum, it is not a question of a little ditty on a pipe.”1

L’exposition, présentée au musée départemental Matisse du 22 mars au 9 juin 2014, vise à remercier Mythia Dewasne, épouse de l’artiste, de l’importante donation qu’elle vient de consentir, par le biais de l’État, à plusieurs musées français.Le musée départemental Matisse a ainsi reçu plusieurs œuvres très importantes dont une réalisation majeure de Jean Dewasne, Habitacle Rouge.

The exhibition presented at the Musée Départemental Matisse from March 22 to June 9, 2014 aims to thank Mythia Dewasne, the artist’s wife, for the important donation that she has recently consented, through the State, to several French museums. The Musée Départemental Matisse has thus received several very important works, among them one of Jean Dewasne’s major pieces, Red Container.

On pourrait, a priori, s’interroger sur la légitimité et l’intérêt pour le musée Matisse de recevoir des œuvres d’un des artistes les plus représentatif de l’abstraction construite. Jean Dewasne est né dans le Nord (le 21 mai 1921, à Hellemmes près de Lille), tout comme Matisse et Herbin mais cela n’est bien entendu pas « suffisant » pour justifier son intégration dans les collections du musée départemental.

One could, a priori, question the legitimacy and interest for the Matisse museum in receiving works by one of the artists most representative of constructed abstraction. Jean Dewasne was born in the Nord département (May 21, 1921, in Hellemmes near Lille), as were Matisse and Herbin, but that is evidently not enough to justify his inclusion in the collections of the museum.

En revanche, sa proximité avec Auguste Herbin, soulignée par Céline Berchiche dans son texte « Herbin - Dewasne, un même idéal2 », est essentielle, le musée Matisse exposant également la plus importante collection d’œuvres d’Herbin. Maître de l’abstraction, fondateur des salons Abstraction–Création et Réalités Nouvelles, Herbin joue un rôle important dans le parcours de Dewasne, celui-ci s’inscrivant dans une continuité de recherche sur l’abstraction géométrique. Jean Dewasne

On the other hand, his closeness to Auguste Herbin, as emphasized by Céline Berchiche in her text “Herbin - Dewasne, A Shared Ideal”2 is essential, as the Matisse museum also displays the most important public collection of Herbin’s works. Master of abstraction, founder of the Abstraction–Création and Réalités Nouvelles salons, Herbin plays an important role in the career of Jean Dewasne, who engaged in a continual research into geometrical abstraction.

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JEAN DEWASNE DANS SON ATELIER, DEVANT UN PANNEAU DE LA GRANDE ARCHE DE LA DÉFENSE, NON DATÉ DÉPÔT DE L’ÉTAT, SERVICE DES MUSÉES DE FRANCE, DONATION JEAN DEWASNE. COLLECTION MUSÉE DE CAMBRAI

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a beaucoup de respect pour Herbin, « homme d’une honnêteté, d’une intransigeance extraordinaire3 » mais il entend dépasser la notion « d’abstraction géométrique » trop « exiguë » pour lui. Dans un texte manuscrit de six pages, « Situation de l’art abstrait en France4 », il écrit : « Les premiers abstraits ont commencé à inventorier le nouveau vocabulaire plastique. Leurs œuvres sont obligatoirement simples et d’apparence sommaires : Formes sobres et géométriques, couleurs primaires. » Pour lui, Herbin est « prisonnier » de son alphabet

Dewasne greatly respected Herbin, “man of an extraordinary honesty and intransigence”3 but he set out to go beyond the notion of “geometrical abstraction” that he found too limited. In a sixpage handwritten text, “Situation of Abstract Art in France,”4 he writes: “The first abstract artists began to inventory the new formal vocabulary. Their works are necessarily simple and basic looking. Sober, geometric forms, primary colors.” For him, Herbin was a “prisoner” of his visual alphabet, it was therefore up to him “with


plastique, il lui revient donc avec « l’apport des jeunes abstraits du groupe Denise René […] d’élargir ce vocabulaire, de le rendre plus varié et plus souple5 ». Pour Dewasne, la récente reconnaissance de la pertinence de leurs recherches par le grand public et les milieux officiels répare « d’anciennes injustices » et ainsi, « anciens et jeunes abstraits reçoivent presque en même temps les mêmes honneurs6 ».

the support of the young abstracts of the Denise René group [...] to widen this vocabulary, and render it more varied and flexible.”5 For Dewasne, the recent recognition of the pertinence of their research by both general public and official circles repaired “earlier injustices” and, thus, “old and young abstracts receive the same honors at almost the same time.”6

Présenter les œuvres de Jean Dewasne dans le prolongement de celles d’Herbin s’inscrit dans une évidente logique. S’il fallait trouver une raison supplémentaire pour justifier ce choix, l’admiration portée par Dewasne à Henri Matisse pourrait être également soulignée. Ainsi, que ce soit dans son ouvrage Traité d’une peinture plane, ou lors de conférences7, lorsqu’il doit situer sa démarche artistique dans l’histoire de l’art, il se place dans une logique historique qu’il fait commencer avec Matisse qui, « sur la création artistique […] représente 90 % des peintres européens8 ». Il écrit : « Chez Henri Matisse (pris comme type), un ensemble d’objets provoque une émotion et le peintre veut restituer cette émotion. Il rejette ce que l’objet a d’anecdotique et de passager. Il n’en garde que l’essentiel. […] Autrement dit, Matisse va se servir de certaines couleurs et de certaines formes, distribuées selon des lois purement plastiques, afin d’exprimer une émotion donnée à l’avance. Ces formes et ces couleurs seront tirées de l’objet qui l’a ému, seront appliquées sur la toile de façon à accentuer l’expression intéressante et à supprimer l’inutile ou le quelconque. […] Le tableau exprime la même chose, mais d’une autre façon que les objets ». Dewasne cite même Matisse : « Je veux arriver à cet état de condensation des sensations qui font le tableau », et conclut : « [chez Matisse] le tableau est une imitation de “sensations par l’objet”, non une imitation d’objets9 ». Artiste érudit, formé d’abord dans la tradition, Dewasne, qui s’est inspiré de lui à ses débuts, sait ce que Matisse a apporté à la modernité.

To present Jean Dewasne’s work in a prolongation of those by Herbin is therefore perfectly logical. If one has to find an additional reason for justifying this choice, Dewasne’s admiration for Matisse can also be noted. Whether in his work, Treatise on Flat Painting, or in his lectures,7 when he had to place his artistic method within art history, he situated himself in a historic logic that he began with Matisse, who “in artistic creation [...] represents 90% of European artists.”8 He writes, “With Henri Matisse (taken as a type), an ensemble of objects provoke an emotion and the painter wants to restitute this emotion. He rejects what is anecdotal and fleeting in the object. He guards only the essential. [...] In other words, Matisse will make use of certain colors and certain shapes, distributed according to purely visual laws, in order to express an emotion given in advance. These forms and colors are taken from the object that has moved him, will be applied on the canvas in a way to accentuate the interesting expression and suppress the useless or nondescript. [...] The painting expresses the same thing, but in a different way to objects.” Dewasne even quotes Matisse: “I want to arrive at this state of condensing the sensations that make the picture,” and concludes: “[for Matisse] the painting is an imitation of ‘sensations by the object,’ not an imitation of objects.”9 An erudite artist, with a traditional initial training, Dewasne knew what Matisse, who had inspired him from the start, had brought to modernity.

Les œuvres reçues par le musée départemental Matisse couvrent la période allant de 1953 à 1975. À part la série de sérigraphies de La Longue Marche (1969) et celle de Grenoble 70 (1970), elles appartiennent à la série des Antisculptures avec L’Enfant de chœur (1953), Cerveaux Mâles (1972-1975) et Habitacle Rouge (1972), constituant un ensemble d’une grande cohérence.

The works received by the Musée Départemental Matisse cover the period from 1953 to 1975. Apart from the sets of screenprints of The Long March (1969) and Grenoble 70 (1970), they belong to the series of Antisculptures, with The Choirboy (1953), Male Brains (197275), and Red Container (1972), making up an extremely coherent ensemble.

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JEAN DEWASNE VICTOIRE DE SAMOTHRACE (SAMOTHRACE I), 1965 PEINTURE SUR POLYESTER 110 X 63 X 40 CM COLLECTION LAHUMIÈRE

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Topologie, mathématiques, musique... pour sortir du plan Topology, mathematics, music... getting away from the plane

Pour comprendre la démarche de Jean Dewasne, il faut se rappeler que son parcours artistique est façonné par ses goûts pour la musique, mais aussi pour les sciences, passion transmise par son père et son oncle, tous deux ingénieurs. Il écrit Traité d’une peinture plane en 194910, des articles sur les mathématiques et la géométrie comme « Espaces mathématiques et art abstrait11 », « Une création mathématisée12 » ou « Les graphes, chemin de la liberté13 », étudiant notamment la géométrie non euclidienne. Dans son texte « L’art et la science chez Jean Dewasne, lien intime et enjeu majeur14 », Ariane Coulondre nous explique l’importance pour Dewasne des travaux du mathématicien Maurice Fréchet sur les espaces abstraits15, ceux de Gauss, Lobatchevski, Bolyai, Riemann, Poincaré sur la géométrie non euclidienne, la topologie, les espaces à n-dimensions, la théorie des 4 couleurs, celle de la logique des flous et la théorie des catastrophes ou encore le ruban de Möbius et la bouteille de Klein. En effet, ces théories et découvertes mathématiques offrent aux artistes la possibilité de « sortir » du cadre de la surface plane, pour travailler dans des espaces courbes, voire sphériques comme l’imagine Riemann où dans cet espace fini, mais pourtant sans borne, les parallèles se rejoignent aux pôles bien qu’elles aient toutes la même direction16. Jean Dewasne va s’emparer de ces nouveaux concepts, « les lois de surface sur lesquelles l’artiste va créer deviennent souvent inattendues. De la géométrie plane d’Euclide on passe aux géométries de Riemann, de Bolyai et de Lobatchevski. Il n’y a plus de véritables droites ni de véritables parallèles. Les angles droits vont en s’écartant ou en s’amenuisant selon qu’ils évoluent sur une surface bombée ou creuse. En somme, nous naviguons dans les géométries de positions, et non dans celles, plus primaires, de distances. La topologie sera notre déesse. Les quantités de surface

To understand Jean Dewasne’s approach, one must remember that his artistic career was molded by his tastes not only for music but also for science, a passion transmitted by his father and uncle, both engineers. He wrote Treatise on Flat Painting in 1949,10 articles on mathematics and geometry, such as “Mathematical Spaces and Abstract Art,”11 “A Mathematized Creation,”12 or “Graphs, Paths to Freedom,” 13 studying notably non-Euclidian geomtery. In her text “Art and Science for Jean Dewasne, Intimate Link, Major Stake,”14 Ariane Coulondre explains the importance for Dewasne of the work of mathematician Maurice Fréchet on abstract spaces,15 that of Gauss, Lobatchevsky, Bolyai, Riemann, and Poincaré on non-Euclidian geometry, topology, n-dimension spaces, four-color theory, fuzzy logic, and catastrophe theory, or, furthermore, the Möbius strip and the Klein bottle. Indeed, these theories and mathematical discoveries offered artists the possibility of “leaving” the frame and flat surface, to work in curved or even spherical spaces as imagined by Riemann, where in a finite yet limitless space, parallels meet at the poles although they are all going in the same direction.16 Jean Dewasne would seize on these new concepts, “the laws of surface on which the artist creates often becomes unexpected. From flat Euclidian geometry one passes to the geometries of Riemann, Bolyai, and Lobatchevsky. There are no longer true straight lines or true parallels. Right angles will widen or narrow according to whether they develop on a rounded or hollow surface. To sum up, we navigate in the geometries of positions, and not those, more elementary, of distances. Topology will be our goddess. Surface quantities will never again be stable,” he wrote in “...On the Antisculptures...”17

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ne seront plus jamais stables », écrit-il dans « …Sur les Antisculptures…17 ».Dewasne va appliquer ses recherches dans sa peinture et, en 1951, peint L’Apothéose de Marat à la suite de la lecture d’un livre sur Marat qui l’a profondément marqué. Considérant qu’il ne peut se contenter d’un tableau « ordinaire » pour retranscrire ses émotions, il effectue un changement d’échelle et décide de travailler sur un support de neuf mètres de long pour que la couleur et les formes plastiques puissent « se développer entièrement, s’enchaîner, s’entrelacer. […] C’est la raison principale de l’agrandissement du format des tableaux : que les éléments plastiques puissent vivre le plus pleinement possible18 ». À la suite de ce tableau « fondateur », Dewasne n’aura de cesse que de travailler sur des surfaces assez grandes — notamment dans le cadre d’intégrations à l’architecture — pour permettre pleinement à ses œuvres de s’expanser dans l’espace.

Dewasne would apply his research in his painting and, in 1951, painted The Apotheosis of Marat after reading a book on Marat that had marked him profoundly. Considering that he could not content himself with an “ordinary” painting to transcribe his feelings, he changed scale and decided to work on a nine meter long support so that the colors and shapes could “develop completely, string together, interlock. [...] This is the main reason for enlarging the format of the pictures: so that the formal elements could live as fully as possible.”18 Following this “founding” painting, Dewasne would never cease to use large surfaces—notably in the framework of integrations with architecture—to fully allow his works to extend in the space.


JEAN DEWASNE BOHÈME. ANTISCULPTURE, 1968 PEINTURE SUR POLYESTER 110 X 63 X 40 CM COLLECTION LAHUMIÈRE

La même année, dans une décharge à Suresnes, Dewasne achète pour 3 000 francs la carcasse d’une voiture de course, une Ferrari, dont il scie l’arrière qu’il redresse à la façon d’un totem. Il va le peindre, en utilisant une peinture à l’émail, en appliquant les règles édictées dans son Traité de la peinture plane, en représentant des motifs différents selon que les formes soient concaves ou convexes, employant le bleu-rouge-vert, couleurs primaires dans le domaine de l’optique, faisant alterner des formes massives qui s’emboîtent, des formes fluides qui entraînent et des rayures (ajoutées en 1956 après son voyage au Pérou), qui produisent un effet de scansion19. Le Tombeau d’Anton Webern constitue la première Antisculpture ; Dewasne, dans un entretien avec Jacques Putman20, précise que « ce n’était pas “anti”, c’était par honnêteté. Voici le principe de l’Antisculpture ; je partais du vocabulaire plastique élaboré sur le plan, ensuite je me suis demandé pourquoi faire toujours cela sur des plants plats, pourquoi pas sur des plans qui évoluent dans l’espace tout en sauvegardant les deux dimensions de la peinture. J’ai trouvé des formes toutes faites dans l’industrie qui m’ont servi de support, et sur lesquelles j’ai peint comme si c’était des tableaux. Je suis peintre, je ne suis pas sculpteur ». Cette Antisculpture synthétise plusieurs passions de l’artiste. C’est en premier lieu un hommage au grand compositeur viennois Anton Webern qu’en musicien érudit, attentif aux créateurs les plus novateurs (notamment à ceux du Cercle de Vienne et à leurs recherches de l’atonalité à la dodécaphonie), il admirait. Dewasne considérait que sa culture musicale était plus développée que sa culture picturale21, il écoutait la musique atonale de Leibowitz, les jeunes compositeurs Boulez, Maderna, Stockhausen, les compositions de Schoenberg, Alban Berg, Webern… Cette dimension musicale se retrouvera dans nombre de ses œuvres.

The same year, in a dump in Suresnes, Dewasne bought the carcass of a racing car, a Ferrari, for 3,000 francs. He sawed off the back and stood it up like a totem. He would paint it, using enamel paint, in applying the rules decreed in his Treatise on Flat Painting, representing different motifs according to whether the forms were concave or convex, using blue-red-green, the primary colors in the optical field, alternating large interlocking shapes, fluid shapes that strung together, and stripes (added in 1956 after his voyage to Peru), which produce an effect of scansion.19 The Tomb of’Anton Webern constitutes the first Antisculpture; in an interview with Jacques Putman,20 Dewasne precises that “it was not ‘anti,’ it was by honesty. This is the principle of Antisculpture; I started from the formal vocabulary elaborated on the plane, then I asked myself why always do that on flat planes, why not on planes that evolve in space while still preserving the two dimensions of painting? I found forms ready-made in industry that served me as support, and on which I painted as if they were paintings. I am a painter, I am not a sculptor.” This Antisculpture synthetizes several of the artist’s passions. First of all it is a homage to the great Viennese composer Anton Webern, who Dewasne, as a scholarly musician, aware of the most innovative creators (notably those of the Vienna Circle and their research in atonality and dodecaphony), admired. Dewasne considered that his musical culture was more developed than his pictorial one,21 he listed to Liebowitz’s atonal music, young composers Boulez, Maderna, Stockhausen, compositions by Schoenberg, Alban Berg, Webern… a musical dimension that can be found in many of his works.

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MYTHIA DEWASNE, AVRIL-MAI 1966, KUNSTHALLE DE BERNE DÉPÔT DE L’ÉTAT, SERVICE DES MUSÉES DE FRANCE, DONATION JEAN DEWASNE. COLLECTION MUSÉE DE CAMBRAI

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Des surfaces qui se creusent, bombent, s’incurvent (...) s’interpénètrent, se superposent, s’entrelacent. 35 Du tableau comme plan aux Antisculptures Surfaces that dip, bulge, curve (...) intertwine, overlap, interlock. From the painting as a plane to the Antisculptures On sait la fascination de Dewasne pour le monde industriel, les usines, les machines, initiée dans sa jeunesse par son père et son oncle, son père n’hésitant pas à l’envoyer dans une usine alors qu’il est encore lycéen pour le motiver à réussir ses études. L’utilisation de pièces de l’industrie automobile pour créer ses Antisculptures va procèder de cette passion. Jean Dewasne l’explique notamment dans un texte tapuscrit22 : « L’artiste choisit dans l’industrie des formes (en trois dimensions) qui lui conviennent. Il pourra les modifier quelque peu. Il va éventuellement en prendre des empreintes, c’est-à-dire se servir de leurs formes négatives. La surface de ces formes sera peinte comme s’il s’agissait d’un tableau. Mais alors que celui-ci auparavant était plan, il se déploiera maintenant sur des surfaces qui se creusent, bombent, s’incurvent. Les différentes faces s’interpénètrent, se superposent, s’entrelacent. Le peintre, tout en travaillant une surface, crée des événements d’une beaucoup plus grande complexité. » « Les formes en volume initiales lient l’artiste aux technologies de son temps. Ces formes obéissent à des conditions fortement rationnelles. Les ingénieurs, les dessinateurs, les constructeurs des machines ont, chacun au stade de leur conception, pensé chaque détail dans leur perfection. » À partir du Tombeau d’Anton Webern, Dewasne va développer ses recherches sur les Antisculptures, leur intégration dans l’architecture, jusqu’à la fin de sa vie. Un domaine de recherche important pour Dewasne est aussi concerné par cette œuvre : l’étude des couleurs. Dans Traité d’une peinture plane, il indique23 : « La peinture est intimement liée à la chimie, et par celle-ci, à toutes les sciences et indirectement à toutes les connaissances avancées de son temps. L’artiste qui refuse les hautes couleurs d’aujourd’hui rejette délibérément sur un point important la cohérente exploration de ses contemporains. Il se contente des moyens techniques de ses arrière-grands-pères. »

One can equally see Dewasne’s fascination with the industrial world, factories, and machines, initiated in his youth by his father and uncle—his father not hesitating to send him to a factory when he was still at high school to motivate him to succeed in his studies. The use of parts from the automobile industry to make his Antisculptures stems from this passion, as Dewasne explains in a typed text: “The artist choses from industry the forms (in three dimensions) that suit him. He can modify them slightly. He will eventually take imprints, that is, to utilize their negative forms. The surface of these forms will be painted as if they were a painting. But whereas previously that was flat, now it spreads out over surfaces that dip, bulge, curve. The different faces intertwine, overlap, interlock. While always working on a surface, the painter creates events of a much greater complexity.”22 “The initial forms in volume linked the artist to the technology of his time. These forms obeyed highly rational conditions. The engineers, draftsmen, constructors of the machines had, each at their stage of the conception, thought out each detail in its perfection.” Starting with The Tomb of Anton Webern, Dewasne would develop his research on the Antisculptures, and their integration with architecture, until the end of his life. This work also concerns another important field of research for Dewasne: the study of the colors. In Treatise on Flat Painting, he indicates: “Painting is intimately linked to chemistry, and, through this, to all the sciences and indirectly to all the advanced knowledge of the day. The artist who refuses the bright colors of today deliberately rejects an important aspect of the coherent exploration of his contemporaries. He is content with the technical means of his great-grandparents.”23


JEAN DEWASNE GAI GAI, MARIONS-NOUS, 1953 PLÂTRE PEINT 19,5 X 14 X 22 CM COLLECTION DU LAAC DE DUNKERQUE

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JEAN DEWASNE ANTISCULPTURE. « ADAM », VERS 1969 LAQUE GLYCÉROPHTALIQUE SUR PVC THERMOFORMÉ 70 X 60 X 13 CM COLLECTION PARTICULIÈRE JEAN DEWASNE L’ENFANT DE CHŒUR, 1953 PLÂTRE PEINT ET TIGE MÉTALLIQUE 16 X 15 X 18 CM DÉPÔT DE L’ÉTAT, SERVICE DES MUSÉES DE FRANCE, DONATION JEAN DEWASNE MUSÉE DÉPARTEMENTAL MATISSE, LE CATEAU-CAMBRÉSIS


Travaillant sur des objets industriels, l’artiste va employer des couleurs… industrielles ; ainsi pour la série des Cerveaux Mâles issue de pièces de carrosserie de camion, il utilise le même rouge que les camions de pompiers ou le bleu des voitures de service24. Il veut à la fois trouver les couleurs les plus pures possibles mais aussi les plus résistantes dans le temps. Il utilise donc des peintures industrielles (il sera surnommé « le Michel-Ange du Ripolin » bien qu’il affirme n’avoir jamais utilisé cette marque25), qu’il fait souvent venir de Hollande et qu’il complète avec des mélanges de sa composition, incluant différents pigments. Il se servira également de la peinture émaillée et des encres de sérigraphie venues de Suisse, il sera très attentif aux évolutions techniques lui permettant de compléter sa gamme chromatique. Dans Traité d’une peinture plane26, Jean Dewasne consacre un chapitre à la couleur, insistant sur la différence entre couleur-lumière et couleur-matière, conseillant la consultation de traités de colorimétrie, de photométrie et de physiologie de la vision, nous démontrant une fois de plus l’étendue de sa curiosité, de ses connaissances scientifiques et les amitiés multiples liées avec des scientifiques de renom. En 1953, La galerie Denise René offre à Jean Dewasne une de ses premières expositions personnelles où Le Tombeau d’Anton Webern sera présenté avec notamment six petites Antisculptures dont Gai, Gai marions-nous et L’Enfant de chœur. Le titre donné à ces œuvres provient certainement du mariage en préparation de Jean Dewasne avec Mythia Kolesar. Elles sont réalisées en plâtre à partir de moules servant à la fabrication de cendriers que Léon Degand décrit ainsi27 : « l’exposition comprend […] une demi-douzaine d’objets, nommés anti-sculptures. Ces objets sont des formes à trois dimensions en plâtre et circulaires. Ce sont des moules de céramiques. Dewasne en a quelque peu modifié les formes originales et, surtout, les a peintes. Il les a ainsi transformées en de véritables créations où apparaissent, avec alacrité, tous les éléments caractéristiques de sa personnalité ». En utilisant de la peinture chrysochrome, Dewasne recherche l’aspect lisse et brillant des carrosseries automobiles, analyse Ariane Coulondre28, leur donnant un aspect ludique et précieux mais dont les effets optiques de la couleur, qui vont contre le relief, perturbent le regard.

Working on industrial objects, the artist would use... industrial colors. Thus, for the series of Male Brains developed from pieces of the bodywork of trucks, he used the same red as used for fire engines or the blue from service vehicles.24 He wanted to find colors that were both as pure as possible and the most resistant over time. He thus used industrial paints (he would be nicknamed “the Michelangelo of Ripolin,” although he claimed to have never used that brand25), which he often had brought from Holland, and which he completed with mixes of his own composition, incorporating different pigments. He would also make use of enamel paint and screenprinting inks from Switzerland, being very attentive to technical evolutions that allowed him to complete his chromatic range. In Treatise on Flat Painting,26 Dewasne devoted a chapter to color, insisting on the difference between light-color and matter-color, recommending the consultation of treatises on colormetry, photometry, and the physiology of vision, showing once again the breadth of his curiosity and his scientific knowledge, and his numerous friendships with renowned scientists. In 1953, Galerie Denise René gave Jean Dewasne one of his first solo shows, in which The Tomb of Anton Webern was presented, along with six small Antisculptures, including Gay, Gay Let’s Marry, and The Choirboy. The titles given to these works surely came from the marriage Jean Dewasne was preparing with Mythia Kolesar. They were made in plaster from molds used to make ashtrays, as described by Léon Degand: “the exhibition comprizes half-adozen objects, called anti-sculptures. These objects are threedimensional forms in plaster and circular. They are molds for ceramics. Dewasne has slightly modified the original forms and, above all, he has painted them. He has thus transformed them into real creations where, with alacrity, all the characteristic aspects of his personality appear.”27 In using thick chrysochrome enamel paint, Dewasne sought the smooth, glossy aspect of car bodies, analyzes Ariane Coulondre,28 giving them a playful, precious touch but with optical color effects that contradict the relief to perturb the regard.

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JEAN DEWASNE SÉRIE GRANDEUR MOTO, DANS L’ATELIER DE JEAN DEWASNE, NON DATÉ LAQUE GLYCÉROPHTALIQUE SUR PVC / ÉLÉMENT STRUCTURE DE MOTO 110 X 65 X 44 CM COLLECTION PARTICULIÈRE

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JEAN DEWASNE ANTISCULPTURE « BABY DOLL », VERS 1975 LAQUE GLYCÉROPHTALIQUE SUR PVC / ÉLÉMENT STRUCTURE DE MOTO 110 X 65 X 44 CM COLLECTION PARTICULIÈRE


Contrairement à sa méthode habituelle d’élaboration de ses tableaux, Dewasne n’utilise aucun dessin ou gouache préparatoire pour ses Antisculptures, il travaille directement en improvisation sur la forme29. Dans cette série initiale, l’artiste utilise de petits modèles et s’astreint à les peindre en adaptant ses motifs aux contraintes de leurs formes. Par la suite, il va utiliser des objets manufacturés plus grands qui vont lui permettre de reprendre le principe qu’il utilise pour ses tableaux : « Essayer d’atteindre à la plus haute intensité colorée possible, compatible avec une importante complexité des ensembles formels. Les éléments plastiques [devant] donc pouvoir se déployer sur des surfaces suffisantes30. » En 1964, Jean Dewasne décide de travailler à nouveau sur une petite forme manufacturée, un réservoir de moto, employant toujours des peintures brillantes pour des formes simples qui recouvrent l’œuvre en totalité. En 1966, il découvre dans une vitrine des carénages de motos de compétition d’assez grandes dimensions (100 × 60 × 36 cm), dont les courbes correspondent à sa volonté de travailler sur des plans non euclidiens qui « se gaufrent, se gonflent, se creusent31 », à l’image de la bouteille de Klein32, de l’anneau de Möebius ou des recherches de Max Bill. « J’ai éprouvé le besoin de travailler dans une géométrie sphérique ; sur une sphère bombée, je commence par un angle droit et puis les branches s’écartent ; sur une sphère creuse, je commence par un angle droit et les branches se rapprochent. Ça permet donc de trouver des formes beaucoup plus souples, plus subtiles et surtout une façon de les engrener les unes dans les autres d’une manière très vivante », répond Dewasne à la question posée par Jean-Étienne Grislain33 de faire sortir la peinture de la surface plane sans rien abandonner de la picturalité. Dewasne va leur donner des noms de sculptures « classiques » : La Victoire de Samothrace I, La Victoire de Samothrace II34 ; présentées au sol dans Habitacle Rouge comme des gisants dans un tombeau, droites pour en renforcer la monumentalité, ou accrochées aux murs dans un rapprochement avec la peinture (« il y a toujours eu un dialogue entre mes Antisculptures et mes tableaux35 »), que ne renierait pas Matisse.

Contrary to his usual method of preparing his paintings, Dewasne did not use any preparatory drawings or gouaches for his Antisculptures, he improvized directly on the form.29 In this initial series, the artist used small formats and forced himself to paint them in adapting his motifs to the constraints of their forms. Later, he would use larger manufactured objects that allowed him to return to the principle he used in his paintings: “To try to attain the most intense color possible, compatible with a great complexity of formal ensembles. The visual elements [in front] can thus be spread over sufficient areas.”30 In 1964, Jean Dewasne decided to again work on a small manufactured form, a motorbike tank, continuing to use gloss paints for the simple shapes that completely covered this work. In 1966, he discovered in a store window a quite large motorbike chassis (100 x 60 x 36 cm), whose curves corresponded to his desire to work on non-Euclidian surfaces that “dent, swell, dip”31 in the image of the Klein bottle, 32 the Möbius strip, or the research of Max Bill. “I felt the need to work in a spherical geometry; on a bulging sphere, I begin with a right angle and then the branches spread out; on a hollow sphere, I begin with a right angle and the branches close in. This allows one to find much more supple, more subtle forms and, above all, a way of interlocking one in another in a very lively way,” answered Dewasne to Jean-Etienne Grislain’s 33 question on how painting could leave the flat surface without abandonning picturality. Dewasne would give these Antisculptures names from “classical” sculpture—The Victory of Samothrace I, The Victory of Samothrace II34; presented on the ground inside Red Container like recumbant statues in a tomb, upright to reinforce their monumentality, or attached to the walls to link them to painting (“there was always a dialogue between my Antisculptures and my paintings”35), that would not renounce Matisse.

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PREMIÈRE DE COUVERTURE DU CATALOGUE ARC2, ANTISCULPTURES 1972-1975 RÉALISÉ DANS LE CADRE DES ACTIVITÉS « RECHERCHE, ART ET INDUSTRIE » DE LA RÉGIE RENAULT COLLECTION PARTICULIÈRE

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TROISIÈME DE COUVERTURE DU CATALOGUE ARC2, ANTISCULPTURES 1972-1975 RÉALISÉ DANS LE CADRE DES ACTIVITÉS « RECHERCHE, ART ET INDUSTRIE » DE LA RÉGIE RENAULT COLLECTION PARTICULIÈRE


«Comme une armée en marche» La série des Cerveaux Mâles “Like an army on the march” The Male Brains series

À cette série Grandeur moto, va succéder, à partir de 1972, une série primordiale dans l’œuvre de Jean Dewasne, Cerveaux Mâles. Année charnière car l’artiste publie enfin son Traité d’une peinture plane écrit en 1949, débute une collaboration avec la Régie Renault, et trouve un grand atelier (un ancien garage pour les taxis parisiens) dans le Marais qui va lui permettre de travailler dans la monumentalité.

This series Motorbike Size would be followed, from 1972, by a series, Male Brains, that is primordial in Jean Dewasne’s oeuvre. This was a pivotal year because the artist at last published his Treatise on Flat Painting, written in 1949, began a collaboration with the Renault group, and found a large studio (a former taxi garage) in the Marais that would allow him to work on a monumental scale.

Cette collaboration avec la Régie Renault dans le cadre du laboratoire « Recherche, art et industrie » va lui permettre de découvrir dans l’usine de Blainville-sur-Orne (Calvados), des pièces de châssis de camion Berliet-Saviem d’environ deux mètres d’envergure36. Il choisit sur les chaînes de montage les pièces qui lui conviennent le mieux, notamment celles en début de chaîne car elles n’ont pas été encore trop transformées et conservent suffisamment de surface pour qu’il puisse développer sa peinture dans toute son ampleur. Elles sont au final érigées sur des pieds qui lui confèrent une monumentalité accrue et permettent aux spectateurs d’en faire le tour, découvrant intégralement les jeux de perspective induits sur toutes les faces. Les vingt-quatre Antisculptures créées répondent à une volonté de l’artiste d’effectuer une synthèse parfaite entre le support et sa peinture tout en faisant évoluer son langage pictural qui contient désormais des signes (en forme de X, de cercles notamment), sans pour autant rejoindre une quelconque figuration. Il assume l’étrangeté du titre en indiquant : « Ce sont des œuvres typiquement masculines […] Une femme n’aurait pas pu assumer les tôles préfabriquées et la rigueur géométrique, ou, alors, elle s’y serait prise autrement37 », la journaliste Jeanine Warnod le confirme en soulignant l’aspect guerrier de cet ensemble : « les Antisculptures comme une armée en marche… ces formes conçues non par un sculpteur mais par des ingénieurs lient Dewasne à la technologie de son temps38 ». Pour Dewasne, cette série le fait accéder « à un

His collaboration with Renault in the framework of its “Research, art, and industry” laboratory would allow him to discover in the factory in Blainville-sur-Orne (Normandy) pieces of chassis of the Berliet-Saviem truck, some two meters in size.36 On the production lines, he chose the pieces that suited him best, notably those at the beginning of the line because they had not been too transformed and still had enough surface for him to be able to develop his painting on its full scale. They were in the end mounted on feet that give them a heightened monumentality and allow spectators to go round them, discovering all the games on perspective resulting on each face. The 24 Antisculptures created answered the artist’s determination to achieve a perfect synthesis between the support and his painting, while at the same time advancing his pictorial language, which would henceforth contain signs (in particular X shapes and circles), without however returning to the slightest figuration. He assumed the strange title, indicating: “These are typically masculine works [...] A woman could not have assumed the prefabricated sheet metal and the geometrical rigor, or, then, she would have approached it differently.”37 The journalist Jeanine Warnod confirms this in underlining the warlike aspect of this group: “the Antisculptures like an army on the march... these forms conceived not by a sculptor but by engineers tie Dewasne to the technology of his time.”38 For Dewasne, this series brought him to “a yet higher level of ‘abstraction” in concretizing a new domain

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PAGE 22 DU CATALOGUE ARC2, ANTISCULPTURES 1972-1975 RÉALISÉ DANS LE CADRE DES ACTIVITÉS « RECHERCHE, ART ET INDUSTRIE » DE LA RÉGIE RENAULT COLLECTION PARTICULIÈRE

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QUATRIÈME DE COUVERTURE DU CATALOGUE ARC2, ANTISCULPTURES 1972-1975 RÉALISÉ DANS LE CADRE DES ACTIVITÉS « RECHERCHE, ART ET INDUSTRIE » DE LA RÉGIE RENAULT COLLECTION PARTICULIÈRE


niveau encore plus élevé “d’abstraction” en concrétisant un nouveau domaine des vertigineuses découvertes de la mathématique contemporaine, sœur des mondes sensoriels39 », il veut agir avec des « concepts plus généraux » et atteindre l’idée « d’ensembles plastiques » dont « l’analyse est transcendée », permettant « une synthèse souple et élastique [qui] devient notre domaine. Les notions de continuité s’enrichissent de celles de “limites”, d’accumulations, de voisinage, d’évolution “ouverte”40 ». Le catalogue de l’ARC2 dont sont issues les dernières citations, s’avère particulièrement intéressant car, pour les photographies qui l’illustrent, Dewasne fait réaliser des photomontages où les Antisculptures Cerveaux Mâles sont intégrées dans des paysages urbains (devant la Tour Montparnasse, sur fond de New York la nuit, devant des bâtiments en construction à l’architecture géométrique impressionnante…), particulièrement « moderne », mais aussi au milieu d’arbustes et de végétation, dans son atelier notamment. Ici donc, Jean Dewasne entend réaliser la synthèse de sa production artistique, son intégration dans le paysage urbain et dans la vie. En effet, l’artiste dont les convictions politiques sont anciennes et affirmées (la découverte de la vie des ouvriers à l’usine alors qu’il était encore lycéen va l’orienter vers le communisme), pense — comme nombre d’artistes à l’époque — que l’art abstrait est à même de rassembler les hommes, qu’il doit faire partie du quotidien, s’inscrire partout y compris dans l’architecture. Cependant, en cette période de radicalisation due à la « guerre froide », le parti communiste prône un retour à la figuration, ce contre quoi s’élèvent les artistes. Aussi, les Antisculptures, œuvres abstraites novatrices, synthèse de la sculpture, de la peinture, des recherches mathématiques, de la production industrielle, peuvent par leur monumentalité, leur puissance colorée, leur formalisme esthétique, constituer une « arme de séduction massive » pour la cause et la défense de l’abstraction, car « pour lutter contre les forces d’inertie, le peintre d’avant-garde ne sera jamais assez violent ni trop audacieux41 ».

of vertiginous discoveries of contemporary mathematics, sister of the sensorial worlds,” 39 he wanted to act with “more general concepts” and had the idea of “formal groups” whose “analysis is transcended,” allowing “a subtle and elastic synthesis [which] becomes our domain. The notions of continuity are enriched by those of ‘limits,’ accumulations, of neighboring, of ‘open’ evolution.”40 The catalogue of ARC2 from which the last quotes are taken is particularly interesting because Dewasne had photomontages made to illustrate it, in which the Male Brains Antisculptures are integrated within urban landscapes (in front of the Tour Montparnasse in Paris, against a background of New York at night, before buildings of an impressive geometrical architecture under construction...), “modern” in particular, but also amid bushes and vegetation, notably in his studio. Here, therefore, Jean Dewasne intended to achieve the synthesis of his artistic production, its integration in the urban landscape and in life. In effect, the artist, whose political convictions were longstanding and affirmed (the discovery of the life of factory workers when he was still at high school would incline him towards Communism), thought—like many artists of the period—that abstract art would itself unify men, that it should be part of everyday life, be inscribed everywhere, including in architecture. However, in this period of radicalization due to the Cold War, the Communist Party favored a return to figurative art, which the artists opposed. Also, the Antisculptures, as innovative abstract works, synthesis of sculpture, painting, mathematical research, industrial production, could by their monumentality, their colorful power, their esthetic formalism, constitute an “arm of massive seduction” for the cause and defense of abstraction, because “to fight against the forces of inertia, the avant-garde painter will never be violent enough or too audacious.”41

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JEAN DEWASNE ANTISCULPTURE D1 « CERVEAUX MÂLES », 1972-1975 LAQUE GLYCÉROPHTALIQUE SUR ÉLÉMENT DE CARROSSERIE 180 X 173 X 51 CM COLLECTION PARTICULIÈRE COURTESY GALERIE NATHALIE OBADIA, PARIS/BRUXELLES

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JEAN DEWASNE ANTISCULPTURE C2 « CERVEAUX MÂLES », 1972-1975 LAQUE GLYCÉROPHTALIQUE SUR ÉLÉMENT DE CARROSSERIE 180 X 173 X 51 CM COLLECTION PARTICULIÈRE COURTESY GALERIE NATHALIE OBADIA, PARIS/BRUXELLES

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JEAN DEWASNE ANTISCULPTURE D2 « CERVEAUX MÂLES », 1972-1975 LAQUE GLYCÉROPHTALIQUE SUR ÉLÉMENT DE CARROSSERIE 190 X 190 X 76 CM COLLECTION PARTICULIÈRE COURTESY GALERIE NATHALIE OBADIA, PARIS/BRUXELLES

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JEAN DEWASNE ANTISCULPTURE B1 - SÉRIE DES CERVEAUX MÂLES, 1972-1975 LAQUE GLYCÉROPHTALIQUE SUR TÔLE 174 X 230 X 125 CM DÉPÔT DE L’ÉTAT, SERVICE DES MUSÉES DE FRANCE, MUSÉE DÉPARTEMENTAL MATISSE, LE CATEAU-CAMBRÉSIS

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JEAN DEWASNE CONVEXE N° 1, 1980 LAQUE SUR TÔLE ÉMAILLÉE 120 X 200 X 7 CM CENTRE POMPIDOU, PARIS, MUSÉE NATIONAL D’ART MODERNE/CENTRE DE CRÉATION INDUSTRIELLE

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© ADAGP, Paris 2014 pour les œuvres de Jean Dewasne, Auguste Herbin et Arne Jacobsen © Somogy éditions d’art, Paris 2014 © Musée départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis Ouvrage réalisé par Somogy éditions d’art Conception graphique : Jean-Etienne Grislain Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie, Mélanie Le Gros Correction des textes français : Diana Darley Traduction des textes français : Natasha Edwards Correction des textes anglais : Natasha Edwards Suivi éditorial : Frédérique Cassegrain ISBN : 978-2-7572-0795-6 Dépôt légal : mars 2014 Imprimé en Italie (Union européenne)


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