L'ART ÉTRUSQUE. 100 chefs-d'œuvre du musée du Louvre (extrait)

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L’ART ÉTRUSQUE 100 chefs-d’œuvre

du musée du louvre Françoise Gaultier Laurent Haumesser Katerina Chatziefremidou


Musée

du

Louvre

Jean-Luc Martinez Président-directeur Hervé Barbaret Administrateur général Françoise Gaultier Directrice par intérim du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines Juliette Armand Directrice de la Production culturelle

M

usée du Louvre éditions Direction de la Production culturelle Violaine Bouvet-Lanselle Chef du service des Éditions Catherine Dupont Coordination éditoriale et collecte de l’iconographie

S

omogy éditions d’art

Nicolas Neumann Directeur éditorial

Laurence Verrand assistée de Céline Guichard Coordination éditoriale Marie Donzelli Conception graphique et réalisation Marion Lacroix Contribution éditoriale

Le papier de ce catalogue est fabriqué par Arjowiggins Graphic, et distribué par Antalis

Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros Fabrication

© Musée du Louvre, Paris, 2013 © Somogy éditions d’art, Paris, 2013 www.louvre.fr www.somogy.fr ISBN musée du Louvre : 978-2-35031-447-1 ISBN Somogy : 978-2-7572-0714-7 Dépôt légal : septembre 2013 Imprimé en Italie (Union européenne)

En application de la loi du 11 mars 1957 (art. 41) et du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre.


PRÉFACE Jean-Luc Martinez Président-directeur du musée du Louvre

L

e musée du Louvre est un grand musée italien. Nous le devons à l’histoire particulière que les rois de France ont entretenue avec notre voisin transalpin : le noyau des collections royales est en effet formé par les chefs-d’œuvre de la peinture italienne et de la sculpture antique romaine, références absolues du goût des collectionneurs de l’Europe moderne. Cette tradition s’est largement poursuivie au xixe siècle. Napoléon Ier et Napoléon III ont regardé vers l’Italie et ont cherché à faire venir en France les plus grandes collections italiennes : les collections Braschi, Albani, Borghèse ou celle du marquis Campana. Le Louvre a donc été l’un des premiers musées à exposer des primitifs italiens ou à rendre compte de la diversité des civilisations qui se sont succédé avant la conquête par Rome. Les souverains de la Restauration ont tout autant été à l’affût de ce qui se passait en Italie, où la science archéologique, marquée par la création de l’Institut de correspondance archéologique, à Rome, en 1829, est née dans les années 1830. C’est ce qui vaut au Louvre d’être un musée exceptionnel dans le domaine de l’art des civilisations de l’Italie préromaine, le premier sans doute hors d’Italie où se trouvent le Musée grégorien étrusque du Vatican, créé en 1837, le musée national de la Villa Giulia ou le Musée archéologique de Florence, pour ne citer que les plus importants. L’acquisition en 1825 et en 1836 des deux collections d’Edme-Antoine Durand réunies au cours de séjours en Italie, l’entrée au Louvre, par des biais divers, des œuvres des collections de l’impératrice Joséphine, de Lucien Bonaparte, prince de Canino, qui fouilla à Vulci, ou encore des collections du comte de Pourtalès-Gorgier, de l’archéologue Désiré Raoul-Rochette ou du comte Michel Tyszkiewicz attestent cette passion française pour l’archéologie de la péninsule. Paris devient alors une place importante du commerce des antiquités italiques, animée par des grands marchands et collectionneurs – Claude-Camille Rollin, Alessandro Castellani ou encore Félix-Bienaimé Feuardent –, à la tête de véritables réseaux européens. Mais c’est bien sûr l’achat en 1862, par Napoléon III, de

la collection de Giovanni Pietro Campana – geste aussi politique qu’artistique – qui fait du Louvre un grand musée d’art étrusque et italique, position largement amplifiée par l’exceptionnelle décision prise alors de disperser les œuvres à travers tout le territoire français. Depuis ce siècle fondateur, les connaissances sur les civilisations italiques se sont largement renouvelées, grâce aux fouilles du xxe siècle, qui ont révélé notamment l’habitat princier ainsi que les aménagements urbains et portuaires, là où les explorations du xixe siècle avaient d’abord dégagé les nécropoles, grâce également aux importants travaux consacrés à l’histoire de l’archéologie et aux recherches en archives qui permettent peu à peu de retrouver le contexte d’origine des objets parvenus dans les grands musées depuis la fin du xviiie siècle. Il faut donc saluer l’initiative des trois auteurs de cet utile ouvrage de synthèse qui offre, pour la première fois, une présentation complète des richesses de la collection du Louvre. Reprenant les principes d’une collection qui comprend déjà des volumes dédiés à la céramique ou à la sculpture grecques, les auteurs ont rassemblé cent œuvres étrusques et italiques et livrent des informations souvent inédites sur l’historique retrouvé d’une œuvre ou sur son contexte de création révisé d’après les dernières découvertes. C’est ainsi qu’au-delà des œuvres les plus admirées, qui, comme souvent, ne sont pas toujours bien connues – on pense au fameux sarcophage des Époux ou aux plaques peintes archaïques dites « Campana » –, ce livre important constitue une véritable initiation à l’archéologie de l’Italie préromaine. On y appréciera l’inventivité et la variété des créations des riches cités étrusques, mais aussi celles d’autres régions de l’Italie antique, la Basilicate, la Sardaigne ou les Abruzzes. Entre les Grecs et les Phéniciens, leurs rivaux et ennemis, ces peuples italiques, largement ouverts aux influences méditerranéennes diverses, ont inventé un art qui parle encore à nos sensibilités contemporaines. Ce livre de même que les nouvelles salles que nous consacrerons bientôt à ces peuples permettront de leur donner toute la place qu’ils méritent.


100 chefs-d’œuvre 1 Urne cinéraire biconique et écuelle 2 Casque 3 Plaque de ceinturon 4 Deux vases tripodes 5 Trois pendentifs 6 Œnochoé anthropomorphe à décor gravé 7 Amphore à spirales 8 Cratère à couvercle 9 Coupe et olla à décor de poissons et d’oiseaux 10 Œnochoé : motifs géométriques et oiseaux 11 Vase en forme de barque 12 Bracelets 13 Fibules 14 Fibule à arc serpentant 15 Trône 16 Vase et son support (lébès et holmos) 17 Skyphos 18 Kyathos à anse à crête 19 Jarre (pithos) 20 Amphore 21 Amphore 22 Dinos 23 Canthare 24 Pyxide 25 Statuette votive : archer 26 Disques-cuirasses 27 Coffret en forme de maison

28 Cruche 29 Œnochoé à décor estampé 30 Jarre (pithos) et brasero 31 Vase « canope » 32 Lion ailé 33 Fragments d’acrotères 34 Plaques peintes dites « Campana » 35 Hydrie à figures noires : centauromachie 36 Sarcophage des Époux 37 Urne cinéraire : exposition du mort (prothésis) 38 Antéfixe à tête de femme 39 Antéfixe : Héraclès et Athéna 40 Amphore à figures noires : épisodes de la légende d’Achille 41 Grand vase de banquet (kyathos) 42 Statuette féminine : décor de meuble (?) 43 Quatre plaques de revêtement de coffret 44 Amphore à figures noires : guerriers 45 Amphore à figures noires : danseuse jouant des crotales

46 Amphore à figures rouges surpeintes : scène de duel 47 Brûle-parfum : figure masculine sur un chariot 48 Brûle-parfum : danseuse aux crotales 49 Anses d’amphore 50 Tisonnier 51 Œnochoé 52 Fragment de cippe funéraire : exposition du mort (prothésis) 53 Chaîne et pendentif en forme de tête d’Achéloos

et bouc


54 Plaques de revêtement : décor de meuble (?) 55 Statuette votive : figure masculine 56 Statuette votive figurant la déesse Menerva (Athéna) 57 Miroir : figure divine 58 Statuette votive figurant le dieu Turms (Hermès) 59 Bague « à cartouche » à décor gravé 60 Boucles d’oreilles en forme de disque 61 Boucles d’oreilles en forme de barillet (a bauletto) 62 Acrotère en disque : masque de Gorgone 63 Antéfixe : tête féminine nimbée émergeant d’une fleur

de lotus 64 Antéfixe : tête féminine casquée du type dit « de Junon Sospita » 65 Anneau à nœuds 66 Tête d’Héraclès : fragment d’acrotère ou de statue votive 67 Urne cinéraire : défunt banquetant et génie féminin ailé 68 Statuette votive figurant le dieu Mars 69 Statuette votive figurant Héraclès 70 Anse de bassin : deux guerriers combattant (Étéocle et Polynice ?) 71 Vase en forme de tête de jeune homme 72 Statuette votive : Junon (?), Vénus (?) 73 Ciste dite « ciste Napoléon » : massacre des prisonniers troyens 74 Miroir : Taseos, Luqorcos et Pilonicos 75 Cratère en calice à figures rouges : Athéna et Poséidon, entourés de héros et de divinités 76 Bulle : lutte de Thétis et Pélée (?) entre deux figures féminines

77 Diadème 78 Boucles d’oreilles en forme de grappe (a grappolo) 79 Boucles d’oreilles à tube et à pendeloque en forme de vase 80 Askos à figures rouges en forme de canard : génies féminins

81 Askos en forme de cervidé 82 Canthare à figures rouges en forme de double visage 83 Lébès-situle à figures rouges avec son couvercle  84 Paire de stamnoi à figures rouges : cortège dionysiaque et

ailés

scènes de la vie d’Achille 85 Miroir à boîte : Pâris réfugié auprès de l’autel de Zeus 86 Trois plats à pied haut à figures rouges ornés d’une tête féminine de profil ou d’une étoile 87 Œnochoé à décor surpeint : figure drapée 88 Coupe à décor surpeint (pocolom) : buste de femme 89 Amphore à volutes : amazonomachie 90 Vase funéraire en forme de tête féminine 91 Couvercle de sarcophage 92 Sarcophage 93 Urne cinéraire 94 Urne cinéraire 95 Buste votif de femme 96 Fragment de statue : Ariane 97 Figure féminine trônant 98 Ex-voto anatomique 99 Statue votive : figure féminine 100 Fragment de statue : tête masculine



9 Introduction

22 Époque

villanovienne

28 Époque

orientalisante

65 Époque

archaïque

137 Époque

classique

159 Époque

hellénistique

211 Bibliographie



A

u Ier millénaire av. J.-C., l’Italie se présente comme une mosaïque de peuples, de langues et de cultures, dont, même après l’unification de la péninsule par les Romains, la division administrative en onze régions opérée par l’empereur Auguste (r. 27 av. J.-C. – 14 apr. J.-C.) gardera le souvenir. Cette division conserve en effet les noms géographiques et ethniques traditionnels, et ceux-ci survivent aujourd’hui encore dans le nom de plusieurs régions italiennes telles que la Ligurie, le Latium ou la Campanie. Le phénomène s’explique par la situation même de l’Italie : d’un côté les montagnes qui la compartimentent prédisposent ses différentes régions à une certaine forme d’isolement, de l’autre l’extension de sa façade côtière et sa position au centre du Bassin méditerranéen, au carrefour des routes nord-sud/est-ouest, l’ouvrent aux influences extérieures et mettent chacune de ces régions au cœur d’un réseau d’échanges assez dense pour assurer tout à la fois la cohésion des groupes ethniques divers qui la composent et l’interdépendance des multiples formes prises par l’art italique au Ier millénaire av. J.-C. Les sources latines ou grecques, les seules que nous possédions après la perte de la littérature étrusque, précieuses pour Rome ou pour les colonies grecques d’Italie du Sud, ne portent malheureusement sur ce tableau qu’un éclairage indirect, partiel, sinon partial, et seule l’archéologie permet d’écrire petit à petit, au fil des découvertes, l’histoire des différentes cultures de l’Italie antique, parmi lesquelles la civilisation étrusque est

l’une des plus brillantes et des mieux connues, avec celles des colonies grecques d’Italie du Sud. Cette sélection d’œuvres, qui obéit à une présentation chronologique, rend compte tout à la fois de la diversité des cultures italiques, de la richesse et du raffinement de la civilisation étrusque, des points faibles et forts d’une collection, dont la formation reste liée aux aléas des acquisitions, achats ou dons.

la civilisation étrusque La civilisation étrusque s’est développée au cœur de l’Italie dans un espace délimité au nord par le cours de l’Arno, à l’est et au sud par celui du Tibre et à l’ouest par la mer Tyrrhénienne (qui tient son nom des Étrusques, Tyrsenoi ou Tyrrhenoi en grec). Elle s’étendait, dans sa période de plus grande expansion, à la fin du vie siècle av. J.-C., jusque dans la plaine du Pô et jusqu’en Campanie – des zones déjà largement caractérisées au début de l’âge du fer par la culture villanovienne, qui doit son nom au site de Villanova, près de Bologne, où elle a été pour la première fois observée, et qui peut être considérée comme la première phase de la civilisation étrusque. Ce sont les zones métallifères, Vetulonia et Populonia au nord, Tarquinia au sud, qui offrent avant les autres, à la charnière des xe et ixe siècles av. J.-C., les premiers signes

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de formation des futures agglomérations urbaines. En effet, l’extraction du minerai et l’activité métallurgique placent rapidement ces régions – puis toute l’Étrurie côtière – au cœur d’un vaste réseau d’échanges favorable aux transmissions technologiques et culturelles, à l’ouest avec la Sardaigne, au sud avec l’Italie méridionale, au nord avec la plaine du Pô et le monde transalpin. Au viiie siècle av. J.-C., lorsque après une période de relâchement les liens se font plus étroits et les trafics plus intenses que jamais d’un côté à l’autre de la Méditerranée, c’est avec les Phéniciens et les Eubéens que l’Étrurie noue les relations les plus étroites : avec les Eubéens quand ceuxci, attirés par les minerais de l’Étrurie, s’installent vers le milieu du viiie siècle av. J.-C. dans le golfe de Naples (Pithécusses et Cumes) ; avec les Phéniciens quand, encore à leur apogée, ces derniers commencent à subir la pression de l’Assyrie, et, attirés eux aussi par les zones métallifères, fondent à peu près à la même date leurs premiers établissements en Sicile (Motyé), en Sardaigne (Sulcis) et sur le littoral ibérique (Cadix, Morro de Mezquitilla, Toscanos, Cerro del Mar). Le contact est d’autant plus fécond qu’au milieu du e viii siècle l’Étrurie est déjà engagée dans un processus de développement rapide, dont témoigne l’enrichissement des mobiliers funéraires. Dès la seconde moitié du viiie siècle, la dépouille du défunt, ou l’urne cinéraire qui contient ses restes et prend la forme d’un vase biconique (notice 1) ou d’une cabane à l’image de la demeure des vivants aux parois de pisé et au toit de chaume, n’est plus accompagnée seulement de quelques objets de toilette ou de parure (rasoir, fibule…), mais de plus en plus souvent d’un casque (notice 2), d’une épée ou d’une lance, d’un ceinturon Ci-contre : Acrotère en disque, détail : masque de Gorgone (notice 62).

(notice 3), d’une quenouille, de pesons et de fusaïoles, d’un ou deux mors de cheval, de vaisselle en bronze et en terre cuite, qui précisent le sexe et le statut du défunt. Une classe d’aristocrates se développe dans toute l’Étrurie, mais surtout dans les centres de l’Étrurie méridionale et côtière, les plus accessibles aux influences extérieures, Vulci, Tarquinia ou Cerveteri. Dans les tombes de cette aristocratie naissante, les importations orientales ne sont encore le plus souvent que des objets de pacotille (scarabées, amulettes…), mais certaines pièces relèvent déjà de productions plus ambitieuses : c’est le cas d’un vase en faïence de fabrication égyptienne portant le cartouche de Bocchoris, un pharaon qui régna entre 720 et 715 av. J.-C. Retrouvé dans une tombe de Tarquinia, il constitue un précieux point d’ancrage pour la chronologie étrusque. Les importations grecques sont de leur côté constituées pour l’essentiel de coupes à boire d’un type très particulier, connues sous le nom de coupes « à oiseau » ou « à chevrons », pour la plupart de fabrication eubéenne. Ces coupes, sans doute échangées avec les populations locales en signe d’hospitalité, sont liées en Grèce à la consommation du vin, une pratique qui se répand en Étrurie avec l’arrivée des Grecs en Italie méridionale. L’installation d’artisans grecs et levantins en Étrurie suscite dans tous les domaines un regain de créativité, qui se traduit notamment par l’adoption ou l’élaboration de nouvelles techniques, par l’introduction de nouvelles images et par le développement des arts majeurs : architecture, grande sculpture et peinture pariétale. Dans le dernier quart du viiie siècle av. J.-C., la culture villanovienne cède la place à la culture orientalisante, qui imprègne alors sous des formes diverses de vastes zones du Bassin méditerranéen et, en premier lieu, le monde grec, qui en sera aussi l’un des principaux vecteurs. Directement ou indirectement, par l’intermédiaire de la Grèce, notamment de Corinthe, qui



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remplace rapidement l’Eubée à la tête du commerce grec, les objets et motifs orientaux, chargés du prestige de civilisations anciennes, parviennent en Étrurie, toujours plus nombreux. L’Étrurie n’emprunte pas seulement à la Grèce ou à l’Orient les techniques de la céramique fine à décor peint (notice 8), du verre, du filigrane (notice 12) et de la granulation (notice 14), et sans doute aussi de la sculpture en pierre, mais tout un répertoire de motifs décoratifs et d’images inspirées entre autres par les poèmes homériques. Elle leur emprunte encore l’écriture, qui signe son entrée dans l’histoire. Les « princes » étrusques, qui adoptent les modes de vie fastueux des aristocraties orientales, mettent toutes les formes d’art au service de la consolidation de leur pouvoir et de l’exaltation de la lignée familiale, garante de leur légitimité. Regroupés dans de vastes nécropoles ou isolés dans la campagne, à proximité des grands axes de circulation, des tumulus de dimensions monumentales abritent les tombes de générations successives, dont les plans permettent de suivre l’évolution non seulement de l’architecture funéraire, mais aussi de l’architecture domestique, celle-là étant comme le reflet de celle-ci, et la demeure du défunt reproduisant celle des vivants, sans rupture avec l’idéologie funéraire de l’époque villanovienne. Ces tumulus inscrivent dans le paysage l’emprise des grandes familles sur les trafics commerciaux et sur un territoire fertile auxquels elles doivent une grande part de leur richesse, une richesse ostentatoire et thésaurisée, comme en témoigne le mobilier de la tombe RegoliniGalassi, mis au jour en 1836 dans la nécropole du Sorbo de Cerveteri et conservé aujourd’hui au Musée grégorien étrusque du Vatican. Ci-contre : Carte de l’Italie antique.

Vers 580 av. J.-C., le début de la période archaïque voit l’Étrurie resserrer encore ses liens avec la Grèce : c’est sur le modèle grec de la polis que se développent les douze cités qui forment la dodécapole, des cités-États dont les représentants se réunissent chaque année au Fanum Voltumnae, le sanctuaire fédéral situé près de Volsinies, l’actuelle Orvieto. Alors que dans l’Étrurie des princes le culte des ancêtres prédomine sur tout autre, et que le palais, la résidence princière, cumule les fonctions politique et religieuse, des sanctuaires dédiés à un ou plusieurs dieux sont construits par la cité à l’intérieur de l’espace urbain, près des enceintes et des portes, en bordure des voies d’accès ou dans des zones plus éloignées du territoire. Le décor des terres cuites architecturales qui ornent ces édifices et portent le message de la cité célèbre un pouvoir qui n’est plus seulement héréditaire ni l’apanage de l’aristocratie, mais aussi le fait d’hommes nouveaux, qui doivent leur pouvoir à l’alliance du mérite et de la fortune. Les insignes du pouvoir des vieilles aristocraties sont transférés aux magistratures publiques. Les anciennes pratiques guerrières de type aristocratique, dont témoignent encore quelques tombes à char, laissent la place comme en Grèce à la technique hoplitique, qui confie la défense des villes aux citoyens armés du bouclier rond et réunis en phalange. La classe des citoyens aisés, qui tire sa force de la maîtrise des activités productives et commerciales, s’élargit, tend à imiter le style de vie de l’aristocratie en même temps qu’elle cherche à en limiter la puissance, et encourage la rationalisation, voire dans certains domaines la standardisation de la production artisanale. La période est marquée par un mouvement de colonisation interne vers la Campanie et la plaine du Pô – où l’on assiste à la création de nouvelles cités comme Marzabotto ou Spina – et par l’arrivée dans les grands centres de l’Étrurie méridionale et côtière d’artisans et de marchands ioniens fuyant la menace que la Perse fait alors peser sur les


© Sciences-Po – Atelier de cartographie, 2013


Carte de l’Étrurie. © Sciences-Po – Atelier de cartographie, 2013


Carte de la Méditerranée antique. © Sciences-Po – Atelier de cartographie, 2013


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villes grecques d’Asie Mineure. Ces populations immigrées, pour une part seulement assimilées par le corps civique, trouvent un lieu d’accueil dans les ports organisés par la cité sur le modèle grec de l’emporion, du port franc, distant de quelques kilomètres de la ville proprement dite, tels que Gravisca, le port de Tarquinia, Pyrgi, le port de Cerveteri, et Regisvilla, celui de Vulci. Ces ports où l’étranger trouve la sécurité et l’assurance de pouvoir pratiquer ses propres cultes deviennent rapidement des lieux d’acculturation. Si les sanctuaires s’imposent, dans les cités étrusques du e vi siècle av. J.-C., comme les lieux privilégiés de la dévotion et de la vie communautaire, les nécropoles constituent l’autre pôle de la vie religieuse, et les funérailles, un autre moment capital de la vie sociale. On retrouve dans ces nécropoles les mêmes indices d’un élargissement du corps civique et d’une richesse plus largement et plus équitablement partagée. À côté des tumulus s’élèvent des tombes a dado, en dé, disposées régulièrement le long de rues et dessinant des îlots rectangulaires, une organisation parti­culièrement bien préservée dans les nécropoles de Crocefisso del Tufo, à Orvieto, ou de la Banditaccia, à Cerveteri. La façade de ces tombes a dado est ornée de simples moulures. Leur plan tend à suivre un modèle standard et leur aménagement intérieur est relativement succinct. L’élargissement de la classe dominante et du corps civique, la remise en cause et la permanence du pouvoir des aristocraties, le développement de formes de gouvernement de type tyrannique sont autant de traits qui caractérisent l’Étrurie archaïque. On se gardera pourtant d’imaginer une évolution uniforme : à l’instar du monde grec, l’Étrurie n’est pas une nation au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Elle est faite de cités-États, de grandes agglomérations et de leurs territoires, dont le lien fédéral est surtout religieux. Chaque cité réagit ainsi de manière autonome aux à-coups de l’histoire et jusque dans le domaine artistique développe une physionomie propre : si Chiusi ou Vulci excellent dans

le travail de la pierre (notice 32), Véies ou Cerveteri se distinguent plus particulièrement dans le travail de l’argile (notices 36 et 37). Ces traditions culturelles et artisanales marqueront durablement les productions des différentes cités, par-delà même la crise qui marque la fin de l’époque archaïque et le début de l’époque classique dans le monde étrusque. Si certaines régions de l’Étrurie intérieure ou de la plaine padane maintiennent leur dynamisme, les cités d’Étrurie méridionale connaissent en effet dans les décennies centrales du ve siècle av. J.-C. une période de repli, due à la fois à des revers militaires (la défaite navale de Cumes en 474 marque un coup d’arrêt à la domination sur la Méditerranée occidentale), mais aussi à des difficultés intérieures, à la fois politiques, sociales et économiques. La baisse des importations et l’arrêt des grands chantiers publics sont les manifestations les plus sensibles de cette crise, qui explique pour une large part le retard avec lequel les commanditaires et les artisans étrusques, si prompts à l’époque archaïque à s’emparer des évolutions stylistiques élaborées en Grèce, adoptent le nouveau langage classique. Il faut attendre la fin du ve siècle et surtout le début du ive siècle av. J.-C. pour voir se renouveler la production artisanale et se manifester le plus clairement l’influence classique, perceptible en particulier dans la floraison des monuments funéraires en pierre de Chiusi (notice 67) et les grands décors des temples d’Orvieto, mais également dans certaines terres cuites d’Étrurie méridionale (notice 66) ou la production de petits bronzes votifs. La vivacité retrouvée des ateliers va s’affirmant au cours du ive siècle en Étrurie, mais aussi en pays falisque (le territoire de Faléries, l’actuelle Civita Castellana), comme le montre en particulier le développement d’une grande école de vases à figures rouges (notice 75) qui, forte des influences provenant de Grèce et de Grande Grèce, jouera un rôle considérable dans la production tardive de céramique peinte en Étrurie.


innovations artistiques de la culture hellénistique. C’est ainsi que les cartons utilisés pour une des dernières grandes productions d’Étrurie, les urnes en albâtre de Volterra, qui reprennent les modèles artistiques élaborés en Asie Mineure (notice 93), supposent désormais la médiation active de Rome. La prédominance politique et culturelle de l’Urbs – la romanisation – se traduit aussi et surtout par la latinisation de l’Étrurie (où l’usage de la langue étrusque se maintient jusqu’au début du ier siècle de notre ère) et par l’entrée progressive des aristocrates étrusques dans le Sénat romain et les cercles du nouveau pouvoir. Cette assimilation ne signifie toutefois pas l’effacement de l’histoire séculaire du monde étrusque : les cités étrusques romanisées ne perdront que très progressivement leur spécificité culturelle, et les aristocrates, conscients de leur lignage, auront au contraire souvent soin de transmettre jusque sous l’Empire la mémoire de leurs ancêtres et de leur culture ; la traduction en latin des textes religieux (l’Etrusca disciplina) et historiques assurera leur diffusion à Rome. Ce riche patrimoine, dont il ne nous reste malheureusement que des bribes, alimentera la première grande œuvre historique consacrée aux Étrusques, les Tyrrhenika de l’empereur Claude (r. 41-54), qui, bien que perdue, marque symboliquement le début des études consacrées au monde étrusque – ce que les modernes appelleront l’« étruscologie ».

histoire de la collection Formée au gré d’achats ponctuels ou grâce à l’acquisition de grandes collections particulières, la collection d’œuvres étrusques du musée du Louvre rend compte à sa manière de l’histoire de la redécouverte de l’ancienne Étrurie et plus largement de l’essor de l’archéologie en Italie et en

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Cette reprise correspond à un renouveau marqué des cités étrusques et à la puissance retrouvée des aristocraties locales, qui affirment leur force et leur culture face à la nouvelle puissance majeure de l’Italie : Rome. Les relations déjà anciennes entre cette dernière et les cités étrusques prennent à cette époque un tour décisif : le siècle s’ouvre par la prise de Véies (396 av. J.-C.), la cité la plus méridionale d’Étrurie et la plus voisine de Rome. Les autres cités étrusques, qui réagiront en ordre plus ou moins dispersé à la menace croissante des Romains et pâtiront des tensions sociales développées en leur sein, passeront une bonne part du siècle dans une succession de guerres et de trêves précaires avec Rome, jusqu’à la mainmise finale de cette dernière sur l’Étrurie méridionale au début du iiie siècle et, dans les décennies suivantes, à la prise de contrôle des autres cités de la côte et du Nord. Le début de l’époque hellénistique, à la fin du ive et au début du iiie siècle, correspond donc à une période d’affrontements intenses, mais également, de manière assez étonnante, à une inspiration renouvelée des ateliers locaux. Les artisans étrusques mettent alors au service de leurs commanditaires, dans les grands décors funéraires comme dans les offrandes votives ou les objets précieux, un nouveau langage artistique, largement diffusé en Méditerranée et en Italie. Ils partagent d’ailleurs ce langage avec leurs homologues romains ou latins, comme le montrent des productions aussi caractéristiques que les cistes et miroirs de Palestrina (notices 73 et 74), les vases votifs romains appelés pocola (notice 88), ou encore le développement du portrait funéraire ou honorifique (notice 100). Cette communauté culturelle qui s’affirme en Italie centrale avant même la victoire définitive de Rome s’accentue encore après cette dernière : au iiie et plus encore au iie siècle av. J.-C., c’est désormais Rome qui dicte les nouveaux codes de représentation et diffuse en Italie les


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Europe à partir du deuxième quart du xixe siècle. Rares sont en effet les pièces attestées avant cette date dans les collections royales ou impériales ; on connaît toutefois quelques bronzes, statuettes ou objets de parure ayant suscité la curiosité des collectionneurs du xviie et du xviiie siècle, comme les anneaux du Picenum (notice 65), mais le plus souvent il demeure difficile de retrouver l’origine et l’historique précis des pièces dans les inventaires de la Couronne ou les listes des acquisitions de l’Empire. Les plus anciennement attestées ne sont d’ailleurs pas toujours passées par les collections royales ou n’ont intégré qu’indirectement et plus tard les collections du musée : c’est ainsi que certaines urnes de Volterra, probablement découvertes dans les années 1760, ont été vendues au musée en 1827 par le grand archéologue Giuseppe Micali (notice 93), tandis que d’autres urnes de Volterra, présentes au xviiie dans la collection Gaddi, une ancienne collection formée après le milieu du xvie siècle par Niccolò Gaddi, sont entrées par un dépôt du Cabinet des médailles en 1929 seulement. Le vase plastique en bronze, probablement découvert dès le xviie siècle sur les terres du prince Aldobrandini à Gabies et passé dans la collection Borghèse (notice 71), a fait quant à lui partie de la collection de l’impératrice Joséphine à Malmaison mais a d’abord été la propriété d’Edme-Antoine Durand avant de faire son entrée au Louvre en 1825. Cette date marque un moment important dans la constitution de la collection des antiques du musée du Louvre, et notamment des collections étrusque et italique : c’est en 1825 que Charles X achète l’ensemble de la collection que Durand, un riche amateur, a amassée au cours des années, en particulier lors de ses séjours en Italie. Des séries entières de vases (dont beaucoup provenant d’Italie méridionale), de statuettes et de vaisselle en bronze (notices 42, 51 et 71), de figurines en terre cuite, de verres ou de bijoux ont constitué les bases de la collection encyclopédique

d’antiques du Louvre, que viendront renforcer et enrichir dans les décennies suivantes les fruits des fouilles qui se multiplient à partir de cette époque en Italie. En effet, si les découvertes ont été nombreuses depuis la Renaissance sur le sol italien et ont toujours alimenté un commerce vivace d’antiques (comme le montre du reste la collection Durand), le phénomène prend une ampleur nouvelle dans les années 1825-1830 : celles-ci marquent dans une large mesure les débuts de l’archéologie moderne, dans laquelle la redécouverte des cités étrusques et de leurs riches nécropoles a joué un rôle fondamental. Les découvertes majeures qui se succèdent à partir de cette époque (tombes peintes de Tarquinia, tumuli princiers et sanctuaires de Cerveteri, riches tombeaux de Chiusi ou de Vulci) suscitent un vif intérêt chez les savants et les artistes installés à Rome et contribuent à la fondation dans cette ville en 1829 de l’Institut de correspondance archéologique ; ce dernier, où sont particulièrement actifs les savants allemands mais qui est très largement ouvert aux collaborations internationales, occupera une place centrale tout au long du siècle dans le monde académique européen et aura une importance décisive dans la publication et l’étude des monuments antiques. Mais la multiplication des découvertes alimente également un florissant marché d’antiquités, auquel la législation relativement permissive de certains États italiens donne une dimension européenne. Les nécropoles de Vulci en particulier ont fait l’objet d’une exploitation économique plus que d’une fouille scientifique (entreprise où s’est distingué en particulier l’un des principaux grands propriétaires locaux, Lucien Bonaparte, prince de Canino, le frère de Napoléon) ; ainsi sont apparus sur le marché non seulement des céramiques et des bronzes étrusques mais également d’innombrables vases grecs (parfois encore considérés alors comme étrusques). Il en va de même de Chiusi, où les propriétaires-fouilleurs se font volontiers marchands.


pontificale après l’arrestation et la condamnation en 1857 du marquis Campana. Directeur du mont- de-piété de Rome depuis 1833, il avait, en gageant sa propre collection en échange de sommes importantes, fini par immobiliser les avoirs de l’institution. Après les premiers achats effectués par le musée de Kensington (Londres) et par le musée de l’Ermitage (Saint-Pétersbourg, voir notice 77), Napoléon III acquit pour la France la presque totalité des collections restantes, notamment la plus grande partie des œuvres étrusques ou italiques. Celles-ci provenaient de fouilles menées par Campana lui-même à Cerveteri ou à Véies, ou d’acquisitions faites sur le marché des antiquités, le plus souvent à Chiusi, Rome ou Naples, directement ou par l’intermédiaire d’agents installés sur place ou de membres de la direction de l’Institut de correspondance archéologique. Le musée du Louvre doit ainsi à la collection Campana et à sa nature encyclopédique sa richesse en pièces archéologiques provenant d’Étrurie interne et d’Étrurie méridionale, et plus particulièrement des territoires de Chiusi et de Cerveteri. D’abord exposée au palais de l’Industrie, construit sur les Champs-Élysées pour l’Exposition universelle de 1855, la collection Campana y constituait l’essentiel du musée Napoléon-III. Le succès de ce nouveau musée, parfois appelé « musée Campana » – mais qui abritait aussi les œuvres rapportées des grandes missions archéologiques récemment menées en Phénicie, en Asie Mineure, en Macédoine et en Thessalie – ne se fit pas attendre, la polémique non plus. Il attira des foules immenses, mais les discussions s’enflammèrent rapidement autour de la question de sa pérennisation ou de sa dispersion : pour les uns les collections devaient rester groupées et telles quelles raconter l’histoire de l’art industriel, comme le faisait à Londres le musée de Kensington, pour les autres les chefs-d’œuvre devaient enrichir les collections du musée du Louvre, conformément au projet d’acquisition présenté au Sénat, les pièces jugées

19 introduction

Si elles favorisent le développement des premières grandes collections publiques consacrées à l’art étrusque (fondation du Musée grégorien étrusque au Vatican en 1837, enrichissement des collections de Munich ou du British Museum, à Londres), les découvertes faites en Étrurie contribuent surtout à l’accroissement de nombreuses collections particulières dans les différents pays d’Europe. Ainsi, en dix ans, le même Durand, qui avait vendu sa première collection au Louvre, en rassemble une seconde, encore plus riche, provenant largement d’Étrurie, qui sera dispersée en 1836 après sa mort – lors d’une vente publique où le Louvre achètera d’ailleurs peu de pièces. La multiplication au cours des décennies suivantes des ventes aux enchères de ces collections particulières ainsi que le rôle croissant joué par certains grands marchands qui développent des réseaux européens (c’est le cas en particulier de Claude-Camille Rollin ou d’Alessandro Castellani) vont faire de Paris une place centrale pour le commerce des antiquités et de ce fait contribuer au développement continu, tout au long du xixe siècle, des collections du musée du Louvre. Les conservateurs du Louvre suivent en effet avec intérêt le marché et nouent des relations étroites avec les principaux marchands : on ne s’étonnera pas de voir aboutir au musée, parfois avec un délai de quelques décennies, après des passages dans diverses collections particulières ou chez des marchands, des pièces découvertes à Vulci par Lucien Bonaparte lui-même (notices 40, 47 et 50). Mais la seconde moitié du xixe siècle est surtout marquée par l’achat en 1861 d’une grande partie de la collection de Giovanni Pietro Campana (1808-1880), brillant homme du monde, philanthrope, amateur d’art et d’archéologie et membre de différentes académies savantes. Signalée dans tous les guides de Rome, renommée dans l’Europe entière et convoitée par les plus grands musées, cette collection de plus de quinze mille œuvres, composée pour une large part d’antiques, fut confisquée et mise en vente par l’administration


introduction

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moins importantes et les doublons allant de leur côté compléter les collections des musées de province. Le 11 juillet 1862, un décret de l’empereur trancha pour cette dernière solution. Avec l’arrivée en 1863 des œuvres du musée Napoléon‑III au Louvre, ce dernier devenait le plus grand musée de céramique antique et pouvait désormais s’enorgueillir d’abriter l’une des plus importantes collections étrusques et italiques hors d’Italie, dont certains des chefs-d’œuvre qui avaient fait la renommée de la collection Campana, comme le sarcophage des Époux (notice 36), ou les grandes plaques archaïques peintes (notice 34). Dans les dernières décennies du xixe siècle et tout au long du xxe siècle, les collections continuent de s’enrichir au gré des achats et des dons. Ces nouvelles acquisitions permettent de combler partiellement les lacunes les plus importantes : plusieurs pièces viennent ainsi renforcer le domaine italique, qu’il s’agisse de la Basilicate (notice 27), de la Sardaigne (notice 25) ou des Abruzzes (notice 26). De même, la période villanovienne est longtemps restée peu représentée,

Ci-contre : Stamnos à figures rouges, détail : Ajax portant le corps d’Achille (notice 84).

en grande partie en raison de sa découverte relativement tardive par Giovanni Gozzadini en 1853, bien après l’acquisition de la première collection Durand (1825) et quatre ans seulement avant l’arrestation du marquis Campana, mais des achats faits à partir des années 1950 ont permis de commencer à enrichir cette partie de la collection. Parmi les acquisitions les plus récentes, on retiendra plus particulièrement la redécouverte à la fin des années 1970 des stamnoi Fould (notice 84) : signalés et commentés peu de temps après leur mise au jour à Vulci dans les Bulletins de l’Institut de correspondance archéologique de 1842-1843, présents en France dès 1843 dans la collection Joly de Bammeville et passés ensuite dans la collection du banquier Louis Fould, auquel ils doivent leur nom, ils avaient en quelque sorte disparu après la mort de ce dernier et la dispersion de sa collection en vente publique en 1861. On signalera aussi le don en 1993 par les Amis du Louvre du célèbre cratère du Peintre de Nazzano (notice 75), ou, tout récemment, l’acquisition d’un exceptionnel buste votif en terre cuite (notice 98).



époque villanovienne

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1 Urne cinéraire biconique et écuelle Production : Étrurie méridionale (?) ixe siècle av. J.-C. Impasto H. 38 ; L. 36 cm Acquise en 1981 CA 6822 Vente Drouot 1981, no 62.

C

e vase biconique couvert d’une écuelle appartient à une série d’objets parmi les plus caractéristiques du mobilier des sépultures de la fin de l’âge du bronze et du début de l’âge du fer (xeviiie siècle av. J.-C.). En Italie, il est l’élément principal qui définit la culture dite « villanovienne », appelée ainsi d’après la localité de Villanova, près de Bologne, où l’archéologue Giovanni Gozzadini découvrit, en 1853, une nécropole avec de nombreuses tombes à crémation. La culture villanovienne correspond à la première phase de développement de la civilisation étrusque. En effet, ce type de vases cinéraires biconiques se retrouve dans la péninsule Italique de la plaine du Pô jusqu’en Campanie, avec une nette concentration dans les futurs grands centres de l’Étrurie méridionale, comme Vulci, Tarquinia ou Véies. Le vase, modelé à la main dans une argile nommée « impasto » (argile grossière, non épurée, et mélangée avec des éléments dégraissants), est cuit dans une atmosphère privée d’oxygène, ce qui lui donne sa couleur brunâtre, aussi bien en surface que dans la masse. La lèvre est largement évasée vers l’extérieur et la panse est constituée de deux parties tronconiques opposées. Une anse est posée obliquement, à la jonction des deux cônes.

Le décor incisé, obtenu grâce à un outil à trois dents (une sorte de peigne), présente des motifs géométriques, caractéristiques du répertoire villanovien : frise de méandres interrompus en haut, et au milieu métopes enfermant en alternance des svastikas et des triangles opposés. Dans quelques exemplaires de cette production, le même type de motifs est obtenu par application de feuilles d’étain, comme sur l’urne et le casque du Louvre CA 6783 et CA 6821. Ces techniques et décors sont communs à un grand nombre d’objets en argile, produits par l’ensemble des peuples de l’Europe centrale pendant le premier âge du fer. Ces vases biconiques étaient déposés dans des tombes à puits, creusées dans le sol et fermées par un amas de pierre. Ils contenaient les restes du défunt ainsi que des objets lui appartenant, tels des rasoirs ou des fibules, et parfois certains objets utilisés lors du rituel de crémation. La typologie des objets et la nature des matériaux employés pour ce mobilier nous donnent souvent des indications sur le sexe du défunt et son statut social. Couvertes d’une écuelle, comme ici, ou d’un casque en impasto, ou en bronze (notice 2), les urnes cinéraires représentent symboliquement, par leur aspect plus ou moins anthropomorphe, le défunt dont le corps a été détruit par la crémation. KC



époque villanovienne

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2 Casque Production : Vulci (?) Seconde moitié du viiie siècle av. J.-C. Bronze H. 40 ; d. 23 cm Provenance : Vulci (?) Acquis en 1967 Br 4399 Bloch 1967, p. 153, fig. 2 ; Bloch 1974, p. 5053, fig. 4-6 ; Exposition Paris 1976, p. 10, no  3 ; Hase 1988, p. 197-199, 204, no 14, fig. 3,1-1a ; Tamburini 1993 ; Bartoloni 2002, p. 217, fig. 7.8.

Relevé du décor, avec détail (d’après Gilda Bartoloni, La cultura villanoviana, 2002).

À

l’époque villanovienne, les sépultures masculines se distinguent par la présence d’éléments de panoplie, à commencer par les casques, qui servent souvent de couvercles aux urnes cinéraires. Les casques à crête, en particulier, constituent des pièces prestigieuses qui marquent le statut éminent occupé par le défunt au sein de la communauté et rendent sensible l’affirmation progressive d’une élite guerrière au cours du viiie siècle av. J.-C. Réalisées en bronze ou, pour les exemplaires factices comme le casque CA 6821, en terre cuite, ces pièces sont bien attestées dans les grands sites d’Étrurie méridionale, notamment à Tarquinia et à Véies, mais également dans d’autres régions d’Italie ; par ailleurs, des fragments de casques de ce type découverts dans les sanctuaires grecs de Delphes et d’Olympie témoignent des contacts entre la Grèce et le monde villanovien. De même qu’un second exemplaire analogue arrivé au Louvre avec la collection Campana (Br  1109), ce casque en bronze, provenant peut-être de Vulci,

illustre bien les caractéristiques techniques et décoratives de cette production. L’objet est composé de l’assemblage de deux plaques symétriques, dont l’une est repliée sur l’autre au niveau de l’arête de la crête. La jonction est renforcée à la base de la calotte, à l’avant et à l’arrière, par deux plaques rivetées, dont se détachent trois tubes, qui s’inscrivent dans le prolongement de la crête. Le décor de cercles et de files de points, réalisé au repoussé, souligne la structure du casque. Les motifs les plus intéressants apparaissent sur la calotte. Outre les bossettes cerclées, on retrouve sur chaque côté quatre éléments triangulaires dont la forme évoque celle du casque lui-même. Surtout, au centre, est représentée de manière exceptionnelle une figure humaine : il s’agit probablement d’un guerrier endossant lui-même un casque comparable. Cette insistance sur la figuration du guerrier et des armes renforce l’idéologie même exprimée par la déposition du casque dans la tombe : l’affirmation du rôle militaire et de la puissance du défunt. LH


époque classique

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époque villanovienne

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3 Plaque de ceinturon Production : Vulci (?) Première moitié du viiie siècle av. J.-C. Bronze H. 12,7 ; L. 20,5  cm Provenance : Vulci (?) Acquise en 1967 Br 4407 Bloch 1967, p. 154 ; Bloch 1974, p. 53-56, fig. 7 ; Exposition Paris 1976, p. 10, no 4. Sur cette classe d’objets : Maggiani 2009.

Relevé du décor.

L

e ceinturon en losange fait partie des éléments distinctifs des tombes féminines d’époque villanovienne. Comme le montre la qualité de l’objet, il s’agissait d’un élément important de la parure de la défunte, consistant en une plaque de bronze recourbée dont les bords supérieur et inférieur sont légèrement rabattus vers l’avant. Les deux extrémités correspondent au système d’accrochage, en matériau périssable, qui permettait d’ajuster autour de la taille le ceinturon, probablement en cuir : d’un côté la plaque s’achève en une partie rectangulaire aux rebords repliés vers l’intérieur et percée de deux orifices, tandis que de l’autre elle s’amincit pour former un crochet. La plaque est pourvue d’un riche décor gravé, qui en souligne la structure : en haut et en bas, la partie rabattue est délimitée par un motif de triangles, tandis que l’extrémité gauche est séparée du champ central par deux séries de trois

triangles opposés. Sur la surface ainsi délimitée, autour des neuf bossettes centrales et des deux bossettes latérales réalisées au repoussé, se déploie un décor gravé complexe. Les bossettes centrales sont encadrées chacune de spirales gravées, reliées les unes aux autres ; dans les intervalles s’insèrent en haut et en bas des motifs de demi-cercles et au centre des volatiles. Dans les deux espaces latéraux, la bossette isolée est complétée par des triangles et des cercles incisés, qui en font un motif de disque solaire ; celui-ci semble entraîné par quatre protomés de volatiles et suivi par un autre volatile complet. Ce décor géométrique, caractéristique du répertoire villanovien et qui se retrouve sur plusieurs autres exemplaires contemporains, témoigne non seulement du savoir-faire des artisans étrusques de l’époque mais sans doute aussi de la valeur symbolique des motifs ornementaux de cette catégorie d’objets. LH



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4 Deux vases tripodes

époque orientalisante

Production : Bisenzio Fin du viiie-début du viie siècle av. J.-C. Impasto H. 18 cm (CA 3450) H. 22 cm (CA 3451) Acquis en 1954 CA 3450, CA 3451 Leprévots 1977, p. 7-11, fig. 6-7.

C

es deux petits vases tripodes à anse plastique sont en impasto, une argile grossière et non épurée. Modelés à la main, et parfaitement lissés après le séchage, ils ont été cuits dans une atmosphère réductrice, qui leur confère cette couleur brun noirâtre, mate dans la masse et brillante en surface. De tailles légèrement inégales, ces vases appartiennent à la même typologie : ils possèdent trois pieds incurvés supportant une panse ovoïde et profonde, et une épaule marquée par de légères nervures obtenues par pression. La transition vers le col cylindrique au profil légèrement concave se fait avec un filet de traits obliques en creux, réalisés à la roulette. L’anse en ruban plat fixée sur l’épaule porte un décor plastique figuré, différent sur chaque vase. Sur le plus petit, cette anse est en forme d’anneau, munie d’une protomé d’animal aux cornes enroulées, peut-être un bouc, qui semble regarder à l’intérieur du vase. Le second présente une anse oblongue, avec un homme qui paraît tenir les rênes d’un attelage conduit par deux bœufs (?)

posant leurs pattes antérieures sur la lèvre du vase. Qu’il s’agisse de représentations d’animaux domestiques ou de scènes de labourage, le décor et la forme de ces vases sont caractéristiques d’une série que l’on attribue aux ateliers de Bisenzio en Étrurie méridionale interne. Située sur la rive occidentale du lac de Bolsena, la ville connaît un développement particulier à partir de la seconde moitié du viiie siècle av. J.-C., grâce à sa position géographique et aux contacts avec des centres importants, comme Vulci, Tarquinia ou Véies. La nécropole de l’Olmo Bello, l’une des plus importantes de la région, a livré un exemplaire très proche du second vase du Louvre, trouvé dans une tombe féminine et datant de la fin du viiie siècle av. J.-C. La simplicité de la composition et l’aspect un peu schématique des figures de ces vases caractérisent une production qui, à la charnière de l’époque villanovienne et de l’époque orientalisante, témoigne d’un certain goût pour les scènes figurées et la narration. KC



époque orientalisante

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5 Trois pendentifs Fin du viiie-début du viie siècle av. J.-C. Or, alliage cuivreux ; restes de fibres végétales à l’intérieur des bélières H. 10,1 ; d. 10,1 cm (Bj 2403) H. 9,3 ; d. 9,7 cm (Bj 2404) H. 9,5 ; d. 9,8 cm (Bj 2405) Provenance : Bolsena (d’après Vente Paris 1956) Acquis en 2004 Bj 2403, Bj 2404, Bj 2405 Vente Paris 1956, no 48a ; Gaultier 2000b. Sur le type des pendants à disque : Cristofani, Martelli 1983, p. 30, 36, nos 4, 5, 7, 90, 91 ; Botto 1995 ; Botto 1996 (avec autre bibliographie) ; Buranelli, Sannibale 2004, p. 75-76.

C

es trois disques ont été découpés dans une mince feuille d’or. Ils sont dotés d’un appendice rectangulaire qui, replié sur lui-même, forme une bélière. Les nombreux restes de cuivre visibles au revers montrent qu’ils étaient à l’origine plaqués sur une feuille de métal réalisée dans un alliage cuivreux de mêmes dimensions, dont ils épousaient la forme et le décor estampé. Ce décor, composé de motifs géométriques, végétaux ou animaux, est réparti à la base de la bélière et sur le disque en trois ou quatre frises, limitées parfois par des lignes pointillées et disposées en registres concentriques autour d’une bossette centrale cernée par trois anneaux. La file de palmettes et la file de rosettes alternant avec des canards n’apparaissent qu’une fois, la première sur la bélière du pendentif Bj 2403, la seconde sur le disque du même pendentif ; la file de canards et les bossettes entourées d’anneaux concentriques alternant avec des svastikas ne figurent que sur la bélière ou le disque des pendentifs Bj 2404 et Bj 2405, mais l’homogénéité de l’ensemble est assurée par la répétition du méandre et de la frise de dents-de-loup, traités de façon identique sur les trois pendentifs : visiblement issus d’un même atelier, ceux-ci ont pu faire partie d’un même collier. Ces pendentifs appartiennent à un type d’origine orientale, bien établi à Chypre et à Rhodes dès l’époque géométrique, introduit en Italie dès le ixe siècle av. J.-C. et largement diffusé dans toute la péninsule entre le viiie et le viie siècle av. J.-C. En or, en argent ou en électrum, ils sont fragiles, relativement rares et souvent mal

conservés, mais bien attestés en Campanie, dans le Latium, en Étrurie et jusqu’à Bologne, où on les trouve, vraisemblablement avec une fonction apotropaïque semblable à celle d’autres amulettes, dans les tombes féminines et les sépultures d’enfants. D’abord composé de simples motifs géométriques exécutés au repoussé, le décor de ce type de pendentif s’enrichit dans la seconde moitié du viiie siècle de motifs astrologiques : croissant lunaire et disque solaire, ainsi que de motifs animaux et végétaux ; il est au viie siècle souvent aussi réalisé dans la technique de la granulation. Parmi les exemplaires mis au jour en Étrurie, on pourra citer ceux de la tombe 2 de la nécropole de l’Olmo Bello à Bisenzio (musée étrusque de la Villa Giulia, inv. 57020/4), sur les rives du lac de Bolsena, près duquel ceux du Louvre sont réputés avoir eux-mêmes été découverts : datés du dernier quart du viiie siècle av. J.-C., ils sont ornés de motifs géométriques estampés proches pour certains (bossette entourée d’anneaux concentriques, méandre) de ceux qui décorent les exemplaires parisiens. Les canards et les rosettes qui figurent, en outre, sur ces derniers appartiennent toutefois à un répertoire encore en usage vers le milieu du viie siècle av. J.-C. et invitent à dater ces trois pendentifs, qui se distinguent de la production la plus courante par leur taille exceptionnelle et par la richesse de leur décor, entre la fin du viiie siècle et les premières décennies du viie siècle av. J.-C. FG



époque orientalisante

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6 Œnochoé anthropomorphe à décor gravé Production : Faléries (Civita Castellana) Vers 710-670 av. J.-C. Impasto brun H. 39,6 ; d. 23 cm Acquise en 1958 (collection Hirsch) CA 3663 (S 5047) Vente Cahn 1958, p. 46, no 135 ; Camporeale 1984, p. 76-77 ; Gran-Aymerich 1992, p. 24-25, pl. 2, nos 3-5 ; Biella 2007, p. 78-79, pl. 36 ; Exposition Cortone 2011, p. 252-255, no 40.

Relevé du décor de la panse.

C

ette œnochoé à embouchure trilobée et à bec relevé est modelée à la main dans une argile assez grossière. Elle présente un triple col tubulaire et une anse tressée avec un double arceau dans sa partie inférieure. La panse est globulaire et elle repose sur deux petits pieds humains chaussés de bottines rendues par des incisions. Un orifice au sommet de la panse et deux autres au niveau de son plus large diamètre ont été exécutés intentionnellement avant la cuisson. Le décor de cette œnochoé est caractéristique d’une importante production de l’époque orientalisante, attestée dans le territoire falisque et l’Étrurie méridionale interne. Obtenu par un léger creusement de la surface (incavo) avant la cuisson, ce décor couvre une grande partie de la panse. Les motifs, qui apparaissent donc en creux, étaient rehaussés d’une couleur rouge, sans doute à base d’oxyde de fer, à peine visible aujourd’hui. Des rectangles et des méandres stylisés délimitent la partie supérieure. Suit une scène figurée constituée de cinq quadrupèdes, sans doute des créatures hybrides (chimères ?), dont deux sont représentés avec une petite figure humaine stylisée devant le museau. Cinq autres animaux,

probablement des félins, et deux volatiles, tous avec un corps piqueté, complètent ce décor. La scène a été interprétée comme une chasse parodique dans laquelle l’animal est remplacé par un monstre et où le chasseur-dompteur devient une figure insignifiante. Cependant, il n’est pas impossible de voir ici une version primitive et schématique du motif, bien connu à l’époque orientalisante, de l’animal dévorant un homme, dont parfois seule la jambe reste visible (notice 24). Les œnochoés à panse globulaire et à bec relevé sont assez communes au début de l’époque orientalisante dans la production des ateliers de la région de Faléries (Civita Castellana) et de Capène qui se trouvent sous domination culturelle étrusque. Le triple col est relativement fréquent, mais la présence de pieds humains qui supportent la panse est plus rare. La fonction des deux perforations circulaires sur la panse n’est pas vraiment déterminée, mais celles-ci sont attestées à l’intérieur de cette production dès la fin du viiie siècle av. J.-C. Situées de part et d’autre de la panse, elles donnent à l’objet un caractère sans doute plus rituel qu’utilitaire. KC



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7 Amphore à spirales

époque orientalisante

Production : Étrurie méridionale Premier quart du viie siècle av. J.-C. Impasto H. 26,6 ; d. 27,2 cm Provenance : Véies (?) Acquise en 1862 (collection Campana) C 551 Cataloghi Campana, classe I, serie 3, no 32 ; Pottier 1897, p. 30, pl. 25 ; Exposition Paris 1955, p. 12, no 38 ; Gran-Aymerich 1982, p. 29, pl. 3, nos 3-4, pl. 6, no 2 ; Martelli 1987, p. 17, 21, note 12.

Détail du décor de l’autre face du vase.

L

’amphore à panse globulaire, à col court et concave, et à anses plates en ruban, apparaît dans les dernières décennies du viiie siècle av. J.-C. et perdure jusqu’au troisième quart du viie siècle av. J.-C. Ornée sur chaque face de doubles spirales incisées, et d’un motif formant un W sur les côtés et autour des anses, elle est la forme la plus répandue et la plus standardisée de la production des céramiques orientalisantes en impasto tourné. L’amphore du Louvre, par sa taille importante et sa forme élégante, presque sphérique, témoigne du plus haut degré de perfectionnement de cette technique et constitue une œuvre de transition vers les productions en bucchero qui émergent parallèlement, à partir de 675 av. J.-C. environ. Le vase a été recouvert sans doute au xixe siècle d’un badigeon noir, appliqué au pinceau, qui lui donne l’aspect du bucchero. Si les motifs linéaires et les spirales s’inspirent encore du répertoire de l’époque géométrique, les rosettes qui ornent l’épaule et le motif de la roue qui agrémente la partie inférieure de la panse sont d’origine orientale. Un volatile, au corps piqueté, se répète sur chaque face, au-dessus de

la double spirale. Cet oiseau, ordinairement appelé « héron », est fréquent dans la céramique peinte de la même époque (notice 9). Cette amphore, souvent dite de type « étrusco-latial », appartient à une production largement diffusée dans le Latium, dans la région de Faléries (Civita Castellana) et en Étrurie méridionale. Véies, qui serait le lieu de provenance de l’amphore du Louvre d’après les anciens registres du musée, semble être l’un des centres de fabrication les plus importants. Forme et décor se retrouvent dans d’autres amphores en bucchero dès le deuxième quart du viie siècle av. J.-C., et on connaît un exemplaire exceptionnel en argent découvert dans la tombe princière Regolini-Galassi de Cerveteri (Vatican, Musée grégorien étrusque). Au cours du viie siècle la forme évolue. La panse devient de plus en plus ovoïde et le col s’allonge. Le vie siècle av. J.-C. gardera le souvenir de cette forme dans une autre production standardisée d’amphores en bucchero, connues sous le nom d’« amphores nicosthéniennes », représentée dans les collections du Louvre par l’amphore C 612. KC



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8 Cratère à couvercle

époque orientalisante

Production : Vulci, atelier dit « du Cratère tessinois » Fin du viiie siècle av. J.-C. Terre cuite H. avec le couvercle 45,6 ; d. max. 30,2 cm Acquis en 1970 CA 5807 Isler 1983, p. 14, 16-18, 20, 24, no 2, pl. 4, fig. 10 ; Bartoloni 1987, p. 47, fig. 14 ; Martelli 1987, p. 243244, no 4, fig. p. 67 (F. Canciani) (avec bibliographie antérieure) ; Exposition Paris 1992, p. 130, no 107 ; Exposition Barcelone, Palma de Majorque, Madrid 2008-2009, p. 145, no 73.

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a céramique peinte à pâte fine et claire fabriquée au tour apparaît en Étrurie dans le courant du viiie siècle av. J.-C. Appelée « italo-géométrique » ou encore « étrusco-géométrique », par comparaison avec la céramique du style géométrique grec de la même époque, elle marque la fin de l’époque villanovienne et le début d’une longue période riche en échanges entre le monde grec et la péninsule Italique. Ce vase sur pied haut et évasé est une forme hybride entre un cratère (vase à vasque ouverte) et une pyxide (vase à couvercle). Six petites œnochoés plastiques sont fixées sur l’épaule à la barbotine, et une septième au sommet du couvercle conique sert de bouton de préhension. Sur un engobe blanchâtre, un décor peint en rouge et composé essentiellement de motifs géométriques couvre toute la surface du vase. Disposées en registres superposés jusqu’au milieu de la vasque, des lignes serpentines verticales, juxtaposées ou incluant des chevrons, alternent avec des filets. Les deux anses à double arceau interrompent ces frises et délimitent deux zones rectangulaires, où, sur chaque face, une file d’oiseaux aquatiques (canards ?), peints en silhouette, se dirigent vers la droite, entourés de losanges quadrillés et de points. Sous l’une des anses sont dessinés deux triangles quadrillés, tandis que sous l’autre figurent deux personnages aux bras levés, entre deux svastikas à huit branches. Le couvercle reprend le décor des frises circulaires avec des files de points, de fausses spirales, que l’on retrouve également sur le pied, et une ligne ondulée, toutes séparées par des filets. Sur les petites œnochoés plastiques, le décor peint, plus sommaire, est constitué de points, de zigzags et de filets.

Tous ces motifs, ainsi que l’agencement du décor en registres superposés, sont d’inspiration grecque. La décoration plastique renvoie à certaines productions de la région d’Athènes au viiie siècle av. J.-C. Cependant, l’association de la fausse spirale et des lignes serpentines à la verticale rappelle les œuvres de l’atelier du Peintre de Cesnola, un peintre grec d’origine eubéenne actif dans la seconde moitié du viiie siècle av. J.-C., dont un vase a été trouvé dans la région de Vulci. Les Étrusques ont pu connaître la céramique eubéenne, soit par des importations directes, soit par des vases fabriqués en Campanie où les Eubéens se sont installés vers 770 av. J.-C. à Pithécusses (l’actuelle Ischia), au nord du golfe de Naples. Il n’est cependant pas impossible que ces ateliers se soient établis également en Étrurie méridionale, en particulier à Vulci, donnant ainsi naissance à des imitations locales. Le cratère du Louvre est sans doute inspiré de cette tradition eubéenne. Il a été attribué à l’atelier du Cratère tessinois, par comparaison avec le vase éponyme conservé dans une collection privée du Tessin (Suisse), et avec une amphore mise au jour à Vulci, dans la nécropole de Mandrione di Cavalupo. Les trois vases sont décorés de petites œnochoés plastiques. Le cratère du Louvre semble être privé de toute fonction pratique. Le couvercle se trouve presque coincé par les œnochoés de l’épaule et ne peut pas être retiré aisément. Il s’agirait sans doute d’un vase d’apparat, produit pour la tombe et évoquant peut-être une partie de la vaisselle, du service de banquet, souvent présent dans les sépultures. KC



époque orientalisante

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9 Coupe et olla à décor de poissons et d’oiseaux Coupe et olla stamnoïde Production : Cerveteri, atelier des Poissons de Stockholm Première moitié du viie siècle av. J.-C. Terre cuite H. 25 ; d. max. 23,7 cm Provenance : Cerveteri (d’après Pottier 1897) Acquise en 1862 (collection Campana) D 87 Pottier 1897, p. 38, no 87, pl. 31 ; Leach 1986, p. 305 ; Neri 2010, p. 116, pl. 21, 9. Coupe Production : Cerveteri, atelier des Poissons de Stockholm Première moitié du viie siècle av. J.-C. Terre cuite H. 16 ; d. 25 cm Acquise en 1862 (collection Campana) D 94 Inédite.

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orsque, à la fin du viiie siècle av. J.-C., les Corinthiens remplacent les Eubéens à la tête du commerce grec en Occident, les céramiques corinthiennes, massivement importées en Étrurie, proposent un nouveau répertoire de formes et d’images. Mais le succès des céramiques corinthiennes et de leurs imitations locales (notice 10) ne marque pas la fin de la production de céramique de tradition géométrique. Celle-ci trouve en effet un prolongement en Étrurie méridionale dans une abondante céramique dite « subgéométrique ». La forme de la coupe D 94 (à bord plat, vasque en calotte et pied plus ou moins haut) et celle du vase D 87 (une olla, à embouchure à rebord plat profilé, à panse ovoïde et anses horizontales à section circulaire implantées sur l’épaule à la manière des anses de stamnoi), ainsi que leurs décors géométriques (filets, bandes,

file de points) et figurés (une file de quatre poissons pour l’un, de quatre oiseaux dessinés en silhouette dans la zone comprise entre les anses pour l’autre) sont, au sein de cette classe céramique, caractéristiques de la production des ateliers de Cerveteri, l’antique Caere. Le motif de l’oiseau d’eau au corps sinueux et allongé, appelé conventionnellement « héron », s’inscrit aussi bien dans la tradition locale, où il apparaît dès le viiie siècle (notice 7), que dans la tradition grecque, où il voisine avec le poisson dans la céramique d’inspiration corinthienne produite au début du viie siècle av. J.-C. dans les ateliers des colonies grecques de Cumes ou de Pithécusses. Ces deux pièces sont attribuables à l’atelier des Poissons de Stockholm, qui façonne et décore des vases de formes variées et doit son nom à une amphore conservée au Medelhavsmuseet, à Stockholm. FG




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