Une même longueur d'onde. Louis Aston Knight / Alain Fleischer (extrait)

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UNE MÊME LONGUEUR D’ONDE

LOU I S ASTO N KN IGHT ALAIN FLEI SCH ER


Ce catalogue est publié à l’occasion de l’exposition « Une même longueur d’onde, Louis Aston Knight /Alain Fleischer », organisée au musée d’Art, Histoire et Archéologie – Évreux du 22 juin au 22 septembre 2013.

Exposition

Catalogue

Commissaire général : Florence Calame-Levert, conservateur du patrimoine, directrice du musée d’Art, Histoire et Archéologie – Évreux

Traduction de l’américain vers le français François Bridey, musée d’Art, Histoire et Archéologie – Évreux Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art

Commissaire associé : James H. Rubin, professeur d’histoire de l’art, State University of New York Peinture, menuiserie et accrochage : Aline Bellanger, Mickaël Martin et Élias Hameir Éclairage : Mickaël Martin Encadrements : Annie Godais et Cadre en Scène Restaurations : Atelier Pierre Jaillette Photographies : Jean-Pierre Godais Visites guidées et ateliers jeune public : Anne Mulot-Ricouard, responsable du service des publics, et Séverine Saillour-Caudroit, médiatrice culturelle Accompagnement des enseignants : Elsa Decerle Communication : Capucine de Lascoups, stagiaire (université de Picardie Jules-Verne) Accueil et surveillance : Patricia Aubry, Afid Boukerroui, Nicole Brunet, Corinne Crespel, Sophie Denis, Myriam Friquet, Michel Ballatore, Pascal Mary, Didier Palladini et Arnaud Saillour Suivi administratif et budgétaire : Virginie Vesque

Coordination éditoriale : Laurence Verrand Contribution éditoriale : Colette Malandain Conception graphique : Guillaume Dairou Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros © Somogy éditions d’art, Paris, 2013 www.somogy.fr © Musée d’Art, Histoire et Archéologie – Évreux, 2013 www.evreux.fr ISBN 978-2-7572-0671-3 Dépôt légal : juin 2013 Imprimé en Italie (Union européenne)


Musée d’Art, Histoire et Archéologie – Évreux Exposition 22 juin – 22 septembre 2013

UNE MÊME LONGUEUR D’ONDE

LOU I S ASTON KN IGHT ALAIN FLEI SCH ER


« Personne ne nous sait gré de ce qu’il y a en dessous. Sache bien cela. » Honoré de Balzac, Le Chef-d’œuvre inconnu, 1831.


Remerciements

Mes remerciements s’adressent en tout premier lieu à Michel Champredon, maire de la ville d’Évreux, président du Grand Évreux Agglomération, vice-président du département de l’Eure, et à Catherine Caillat, maire adjoint à l’épanouissement de la culture, qui ont approuvé et encouragé ce projet. J’y associe Dominique Guillou, directeur général des services, Yann Goubard, directeur des finances et directeur général adjoint des moyens internes, et Irène Guillotie, directrice de la culture, pour leur soutien. Ce catalogue et l’exposition ont bénéficié du prestigieux label Normandie Impressionniste avec un soutien financier et un accompagnement au long cours. Un grand merci notamment à Claire Maingon. Je remercie Luc Liogier, directeur régional des affaires culturelles de Haute-Normandie, et Roland Pintat, conseiller pour les musées. Les collègues des services financiers nous ont guidés dans la mise en place des marchés de transport d’œuvres. Je remercie tout particulièrement Danielle Smanio, directrice du service des marchés publics, ainsi que Christine Mas. L’exposition a bénéficié de plusieurs prêts institutionnels. Toute ma gratitude pour leur confiance à Anne-Marie Bergeret, conservateur en chef, directrice du musée Eugène-Boudin d’Honfleur, Anne Dopffer, conservateur en chef, directrice du Musée franco-américain du château de Blérancourt, Richard Lagrange, directeur du Centre national des arts plastiques, Alfred Pacquement, directeur du Musée national d’art moderne, Centre Georges-Pompidou, Emmanuel Starcky, directeur du domaine des châteaux de Compiègne et de Blérancourt, Pascal Trarieux, conservateur, directeur du musée des Beaux-Arts de Nîmes. Cette exposition n’aurait pu voir le jour sans la complicité de nombreux prêteurs particuliers de France et des États-Unis. Je sais gré pour leur confiance à François Degas, Jean-Jacques Duval, M. et Mme Foubert, M. et Mme Philippe Gaudez, Christian Juin, Mr. et Mrs. Robert A. Mac Cabe, Nicole Rachet-Hambourg, Howard Rehs, de la galerie Rehs de New York City, Mr. et Mrs. Howard Rothman, Denis Schmid, Roger et Carol Shiffman, ainsi qu’aux nombreux prêteurs qui ont souhaité rester anonymes. Je les remercie chaleureusement.

Nombreux sont les collègues et amis qui nous ont accompagnés à un titre ou à un autre dans la mise en œuvre de l’exposition et la publication de ce catalogue. Un merci chaleureux à : M. et Mme Bourgeois, Nicole Bruyère, François Calame, Katia Cartacheff (Réunion des musées nationaux), Nadine Clarisse (Studio national des arts contemporains – Le Fresnoy), Patrick Douais (Association Monuments et Sites de l’Eure), Gérard Gallichet, Christine Knight, Bill Knight, Stanislas de Laboulaye, Dominique Lobstein (musée d’Orsay), Mme Lugard-le-Rütte, Dominique Mautin, Claudine Regnard, Jacques Taconnet, Laurent Tréffé, Karine Verstraete (Studio national des arts contemporains – Le Fresnoy), René de La Villeguerin ; un merci particulier à Camille Horent pour sa notice sur les jardins de peintres. Un grand merci à l’équipe du musée, et notamment à Aline Bellanger, chef d’atelier, Mickaël Martin et Élias Hameir, techniciens, Jean-Pierre Godais, photographe, Annie Godais, en charge des encadrements, Virginie Vesque, pour le suivi organisationnel et budgétaire, et à François Bridey, conservateur du patrimoine et directeur adjoint du musée d’Évreux, pour la richesse de sa réflexion dans nos échanges au quotidien. L’Association des Amis du musée d’Évreux nous a apporté son précieux soutien moral et financier. Nous redisons ici toute l’importance de son accompagnement et de sa fidélité. Laurence Verrand, éditrice chez Somogy, et Guillaume Dairou, graphiste, m’ont accompagnée avec rigueur et bonne humeur dans la réalisation de cet ouvrage. Je les en remercie cordialement. James H. Rubin, commissaire associé de cette exposition, en charge de la sélection des œuvres sur le continent américain et auteur de l’essai d’histoire de l’art, m’a accompagnée tout au long de ce projet : un grand merci. J’adresse enfin toute ma gratitude à Alain Fleischer, qui a insufflé une nouvelle vie à l’œuvre et au personnage d’Aston Knight, pour son enthousiasme et sa grande générosité.

Florence Calame-Levert Directrice du musée d’Évreux

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Pierre Bergé Président du festival Normandie Impressionniste Laurent Fabius Ministre des Affaires étrangères et vice-président du festival Erik Orsenna Président du conseil scientifique Jérôme Clément Commissaire général

Le succès de la première édition de Normandie Impressionniste fut tel qu’il était nécessaire de lier une nouvelle fois le plus populaire courant artistique moderne et le territoire qui l’a vu s’épanouir. Avec plus d’un million de spectateurs, la Normandie était en fête : guinguettes, déjeuners sur l’herbe, expositions remarquées. Le thème de l’eau choisi pour cette seconde édition est né de la fascination des grands maîtres impressionnistes pour la mer, les rivières et les f euves. Cinéma, musique, théâtre, colloques, ateliers, festivités, expositions d’art moderne et contemporain ponctueront cinq mois de festival, du 27 avril au 29 septembre 2013, sur les deux régions normandes et sur cinq départements, avec le soutien des membres fondateurs et des partenaires institutionnels et f nanciers. Cette programmation résolument contemporaine prendra toute sa signif cation avec l’implication d’élèves et d’apprentis investis dans des projets ludiques et professionnels originaux. Avec ses six cents projets tournés vers l’impressionnisme, nous vous souhaitons à toutes et à tous un excellent festival !

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Michel Champredon Maire d’Évreux Président du Grand Évreux Agglomération Vice-président du département de l’Eure

Avec « Une même longueur d’onde, Louis Aston Knight / Alain Fleischer », le musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux garde le cap sur un objectif qui est le sien depuis de nombreuses années : faire dialoguer collections patrimoniales et création contemporaine. En 2008, Pierre Célice faisait sensation en investissant le site épiscopal avec une œuvre spécialement réalisée pour le lieu. Par ailleurs, et depuis plus de vingt ans, la crypte archéologique abrite un dialogue fécond entre collections archéologiques et œuvres d’artistes d’aujourd’hui (Anne et Patrick Poirier, Guiseppe Penone et Antoine Leperlier). Dans cette même perspective, le musée accueillera cette année, et pour la première fois en France, Le Déjeuner sous l’herbe de Daniel Spoeri. « Une même longueur d’onde, Louis Aston Knight / Alain Fleischer » s’inscrit dans le cadre du festival Normandie Impressionniste. Pour cette seconde édition sur le thème de l’eau, Louis Aston Knight, peintre postimpressionniste américain amoureux de la Normandie, et Alain Fleischer, photographe, artiste, cinéaste et écrivain, ont fait connaissance. La démarche du peintre paysagiste, à la fois classique et atypique, a inspiré à Alain Fleischer une œuvre romanesque et deux installations. L’intervention de cet artiste majeur de la scène contemporaine des quarante dernières années, venu jusqu’à nous pour dialoguer avec Knight et nous accompagner dans la découverte de cet artiste populaire aux États-Unis mais encore peu connu en France, nous honore. Avec plus de six cents manifestations en Normandie, le festival est sans doute l’un des événements populaires majeurs de l’année. Il conf rme la place de la culture et celle des musées dans la dynamisation d’un territoire tout entier. Chacun peut se délecter de peinture à trois pas de chez lui, cependant que la générosité de l’offre fait de chaque musée un complément de tous les autres, offrant au public le goût renouvelé d’aller voir plus loin. Je vous souhaite de beaux moments de découverte récréatifs, d’échange et d’enrichissement mutuel au musée d’Évreux… et partout ailleurs.

Double page suivante 1. Sous le moulin, Villeneuve-sur-Lot, ombre et soleil, vers 1919 Huile sur toile, 90 118,5 cm Signé et localisé en bas à gauche : aston Knight Paris Don de l’artiste, 1920 Centre Pompidou, Paris. Musée national d’art moderne/ Centre de création industrielle, en dépôt au Musée national franco-américain du château de Blérancourt (inv. JP 38 P)

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Sommaire

Évreux, bords de l’Iton (détail du cat. 34, p. 97), vers 1935 Huile sur toile, 81 65 cm Signé et localisé en bas à gauche : aston Knight Paris Don de l’artiste, 1935 Collection du musée d’Art, Histoire et Archéologie – Évreux (inv. 8671)

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Eau majuscule Florence Calame-Levert

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Retour aux sources entretien avec Alain Fleischer

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Reflets normands James H. Rubin

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Jardins de peintre Camille Horent

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Le Bain de Diane nouvelle d’Alain Fleischer

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Notice biographique Louis Aston Knight

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Notice biographique Alain Fleischer



Florence Calame-Levert

Le peintre paysagiste Louis Aston Knight (Paris, 1873 – New York, 1948) a partagé sa vie entre la France, l’Angleterre et les États-Unis. Dans l’Angleterre victorienne, il reçoit son éducation. Aux États-Unis, qu’il ne découvre qu’à l’âge adulte, sont ses racines familiales. C’est là aussi que ses œuvres sont majoritairement appréciées et vendues. En France, en Normandie, au bord de la Risle qu’il découvre vers 1905 et où il passe la plus longue partie de sa vie, il restera « le peintre aux bottes de pêcheur ». Il n’est pas rare, en effet, de l’apercevoir chaussé de hautes cuissardes et équipé d’une double échelle en guise de chevalet, s’étant installé au beau milieu de l’eau vive pour peindre… Peintre de l’eau, Knight refuse les positions de ses contemporains avant-gardistes et inscrit ses pas dans ceux de ses aînés impressionnistes. Au manoir de Chantereine, à Beaumont-le-Roger, qu’il acquiert en 1920 et qui devient pour plus de vingt ans l’un des sujets majeurs de ses compositions, Knight crée un splendide jardin où l’eau a la part belle. La Risle, bien sûr, mais aussi un étang, des miroirs d’eau où se ref ètent les façades xviie du manoir, une fontaine où il puise une eau fraîche qu’il offre à tout nouvel hôte, et deux piscines dans lesquelles, aux beaux jours, la jeunesse de Beaumont expérimente un nouveau rapport à l’eau et au corps. À Beaumont-le-Roger, Knight est jardinier, hôte magnif que, metteur en scène avant que d’être peintre. Plus justement peut-être, il crée un univers dont il fait son sujet : une Normandie à la fois vécue et rêvée, dont témoignent ses toiles, produites en grande partie pour le marché américain.

EAU MAJUSCULE

À notre invitation, Alain Fleischer – photographe, plasticien, cinéaste et romancier, né à Paris en 1944 – a relevé le déf . Pendant quelques mois, il a approché l’univers enchanteur et mystérieux de Louis Aston Knight. Il s’est immergé dans cette peinture et ces paysages. Il a découvert les rituels hospitaliers du manoir de Chantereine et le tissu romanesque de l’existence et de l’œuvre du peintre. Pour l’exposition « Une même longueur d’onde, Louis Aston Knight / Alain Fleischer », l’artiste a spécialement imaginé une œuvre en mesure de nous transporter à la rencontre de Louis Aston Knight pour éclairer d’une lumière nouvelle la production de ce peintre paysagiste qui a louvoyé du côté d’une certaine forme d’art total. Dans le même temps et réciproquement, Louis Aston Knight arrive jusqu’à nous pour interroger cette œuvre contemporaine majeure au sein de laquelle l’image projetée et l’usage de l’eau au sein même des dispositifs, tout autant que le récit littéraire, apportent une belle vitalité aux fantômes du passé.

Fig. 1. Louis Aston Knight peignant dans l’eau, vers 1910 Photographie anonyme Archives of American Art

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L’eau, bien plus qu’un sujet Louis Aston Knight et Alain Fleischer partagent une même fascination pour l’eau. Le premier place l’eau au centre de la plupart de ses tableaux. Il excelle à la représenter sous toutes ses humeurs. Sage, elle se fait miroir, f oute à peine les formes et module légèrement les tons (cat. 24). Plus vive, elle fait onduler les formes qui s’y ref ètent. Plus agitée encore, elle gagne en indépendance (cat. 2). Son ref et n’est plus si f dèle. Il se fait sa propre couleur que lui donnent les forces et la vie intrinsèques de l’eau. Parfois enf n, le peintre se place à l’ombre d’un grand arbre (cat. 29). Il fait alors de la surface de l’eau le moyen par lequel apprécier toute la clarté du jour et la majesté du grand air. Amplif ant l’angle de vue, rendant présent tout un ciel dont on aperçoit à peine une petite partie, laissant deviner la vallée qui s’étend au-delà du bosquet où le peintre s’est abrité, l’eau ouvre sur ce que l’on ne voit pas. À l’eau correspondent aussi, pour le peintre, des techniques du corps. Jeune artiste dans les premières années du siècle, avant de découvrir la vallée de la Risle, Aston Knight vit sur un bateau ; il voyage principalement sur la Seine, peut-être s’aventure-t-il aussi jusqu’en Hollande. Nous ignorons s’il peint à bord 1. Si tel est le cas, le corps du peintre au travail compose avec le doux balancement du bateau, mais quoi qu’il en soit son corps est rompu à la vie sur l’eau. Quelques années plus tard, en vallée de la Risle, l’expérimentation d’une peinture réalisée alors que le bas de son corps est immergé dans l’eau lui en donne une connaissance accrue, une intimité plus profonde encore. Par sa masse, l’eau campe solidement les jambes du peintre dans le lit de la rivière. Parfois, il doit tendre ses muscles pour résister au courant et éviter d’être déstabilisé. Sans doute aussi prend-il garde à ne pas trop la perturber. Cette connaissance particulière de l’eau qu’il acquiert alors, approchant ses variations de matières et de tempérament selon les heures, le temps et les saisons, est aussi celle du pêcheur en rivière pour qui telle ondulation, tel aspect de l’eau, tel comportement deviennent autant de signes de la présence du poisson. Car Louis Aston est aussi un pêcheur en eau vive. Son f ls Ridgway 2, qui passa les étés de son enfance dans cette vallée, rapporte qu’il n’était pas rare de le surprendre avec, en plus de l’attirail déjà décrit, une canne à pêche qu’il tenait d’une main tandis qu’il peignait de l’autre…

Fig. 2. Jardins de Chantereine, le miroir d’eau, photographié dans les années 1920 Carte postale Collection G. G., Beaumont-le-Roger

2. Le Vieux Moulin, vers 1905 Huile sur toile, 129 102 cm (avec cadre) Signé et localisé en bas à gauche: aston Knight Paris Collection familiale, États-Unis

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Fig. 4. Jardins de Chantereine, la petite piscine, photographiée dans les années 1920 Carte postale Collection G. G., Beaumont-le-Roger

Fig. 3. La Risle à Nassandres, pêcheur, début du XXe siècle Photographie anonyme Collection particulière, Normandie

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Fig. 5. Jour d’été au bord de la piscine de Chantereine, années 1920 Photographie anonyme Archives familiales, États-Unis


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Double page précédente Fig. 6. La piscine de Chantereine, photographiée vers 1925 Carte postale Collection Jean-Jacques Duval, Beaumont-le-Roger

On peut lire au dos : « […] Cette carte représente la piscine de l’Américain qui fait parler tout Beaumont, où toutes les élégantes vont baigner. Le jour de la Saint-Fiacre, on a le droit d’y pénétrer et de visiter les jardins qui sont comme un petit coin de Versailles. Il y a des petites sources qui coulent le long de bannettes fleuries, on visite les galeries de tableaux de peinture que fait Mr. Knight, il y a concert en plein air et exposition de fruits, légumes, fleurs vendus aux enchères, puis des baignades dans cette fameuse piscine. »

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Fig. 7. L’atelier du domaine de Chantereine, années 1920 Photographie Collection familiale


La pêche à la truite à laquelle s’adonnent les habitants de la vallée, et notamment les minotiers propriétaires de moulins en bord de rivière qu’il côtoie, est à la croisée des procédés mis en œuvre pour approfondir sa connaissance de l’eau, de l’implication de son propre corps dans cet exercice, et d’une sociabilité qu’il construit progressivement autour de lui. Aston Knight, l’Américain qui ne perdra jamais son accent et dont le corps restera marqué par une éducation et une morale anglaises valorisant l’exercice physique, sait prendre aussi tout ce que la population rurale peut lui apporter, sans doute en partie pour s’en faire accepter 3. L’été, le domaine de Chantereine est le théâtre d’une forte sociabilité qui s’organise autour des deux piscines. L’une se déploie en plein air. La seconde, couverte, est ornée d’un bas-relief, réplique du Bain des nymphes de Diane des jardins de Versailles, œuvre du célèbre sculpteur Girardon (1628-1715). Une dame rencontrée à l’occasion de la préparation de cette exposition m’a rapporté avec quelle générosité Aston Knight, son épouse et leurs enfants recevaient la jeunesse de Beaumont dont elle fut autrefois. Dans son récit pointe encore l’étonnement : « Vous n’imaginez pas. Cela était impensable à l’époque, pour des jeunes f lles de la bourgeoisie locale dont nous étions, d’aller se baigner et de se mettre en maillot de bain. Mais c’était toujours en tout bien tout honneur. » Celle qui fut une jeune f lle accueillie à Chantereine est encore éblouie aujourd’hui par la présence d’un tel équipement dans la France de l’entre-deux-guerres 4. Elle se surprend aussi à s’en étonner, tant les usages du corps et les modes de sociabilité se sont transformés le temps d’une vie. Elle apporte surtout une dénégation à des présupposés établissant qu’un corps déshabillé ne peut être un corps sage… Et peut-être s’étonne-t-elle encore un peu qu’il n’en fût pas autrement. Le corps est central dans la sociabilité propre à Chantereine. Des corps sportifs évoluant en liberté peuplent le domaine tout au long de l’été. Il y a les piscines et un court de tennis. Selon les préceptes de l’éducation victorienne des Knight, le sport répond à des objectifs sociaux, idéologiques et moraux. Il canalise les pulsions. Lié au culte de l’effort et du mérite, il prépare à une vie d’action et à l’acquisition des valeurs de fair-play. Pour qui a reçu une éducation de ce type à la f n du xixe siècle, le corps sportif incarne la sociabilité même.

Le corps est central aussi dans le travail d’Aston Knight. Il est le lieu d’expérimentation de sensations mises à prof t pour la peinture. Le contact de l’eau donne une autre acuité au regard, il module la perception d’un souff e de l’air sur la joue, le bruissement de la nature tout entière et réorganise les perspectives olfactives. Knight connaît les subtilités du corps, sait jouer de la complémentarité des sens pour accroître ses sensations. Le corps enf n, et en particulier le corps nu, est central dans la peinture française du xixe siècle, et tous ceux qui s’illustreront dans la peinture de paysage l’abordent : soit ils passent d’un sujet à l’autre, soit ils peuplent de f gures féminines dévêtues des visions de nature 5. Louis Aston Knight a reçu son éducation artistique à Paris et restera toute sa vie un homme du xixe siècle : il est plus que probable qu’il apprécie la peinture de cette période. La question d’emblée posée par Alain Fleischer est la suivante : pourquoi le corps, si impliqué dans le mode de sociabilité et dans la propre pratique artistique de Knight, expérimentant des modes de perception multiples, pourquoi donc la f gure humaine et féminine surtout – pourtant centrale dans la peinture française du xixe siècle dont Knight se pose en héritier en ajoutant systématiquement « Paris » à sa signature –, pourquoi ce corps est-il absent de sa peinture ? Cette interrogation se trouve au cœur de l’œuvre qu’Alain Fleischer a spécialement conçue pour cette exposition. C’est sur ce mystère qu’il a choisi de se pencher, faisant de cette énigme une matière véritable.

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Fig. 8. Louis Aston Knight dans son atelier à Beaumont-le-Roger, vers 1925 Photographie Collection familiale

Fig. 9. Le peintre représentant la campagne normande d’après photo, fin des années 1930 Photographie Collection familiale

Fig. 10. Aston Knight réalisant une vue du manoir de Chantereine (New York), années 1930 Photographie Collection familiale

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À quoi bon gloser sur les installations et la nouvelle reproduite à la f n de ce volume ? Je laisse au visiteur-lecteur le soin de découvrir ce qu’Alain Fleischer nous propose, et cela d’autant plus volontiers qu’il est non seulement artiste et romancier, mais aussi théoricien et pédagogue. Il me faut pourtant clore cet essai sur ce qu’il annonçait initialement, à savoir sa fascination pour l’eau et son statut au sein de l’œuvre plastique. Présente matériellement au sein de l’une des deux installations produites par Alain Fleischer pour « Une même longueur d’onde », l’eau ne représente ni ne symbolise rien ; elle agit, simplement. L’installation est constituée d’une source lumineuse projetant une photographie du parc de Beaumont avec en premier plan le miroir d’eau ; au sol est placé un bassin rempli d’eau au fond duquel repose un miroir et le mur est support de la projection. L’image traverse l’eau qui l’altère de son mouvement avant d’aller se heurter au miroir et f nir sa course sur le mur blanc. Alain Fleischer conf e à l’eau le soin de faire transiter des images. Il assiste pour sa part à ce qui se passe pendant le transfert, positionnant l’expérimentation et les phénomènes qui en découlent au cœur même de l’œuvre. Il n’y a pas de mise en scène, seulement le vase clos de l’expérimental dont il fait sa matière, et l’eau ne raconte rien si ce n’est une affectation de l’image issue de sa rencontre avec elle. Avec l’eau, Alain Fleischer nous propose un bouleversement à l’œuvre, s’accomplissant en même temps qu’accompli.

Fig. 11. Aston Knight saluant un gendarme sur le pont portant son nom à Beaumont-le-Roger, vers 1925 Photographie Collection familiale

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L’image vagabonde Prenant le parti de librement associer les idées, je m’empare de celle du transfert, de l’altération de la matière initiale produite par le temps et l’espace de ce transport, pour revenir vers Aston Knight. Sa vie durant et tout en se nourrissant de culture française, Aston Knight, n’a eu de cesse de rester américain. La distance, celle d’un amateur étranger, qu’il établit à l’égard des choses qu’il apprécie – environnement paysager et vernaculaire, peinture bien sûr, mais aussi bons vins, mobilier français et objets d’art anciens dont il peuple son intérieur, jardins inspirés pour partie de Versailles, etc. – maintient un désir et une jouissance intacts. Le plaisir que lui procurent ces objets nous les fait ainsi apparaître dans un entre-deux transitoire : plus tout à fait d’ici, et pas tout à fait d’ailleurs. Les paysages de Normandie aident Louis Aston Knight à rester américain, aussi sûrement que les maisons de campagne prisées des Parisiens consolident leur appartenance à l’élite urbaine. On sait que Knight a essentiellement produit pour le marché de l’art américain, et notamment pour une clientèle de la haute bourgeoisie qui voit dans la possession de ces tableaux un ancrage dans la vieille Europe des origines aussi fondamental que nécessairement distant. En Normandie, Knight est peintre comme, ailleurs, d’autres hommes sont explorateurs. Ceux-ci produisent des récits comme le peintre réalise des tableaux, en organisant leur pensée de manière que ceux avec lesquels il souhaite partager ses expériences puissent non seulement comprendre mais jouir aussi d’un ailleurs désormais accessible. La réalité vécue est passée au crible d’un système partagé de représentations. Ainsi, ce n’est pas tout à fait la Normandie que Knight représente, c’est une Normandie qui se love au creux des rêves américains.


Le projet de cette exposition a suscité beaucoup d’intérêt au sein de la commune de Beaumont-le-Roger et dans les villages alentour, où le peintre a laissé son empreinte dans la mémoire collective. Grâce à la complicité de quelques-uns, nous avons collecté au sein des familles des œuvres données par Aston Knight du temps où il résidait à Beaumont, en échange d’un service rendu, en gage d’amitié, en souvenir d’un moment passé, ou encore à l’occasion de la naissance d’un enfant. Cette peinture, réalisée le plus souvent sur de petits panneaux, est plus modeste que les ouvrages destinés au marché. Gardées dans les familles, ces œuvres dessinent aujourd’hui une géographie affective, révélant l’implication du peintre dans la vie locale. De facture plus libre, elles ont sans doute eu leur rôle dans l’appropriation de leur propre patrimoine par les riverains de la Risle, qui savent gré aujourd’hui à Louis Aston Knight d’avoir guidé leur regard.

1. Vers 1860, le peintre Charles François Daubigny (1817-1878) aménage un bateau en atelier de peinture. Il navigue et peint sur la Seine et sur l’Oise. Dans les années 1870, Claude Monet (1840-1926) transforme lui aussi une embarcation en atelier f ottant. 2. À la f n de sa vie, l’ancien diplomate américain Ridgway Knight (1911-2001), f ls aîné du peintre, a rédigé ses Mémoires. La vie à Beaumont dans la période de l’entre-deux-guerres y trouve une part belle. Ce témoignage a été un document précieux pour approcher le peintre et son univers. 3. Dans ses Mémoires, Ridgway Knight rapporte qu’un dimanche le curé du village a fait son sermon autour de l’hospitalité des Américains de Chantereine, suspecte selon lui. 4. Les piscines sont rares en France à cette époque, et l’émergence du bain de loisir n’en est qu’à ses débuts, sans compter une grande disparité entre les grandes villes et le milieu rural. En 1920, on compte en France moins de mille nageurs licenciés à la Fédération française de natation. 5. Henri Zerner, dans Histoire du corps (2005), a montré l’énorme popularité du nu féminin au xix e siècle. Autour de lui s’organisent, ainsi que Le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac le met en scène (1831), les idées de la création artistique. Les corps f gurés d’Ingres et de Cabanel trouveront leur irréalité soulignée par les artistes de la seconde moitié du siècle, s’attachant pour leur part à la réalité du corps, comme Courbet et Degas notamment. On pense bien sûr aussi aux baigneuses de Renoir et de Cézanne.

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3. Lavoirs, vers 1930 Huile sur panneau, 35 27 cm Signé et localisé en bas à gauche : aston Knight Paris Collection particulière, France

4. Souvenir d’Hirson, années 1920 Huile sur panneau, 35,2 26,7 cm Signé et localisé en bas à droite : aston Knight Paris Dédicace au dos : à Suzon et Marcel Rachet / Souvenir d’Hirson 192?/et de leur vieil ami aston Knight Collection Nicole Rachet-Hambourg

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5. Pont sur la Risle à Beaumontle-Roger, date indéterminée Mine de plomb, gouache et aquarelle sur panneau, 25 35 cm Signé en bas à droite : aston Knight Collection François Degas

6. Bords de l’Iton à Évreux, vers 1920 Huile sur panneau, 35,4 27,1 cm Signé et localisé en bas à droite : aston Knight Évreux Collection particulière, France

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7. L’Église du Neubourg, 1935 Huile sur panneau, 35,2 26,5 cm Signé et localisé en bas à droite : aston Knight Paris Dédicace au dos : L’église du Neubourg avant un bon déjeuner/chez mon ami A. Michel/juillet 1935/ PS : vive Nicole Claudine/ la petite-fille de Micheline Collection particulière, France

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8. L’Avre au Ménillet, 1929 Huile sur panneau, 27 35,1 cm Signé et localisé en bas à gauche : aston Knight Paris Dédicace au dos : L’Avre au Ménillet/ À Mme Lachat/respectueux hommage/ aston Knight/Paris 1929 Collection particulière, Normandie


9. La Chaumière de Diane, vers 1935 Huile sur panneau, 27,2 35 cm Signé et localisé en bas à gauche : aston Knight Paris Collection particulière, Normandie

10. La Chaumière de Diane, 1931 Huile sur carton, 30 21 cm Signé et localisé en bas à gauche : aston Knight Paris Dédicace au dos : to dear Mrs Benedict/ à Beaumont le Roger/Christmass card with best/ wisches of her friends the/Knights/1931 Collection T. L., Normandie

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11. La Risle à Nassandres, date indéterminée Huile sur panneau, 35,2 27 cm Signé et localisé en bas à gauche : aston Knight Paris Collection particulière, France

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12. La Risle à Nassandres, date indéterminée Huile sur panneau, 34,9 26,9 cm Signé et localisé en bas à gauche : aston Knight Paris Collection particulière, Normandie



Entretien avec Alain Fleischer, le 23 mars 2013

Florence Calame-Levert : Au départ, il y a cette photographie qui m’a beaucoup marquée, au-delà de son caractère anecdotique : le peintre Louis Aston Knight chaussé de hautes cuissardes et équipé d’une double échelle en guise de chevalet, installé au beau milieu de l’eau pour y peindre. Cette image est à l’origine de notre collaboration pour cette exposition : nous vous avons invité à relever le déf , à plonger vous aussi au cœur du motif, à établir par ce biais le contact avec le peintre pour un dialogue esthétique inédit. Votre enthousiasme a été immédiat. Qu’est-ce-qui vous a touché chez cet artiste et dans ce projet ?

Fig. 15. Alain Fleischer, Mer de Chine, 1986 Installation

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Alain Fleischer : J’ai immédiatement identif é le thème de l’eau. Or l’eau a été pour moi un matériau de travail important, sous forme photographique mais plus encore lorsqu’elle est physiquement présente dans des installations : traversée par des images projetées, les renvoyant par des miroirs immergés, les morcelant, les animant, grâce à des miroirs f ottants poussés par la maquette d’un brise-glace… Le rapport d’Aston Knight à l’eau, thème omniprésent dans ses peintures, et matière dans laquelle il n’hésitait pas à pénétrer, m’a aussitôt frappé. En ce qui concerne son œuvre picturale, j’avoue honnêtement que je ne la connaissais pas. Ses tableaux révèlent qu’il est un bon peintre, qu’il maîtrise sa technique, qu’il a un style, et des sujets de prédilection. Mais il apparaît comme un artiste décalé par rapport à l’art de son époque. S’il avait vécu quarante ou cinquante ans plus tôt, il aurait trouvé sa place entre naturalisme et impressionnisme. Mais il se contente de creuser un sillon que l’histoire de l’art enregistre un demi-siècle auparavant, et il ne cherche pas à inventer un langage plastique. Par ailleurs, il ne traite qu’un thème traditionnel : le paysage. Alors que, dans le même genre, il y a des artistes médiocres qu’on oublie, Aston Knight demeure un peintre estimable, mais en retard sur l’histoire de l’art. Cette indifférence au renouvellement des formes qui occupent le devant de la scène artistique le condamne à rester un artiste mineur, une sorte de petit maître, en même temps qu’elle le rend sympathique.

L’installation Mer de Chine produit une image hybride. Après avoir traversé un bassin rempli d’eau et s’être reflétée sur un miroir en tapissant le fond, une image projetée est mise en mouvement par l’eau au sein de laquelle évoluent des poissons.

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J’ai été sensible à son mode de vie et au caractère romanesque de son personnage. J’ai de l’attirance pour la f gure de l’étranger, de l’exilé, qui s’attache à un autre pays, à une autre culture, à une autre langue que les siens. Le personnage de l’artiste américain qui aime vivre en France a donné quelques f gures célèbres, de Henry Miller aux écrivains et poètes de la Beat generation, en passant par Man Ray, par quelques jazzmen, et sans oublier Gertrude Stein qui fut en outre une grande mécène. Avec le choix de Paris en moins, Aston Knight fait partie de cette famille.

F. C.-L. : Il y a un certain nombre de résonances aussi par rapport à votre propre œuvre et à votre propre histoire… A. F. : Il est vrai que j’ai été marqué par l’histoire de mes parents, venus de Hongrie et d’Espagne. Comme Aston Knight, je suis né en France, mais je ne suis devenu vraiment français que lorsque mon père a été naturalisé : jusque vers l’âge de dix ans, j’étais aussi hongrois. Cette situation d’une famille étrangère qui élit la France m’est donc familière, et j’en imagine une variante pour le personnage du narrateur de ma nouvelle, qui passe un été de son adolescence chez Aston Knight. Je suis sensible aussi à la f gure de l’artiste qui installe un dispositif et un décor de vie quotidienne pour réaliser son œuvre. Aston Knight était aisé et il a choisi de résider dans une belle région de France, d’y aménager une noble demeure ancienne, de l’agrémenter de jardins et de plans d’eau, tout cela principalement pour y travailler. Il n’a rien d’un esthète fortuné et oisif, il ne cesse de produire. Cela peut faire penser à Marcel Proust qui, décidant de se consacrer à l’écriture de la Recherche, s’organise pour vivre enfermé dans un appartement, coupé du monde. Aston Knight, apparemment, n’a pas vécu dans le milieu artistique parisien de son époque, il n’a fréquenté ni Montparnasse ni Pigalle, où se retrouvaient les artistes célèbres du moment : Pablo Picasso, Constantin Brancusi, Georges Braque, André Breton et les surréalistes… Il ignore toute idée d’avant-garde, il se tient à l’écart des courants esthétiques, des mouvements artistiques, pour se consacrer à une œuvre sincère et passéiste. Mais dans la distance qu’il prend par rapport au monde de l’art, on pourrait aussi le comparer à Gauguin qui, sans doute pour d’autres raisons et avec un autre génie, décide de fuir la vie parisienne, d’abord en Bretagne à Pont-Aven, puis à Tahiti et aux îles Marquises où il espère retrouver les êtres, les décors et la nature d’une vie primitive. Chez Aston Knight, il y a sûrement ce même désir de se tenir à l’écart et ce même goût pour la nature, qu’il satisfait l’un et l’autre en Normandie, avec ce que peut présenter d’exotique pour un Américain une maison de style Louis XIII, un village de France, la cuisine française, etc.

Fig. 16. Aston Knight recevant dans son atelier parisien, vers 1910. Photographie autochrome Collection familiale

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F. C.-L. : C’est-à-dire qu’il construit aussi un idéal type de la Normandie pour une clientèle américaine, puisqu’il travaille essentiellement pour elle. Il produit donc une peinture dont sont friands les amateurs fortunés d’outre-Atlantique. D’ailleurs, qu’il peigne en Normandie, au bord de la Méditerranée ou même à Venise, sa signature est quasi systématiquement suivie de l’indication « Paris ». Il élabore donc un idéal type normand à destination du marché américain, et on peut même ajouter que, tout en restant lui-même américain, il produit une œuvre qui est un idéal typique de la peinture française elle-même.

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A. F. : Cela souligne la place centrale qu’occupait Paris dans le monde de l’art pendant les premières décennies du xxe siècle. C’était à Paris que les artistes de tous pays venaient vivre et trouver leur inspiration, après que les impressionnistes eurent célébré la vie parisienne et les paysages de l’Île-de-France : Belges, Hollandais, Russes, Roumains, Hongrois, Italiens, Allemands, Anglais, Suisses, Espagnols, Américains (du Nord et du Sud)… Aujourd’hui, la peinture américaine s’est aff rmée contre Paris, et bien rares sont les artistes d’outre-Atlantique qui viendraient faire carrière en France. Depuis Jackson Pollock, puis Andy Warhol et le pop art, l’art américain s’est fait en Amérique, célébrant la culture américaine. Mais pendant la première moitié du xxe siècle, les États-Unis étaient tournés vers l’Europe, et plus particulièrement vers la France. De cela, on trouve aussi de nombreuses preuves dans le cinéma hollywoodien jusqu’à un chef-d’œuvre comme Casablanca, de Michael Curtiz (de son vrai nom Mihály Kertész, émigré hongrois en Californie). L’idéal typique que vous évoquez, cette mythologie de la France, n’était pas exempt de quelques stéréotypes – béret basque, litron de vin rouge, baguette et camembert –, et il y avait aussi une fascination pour la bohème artistique parisienne à laquelle certains Américains ont aimé se mêler. Pour revenir à Aston Knight, il me semble que c’est lorsqu’il s’éloigne de sa Normandie d’élection que ses œuvres deviennent moins académiques : à Venise, par exemple, et mieux encore à New York, avec cette belle vue nocturne, dont j’ai vu une reproduction, peut-être peinte à partir d’un des ferries qui vont à Ellis Island, et dans l’eau, toujours présente, les ref ets des lumières d’une grande métropole contemporaine. C’est New York qui semble tirer l’œuvre d’Aston Knight vers une modernité absente de ses tableaux représentant les chaumières, les moulins et les lavoirs du paysage normand.

La signature d’Aston Knight pourrait être la représentation de l’eau qui l’intéresse en Normandie, mais aussi partout où elle constitue l’élément essentiel du décor : dans la lagune à Venise, ou face à Manhattan. Dans sa peinture, il a créé une continuité du thème de l’eau à travers le monde. Si je dois chercher dans mon travail d’artiste une récurrence comparable, ce serait peut-être celle des images projetées et ref étées, capables d’apparaître sur toutes surfaces de la réalité visible. Par ailleurs, si je dois déceler un équivalent à l’attachement d’Aston Knight pour un territoire géographique (dans son cas la Normandie), c’est sans doute l’Italie qui joue ce rôle pour moi. Même si mon travail est détaché de tout décor ou de tout lieu particulier, par son caractère spéculatif, par l’invention de dispositifs techniques et esthétiques réalisables n’importe où, il est arrivé un moment où j’ai puisé les images d’une réalité photographiable et f lmable en Italie et plus précisément à Rome. Cela s’est produit à partir de mon séjour à la villa Médicis.

15. Pink Phlox, vers 1930 Huile sur toile, 81 65 cm Signé et localisé en bas à gauche : aston Knight Paris Rehs Galleries, New York City

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Fig. 17. Port en Hollande, Dordrecht, début du XXe siècle Huile sur panneau, 18 27cm Signé en bas à gauche : aston Knight Collection familiale

16. Paysage en Angleterre, avant 1914 Aquarelle sur papier marouflé sur toile, 65 81 cm Signé et localisé en bas à droite : aston Knight Paris Collection particulière, Normandie

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Fig. 18. Paysage maritime, début du XXe siècle Huile sur panneau, 18 27 cm Signé en bas à droite : aston Knight Collection familiale


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Fig. 22. Planche extraite du livret du Salon de 1911 dans lequel un article signé Léonce Balitrand, est consacré au peintre Collection Nicole Rachet-Hambourg, Paris

Fig. 23. Vue de Sorente, date indéterminée Huile sur panneau, 34,6 27 cm Signé et localisé en bas à gauche : aston Knight Sorente Collection familiale

18. Chantier naval à Venise, vers 1910 Huile sur toile, 65 81 cm Signé et localisé en bas à droite : aston Knight Paris Collection Doucet-Schmid, France

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F. C.-L. : Il y a en revanche quelque chose qui vous distingue absolument, c’est la f gure humaine. Absente chez Knight, elle est centrale dans votre œuvre, à travers notamment le corps féminin. A. F. : C’est une différence essentielle en effet, et je l’illustre dans la nouvelle écrite pour ce catalogue. Je reste intrigué par l’absence de la f gure humaine dans la peinture d’Aston Knight. On sait que son père, Ridgway Knight, s’était fait connaître par l’évocation du monde paysan français, avec ses personnages, leurs tenues, leur vie aux champs. On a dit – j’ignore si cette information est exacte – qu’un accord aurait été passé entre le père et le f ls pour que ce dernier, devenant peintre à son tour, ne fasse pas de concurrence à son aîné et s’abstienne de représenter des personnages. Je ne crois pas que cette explication soit suff sante. Si un tel contrat a pu être respecté au début, est arrivé un moment dans la peinture d’Aston Knight où quelque chose a pris déf nitivement la place de la f gure humaine. Mon hypothèse est que l’eau est devenue une métaphore de la femme. La représentation féminine s’est comme dissoute dans l’eau. L’eau représente la femme, la femme est cachée dans l’eau, elle est de l’eau. Au contraire, une partie importante de mon travail – en photographie, dans mes f lms ou dans mes romans – s’intéresse au corps féminin qui règle le temps et l’espace de la représentation, de la narration, avec la relation érotique comme perspective constante. Il m’est diff cile d’imaginer des images ou une œuvre littéraire d’où serait absent tout personnage féminin, tout visage, tout corps de femme. Ce manque dans l’œuvre d’Aston Knight est donc pour moi frappant, intriguant : je me demande comment il a pu se passer de la f gure humaine, alors qu’il était apparemment un homme sensuel, bon vivant, aimant la nature. Il n’avait rien d’un ascète, d’un ermite ou d’un mystique. Son œuvre me laisse donc l’impression d’un énigmatique camouf age.

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Fig. 24. Alain Fleischer, Le Voyage du brise-glace, 1982-1983 Installation

Cette installation fait se refléter des images par des miroirs flottants sur l’eau d’un bassin, que pousse le modèle réduit d’un brise-glace.

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Fig. 58. Vue de Beaumont, date indéterminée Huile sur toile, 70,5 70 cm Signé et localisé en bas à gauche : aston Knight Paris Collection familiale

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