La boîte à portrait de Louis XIV (extrait)

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COLLECTION SOLO DÉPARTEMENT DES OBJETS D’ART

La boîte à portrait de Louis XIV Michèle Bimbenet-Privat Conservateur général au département des Objets d’art

et François Farges Professeur au Muséum national d’Histoire naturelle, Paris


Remerciements Les auteurs adressent leurs plus vifs remerciements à Marc Bascou, directeur honoraire du département des Objets d’art, initiateur de l’acquisition de la boîte à portrait et de son projet de publication, ainsi qu’à Isabelle Balandre, Hans Boeckh, Agnès Bos, Violaine Bouvet-Lanselle, Jean-Gérald Castex, Patrick Compans, Béatrice Coullaré, Laurent Creuzet, Marie Donzelli, Catherine Dupont, Anne-Gabrielle Durand, Jannic Durand, Pascal Even, Catherine Gougeon, Catherine Loisel, Jennifer Montaigu, Bertrand Mothes, Isabelle Nathan, Mélanie Puchault, Isabelle Richefort, Xavier Salmon, Vanessa Selbach, Muriel Suir, Olivier Tavoso, Catherine Voiriot, Carole Treton.

COLLECTION SOLO Conception de la collection Violaine Bouvet-Lanselle Suivi éditorial Catherine Dupont Coordination Georges Rubel Contribution éditoriale Mélanie Puchault

Iconographie Flavie Grandet, Marie Fradet et Hélène Bendejacq Conception graphique de la couverture Quartopiano, musée du Louvre Conception graphique et maquette Marie Donzelli Fabrication Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros

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© Somogy éditions d’art, Paris, 2015 © Musée du Louvre, Paris, 2015 ISBN Somogy : 978-2-7572-0938-7 ISBN Louvre : 978-2-35031-505-8 Photogravure : Quat’Coul, Toulouse et Paris Dépôt légal : mai 2015 Imprimé en Italie (Union européenne)­­


Préface Grâce au soutien généreux de la Société des Amis du Louvre, le musée a pu acquérir en 2009 l’exceptionnelle « boîte à portrait » de l’ancienne collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, un chef-d’œuvre de la miniature en émail et de la bijouterie royale française du règne de Louis XIV. Elle est aujourd’hui l’un des très rares exemples – et le plus ancien – qui nous soit parvenu intact d’un type de joyau connu dans les sources sous le nom de « boîte à portrait », et dont Louis XIV usa abondamment tout au long de son règne. Enchâssant un portrait en miniature du souverain et pourvues de montures précieuses, créées par les meilleurs orfèvres travaillant pour la Cour, ces boîtes étaient distribuées par le roi pour manifester son amitié ou sa reconnaissance, et contribuaient à diffuser son image et à célébrer sa gloire dans toute l’Europe. Celle-ci, qui a conservé tous ses diamants, se distingue aussi par la virtuosité du portrait émaillé, sans doute dû à Jean Petitot l’Ancien, et par le travail de l’orfèvre. Exécutée vraisemblablement en 1668, si l’on se fie à l’analyse des sources et à celle de l’œuvre elle-même, elle immortalise les traits du jeune roi l’année même où ses premières victoires militaires sont scellées par la paix d’Aix-la-Chapelle. Avec ce présent ouvrage de la collection Solo, Michèle BimbenetPrivat et François Farges invitent le lecteur et les visiteurs du musée à découvrir toutes les facettes de cet extraordinaire objet qui est maintenant venu rejoindre, sous les ors de la galerie d’Apollon créée pour Louis XIV, la collection des gemmes du roi et celle des Diamants de la Couronne.

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En 2009, grâce à la Société des Amis du Louvre, le musée s’est porté acquéreur, à la vente de la collection Yves Saint Laurent-Pierre Bergé, d’un délicat portrait en miniature de Louis XIV, peint sur émail et serti de quatre-vingt-douze diamants1. Véritable joyau, l’objet impressionne par le nombre de ses pierres précieuses, mais ne nous trompons pas sur sa valeur réelle, qui tient tout autant à son intérêt historique : désigné au xviie siècle sous le nom de « boîte à portrait », il fut l’un des présents emblématiques que Louis XIV offrait par centaines aux alliés de la France, aux diplomates étrangers, aux artistes... Aujourd’hui, seulement trois de ces « boîtes à portrait » subsistent dans le monde entier. L’entrée dans les collections du musée d’une pièce aussi rare invite à l’étude approfondie de son histoire.

Un portrait de Louis XIV Le pendentif à deux faces (fig. 1 a et b) se compose de deux éléments superposés, reliés et articulés, l’un ovale, développé autour d’une miniature en médaillon, l’autre en forme de couronne fermée « à l’impériale ». L’ensemble est sommé d’une bélière en forme de fleur de lys. Quatre plaques métalliques constituent les deux faces ; elles sont maintenues par onze petites griffes d’or recourbées qui traversent les revers. L’avers, en argent, présente en son centre un portrait en miniature de Louis XIV exécuté en émaux peints sur or, autour duquel sont disposés soixante diamants en forme de rose sertis « en tombeau2 », ordonnés en deux cercles concentriques, les dix plus gros étant réservés au centre. La partie supérieure de cette face est sertie de trente-deux diamants taillés en table et en rose, dont les cinq plus gros sont disposés sur une ligne médiane. Le revers, en or, est serti en son centre d’un médaillon de dimensions identiques à la miniature de l’avers, orné du monogramme à double L de Louis XIV et d’ornements végétaux stylisés peints à l’émail noir sur un 5


fond d’émail « bleu mourant » (turquoise pâle). Tout autour, la plaque d’or est revêtue de rinceaux et de fleurs stylisées peints à l’émail noir et rose sur fond d’émail blanc ; ses contours sont découpés de lobes ajourés qui permettent la couture du bijou sur un vêtement. Ils présentent de nombreuses lacunes d’émail dues à l’usage, localisées près des perforations ménagées pour les griffes fixant ensemble les plaques des deux faces. Le revers de l’élément en forme de couronne, en or ajouré, est orné de motifs de feuillages reprenant la disposition des gros diamants de l’autre face et d’un bandeau où alternent des motifs imitant les diamants de l’avers (fig. 1c), tous peints à l’émail noir et rose sur fond blanc, et très lacunaires.

Un portrait de Louis XIV bien documenté Ainsi placée au centre de ce joyau, la miniature peinte sur émail est somptueusement mise en valeur (fig. 1d). Bien qu’elle ne soit pas signée, il est d’usage de l’attribuer au grand peintre-émailleur Jean Petitot l’Ancien, dont la biographie sera développée ci-dessous. Le roi est représenté en buste de trois quarts gauche, coiffé d’une perruque longue et bouclée lui masquant une partie du front ; il arbore une très fine moustache aux extrémités relevées et porte à son cou une large cravate de dentelle à gros nœud. On aperçoit le ruban bleu du collier de l’ordre du Saint-Esprit et, moins nettement cependant, l’écharpe de commandement portée en sautoir, tous deux recouvrant partiellement une cuirasse métallique rehaussée de boutons finement ponctués de touches d’or. En dépit de ce costume guerrier, le visage du roi est empreint d’une certaine placidité : les joues sont pleines et colorées de touches de rose, la bouche esquisse un léger sourire, et les traits évoquent les premiers portraits en miniature du roi adulte copiés vers 1660 sur des gravures de François de Poilly d’après Pierre Mignard, où figure la première perruque, encore courte, adoptée par Louis XIV en 1658 lorsqu’il perdit ses cheveux à la suite d’une typhoïde contractée à Mardyck (fig. 2). Notre portrait semble plus tardif, comme le suggèrent la perruque longue et le léger double menton, bien que les traits, détendus, ne marquent pas la ride du lion qui caractérisera plus tard le regard impérieux du souverain. On sait aussi que Louis XIV adopta cette très fine moustache en 16673. La miniature ne peut donc pas être antérieure à cette date. Outre les traits du roi, le costume et la position du buste évoquent fortement le pastel (fig. 3) et les portraits exécutés par Robert Nanteuil à partir des années 16644, dont la version la plus célèbre est l’estampe dite « aux pattes de lion », datée de 16725 (fig. 4). Ne nous y trompons pas : cette image lisse n’est rien d’autre qu’un portrait idéalisé du roi, « l’un des plus beaux hommes de son royaume : 6


le permet) de manière à diminuer l’influence de la couleur. Cette subtilité explique certainement la présence d’une telle pierre, si différente des autres par son facettage, mais qui contribue à une certaine homogénéité chromatique des grands diamants. Cela nous amène à suggérer qu’un lot de pierres visuellement similaires a été probablement rassemblé avant sertissage, une technique encore très usitée de nos jours pour éviter des associations trop hétérogènes. Enfin, l’emploi de roses épaisses traduit la volonté d’utiliser des pierres colorées, que la présence de paillons n’atténue que très légèrement.

Les boîtes à portrait au Grand Siècle : les origines Le roi de France ne fut pas le premier à se faire représenter sur ce que ses contemporains désignaient sous le nom de boîte à portrait. Le xviie siècle connut en effet un engouement particulier pour ces précieuses « boettes d’or servantes à mettre un portrait » qui se présentaient initialement sous la forme d’un boîtier renfermant un portrait en miniature peint à la gouache sur vélin. Objets de la sphère privée, les portraits en miniature et les boîtes à portrait étaient communément utilisés depuis la Renaissance19. La nécessité de faire ainsi connaître les traits d’un personnage trouvait sans doute son origine dans les mariages princiers organisés « à l’aveugle » d’un bout à l’autre de l’Europe. En 1538, alors qu’il était en chasse de l’une de ses nombreuses épouses, Henri VIII d’Angleterre avait dérogé à cette pratique en exigeant de rencontrer les princesses françaises qu’il convoitait, ce qui lui valut de la part de François Ier, froissé, la réponse qu’elles n’étaient pas « haquenées à vendre », et qu’il devrait se contenter d’un portrait20. Pour utiles qu’elles fussent dans ce contexte, les boîtes à portrait n’arrangeaient pas toujours les affaires : madame Palatine raconte que Marie-Louise d’Orléans, sa belle-fille, faillit s’évanouir en découvrant dans une boîte incrustée de gros diamants le portrait de l’abominable Charles II d’Espagne, qu’elle allait épouser en 1679 et qu’elle compara « à ce vilain magot le duc de Wolfenbüttel »21. L’envoi d’un portrait, considéré comme un témoignage d’affection, suscitait en retour amour et gratitude. En 1704, Louis XIV fit envoyer son portrait serti dans un bracelet à sa nièce Marie-Louise Gabrielle de Savoie, reine d’Espagne, et le Mercure galant raconte qu’« elle fit paroistre d’abord beaucoup d’admiration et après en avoir examiné tous les traits et faict quelques questions en demandant s’ils étoient bien ressemblans, elle adressa la parole à ce portrait en luy disant les choses du monde les plus tendres et les plus délicates22 ». Un bracelet analogue est conservé au musée Patek Philippe (fig. 8). Encore nombreux dans les collections des musées, ces boîtiers à portrait présentent un assez large éventail de matières et de formes. Un 9


la plus précieuse, estimée à 27 000 livres par les joailliers Courtois et Pittan, n’était composée que de gros diamants26. Du fait de l’évidente disproportion des valeurs respectives des trois éléments constitutifs des boîtes à portrait – or, pierreries et émaux peints –, les experts décrivaient abondamment la taille et la couleur des pierreries, ne commentant que rarement les formes et les décors des boîtiers. Quant aux portraits euxmêmes, les inventaires des ateliers d’orfèvres passaient sous silence leur technique et leurs matériaux, se contentant d’identifier, le cas échéant, les personnages représentés. À l’évidence, ce n’était pas les miniatures qui faisaient le prix de ces boîtes à portrait devenues, grâce à leurs pierreries, des objets de grand luxe.

La gloire des miniaturistes Vers 1660, la plupart des orfèvres de Paris n’exécutaient pas eux-mêmes les délicats portraits peints sur émail qu’ils inséraient dans leurs boîtiers d’or, mais les achetaient auprès de peintres miniaturistes. Ainsi, le portrait en miniature du jeune Philippe d’Orléans (fig. 9), conservé au Louvre27, est certainement le résultat de l’assemblage d’une miniature en émaux peints, exécutée par un peintre-émailleur, et d’une monture en or émaillé confectionnée par un orfèvre. Le style de cette monture s’inspire des modèles gravés de l’orfèvre Gilles Légaré édités chez Mariette en 1663 (fig. 10). De tels rapprochements stylistiques sont précieux, car, les miniatures étant rarement signées et les montures d’or jamais poinçonnées à cette époque, la date de ces bijoux et l’identité de leurs auteurs sont souvent sujettes à caution. Pourquoi un tel succès des boîtes à portrait ? Sans doute cet engouement fut-il soutenu par les progrès des miniatures peintes sur émail, dont la technique connut son apogée au milieu du xviie siècle28. Il convient d’en déterminer les caractéristiques. En 1706, le Dictionnaire de Richelet définit ainsi la peinture en émail : « […] elle se fait sur des plaques d’or ou de cuivre, émaillées de blanc par les orfèvres metteurs en œuvre, et on peint sur ces plaques avec des pinceaux et avec toutes les couleurs d’émail qui peuvent agréablement imiter la nature. Mais il est besoin de donner aux émaux qu’on emploie un feu propre afin de les parfondre sur la plaque et de leur faire prendre le poliment qu’ils doivent avoir, et pour cela l’ouvrage doit aller sept ou huit fois au feu… ». Depuis Félibien, on attribue à Jean Toutin (1578-1644), un orfèvre originaire de Châteaudun, la mise au point de ce fond d’émail blanc posé sur une plaque d’or sur lequel les peintres en émail posaient leurs couleurs à l’aiguille : « […] avant 1630, ces sortes d’ouvrages étaient encore inconnus car ce ne fut que deux ans après que Jean Toutin, orfèvre de Châteaudun, qui émailloit parfaitement bien avec les émaux ordinaires et transparens et qui avoit pour disciple un nommé 11


aux bons serviteurs, aux artistes, et même aux valeureux hommes de guerre auxquels on s’était affronté sur les champs de bataille : au cours de sa carrière, le célèbre duc de Marlborough reçut ainsi plus d’une boîte à portrait... Car il s’agissait bien d’un présent d’homme. Louis XIV prenait une part directe à l’élaboration de ses présents de pierreries. Il demandait à les voir, en discutait avec ses ministres, s’enthousiasmait d’un bijou réussi ou, au contraire, s’agaçait d’un vilain diamant. La correspondance de Jean-Baptiste Colbert de Seignelay, secrétaire d’État à la Maison du roi, s’en faisait l’écho lorsque le roi renvoyait aux orfèvres les boîtes qu’il ne jugeait pas réussies ou celles qu’il faisait « grossir ». Tant était vigilant ce roi avide de connaître « le détail de tout ».

Les « boîtes à portrait » de Louis XIV Ce nom de « boîte » a longtemps intrigué les historiens, qui ne les connaissaient que par des mentions d’archives43, et il a fallu attendre les années 1930, avec les premières boîtes identifiées par Carlo Jeannerat et Roger-Armand Weigert, pour matérialiser enfin ce qu’étaient en réalité ces boîtes à portrait, à l’instar de l’exemplaire du Louvre : des portraits en miniature de Louis XIV sertis de diamants, surmontés d’une couronne et doublés d’une plaque en or émaillée au chiffre du roi. Elles étaient toujours offertes dans de magnifiques écrins de cuir, d’où leur nom. Nicolas de Largillière en fit figurer une sur le Portrait de Conrad Detlef, comte de Dehn, envoyé du duc August Wilhelm de Wolfenbüttel à la cour de France, peint en 172444 (fig. 11a) : Detlef s’y fait fièrement représenter près d’une table où sont disposés deux livres aux titres visibles (Médailles de Louis le Grand et Perspective de Versailles), une lettre adressée « À mon cousin le Duc de Wolfenbutel, Prince du St Empire » et une boîte à portrait bien reconnaissable avec son ruban de soie, présentée dans son écrin entrouvert (fig. 11b). Avec ce présent louis-quatorzien par excellence, le diplomate faisait brillamment état de ses services. À quelle date la forme définitive des boîtes à portrait fut-elle établie ? On l’ignore, faute d’images, mais ce n’est pas tout à fait le même spécimen que l’orfèvre François Lefebvre avait fait figurer dans les éditions successives de son recueil de modèles d’orfèvrerie, en 1657 et 1665 : au centre d’une planche partagée entre une vue de Paris et un encadrement de fleurs et de fruits, sa boîte à portrait était formée d’un médaillon circulaire laissé vide, environné de diamants taillés en rose et surmonté d’un nœud de pierreries (fig. 12). Ce bijou, suspendu à une bélière, semblait devoir être porté en pendentif. Plus tard, le modèle louis-quatorzien était assez célèbre pour que l’orfèvre Thomas Lejuge trouvât judicieux d’en donner une image dans son recueil de modèles de joaillerie édité à Paris 15


1a. Jean Petitot l’Ancien (1607-1691) Boîte à portrait de Louis XIV (face) Émaux peints sur or, argent, diamants – H. 72 ; l. 42 ; Pr. 8 mm Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art, OA 12280 28


1b. Jean Pittan (actif entre 1639 et 1676) ou sous-traitant Boîte à portrait de Louis XIV (revers) Émaux peints sur or 29


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16b. Boîte à portrait de Louis XIV offerte à Anthonie Hensius : revers 53


22. Plaque de revers d’une boîte à portrait au chiffre de Louis XIV Paris, vers 1675-1700 Émaux peints sur or – H. 89 ; l. 54 ; Pr. 2 mm Londres, Victoria and Albert Museum, inv. M 120-1975 59


26a. Boîte à portrait à l’effigie de Guillaume III d’Angleterre Londres, vers 1690 Émaux peints sur or, argent, cristal de roche – H. 104 ; l. 69 ; Pr. 20 mm Londres, collection de la Reine, inv. RCIN 52282 62



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