LA CHINE à Versailles. Art et diplomatie au XVIIIe siècle (extrait)

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LA CHINE

À VERSAILLES

AR T E T D I P L O M ATI E AU X VIII e S I ÈCL E

Sous la direction de Marie-Laure de Rochebrune


Ce catalogue a été réalisé dans le cadre de l’exposition « La Chine à Versailles. Art et diplomatie au xviiie siècle » présentée du 27 mai au 26 octobre 2014 dans l’appartement de madame de Maintenon et la salle des Gardes du Roi au château de Versailles.

L’exposition est organisée par l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles grâce au mécénat d’AXA et de la Fondation GDF SUEZ.

GDF SUEZ GDF_SUEZ_fondation_entreprise_FR_RGB 28/11/2013 24, rue Salomon de Rothschild - 92288 Suresnes - FRANCE Tél. : +33 (0)1 57 32 87 00 / Fax : +33 (0)1 57 32 87 87 Web : www.carrenoir.com

RÉFÉRENCES COULEUR

R230 G0 B0

R95 G95 B95

Elle bénéficie du soutien de l’Institut français.


CATHERINE PÉGARD

Présidente de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles BÉATRIX SAULE

Directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon THIERRY GAUSSERON

Administrateur général de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles

COMMISSARIAT SCIENTIFIQUE

MARIE-LAURE DE ROCHEBRUNE

Conservateur au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon Assistée d’Anne-Cécile Sourisseau et de Vincent Bastien, historiens de l’art

SCÉNOGR APHIE

Jérôme Dumoux ÉCL AIR AGE

Éric Gall MISE EN ŒUVRE

Direction du développement culturel Denis Verdier-Magneau, directeur Silvia Roman, chef du service des expositions Claire Bonnotte, Cesar Scalassara, Jeanne Bossard, Émilie Neau, Laura Dubosc et Pauline Aronica Avec la collaboration des services de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles


L’ exposition a pu être réalisée grâce à la générosité des prêts des institutions et des collectionneurs suivants : FR ANCE

Amiens, musée de Picardie Auxerre, musées d’art et d’histoire d’Auxerre Besançon, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie Lorient, musée de la Compagnie des Indes, musée d’art et d’histoire de la ville de Lorient Paris, Archives nationales Paris, bibliothèque de l’Institut de France Paris, bibliothèque de l’Institut des hautes études chinoises du Collège de France Paris, Bibliothèque nationale de France Paris, Centre des monuments nationaux Paris, Les Arts décoratifs, musée des Arts décoratifs Paris, Mobilier national et manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie Paris, musée de l’Éventail – Hervé-Hoguet Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques Paris, musée du Louvre, département des Objets d’art Paris, musée national des Arts asiatiques Guimet Paris, Société asiatique, association reconnue d’utilité publique, fondée en 1822 et sise à l’Institut de France Sèvres, Cité de la céramique Versailles, bibliothèque municipale ITALIE

Modène, Biblioteca Estense Universitaria ROYAUME-UNI

Sa Majesté la reine Elizabeth II RUSSIE

Saint-Pétersbourg, musée national de l’Ermitage COLLECTIONS PRIVÉES

Collection Antoine Lebel Collection de monsieur et madame de Montferrand Collection de monsieur Antoine de Noailles, duc de Poix

Ainsi que tous les prêteurs qui ont souhaité garder l’anonymat.


Le commissaire de l’exposition assure de sa profonde reconnaissance les nombreuses personnes qui lui ont apporté leur concours et ont permis la réalisation de ce projet. Cette exposition n’aurait jamais vu le jour sans le soutien, l’aide ou les conseils avisés de : Élise Albenque, Antoine d’Albis, Jeanne-Marie Allier, Jean-Manuel Alliot, François Appas, Valérie Bajou, Nathalie Bastière, Annalisa Battini, Christian Baulez, Gilles Beguin, Philippe Bélaval, Luca Bellingeri, Jérémie Benoît, Julie Benvenuti, Romain Beretti, Régis Berge, LouisSamuel Berger, Philippe Bernasconi, Marie-Alice Beziaud, Constance Bienaimé, Michèle Bimbenet-Privat, Pierre-Emmanuel Biot, Céline Blondel, Roland Bossard, Gwenc’hlan Broudic, les ateliers Brugier, Mathilde Brunel, Florence Cailliéret, David Caméo, Yves Carlier, Stéphane Castelluccio, Jean-Gérald Castex, Gérard Cayré, Sabine Cazenave, Laure Chedal-Anglay, Stéphanie Combaret, Coralie Coscino, Cristina Cramerotti, Didier Cramoisan, Laurent Creuzet, Hélène Dalifard, Yves Damé, Sophie Danis, Olivier Delahaye, Hélène Delalex, Frank Desclos, Christine Desgrez, Virginie Desrante, Anne Dewsnap, Martine Dormio, Bernard Dragesco, Delphine Dubois, Alexandre Durand, Anne-Gabrielle Durand, Jannic Durand, Virginie Esteve, Handy Fernandez, Luis Fernandez, Danilo Forleo, Anne Forray-Carlier, Christophe Fouin, Cyrille Froissart, Marc Fumaroli, de l’Académie française, Olivier Gabet, le vice-amiral Jean-Noël Gard, Serena Gavazzi, Aurélie Gevrey, Dorota Giovannoni, Catherine Gougeon, Jean-Paul Gousset, Gilles Grandjean, Philippe Grille, Victor Guégan, Emmanuel Guigon, Geneviève Guilleminot, Caroline de Guitaut, Pierre-Xavier Hans, Earl and Countess of Harewood, Jean-Philippe Harriague, Annick Heitzmann, Donatien Hervouët, Anne Hoguet, François Hominal, Raphaëlle Hubin, Christophe Huchet de Quénétain, Olga Ilmenkova, Éléonore Jaulin, Olivier Jauneau, Nicolas Joly, Jean-Luc Jossé, Olivier Josse, Daniëlle Kisluk-Grosheide, Aloys Klaeyle, Mireille Klein, Alexis et Nicolas Kugel, Maïté Labat, Frédéric Lacaille, Marie-Laetitia Lachèvre, Jérôme de La Gorce, Thierry Lamouroux, Isabelle Landry-Deron, Delphine Lannaud, Isabelle Laurin, Hervé de La Verrie, Corinne Le Bitouzé, Pierre-Yves Le Nir, Cécile Léon, Patrick Leperlier, Roland de L’Espée, Ariane de Lestrange, Georgina Letourmy-Bordier, Gérard Mabille, Karine Mac Grath, Agnès Magnien, Jean-Pierre Mahé, Stéphanie Maillet-Marque, Élisabeth Maisonnier, Sophie Makariou, Philippe Malgouyres, Alexandre Maral, Jonathan Marsden, Jean-Luc Martinez, père Michel Masson s.j., Raphaël Masson, Marine Masure, Maeva Meplain, Marylène Mercier, Norbert Métairie, Anne Mézin, Louis Mézin, Patrick Michel, Christian Milet, Éric Moinet, Simon de Monicault, Nathalie Monnet, Olivier Morel, Sophie Motsch, Michèle Moulin, Christiane Naffah, Constance Nemitz, Brigitte Nicolas, Isabelle Noël, Marc Nolibé, Agnès Ollier, Aurianne Ortiz, Mireille Pastoureau, Isabelle Pénicaut, Damien Peron, Marie-Hélène Petitfour, Maryvonne Pinault, Mikhail Piotrovsky, Bruno Racine, père Henri Raison s.j., MarieCatherine Rey, Nicole de Reyniès, Marie-Hélène de Ribou, Olivier Robert, Bertrand Rondot, Emmanuel Rousseau, Mariane Saïe, Annie Salavert, Xavier Salmon, Béatrice Sarrazin, Didier Saulnier, Dame Rosalind Savill, Clara Savouré, Bernard Schotter, Guillaume Séret, Violaine Solari, Charles-Édouard Soudan, Delphine Spicq, Christophe Thomet, Carole Thommeret, Pascal Torres, Hélène Tromparent-de Seynes, Delphine Valmalle, Jan Vilensky, Francis Villadier, Mathieu da Vinha, Michaël Vottero, Sylvia Vriz, Angela Gräfin von Wallwitz, Noémie Wansart, Colombe Watine-Durel, Thierry Webley, John Whitehead, Pierre-Étienne Will, Leung Wingfong, Christel Winling et Thierry Zimmer.



S’il fallait un exemple de l’extraordinaire traversée des siècles que le château de Versailles peut nous offrir, nous citerions la visite d’État du président Xi Jinping, le 24 mars 2014. Non pas parce que le président de la République, François Hollande, rendit ce soir-là au château de Versailles son rôle de palais national. Non pas même parce que cette visite permit de célébrer le cinquantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine, précisément en ce Grand Trianon dont, il y a également cinquante ans, le général de Gaulle faisait une résidence officielle pour accueillir ses hôtes étrangers. Mais bien parce que l’actualité vint soudain mettre en lumière une histoire bien plus longue qu’on ne le croit, souvent ignorée, celle de la « Chine à Versailles », cette histoire qu’à travers un rassemblement de chefs-d’œuvre inédits nous raconte Marie-Laure de Rochebrune, conservateur au château de Versailles et commissaire de l’exposition. Cette fascination pour la Chine se nourrit, dans le lointain, des récits de voyage merveilleux de Marco Polo, mais elle s’équilibre sous le règne de Louis XIV avec les découvertes mutuelles des deux pays, qui vont parcourir tout l’Ancien Régime. Louis XIV inaugure, avant la lettre, par le truchement des pères jésuites, cette « diplomatie culturelle » qui mêle intérêts politiques ou économiques et échanges culturels ou scientifiques. L’ exotisme alimente une curiosité qui va à la fois développer une vraie connaissance de la Chine à la cour de France, mais aussi irriguer une relation diplomatique singulière que nos voisins européens jalouseront. Sous le règne de Louis XV, et encore sous celui de Louis XVI, les correspondances avec la Chine s’intensifient. Peu à peu, le commerce de « lachine » s’amplifie. Les ambassadeurs du Siam avaient couvert Louis XIV de présents qui façonnèrent le goût royal pour de nouvelles couleurs, des matières et des formes inconnues. L’ engouement de ses successeurs pour les objets d’art chinois influence la création française : on les transforme, on les adapte, on les embellit, on s’en inspire. Protecteurs des arts, les souverains défendent, dans leurs appartements d’apparat, le génie français, mais, quand ils laissent libre cours à leur inclination personnelle dans l’intimité de leurs appartements privés, les décors « à la chinoise » sont partout. C’est peut-être pour cette raison que, longtemps, on les négligea. Nous devons aujourd’hui à la ténacité et à la méticulosité de Marie-Laure de Rochebrune de les retrouver dans cette visite exceptionnelle de la « Chine à Versailles ». Je tiens à remercier les conservateurs du château de Versailles qui, avec Béatrix Saule, directeur du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, l’ont accompagnée. Je veux saluer les auteurs de ce catalogue qui, par la richesse de leurs contributions, rendent si bien compte de l’imbrication de l’art et de la diplomatie au xviiie siècle. Ma gratitude va à nos généreux prêteurs qui permettent de ressusciter aujourd’hui les rêves d’Orient de la cour de Versailles. Je souhaite enfin que nos visiteurs chinois découvrent, comme nous, dans cette exposition, une part de notre histoire commune. Catherine Pégard Présidente de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles


GDF SUEZ est fier et heureux de s’associer au château de Versailles pour soutenir l’exposition « La Chine à Versailles. Art et diplomatie au xviiie siècle », organisée dans le cadre du cinquantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine, célébration que notre Groupe accompagne en cette année 2014. C’est une très belle occasion de mettre à l’honneur l’histoire des échanges politiques et artistiques entre la Chine et la France au xviiie siècle, et notamment le goût français pour les productions artistiques chinoises, dès le règne de Louis XIV. À travers ce partenariat, nous souhaitions partager plusieurs engagements. La présence, bien sûr, en Chine du Groupe depuis plus de quarante ans, aux côtés de notre partenaire stratégique Suez Environnement. L’ engagement quotidien de nos équipes, à travers notre entité COFELY FM, au service du château de Versailles pour assurer l’exploitation et la maintenance des installations électriques et de certaines protections contre les incendies, une très belle référence pour nos métiers au service de la culture et du patrimoine. Le château est également alimenté par le réseau de chaleur de Versailles exploité par notre Groupe. L’ engagement de GDF SUEZ et de notre Fondation pour l’accès de tous à la culture. Partenaire de longue date du château de Versailles, la Fondation GDF SUEZ a contribué à l’aménagement du parcours pour les personnes à mobilité réduite des jardins du château de Versailles et, plus récemment, à l’exposition « André Le Nôtre en perspectives », qui marquait le quatre centième anniversaire de la naissance de ce grand paysagiste. Gérard Mestrallet Président-directeur général de GDF SUEZ


La célébration du cinquantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la République populaire de Chine et la France est un événement d’une grande importance auquel AXA s’est associé avec fierté. Présent en Chine depuis bientôt vingt-cinq ans, AXA a fortement accéléré ses investissements dans le pays afin d’inscrire sa présence dans une stratégie de développement à long terme. Dans le prolongement naturel de cet engagement, nous soutenons activement les différentes initiatives prévues en 2014 pour célébrer l’amitié entre nos deux pays, et sommes particulièrement heureux de nous associer à l’exposition « La Chine à Versailles. Art et diplomatie au xviiie siècle ». À travers cette exposition, nous revisitons un siècle d’intenses relations diplomatiques et culturelles entre l’empire du Milieu et la France. Un xviiie siècle durant lequel la curiosité et le goût français pour les productions artistiques chinoises se matérialisèrent non seulement par l’importation d’œuvres d’art remarquables, mais aussi par une fertilisation croisée dont les effets furent conséquents pour les deux pays. L’importance progressive que prit, à la cour de France, le phénomène de la chinoiserie en témoigne, tout comme la diffusion des arts et lettres occidentaux dans la Chine de l’empereur Kangxi à travers les missions jésuites mandatées par Louis XIV. Je me réjouis qu’AXA permette aujourd’hui à Versailles de présenter certaines des plus belles œuvres attestant de la richesse et de la diversité de ces relations artistiques et culturelles. J’y vois également la célébration de la force et de l’ancienneté de l’amitié qui lie la Chine et la France, ce lien multiséculaire qu’AXA est déterminé à entretenir et développer à travers ses différents engagements et grâce à la confiance de ses partenaires chinois. Henri de Castries Président-directeur général d’AXA



AUTEURS VINCENT BASTIEN (V. B.)

Docteur en histoire de l’art JÉRÉMIE BENOÎT (J. B.)

Conservateur en chef, chargé des Trianon, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon CONSTANCE BIENAIMÉ (C. B.)

Historienne de l’art STÉPHANE CASTELLUCCIO (S. C.)

Chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique, HDR, Centre André-Chastel, Paris HÉLÈNE DELALEX (H. D.)

Attachée de conservation, chargée du musée des Carrosses, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon ANNICK HEITZMANN (A. H.)

Chargée de recherche en archéologie, Centre de recherche du château de Versailles JÉRÔME DE LA GORCE (J. L.)

Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique, Centre André-Chastel, Paris. Membre du conseil scientifique du Centre de recherche du château de Versailles ISABELLE LANDRY-DERON (I. L.-D.)

Ingénieur d’études, Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine, École des hautes études en sciences sociales, Paris GÉRARD MABILLE (G. M.)

Conservateur général, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon ÉLISABETH MAISONNIER (É. M.)

Conservateur, chargée du cabinet des Arts graphiques, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon PATRICK MICHEL (P. M.)

Professeur d’histoire de l’art moderne, université Lille III – Charles-de-Gaulle NATHALIE MONNET (N. M.)

Conservateur en chef, chargée des manuscrits de Dunhuang et des fonds chinois, département des Manuscrits, Bibliothèque nationale de France, Paris MARIE-LAURE DE ROCHEBRUNE (M.-L. R.)

Conservateur, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon BERTRAND RONDOT (B. R.)

Conservateur en chef, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon Jules-Antoine Rousseau (1710-1782) et ses fils, sous la direction d’Ange-Jacques Gabriel (1698-1782), bas-relief représentant des pêcheurs chinois, sculpté sur l’une des parcloses de la salle des Bains de Louis XV à Versailles, bois doré de trois ors, vers 1770.

ANNE-CÉCILE SOURISSEAU (A.-C. S.)

Historienne de l’art PASCAL TORRES (P. T.)

Conservateur, chargé de la collection du baron Edmond de Rothschild et de la chalcographie, musée du Louvre, Paris



SOMMAIRE Du Trianon de porcelaine au Cabinet doré de Marie-Antoinette : la Chine à Versailles

16

MARIE-LAURE DE ROCHEBRUNE

Le jeune duc du Maine, protecteur des premières missions françaises en Chine

36

NATHALIE MONNET

Le Roi-Soleil se lève à l’est

50

ISABELLE LANDRY-DERON

Le goût personnel des souverains et l’Orient au xviiie siècle

60

STÉPHANE CASTELLUCCIO

L’information ancienne sur la Chine

86

ISABELLE LANDRY-DERON

Le roi et la Compagnie française des Indes orientales

94

STÉPHANE CASTELLUCCIO

Le goût de Marie Leszczynska pour l’Extrême-Orient : une vision personnelle

120

BERTRAND RONDOT

De Mazarin à Bertin, l’essor de la collection chinoise à la Bibliothèque royale entre 1668 et 1793

140

NATHALIE MONNET

Portrait du singulier monsieur Bertin, ministre investi dans les affaires de la Chine

150

CONSTANCE BIENAIMÉ ET PATRICK MICHEL

Les Conquêtes de l’empereur de la Chine : de Pékin à Versailles

178

PASCAL TORRES

Les collections de porcelaines de Chine de la famille royale sous Louis XV et Louis XVI

190

VINCENT BASTIEN

Le goût de la famille royale pour les pièces à décor chinois de la manufacture de Sèvres

224

VINCENT BASTIEN

Jean-Baptiste Pater (1695-1736), La Chasse chinoise (détail de la notice no 21), huile sur toile, 1736, Amiens, musée de Picardie, dépôt du musée du Louvre, département des Peintures, inv. 2088 (inv. 7144).

Livres sur la Chine aux armes de Mesdames, de la comtesse de Provence et de Madame Élisabeth

248

Le jeu de bague de Trianon

258

ANNICK HEITZMANN

Bibliographie établie par ANNE-CÉCILE SOURISSEAU

271



« Nous n’avons aucune maison en Europe dont l’antiquité soit aussi bien prouvée que celle de l’empire de la Chine 1. » Voltaire, Dictionnaire philosophique. Cette phrase de Voltaire (1694-1778) constitue l’un des plus beaux hommages rendus à l’empire du Milieu par l’auteur de L’Orphelin de la Chine 2. Cette admiration pour l’ancienneté de la civilisation chinoise était partagée par nombre de ses contemporains, en premier lieu par les jésuites français missionnaires en Chine, qui constituaient ses principaux informateurs. Cette sinophilie était également affichée dans la seconde moitié du xviiie siècle par Henri-Léonard Bertin, ministre de Louis XV puis de Louis XVI, dont la figure singulière est ici remise à l’honneur 3. La fascination pour la Chine et ses productions artistiques n’était pas nouvelle en France au xviiie siècle. Elle s’était manifestée en Europe dès l’époque romaine et n’avait cessé d’y régner avec des fortunes diverses. Elle était même devenue un véritable mythe à la fin du Moyen Âge, soutenu par les récits des rares voyageurs qui s’y étaient aventurés, comme celui du Vénitien Marco Polo (12541324), parvenu en Chine au xiiie siècle, à la cour de Qubilaï Khan (1215-1294). Son ouvrage, Le Devisement du monde, écrit quelques années après son retour en Europe, devait avoir un immense retentissement jusqu’à l’époque moderne. Qubilaï Khan, petit-fils de Genghis Khan, le fondateur de la dynastie mongole des Yuan, avait remarqué l’intelligence du jeune homme et l’avait pris à son service. Marco Polo séjourna dix-sept ans en Chine et la visita jusque dans ses provinces les plus reculées. Chargé de missions d’inspection, il joua le rôle d’un fonctionnaire au service de la dynastie mongole. Il fut émerveillé par Khanbalik (Pékin), devenu la nouvelle capitale de la Chine à l’époque des Yuan, et par les œuvres d’art présentes au palais impérial. Il admira la production de la soie et s’intéressa à la fabrication de la porcelaine. Il perçut le pays de Cathay 4 comme l’un des plus pacifiques au monde. Son manuscrit, traduit en français en 1310, eut un réel succès en France où de nombreuses copies enluminées furent exécutées. Le roi Charles V (1338-1380) en avait cinq exemplaires dans sa bibliothèque et son frère Jean de Berry (1340-1416) en possédait trois. Le récit de Marco Polo, imprimé pour la première fois en 1477, donnait de la Chine l’image d’un pays regorgeant de trésors et de phénomènes exotiques, particulièrement enchanteurs. Il devait avoir une postérité considérable jusqu’au xviie siècle. Christophe Colomb (1451-1506) partit pour l’Amérique avec l’ouvrage de Marco Polo entre les mains. D’autres récits de voyageurs contribuèrent à répandre l’idée que le pays de Cathay ne ressemblait à nul autre et qu’il était gouverné par des empereurs pacifiques et courtois. À la fin du Moyen Âge, le mythe crût encore à la faveur de la fermeture de l’empire aux étrangers par la dynastie des Ming. La Chine, devenue inaccessible aux Occidentaux, n’en était que plus attirante. Cette aura était encore très vive en Occident, à l’époque moderne, grâce aux échos des aventures des jésuites européens, en particulier celles du célèbre père Matteo Ricci (1552-1610), qui avait su s’introduire avec adresse, dès le tout début du xviie siècle, à la cour de Pékin, par le truchement de ses connaissances mathématiques et astronomiques.

DU TRIANON DE PORCELAINE AU CABINET DORÉ

DE MARIE-ANTOINETTE :

LA CHINE

À VERSAILLES MARIE-LAURE DE ROCHEBRUNE

Fig. 1 Henri Testelin (1616-1695), Louis XIV protecteur de l’Académie, huile sur toile, vers 1670, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. MV 6155.

UN SIÈCLE DE REL ATIONS DIPLOMATIQUES PARTICULIÈRES ENTRE L A CHINE ET L A FR ANCE

La perception de la Chine par la France et par ses souverains commença à changer sous le règne de Louis XIV (1638-1715) (fig. 1). À l’image idyllique, véhiculée par le livre de 17


DU TRIANON DE PORCELAINE AU CABINET DORÉ DE MARIE-ANTOINETTE : LA CHINE À VERSAILLES

(page de droite) Fig. 2 Anonyme, Portrait de l’empereur Kangxi en costume de cour, rouleau de soie peinte, époque Kangxi (1662-1722), Pékin, musée de la Cité interdite.

1. Voltaire, 1828, t. XXVIII, p. 37. 2. Voltaire écrivit et fit jouer L’Orphelin de la Chine à Paris, en 1755. La pièce s’inspirait de la traduction effectuée vingt ans plus tôt par le père de Prémare, un jésuite présent en Chine, d’une œuvre chinoise du xiiie siècle. 3. Cf. l’essai de Constance Bienaimé et de Patrick Michel, p. 151-153. 4. C’est ainsi que Marco Polo désigne la Chine de l’époque des Yuan dans Le Devisement du monde. 5. Cf. à ce sujet Belevitch-Stankevitch, 1910, p. 9. 6. Monnet, 2004 b, p. 205. 7. Cf. notice no 9. 8. Monnet, 2004 b, p. 205. 9. Cf. l’essai d’Isabelle Landry-Deron, p. 52. 10. Ibid. 11. Lettre citée par Landry-Deron, 2001, p. 427. 12. Cf. ibid., p. 434, et ici l’essai de Nathalie Monnet, p. 38. 13. Le sixième, le père Tachard, demeura au Siam et n’alla jamais en Chine. 14. Belevitch-Stankevitch, 1910, p. 11. 15. Cf. l’essai de Nathalie Monnet, p. 42.

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Marco Polo, se substituèrent des informations de première main, envoyées en France par des observateurs avisés, qui avaient pris, parfois au péril de leur vie, leur mission avec le plus grand sérieux. Le règne personnel de Louis XIV (1661-1715) fut une période de découvertes mutuelles, particulièrement enrichissantes, inaugurant plus de cent ans de relations privilégiées entre les deux pays, souvent méconnues aujourd’hui. Les premières tentatives d’établissement d’un commerce avec la Chine, amorcées par Mazarin à la fin des années 1650, ayant échoué 5, ce fut par d’autres biais que le Roi-Soleil entra en contact avec l’empire du Milieu, ceux de la religion, de la culture et des sciences. Le souverain, notamment par ses acquisitions très novatrices de livres chinois, fut l’initiateur d’un intérêt profond porté par la France à la culture chinoise 6. Soutenu par ses principaux ministres, Colbert puis Louvois, et par l’Académie des sciences, créée en 1666, Louis XIV mit en œuvre une politique diplomatique et scientifique, très volontariste, en direction de l’empire du Milieu et de son quasi-contemporain, l’empereur Kangxi (1654-1722), politique qui devait porter des fruits tout au long du xviiie siècle (fig. 2). L’ empereur accueillit favorablement les émissaires du souverain français et leurs précieuses connaissances scientifiques. Le 15 septembre 1684, Louis XIV reçut fastueusement à Versailles un jésuite flamand, le père Philippe Couplet (1623-1693), qui avait passé de nombreuses années en Chine, à la cour de Pékin. Ce dernier souhaitait renforcer le nombre des pères jésuites français en Chine, à la fois pour présider le Bureau impérial d’astronomie auprès de l’empereur Kangxi, mais aussi pour étoffer les effectifs des missionnaires, chargés de l’évangélisation de l’Empire. Il sollicitait également du roi de France une aide financière. Le père Couplet était accompagné d’un jeune Chinois converti au christianisme, nommé Shen Fuzong 7, témoin vivant du succès des missions dans l’empire du Milieu, qui piqua la curiosité de toute la cour. Lors de sa visite, le père Couplet offrit plusieurs livres chinois à Louis XIV 8 et parvint à le persuader des intérêts politiques, diplomatiques, scientifiques, voire commerciaux, que la France pourrait retirer de cet important investissement humain et financier : poursuivre les efforts de conversion du peuple chinois au christianisme, accroître les connaissances françaises sur la Chine dans les domaines de la médecine, de la géographie et de l’astronomie, lutter contre la prééminence portugaise en matière de missions, enfin, établir des liaisons commerciales durables avec l’Empire céleste pour contrer les toutespuissantes Provinces-Unies, qui bénéficiaient, depuis la création en 1602 de la Vereenische OostIndische Compagnie, la célèbre VOC, du monopole du commerce avec l’empire du Milieu 9. Cette visite avait été précédée d’autres initiatives, venues notamment des missionnaires de la Société des missions étrangères de Paris, décrites ici par Isabelle Landry-Deron 10, ou de celle d’un autre jésuite flamand présent à la cour de Chine, le père Verbiest (1623-1688), président du Bureau impérial d’astronomie. Ce dernier n’avait-il pas écrit en 1678 dans une lettre célèbre, adressée aux jésuites de France et publiée par le Mercure galant en septembre 1681 : « Sous le manteau étoilé de l’astronomie, notre sainte religion s’introduit facilement [en Chine] 11 » ? Convaincu par ces arguments, Louis XIV finança, sur sa cassette personnelle, l’expédition en Chine de six jésuites français, sous le nom de mathématiciens du roi, préalablement adoubés par l’Académie des sciences. Partis de Brest en 1685, munis, pour mener à bien leurs travaux scientifiques, d’instruments de mathématiques et d’astronomie dont l’un avait été offert par le duc du Maine (1670-1736), l’un des fils légitimés de Louis XIV 12, cinq d’entre eux parvinrent à Pékin le 7 février 1688 13 – les pères de Fontaney, Bouvet, Gerbillon, Le Comte et de Visdelou – à l’issue de près de trois années de voyage qui les conduisirent d’abord au Siam (actuelle Thaïlande), considéré alors comme le « vestibule 14 » de la Chine. Admis à la cour de l’empereur, ils réussirent, grâce à leurs connaissances mathématiques, médicales et astronomiques, à gagner la confiance de Kangxi et à mener des travaux scientifiques de haut niveau qui perdurèrent au siècle suivant. L’ empereur, que Voltaire encensa plus tard comme un modèle de vertu, se montra particulièrement bienveillant à leur égard. Le père Bouvet (1656-1730) fut l’un des premiers Européens à célébrer ce trait de caractère quand il revint en France en 1697, sur ordre de Kangxi, afin de recruter de nouveaux missionnaires. À cette occasion, ce dernier lui avait confié des ouvrages chinois à l’intention de Louis XIV 15.


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DU TRIANON DE PORCELAINE AU CABINET DORÉ DE MARIE-ANTOINETTE : LA CHINE À VERSAILLES

Fig. 3 Portraits des pères Ricci, Schall et Verbiest, planche gravée illustrant l’ouvrage de Jean-Baptiste Du Halde, Description géographique, historique, chronologique, politique et physique de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise, enrichie des cartes générales et particulières de ces pays… & ornée d’un grand nombre de figures & de vignettes gravées en taille douce, Paris, Nicolas-Léger Moutard, 1770, 3e volume, Versailles, bibliothèque municipale de Versailles, Rés. in-fol I 3-6 f, p. 78-79.

16. Cf. notice no 15. 17. Landry-Deron, 2004, p. 159. 18. Landry-Deron, 2001, p. 423. 19. Cf. à ce sujet Landry-Deron, 2001, p. 423. 20. Cf. notice no 27. 21. Cf. notice no 55. 22. Cf. notice no 47. 23. Depuis l’origine de la Compagnie de Jésus, la Chine avait acquis pour les jésuites une « teneur presque mythique », en raison de l’ancienneté de sa civilisation, de sa sagesse et de la qualité de sa science (Vermander, 2012, p. 8).

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Le père Bouvet fut aussi l’un des premiers auteurs jésuites à comparer Kangxi à Louis XIV, dans son célèbre Portrait historique de l’empereur de la Chine, imprimé à Paris en 1697 16. Pendant leur séjour à la cour de Pékin, les pères Bouvet et Gerbillon avaient côtoyé l’empereur journellement et lui avaient prodigué des leçons de mathématiques et d’astronomie 17. De leur côté, les autres pères avaient quitté la capitale de la Chine pour diverses provinces afin de mener à bien leur mission d’évangélisation. En 1692, reconnaissant leurs éminentes qualités humaines et scientifiques, Kangxi fit promulguer un édit de tolérance à l’égard du christianisme qui fut admis comme religion officielle, au même titre que le bouddhisme et le taoïsme. Certains jésuites remplirent des missions plus inattendues à la cour de Pékin. Le père Gerbillon (1654-1707), doté de talents de diplomate, joua un rôle décisif en résolvant l’épineuse question des frontières russo-chinoises, provoquée par le conflit qui opposait depuis plusieurs années la nouvelle dynastie mandchoue à Pierre le Grand. Grâce à lui fut signé en 1689 le traité de Nertchinsk, qui régla pour longtemps le contentieux entre les deux puissances. Quatre ans plus tard, le père de Fontaney (1643-1710) guérit Kangxi de la malaria, en lui administrant de la quinine, ce dont l’empereur lui fut toujours reconnaissant. La conjugaison de ces événements et de la bienveillance de l’empereur à l’égard des missionnaires français permit la création, en 1700, d’une mission jésuite de France, indépendante de la mission portugaise et du Saint-Siège. Celle-ci devait contribuer pour des décennies à enrichir les connaissances chinoises en matière de mathématiques et d’astronomie, mais aussi à amplifier les connaissances européennes sur la Chine et à nourrir la réflexion des intellectuels des Lumières, au-delà des frontières du royaume de France. Les missionnaires français concoururent ainsi, de manière décisive, à la « vulgarisation des connaissances sur la Chine » qui se diffusèrent abondamment dans toute l’Europe 18. En revanche, si la mission jésuite de France produisit des fruits jusqu’à la fin du xviiie siècle, elle agaça beaucoup les jésuites portugais et les autres congrégations religieuses présentes en Chine. Ces jalousies furent pour une grande part à l’origine de la querelle des Rites qui devait mettre un terme définitif aux espoirs de christianisation de la Chine, indisposer les autorités chinoises, diviser l’Europe tout au long du xviiie siècle et se conclure par la suppression définitive par le pape Clément XIV, en 1773, de la Compagnie de Jésus.


Fig. 4 Alexandre Roslin (1718-1793), Portrait d’Henri-Léonard Bertin (1720-1792), huile sur toile, 1768, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. MV 3844.

Les récits de voyage des pères jésuites se multiplièrent durant tout le xviiie siècle, notamment avec la publication, de 1702 à 1776, des célèbres Lettres édifiantes et curieuses envoyées pendant près de trois quarts de siècle par les missionnaires à leurs supérieurs mais aussi aux bienfaiteurs de l’ordre, demeurés en Europe. Celles-ci devaient éclairer d’un jour nouveau les connaissances occidentales sur la Chine. Une partie d’entre elles fut insérée dans l’ouvrage célèbre du père Jean-Baptiste Du Halde (1674-1743), Description géographique, historique, chronologique, politique et physique de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise, enrichie des cartes générales et particulières de ces pays…, paru une première fois, à Paris, en 1735 et réédité en 1770 (fig. 3). Dans cet ouvrage, qui figurait dans toutes les bonnes bibliothèques du xviiie siècle, Du Halde avait réuni « nombre des récits et observations des mathématiciens du roi […] 19 ». On y trouvait en particulier les journaux de voyage du père Bouvet, mais aussi bien d’autres documents, notamment une abondante cartographie et une description très précise des différentes provinces de Chine et de leurs villes principales. L’ ensemble, très riche d’enseignements de toutes sortes, devait passionner les intellectuels français et nourrir l’enthousiasme des sinophiles. Plusieurs membres de la famille royale, notamment le roi, la comtesse de Provence ou Mesdames, possédèrent des exemplaires de l’ouvrage. L’ un d’entre eux, ayant appartenu à la reine Marie-Antoinette (1755-1793), est présenté à l’exposition 20. On sait qu’il figurait dans sa bibliothèque à Versailles et qu’il fut transféré aux Tuileries, après le 6 octobre 1789. Sous les règnes de Louis XV (1710-1774) et de Louis XVI (1754-1793), la mission jésuite de France en Chine demeura vivante et active, malgré la querelle des Rites et la dissolution de la Compagnie de Jésus, en particulier grâce au concours du contrôleur général des Finances, puis secrétaire d’État, Henri-Léonard Bertin (1720-1792), un sinologue averti, ami des physiocrates, vivement intéressé par les sciences mais aussi par les productions chinoises, en perpétuelle correspondance avec les pères jésuites présents en Chine (fig. 4). La figure de Bertin est ici évoquée par Constance Bienaimé et Patrick Michel, qui montrent bien la ténacité avec laquelle celui-ci soutint les missions jésuites françaises en Chine ainsi que leurs publications, notamment avec la grande aventure éditoriale que constitua, à partir de 1776, la parution des Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts, les mœurs, les usages, etc. des Chinois, par les missionnaires de Pékin, chez Nyon l’aîné, à Paris. Non content de développer les connaissances françaises sur la Chine, Bertin eut à cœur d’enrichir la Bibliothèque royale d’ouvrages chinois, mais aussi de faire connaître la France en Chine, profitant de la situation privilégiée des jésuites auprès de l’empereur. Dès 1764, Bertin mit en œuvre une correspondance suivie avec des jésuites français et chinois présents à la cour de Pékin, conservée aujourd’hui à la bibliothèque de l’Institut de France 21. Parmi ses principaux correspondants figuraient les pères Ko et Yang, deux jeunes jésuites chinois venus se former en France, mais aussi les pères Cibot et Amiot et le frère Panzi… Bertin assura financièrement la publication de cette correspondance à travers les quinze premiers volumes des Mémoires concernant les Chinois…, cités plus haut. Cette correspondance constitue un précieux témoignage de l’importance que Bertin attachait aux relations diplomatiques entre la France et l’empire du Milieu dans la seconde moitié du xviiie siècle. Elle atteste également de son souhait de mieux connaître les ressources et les savoir-faire chinois dans de nombreux domaines, comme ceux de l’agriculture, du commerce, de la production du thé, de la soie ou de la porcelaine, afin de participer aux progrès de l’économie et des sciences françaises. Elle a contribué de manière significative à la naissance, dans la seconde moitié du xviiie siècle, de la sinologie moderne. Cette correspondance eut bien sûr de nombreux échos à la cour de Versailles, mais aussi dans les milieux intellectuels du temps, en particulier chez les philosophes et les économistes. Certains membres de la famille royale n’étaient pas insensibles au sort des jésuites missionnaires en Chine. La reine Marie Leszczynska (1703-1768), très pieuse, s’intéressait personnellement à l’histoire des premiers membres de la Compagnie de Jésus parvenus en Extrême-Orient, comme le montre une toile peinte pour un cabinet de son appartement intérieur à Versailles par Joseph-Marie Vien (1716-1809), Saint François-Xavier qui débarque à la Chine 22. Cette œuvre, qui illustre un événement irréalisé puisque François-Xavier n’accomplit jamais son rêve et mourut le 3 décembre 1552, sur l’îlot de Sancian, en face de Canton, sans pouvoir y débarquer 23, était un tableau de dévotion, comme son pendant, aujourd’hui disparu, Saint Thomas 21


DU TRIANON DE PORCELAINE AU CABINET DORÉ DE MARIE-ANTOINETTE : LA CHINE À VERSAILLES

apôtre prêchant les Indiens. Mais il n’est pas indifférent que les deux tableaux aient figuré au cœur même de l’appartement intérieur de la Reine 24. Au xviiie siècle, les jésuites français gardèrent leur influence à la cour de Chine grâce à leurs connaissances scientifiques, mais également grâce à leurs talents de peintres, de musiciens, d’architectes, de fontainiers ou d’hydrographes. Le frère Jean-Denis Attiret (1702-1768) devint peintre de l’empereur et devait participer, avec le jésuite italien Giuseppe Castiglione (1688-1766), à l’exécution des dessins célébrant les victoires remportées par l’empereur Qianlong, au cours des années 1750, dans le nord de la Chine. On verra plus loin que ces dessins furent à l’origine de l’une des plus fameuses commandes de gravures, adressée à la France en 1765 et devenue une véritable affaire d’État, évoquée ici par Pascal Torres 25. Un autre jésuite, le frère Michel Benoît (1715-1774), astronome de formation, fut aussi remarqué pour ses talents d’architecte et de fontainier, et contribua à l’élévation de certains palais et jeux d’eau du Yuanming Yuan, au cœur même de la Cité interdite, à Pékin. L A FASCINATION POUR LES PRODUCTIONS ARTISTIQUES DE L A CHINE

Fig. 5 Anonyme, Habit de mandarin chinois, gravure au burin, vers 1700, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie, Oe 48, pet. fol. (M41504).

24. Cf. notice no 47. Je remercie Roland Bossard d’avoir attiré mon attention sur ce tableau de Vien et sur la dévotion particulière de la reine pour saint François-Xavier. 25. Cf. son essai, p. 178-183. 26. Cf. à ce sujet Michel, 1999. 27. Cf. notice no 4. 28. Cf. notice no 6. 29. Chaumont, 1686, p. 107-110 et 114-121. 30. Cf. l’essai de Stéphane Castelluccio, p. 95. 31. Cf. l’essai de Stéphane Castelluccio, p. 97. 32. Dangeau, 1856, t. VII, p. 226-227 : « Après souper il y eut une fort jolie mascarade de roi de la Chine avec des entrées de ballet et de la musique, et ensuite il y eut bal jusqu’à minuit. Les danseurs du bal étaient monseigneur le duc de Bourgogne et messeigneurs ses frères, M. de Chartres, M. le Duc […]. » 33. Cf. notice no 17. 34. Cf. notice no 18. 35. Cf. Gautier, 2014, p. 90. 36. Cf. notice no 24. 37. Cf. l’essai de Vincent Bastien, p. 190-197. 38. Cf. notice no 22. 39. Courajod, 1873, t. II, p. 241, no 2137. 40. Cf. à ce sujet Rochebrune, 2002, p. 413-417. 41. Cf. notice no 78. 42. Cf. notice no 76. 43. Cf. notices nos 71 et 72. 44. Cf. notice no 23. 45. Cf. notice no 46.

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À cette admiration pour l’antique civilisation chinoise s’ajoutait, au début du xviiie siècle, à la cour de France, comme chez les grands amateurs contemporains, une véritable fascination pour les productions artistiques de la Chine. Celle-ci était déjà apparue au milieu du xviie siècle, comme le montrent les collections du cardinal Mazarin, le parrain du roi 26. Au début du règne de Louis XIV, c’est ce goût pour une Chine merveilleuse et rêvée qui transparaît dans l’élévation, à Versailles en 1670, par Louis Le Vau, du Trianon de porcelaine, qui n’avait qu’un lointain rapport avec son modèle présumé, la pagode de porcelaine de Nankin 27. L’image de cette dernière avait été largement diffusée par les illustrations de l’ouvrage de Jean Nieuhoff, L’ Ambassade de la Compagnie orientale des Provinces-Unies vers l’empereur de Chine ou grand cam de Tartarie…, paru à Leyde en 1665 28. Seize ans plus tard, la visite des ambassadeurs du Siam, munis de nombreux cadeaux destinés à la famille royale, devait aviver l’attirance de la cour pour les objets d’art venus de Chine. En effet, parmi les présents de la famille royale de Siam figuraient beaucoup d’œuvres chinoises, des pièces d’orfèvrerie, un grand paravent « à douze feuilles, ouvrage de Péquin », des papiers peints à décor de fleurs et d’oiseaux, des tapis, des pierres dures, des meubles en laque de Chine et du Japon, des porcelaines des « Indes », provenant en réalité de Chine. Si le roi recevait le plus grand nombre d’objets, « quinze cents ou quinze cent cinquante pièces de pourcelaine », le dauphin, la dauphine, le duc de Bourgogne et le duc d’Anjou n’avaient pas été oubliés par le roi du Siam, Phra Naraï (1633-1688) 29. Depuis l’ouverture de la route maritime de la Chine par le cap de Bonne-Espérance par Vasco de Gama, les compagnies portugaise puis anglaise et néerlandaise des Indes orientales s’étaient chargées de diffuser sur le marché français de très nombreux objets d’art chinois. À partir de 1700, le relais fut pris par la Compagnie française des Indes orientales, contrôlée par l’État, qui était son principal actionnaire 30. Celle-ci avait été créée par Colbert en 1664, mais ne devint réellement active qu’au début du xviiie siècle. Il s’agissait dans l’esprit de son fondateur de procurer au royaume une partie du commerce avec l’Asie et d’empêcher que les Hollandais n’en profitassent seuls. À cette date, l’accroissement très rapide des importations d’objets chinois effectuées par la Compagnie donna au goût pour la Chine une place encore jamais atteinte 31 et contribua durablement au développement de l’influence de l’art chinois sur l’art français. Tous ces événements trouvèrent de véritables échos à la cour de France, à Versailles mais aussi dans ses satellites, situés en Île-de-France, Marly, le Val, la Muette, Meudon, Choisy, Bellevue ou encore Saint-Cloud, à la fin du xviiie siècle. Le 7 janvier 1700, à Marly, la résidence favorite de Louis XIV, les festivités du carnaval du nouveau siècle s’ouvrirent sous le signe de la Chine. André Danican Philidor (1652-1730) avait été chargé de composer pour l’occasion une Mascarade du roi de la Chine qui fut jouée de nouveau le lendemain, selon le témoignage du marquis de Dangeau, car la marquise de Maintenon n’avait pu y assister (fig. 5) 32. Si à Versailles, dans leur appartement d’apparat, Louis XIV et ses successeurs, protecteurs attitrés des artistes, des artisans français et des manufactures royales, ne pouvaient afficher


Fig. 6 Alexandre-François Desportes (1661-1743), Nature morte au bol de prunes et fleurs d’oranger, huile sur toile, vers 1706-1708, peinte pour l’appartement du Roi à Marly, localisation actuelle inconnue (Lastic et Jacky, 2010, no P 457, p. 114).

Fig. 7 Urne à décor de bambous, porcelaine, Chine, époque Yongzheng (1723-1736) ; bronze doré, Paris, milieu du xviii e siècle, anc. coll. de madame de Pompadour, Royaume-Uni, Royal Collection, Sa Majesté la reine Elizabeth II, inv. RCIN 35312.

ostensiblement leur goût personnel pour la Chine, en revanche, ils n’y manquèrent pas dans la sphère privée des appartements intérieurs et dans leurs retraites favorites. L’ un des vecteurs les plus puissants de l’introduction de l’art chinois à la cour de France fut la porcelaine. Ce matériau, considéré comme un véritable or blanc jusqu’au milieu du xviiie siècle, en raison de sa rareté et du mystère qui entourait sa fabrication, commença à entrer dans les collections royales françaises, en très petit nombre au xvie siècle, à l’époque de François Ier. Sous le règne de Louis XIV, les porcelaines de Chine présentes dans les résidences royales étaient beaucoup plus nombreuses. Le roi en possédait lui-même à Versailles, en grande partie offertes par les ambassadeurs du Siam, mais également au château du Val, près de Saint-Germain-en-Laye, ou encore dans son cher Marly 33. Son fils aîné, le Grand Dauphin, se révéla être, avec le duc d’Orléans et le prince de Condé, l’un des plus grands collectionneurs de porcelaines de Chine de son temps 34. Des appartements moins célèbres du château de Versailles recélaient aussi des porcelaines de Chine, notamment l’appartement de la duchesse d’Orléans, fille de Louis XIV et épouse du Régent, situé au premier étage du château, dans l’aile du Midi 35. Ce goût pour les porcelaines de Chine, au temps de Louis XIV et sous la Régence, trouva un reflet dans la peinture contemporaine, en particulier dans les œuvres d’Alexandre-François Desportes, qui représente fréquemment des porcelaines de Chine dans ses natures mortes ou dans ses buffets d’orfèvrerie, parfois eux-mêmes destinés à des résidences royales, comme Marly (fig. 6) ou, plus tard, Choisy 36. Si les premières porcelaines de Chine mentionnées à Versailles et dans ses satellites étaient le plus souvent ornées de décor en bleu et blanc, à partir des années 1730-1740, on leur préféra les céladons ou les couvertes monochromes et on leur adjoignit systématiquement des montures en bronze doré qui amplifiaient leur préciosité, les acclimataient au goût français et témoignaient du savoir-faire des fondeurs parisiens. Ce goût des membres de la famille royale pour les porcelaines de Chine montées, évoqué ici par Vincent Bastien 37, est illustré à l’exposition par la présence de la célèbre fontaine à parfum, livrée pour la garde-robe de Louis XV, à Versailles, en 1743 par le marchand mercier parisien Thomas-Joachim Hébert 38. Louis XV se fournissait également chez le marchand Lazare Duvaux, chez qui il acquit, notamment pour le Grand Trianon, plusieurs porcelaines de Chine, en particulier, le 22 avril 1755 : « Un gros vase bleu de porcelaine ancienne, monté en bronze doré d’or moulu […] Deux bouteilles de porcelaine vert céladon, cannelées, montées en bronze doré d’or moulu […] 39. » Ce goût de Louis XV était partagé par sa maîtresse, madame de Pompadour (1721-1764), qui emplit l’ensemble de ses résidences versaillaises et parisiennes, notamment l’hôtel d’Évreux (actuel palais de l’Élysée), de porcelaines de Chine montées d’un luxe inouï (fig. 7) 40. Ce goût de la famille royale pour les porcelaines de Chine montées perdura sous le règne suivant, chez Mesdames à Bellevue 41, chez le comte de Provence 42, mais avant tout chez la reine, qui acquit pour le Cabinet doré et le cabinet de la Méridienne, à Versailles, des pièces rares, aux montures d’une grande somptuosité 43. D’autres produits de Chine étaient particulièrement appréciés à la cour de France dès la fin du xviie siècle, comme les laques, les pierres dures, les cloisonnés, les éventails, les étoffes et les papiers peints. Ces derniers, exportés dès la fin du xvie siècle vers l’Europe par la Compagnie anglaise des Indes, semblent avoir spécialement attiré l’ensemble de la famille royale au milieu du xviiie siècle. Leurs usages étaient multiples. Ils servaient à garnir des murs, mais aussi des écrans de cheminée, des paravents ou des écrans à main, comme en témoigne l’admirable Toilette de François Boucher (fig. 8). On en trouve mentionnés chez Louis XV à Choisy 44, chez madame de Pompadour dans son appartement et son ermitage de Versailles, ainsi qu’au château de Bellevue, mais aussi chez la dauphine Marie-Josèphe de Saxe… Bertrand Rondot montre ici que la reine Marie Leszczynska, en 1747, avait fait tendre de papiers peints chinois l’un des cabinets de son appartement intérieur, devenu ultérieurement, en 1761, le cabinet des Chinois 45. Le goût pour l’art chinois qui se diffusait en France, grâce aux marchandises transportées sur les navires de la Compagnie française des Indes orientales, eut aussi une influence considérable sur l’art français, qui se manifesta par trois phénomènes distincts : la transformation des œuvres d’importation, leur imitation et leur utilisation par les artistes et les artisans français comme sources d’inspiration. 23


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Fig. 8 François Boucher (1703-1770), La Toilette, huile sur toile, 1742, Madrid, musée Thyssen-Bornemisza, inv. Nr. 58 (1967.4).

46. Cf. notices nos 68 et 69. 47. Cf. à ce sujet Paris, 2014, p. 41, no 15. 48. Du nom d’une célèbre famille de vernisseurs parisiens au xviiie siècle. 49. Cf. Verlet, 1990, t. IV, p. 49-51. Inv. 1973.315.1. 50. Cf. à ce sujet Kisluk-Grosheide, Koeppe et Rieder, 2006, p. 145. 51. Cf. notice no 21. 52. Cf. notice no 46. 53. Cf. à ce sujet son essai, p. 224-233. 54. Cf. l’essai d’Annick Heitzmann, p. 259-263.

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Aussi étrange que cela puisse paraître à nos contemporains, on n’hésita pas, très tôt, à transformer les objets chinois d’importation pour les magnifier, mais aussi pour les adapter au goût français. La manifestation la plus ancienne et la plus connue de ce phénomène fut l’adjonction, dès la fin du Moyen Âge, de montures en métal précieux aux pièces de porcelaine de Chine. Cette habitude ancestrale connut un âge d’or au xviiie siècle avec le développement du bronze doré, une spécialité des fondeurs-ciseleurs parisiens, comme le montrent plusieurs porcelaines de Chine montées, de provenance royale, présentées à l’exposition 46. Les laques de Chine, qui transitaient sous la forme de paravents ou de cabinets par les côtes de Coromandel, n’échappèrent pas non plus aux transformations les plus radicales, exécutées par les ébénistes français, à l’instigation des marchands merciers. On n’hésita pas ainsi à dépecer ces objets de leurs panneaux de laque pour les plaquer sur des meubles d’ébénisterie, souvent enrichis de bronzes dorés. Une autre facette de ce goût chinois réside dans le désir d’imiter les produits de Chine, dont la fabrication demeurait parfois un véritable mystère pour les Européens. En France, il revêtit deux aspects essentiels, dont le plus visible fut la recherche frénétique des secrets de fabrication de la porcelaine de Chine. Celle-ci fut vivement encouragée par les autorités françaises dès le règne de Louis XIV, notamment à la manufacture de Rouen dans les années 1670, et finit par se concrétiser, cent ans plus tard, à la manufacture de Sèvres, après la découverte de gisements de kaolin à Saint-Yrieix-la-Perche, en Limousin. Jusque-là, on fabriquait en France une porcelaine artificielle, dite « tendre », dépourvue totalement de kaolin. Le second aspect fut l’invention, dès les années 1670, de vernis français à l’imitation des laques de Chine, susceptibles de compléter, voire de suppléer les laques d’Extrême-Orient, jugés trop coûteux 47. À Versailles, au milieu du xviiie siècle, l’un des plus beaux exemples de meuble recouvert de vernis français « façon de la Chine » était constitué par le somptueux bureau plat en laque rouge et or, à décor de pagodes et de paysages chinois, fourni à Louis XV par Gilles Joubert, en décembre 1759 (fig. 9). Ce meuble, conservé aujourd’hui au Metropolitan Museum of Art, laqué de vernis Martin 48, témoigne du goût chinois du roi au cœur même de l’appartement intérieur 49. En 1765, une écritoire de même vernis fut livrée à Louis XV pour compléter le bureau placé dans le cabinet d’Angle 50.


Fig. 9 Gilles Joubert (1689-1775), Bureau plat en laque rouge et or de Louis XV, 1759, New York, The Metropolitan Museum of Art, don de monsieur et madame Charles Wrightsman en 1973, inv. 1973.315.1.

La troisième conséquence de ce goût pour les productions artistiques de la Chine se manifesta dans la création d’œuvres d’art françaises à sujets chinois ou inspirées par des descriptions illustrées de la Chine, dans de nombreux domaines, peinture, estampe, tapisserie, céramique, textile, bronze d’ameublement, architecture, art des jardins, etc. Versailles et ses satellites furent touchés à de nombreux titres par ce mouvement au xviiie siècle. Ainsi, une Chasse chinoise, peinte par Jean-Baptiste Pater, fut-elle incluse en 1736 dans le cycle des Chasses exotiques, commandé par le roi pour la Petite Galerie, à Versailles 51. En 1761, un cabinet des Chinois, composé par des peintres français, fut aménagé à l’emplacement du cabinet de Marie Leszczynska, cité plus haut, qui avait été tendu, en 1747, de papiers peints chinois. La Chine, illustrée par les peintres choisis par la reine, n’était pas totalement imaginaire puisque ceux-ci avaient puisé leur inspiration dans des ouvrages écrits et illustrés par des personnages qui étaient allés en Chine, comme Jean Nieuhoff ou, plus récemment, William Chambers 52. De nombreux textiles français tissés, parfois brodés ou peints « à la chinoise » se répandirent à Versailles et dans d’autres résidences royales, comme Compiègne sous le règne de Louis XVI. Dans la bibliothèque aménagée pour le roi en 1774, dans l’appartement intérieur de Versailles, les sièges étaient garnis de « pékin » peint. Les étoffes du cabinet de la Méridienne, créé par Richard Mique en 1781, entièrement tissées à Lyon, étaient enrichies de broderies « à la chinoise ». Dans les années 1770-1780, les sujets chinois prirent une importance considérable dans la nouvelle production de pâte dure, mise en œuvre à la manufacture royale de porcelaine de Sèvres. Les sujets chinois furent très appréciés par la famille royale, comme le montre bien ici Vincent Bastien 53. Enfin, cette influence de la Chine sur l’art français devait trouver à Versailles une sorte d’apothéose au Petit Trianon, avec la plantation, à partir de 1776, sous la direction de Richard Mique, d’un jardin anglo-chinois. Ce dernier constituait, à l’image de la folie de Chartres (actuel parc Monceau), une sorte de monde en miniature où la Chine, avec le célèbre mais éphémère jeu de bague chinois 54, trouvait sa place au même titre que la Grèce antique, à travers le temple de l’Amour, élevé deux ans plus tard.

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1. PORTRAIT DE LOUIS XIV PARMI LES ATTRIBUTS DES ARTS ET DES SCIENCES

Cette effigie de Louis XIV constitue un hommage au mécène idéal, protecteur des Jean Garnier (1632-1705) arts et des sciences, sources de richesses pour son royaume 1. Huile sur toile Vers 1672 Le roi est représenté ici en H. : 1,63 m ; L. : 2,04 m homme de guerre portant une Historique : morceau de réception de l’artiste à l’Académie cuirasse fleurdelisée, dans un royale de peinture et de sculpture en janvier 1672 ; portrait souligné d’un cadre anc. coll. de l’Académie ; saisie révolutionnaire. Transféré à Versailles en 1798 feint, exécuté d’après un tableau Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon peint par Claude Lefèvre entre Inv. MV 2184 1665 et 1670 2. L’ effigie est o Bibliographie : Hardouin, 1994, p. 101-103, n 26 ; savamment entourée par les Constans, 1995, t. I, p. 354, no 2017 ; Bajou, 1998, p. 128. Expositions : Paris, 1996-1997 a, no 129 ; Tours et Toulouse, arts, illustrés ici par divers 2000, no R 67 ; Versailles, 2010-2011 (repr. p. 21, s.no). instruments de musique (basse de viole, violon, guitare, musette de cour, etc.), et par le plan de la Maison carrée de Nîmes. Le protecteur des sciences, enfin, est évoqué par le globe céleste où l’on distingue les constellations du zodiaque, par les livres savants et par les différents instruments scientifiques. Rappelons qu’en 1666 et en 1667, avec le soutien appuyé de Colbert, Louis XIV avait créé respectivement l’Académie royale des sciences et l’Observatoire de Paris. C’est par les sciences que Louis XIV parvint à entrer en contact avec l’empereur Kangxi (16541722) 3. Les cinq émissaires jésuites qu’il envoya à la cour de Pékin le furent en tant que mathématiciens et gagnèrent ainsi la confiance de l’empereur. L’ exemple avait été donné bien des années plus tôt par deux célèbres pères jésuites, Adam Schall et Ferdinand Verbiest, qui avaient présidé, à la demande du père de Kangxi, l’empereur Shunzhi, le Bureau impérial d’astronomie, chargé d’établir le calendrier 4. Les espérances de Louis XIV furent comblées par le succès avec lequel les jésuites remplirent leur mission et informèrent les Européens de tout ce qu’ils découvraient en Chine. Dès 1696, le père Le Comte, l’un des cinq mathématiciens de Louis XIV et l’un des correspondants, avec le père Bouvet, de l’abbé Bignon à l’Académie des sciences, publiait en France les Nouveaux Mémoires sur l’état présent de la Chine, qui apportèrent des connaissances nouvelles sur l’empire du Milieu 5. La mission des jésuites envoyés en Chine par Louis XIV devait trouver des suites fructueuses tout au long du siècle suivant, notamment avec la publication des Lettres édifiantes et curieuses, adressées à partir de 1702 par les 1. Bajou, 1998, p. 128. 2. Hardouin, 1994, p. 102. jésuites français et étrangers à des correspondants 3. Cf. l’essai d’Isabelle Landry-Deron, européens, ou encore avec la Description géographique, p. 38. historique, chronologique, politique et physique de l’empire de la 4. Cf. à ce sujet la notice no 10. o Chine et de la Tartarie chinoise…, composée en 1735 par 5. Cf. notice n 12. 6. Cf. notices nos 27 et 94. le père Du Halde 6. M.-L. R. 26



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2. COUPE

Cette précieuse coupe, aux anses en forme de dragons affrontés, Jade blanc Chine est sans doute l’un des premiers Époque Ming (1368-1644) objets chinois à avoir figuré dans H. : 0,055 m ; L. : 0,129 m ; D. : 0,073 m les collections de Louis XIV. Elle Historique : anc. coll. du cardinal Mazarin. appartenait précédemment à Acquise en 1665 par Louis XIV Paris, musée national des Arts asiatiques Guimet Mazarin, qui l’acquit entre 1653 Inv. MR 204 et 1661. Elle est ainsi décrite dans Bibliographie : Michel, 1999, p. 486-487, fig. 183, p. 503, son inventaire après décès : « Une o note 143 ; Alcouffe, 2001, p. 533-534, n 284 (repr.). o petite tasse de jade blanc ayant Exposition : Hong Kong, 1997, n 72. deux ances darpies à jour 1. » Selon Patrick Michel, le cardinal possédait huit pièces en jade parmi ses gemmes. En 1665, le roi acquit la plupart de ces dernières auprès de ses héritiers, soit près de deux cents pièces, dont la célèbre nef de Rodolphe II 2. Les gemmes furent d’abord présentées à Versailles puis aux Tuileries. Elles revinrent à 28

Versailles en 1682. On les installa dans le cabinet des Raretés ou des Curiosités, alors situé à l’emplacement du salon des Jeux de Louis XVI 3. On y pénétrait par le salon de l’Abondance, dont le plafond peint par Houasse rendait un vibrant hommage aux collections royales de pierres dures. Le jade est une gemme extrêmement dure et difficile à travailler, vénérée en Chine et considérée comme une pierre précieuse. Le jade blanc est jugé comme le plus pur de tous. M.-L. R.

1. Michel, 1999, p. 486-487, 491, fig. 183 (repr.), p. 503, note 143. 2. Alcouffe, 2001, p. 12. 3. Cf. à ce sujet ibid., p. 15.


3. PORTRAIT DE FRANÇOISE-ATHÉNAÏS DE ROCHECHOUART DE MORTEMART, MARQUISE DE MONTESPAN (1641-1707)

« Athénaïs de Mortemart […] sa sœur aînée […] et sa cadette […] étaient les plus belles femmes D’après Pierre Mignard (1612-1695) de leur temps, et toutes trois joignaient à cet avantage des agréHuile sur toile Dernier tiers du xvii e siècle ments singuliers dans l’esprit 1. » H. : 1,14 m ; L. : 0,89 m C’est en ces termes élogieux que Historique : anc. coll. Tourin. Don Tourin en 1847 Voltaire décrit celle qui, après avoir Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon épousé le marquis de Montespan Inv. MV 6610 Bibliographie : Constans, 1995, t. II, p. 649, en 1663, rencontra Louis XIV no 3654 ; Benoît, 2012, p. 29-31 (repr.). à la cour de Versailles en 1666, o Exposition : Versailles, 2012 a, n 4. devint sa maîtresse l’année suivante et favorite en titre en 1674, écartant définitivement mademoiselle de La Vallière. Madame de Montespan eut sept enfants du roi, dont six furent légitimés. Parmi eux, LouisAuguste de Bourbon, duc du Maine (1670-1736),

montra un intérêt sincère pour la Chine et soutint ardemment la mission jésuite, partie de France en 1685 et parvenue à Pékin en 1688 2. Le Trianon de porcelaine fut élevé en 1670 par Le Vau pour abriter les amours de madame de Montespan avec Louis XIV 3. Malgré la brièveté de son existence, ce bâtiment eut une immense postérité dans les très nombreux pavillons chinois édifiés dans les jardins anglo-chinois d’Angleterre, d’Allemagne, de Suède ou encore de Russie tout au long du xviiie siècle. M.-L. R.

1. Voltaire, 1830, t. XX, p. 167. 2. Cf. Landry-Deron, 2001, et l’essai de Nathalie Monnet, p. 37. 3. Cf. notices nos 4 et 5.

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4. LE TRIANON DE PORCELAINE CÔTÉ COUR

Cette gravure, éditée par Delespine, montre le précieux château de Willem Swidde le Jeune (1661-1697) style chinois, construit en 1670 par Le Vau, aux confins du doEau-forte Vers 1670-1680 maine de Versailles, pour abriter H. : 0,385 m ; L. : 0,490 m les amours de Louis XIV et de Versailles, musée national des châteaux madame de Montespan. Édifié de Versailles et de Trianon entre cour et jardin à l’emplaceInv. GRAV 70 ment d’un village connu depuis le Moyen Âge (Triasnum), il possédait une avant-cour circulaire et deux ailes en retour, formées chacune de deux petits pavillons abritant les services de la bouche, ce qui autorisa Saint-Simon à qualifier l’ensemble de « maison de porcelaine pour aller faire des collations 1 ». En effet, jamais le roi ne dormit dans ce château de campagne, qui pourtant disposait de deux chambres que suivait un cabinet « où est joint une volière en saillie et une garde-robe 2 ». Ces appartements encadraient un vestibule et un salon donnant sur les jardins. À droite se trouvait la chambre de Diane, à gauche celle des Amours, toutes deux avec de grands lits jugés « extraordinaires ». Orné de panneaux de stuc

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peint en bleu et blanc dus à Pierre Mazeline, de meubles de vernis et « masticq », d’ivoire, livrés par Pierre Gole, de soieries semées de fleurs chinoises à compartiments or et bleu, du tapissier Le Roux, l’intérieur ne le cédait en rien à l’extérieur, entièrement couvert de faïences bleu et blanc, particulièrement le haut comble brisé, orné de vases, d’enfants et d’animaux, qui évoquait l’architecture chinoise, bien française cependant dans sa conception. Des bustes scandaient la façade. Toutes les manufactures, de Delft, de Saint-Cloud, de Nevers, de Rouen, de Lisieux, avaient fourni ces décors de « pourceleine » bleu et blanc « en façon de Chine », qui couvraient jusqu’aux vases des jardins. Aussi le château fut-il très vite appelé « Trianon de pourceleine 3 ». Outre qu’il était très fragile et subissait les rigueurs des rudes hivers du xviie siècle, il ne survécut pas au désamour du roi pour la marquise de Montespan. Il fut détruit et remplacé en 1687 par le Trianon de marbre, œuvre de Jules Hardouin-Mansart. J. B. 1. Saint-Simon, 1953-1961, t. IV, p. 1007. 2. Félibien, 1674. 3. Montier, 1902, p. 183 ; Heitzmann, 2005, p. 60-65.


5. LE TRIANON DE PORCELAINE CÔTÉ JARDIN

Éditée par Nicolas de Poilly l’Ancien (1626-1696), cette graAdam Perelle (1638-1695) vure révèle une vue assez rare du premier château de Trianon, Eau-forte Vers 1670-1680 plus volontiers montré côté cour. H. : 0,247 m ; L. : 0,339 m La façade sur jardin ne variait Versailles, musée national des châteaux pas sensiblement de la façade de Versailles et de Trianon sur cour. Toutes deux, à un seul Inv. GRAV 5884 étage percé de larges baies, étaient surmontées d’un fronton triangulaire supporté par des pilastres, mais des vases remplaçaient les bustes sur les murs du jardin. Le bâtiment valait surtout par l’extrême richesse de sa toiture, entièrement couverte de plombs bleus et de faïences. Elle était comme ciselée d’une dentelle, œuvre du ferronnier Delobel. De même style étaient les deux premiers pavillons donnant sur la cour, assez écartés du château pour qu’on les vît bien du jardin. Sur la gravure, on distingue nettement parterres haut et bas, et le commencement des galeries de treillages, de part et d’autre. Les parterres en broderies, bordés de plates-bandes fleuries, et tous les orangers plantés dans des caisses bleues imitant la

porcelaine de Chine conféraient aux jardins un certain luxe. Surtout, les odeurs étaient si intenses que, comme l’écrit madame de Maintenon en 1689, « la plupart des hommes et des femmes se trouvent mal, de l’excès de parfums 1 ». Le luxe jardinier de Trianon n’avait pas changé avec la reconstruction du château en 1687. J. B.

1. Lettre adressée au comte de Jussac, 8 août 1689, in Maintenon, 2009, t. I. Cf. aussi Saint-Simon, 1953-1961, t. II, p. 130.

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DU TRIANON DE PORCELAINE AU CABINET DORÉ DE MARIE-ANTOINETTE : LA CHINE À VERSAILLES

6. LA TOUR DE PORCELAINE

Cette gravure qui représente la pagode de Nankin eut un retentisEau-forte et burin sement considérable auprès du Planche tirée de l’ouvrage L’Ambassade de la Compagnie orientale public européen grâce à l’extrême des Provinces-Unies vers l’empereur de Chine diffusion de l’ouvrage de Nieuhoff, ou grand cam de Tartarie… traduit en français et en anglais Leyde, J. de Meurs, 1665 Feuille : H. : 0,413 m ; L. : 0,371 m immédiatement après sa première Cuvette : H. : 0,298 m ; L : 0,189 m parution à Leyde, en 1665. Versailles, bibliothèque municipale de Versailles, Rés. F 1-9 f bis Les neuf étages, surmontés de toits recourbés, et le sommet du bâtiment étaient revêtus de parements de porcelaine qui frappèrent durablement les esprits occidentaux. L’influence la plus immédiate de la pagode de Nankin se fit jour dans l’élévation, en 1670 par Louis Le Vau, du Trianon de porcelaine à l’extrémité du parc de Versailles 1. Si l’architecture du Trianon n’avait rien de chinois, en revanche, l’idée de recouvrir les murs, les corniches des toits et les bassins du parc de carreaux et de vases de céramique était un emprunt direct à la pagode. Dans l’impossibilité de fabriquer de la véritable porcelaine à la manière chinoise, on s’adressa aux meilleures manufactures de faïence du temps : Rouen, Lisieux, Saint-Cloud, Nevers et Delft. La pagode de Nankin, construite sous le règne de l’empereur Yongle (1360-1424), était très célèbre en Chine et elle est souvent représentée sur des rouleaux peints. Pour les Occidentaux, elle symbolisait si bien la Chine que sa silhouette élancée, parfois transformée de manière fantaisiste, revient comme un leitmotiv dans de nombreuses œuvres d’art européennes exécutées à la chinoise. On la distingue dans plusieurs pièces de la Première Tenture chinoise, tissée à Beauvais à partir de 1690, sous la direction de Philippe Béhagle, notamment dans les pièces des Astronomes 2, de L’Embarquement de l’impératrice et de L’Empereur en voyage. Elle apparaît clairement dans La Chasse chinoise, peinte en 1736 par Jean-Baptiste Pater pour la série des Chasses exotiques, destinée à la Petite Galerie de Louis XV à Versailles 3. Comme l’a remarqué Thibaut Wolvesperges, on la reconnaît également sur des meubles français du xviiie siècle, ornés de vernis à l’imitation des laques de Chine, mais aussi dans de nombreux décors, textiles ou céramiques, européens. Selon cet auteur, des réductions de la pagode en laque, en nacre, en ivoire et en porcelaine parvinrent en Europe tout au long du xviiie siècle 4. 1. Cf. notice nos 4 et 5. La pagode de Nankin devait avoir une vraie posté2. Cf. notice no 10. rité dans l’architecture européenne au xviiie siècle, 3. Cf. notice no 21. 4. Wolvesperges, 2008, p. 52-53. notamment dans la construction des fabriques des Une paire de pagodes en porcelaine de jardins anglo-chinois. Elle inspira la pagode de Kew Chine d’époque Qianlong (1736-1795) Gardens, élevée en 1762 à Londres par William figurait dans les collections du cardinal Louis-René de Rohan au château de Chambers, mais aussi celle de Chanteloup, comSaverne ; elle est à présent conservée au mandée par Choiseul à Le Camus, à la suite de sa musée des Arts décoratifs de Strasbourg, inv. XXXVI.116 et 117 (a et b). disgrâce, survenue en décembre 1770. M.-L. R. Jean Nieuhoff (1618-1672)

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DU TRIANON DE PORCELAINE AU CABINET DORÉ DE MARIE-ANTOINETTE : LA CHINE À VERSAILLES

1. Anse torsadée, décor à la bougie H. : 0,19 m. Inv. 2014-00-601

2

2. Anse en forme de mascaron H. : 0,15 m ; L. : 0,10 m. Inv. 2014-00-901

3

3. Bord de pot à plante H. : 0,15 m ; L. : 0,20 m. Inv. 2014-00-600 1

4. Fragment, paysage animé H. : 0,09 m ; L. : 0,11 m. Inv. 2014-00-607 5. Fragments, nuages H. : 0,07 m ; L. : 0,07 m Inv. 2014-00-605/606

10 12

7. Fragment, personnage chinois H. : 0,05 m ; L. : 0,07 m. Inv. 2012.00.582

12

8. Fragment, animal fantastique H. : 0,085 m ; L. : 0,120 m. Inv. 2014-00-602 9. Fond de pot à plante avec oiseau H. : 0,06 m ; L. : 0,11 m ; Pr. : 0,11 m Inv. 2012.00.575

4

9

6. Fragment, tête de Chinois H. : 0,025 m ; L. : 0,025 m. Inv. 2014-00-603

5

11 6 8

10. Fragment, branchages H. : 0,12 m ; L. : 0,14 m. Inv. 2012.00.573 11. Fragment, vague et feuillage H. : 0,07 m ; L. : 0,10 m. Inv. 2014-00-900 12. Fragments, Chinois avec une gourde H. : 0,09 m ; L. : 0,13 m Inv. 2012.00.579/581

7. DOUZE TESSONS

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Ces tessons, retrouvés à Versailles essentiellement lors des fouilles Faïence Attribués à Nevers ou à Rouen (1-11) et Delft (12) réalisées autour du Grand xvii e siècle Trianon, montrent des décors Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon bleu et blanc très proches de Bibliographie : Fourest et alii, 1966, p. 35 ; Versailles, 2004, ceux des porcelaines de Chine p. 166-175 ; Rosen, 2009, t. II, p. 210-211 ; Castelluccio, 2014, p. 25-54, ill. 13. importées au xviie siècle, dont Exposition : Marly-le-Roi – Louveciennes, 1993, p. 20-22. se sont largement inspirées les faïenceries européennes. Annick Heitzmann 1 pense qu’ils proviennent des pots cassés qui abondaient dans les terres remuées pour la construction du Grand Trianon de marbre, en 1687, sur les ruines du Trianon de porcelaine. Ce précieux château, construit par Le Vau en 1670, était inspiré de la Chine et de la célèbre tour de porcelaine de Nankin, gravée dans l’ouvrage de Nieuhoff en 1665 2. Une estampe de Swidde 3 34

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montre la présence de grands pots à anses torses, destinés à recevoir des plantes dans le jardin. Les comptes des Bâtiments du roi en 1665 4, avec le paiement de pots de faïence de Nevers « pour mettre les jasmins qui sont à Versailles », attestent que ceux-ci faisaient déjà partie intégrante de la décoration des jardins de Louis XIV, avant même la construction de Le Vau. On retrouve plus tard, en 1670 et 1671, cette fois à Trianon 5, des paiements à monsieur de Saint-Étienne puis à monsieur Le Maire, tous deux faïenciers, pour les vases qu’ils ont fournis. A.-C. S. 1. Marly-le-Roi – Louveciennes, 1993, p. 22. 2. Cf. notice no 6. 3. Cf. notice no 4. 4. Guiffrey, 1881, p. 85. 5. Ibid., p. 430, 542.


8. PLAN DU JARDIN DU TRIANON DE PORCELAINE Anonyme français Plume et aquarelle sur papier Vers 1670-1680 Légendé en bas H. : 0,485 m ; L. : 0,360 m Historique : don de monsieur Girodie en 1936 Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon Inv. DESS 316

Ce dessin donne l’implantation exacte du premier château de Trianon et le tracé de ses jardins, qui ne varièrent guère lors de la reconstruction du Trianon de marbre en 1687. On reconnaît, à gauche, le bassin du Fer à cheval surplombant le bras nord du Grand Canal, puis, en haut, le Plat-Fond, aujourd’hui constitué d’un plus vaste bassin, que suivent le parterre bas, ponctué d’un bassin octogonal, et, situé près du château, le parterre haut, avec ses deux bassins circulaires. Formé d’un corps de bâtiment placé entre cour et jardin, le Trianon de porcelaine, encadré de petits pavillons en retour sur une double cour – disposition qui anticipait le plan du château de Marly –, était environné de deux petits bassins. Celui de gauche a disparu lors de la reconstruction, la cour des Offices ayant pris sa place. Seul celui de droite subsiste, compris dans l’actuel jardin du Roi. De longues galeries en treillage ornaient ces jardins, celle de droite étant accompagnée d’une double cascade en vis-à-vis, célèbre en son temps, construite ultérieurement en 1682-1683. Plus bas, un autre treillage était situé à l’emplacement de l’actuelle galerie des Cotelle. Il conduisait au cabinet des Parfums, entièrement orné de faïences, où Louis XIV mena les ambassadeurs du Siam qui, rapporte le Mercure galant de novembre 1686, « aiment fort les odeurs et admirèrent la manière de parfumer avec des fleurs ». En effet, jardins de collection florale plantée dans des pots qu’on pouvait changer à volonté, avec tubéreuses, lis, tulipes, jonquilles, jasmins, « ennemones et siclamens 1 », les jardins de Trianon, dus à un neveu de Le Nôtre, Michel III Le Bouteux, étaient uniques en leur genre, et conférèrent au domaine son surnom de palais de Flore, car, écrit Félibien, « n’ayant esté commencé qu’à la fin de l’hyver, il se trouva fait au printemps comme s’il fust sorty de terre avec les fleurs des jardins qui l’accompagnent 2 ». J. B. 1. Guiffrey, 1881-1901, t. II, col. 1019. 2. Félibien, 1674.

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Les premiers contacts officiels entre la France et l’empire du Milieu datent du règne de Louis XIV qui inaugura la mission française de Chine par l’envoi de jésuites français auxquels il assura son soutien. Cette initiative se révéla avoir une influence considérable pour la connaissance mutuelle entre les deux pays. On a beaucoup écrit sur les circonstances qui présidèrent à l’envoi des Français et sur les activités de ceux-ci en Chine. Mais, outre des raisons politiques, des facteurs plus privés ont pu hâter la décision de Louis XIV d’envoyer les missionnaires. Les quelques éléments réunis ici permettent de savoir qu’un personnage, qui vivait dans l’ombre du Roi-Soleil, eut également sa part dans la décision finale du monarque. Il s’agit de l’un des fils de Louis XIV, non pas le duc de Bourgogne, Grand Dauphin héritier de la Couronne, mais un autre, prénommé Louis-Auguste (1670-1736), né d’une favorite du roi, la marquise de Montespan (1641-1707). Enlevé à sa mère quelques minutes après sa naissance pour couper court aux rumeurs, le nourrisson fut confié à une jeune veuve, la future madame de Maintenon (1635-1719). Celle-ci l’éduqua avec un soin extrême et une tendresse toute maternelle, au point que l’enfant ressentit toute sa vie plus d’affection pour elle que pour sa propre mère. Louis XIV finit par épouser secrètement cette gouvernante modèle après le décès de la reine. L’intelligence vive et précoce de l’enfant fit sensation à la cour où il fut ramené quelques années plus tard pour y être élevé. Louis XIV accorda le titre de duc du Maine et des charges officielles dès son jeune âge à ce fils préféré et sa légitimation fit scandale puisqu’elle permettait à un bâtard de prétendre à la Couronne de France. Après deux décennies de mission évangélique en Chine, le jésuite flamand Philippe Couplet (1623-1693) revint en Europe en 1684, chargé par ses confrères de trouver de nouveaux soutiens pour sa congrégation dont la stratégie adoptée en Chine était de plus en plus vivement critiquée au Vatican. Il fallait aussi recruter de nouveaux missionnaires pour renforcer les effectifs en Chine. Philippe Couplet revint accompagné du Chinois Shen Fuzong 沈福宗 (1658-1691) 1, jeune converti baptisé sous le nom de Michel Sin, qui était un témoin vivant de la réussite du projet de christianisation des jésuites. Louis XIV reçut les deux voyageurs à Versailles avec le faste accordé aux ambassadeurs. La visite donna l’occasion au roi et à la cour d’observer un Chinois de près. Ce dernier, vêtu d’une tunique en soie verte et bleue à motif de dragon, dit devant le roi un Pater noster et un Ave Maria en chinois ; la cour le regarda aussi manger avec des baguettes. Le duc du Maine (fig. 1), âgé de quatorze ans, écouta longuement les récits que le père Couplet lui fit de la Chine, comme le rapporte le père Guy Tachard (1648-1712) : « Monseigneur le duc du Maine […] (aiant) appris par les discours du P. Couplet, qu’il y avoit tant de choses rares et curieuses dans la Chine […] 2. » Ces récits d’aventures en terres lointaines enflammèrent probablement l’imagination du jeune homme, qui se prit dès lors d’un très vif intérêt pour les missions chrétiennes de Chine. Un événement légèrement postérieur, la venue extraordinaire des ambassadeurs du Siam en France et l’audience officielle à Versailles, contribua sans doute à soutenir encore l’intérêt de ce fils de Louis XIV pour l’Extrême-Orient. Des gravures montrent leur réception en grande pompe dans la galerie des Glaces, en 1686 3. Sur l’estrade royale, plusieurs hauts personnages ainsi que des proches, dont le duc du Maine, entourent le roi qui reçoit les hommages de cette ambassade chargée de cadeaux à profusion et particulièrement de centaines de porcelaines

LE JEUNE DUC

DU MAINE, PROTECTEUR DES PREMIÈRES

MISSIONS FRANÇAISES

EN CHINE NATHALIE MONNET

Fig. 1 François de Troy (1645-1730), Portrait du duc du Maine (1670-1736), huile sur toile, fin du xvii e siècle, Sceaux, musée du domaine départemental de Sceaux, inv. Dépôt E 2258.

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LE JEUNE DUC DU MAINE, PROTECTEUR DES PREMIÈRES MISSIONS FRANÇAISES EN CHINE

1. Cf. son portrait, notice no 9. 2. Tachard, 1687 ; Gatty, 1963, p. 16. 3. Cf. notices nos 13 et 14. 4. Cf. notice no 10. 5. Gatty, 1963, p. 16. 6. Du Halde, 1735, t. IV, p. 196-528 (récit des voyages faits par ordre de l’empereur en Tartarie). 7. Ibid., p. 224. 8. Ibid., p. 225. 9. Ibid., p. 305. 10. Ibid., p. 315.

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chinoises. Pour les Français, le Siam présentait, entre autres intérêts, celui de pouvoir devenir un jour une base de navigation vers la Chine ; on entrevoyait également de manière imminente la conversion générale du roi et de sa population au catholicisme. La Chine fascinait les élites et était à la mode ; les objets en provenance de l’Orient devenaient moins rares, surtout à la cour, et, pour satisfaire une demande générale grandissante, les arts décoratifs s’emparèrent de motifs inspirés de cet empire. On connaît la série des tapisseries figurant l’Histoire du roy de la Chine, qui mêle détails authentiques et imaginaires 4. Parmi les scènes de fantaisie se trouvent l’empereur ainsi que les jésuites dans leurs fonctions officielles d’astronomes à la cour de Pékin. Plusieurs séries de ces tapisseries à succès furent réalisées à la manufacture royale de Beauvais, mais la toute première, tissée avec des fils d’or, ce qui était rare et très coûteux, fut précisément achetée par le duc du Maine, cela confirmant la forte attraction que la Chine exerçait sur le jeune prince. La volonté politique d’envoyer des Français en Chine remontait à Colbert (1619-1683), qui avait bâti plusieurs projets dont aucun ne put aboutir avant sa mort. La visite de Couplet, la caution que constituait la présence du chrétien chinois qui l’accompagnait et la force de persuasion du jésuite renforcèrent la détermination du roi à lancer une expédition. Un projet d’ordre scientifique et religieux fut très rapidement mis sur pied en l’espace de six mois : Couplet avait été reçu en septembre 1684 et les Français, choisis dans le plus grand secret au cours des semaines suivantes, quittèrent Paris vers la fin de l’année pour être au premier départ des bateaux, en mars 1685. On avait choisi des jésuites de grande valeur, dont le plus connu était le père de Fontaney (1643-1710), professeur de mathématiques et d’astronomie. Ces mathématiciens du roi, titre forgé à cette occasion pour désigner des hommes de science attachés au service du roi, furent hâtivement nommés à l’Académie des sciences. Leur périple jusqu’en Chine était conçu comme une véritable expédition scientifique (fig. 2). Pour sa réalisation, Louis XIV commanda à grands frais une cargaison d’instruments que les missionnaires devaient utiliser au cours du voyage, notamment afin d’établir des relevés des longitudes et des latitudes nécessaires à une meilleure connaissance de la navigation. Le père Tachard, l’un des six jésuites en partance, relate que les missionnaires allèrent en personne faire leurs adieux au duc du Maine. Malgré son jeune âge, le duc avait donc noué des relations personnelles avec le groupe qui se sentait des obligations de lui rendre une visite d’adieu. En plus des instruments scientifiques commandés et payés par son père pour l’expédition, le duc fit preuve d’une grande générosité en offrant aux missionnaires un magnifique instrument de mesure qui lui appartenait. Un autre jésuite du groupe, le père Bouvet, rapporte : « Outre cela nous prîmes un grand niveau, & deux demi cercles […]. Monseigneur le duc du Maine, quand nous allâmes prendre congé de luy eut la bonté de nous en donner un 3e beaucoup plus grand que les nostres, & divisé de trois minutes en trois minutes, qu’il avoit fait faire pour son usage particulier. » Tachard précise, quant à lui, que ce « demi-cercle » donné par le duc était « remarquable par sa grandeur et l’exactitude des divisions de son limbe en trois minutes 5 ». L’instrument est mentionné à plusieurs reprises par le père Gerbillon (1654-1707) dans le récit des huit expéditions qu’il effectua à la suite de l’empereur Kangxi en Tartarie, texte publié plus tard dans la Description géographique, historique, chronologique, politique et physique de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise…, de Du Halde 6. D’abord, ce fut Gerbillon qui s’en servait, comme il l’écrit : « Le 4 [août 1689]. Je pris la hauteur méridienne du soleil […] avec le demi cercle de Monseigneur le duc du Maine 7. » Il s’en sert à nouveau : « Le 8 [août 1689]. Je pris encore la hauteur méridienne du soleil avec mes deux quarts de cercle, & le demi cercle de Monseigneur le duc du Maine 8. » Ses activités ne passèrent pas inaperçues de l’empereur, et Gerbillon, sans doute trop heureux de cet intérêt, s’empressa d’offrir le précieux instrument à Kangxi. La confirmation de ce don est néanmoins de quelques années postérieure : « Le 13 [mai 1691], nous séjournâmes à Kou pe keou, je pris la hauteur méridienne du soleil, avec le demi cercle de Monseigneur le duc du Maine, dont j’ai fait présent à l’empe-


Fig. 2 Père Ferdinand Verbiest (s.j.) (1623-1688), Sphère armillaire, argent doré et bois de santal, 1669, Pékin, musée de la Cité interdite.

reur, qui en fait très-grand cas. » Gerbillon ajoute qu’il était protégé dans un étui précieux : « [L’ empereur] lui a donné un double étui, de manière qu’il ne peut courir aucun risque de se gâter par le transport 9. » Cet instrument permettait, entre autres fonctions, de délimiter l’emplacement des campements impériaux aux étapes du voyage en Tartarie, comme cela est rapporté à la date du 27 mai 1691 : « Après avoir passé ces colines & les hauteurs de sables, nous entrâmes dans une grande plaine nommée Tolo Nor, c’est-à-dire, les sept réservoirs d’eau, au milieu de laquelle nous campâmes. L’ empereur vint lui-même choisir le lieu du campement, & il m’ordonna de marquer exactement les huit points cardinaux […] je les fis tracer, après les avoir pris avec le demi cercle de Monseigneur le duc du Maine, & ensuite le camp fut disposé de cette sorte 10. »

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LE JEUNE DUC DU MAINE, PROTECTEUR DES PREMIÈRES MISSIONS FRANÇAISES EN CHINE

11. Lettre de Gerbillon, in Collani, 2005, p. 210. 12. Bouvet, 1697, p. 91-92. 13. Ibid., p. 91-92. 14. Cf. l’extrait d’une lettre de Fontaney, in Le Gobien, s.d., p. 39-40. 15. Bouvet, 1697, p. 91-92. 16. Collani, 2005, p. 303. 17. Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, ms fr 17240, fol. 43-52 : « Lettre au P. de la Chaize. » 18. Ibid., fol. 51 vo.

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Deux ans plus tard, ce n’est plus Gerbillon qui établit les mesures pour l’empereur, mais l’empereur lui-même qui les détermina avec l’instrument du duc du Maine. Il est notoire que Kangxi montrait une grande curiosité d’esprit pour diverses sciences européennes et qu’il reçut de nombreuses leçons des missionnaires attachés à sa cour. Le père Gerbillon précise les circonstances dans lesquelles Kangxi se servait lui-même de l’instrument, dans une lettre de 1693 : « Nous y avons séjourné deux jours, pendant les quels Sa Majesté [Kangxi] prit la hauteur du pole en présence des grands de sa cour […]. Avant hier il mesura la hauteur des plus hautes montagnes avec le demy cercle de Mr. le duc du Maine 11. » Le père Bouvet confirme par ailleurs que l’empereur : « s’en servoit ordinairement dans les jardins de son palais » et qu’il ne se séparait pas de cet objet précieux, d’ailleurs assez lourd puisqu’« il le faisait porter par tout avec luy dans ses voyages, sur le dos d’un mandarin de sa maison 12 ». L’utilisation de l’instrument par Kangxi lui-même provoquait, semble-t-il, l’admiration de ses sujets aux dires de Gerbillon : « Il s’en servoit très souvent pour mesurer tantost la hauteur de quelque montagne & tantost la distance de quelques endroits remarquables, & cela aux yeux de toute sa cour, qui estoit dans l’etonnement de voir leur empereur réussir aussi-bien dans ces sortes d’opérations 13. » Kangxi recourait donc fréquemment à l’instrument du duc du Maine et l’utilisa longtemps. Le père de Fontaney avoue que l’empereur éprouva tellement de satisfaction au maniement de cet objet qu’il demanda qu’on lui apportât d’autres instruments européens (fig. 3). C’est ainsi que tous les instruments scientifiques que Louis XIV avait fait réaliser pour l’expédition de ses mathématiciens en 1685 furent, un à un, donnés à l’empereur : « Le pere Bouvet vous dira que jusques à nos quarts de nonante, tout est entre les mains de l’empereur & du prince héritier, qui les ont mis par rareté dans les plus beaux appartemens, aprés les avoir fait nettoyer & polir. Le demi cercle que M. le duc du Maine eut la bonté de nous donner, & dont l’empereur ne pouvoit assez admirer la finesse, est ce qui a insensiblement entraîné tout le reste : de sorte qu’il ne me reste pas un instrument à present, pour prendre une hauteur, si j’en avois besoin 14. » Bouvet corrobore ce témoignage dans le Portrait historique de l’empereur de la Chine : « Nous ne manquâmes pas dans ce temps-là de luy offrir tout ce que nous avions dans nôtre maison, qui fussent propres pour son usage ; parmy lesquels il se trouva un beau & grand demicercle avec des lunettes pour allidades, propre pour les opérations de géométrie, que Mr. le duc du Maine avoit eû la bonté de nous donner 15. » Par les récits séparés des pères Tachard, Gerbillon, Fontaney et Bouvet, nous avons confirmation non seulement que le cadeau du duc du Maine fut acheminé en Chine, mais qu’il devint un objet familier de l’empereur Kangxi. À l’origine, le duc avait destiné son cadeau aux jésuites, afin qu’ils remplissent leur mission scientifique, et non à Kangxi. Pour le second voyage du père Joachim Bouvet (1656-1730), en revanche, le duc prit l’initiative d’offrir en son nom des cadeaux à l’empereur de Chine. Bouvet, qui avait été du voyage initial de 1685, se conforma en 1693 à l’ordre de Kangxi lui intimant de retourner en France afin de recruter de nouveaux savants pour son service. Au terme d’un voyage aussi long qu’éprouvant, il parvint finalement en France et fut reçu en audience privée par Louis XIV en mai 1697. Le roi écouta Bouvet avec attention pendant trois quarts d’heure et reçut de lui des livres que le jésuite fit passer pour un cadeau de l’empereur 16. Lors de son deuxième départ pour la Chine, Bouvet fut chargé par Louis XIV, mais également par le duc du Maine, de présents destinés à rendre la politesse à Kangxi. La description de la remise de ces objets de France est consignée dans le Journal de Bouvet. Les nouveaux arrivants furent reçus sur l’« île enchantée » Jinshan où séjournait l’empereur, près de la ville de Yangzhou en Chine du Sud. D’après le récit, les cadeaux furent tous étalés à la vue de l’empereur : « L’empereur qui voulut les considérer de plus près, se fit apporter chaque pièce l’une après l’autre, et comme il se connoît parfaitement en toutes sortes d’ouvrages, il marqua mieux que personne l’estime qu’on en devoit faire. Mais ce qui le frappa davantage, furent les portraits de la maison royale, et surtout celui du roi, dont ce prince ne pouvoit détacher les yeux […]. Quelques jours après, ayant préparé les choses que Monseigneur le duc du Maine avoit eu la bonté de me donner pour présenter à l’ empereur, j’eus l’honneur de les


Fig. 3 Observatoire de Pékin, gravure extraite de l’ouvrage du père Louis Le Comte (s.j.) (1655-1728), Nouveaux Mémoires sur l’état présent de la Chine, Paris, Jean Anisson, 1701-1702, t. 1, p.114, Versailles, bibliothèque municipale de Versailles, F.A. in-12 I 102 f.

lui offrir au nom de Son Altesse serenissime. L’ empereur montra faire beaucoup d’estime de chaque chose en particulier mais surtout du portrait de Son Altesse dont il fut si charmé qu’il le garda long temps dans son cabinet, et se le fit apporter depuis plusieurs fois devant nous, pour le considérer de nouveau, de mesme a peu près qu’il avoit fait celui du roy 17. » Ainsi, la vue du portrait du roi, et plus encore de celui du duc du Maine, donna envie à Kangxi d’en commander de semblables aux deux peintres Gherardini et Belleville, qui venaient d’arriver en Chine et qui furent immédiatement attachés à son service. Ces portraits à l’huile de la maison de France tiennent donc une place inattendue dans l’histoire de l’art en Chine puisque, entre tous les présents, ce sont les peintures exécutées selon les techniques européennes, alors inconnues, qui retinrent le plus l’attention de l’empereur et qui furent tout de suite mises en pratique pour son usage personnel. Kangxi se montra tellement satisfait de tout ce qu’il avait reçu de France qu’il décida sur le champ de renvoyer le père de Fontaney pour procéder à un nouvel échange de cadeaux : « En même temps l’empereur, qui n’avoit pas oublié le plaisir que lui avoit causé l’arrivée de l’Amphitrite venüe en droiture et en si peu de temps depuis la France jusqu’à la Chine, voulut renvoyer des présents au roy avec la même diligence et cette même commodité, chargea le P. de Fontaney de cette commission 18. »

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LE JEUNE DUC DU MAINE, PROTECTEUR DES PREMIÈRES MISSIONS FRANÇAISES EN CHINE

Fig. 4 Père Joachim Bouvet (s.j.) (1656-1730), Portrait historique de l’empereur de la Chine présenté au roi, Paris, Étienne Michallet, 1697, Versailles, bibliothèque municipale de Versailles, Rés. in-12 I 95 f.

19. Ibid., fol. 52 ro. 20. Ibid., fol. 52 ro. 21. Gatty, 1963, p. 16. 22. Ibid., p. 16. 23. Le Comte, 1700, p. 7. 24. Ibid., p. 5-6. 25. Tachard, 1687. 26. Ibid., « Livre premier : Voyage de Brest jusqu’au Cap de bonne Esperance », p. 1 sqq. On pourrait l’interpréter comme une simple flatterie, mais d’autres témoignages font également état de son intelligence précoce. 27. Han, 2001. 28. Le Comte, 1700, p. 5. 29. Thomaz de Bossière, 1994, p. 95. 30. Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, ms fr 17240, fol. 52 ro.

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Fontaney arriva en France en 1700, chargé des cadeaux que Kangxi lui avait remis avant son départ, destinés à Louis XIV mais également à son fils : « Alors Sa Majesté après nous avoir fait demander quelles sortes de choses nous jugions devoir être mieux venües en France, fist lui-même avec un soin particulier le choix de tout ce qu’il a fait remettre au P. de Fontaney tant pour le roy que pour Mgr le duc du Maine 19. » Le père Bouvet insiste encore : « J’ai dit que parmi celles que l’empereur a envoyées au roy, il y en a de destinées pour Mgr le duc du Maine. Ce prince l’ayant fait ainsi entendre expressement au père de Fontaney pour marquer l’estime qu’il faisait des belles curiosités que nous avons eu l’honneur de lui présenter de la part de Son Altesse serenissime 20. » Au-delà de ces échanges matériels, il faut souligner la part essentielle que le duc du Maine prit à l’envoi des premiers missionnaires français en Chine. Bouvet écrit explicitement que, après sa première rencontre avec le père Couplet, le jeune duc « ne cessa de dire qu’il falloit y envoyer des jésuites françois pour s’en informer particulièrement. Il en parla même plusieurs fois au roy ; si bien qu’il eut beaucoup de part à tout ce desein, & que la dernière résolution qui fut prise de nous envoyer pouvoit estre considérée comme son ouvrage 21 ». Bouvet exprime sa reconnaissance envers le duc : « Nous ne pourrons jamais assez reconnoître les grandes obligations que nous avons à ce prince [Monseigneur le duc du Maine] des bons sentimens qu’il fit paroître pour nous en cette occasion 22. » Ce témoignage est crucial pour estimer la part que prit le fils du roi dans l’expédition des jésuites français. Non seulement le duc du Maine manifesta une très grande curiosité pour la Chine, mais il semble avoir aussi poussé son père avec insistance à envoyer des missionnaires dans les plus brefs délais. Le jésuite Louis Le Comte, également revenu de Chine, écrira bien plus tard, en 1700, au duc : « Ce fut par-là, Monseigneur, que vous commençâtes à connoître, à aimer, à estimer nos missions. Le roy parut touché de ces sentimens, & nous devons à vos sollicitations ce que ce grand prince fit alors pour nous établir solidement dans l’Asie 23. » Le duc était alors dans sa trentième année, mais conservait encore, semble-t-il, des relations privilégiées avec les jésuites de la mission de Chine. Louis Le Comte se remémore les événements passés : « Dès votre enfance vous vous faisiez un plaisir de nous entendre parler, […] vous étiez vivement touché, Monseigneur, d’apprendre que la foy dans la Chine triomphoit depuis longtemps l’idolatrie & que le royaume de Jesus-Christ s’affermissoit chaque jour par les travaux, par le zèle, par la sainteté des ses ministres […] Comme vous joignez dès lors à beaucoup de piété, une forte inclination pour toutes ces sciences ; vous fûtes bien aise que l’esprit n’étoit pas opposé à la vertu 24. » On observe que les motivations attribuées au duc recoupent exactement celles de la mission française de 1685 : d’une part, la conversion des Chinois à la religion chrétienne et, d’autre part, la quête d’informations scientifiques. Sa première motivation était sûrement de nature religieuse car il était un fervent catholique. Lorsque le père Couplet implora l’aide de la France pour évangéliser la Chine, le duc s’en émut et souhaita dès lors prendre une part active à la conversion des Chinois. Le père Tachard affirmait en effet : « Monsieur le duc du Mayne estoit aussi entré dans ce dessein avec un grand zéle pour la religion 25. » Sa deuxième motivation était d’ordre intellectuel. Selon le père Tachard, il montrait « une curiosité digne de son esprit né pour les belles connoissances, & beaucoup au dessus de son âge 26 ». Le jeune fils du roi, avide de savoir, fit promettre aux missionnaires de lui décrire en détail le pays dans lequel ils allaient. Une longue missive, signée des pères Gerbillon et Bouvet, lui fut ainsi adressée en 1691. Les missionnaires, qui avaient tardé à remplir leur promesse, lui firent alors une longue description des mœurs chinoises. Elle servit de base au fameux Portrait historique de l’empereur de la Chine publié par Bouvet en 1697 (fig. 4). Les jésuites expédièrent aussi des livres scientifiques au duc du Maine. Cassini (1625-1712), l’un des fondateurs de l’Académie royale des sciences de Paris, rapporte qu’il put étudier l’astronomie chinoise grâce à un ouvrage que lui avait transmis le duc en 1689 27. Le duc du Maine apparaît en filigrane comme un patron officieux des premières missions françaises en Chine. Ce patronage se déduit des écrits des jésuites, notamment de ceux du


père Le Comte, toujours en 1700 : « Car enfin, Monseigneur, il y a plus de quinze ans que vous les honorez de votre protection 28. » Dans la longue lettre au duc signée par Gerbillon et Bouvet en 1691, ceux-ci n’écrivaient-ils pas : « Nous osons bien implorer vostre puissante protection moins pour nous que pour la chrestienneté de ce vaste empire 29 » ? Bouvet exprime au duc son éternelle reconnaissance. L’ u ne de ses lettres, adressée au père de La Chaise, confesseur du roi et par conséquent familier de Versailles, se termine par des remerciements appuyés à transmettre au duc : « a qui, je supplie V[otre] R[évérence] de faire part de toutes ces nouvelles en le suppliant d’agréer le profond respect et la très humble reconnaissance avec quoy nous conservons et nous conserverons toute notre vie, moy plus que qui que ce soit, le souvenir de l’honnneur de sa protection […] je finis cette lettre en renouvelant toutes les protestations que j’eus l’honneur de lui faire avant mon départ de l’entière reconnaissance et du profond respect avec lequel je suis […] le très humble et très obéissant serviteur […] 30. » Les citations des premiers missionnaires français présentées dans cet article ne sont pas très nombreuses, mais leur juxtaposition permet d’entrevoir non seulement que Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine, était attiré par la Chine, mais qu’il fut un protecteur des missions françaises envoyées dans cet empire. Par son enthousiasme juvénile et par sa proximité avec le roi, le duc du Maine eut une influence, même s’il est difficile de l’évaluer précisément, dans la décision de son très puissant père d’accélérer le départ des mathématiciens du roi. Il est certain qu’il encouragea l’action d’évangélisation de la Chine et, d’une manière directe ou indirecte, eut sa part dans le vaste mouvement d’intérêt pour la Chine lancé en France à la fin du xviie siècle, qui permit à ce lointain empire de devenir aussi familier que les pays d’Europe.

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9. CHIN FO CUM CHINOIS NÉ EN LA PROVINCE DE NANKIN

Le 15 septembre 1684, Philippe Couplet, missionnaire en Chine depuis vingt-quatre ans, âgé de soixante-deux ans, envoyé en Eau-forte et burin Vers 1684 Europe pour recruter de nouChez Nolin, rue St Jacques à l’enseigne de la place des Victoires velles forces afin de rajeunir une H. : 0,40 m ; L. : 0,27 m mission vieillissante, se rendit à Paris, Bibliothèque nationale de France, Versailles avec un jeune converti département des Estampes et de la Photographie, Oe 48 Bibliographie : Mercure galant, septembre-octobre 1684 ; baptisé Michel. Louis XIV invita Foss, 1990, p. 121-142. Couplet et Chin Fo Cum (Shen Fuzong en transcription pinyin actuelle 沈福宗) à assister à son dîner. Il demanda à Shen de réciter ses prières en chinois et de faire une démonstration de baguettes. Shen admira les eaux de Versailles. À Paris, il assista à des expériences sur le vide démontrant la pesanteur de l’air. Selon le fondateur du Mercure galant, Jean Donneau de Vizé (1638-1710), il parlait « assez bien » le latin. Donneau demanda des explications sur le système d’écriture chinois et fit graver des caractères dans sa gazette par des ouvriers français. Shen est représenté avec un pinceau d’écriture. Dans la main gauche, il tient un rouleau où est gravé : Tianzhu Shengjiao 天主聖教 (« La sainte religion chrétienne »). Shen travailla avec Couplet, à la Bibliothèque royale, à l’édition du Confucius Sinarum philosophus (1687). Tous deux périrent en mer sur le chemin du retour en Chine. I. L.-D. 44



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10. LES ASTRONOMES

La tenture de l’Histoire du roy de la Chine, dont fait partie cette pièce, fut tissée à la manufacture de Beauvais à partir de 1690, sous Pièce de la Première Tenture chinoise de Beauvais la direction de Philippe Béhagle Tapisserie de basse lisse, laine et soie, (1641-1705). Elle comporte neuf tissée sous la direction de Philippe Béhagle pièces racontant les voyages de Manufacture de Beauvais Premier tiers du xviii e siècle l’empereur de Chine et évoque H. 3,20 m ; L. : 4,10 m le séjour de pères jésuites astroHistorique : anc. coll. Paul Leblanc-Duvernoy (1840-1926), nomes à la cour de Pékin. œuvre classée au titre des Monuments historiques le 19 juin 1951 La pièce Les Astronomes montre l’emAuxerre, musées d’art et d’histoire d’Auxerre Inv. 26.1.1 pereur de Chine, dont Charissa Bibliographie : Badin, 1909 ; Standen, 1976, p. 103-117 ; Bremer-David a supposé qu’il Jarry, 1981, p. 15-26 ; Bremer-David, 1997, p. 80-97. s’agissait de Shunzhi 1 (règne : Expositions : Auxerre, 1995, p. 34-35 ; o 1644-1661), entouré de pluVersailles, 2004, ill. p. 225, n 142. sieurs personnages s’activant autour d’un globe céleste, d’une sphère armillaire et de télescopes. L’ empereur, vêtu de rouge, porte sur la poitrine l’emblème impérial du dragon. Assis en face de lui, un compas à la main, le père Adam Schall (1592-1666) 2, responsable du Bureau impérial d’astronomie, porte un habit de mandarin orné d’un plastron avec un oiseau aux ailes écartées. Sur la droite, le père Ferdinand Verbiest (1623-1688) se tient debout, au pied de la sphère armillaire. Il se penche vers un enfant tenant un livre et un compas, dont on peut imaginer qu’il s’agit du fils de Shunzhi, le jeune Kangxi (1654-1722). Cette scène pourrait se situer peu de temps après l’arrivée du père Verbiest, appelé par le père Schall à Pékin en 1660 pour travailler à la réforme du calendrier 3, et avant la mort prématurée de l’empereur Shunzhi en 1661. Dans le fond sont représentés le mur d’enceinte d’une ville ainsi qu’une pagode à plusieurs étages qui rappelle celle de Nankin, capitale de la Chine à l’époque des Ming. Ce décor architectural, qui figure également sur d’autres pièces de la tenture, s’inspire sans doute des nombreuses gravures de l’ouvrage de Jean Nieuhoff 4. Il existe un tissage en plus grande largeur des Astronomes, qui montre sur la gauche un père jésuite, probablement de nouveau Adam Schall, au pied d’un escalier surmonté d’un temple 5. Le passage à Versailles en 1684 du père jésuite français Philippe Couplet (1623-1693), venant de Chine avec un jeune jésuite chinois, Shen Fuzong D’après Jean-Baptiste Monnoyer (1636-1699), Jean-Baptiste Belin de Fontenay (1653-1715) et Guy-Louis Vernansal (1648-1729)

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(1658-1691), marqua beaucoup la cour et particulièrement le jeune duc du Maine (1670-1736), fils légitimé de Louis XIV et de madame de Montespan. Edith Standen 6 et Madeleine Jarry 7 ont émis l’hypothèse que cette rencontre aurait inspiré le thème de la tenture. Les deux premiers tissages furent commandés par le duc du Maine et le comte de Toulouse (1678-1737), son cadet. Le duc du Maine acquit sa tenture, tissée de laine, de soie et de fils d’or, pour la somme importante de 20 000 livres. Celle du comte de Toulouse, sans fils d’or et composée de dix pièces à son monogramme, coûta 10 565 livres. Sa présence est attestée dans son château de Rambouillet en 1718. Alors que la tenture du duc du Maine n’est pas identifiée, celle du comte de Toulouse a survécu. Deux pièces furent achetées par l’impératrice Eugénie et installées dans le salon de musique du château de Compiègne, où elles sont toujours conservées. On retrouve les huit autres pièces dans la vente des collections de Louis-Philippe, descendant du comte de Toulouse par sa mère, où elles furent dispersées en deux lots. Les six pièces du premier lot, dont Les Astronomes, figurent actuellement dans les collections du J. Paul Getty Museum, à Los Angeles. Cette tenture connut un grand succès et fut tissée à plusieurs reprises à la manufacture de Beauvais, jusqu’à l’épuisement des cartons en 1732. Des esquisses pour une nouvelle tenture furent alors commandées au peintre François Boucher (17031770) et une Seconde Tenture chinoise prit le relais à Beauvais à partir de 1743 8. La pièce exposée est, en raison de sa simple bordure à enroulements, généralement considérée comme un tissage du premier tiers du xviiie siècle. A.-C. S. 1. Bremer-David, 1997, p. 91. 2. Cf. les œuvres gravées d’ouvrages contemporains, dont la représentation du père Schall a certainement inspiré les peintres de la manufacture : Nieuhoff, 1665, no 3, p. 65 ; Kircher, 1670, frontispice. 3. Versailles, 2004, p. 85-91. 4. Nieuhoff, 1665. 5. Standen, 1976, p. 107. 6. Ibid., p. 116-117. 7. Jarry, 1981, p. 15. 8. Cf. notice no 54.



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Page de titre et p. CXVI.

11. CONFUCIUS SINARUM PHILOSOPHUS, SIVE SCIENTIA SINENSIS LATINE EXPOSITA CONFUCIUS, PHILOSOPHE DES CHINOIS, OU LA SCIENCE CHINOISE PRÉSENTÉE EN LATIN

Cet ouvrage constitue la première parution en Europe de traductions dans une langue européenne de classiques confucéens. Le portrait de Confucius (p. CXVI) gravé sur un dessin 1 Traducteurs jésuites missionnaires en Chine : apporté de Chine par Couplet  Prospero Intorcetta (1625-1696), Christian était aussi commercialisé séparéHerdtrich (1625-1684), François de Rougemont ment chez l’imprimeur Nolin. Il (1624-1676) et Philippe Couplet (1623-1693), s’agit de l’une des premières tenégalement signataire de la préface (IX-CXV) tatives de gravure de caractères Eau-forte et burin chinois par des ouvriers français. Paris, Daniel Horthemels, 1687 L’impression du chinois (par In-fol. H. : 0,44 m ; L. : 0,30 m ; 5 parties caractères mobiles) se dévelopOuvrage dédicacé au roi (I-VIII), contenant la traduction intégrale de la Grande Étude (Daxue 大學 Magna Scientia) et pera sous la régence de Philippe de l’Invariable Milieu (Zhongyong 中庸 De medio sempiterno). d’Orléans (1715-1721), avec le Les Entretiens (Lunyu 論語) sont partiellement traduits programme confié à l’orientaliste Paris, Bibliothèque nationale de France, Étienne Fourmont. réserve du département des Imprimés, Rés. 691 Bibliographie : Dew, 2009 ; Meynard, 2011. Traduction de la légende : « 孔 夫子 Kongfuzi ou Confucius [Maître Kong], aussi appelé [de son nom social] 仲尼 Zhongni, le plus éminent des philosophes 48

chinois, est né à Qufu, ville de la province du Shandong. Son père, Shulianghe, était préfet du village Zouyi et sa mère, née Zheng, appartenait à la noble famille Yan. Il naquit la vingt et unième année du règne de l’empereur Ling Wang, vingt-troisième souverain de la troisième dynastie des Zhou, c’est-à-dire en 551 av. J.-C. Il eut trois mille disciples dont soixante-douze très éminents. Dix d’entre ces derniers ont leurs noms gravés sur des tablettes exposées dans les académies impériales. Au terme de vains efforts et tentatives pour réformer son temps et les gouvernants, il quitta la vie à l’âge de soixante-treize ans, la quarante-neuvième année du vingt-cinquième souverain [des Zhou] Jing Wang. Sa descendance s’est perpétuée en ligne ininterrompue, soit deux mille deux cent trente-huit ans jusqu’à la présente année 1687. Son descendant à la soixantehuitième génération réside dans sa ville natale, avec le titre de duc. » I. L.-D. 1. Belevitch-Stankevitch, 1970, p. 229.


12. NOUVEAUX MÉMOIRES SUR L’ÉTAT PRÉSENT DE LA CHINE

Dans ses Nouveaux Mémoires sur l’état présent de la Chine, publiés Louis Le Comte (1655-1728) d’abord en 1696 et plusieurs fois réédités, le père Le Comte, jésuite Paris, Jean Anisson, 1701-1702, 3 volumes Reliure en maroquin rouge aux armes de Louis XIV, encadrement mais aussi mathématicien et astrode dentelle fleurdelisée ; dos à nerfs orné de fleurs de lys nome, souhaitait démontrer que Historique : anc. coll. de Louis XIV ; confiscation révolutionnaire ; les Chinois adoraient le vrai Dieu anc. coll. de la bibliothèque de l’École centrale de Seine-et-Oise. sous des manières différentes de Bibliothèque municipale de Versailles depuis 1801 Versailles, bibliothèque municipale de Versailles, celles des chrétiens ; mais ses F.A. in-12 I 102-104 f arguments se retournèrent contre les jésuites lors de la querelle des Rites, et aboutirent à l’exclusion d’une partie des missionnaires de Chine. Panégyrique insistant de la pensée et de la civilisation chinoises, l’ouvrage fut interdit, puis condamné au feu par le Parlement de Paris en 1761. Très richement documentés, les Nouveaux Mémoires renferment de nombreuses illustrations utilisées par Du Halde trente ans plus tard 1. Les deux premiers volumes sont dédiés au roi, tandis que le troisième l’est au duc du Maine. Homme

d’étude, intéressé par toutes les découvertes scientifiques, le fils légitimé de Louis XIV soutint financièrement et politiquement la première mission jésuite en Chine ; il demandait au père Le Comte l’envoi d’instruments de mathématiques ou d’astronomie. Dans sa Lettre à Monseigneur le duc du Maine sur les cérémonies de la Chine, parue en 1700, Le Comte revenait encore sur ses connaissances : « Vous avez connu la Chine presque aussitôt que l’Europe. Dès votre enfance vous vous faisiez un plaisir de nous entendre parler, non pas de ses richesses, ni de la magnificence de la cour, ni des victoires des empereurs, que pouvions-nous en dire, qui ne fût au-dessous de ce qui vous environnait, et de ce que vous admiriez tous les jours ? Mais vous étiez vivement touché, Monseigneur, d’apprendre que la foi dans la Chine triomphait depuis longtemps de l’idolâtrie. » É. M.

1. Cf. notice no 94.

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En 1684, Versailles, où la cour était installée officiellement depuis deux ans, reçut des visiteurs totalement nouveaux. Le 15 septembre, un missionnaire jésuite résidant à Pékin, de retour en Europe, présenta à Louis XIV un jeune converti chinois, Shen Fuzong 沈福宗 (1658-1691). Le 27 novembre, des prêtres des Missions étrangères de Paris introduisirent des envoyés du roi Naraï (1629-1688) du Siam (Thaïlande). À la fin de l’année, l’envoi d’une ambassade en Extrême-Orient fut décidé : c’était une première. Le vaisseau royal, L’Oiseau, partit de Brest pour le Siam avec l’ambassadeur Chaumont (1640-1710) le 3 mars 1685. À son bord, six jésuites nommés correspondants de l’Académie des sciences prirent place, avec des instruments scientifiques destinés à être offerts au roi du Siam et à l’empereur de Chine Kangxi 康熙 (règne : 1662-1722). Il fut convenu que, après avoir fait escale au Siam, les jésuites gagneraient la Chine par leurs propres moyens. L’ a mbassade Chaumont revint en France en 1686 avec des ambassadeurs siamois pour sceller une alliance comportant un volet militaire. Un traité fut signé, mais il fut éphémère. Soldats, commerçants et missionnaires français furent maltraités deux ans plus tard, à la mort de Naraï. Les jésuites, partis de Brest en mars 1685, atteignirent Pékin le 7 février 1688. L’ empereur Kangxi leur permit de s’installer à la cour et en province. Plusieurs confrères les rejoignirent par la suite. Une mission jésuite française fut fondée en 1700. Elle prit fin un siècle plus tard, non du fait des autorités chinoises mais en raison des dissensions religieuses occidentales. En répondant aux sollicitations d’émissaires religieux venus demander protection et aide financière pour leurs activités en Asie, en envoyant une ambassade d’éclat au Siam et des religieux en Chine, Louis XIV témoignait de la présence française là où elle s’était encore peu manifestée. En Extrême-Orient, le pavillon portugais était connu depuis le début du xvie siècle. Au début du xviie siècle, les Provinces-Unies (Hollande), récemment indépendantes de la Couronne d’Espagne, y avaient fait une percée fulgurante. Des ressortissants anglais commençaient à poindre. Aucune de ces nations n’avait échangé de relations diplomatiques d’État à État sur le mode symétrique d’égalité en usage en Europe. Du point de vue asiatique, les échanges s’opéraient sur le modèle traditionnel tributaire. Du côté européen, les représentations qui se qualifiaient d’« ambassades » étaient en fait des délégations commerciales, car le modèle traditionnel en Asie des échanges avec les pays extérieurs posait un problème d’étiquette et heurtait l’ancien code de chevalerie européen. Il impliquait des prosternations. Un gentilhomme se découvre par politesse. Il ploie le genou devant son suzerain ou sa dame, mais il ne se prosterne pas devant le dépositaire d’un pouvoir temporel. En envoyant l’ambassade du chevalier de Chaumont, Louis XIV voulut innover et tester l’usage européen dans une cour asiatique. Au Siam, le représentant du roi ne se plia pas aux prosternations traditionnelles. Le fait fut hautement publié en France. Sur le plan stratégique, l’envoi au Siam d’une ambassade était destiné à frapper au cœur ses plus sérieux rivaux du moment, les Hollandais, et à s’affranchir d’une disposition remontant à la fin du xve siècle qui obligeait les missionnaires à s’embarquer vers l’Orient sur des vaisseaux portugais au départ de Lisbonne. Après Richelieu (1585-1642) et Mazarin (1602-1661), Louis XIV estimait que la France avait été lésée par un arbitrage papal remontant à 1494, le traité de Tordesillas. Les deux nations alors en lice dans la course aux territoires d’outre-mer, le Portugal et l’Espagne, s’étaient tournées vers la papauté pour une partition en deux zones d’influence. La route de l’Asie par la voie orientale avait été réservée aux Portugais, celle de la voie occidentale aux Espagnols. Les Portugais avaient atteint Goa en 1510, Malacca l’année suivante, la terre

LE ROI-SOLEIL

SE LÈVE

À L’EST ISABELLE LANDRY-DERON

Fig. 1 Père Jean-Baptiste Du Halde (s.j.) (1674-1743), Description géographique, historique, chronologique, politique et physique de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise…, Paris, Nicolas-Léger Moutard, 1770, 1er volume, Versailles, bibliothèque municipale de Versailles, Rés. in-fol I 3 f, p. 221. Vignette de la carte de la province de Quang-tong dans le sud de la Chine (détail de la fig. 5).

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Fig. 2 Père Guy Tachard (s.j.) (1648-1712), Voyage de Siam des pères jésuites, Paris, A. Seneuze et D. Horthemels, 1686, in-4o, Paris, Bibliothèque nationale de France, réserve des livres rares, 4-O2L-32. Les instruments représentés dans la vignette sont conformes à ceux qui servirent à déterminer le méridien de Paris et le relevé topographique ordonné par Colbert.

1. Phébus proclame : Do novam terris faciem (« Je donne au monde un visage nouveau ») sur un almanach de l’année 1685 ; cf. Préaud, 1995, p. 80. 2. Voyage de monseigneur d’Héliopolis (François Pallu, 1626-1684) et de monseigneur de Béryte (Pierre Lambert de La Motte, mort en 1679), nommés évêques in partibus en 1659 ; cf. Bourges, 1666. 3. Van der Cruysse, 1991, p. 182. 4. Lettre du 31 janvier 1670 du roi de Siam à Louis XIV, in Van der Cruysse, 1991, p. 202.

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chinoise en 1513 et l’archipel japonais en 1543. En 1557, les autorités locales de la province de Canton leur avaient concédé un ancrage permanent à Macao. Dans le même laps de temps, les Espagnols avaient conquis le Nouveau Monde. En 1565, à partir du Mexique, ils avaient traversé le Pacifique et s’étaient emparés des Philippines. L’ a rbitrage papal exigeait du Portugal et de l’Espagne qu’ils assurent l’évangélisation de leur zone respective. Les ordres mineurs (franciscains, dominicains, augustins) dépendant du patronage espagnol étendaient leur prosélytisme dans les régions contrôlées par l’Espagne. Le patronage portugais soutenait la Compagnie de Jésus, placée sous sa protection par son fondateur, Ignace de Loyola (1491-1556), en 1540. Le transport et l’entretien des missionnaires revenaient à la puissance publique de chaque Couronne. À la fin du xvie et au début du xviie siècle, les cartes avaient été rebattues par l’affaissement des puissances ibériques et par la Réforme. La Hollande avait conquis son indépendance sur l’Espagne. L’ empire portugais s’était effrité pendant sa période de soumission à l’Espagne (1580-1640). Le comptoir de Batavia (Djakarta), fondé en 1619, était devenu la capitale des Indes hollandaises. Malacca, occupé par les Portugais depuis 1511, était tombé aux mains des Hollandais en 1641. Les nations schismatiques (Hollande et Angleterre) commerçaient sans tenir compte des arrangements du traité de Tordesillas. En 1664, la Hollande avait bloqué l’embouchure de l’artère commerciale et fluviale du Siam, la Ménam. Cela avait donné au Siam un point commun avec la France : un voisin dangereux. Le Siam était une plaque tournante des échanges de biens entre l’Inde, la Chine et le Japon, grâce à son ouverture à l’époque sur deux mers (golfe de Thaïlande et golfe d’Andaman). Le roi du Siam était riche. En 1684, alors que se préparait le conflit qui allait opposer la France et la ligue d’Augsbourg, le nerf de la guerre était dans les terres à épices contrôlées par la Hollande. Le traité de Nimègue (1679) avait consacré la gloire des armes de Louis XIV en Europe, mais l’échiquier politique était déjà global et la partie se jouait aussi en Asie. La France voulait, dans un premier temps, une alliance militaire avec le Siam, avant, si possible, de nouer des relations avec la Chine. Naraï et Kangxi toléraient l’exercice de toutes les religions dans leurs domaines. Ils accueillaient des missionnaires à leur cour. Ceux-ci laissaient entendre que la conversion au christianisme de ces souverains pourrait n’être qu’une question de temps. Roi du pays le plus peuplé d’Europe, dont il pensait qu’il était resté trop longtemps hors du jeu mondial à cause des guerres de Religion puis des désordres de la Fronde, Louis XIV rêvait d’affirmer sa puissance en relevant le patronage des missions 1. La papauté était consciente d’avoir abandonné en 1494 des prérogatives sur le spirituel à des pouvoirs temporels. Elle était soucieuse de reprendre la main sur les nominations d’évêques in partibus infidelium. La Sacrée Congrégation de la propagande fut créée en 1622 pour réorganiser les missions en s’affranchissant des patronages portugais et espagnols. Elle avait nommé des vicaires apostoliques qui représentaient la papauté dans les terres non christianisées. Les missionnaires, grâce à leur maîtrise des langues locales, acquise sur place, grâce aussi à leurs vœux d’humilité qui les préservaient de l’humiliation des prosternations, étaient qualifiés pour les médiations. Des membres des Missions étrangères de Paris étaient établis au Siam depuis 1664. Ils y étaient parvenus par voie de terre passant par la Perse et l’Inde 2. En 1668, un secrétaire de la Sacrée Congrégation de la propagande demandait aux Missions étrangères de rapporter des renseignements sur des itinéraires permettant de contourner les régions qui relevaient du patronage portugais 3. Les cours de Siam et de France avaient été mises en relation dès 1670 4. Le 18 octobre 1673, le roi Naraï recevait le vicaire apostolique du Siam et lui avait posé des questions sur le passage du Rhin, qui avait eu lieu en juin 1672, l’invasion de la Hollande et le succès des armées françaises. En Chine, les jésuites étaient bien implantés depuis que l’Italien Matteo Ricci (1552-1610) et quelques confrères s’y étaient établis à la fin de la dynastie des Ming (1368-1644). La Chine était entrée dans le flux mondial des échanges à cette époque. La prospérité de Macao s’était bâtie sur une position d’intermédiaire exclusif entre la Chine et le Japon à la faveur d’un édit impérial interdisant le commerce maritime avec le Japon. Si les marchandises de Chine se vendaient facilement au Japon, l’or japonais, dont l’abondance était plus une légende qu’une


Fig. 3 Père Athanase Kircher (s.j.) (1602-1680), China illustrata, frontispice, Amsterdam, Jean Jansson, 1667, monographie imprimée in-fol., Paris, Bibliothèque nationale de France, réserve des livres rares, Rés. O2n-18. Sous la protection céleste d’Ignace de Loyola, le fondateur de la Compagnie de Jésus, et de François-Xavier, le fondateur de la mission jésuite en Chine, Matteo Ricci (à droite) et Adam Schall (à gauche), président du Bureau d’astronomie de 1645 à 1664, montrent une carte de Chine correctement positionnée par rapport à ses voisins, l’Inde, le Japon et la Tartarie (Mongolie et Mandchourie).

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Fig. 4 Père Jean-Baptiste Du Halde (s.j.) (1674-1743), page de dédicace au roi Louis XV extraite de la Description géographique, historique, chronologique, politique et physique de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise…, Paris, Le Mercier, 1735, in-fol., Paris, Bibliothèque nationale de France, réserve des livres rares, Rés. Fol. O2N39.

5. Observations physiques…, 1688 et 1692.

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réalité, était recherché en Chine. Depuis la conquête des Philippines par les Espagnols, l’argent américain des mines de Potosí traversait le Pacifique pour affluer en Chine. Le pouvoir impérial en Chine n’admettait sur son territoire que des religieux, plus faciles à contrôler que les aventuriers et les prédateurs commerciaux infestant la région. Depuis Ricci, les jésuites en Chine apprenaient le chinois parlé et écrit. Ils étaient policés, cultivés et formés dans des sciences dont les applications en astronomie, en géographie, en technique et en calcul calendaire intéressaient le pouvoir. Ricci avait étudié les mathématiques au Collège romain sous la direction du célèbre mathématicien jésuite Christophorus Clavius (1538-1612), qui travailla au calendrier grégorien. Depuis bien avant l’ère chrétienne, les phénomènes célestes, éclipses de soleil ou de lune, comètes, étaient méticuleusement observés en Chine. Ils étaient scrupuleusement répertoriés dans un Bureau d’astronomie (Qintianjian 欽天監), organisme officiel chargé du calendrier. Au moment de l’arrivée de Ricci en 1583, l’astronomie en Chine, qui avait été l’une des plus avancées au monde au xiiie siècle, périclitait. C’est la rectification d’une prédiction erronée d’éclipse solaire en 1610 qui permit aux jésuites de ravir, en 1629, aux astronomes musulmans qui en étaient traditionnellement responsables la position officielle dans la pyramide hiérarchique de l’Empire (rang 5A) de président du Bureau d’astronomie. Cette position impliquait une participation à des cérémonies officielles. La tapisserie de Beauvais dite « des Astronomes » représente dans leurs costumes officiels les titulaires européens de cette charge, Adam Schall von Bell (1592-1666) et Ferdinand Verbiest (16231688). Les jésuites qui quittèrent Brest en mars 1685 étaient des scientifiques confirmés. L’ a mbition de Louis XIV était que le supérieur du groupe, Jean de Fontaney (1643-1710), recommandé par l’académicien et astronome d’origine italienne, Jean-Dominique Cassini (1625-1712), fondateur de l’Observatoire de Paris, succédât à Verbiest. La présidence du Bureau d’astronomie était toujours revenue à un jésuite entré en Chine dans le cadre du patronage portugais. Le milieu scientifique de l’Observatoire de Paris nourrissait également l’ambition de perfectionner la cartographie mondiale. Fontaney et ses confrères reçurent, au départ de Paris, la consigne de rectifier les calculs de latitude et longitude du plus grand nombre possible de lieux traversés au cours de leur périple. Ils recalculèrent la position du cap de BonneEspérance, de la capitale du Siam, puis de plusieurs villes de Chine. Ces calculs se fondaient sur l’observation des satellites de Jupiter, à partir de tables dressées par Cassini. Depuis Ricci, la géographie de l’intérieur de la Chine était une spécialité des jésuites. Ricci avait déterminé la latitude de Pékin. Il avait établi de manière définitive la continuité des terres entre l’Inde et la Chine. Pour les lettrés de l’Empire, il avait dessiné en 1578 une carte du monde en chinois où la nouveauté était la figuration de l’Amérique et des pôles, le découpage en méridiens et parallèles, l’intégration de découvertes géographiques arabes couramment acceptées en Europe à la date de composition de la carte. Un siècle et quelque plus tard, Cassini voulait dresser une carte du monde reportant les données les plus précises disponibles en date, surclassant même les globes fabriqués à Paris entre 1681 et 1683 par le cartographe italien Vincenzo Coronelli (1650-1718). Le dessin réactualisé des contours des pays d’ExtrêmeOrient était indispensable à cette œuvre scientifique. Les titres des ouvrages publiés à Paris qui contenaient les données relevées par le groupe emmené par Jean de Fontaney spécifient très explicitement ce qui était attendu du groupe 5. Contrairement au mirage siamois, qui s’évanouit, la mission jésuite française en Chine exerça un rayonnement durable grâce à ses publications sur la Chine, diffusées dans toute l’Europe. Les successeurs de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI s’y intéressèrent de très près. Malgré l’accueil frais des Portugais, elle prospéra jusqu’à la suppression de la Compagnie de Jésus en 1773, même si l’espoir d’occuper la présidence du Bureau d’astronomie ne se concrétisa jamais. Les autorités de l’empire feignirent d’ignorer les agitations européennes. Elles gardèrent sur place jusqu’à leur mort les missionnaires déjà présents en Chine. Durant le xviiie siècle, le commerce de la Compagnie française des Indes orientales avec Canton prit de l’ampleur, mais resta saisonnier et limité au sud de l’empire. Les dissen-


Fig. 5 Père Jean-Baptiste Du Halde (s.j.) (1674-1743), Description géographique, historique, chronologique, politique et physique de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise…, Paris, Le Mercier, 1735, in-fol., 1er volume, p. 221, Paris, bibliothèque de l’Institut des hautes études chinoises du Collège de France, A V 1-1 (1). Carte de la province de Quangtong dans le sud de la Chine (Guangdong en transcription pinyin moderne, ou province de Canton, lieu de la foire annuelle où les étrangers étaient autorisés à commercer).

sions entre religieux occidentaux aboutirent aux développements néfastes de la querelle des Rites pour la communauté chrétienne chinoise. L’ échec retentissant des délégations papales du début du xviiie siècle amena Kangxi et ses successeurs Yongzheng (règne : 1723-1736) et Qianlong (règne : 1736-1795) à ne tolérer que les religieux prêtant serment de respecter les cérémonies confucéennes. Le savant anglais Francis Bacon (1561-1626) a expliqué que c’est l’exploitation de trois inventions d’origine chinoise qui a donné à l’Occident l’audace de se lancer à la conquête de la nature et de franchir la barrière dressée par les Ottomans pour aller au-devant des richesses de l’Orient : la boussole pour se repérer en mer, le papier pour consigner les opérations commerciales, la poudre pour imposer et défendre le négoce. L’information sur les Indes orientales passionnait les contemporains. Elle est souvent passée par des religieux qui ont joué un rôle d’autant plus exceptionnel que l’éloignement, l’immensité des territoires et la densité de population découragèrent jusqu’au xixe siècle les aventures militaires.

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13. LA SOLENNELLE AMBASSADE DU ROY DE SIAM AU ROY POUR L’ÉTABLISSEMENT DU COMMERCE AVEC CES PEUPLES D’ORIENT. LES CÉRÉMONIES DE LA LETTRE ET DES AUDIENCES Eau-forte et burin À Paris, chez Jean-Baptiste Nolin, rue S. Jacques à l’enseigne de la place des Victoires Almanach pour l’année 1687 H. : 0,88 m ; L. : 0,55 m Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon Inv. GRAV 4704 Bibliographie : Van der Cruysse, 1991, p. 388-396 ; Landry-Deron, 2001, p. 423 sq.

Cette gravure représente l’arrivée dans la cour du château de Versailles, le 1er septembre 1686, de la lettre gravée sur une feuille d’or envoyée par le roi de Siam (Thaïlande). Le plus âgé des ambassadeurs siamois connaissait la cour de l’empereur de Chine Kangxi. Son maître, le roi Phra Naraï (1633-1688), souhaitait savoir comment la cour de Versailles soutenait la comparaison avec celle de Chine 1. La foule des curieux se presse au spectacle. On remarque des enfants juchés sur les épaules des adultes. L’ alliance militaire entre la France et le Siam sera éphémère. Elle prendra fin à la mort de Naraï. La vignette en bas à droite représente « Les académiciens envoyez par le roy à Siam » sur le point d’embarquer sur le vaisseau de l’ambassade. Il s’agit de jésuites instruits en sciences, nommés correspondants de l’Académie des sciences, qui recueillirent jusque dans les années 1760 de nombreuses informations sur la Chine. Les premiers avaient été reçus en séance de l’Académie le 21 décembre 1684. I. L.-D.

1. Van der Cruysse, 1991, p. 374.

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14. L’AUDIENCE DONNÉ [SIC] AUX AMBASSADEURS DU ROY DE SIAM LE 1 SEPTEMBRE 1686 DANS LE CHÂTEAU DE VERSAILLES Eau-forte sur cuivre en noir et burin Chez Pie. Landry rue St. Jacques à St François de Sales Almanach pour l’année 1687 H. : 0,94 m ; L. : 0,60 m Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie, collection Hennin, 5549 Rés. Fol. QB-201 (63-fol) Bibliographie : Chaumont, 1686, p. 222-240 ; Van der Cruysse, 1991, p. 392-393.

La liste des cadeaux offerts à Louis XIV par l’ambassade du Siam a été publiée par l’ambassadeur Chaumont (1640-1710), qui les a apportés du Siam en France. La majorité des mille cinq cents porcelaines provenait de Chine et du Japon. Les vaisseaux de ces deux pays profitaient des vents de mousson pour accoster au Siam chaque année en avril et en mai. Sur cette estampe, Louis XIV est entouré de sa proche famille. Sur sa droite, son fils le dauphin (1661-1711) ; son petit-fils, le duc de Bourgogne, âgé de quatre ans ; le duc du Maine, le fils qu’il eut avec madame de Montespan, âgé de seize ans, et le duc de Bourbon, fils du Grand Condé. Sur sa gauche se trouvent son frère Philippe, appelé Monsieur ; Monsieur le Duc, petit-fils du Grand Condé ; le ministre des Affaires étrangères, Colbert de Croissy (1625-1696), qui avait succédé à son frère en 1683, et l’abbé Artus de Lionne (1655-1713). Ce dernier, missionnaire au Siam, appartenait aux Missions étrangères de Paris et était le fils de l’ancien ministre des Affaires étrangères de Mazarin, Hugues de Lionne (1611-1671). I. L.-D.

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15. PORTRAIT HISTORIQUE DE L’EMPEREUR DE LA CHINE PRÉSENTÉ AU ROI

Le père jésuite Bouvet, l’un des cinq mathématiciens du roi envoyés en Chine par Louis XIV, demeura Joachim Bouvet (1656-1730) à la cour de l’empereur Kangxi, où il apprit les langues mandParis, Étienne Michallet, 1697 Reliure en maroquin rouge, encadrement choue et chinoise, et lui enseide dentelle fleurdelisée ; fleurons représentant gna ses connaissances en mathédeux dauphins entrelacés autour d’un soleil ; matiques et astronomie, et même dos à nerf orné de fleurs de lys la médecine française, qui lui Ex-libris manuscrit : Lebel commissaire des guerres Historique : anc. coll. du ministère de la Guerre ; permit de le soigner. Sa corresconfiscation révolutionnaire ; anc. coll. de la bibliothèque pondance avec Leibniz sur les de l’École centrale de Seine-et-Oise. Bibliothèque questions mathématiques est municipale de Versailles depuis 1801 restée célèbre. Il tenta de prouver Versailles, bibliothèque municipale de Versailles, Rés. in-12 I 95 f que l’interprétation des textes Bibliographie : Dehergne, 1973, p. 209 ; Boothroyd chinois ne pouvait se faire qu’à et Détrie, 1992 ; Jami et Delahaye, 1993, p. 217. la lumière du christianisme, mais Exposition : Versailles, 2004, p. 59-62, 205-215. il se heurta à l’opposition de certains jésuites. De retour en France, Bouvet rapporta pour la Bibliothèque du roi vingt-deux livres chinois parmi les plus importants, notamment sur la géographie, les sciences naturelles ou le cérémonial chinois. 58

Son Portrait historique de l’empereur de la Chine, description très idéalisée de la Chine et de son gouvernement, accentue les parallèles entre l’empereur Kangxi et Louis XIV : ayant accédé au trône très jeunes, ils avaient subi une longue régence, marquée de révoltes et de conspirations. Ils eurent à assumer très tôt les responsabilités du pouvoir et développèrent le même goût pour les arts. Dans sa dédicace à Louis XIV, Bouvet explique qu’il dresse le portrait d’« un Prince, qui comme vous, Sire, joint à un génie aussi sublime que solide, un cœur encore plus digne de l’Empire ; qui est maître de luimême comme de ses sujets, également adoré par ses peuples, et respecté de ses voisins ; qui tout glorieux qu’il est dans ses grandes entreprises, a plus encore de valeur et de conduite, que de bonheur : un Prince en un mot, qui réunissant dans sa personne la plupart des grandes qualités qui forment le héros, serait le plus accompli monarque qui depuis longtemps ait régné sur la terre, si son règne ne concourait point avec celui de votre Majesté ». L’ ouvrage fut plusieurs fois réédité, et traduit en plusieurs langues. É. M.


16. NOUVELLE RELATION DE LA CHINE, CONTENANT LA DESCRIPTION DES PARTICULARITÉS LES PLUS CONSIDÉRABLES DE CE GRAND EMPIRE, COMPOSÉE EN L’ANNÉE 1668, PAR LE R. P. GABRIEL DE MAGAILLANS, ET TRADUITE DU PORTUGAIS EN FRANÇOIS, PAR LE SR B [CLAUDE BERNOU] Gabriel de Magalhaes (ou Magaillans) (1609-1677) Paris, Louis Lucas, 1690 Reliure en maroquin rouge aux armes de Mesdames sur les armes lavées de Louis XIV, triple filet d’encadrement doré sur les plats ; dos à nerfs orné du L entrelacé et couronné Historique : anc. coll. de Louis XIV et de Louis XV ; anc. coll. de Mesdames ; confiscation révolutionnaire ; anc. coll. de la bibliothèque de l’École centrale de Seineet-Oise. Bibliothèque municipale de Versailles depuis 1801 Versailles, bibliothèque municipale de Versailles, Rés. in-4 I 41 f

L’ édition en portugais de l’une des premières descriptions sérieuses de la Chine fut publiée en 1668. Elle fut traduite en français par l’abbé Claude Bernou, collaborateur d’Hugues de Lionne et de Colbert sur les questions espagnoles et portugaises, et collaborateur de la Gazette de Théophraste Renaudot, dont il était l’ami. É. M.

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À la suite des découvertes des grandes routes maritimes au xvie siècle puis de l’essor du commerce qui s’ensuivit, la fascination de l’Europe pour le mystérieux Orient ne fit que croître avec les importations d’étoffes, de porcelaines et de laques, matières si séduisantes et inconnues en Occident. Leur rareté sur le marché européen et leur coût élevé les réservaient aux grands de ce monde, puis le développement des Compagnies des Indes à partir du début du xviie siècle entraîna l’augmentation des volumes importés avec une relative baisse des prix et donc leur plus grande diffusion dans la société 1. Dans la première moitié du xviie siècle, les souverains français ne possédèrent que quelques pièces, surtout des porcelaines. En revanche, au cours du règne de Louis XIV, le Garde-Meuble de la Couronne avait réuni quelque trois mille porcelaines, principalement chinoises, ainsi que soixantedouze laques, essentiellement japonais, dont trente-trois cabinets, onze coffres et dix paravents 2. Ces deux ensembles étaient exceptionnels par leur ampleur et sans doute par leur qualité. LOUIS XIV

Jusqu’au début des années 1680, Louis XIV céda à la mode de son temps et disposa laques et porcelaines dans les appartements royaux, puis l’évolution du goût du roi les fit peu à peu disparaître de ceux de Versailles, devenue la résidence officielle de la monarchie en mai 1682 3. Ainsi, même le présent de l’empereur de Chine Kangxi, présenté au roi en septembre 1700 par le père Pierre-Claude de Fontenay, jésuite et missionnaire en Chine, se retrouva-t-il dans le garde-meuble du château huit ans plus tard. Il comprenait des vêtements chinois (manteaux, vestes, robes de chambre…), des étoffes, des boîtes, un vase de lapis, des feuilles de papier de Chine brodées de fleurs, d’autres peintes de portraits d’hommes et de femmes, de « fleurs, feuilles et oiseaux » ou de « modelles des sabres et mousquets de la Chine ». Un « grand rouleau de 26 à 27 pieds [8,42 × 8,74 mètres] représentant la marche d’un général d’armée chinois » de papier peint était accompagné de huit autres de gaze peinte. À cela s’ajoutaient « six soucoupes avec leurs tasses de verny de la Chine, ornées de peinture de nacre de perle, les tasses doublées d’argent » et une armure de différentes pièces d’acier couvert de satin noir 4. Le successeur de Louis XIV manifesta plus de curiosité pour les créations orientales.

LE GOÛT

PERSONNEL

DES SOUVERAINS

ET L’ORIENT e

AU XVIII SIÈCLE STÉPHANE CASTELLUCCIO

LOUIS X V

Fig. 1 Gilles Joubert (1689-1775), Bureau plat en laque rouge et or de Louis XV (détail de la fig. 9 p. 25), 1759, New York, The Metropolitan Museum of Art, don de monsieur et madame Charles Wrightsman en 1973, inv. 1973.315.1.

Les laques À peine âgé de cinq ans lors de son accession au trône en 1715, Louis XV ne s’intéressa personnellement à son mobilier qu’une vingtaine d’années plus tard. Aussi la commande en 1719 à l’ébéniste Roussel par le service de la Chambre d’un pupitre de Chine orné d’argent pour le jeune roi relevait-elle avant tout de la décision d’un service administratif et suivait plus la mode que le goût du destinataire 5. En décembre de l’année suivante, Moïse-Augustin de Fontanieu, intendant du Garde-Meuble, acheta à La Rochelle un grand paravent de douze feuilles et trente coffres, le tout de laque de Chine or sur fond noir 6 . Il complétait les réserves de laques dans la perspective de la réutilisation, après leur découpage, de panneaux insérés dans des boiseries ou plaqués sur des meubles d’ébénisterie. Par exemple, le 27 janvier 1744, le GardeMeuble délivra au marchand mercier Thomas-Joachim Hébert un paravent de six feuilles de laque noir du Japon pour la fabrication d’une commode (fig. 2) 7, de deux encoignures et d’un bureau, livrés le 17 octobre suivant pour la chambre et le cabinet de Louis XV à Choisy 8 . 61


L E G O Û T P E R S O N N E L D E S S O U V E R A I N S E T L’ O R I E N T A U X V I I I e S I È C L E

1. Estienne, 2013, p. 14-20. 2. AN, O1 3335, fol. 162-242 vo, nos 1-822 ; O1 3336, fol. 114-216, nos 19-21, 26-32, 4046, 97-103, 106-110, 141, 151, 158, 178-185, 227, 632, 769, 774-775, 788, et fol. 342-352, nos 4-9, 20-21, 24-31, 34-43, 45-47, 49-53, 60-61, 63-68, 72-80, 82, 86, 96. Guiffrey, 1885-1886, t. II, p. 85, note 1, et p. 86 et 91 (un même numéro désigne parfois plusieurs porcelaines). Cet essai reprend en partie un article publié en 2009 (Castelluccio, 2009). 3. Bibliothèque nationale de France, mél Colbert 266, fol. 140 ro et vo ; mél Colbert 268, fol. 18 vo ; mél Colbert 281, fol. 15 vo ; mél Colbert 302, fol. 340-341 ; AN, O1 3304, fol. 75, 158, 173 ; O1 3333, fol. 148-149 vo, nos 1-65, et fol. 151 vo-152, nos 161-188 ; O1 3336, fol. 115 ro et vo, 116 vo-117 vo, nos 29-32, 41, 42, 46 ; AN, O1 3445, fol. 75, no 158, fol. 88 vo, no 105, fol. 89 ro et vo, nos 4-9, fol. 90 vo, nos 25-31, 98, 774 et 775, fol. 93, no 227 ; O1 3450, fol. 112, 114 vo-118 vo. Saule, 1992 ; Castelluccio, 2002, 2009, 2012, 2013 et à paraître. 4. Le père de Fontenay (1663-1742) était revenu en France, après un séjour de seize ans en Chine, à bord du vaisseau l’Amphitrite. AN, O1 3445, fol. 106 ro-107 vo ; O1 3341, fol. 298 vo-300 vo, nos 365-399. Mercure galant, septembre 1700, p. 284-285. 5. AN, O1 *2849, fol. 78 vo, et O1 *2850, fol. 78 vo. 6. AN, O1 3309, fol. 275 vo-276 ; O1 3336, fol. 352 vo-353, nos 107 et 108. 7. Cf. notice no 25. 8. AN, O1 3313, fol. 143 vo ; O1 3313, fol. 155, nos 1327-1329 ; O1 3336, fol. 273 ro et vo, et fol. 342 vo, no 6. En 1787, Thierry de Ville d’Avray, directeur du Garde-Meuble de la Couronne, fit remplacer le placage de laque du bureau par un bois clair, meuble actuellement conservé aux Archives nationales (Verlet, 1990, t. I, p. 8-11). 9. AN, O1 3659, no 158 et nos 28, 29 et 79 ; O1 36646, fol. 25 vo-31, nos 1-5, 10-16, 17, 19, 24, 26, 28, 29, 35, 36, 38, 39, 40, 42, 46, 49, 57, 72, 73, 75-79, 85, 90, 91, 93, 158, 632. Les autres cabinets et coffres mentionnés n’avaient probablement pas été inventoriés. Alcouffe, 1989 ; Castelluccio, 2002, p. 187-189, et à paraître. 10. AN, O1 3314, fol. 50 vo, no 97. 11. Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, ms fr 7812 : cabinets nos 19, 20, 26, 27, 29-32, 41-46, 100-103, 141, 227 et 769 ; coffres nos 21, 28, 106-108, 110. Annonces, affiches et avis divers, 25 juin 1751, p. 97, et 1er juillet 1751, p. 112. 12. Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, ms fr 7813, fol. 11 vo ; AN, O1 366410, fol. 11 vo-12 : cabinet no 774 et coffres nos 27, 30, 31, 78 et 108 et divers nos 6, 8, 25, 60, 61, 64-68, 83. 13. AN, O1 3344, fol. 2 avec le cabinet no 31, et fol. 354-357 vo avec les paravents nos 7, 9, 20-23, 107, le coffre no 80 et la chaise d’affaire no 82. 14. Restaient dans les réserves du GardeMeuble des soucoupes et des tasses de vernis de Chine doublées d’argent, quantités de boîtes, deux coquilles, deux lanternes… (AN, O1 3344, fol. 300, no 388, fol. 346 vo, no 48, fol. 350, no 87…). 15. AN, O1 3336, fol. 115 ro et vo, nos 29-32, fol. 116 vo-117, nos 41-42, fol. 117 vo, no 46. 16. Gersaint, 1747, p. 116.

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Malgré la réussite esthétique de ces meubles et les économies réalisées avec la fourniture du matériau le plus coûteux, le Garde-Meuble vendit la quasi-totalité de ses laques. Lors d’une première vente aux enchères qui se tint aux Tuileries entre le 18 avril et le 17 mai 1741, trois cabinets, six coffres et plusieurs boîtes ou cassettes furent aliénés 9. Le 3 février 1751, un cabinet fut vendu au Louvre 10, puis vingt-cinq cabinets, cinq coffres et une cassette aux Tuileries en juillet et août suivants 11. En juillet et août 1752, toujours aux Tuileries, un cabinet et trente-six coffres, dont tous ceux acquis en 1720, connurent les enchères 12 . En 1775, le Garde-Meuble de la Couronne ne conservait plus qu’un cabinet, sept paravents, un coffre et une chaise d’affaire 13. Gaspard-Moïse-Augustin de Fontanieu, nouvel intendant du Garde-Meuble, avait effectué un choix pragmatique afin de faire de la place dans ses réserves. Il aliéna relativement peu de petits objets, a priori guère utiles au service du roi et des membres de la famille royale 14, mais ceux-ci n’étaient pas encombrants et leur vente aurait peu rapporté. En revanche, tous les cabinets et la quasi-totalité des coffres furent dispersés : passés de mode depuis la fin du xviie siècle, ils n’étaient plus utilisables tels quels dans les appartements royaux, d’autant plus que certains d’entre eux avaient perdu leurs tiroirs, employés à la fabrication de boîtes pour Louis XIV et Marie-Thérèse 15. Malgré cela, ils auraient pu constituer une extraordinaire réserve de panneaux pour la création de meubles plaqués de laque, mais, bien que certainement japonais, ces cabinets étaient considérés comme chinois, ce qui explique leur vente. Le Garde-Meuble conserva tous les paravents japonais, si admirés et dont les feuilles offraient de grandes surfaces planes à découper pour un encombrement moindre, une fois pliés, que les coffres et les cabinets. Collectionneurs et merciers achetèrent ces derniers à des prix raisonnables, alors qu’ils commençaient à en constater la rareté 16 . Louis XV préférait le laque sur des meubles d’ébénisterie, intérêt cependant relatif, car, sur les deux mille deux cent trente-cinq commandés au cours de son règne, seuls soixante-quatre étaient ainsi ornées. À deux exceptions près, tous avaient été livrés entre 1744 et 1755, soit pendant l’apogée du style rocaille, mais seulement douze prenaient place dans les appartements du Roi. Le 22 juin 1748, Duvaux livra un secrétaire et une encoignure ornés de laque de Chine noir et or pour l’entresol du Roi à Compiègne 17. Avant 1749, Louis XV plaça dans son cabinet en entresol à Choisy la commode fournie par le marchand Julliot le 7 novembre 1741 pour la chambre de la comtesse de Mailly dans ce même château 18 . En 1755, l’ébéniste Joubert livra, le 1er février, une encoignure pour le Grand Trianon ; le 15 février, un secrétaire pour Choisy ; et le 11 septembre, deux commodes pour la chambre du Roi à Fontainebleau, tous plaqués de laque. La dernière livraison eut lieu le 11 mai 1768, avec deux commodes, dont une de laque fond rouge à fleurs, destinées à la chambre et au cabinet de Louis XV au tout nouveau Petit Trianon 19. À cet ensemble s’ajoutait un « secrétaire d’ancien lacq » acheté par le roi à Duvaux, le 17 décembre 1750, lequel resta la propriété personnelle du souverain, car il n’apparaît dans aucun inventaire du Garde-Meuble 20 . Tous prirent place dans des pièces où vivait Louis XV, chambres et cabinets, mais uniquement dans des résidences de campagne. Le roi semble avoir considéré les meubles de laque comme des créations élégantes et raffinées mais dont l’aspect original ne leur conférait pas un prestige suffisant pour prendre place à Versailles, siège officiel de la monarchie, même dans son Petit Appartement. Sensible au goût de son siècle, Louis XV sut apprécier les charmes des meubles de laque mais leur préféra les maqueteries de bois. Entre 1751 et 1757, le souverain acheta également chez Duvaux un cabinet, cinq cabarets et autant de caves ou nécessaires et six boîtes, dont une seule apparaît comme étant « pour luy 21 ». À sa mort, Louis XV possédait en propre deux tablettes à portraits de laque, un nécessaire en or dans un coffre de laque, deux autres en or et porcelaine de Sèvres dans des coffres respectivement de laque noir et de laque rouge, deux coffrets de laque noir et un rouge, dont l’un d’entre eux peut-être en vernis Martin 22 . Toutes ces pièces remplissaint avant tout une fonction pratique de contenant élégant et n’étaient pas considérées comme des objets décoratifs destinés à le délectation esthétique de leur propriétaire.


Fig. 2 Antoine-Robert Gaudreaus (vers 1682-1746), Commode (détail de la notice no 25), chêne, noyer, merisier, palissandre d’Amérique, bronze doré, laque du Japon, vernis européen et marbre rouge de Belgique, Paris, 1744, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. V 2014.1.

Les porcelaines La première livraison de porcelaines orientales pour l’usage de Louis XV eut lieu le 16 décembre 1741, pour sa garde-robe à Choisy. Le marchand Julliot apporta, outre une aiguière et son bassin, un gobelet à lait avec sa soucoupe et quatre pots à pâte de porcelaine de Chantilly, « deux pots pourris de porcelaine du Japon fond blanc, à fleurs de couleurs, garnis de bronze doré d’or moulu ; un lion d’ancienne porcelaine bleu céleste garni en bougeoir de bronze doré d’or moulu avec fleurs de porcelaine ; un autre bougeoir de porcelaine blanche avec quelques ornemens dorez d’or moulu ; deux petits fruits en pot à thé de porcelaine ancienne verte ; deux petits pots pouris sur terrasse, avec pagode de porcelaine 23 ». Contrairement aux pièces de Chantilly, celles d’Orient jouaient un rôle essentiellement décoratif, mais toutes demeuraient dans une garde-robe. La première fourniture de ce type pour Versailles apparaît le 18 mai 1743, avec la « fontaine de porcelaine ancienne truitée gris », montée en bronze doré, accompagnée de sa jatte de 63


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17. AN, O1 3314, fol. 90 vo-91, nos 1463-1464. 18. AN, O1 3313, fol. 67 vo, no 1271 ; AN, O1 3393. 19. AN, O1 3316, fol. 51, no 1969 (palais de Trianon), fol. 52 vo, no 1971 (Choisy), fol. 77 vo, no 2016 (Fontainebleau) ; O1 3318, fol. 193, no 2480 (château de Trianon). La commode de la chambre du Roi à Fontainebleau est conservée, déplaquée, à la Wallace Collection, à Londres (Verlet, 1994, t. III, p. 117-119 ; Hughes, 1996, t. I, p. 298-301). 20. Courajod, 1873, t. II, p. 70, no 678. 21. Ibid., p. 82, no 791, p. 84, nos 805 et 811, p. 110, no 1101, p. 147, nos 1306 et 1346, p. 182, no 1614, p. 185, no 1641, p. 188, no 1672, p. 262, nos 2304 et 2351, p. 318, no 2800, p. 345, no 3002. 22. AN, KK 153.3, nos 26, 27, 62, 64, 65, 69, 72, 76. 23. AN, O1 3313, fol. 72 ro et vo. 24. AN, O1 3313, fol. 113 vo. Cf. notice no 22. 25. AN, O1 3451, p. 16. 26. AN, O1 29862. 27. Courajod, 1873, t. II, p. 70, no 70, p. 130, no 1173, p. 211, no 1856, p. 228, no 2006, p. 241, no 2137, p. 250, no 2192, p. 307, no 2700, p. 376-377 no 3240. 28. AN, O1 3660 ; O1 36645 ; Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, inv. ms fr 7813, fol. 20 sqq. Annonces, affiches et avis divers, 20 juillet 1752, p. 445, et 14 août 1752, p. 500 ; Castelluccio, 2012, p. 63-64. 29. AN, O1 3342, fol. 327-329 vo, nos 1-20. Castelluccio, 2012, p. 65.

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Fig. 3 Adam Weisweiler (1746-1820), Secrétaire fabriqué avec une chaise d’affaire de laque du Japon, fournie par le Garde-Meuble, livré par le marchand mercier Dominique Daguerre, le 14 janvier 1784, pour le Cabinet intérieur de Louis XVI à Versailles, coll. part.

même matière et agrémentée de « deux gros chiens de porcelaine ancienne fond blanc et couleurs », livrée par Thomas-Joachim Hébert pour la garde-robe de la nouvelle chambre de Louis XV 24. Vingt-deux ans plus tard, cette pièce contenait également « deux fumeurs chinois de porcelaine blanche ; […] un grand vase de porcelaine orné de bronze ; deux cassolettes 25 », soit un ensemble décoratif exclusivement constitué de porcelaines orientales, mais toujours disposé dans une garde-robe. Louis XV semble avoir apprécié de telles fontaines, car, le 28 juin 1749, le marchand faïencier Germain Bazin lui en fournit une autre pour Compiègne, de « porcelaine de la Chine couleur, à costes plates derrières, garnie de son robinet d’argent », avec sa jatte de « même porcelaine oval à costes pour metre dessous 26 ». Entre 1750 et 1757, le roi acquit seize vases


d’ornement chez Duvaux, tous montés en bronze doré, dont un était de porcelaine bleue, accompagné de deux pots-pourris de terre des Indes, deux autres de Perse, trois bleu céleste et six céladons. Ces proportions reflétaient-elles le goût du souverain ou étaient-elles dues au hasard du marché et aux ressources de la boutique de Duvaux ? Le roi acheta également six girandoles ornées pour une paire de paons bleu et blanc, pour une autre de magots bleu céleste et pour la dernière de magots blancs, laquelle déplut et fut rapportée. Ces achats ne comportaient aucune pièce bleu et blanc ou polychrome : Louis XV préférait apparemment les couvertes unies, quant aux pièces polychromes, les créations européennes, de Saxe puis celles de Vincennes et enfin de Sèvres, manufacture dont il était propriétaire, eurent toutes ses faveurs. Les porcelaines acquises chez Duvaux gagnèrent Choisy, Versailles, la Muette, le palais de Trianon et Compiègne 27. Ces achats de porcelaines orientales surprennent, car si le Garde-Meuble était assez pauvre en figures humaines et en statuettes d’animaux, en revanche, Louis XV aurait pu puiser parmi les quelque trois mille vases, dont quinze céladons, pour les faire garnir par Duvaux. Les jugea-t-on en mauvais état ou démodés ? Fontanieu et Louis XV décidèrent d’en vendre une grande partie du 21 juillet au 22 août 1752 aux Tuileries 28, puis la casse et sans doute des disparitions régulières plus ou moins avouables entraînèrent de telles pertes qu’en 1775 le Garde-Meuble ne conservait plus que vingt et un vases, un canard et quatre théières 29.

Fig. 4 Boîte transformée en chaise d’affaire, dite « du duc de Richelieu », Japon, 1640-1660, Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, inv. T 552 C.

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LOUIS X VI

30. AN, O1 34007, p. 3 ; O1 3381, fol. 6 vo-7, 8, 9-9 vo. 31. AN, O1 339322. 32. Ibid. Le bureau est dit sans numéro et la commode portait le numéro 1198. 33. AN, O1 3315, fol. 3-3 vo, no 1604 ; O1 3344, fol. 189-189 vo ; O1 34326. 34. AN, O1 34327 ; leur numéro d’inventaire n’est pas précisé. 35. AN, O1 36311 ; O1 3344, fol. 355 vo, chaise d’affaire no 82 ; O1 3463, p. 42-43. 36. AN, O1 3646 ; O1 34327 ; O1 3430, p. 6, 8. Verlet, 1990, IV, p. 116-121. Les seuls paravents du Garde-Meuble susceptibles d’avoir été employés portaient les numéros 7, 20, 21, 96 ou 170 (AN, O1 3344, fol. 354354 vo, 356-356 vo, 357 vo). Une de ces commodes, désormais plaquée de marqueterie de marbre, appartient au J. Paul Getty Museum à Los Angeles ; l’autre, également modifiée, se trouve au palais royal de Madrid. 37. AN, O1 3342, fol. 330-335 vo, nos 27-81. Affiches, annonces et avis divers, 25 janvier 1786, p. 218. 38. AN, O1 3282. Aucune porcelaine d’Extrême-Orient n’apparaît explicitement dans les petites annonces détaillant les ventes du fonds du Garde-Meuble qui eurent lieu du 5 novembre 1793 à fin juin 1794 (Annonces, affiches et avis divers, 11 brumaire an II (1er novembre 1793), p. 4633 ; 30 frimaire an II (20 décembre 1793), p. 5361 ; 19 nivôse an II (8 janvier 1794), p. 5615 ; 30 pluviôse an II (18 février 1794), p. 6225 ; 7 ventôse an II (25 février 1794), p. 6325 ; 24 ventôse an II (14 mars 1794), p. 6609 ; 11 germinal an II (31 mars 1794), p. 6904 ; 1er floréal an II (20 avril 1794), p. 7233 ; 21 floréal an II (10 mai 1794), p. 7573 ; 10 prairial an II (29 mai 1794), p. 7823, et 1er messidor an II (19 juin 1794), p. 8126). 39. Archives départementales des Yvelines, II Q 73 ; Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, inv. ms fr ms fr 7818. Castelluccio, 1996, p. 115-121. 40. AN, O1 3381, fol. 20. 41. AN, O1 3029B. Je remercie Christian Baulez de m’avoir indiqué ce document. 42. Baulez, 2000, p. 26-27. 43. Baulez, 1991. 44. Beauchamp, 1909, p. 85, 88, 96, 101, 109, 112, 117. 45. Ephrussi, 1879 : « Ce que l’on trouva dans les appartements de Marie-Antoinette, à Versailles, le 10 octobre 1789. Inventaire de Lignereux », 10 juin 1908, p. 880-884 ; Versailles, 2001. 46. Verlet, 1990, IV, p. 48-51.

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Les laques Louis XVI conserva les meubles de laque de son grand-père à Fontainebleau et à Choisy 30 . À Compiègne, il disposa dans son cabinet avant sa chambre des Bains, la commode de la comtesse de Mailly de l’entresol du Roi 31. En 1785, le cabinet à la Poudre du Roi reçut un bureau et une commode, tous deux plaqués de laque 32 . À l’occasion du démeublement de Choisy, en 1787, le 24 décembre de cette année, la commode livrée par Hébert le 16 juin 1750, « pour servir dans les maisons royales », partit pour le cabinet du Conseil de Saint-Cloud 33. En avril 1788, la pièce des Nobles du Roi de cette résidence reçut deux commodes, respectivement en vieux laque et en faux laque 34. Tous ces meubles, réalisés dans les années 1740, paraissaient bien démodés pour les appartements intérieurs du Roi, même dans des résidences de campagne où la volonté d’ostentation était moins forte. Ces ameublements, probablement considérés comme provisoires dans l’attente du mobilier définitif, ne reflétaient pas un intérêt personnel de la part de Louis XVI, qui commanda seulement trois meubles de laque. Le marchand Dominique Daguerre livra le premier, le 14 janvier 1784, avec un grand secrétaire à abattant destiné au cabinet intérieur du Roi à Versailles et fabriqué par l’ébéniste Adam Weisweiler (fig. 3). Le Garde-Meuble avait délivré pour sa réalisation la chaise d’affaire de laque du Japon, dont le musée de Versailles possède un exemplaire équivalent (fig. 4), et Daguerre avait fourni les panneaux complémentaires 35. Dans le premier semestre 1788, l’ébéniste Guillaume Benneman exécuta, sous la direction de Jean Hauré, une paire de commodes destinée à la chambre du Roi à Saint-Cloud, avec « 4 feuilles de paravents en laque provenant du fond du Gardemeuble de la Couronne donné pour faire ces commodes 36 ». Ces trois pièces demeuraient très minoritaires comparées à l’ensemble du mobilier d’ébénisterie commandé pour le souverain, particulièrement à partir de 1784-1785, conséquence de la politique de remeublement des résidences royales décidée par le ministre des Finances Calonne. Toutefois, les meubles de laque avaient suffisamment gagné en prestige pour être désormais estimés dignes de prendre place dans le cabinet de travail du Roi à Versailles et dans la chambre du Roi à Saint-Cloud, soit dans la résidence officielle du souverain, la seconde étant destinée à le devenir pendant les futurs travaux de reconstruction de Versailles. Les porcelaines Les dernières porcelaines orientales du Garde-Meuble disparurent au cours du règne de Louis XVI. Celles disposées dans le château du Val depuis le règne de Louis XIV sont probablement les « porcelaines antiques » vendues les 26 et 27 janvier 1786 au château de Saint-Germain 37, tandis que le nouvel Inventaire général en cours de rédaction après 1785 « n’en comporte pas 38 ». Ainsi, toutes celles présentes dans les appartements du Roi relevaient soit des Menus-Plaisirs, soit de la propriété personnelle du souverain. Louis XVI nourrissait une véritable passion pour les créations de la manufacture de Sèvres, les plus nombreuses dans ses appartements : Marly et Fontainebleau ne contenaient que cela 39. En 1787, « deux pots-pourris de porcelaine de la Chine portés chacun sur deux chiens et garnis de bronze doré d’or moulu » ornaient le grand salon des Jeux de Choisy avec deux bouquets de porcelaine de Saxe 40. À Versailles se trouvaient « 2 vases en porcelaine du Japon fond bleu, forme oblongue à personnages chinois, arbres, montés sur leurs pieds de bois dorés et garnis par le haut de bronze idem », placés sur la cheminée du salon de l’Œil-de-Bœuf. Ils sont peut-être à rapprocher des quatre vases du Japon ornés du même décor et montés en bronze doré, livrés en 1770 par le mercier Jacques Fallavel pour le futur Louis XVI à l’occasion de son mariage 41. Devenu souverain, il les disposa dans son antichambre, de part et d’autre de l’ancienne pendule en vermeil de Louis XIV. La salle à manger des Porcelaines abritait un vase « en porcelaine des Indes fond bleu à médaillons fond blanc, personnage chinois ; le pied et la gorge garni de cuivre doré d’or moulu ». Ainsi, sur les cent treize vases présents dans le Petit Appartement du Roi, seuls trois venaient d’Extrême-Orient et au moins cent cinq de Sèvres 42 .


L’appartement du Roi à Saint-Cloud détenait le record avec deux rouleaux de porcelaine de Chine bleu et blanc à bouchon en cuivre doré, trois pots-pourris en terre de Chine à fleurs et feuillages en relief et deux perroquets ancien Japon bleu montés en girandoles. Il y en avait autant que de porcelaines de Saxe, mais toujours nettement moins que de porcelaines de Sèvres, au nombre de quarante-sept 43. Les porcelaines présentées à Choisy et à Versailles étaient probablement un héritage de Louis XV et celles de Saint-Cloud avaient sans doute été apportées entre 1789 et 1791. En effet, les comptes de Louis XVI ne mentionnent aucune acquisition à titre privé de porcelaines de Chine ou du Japon, tandis que les paiements à Sèvres sont réguliers et importants 44. L’ aspect lacunaire des textes et le statut des porcelaines relevant au xviiie siècle de la propriété privée du souverain, donc absentes des inventaires officiels, entraînent une vision très certainement parcellaire de ces ensembles. Les souverains français suivirent la mode de leur temps sans zèle excessif, et la modestie des ensembles réunis dans leurs appartements contrastait avec l’importante collection de laques et de porcelaines constituée par Marie-Antoinette 45. Les contemporains considéraient laques et porcelaines comme des objets d’art, à l’égal des meubles et objets décoratifs européens, et non comme des œuvres d’art telles que les peintures et les sculptures : ils ne participaient donc pas à l’expression de la dignité du trône, mais relevaient du divertissement et du goût personnel du roi. Pour cette dernière raison, ils prenaient généralement place dans la partie privée de son appartement où leur présence, ou leur absence, dépendait de la seule volonté du souverain et ne prêtait pas à conséquence. De plus, en France, le rôle de protecteur des arts supplantait celui de collectionneur : pour le souverain, il était bien plus prestigieux d’encourager la création par des commandes aux artistes et aux manufactures pour donner des emplois et soutenir l’économie. Ainsi, malgré leur beauté et leur richesse, les meubles de laque ne reflétaient que de manière anecdotique le savoir-faire technique du royaume. En revanche, le somptueux bureau plat de vernis Martin à l’imitation du laque de Chine rouge et or, livré par Joubert le 22 décembre 1759 pour le Cabinet intérieur de Louis XV à Versailles (fig. 1), démontrait de manière spectaculaire l’excellence de l’artisanat parisien dans ce domaine 46 . Pendant le règne de Louis XIV, aucun particulier n’était en mesure de rivaliser avec les ensembles royaux de porcelaines et de laques d’Orient, situation qui s’inversa au cours du xviiie siècle. Ainsi, les grands collectionneurs, comme le duc de Tallard, Randon de Boisset, Blondel de Gagny ou le duc d’Aumont, possédaient bien plus de laques et de porcelaines de Chine et du Japon que de créations de Sèvres. Or le roi n’avait pas à être reconnu comme un connaisseur en porcelaines d’Extrême-Orient et aucun particulier ne pouvait rivaliser avec l’importante collection royale de Sèvres : le souverain jouait en cela son rôle attendu de protecteur des arts.

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17. COUPE DU PAVILLON ROYAL DU CHÂTEAU DE MARLY

En mai 1693, le diplomate suédois Cronström vit dans les pièces Anonyme français de réception de Trianon, « partout de grands tableaux mis au Dessin à la plume, à l’encre noire et au lavis sur papier 1699-1714 dessus des cheminées et les corH. : 0,265 m ; L. : 0,330 m niches sont ornées de grandes 1 Paris, Archives nationales, O 1472.5 porcellaines et de bronzes 1 ». Bibliographie : Benech, Castelluccio et Mabille, 2011, pl. 4. Louis XIV en avait également disposé à Marly, et la Coupe du Pavillon royal, dressée entre 1699 et 1714, montre la présence, dans les vestibules, d’un vase sur le pied de la table et d’une grande jatte sur le plateau, tous deux de porcelaine bleu et blanc. La pose, en 1702, de deux cheminées dans les vestibules nord et sud, puis en 1758 de deux poêles dans ceux de l’est et de l’ouest, entraîna progressivement le retrait des tables et de leurs porcelaines avant la fin de l’Ancien Régime 2. En revanche, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, chacun des huit buffets d’angle du salon portait une grande urne à couvercle, dont la taille oscillait entre 23 et 26 pouces (environ 0,622 et 0,703 mètres). De telles proportions s’imposaient pour équilibrer l’ampleur des buffets et la hauteur du salon. Quatre de ces urnes, toutes de porcelaine bleu et blanc, présentaient un décor « de fleurs, feuilles et grands branchages bleu en rainceaux » ; deux autres, « quatre grands dragons et des nuages bleu » ; la septième montrait « quatre grands cartouches ovales remplis de païsages, figures chinoises et cabannes bleu » et la dernière, « de grands oiseaux terminés en rainceaux et de fleurs et branchages bleu 3 ». Contrairement au goût de la fin du xviie siècle, il n’y a aucune accumulation et ces porcelaines remplissaient une fonction décorative dans un espace où le roi ne vivait pas. Le décor et le mobilier du salon ne changèrent pas jusqu’à la disparition du château au cours de la Révolution. S. C. 1. Tessin et Cronström, 1964, p. 23. 2. Le Mobilier national a déposé une de ces tables au château de Versailles (Versailles, 2011, p. 51-55). 3. AN, O1 3335, fol. 231 ro et vo, nos 629-632 ; O1 3342, fol. 329, nos 21-24. Castelluccio, 1996, p. 54, 57-58, 77.

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18. PORTRAIT DU GRAND DAUPHIN

Le modèle est présenté ici en Atelier de Hyacinthe Rigaud (1659-1743), armure, la taille ceinte d’une d’après Joseph Parrocel (1646-1704) écharpe de commandement et Huile sur toile levant de la main droite le bâton Début du xviii e siècle de maréchal devant le siège de H. : 1,48 m ; L. : 1,17 m Philipsbourg en 1688. Écrasé Historique : anc. coll. Entré à Versailles sous Louis-Philippe par la figure de son père et desVersailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon Inv. MV 3598 servi par le portrait à charge Bibliographie : Constans, 1995, p. 757, no 4271. dressé par le duc de Saint-Simon dans ses Mémoires 1, le Grand Dauphin, fils de Louis XIV, a été négligé par l’histoire. Cependant, son magnifique appartement au château de Versailles, sa résidence de Meudon et ses collections de vases de pierres dures et de porcelaines témoignaient de son raffinement et de sa sensibilité 2. Le Grand Dauphin se distingua par son goût pour les porcelaines de Chine et en laissa trois cent quatre-vingts à son décès 3. Les polychromes, au nombre de vingt-sept, ne l’avaient pas fasciné, tandis qu’aucune pièce du Japon n’était mentionnée. Alors rares sur le marché européen, ses seize monochromes composaient au contraire un ensemble exceptionnel, avec pour chef-d’œuvre une buire de porcelaine céladon du xive siècle à décor de fleurs en relief, garnie d’une monture d’argent doré émaillé contemporaine 4. La passion du Grand Dauphin demeurait cependant les bleu et blanc, avec trois cent trentesix pièces, dont cent soixante-neuf disposées dans son Cabinet doré à Versailles, admiré par les ambassadeurs de Siam en novembre 1686, qui s’étonnaient « de ce que les Indes estaient plus dans son Cabinet que dans les Indes même, puisqu’on y voyait l’élite de ce qu’elles pouvaient avoir jamais 70

eu de plus beau 5 ». Trente-six ans après la mort du prince, Gersaint écrivait que « c’était surtout à cette sorte d’ancien bleu et blanc à broderie, que Monseigneur, dont on a connu le goût pour l’ancienne porcelaine, donnait la préférence. C’est en effet celle que les vrais connaisseurs regardent comme la plus belle, pour la finesse de la pâte, la douceur de son blanc, la perfection du bleu et enfin la délicatesse des ornemens. Qualités qui lui ont fait donner le nom de porcelaine à broderie, pour la distinguer des autres 6 ». Effectivement, cent vases, soit un tiers, portaient un décor de broderie, dont quinze présentaient une garniture de cuivre doré et trente-huit d’argent doré. Huit porcelaines, considérées par le prince comme les plus belles, étaient montées en or, à l’égal de certains vases de pierres dures. À la mort de Monseigneur, ses porcelaines furent vendues aux enchères à Marly. Les amateurs s’y pressèrent et la réputation exigeante qu’il avait en ce domaine devint une référence et un gage de qualité pour les bleu et blanc proposés à la vente, et cela jusqu’à la fin du xviiie siècle 7. S. C.

1. Saint-Simon, 1983-1988, t. IV, p. 78-96. 2. Angulo Íñiguez, 1989 ; Castelluccio, 2002, p. 136-152, 168-176. 3. Watson et Whitehead, 1991 ; Castelluccio, 2002, p. 154-158. 4. Un dessin de Gaignières reproduit cette porcelaine avec sa monture (Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, ms fr 20070, fol. 8). La porcelaine, dépourvue de sa monture, est actuellement conservée à Dublin, au National Museum of Ireland. 5. Mercure galant, novembre 1686, 2e partie, p. 319 ; Carlier, 1989, p. 48-50 ; Castelluccio, 2002, p. 162-163. 6. Gersaint, 1747, p. 31, 47. 7. Castelluccio, 2013, p. 142-146.



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Vase bouteille à décor de personnages et de paysage Chine, Jingdezhen Époque Transition (1630-1660) Porcelaine H. : 0,37 m ; D. : 0,18 m Historique : coll. Ernest Grandidier (1833-1912) Paris, musée national des Arts asiatiques Guimet Inv. G 2818

Vase en forme de huagu à décor floral Chine, Jingdezhen Époque Kangxi (1662-1722) Porcelaine H. : 0,53 m ; D. : 0,24 m Historique : coll. Ernest Grandidier (1833-1912) Paris, musée national des Arts asiatiques Guimet Inv. G 2306

19. SEPT VASES DE CHINE EN BLEU ET BLANC, ÉQUIVALENTS DES PIÈCES FIGURANT DANS LES COLLECTIONS DU GRAND DAUPHIN

Jarre à décor de personnages et de paysage Chine, Jingdezhen Époque Kangxi (1662-1722) Porcelaine H. : 0,43 m ; D. : 0,25 m Historique : coll. Ernest Grandidier (1833-1912) Paris, musée national des Arts asiatiques Guimet Inv. G 124 ou G 124 bis

Dans la seconde moitié du xvii e siècle, à partir des années 1680, les porcelaines à décor bleu et blanc composaient la majorité des importations de porcelaine des Compagnies des Indes. La baisse des prix permit aux particuliers d’en acheter de plus grandes quantités et la mode se saisit de cette abondance nouvelle : les porcelaines envahirent les appartements pour prendre place sur les corniches, sur les dessus-de-porte et les dessus de cheminée, sur les cabinets et les tables, dans des proportions parfois excessives. Selon Richelet, l’expression « garniture de cheminée, terme de faïencier [désignait l’ensemble des] pots de faïence ou petites porcelaines enjolivées qui parent une cheminée (Acheter une belle garniture de

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Vase en forme de huagu à décor de fleurs et d’animaux fantastiques Chine, Jingdezhen Époque Kangxi (1662-1722) Porcelaine H. : 0,48 m ; D. : 0,22 m Historique : coll. Ernest Grandidier (1833-1912) Paris, musée national des Arts asiatiques Guimet Inv. G 3940

cheminée) ». Une telle réunion de pièces serait donc une idée de marchands, idée commercialement pertinente car elle permettait de vendre plusieurs pièces en une fois. Faïenciers et merciers, lesquels se partageaient le commerce des porcelaines, proposaient rarement des garnitures constituées 1. Plus souvent, le client la composait lui-même en fonction de ses goûts et de sa destination à partir des ressources de la boutique du marchand. Ces ensembles comprenaient toujours un nombre impair de porcelaines, disposées symétriquement par rapport à une pièce centrale avec un jeu d’alternance sur les tailles, les formes et parfois les décors. Une garniture comprenait au moins cinq pièces et, plus généralement, de sept à neuf pièces, pour monter jusqu’à vingt-cinq. Monseigneur avait ainsi placé sur la cheminée de sa chambre


Jarre à décor de personnages et de paysage Chine, Jingdezhen Époque Kangxi (1662-1722) Porcelaine H. : 0,43 m ; D. : 0,25 m Historique : coll. Ernest Grandidier (1833-1912) Paris, musée national des Arts asiatiques Guimet Inv. G 124 ou G 124 bis

Vase en forme de huagu à décor d’Européens Chine, Jingdezhen Époque Kangxi (1662-1722), vers 1700 Porcelaine H. : 0,53 m Historique : acquis en 1987 Paris, musée national des Arts asiatiques Guimet Inv. MA 5062

à Versailles une garniture de neuf pièces, constituée de cinq grandes urnes et quatre bouteilles 2. À Meudon, le prince en avait posé trois sur la cheminée de son antichambre et cinq dans son Grand Cabinet 3. La duchesse de Luynes détenait le record de la plus importante garniture, avec trente-sept pièces en 1684. En ce cas, les porcelaines étaient rangées sur deux ou trois rangs. Au xviie siècle, il n’était pas rare de mêler porcelaines de Chine et faïences, afin de privilégier un spectaculaire effet d’ensemble 4. Ce principe d’ensembles ornementaux cohérents et à la composition variée connut un grand succès jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Au xviiie siècle, les garnitures comptaient désormais entre trois et sept pièces et rarement plus de neuf, tandis que la vogue des bleu et blanc diminuait. Cela entraîna

Vase bouteille à décor de fleurs et d’oiseaux Chine, Jingdezhen Époque Transition (1630-1660) Porcelaine H. : 0,45 m ; D. : 0,20 m Historique : coll. Ernest Grandidier (1833-1912) Paris, musée national des Arts asiatiques Guimet Inv. G 4788

soit la réduction du nombre d’éléments dans les garnitures, soit le démembrement de ces dernières pour en faciliter la vente à l’unité. Quelques rares amateurs, de moins en moins nombreux, en conservaient, malgré les aléas de la mode : en 1745, le chevalier de La Roque possédait cinq garnitures de bleu et blanc, Angran de Fonspertuis deux ans plus tard en avait encore huit, et le duc de Tallard en 1756 en laissa quatre 5. S. C.

1. Richelet, 1680, art. « Garniture » ; Castelluccio, 2013, p. 25-27, 36, 40 ; Castelluccio, 2014, p. 25-28. 2. Inventaire de 1689, chapitre « Porcelaine », nos 194-202. 3. Versailles, bibliothèque municipale de Versailles, G 294 ; publié par Biver, 1923, p. 442-444. 4. Castelluccio, 2013, p. 52-55. 5. Ibid., p. 133, 143-146.

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20. PORTRAIT DE LOUIS XV

Comme son arrière-grand-père, Louis XV avait à cœur de protéHuile sur toile ger les manufactures et les artistes Vers 1761-1765 français. Aussi son goût pour les H. : 0,72 m ; L. : 0,56 m productions de la Chine et pour Historique : anc. coll. royales les œuvres françaises influencées Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon Inv. MV 190 par l’art chinois se manifesta-t-il Bibliographie : Constans, 1995, t. II, p. 901, no 5087. surtout dans les espaces privés Exposition : Francfort-sur-le-Main, 1986-1987, no 86-V.18 (repr.). qu’il occupait à Versailles et dans ses résidences favorites d’Île-de-France, notamment la Muette et Choisy. Le château de la Muette de Paris, où Watteau avait exécuté les premiers décors à la chinoise du xviiie siècle, fut acheté par Louis XV au Régent en 1719. Il fut totalement réaménagé entre 1741 et 1745 par Jacques V Gabriel et son fils, AngeJacques. Louis XV y séjourna très régulièrement dans les années 1750. À la Muette, le roi laissa libre cours à son goût pour la porcelaine de Chine. Le 9 avril 1754, Duvaux livra à « M. le Premier pour le Roy [à] la Muette deux pots-pourris de terre des Indes [de Chine] à relief, garnis en bronze doré d’or moulu, 288 l. […] Un plateau de lacq à rebord, 72 l. 1 ». Le 26 janvier 1755, le marchand vendait de nouveau à « M. le Premier : Pour la Muette, les pieds en bronze doré d’or moulu faits pour deux pots-pourris bleus, 18 l. 2 ». Le château de Choisy, acquis par Louis XV en 1739, abrita quelques années les amours du roi et de madame de Mailly, pour laquelle fut aménagée en 1742 la célèbre Chambre bleue, avec son mobilier peint en vernis français, à la façon des laques d’Extrême-Orient. Le goût chinois régnait aussi à Choisy dans l’appartement du Roi, comme nous le verrons plus loin. Atelier de Louis Michel Van Loo (1707-1771)

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Le goût du roi pour l’Extrême-Orient se manifesta également dans les nombreux cadeaux qu’il effectua, notamment chez le marchand Duvaux, à l’intention de membres de sa famille ou de madame de Pompadour. Ceux-ci étaient souvent constitués d’objets en laque d’Extrême-Orient. Ainsi, le 14 mai 1751, Duvaux livrait-il de la part du roi à Madame Adélaïde : « Une boëte à parfiler en lacq aventurine & or, garnie d’entrées & charnières d’or […] 365 l. 3. » Le 19 mai suivant, Madame Victoire recevait un présent similaire 4. Louis XV soutint avec constance l’action de son ministre Bertin, un sinologue averti, qui entretenait une correspondance assidue avec les jésuites français de Chine 5. Bertin obtint pour la France la fabuleuse commande des gravures des Conquêtes de l’empereur de la Chine 6. Afin d’entretenir les bonnes relations diplomatiques tissées avec la Chine depuis le règne de Louis XIV, ce dernier adressa au nom du roi des présents à l’empereur Qianlong, constitués entre autres d’instruments scientifiques, de pièces de porcelaine de Sèvres et d’une série complète de la Seconde Tenture chinoise, tissée à Beauvais d’après les esquisses de Boucher 7. M.-L. R.

1. Courajod, 1873, t. II, p. 211, no 1856. 2. Ibid., p. 232-233, no 1963. 3. Ibid., p. 84, no 805. 4. Ibid., p. 84, no 811. 5. Cf. l’essai de Constance Bienaimé et de Patrick Michel, p. 152-153, et notice no 55. 6. Cf. l’essai de Pascal Torres, p. 178-183. 7. Cf. notice no 54.



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21. LA CHASSE CHINOISE

Le cycle des neuf Chasses exotiques, dit « des Chasses en pays étrangers », Huile sur toile fut exécuté de 1735 à 1739 pour 1736 Louis XV par quelques-uns de Signée et datée en bas à gauche ses meilleurs peintres, François H. : 1,72 m ; L. : 1,27 m Boucher, Jean-François de Troy, Historique : anc. coll. de Louis XV ; mise en place en 1737 ; envoyée à la surintendance des Bâtiments en 1739 ; transférée Charles Parrocel, Nicolas Lancret, au Muséum central des arts en 1794 ; déposée de 1832 à 1922 Jean-Baptiste Pater et Carle Van au château de Fontainebleau. Dépôt du musée du Louvre Loo. Il était destiné à orner les au musée d’Amiens en 1923 Petits Cabinets du Roi, à Versailles. Amiens, musée de Picardie, dépôt du musée du Louvre, département des Peintures La première commande, datée Inv. musée d’Amiens 2088. Inv. musée du Louvre 7144 de 1735, comprenait six tableaux, Expositions : Amiens et Versailles, 1995-1996, no 12 (notice par dont La Chasse chinoise. Elle fut Xavier Salmon) ; Paris, 2007, no 12 (notice par Georges Brunel). ordonnée à l’époque où le duc d’Antin était surintendant des Bâtiments 1. L’ ensemble fut exécuté pour décorer la Petite Galerie, aménagée à Versailles dans le Petit Appartement du Roi, situé au deuxième étage, au nord de la cour de Marbre. La galerie était précédée à l’est d’une salle à manger d’hiver 2. Cette dernière fut diminuée en 1738 au profit de la Petite Galerie. Ces travaux d’agrandissement conduisirent à la commande de trois tableaux supplémentaires. Xavier Salmon a souligné en 1995 que les neuf peintures qui constituaient l’ensemble avaient été exécutées par des peintres d’histoire et non des peintres animaliers, et rappelé à juste titre le précédent rubénien, la célébrissime Chasse aux lions, de la Alte Pinakothek, à Munich 3. Tous les tableaux furent dotés d’une très riche bordure en bois doré d’esprit rocaille. Jean-Baptiste Pater (1695-1736)

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La Chasse chinoise n’eut pas, semble-t-il, le succès escompté car, dès 1739, elle fut envoyée à la surintendance des Bâtiments et remplacée par La Chasse à l’autruche de Carle Van Loo 4. Pater, disciple avec Lancret de Watteau, peintre de fêtes galantes, n’était sans doute guère habitué à peindre de grands tableaux d’histoire. Le Petit Appartement du Roi fut occupé quelque temps, à partir de novembre 1766, par la dauphine Marie-Josèphe de Saxe (1731-1767), après la mort de son époux, le dauphin Louis (1729-1765). La Petite Galerie fut transformée en grand cabinet pour la princesse. Les tableaux des Chasses furent déposés après son décès, survenu le 13 mars 1767 5. Les lieux furent ensuite réaménagés avant d’être occupés, à partir de décembre 1770, par la nouvelle maîtresse royale, la comtesse Du Barry. L’ ensemble des Chasses exotiques, transféré au Louvre à l’époque révolutionnaire, fut démantelé en 1801 lorsque quatre d’entre elles furent envoyées à Amiens pour le congrès de la Paix 6. Les neuf Chasses sont réunies au musée d’Amiens depuis 1923. M.-L. R.

1. Rosenberg, 1995-1996, p. 10. 2. Amiens et Versailles, 1995-1996, p. 21. 3. Ibid., p. 32-33. 4. Cf. à ce sujet Paris, 2007, p. 134. 5. Amiens et Versailles, 1995-1996, p. 30. 6. Babelon, in Amiens et Versailles, 1995-1996, p. 7.



L E G O Û T P E R S O N N E L D E S S O U V E R A I N S E T L’ O R I E N T A U X V I I I e S I È C L E

22. FONTAINE À PARFUM

Ce vase en porcelaine « truittée » repose sur une somptueuse Porcelaine à glaçure céladon craquelé et céramique brune, Chine, Jingdezhen, début de l’époque Qianlong (1736-1795) ; terrasse en bronze doré d’un goût monture en bronze doré, rocaille affirmé. Des roseaux et Paris, vers 1743 rinceaux de feuillage qui forH. : 0,58 m ; D. du vase : 0,34 m ment la terrasse surgit un cygne Historique : livrée le 18 mai 1743 par le marchand Hébert pour la garde-robe de Louis XV à Versailles 1 ; aux ailes éployées dont le bec attribuée après la mort du roi au duc d’Aumont ; vente, sert de robinet. Le couvercle, Paris, Aumont, 12 décembre 1782, no 193 ; acquise cerclé de feuillages en bronze par le marchand Julliot ; vente, Paris, galerie Charpentier, o doré, est sommé d’une écrevisse 17 mars 1956, n 51, pl. XVII. Donation Patiño en 1985 Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon de même métal. La monture Inv. V 5251 transforme ce vase balustre en o Bibliographie : Davillier, 1870, p. 105, n 193 ; Rochebrune, une fontaine à parfum. Les 1996, p. 4-5 ; Wolvesperges, 2007, p. 22, fig. 9 ; Rochebrune, bronzes évoquent la thématique 2011, p. 64-65 (repr.) ; Castelluccio, 2013, p. 155, fig. 129. de l’eau : coquilles, roseaux, cygne, écrevisse… L’ ensemble était accompagné à l’origine de deux chiens et d’une jatte en porcelaine de Chine, aujourd’hui disparus. Le fondeur auquel s’est adressé Hébert pour l’exécution des bronzes s’est sans doute inspiré d’un dessin des frères Slodtz, identifié en 1961 par Pierre Verlet 2. L’ objet fut attribué selon l’usage, après la mort de Louis XV, au premier gentilhomme de la Chambre, le duc d’Aumont (17091782). Ce dernier était un très grand collectionneur de porcelaines de Chine et du Japon, comme le montre le catalogue de sa vente après décès qui se tint à Paris en décembre 1782. Quatre cents pièces de porcelaines extrême-orientales figuraient dans le catalogue, distribuées en cent quatre-vingt-dix lots. Beaucoup furent achetées par Louis XVI et Marie-Antoinette par l’intermédiaire de Julliot. La fontaine fut acquise par ce dernier, mais on ignore pour qui 3. En 1782, elle était encore 78

accompagnée de ses chiens de porcelaine. Elle réapparut près de deux siècles plus tard à Paris, malheureusement démunie des deux chiens. Cette fontaine à parfum est à ce jour la seule pièce de porcelaine de Chine ayant appartenu à Louis XV bien identifiée. Le roi acheta pourtant d’autres porcelaines de Chine par l’intermédiaire d’Hébert, mais aussi de Duvaux, pour ses diverses résidences. Ainsi, le 17 décembre 1750, acquit-il chez ce dernier « Deux buires de porcelaine bleu-céleste garnies en bronze doré d’or moulu, 600 l. », probablement pour Versailles 4. Au milieu du xviii e siècle, il était habituel d’associer aux porcelaines d’ExtrêmeOrient les montures en bronze doré les plus luxueuses. Celles-ci permettaient aux fondeurs parisiens de montrer leur savoir-faire et rendaient ces porcelaines plus conformes au goût français le plus raffiné. M.-L. R. 1. Journal du Garde-Meuble : « Du 18 May 1743. Livré par le Sr Hébert. Pour servir dans la Garde-robe du roy à côté de la nouvelle chambre à coucher de Sa majesté […] Une fontaine de porcelaine ancienne truittée gris […], montée sur deux gros chiens de porcelaine ancienne fond blanc et couleurs, ornée de bronze doré d’or moulu, avec une écrevisse dudit bronze sur le couvercle […] » (AN, O1 3448, fol. 112). 2. Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie, H d 64, rés., fol. 50. 3. Davillier, 1870, p. 105, no 193 : « Un vase de forme lisbet, à tête de chimère, avec anneau saillant sur les côtés, bandeau de broderie en relief sur le bas du collet et de la panse, le tout de couleur brunâtre : ce vase formant fontaine, accompagné de deux chiens d’ancienne porcelaine de première sorte coloriée d’excellente qualité, est garni d’une écrevisse servant de bouton sur le couvercle, gorge, cigne et terrasse de bronze doré, et placé sur socle de bois peint […] Julliot […] 172 liv[res]. » 4. Courajod, 1873, t. II, p. 70, no 678.




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