La Cité internationale universitaire de Paris (extrait)

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Introduction

C

réée au lendemain de la Première Guerre mondiale, la Cité internationale universitaire de Paris est une institution de caractère original, formée d’un ensemble de « maisons » ayant chacune leur personnalité et leur architecture singulière, reflet de leur pays d’origine. À la différence des créations contemporaines de Madrid, Oslo ou Athènes, elle ne comprend aucun espace d’enseignement, mais seulement des résidences, étrangères et françaises, dotées d’équipements exceptionnels offrant aux étudiants la possibilité de vivre ensemble dans un cadre qui leur rappelle leurs cultures respectives. Principal pôle d’accueil en Île-de-France des étudiants et des chercheurs, elle héberge aujourd’hui près de 6 000 résidents de 130 nationalités dans un parc immobilier qui illustre un demi-siècle de création architecturale et urbaine.

La galerie d’inspiration historicisante qui marque l’entrée de la Cité.

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L’histoire


Une « école des relations humaines pour la paix »

L

a Cité doit son existence à l’imagination créatrice d’André Honnorat, ministre de l’Instruction publique en 1920, et de quelques personnalités d’exception, intellectuels et mécènes, qui voient dans la création d’un foyer international une œuvre de rapprochement au service de la paix. L’impact de la Grande Guerre et son terrible bilan humain ont suscité un sursaut humaniste et pacifiste à l’origine de la Société des Nations. Contemporaine de l’organisation de Genève, la Cité universitaire est issue du même optimisme réformateur : ses fondateurs souhaitent réaliser une « société des étudiants de toutes les nations », un lieu d’éducation et de rencontre des futures élites internationales. Par le travail et la vie en commun, celles-ci apprendront à se connaître et noueront des amitiés durables afin, de retour dans leurs pays, de se faire les apôtres « de la solidarité humaine, du rapprochement des peuples et de la paix universelle ». À cet idéal politique s’ajoutent des exigences sociales et culturelles, qui mettent à l’ordre du jour la question du logement étudiant. Le renchérissement de la vie consécutif à la guerre affecte tout particulièrement la jeunesse des classes moyennes et lui rend difficile l’accès à l’enseignement supérieur : en 1921, l’Académie de Paris ne compte plus que 7 000 étudiants français, la moitié de ses effectifs d’avant-guerre. La crise du logement qui sévit fortement à Paris oblige nombre d’entre eux à se contenter de mansardes exiguës et d’hôtels sans confort. Pour attirer l’élite des étudiants étrangers, à l’origine du rayonnement de la capitale, l’Université doit leur offrir des logements décents.

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Une chambre d’étudiante à la Fondation des États-Unis, vers 1935.

Paul Appell (1855-1930), célèbre mathématicien et pacifiste engagé, cofondateur avec Léon Bourgeois de l’Association française pour la SDN, est recteur de l’Université de Paris de 1920 à 1925. André Honnorat (1868-1950), député puis sénateur des Basses-Alpes de 1910 à 1940, et brièvement ministre de l’Instruction publique (1920-1921), œuvre au développement des échanges culturels entre nations, seuls capables, selon lui, d’éviter de nouveaux conflits. Fondateur et premier président de la Cité internationale, il joue un rôle actif dans la vie politique française jusqu’à la période de l’Occupation. 3


La Fondation Deutsch de la Meurthe, « cellule mère » de la Cité universitaire

Buste en marbre blanc d’Émile Deutsch de la Meurthe (18471924). Cet industriel d’origine alsacienne est à la tête de la société des Pétroles Jupiter. Il met sa fortune au service de nombreuses œuvres philanthropiques, notamment en coopération avec les milieux américains.

L’enceinte fortifiée et l’emprise de la Cité universitaire sur les bastions 81, 82, 83 et les terrains de « zone » adjacents, 1921. Le rempart proprement dit, réservé aux constructions, est large de 110 mètres ; le terrain zonier s’étend sur une profondeur d’environ 240 mètres.

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L’idée d’une cité universitaire prend corps en mai  1920, lorsqu’un industriel philanthrope, Émile Deutsch de la Meurthe, expose au recteur Paul Appell son intention de construire deux « hameaux-jardins » pour offrir à 350 étudiants de condition modeste des « logements salubres et aérés encadrés de verdure ». Le recteur, qui se préoccupe activement des conditions matérielles de la vie étudiante, alerte aussitôt son ministre chargé de l’Instruction publique, André Honnorat. Lors des débats à la Chambre sur le déclassement de l’enceinte fortifiée de Paris en 1919, celui-ci, alors député des Basses-Alpes, a demandé la cession de terrains à l’Université pour l’extension de ses locaux et la construction de « maisons d’étudiants ». Le projet d’Émile Deutsch de la Meurthe remporte donc son adhésion enthousiaste, et fort des sollicitations analogues émanant du Canada, de Suède et d’Angleterre, il envisage aussitôt le plus vaste dessein d’une véritable cité pouvant abriter 2 000 ou 3 000 jeunes gens : la fondation de l’industriel serait la première d’un ensemble implanté sur le même site, pensé comme une sorte de cité-jardin «  reconstituant autour de l’Université de Paris les collèges des nations » qui accueillaient au Moyen Âge des étudiants de toute l’Europe, et véhiculant un idéal de paix et de compréhension mutuelle. Le terrain est trouvé au sud de Paris sur la ceinture des fortifications édifiées en 1841 et acquises par la Ville en 1912 pour une ultime extension. La loi du 19 avril 1919 vient en effet de prévoir le lotissement de l’emprise du rempart


et l’expropriation de la «  zone  » appelée à accueillir une ceinture d’espaces verts. Après de longues et tortueuses négociations, le conseil municipal approuve la convention créant le 7 juin 1921 la Cité u ­ niversitaire, face au parc Montsouris, sur l’emplacement des bastions 81, 82 et 83, entre la rue de la Tombe-Issoire et la porte de Gentilly : les 9 hectares des trois bastions sont rachetés par l’État à la Ville puis cédés gratuitement à l’Université  ; celle-ci louera également 18 hectares de « zone » à la Ville, qui les aménagera en parc avant la fin de l’année 1924. Enfin, 1,5 hectare du bastion 82 sera affecté à la Fondation Deutsch de la Meurthe.

Le domaine s’agrandit Lucien Bechmann, architecte de la Fondation, est chargé de dresser le plan d’ensemble de la Cité. En marge de l’espace réservé au parc, les emprises des futurs bâtiments s’alignent sur deux rangs séparés par une allée centrale parallèle au boulevard Jourdan. La Ville de Paris a imposé la densité minimale de 400 étudiants à l’hectare, condition requise pour «  utiliser raisonnablement les terrains et les fonds de l’État ». Suivant l’exemple donné par Émile Deutsch de la Meurthe, dont la fondation est inaugurée le 9 juillet 1925, celles du Canada, de la Belgique,

Portrait de JosephMarcelin Wilson, fondateur de la Maison des étudiants canadiens, par Georges Scott, 1937. Homme d’affaires et sénateur québécois, J.-M. Wilson offre en 1924 les trois quarts des fonds nécessaires à la construction d’un pavillon de 50 chambres. 5


Lucien Bechmann (1880-1968), architecte de la Fondation Deutsch de la Meurthe. Associé depuis l’origine à la création de la Cité universitaire, il en assure pendant trente ans les fonctions d’architecte-conseil (1923-1953).

de l’Argentine, de l’Institut national agronomique et du Japon surgissent en quelques années ; dès le début de 1927, la moitié du domaine est lotie. Pour loger davantage d’étudiants, la hauteur des bâtiments, d’abord limitée à trois ou quatre étages, est portée à six, puis à dix, malgré les efforts répétés de Lucien Bechmann « pour maintenir le caractère d’habitations privées ». Face au risque d’une rapide saturation des terrains, la Fondation nationale – mandatée par l’Université pour gérer la Cité – s’occupe activement d’étendre le domaine initial : en 1927, il s’agrandit à l’est de 1,31 hectare sur l’ancien bastion 84 (donation David-Weill) ; en 1928, au sud, 4,5 hectares sont expropriés entre la « zone » et la rue de Montrouge, sur le territoire de Gentilly (puis de Paris en 1941) ; au nord, en 1930, pardelà le boulevard Jourdan, les terrains du dépôt de la Remonte (plus de 4 hectares) sont affectés à la Cité, portant ainsi la surface totale du domaine à près de 40 hectares.

Une œuvre d’urbanisme

Travaux de surélévation du boulevard Jourdan. À droite, l’ancienne gare de SceauxCeinture et la buvette, 1930.

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Conformément à la convention de 1921, la Ville établit un réseau viaire desservant la Cité. Ces aménagements s’opèrent en coordination avec l’ouverture des divers bâtiments, au fur et à mesure de leur construction. Percé dès 1926, l’axe central de 20 mètres de largeur, parallèle au boulevard Jourdan, prend son origine à la Fondation Deutsch de la Meurthe et se termine en oblique à l’extrémité est du terrain ; trois traverses le relient au boulevard extérieur (élargi à 16,50 mètres lors de l’arasement des f­ ortifications,


La tête du siphon de l’aqueduc de la Vanne, sur le boulevard Jourdan, surmontée depuis 2006 d’un « diadème » de plaques d’inox martelé, œuvre du plasticien Claude Lévêque.

puis à 22 mètres après 1934). Destinées à une circulation uniquement locale, la plupart des voies présentent l’aspect d’allées de jardin, bordées de trottoirs plantés d’essences « que l’on ne rencontre pas habituellement dans les rues de Paris ». À l’ouest, l’aqueduc de la Vanne, du Loing et du Lunain interrompt la continuité du domaine dans sa section d’Arcueil au réservoir de Montsouris. Son détournement suite à l’élargissement de la porte d’Arcueil libère 2 500 mètres carrés supplémentaires. Aux termes d’un accord survenu en 1924, la ligne de Sceaux traversera la « zone » en souterrain pour éviter le morcellement du parc : le trafic emprunte un tunnel dès le 15 mai 1931, après la suppression des passages à niveau du boulevard Jourdan et de Gentilly. Les travaux ont également nécessité la reconstruction de la gare de « SceauxCeinture », désormais appelée « Cité universitaire ».

La gare de la Cité universitaire (aujourd’hui RER B). C’est un simple cube de style Art déco, édifié en 1933 par l’architecte Louis Brachet, soucieux de rester modeste face aux « palais des nations » tout proches sans se départir toutefois d’un certain caractère monumental. 7


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Un parc de sport et de loisir

Projet d’aménagement du parc attribué à Jean-Claude Nicolas Forestier, 1922. Il conserve le parti général irrégulier choisi par le paysagiste dès ses premiers projets. Au nord d’un bassin de natation en forme de plan d’eau, des pelouses libres (pour la pratique du football, du base-ball et d’autres jeux) occupent tout le centre du parc, répondant à la double fonction de terrain de sport et d’espace d’agrément.

Les premières réalisations de la Cité, situées sur la bande des fortifications, cohabitent avec les baraquements de la zone qui abritent 314 familles, groupant 860 personnes. La Ville de Paris a, dès 1922, entrepris l’expropriation de ces terrains qu’elle doit aménager en parc d’ici fin 1924, mais les difficultés rencontrées dans l’application de la loi du 19 avril 1919 l’ont obligée à interrompre les procédures engagées : les « zoniers » refusent de partir et réclament à des titres divers des indemnités d’éviction et de relogement. Après le vote de la loi du 10 avril 1930 qui leur donne satisfaction, les expulsions peuvent reprendre, à partir des terrains destinés au futur Cercle international – remis à la Cité en octobre 1931 –, mais les derniers occupants ne sont évincés qu’en 1934. Élément de la « ceinture verte » réclamée par les hygiénistes, le parc doit combiner de façon harmonieuse espaces de promenade et terrains de sport procurant les bienfaits de l’exercice en plein air. Dès 1921, sa réalisation a été confiée à JeanClaude Nicolas Forestier, conservateur du secteur ouest des promenades de Paris, qui jusqu’en 1929 livre cinq projets successifs. Les premiers, d’inspiration paysagère, dissimulent les espaces de jeux dans le tracé irrégulier d’un « seul grand parc », tandis qu’en 1924, une séparation s’instaure entre le jardin d’agrément, placé face aux bastions 81 et 82, et le stade d’athlétisme prévu pour le Paris-Université-Club, rejeté à l’est. Cette logique distinctive s’accentue après le voyage d’étude entrepris aux États-Unis par une d ­ élégation de

Plan d’aménagement du parc dressé par Léon Azéma en 1933 et mis en œuvre dès 1935. De chaque côté du terrain de football central, deux des cinq compartiments délimités par des allées diagonales comportent des équipements sportifs (tennis, basket) ; à l’extrémité est, le stade d’athlétisme est précédé d’un théâtre de verdure hexagonal.

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la Fondation nationale : le parc projeté en 1929, compartimenté en espaces distincts, trahit l’influence des campus contemporains, tels que ceux de Stanford ou de Berkeley, à la composition régulière de style Beaux-Arts ; l’importance donnée aux sports d’athlétisme dérive également du modèle américain du « gymnasium ». À la mort de Forestier en 1930, Léon Azéma, son successeur, architecte des promenades et des expositions de la Ville de Paris, renforce cette conception et dessine selon une trame « régulière » un double réseau d’allées droites articulées par des ronds-points, de part et d’autre d’un « grand tapis vert », à usage de terrain de football, dans l’axe de la future

Espace intermédiaire entre la frange bâtie au nord de la Cité et le parc, cette grande promenade constituée de platesbandes et bordée d’allées plantées d’une double rangée d’arbres traverse le site d’est en ouest.

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La grande pelouse dans l’axe de la Maison internationale. Elle est encadrée d’espaces boisés dont les essences végétales proviennent de toutes les parties du monde (cèdre du Liban, pin blanc provenant du temple du Ciel à Pékin, érable de Cappadoce, tulipier de Virginie…). 10

Maison ­internationale ; les équipements ­sportifs, à la charge de la Fondation nationale (pistes d’athlétisme, terrains de tennis et de basket, aires de lancer et de saut…), réduits en nombre pour abaisser les coûts d’entretien, sont placés aux extrémités est et ouest ainsi qu’au sud du parc. Le plan définitivement arrêté, les travaux commencent par l’îlot ouest compris entre l’aqueduc de la Vanne et la rue Émile Faguet, désormais libre de toute occupation. Ils se poursuivent à partir d’avril 1935 dans la partie est du parc et se terminent en septembre 1938.


Le stade ouest. 11


Une cité internationale Avec la livraison complète du parc s’achève «  l’ère constructive  » de la Cité, désormais pourvue de tous ses services : à l’instar des Student Unions des universités américaines, la Maison internationale, inaugurée en novembre 1936, offre aux hôtes des diverses « maisons » un foyer de vie commune, conforme au projet conçu par ses pères fondateurs. Lieu de rencontre et centre culturel, elle abrite aussi les services nécessaires à l’administration de la Cité. Le nombre des résidents s’élève alors à 2 400, représentant 52 pays. Malgré la crise économique, les donations, faites par des particuliers, des comités ou des États, se sont succédé à un rythme soutenu, permettant l’ouverture de 19 maisons en moins 12


Maison internationale, la piscine : elle occupe tout le soubassement du corps principal, sur trois niveaux. Le bassin, de 25 mètres sur 11 mètres, est couvert d’une voûte de berceaux transversaux surbaissés, déterminant autant de sources d’éclairage. Un parement en pierre blonde simule un lambris conférant une certaine chaleur au lieu. Une grille en fer forgé aux motifs stylisés décore la galerie qui surplombe le bassin dans toute sa longueur.

de quinze ans. Propriété de l’Université de Paris qui a mis à leur disposition un terrain, elles sont soit autonomes et gérées par un conseil d’administration qui leur est propre, soit rattachées à la Fondation nationale. Toutes accueillent des étudiants de plusieurs nationalités afin de faciliter un brassage propice aux échanges. Construites le plus souvent dans une évocation modernisée des architectures nationales et régionales traditionnelles, avec quelques fleurons de l’avant-garde du xxe siècle, elles donnent à ce nouveau quartier parisien l’aspect cosmopolite d’une exposition internationale permanente, où se créent des « rapprochements symboliques, à eux seuls révélateurs du but de la Cité ».

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Maison internationale, le salon Honnorat : le plafond est décoré de 64 caissons portant les blasons des plus anciennes universités françaises et étrangères. Les murs sont recouverts de grands lambris de chêne clair.

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