Note aux lecteurs : Dans les légendes de l'ouvrage, le symbole ■ signifie que l'œuvre reproduite est présentée dans l'exposition La Nature pour passion
Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Conception graphique : Ariane Naï Aubert Contribution éditoriale : Sandra Pizzo Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros Suivi éditorial : Astrid Bargeton assistée de Romane Dupont © Conseil général de la Vendée, La Roche-sur-Yon, 2014 © Somogy éditions d’art, Paris, 2014 www.somogy.fr Dépôt légal : mai 2014 Imprimé en Italie (Union européenne)
LA NATURE POUR PASSION
Remerciements Cet ouvrage a été publié par le Conseil général de la Vendée à l’occasion de l’exposition La Nature pour passion présentée à l’Historial de la Vendée, aux Lucs-sur-Boulogne, du 26 avril au 31 août 2014. Commissariat général M. Christophe Vital, directeur du patrimoine culturel, conservateur en chef des musées de la Vendée, assisté de Mme Séverine Béchet, chargée des recherches documentaires et du choix des collections exposées Coordination éditoriale du catalogue Mme Marie-Élisabeth Loiseau, assistante de conservation principale, chargée des éditions, assistée de Mme Dominique de Camaret, étudiante en valorisation du patrimoine Coordination générale Mme Cécile Pieau, attachée de conservation, adjointe du directeur Nous exprimons notre profonde gratitude aux membres du comité scientifique et aux auteurs du présent ouvrage : M. Louis Arrivé, président de l’Association des amis de Georges Durand-Beautour ; M. Pascal Bouton, docteur en géologie ; M. Jan-Bernard Bouzillé, professeur émérite, université de Rennes 1 ; Mme Myriam Boyer, professeur agrégée détachée au musée national de l’Éducation-INRP Rouen depuis 2004, chargée de conservation et de recherche et responsable du Pôle ; M. Paul Couteau, professeur docteur ès sciences physiques, astronome titulaire de l’Observatoire de Nice ; Mme Catherine Cuenca, conservateur en chef du patrimoine, université de Nantes et musée des Arts et Métiers-CNAM Paris ; Mme Suzanne Débarbat, astronome titulaire à l’Observatoire de Paris ; M. Guy Denis, trésorier de la SBCO et professeur de sciences naturelles ; Mme Michèle Dunand-Rius, ancienne conservatrice du Muséum de La Rochelle ; M. Marc Fardet, conservateur en chef honoraire du patrimoine ; Mme Anne Fellinger, docteur en histoire des sciences et attachée de conservation du patrimoine ; Mme Géraldine Garcia, maître de conférences, responsable des collections scientifiques de l’université de Poitiers ; M. Philippe Garguil, photographe et réalisateur de films animaliers ; M. Gaston Godard, maître de conférences à l’université Paris-Diderot ; M. Christian Goyaud, président de l'association Les Naturalistes vendéens ; M. Philippe Huet, écrivain et guide de voyages naturalistes ; M. Philippe Jaunet, président du CLEPHE ; M. Cédric Jeanneau, maître de conférences en histoire médiévale, université de Brest et CRBC ; Mme Valérie Joyaux, chargée de mission, mission régionale Pays de la Loire et mission nationale de sauvegarde du patrimoine scientifique et technique contemporain à l’université de Nantes ; M. Denis Lamy, historien des sciences ; Mme Myriam Marrache-
Gouraud, maître de conférences en littérature française de la Renaissance, université de Bretagne occidentale (Brest) ; M. Christian Perrein, historien, docteur en histoire des sciences ; Mme Colette Renou, une vraie Vendéenne qui était très dévouée à sa commune et à son département – Colette nous a quittés trop tôt, ses projets resteront à jamais inachevés ; M. JeanYves Reynaud, professeur de géologie à l’université de Lille 1 (à l’époque où il a rédigé l’article, maître de conférences au département Histoire de la Terre du Muséum national d’histoire naturelle) ; M. Jean Rousseau, ancien professeur d’histoire, maire honoraire de Saint-Gilles-Croix-de-Vie ; M. Jean-Marc Viaud, naturaliste et géologue, documentaliste aux archives départementales de la Vendée Cette exposition n’aurait pu avoir lieu sans les prêts accordés par les institutions publiques et privées qui nous ont accordé leur confiance. Nous tenons à les remercier : M. Gilles Bœuf, président du Muséum national d’histoire naturelle, Paris ; M. Thomas Grenon, directeur général du Muséum national d’histoire naturelle, Paris ; M. Claude Catala, directeur de l’Observatoire de Paris ; M. Bruno Racine, président de la Bibliothèque nationale de France, Paris ; M. Yves Gaulupeau, directeur du musée national de l’Éducation, Rouen ; M. Pascal Berteaud, directeur général de l’Institut national de l’information géographique et forestière, Saint-Mandé ; M. Christian Koeberl, directeur général du Naturhistorisches Museum Wien, Vienne Mesdames et Messieurs les maires des villes d’Angers, Bouin, Cugand, Étampes, Fontenay-le-Comte, L’Île-d’Elle, La Chaizele-Vicomte, La Rochelle, La Roche-sur-Yon, Les Sablesd’Olonne, Nantes, Noirmoutier-en-l’Île ; Monsieur le président de la communauté de communes de l’Étampois Sud-Essonne ; Monsieur le président de La Roche-sur-Yon Agglomération ; Monsieur le responsable de l’École supérieure du professorat et de l’éducation, site de La Roche-sur-Yon ; Monsieur le proviseur du collège Herriot, La Roche-sur-Yon ; Mesdames et Messieurs les présidents des universités de Nantes, Pierre-et-Marie-Curie (Paris), Rennes 1 Mme Cécile Aupic, responsable de l’herbier historique du Muséum national d’histoire naturelle, Paris M. Guillaume Baron, chargé des collections, Muséum d’histoire naturelle, La Rochelle Mme Nadia Bellenger, directrice de la bibliothèque municipale des Sables-d’Olonne Mme Laurence Bobis, directrice de la bibliothèque de l’Observatoire de Paris Mme Violaine Bonin, responsable Musées et Patrimoine de Noirmoutier-en-l’Île M. Philippe Bouchet, chargé de conservation des collections de mollusques, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Mme Anne Boutruche, responsable de la bibliothèque
scientifique, Muséum d’histoire naturelle de Nantes Mme Lise Busquet, responsable de la médiathèque de l’Île-d’Elle Mme Capy, centre de documentation La Source, maison du diocèse, La Roche-sur-Yon M. Gabriel Carlier, responsable scientifique des collections de géologie, chargé de conservation des roches endogènes, département Histoire de la Terre, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Mme Audrey Chambet, responsable des herbiers de l’université de Rennes 1 M. Vincent Dennys, conservateur, Muséum d’histoire naturelle, Angers M. Sylvain Duchêne, responsable du Musée intercommunal d’Étampes Frère Egron, communauté des frères de Saint-Gabriel, Nantes M. Ludovic Ferrière, conservateur des collections géologiques, conservateur adjoint des collections de météorites, Naturhistorisches Museum Wien, Vienne Mme Françoise Gouezigoux-Page, directrice des médiathèques de La Roche-sur-Yon Agglomération Mme Marie-Laure Guérin, chargée des collections, Muséum d’histoire naturelle de Nantes M. Philippe Guillet, directeur du Muséum d’histoire naturelle de Nantes M. Michel Guiraud, directeur des collections, Muséum national d’histoire naturelle, Paris M. Thierry Heckmann, directeur des archives départementales de la Vendée, La Roche-sur-Yon M. Jean-François Heil, archiviste, Société des sciences naturelles de Charente-Maritime, La Rochelle Mme Virginie Héros, chargée de conservation des collections de mollusques, Muséum national d’histoire naturelle, Paris M. Patrick Jaubertie, chef adjoint du service de la logistique de l’Institut national de l’information géographique et forestière, Saint-Mandé M. Patrick Lebœuf, chef du service de la logistique de l’Institut national de l’information géographique et forestière, Saint-Mandé Frère Marsaud, communauté des frères de Saint-Gabriel, Nantes M. Pierre Miramand, président de la Société des sciences naturelles de Charente-Maritime, La Rochelle M. Benoît Mellier, chargé des collections, Muséum des sciences naturelles, Angers Mme Annick Notter, conservateur en chef des musées d’Art et d’Histoire de La Rochelle, musée du Nouveau Monde, La Rochelle Mme Gaëlle Oliver, responsable du Musée vendéen de Fontenay-le-Comte Mme Élise Patole-Edoumba, conservateur, Muséum d’histoire naturelle, La Rochelle M. Pierre Pénicaud, directeur de la Grande Galerie de l’évolution, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Mme Anne Quillien, chargée de conservation et de recherche, musée national de l’Éducation, Rouen Mme Gaëlle Rageot, conservatrice en chef, musée de l’abbaye Sainte-Croix, Les Sables-d’Olonne Mme Gaëlle Richard, responsable du musée de zoologie et collection de botanique, université de Rennes 1
Mme Isabelle Rouget, responsable des collections de l’université de Rennes 1 M. Thomas Rouillard, responsable du département botanique, Muséum d’histoire naturelle, Angers Mme Claude Rozinoer, chargée de conservation et de recherche, musée national de l’Éducation, Rouen M. Christian Trottet, président de l’Association des amis de l’île de Noirmoutier M. Jean Vimpère, responsable du musée ornithologique Charles-Payraudeau, La Chaize-le-Vicomte Mme Brigitte Zanda, chargée des collections de météorites, département Histoire de la Terre, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Ainsi que Mesdames et Messieurs les régisseurs des collections, chargés des prêts : M. Daniel Bérenguer, Institut national de l’information géographique et forestière, Saint-Mandé Mme Véronique Berthy-Blondin, médiathèque BenjaminRabier, La Roche-sur-Yon Mme Émilie Kaftan, bibliothèque de l’Observatoire de Paris Mme Michèle Kergus, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Mme Anne Nivart, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Mme Bénédicte Valin, archives départementales de la Vendée, La Roche-sur-Yon Nos remerciements s’adressent à tous les prêteurs privés qui ont souhaité conserver l’anonymat. Cette exposition doit également beaucoup au précieux concours des personnes suivantes, que nous avons plaisir à remercier : Mesdames et Messieurs les membres de l’ASEISTE (Association de sauvegarde et d’étude des instruments scientifiques et techniques de l’enseignement), Niort M. Alain Aglibert Mme Christelle Airaud, archives départementales de la Vendée, La Roche-sur-Yon M. Pierre-Emmanuel Augé, archives départementales de la Charente-Maritime, La Rochelle M. Patrice Barraud Mme Brigitte Bartert, Institut catholique d’études supérieures, La Roche-sur-Yon Mme Valéry Bataille, Archives nationales, Paris Mme Hélène Batiot Père Henri Baudry, archiviste, évêché de Luçon Mme Danielle Bécaud M. Louis Bergès, archives départementales de la Gironde, Bordeaux M. Alain Bidar, Muséum d’histoire naturelle, Nice Mme Catherine Blanlœil, Centre vendéen de recherches historiques, La Roche-sur-Yon Mme Martine Bobin, médiathèque François-Mitterrand, Poitiers Mme Corinne Bolze, département Systématique et Évolution, Muséum national d’histoire naturelle, Paris M. Jacques Boncennes
Mme Anne Bonnefoy, espace Mendès-France, Poitiers Mme Marcelle Bossée Mme Dominique Botbol, Universcience, Paris M. Dominique Bouchet, Direction de l’enseignement catholique de Vendée, La Roche-sur-Yon Mme Véronique Bourgade, université Montpellier 2 Mme Delphine Brabant, département Histoire de la Terre, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Mme Brigitte Brit, médiathèque Jim-Dandurand, Fontenay-le-Comte Mme Geneviève Brosselin M. Jean Brunel Mme Muriel Cardin, musée national de l’Éducation, Rouen Mme Armelle Carnet, Agrocampus Ouest, Rennes M. John Chainey, Natural History Museum, Londres M. Étienne Challet, CNRS, Strasbourg Mme Brigitte Chamagne Rollier, Muséum d’histoire naturelle, Nice Mme Aurélie Chilaud, Université catholique de l’Ouest, Angers Mme Chiocci, musée international de la Parfumerie, Grasse Mme Choblet, école publique primaire, Bouin M. Émile Choné, Académie d’agriculture de France, Paris M. Jacques Chorda, CNRS, Toulouse Mme Agnès Cléquin, musée des Arts et Métiers, Saint-Denis Mme Anne Courcoux, médiathèque Michel-Crépeau, La Rochelle Mme Hélène Coutansais M. Séverin Coutansais M. Christophe Cupillard Mme Martine David, médiathèque Pierre-Moinot, Niort Mme Chantal de Gaye M. Antoine de La Boulaye Mme Gaétane de La Forge, CAUE de la Vendée, La Rochesur-Yon Mme Françoise Deluzarche, herbier de l’université, Strasbourg M. Daniel Demellier, Institut Pasteur, Paris M. Henry Des Abbayes M. Hugues Des Touches, réserve naturelle Michel-Brosselin, Saint-Denis-du-Payré Mme Jocelyne Deschaux, Bibliothèque d’étude et du patrimoine, Toulouse Mme Rose-Marie Donnadieu Mme Cyndie Dupoux, département Systématique et Évolution, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Mme Virginie Dupuy-Garric, médiathèque Jim-Dandurand, Fontenay-le-Comte Mme Cécile Duteille, direction des bibliothèques et de la documentation, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Mme Marie-Anne Dutertre, cinémathèque de Bretagne, Brest Mme Armelle Etchegoin, Universcience, Paris M. Frank Faivre, cinémathèque de la Vendée, La Roche-sur-Yon Mme Joëlle Fanon, Académie des sciences-Institut de France, Paris M. Cristiano Ferraris, docteur, département Histoire de la Terre, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Mme Yolande Ferreira, Natural History Museum, Londres M. Jean Flouret, Académie des belles-lettres, La Rochelle
Mme Fontenil-Ifergan, Universcience, Paris Frère Robert Fouchet M. Lionel Gallois, archives départementales du Pas-de-Calais, Dainville M. Alain Gérard M. Yvonnick Gérard, Institut royal des sciences naturelles de Belgique, Bruxelles M. Marc Girard, Universcience, Paris M. Daniel Goguet M. Luc Gomel, université de Montpellier 2 M. Max Goyffon Mme Maude Gradaive, Conservation des musées, Saintes Mme Florence Greffe, Académie des sciences-Institut de France, Paris Mme Danielle Grelaud-Gillet, Mémoire des Olonnes, Olonnesur-Mer Mme Gruat M. Philippe Gruat M. Jean-Jacques Guérin (†) Mme Laurence Guilbaud, Musée de Vendôme M. Éric Guiho Mme Martine Guilment M. Claude Guyon, Association des anciens élèves et professeurs des lycées Édouard-Herriot et Pierre-Mendès-France, La Rochesur-Yon Mme Anny-Claire Haus, Cabinet des estampes et des dessins, Strasbourg M. Jean-François Henry Mme Hélène Jagot, Musée municipal, La Roche-sur-Yon Mme Lydie Joubert, musée de l’abbaye Sainte-Croix, Les Sables-d’Olonne M. Alexandre Jury, Bibliothèque d’étude et du patrimoine, Toulouse M. Thierry Lalande, musée des Arts et Métiers-CNAM, Paris M. Philippe Landreau, archives départementales des DeuxSèvres, Niort M. Guy Lapraz M. Jean-Marc Large Mme Cécile Lataste M. Anton Lavigne, archives municipales, Les Sables-d’Olonne M. Léo Leboucher M. Matthieu Lefebvre, Muséum d’histoire naturelle, Grenoble Mme Alice Lemaire, direction des bibliothèques et de la documentation, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Mme Agathe Liénard, musée national de la Marine, Paris Mme Laurence Loze, herbier de Genève M. Pierre Lozouet, département Systématique et Évolution, Muséum national d’histoire naturelle, Paris M. Jean-Louis Mahé, médiathèque Michel-Crépeau, La Rochelle Mme Marie Maignaut, médiathèque d’Orléans M. Joël Mathez, université de Montpellier 2 M. François Meurgey, Muséum d’histoire naturelle, Nantes M. Antoine Monaque, direction des bibliothèques et de la documentation, Muséum national d’histoire naturelle, Paris M. Christian Montenat, Institut polytechnique LasalleBeauvais, Beauvais
••• Remerciements
M. Armand Mornet (†) Son Altesse le prince Pierre Murat M. André Nél, département Systématique et Évolution, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Mme Thérèse Nouaille-Degorce, direction des bibliothèques et de la documentation, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Mme Caroline Noyes, département Histoire de la Terre, Muséum national d’histoire naturelle, Paris M. Didier Odin M. Martial Odin M. Patrice Odin Mme Agnès Parent, service des expositions, Muséum national d’histoire naturelle, Paris Mme Carole Paret, CDAOA du Rhône, Lyon M. Pierre Pasquereau Mme Pascale Perret, Société nationale de protection de la nature, Paris M. Joël Perrocheau M. Benoît Perrotin Mme Laurence Perry, archives de la Ville et de la Communauté urbaine, Strasbourg Mme Joëlle Pijaudier-Cabot, musées de la Ville, Strasbourg Mme Carla Pinzauti, Biblioteca nazionale centrale di Firenze, Florence (Italie) Mme Marie-Thérèse Piveteau Mme Paule Plocq M. Georges Pon M. Jacques Pons, archives départementales des Landes, Montde-Marsan Mme Françoise Prieto M. Alain Raiffaud M. Patrick Ramseyer, Bibliothèque nationale de France, Paris M. Serge Regnault, Muséum d’histoire naturelle, Nantes M. Hervé Retureau, Olonna, Nieul-le-Dolent M. Jean-Marc Reus M. Pierre-Yann Ricoulleau Mme Sabina Robert, musée nationale de l’Éducation, Rouen M. Denis Roland, École de médecine navale, Rochefort Mme Anita Rouer, Studio Lézard Graphique, La Rochelle M. Michel Sales M. Olivier Sauzereau M. Peter Schäfer, herbier de l’université Montpellier 2 M. Henrique Simoes, musées Gadagne, Lyon Isabelle Taillebourg, musée des Arts et Métiers-CNAM, Paris Mme Fabienne Texier, musée d’Agesci, Niort Mme Viviane Thomas M. Frédéric Tintilier, Muséum d’histoire naturelle, Nantes Mme Sandrine Toiron, Bureau international des expositions, Paris Mme Nadège Turpaud, Manoir des sciences de Réaumur, Réaumur Mme Validire, Manoir des sciences de Réaumur, Réaumur M. Yannick Vautier, Institut polytechnique Lasalle-Beauvais, Beauvais Mme Élisabeth Verry, archives départementales du Maine-etLoire, Angers Mme Pascale Vignau, médiathèque Michel-Crépeau, La Rochelle Mme Ludmila Virassamynaïken, musée des Beaux-Arts, Lyon
Mme Anne-Marie Vrignaud, archives municipales, Les Sablesd’Olonne Cette exposition a été conçue, administrée et réalisée par le service de la conservation des musées et des expositions, direction du patrimoine culturel, Conseil général de la Vendée. Prêts et suivi administratif Gestion des prêts Mme Stéphanie Auger-Bourdezeau Régie des collections Mme Carmela Bessonnet ; Mme Luce Martineau Administration Mme Catherine Sender-Boussion ; Mme Laure Brunier ; Mme Maria Guichard ; Mme Élisabeth Rotteleur ; Mme Claudine Perache Muséographie et pôle technique Mme Ghislaine Pineau ; Mme Sarah Nauleau ; M. Luc Siret Transport des collections M. Franck Bonnamy ; M. Sébastien Moreau ; Mme Marie-Anne Bordin Accrochage M. Jean-Robert Bariteau ; M. Franck Bonnamy ; M. Sébastien Moreau Audiovisuel M. Luc Siret, réalisateur du documentaire sur Georges Durand et des montages sonores ; Mme Isabelle Laurent, cadreur Photographie Patrick Durandet, sauf mention particulière Recherches iconographiques et bibliographiques Mme Anne Cousseau ; M. Jean-Pierre Remaud Éclairage et intégrations M. Patrice Cousseau ; M. Thomas Manceny Gestion de l’exposition M. Samuel Colaisseau ; Mme Isabelle Haissat Médiation et animation Mme Cécile Mercier ; Mme Clarisse Brechoteau ; Mme Nathalie Collot Dans les rôles de C.-L. Largeteau, J.-R.-C. Quoy, C. Payraudeau et A. d’Orbigny : Alexandre Loquet, Michel Hermouet, Aurélien Mallard, Rémi Lelong, sous la direction de Florence Labérenne, du théâtre des Sept-Lieues Communication M. Landry Quairault, direction de la communication du Conseil général de la Vendée
Sommaire Préface
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Bruno Retailleau Président du Conseil général de la Vendée
Introduction
La sociologie du naturaliste et l’émulation des sociétés savantes au XIXe siècle
60
Pontarlier, Marichal et Viaud-Grand-Marais, botanistes vendéens : essai d’un portrait du botaniste amateur au XIXe siècle
62
Denis Lamy, historien des sciences
13
Christophe Vital Conservateur en chef du patrimoine, directeur du patrimoine culturel de la Vendée
Jean-René-Constant Quoy (1790-1869), médecin naturaliste à la découverte du monde Marc Fardet Conservateur en chef honoraire du patrimoine La notion de « type » Gaston Godard
Les prémices des sciences naturelles en Vendée
22
Un nouveau regard sur le Marais poitevin au Moyen Âge : Pierre de Maillezais et Pierre Bersuire
24
L’Académie ambulante du bois de la Chaise Gaston Godard et Jean-Marc Viaud, naturaliste et géologue, documentaliste aux archives départementales de la Vendée Louis-Marie La Révellière-Lépeaux (1753-1824), botaniste à ses heures Christophe Vital
72
82
84
92
Cédric Jeanneau, maître de conférences en histoire médiévale Crabes, barliatha et zitiron dans le Marais poitevin au XIVe siècle traduit par Cédric Jeanneau et Georges Pon, maître de conférences en histoire médiévale, en retraite, université de Poitiers, CESCM
Deux coffres d’herbes séchées, la plante de Judée. Le goût des curiosités à Fontenay-le-Comte
La Société botanique du Centre-Ouest (SBCO) 94 33
Guy Denis, trésorier de la SBCO et professeur de sciences naturelles
Le Laboratoire zoologique maritime des Sables-d’Olonne (1887-1913)
96
Séverine Béchet, chargée de recherches documentaires, Conseil général de la Vendée, conservation des musées et expositions
34
Myriam Marrache-Gouraud, maître de conférences en littérature française de la Renaissance, université de Bretagne occidentale (Brest)
Les collections scientifiques : nouveaux outils d’enseignement et de recherche au XIXe siècle
René-Antoine Ferchault de Réaumur et son « académie aux champs »
Les sciences expérimentales à l’école vendéenne au XIXe siècle : la collection d’instruments du Lycée national de La Roche-sur-Yon 104
44
Gaston Godard, maître de conférences à l’université Paris-Diderot Philippe Jaunet, président du CLEPHE Différentes époques de ma vie 50 Mathurin Brisson, transcrit par Philippe Jaunet
Des astronomes en Bas-Poitou
52
Suzanne Débarbat, astronome titulaire de l’Observatoire de Paris
102
Catherine Cuenca, conservateur en chef du patrimoine, université de Nantes et musée des Arts et Métiers-CNAM, Paris Valérie Joyaux, chargée de mission, mission régionale Pays de la Loire et mission nationale de sauvegarde du patrimoine scientifique et technique contemporain à l’université de Nantes Anne Fellinger, docteur en histoire des sciences et attachée de conservation du patrimoine
L’impulsion déterminante donnée par les prêtres en Vendée à l’étude des sciences naturelles au XIXe siècle 110 Jean Rousseau, ancien professeur d’histoire, maire honoraire de Saint-Gilles-Croix-de-Vie
116
Myriam Boyer, professeur agrégé, détachée au musée national de l’Éducation-INRP Rouen depuis 2004, chargée de conservation et de recherche et responsable du Pôle Deux jardins botaniques en Vendée : le jardin de la Solitude à Olonne-sur-Mer et le jardin botanique de La Roche-sur-Yon 124 Colette Renou
128
170
Christophe Vital
Oiseaux de l’ouest de la France : la collection Georges Durand
Les musées scolaires en Vendée (1880-1960) : une déclinaison départementale d’un procédé pédagogique au service de l’observation
La découverte des dessins inédits d’Audubon dans les réserves du Muséum de La Rochelle
L’œuvre d’un naturaliste hors pair : le Muséum de Georges Durand
176
Louis Arrivé, président de l’Association des amis de Georges Durand-Beautour Georges Durand et la lépidoptérologie vendéenne 180 Christian Perrein, historien, docteur en histoire des sciences
Une nouvelle approche des sciences naturelles au XXe siècle
182
De la recherche naturaliste à la recherche explicative en écologie
184
Michèle Dunand-Rius, ancienne conservatrice du Muséum de La Rochelle
Jan-Bernard Bouzillé, professeur émérite, université de Rennes 1
Deux collections léguées à des institutions scientifiques : les collections Rousseau (université de Poitiers) et Chartron (MNHN)
Pascal Bouton, docteur en géologie
Les développements de la géologie moderne 188
132
Géraldine Garcia, maître de conférences, responsable des collections scientifiques à l’université de Poitiers Jean-Yves Reynaud, professeur de géologie à l’université de Lille 1
L’inventaire du sol, de la faune et de la flore de Vendée… et d’ailleurs
140
La Vendée au XIXe siècle, champ d’investigation de naturalistes renommés
142
Séverine Béchet
Les débuts chaotiques de la géologie vendéenne 150 158
Christophe Vital
Léon Pervinquière (1873-1913), géologue explorateur de la Tunisie
196
Christian Perrein Christian Goyaud, président de l’association Les Naturalistes vendéens L’astronomie en Vendée au XXe siècle 203 Paul Couteau Professeur, docteur ès sciences physiques, astronome titulaire de l’Observatoire de Nice
De l’histoire naturelle au biopatrimoine en Vendée au XXe siècle
204
Christian Perrein
Gaston Godard
Un Vendéen en Corse
Sociétés savantes et associations environnementales en Vendée au XXe siècle
164
Les naturalistes d’aujourd'hui et l’inventaire de la biodiversité en Vendée Christian Goyaud Vendée sauvage : les coulisses du tournage Philippe Garguil, photographe et réalisateur de films animaliers Paul Huet, écrivain et guide de voyages naturalistes
216 219
Jean-Marc Viaud, Gaston Godard
Biographies
222
Bibliographie générale
230
Préface Avec La Nature pour passion, c’est une exposition unique que vous propose le Conseil général à l’Historial de la Vendée. Unique par son témoignage, tout d’abord. Celui d’une terre singulière, la Vendée, véritable kaléidoscope de paysages et d’espèces variés. Rien de surprenant, donc, à ce que notre département ait toujours attiré les amoureux de la nature, de Pierre de Maillezais à Georges Durand en passant par René-Antoine Ferchault de Réaumur ou Jean-Baptiste-Laurent de Hillerin. Autant de figures passionnantes qui ont marqué le mouvement naturaliste vendéen et plus largement l’histoire des sciences naturelles, et que vous pourrez découvrir à travers cet ouvrage. Unique par le témoignage qu’elle apporte, cette exposition l’est également par le message qu’elle délivre. Un message de protection, bien sûr : notre patrimoine naturel est un bien précieux qu’il nous faut préserver contre les dérives d’un développement illimité et irraisonné. Mais une protection sans sanctuarisation, pour que nos paysages restent des lieux de vie et ne deviennent pas des territoires figés, placés sous cloche pour des raisons idéologiques. Car la Vendée, c’est l’illustration de ce lien intime et fécond qui depuis des siècles unit l’homme à la nature. Un lien synonyme de responsabilité, mais également de vitalité, puisque notre environnement et notre qualité de vie sont des éléments essentiels de l’attractivité vendéenne. C’est la raison pour laquelle le Conseil général a fait le choix d’une écologie positive, tournée vers la valorisation et la transmission. Le plus bel exemple est sans doute le Festival de l’Insolite à la Cité des Oiseaux des Landes-Genusson, qui séduit un public toujours plus nombreux. Sans oublier le soutien que nous apportons à tous ceux qui, en Vendée, contribuent à faire connaître et à faire aimer notre patrimoine naturel : chasseurs, pêcheurs, associations environnementalistes… Je tiens à les remercier chaleureusement pour l’action essentielle qu’ils mènent, tout comme je remercie celles et ceux qui ont contribué à la réalisation de cette belle exposition, en particulier le Muséum national d’histoire naturelle. Très bonne lecture à toutes et à tous. Bruno Retailleau Président du Conseil général de la Vendée
Patrick Durandet, La Cité des oiseaux, les Landes Genusson (Vendée), photographie, Les Lucs-sur-Boulogne, Historial de la Vendée.
11
12
Introduction De par sa situation géographique, la Vendée constitue, pour ceux qui s’intéressent aux sciences de la nature, un terrain de recherche particulier. Situé entre Massif armoricain et Bassin aquitain, ce territoire est constitué de divers paysages façonnés par l’homme – bocage, plaine, marais et littoral – qui ont abrité ou développé une flore et une faune d’une grande richesse grâce aux haies, aux pâturages, à l’aménagement des rivières et des cours d’eau, des forêts, des côtes rocheuses ou des cordons dunaires… Cette situation lui confère des particularités climatiques, particularités encore plus spécifiques sur les deux îles de Noirmoutier et d’Yeu. Département maritime, au littoral bordé d’un réseau de zones humides, la Vendée est aussi un lieu de passage et de reproduction des oiseaux migrateurs. Toutes ces conditions permirent l’éclosion d’un mouvement naturaliste. À côté de quelques scientifiques, de nombreux érudits vouèrent une passion à l’observation et à l’étude des trois règnes – végétal, animal et minéral – tels qu’on les appréhendait initialement. Ces esprits « curieux » commencèrent à créer des cabinets de « curiosités » où les objets issus de la nature côtoyaient livres, œuvres d’art et antiquités, puis, dans une démarche classificatoire, selon les travaux de Linné, à connaître, distinguer, classer, nommer et constituer des collections de minéraux, de coquillages, d’animaux naturalisés, de papillons étalés ou de plantes séchées et pressées… Cependant, contrairement aux départements voisins, ce mouvement, qui prit véritablement son essor aux « Lumières » du xviiie siècle, avec l’incontestable influence de Réaumur et de ses résidences bas-poitevines, ne permit pas d’aboutir à la création d’un muséum d’histoire naturelle. À l’image des musées des beaux-arts qui s’inspirèrent du Louvre, dans les villes des provinces françaises furent créées des institutions calquées sur le modèle du Muséum national ; ce dernier, à partir du Jardin du Roi, avait été officiellement établi par décret du 10 juin 1793. La plupart de ces musées furent fondés à partir de collections privées et de legs, tel le Muséum de Nantes qui, sous l’impulsion de François-René Dubuisson, fut officiellement ouvert au public en 1810. Ces établissements se multiplièrent surtout entre 1820 et 1850 : c’est le cas de celui de La Rochelle dès 1832, à partir du legs de Clément Lafaille, ou de celui de Laval l’année suivante. Fontenay-le-Comte constituait l’archétype de la ville moyenne qui aurait pu voir naître un tel musée – une ville où, dès la Renaissance, des intellectuels, tels Raoul Colin ou Michel Tiraqueau, s’intéressaient déjà aux sciences, suivis au xviiie siècle par Mathurin Brisson, élève de Réaumur et comme lui membre de l’Académie royale des sciences. Mais il n’en fut rien pour cette cité bourgeoise gagnée aux idées révolutionnaires, peut-être parce que l’ancienne capitale du Bas-Poitou, devenue chef-lieu du département, fut trop vite supplantée par La Roche-sur-Yon, ville encore trop nouvelle pour réunir les conditions favorables à la création d’un tel musée.
Philippe Garguil Marais poitevin Photographie de tournage du film Vendée sauvage, réalisé par Philippe Garguil et produit par le Conseil général de la Vendée (2008) Collection de l’auteur
13
••• Introduction
Aussi, là où des collections furent cédées par leurs propriétaires aux villes qui avaient créé leur musée pour les y accueillir, en Vendée, elles restèrent dans la sphère privée. Certaines, malheureusement, disparurent ou quittèrent le sol vendéen pour les muséums des cités voisines ou de Paris. Quelques ensembles furent néanmoins transmis aux communes, qui tardèrent à prendre conscience de leur valeur scientifique et patrimoniale. Ce fut le cas des collections de Charles Payraudeau, léguées à la commune de La Chaize-le-Vicomte et qui, à l’exception de l’ornithologie, furent jetées par incurie au xixe siècle par tombereaux entiers dans une décharge ; ce fut aussi le cas, plus tard, de celle du professeur Guérin à Fontenay-le-Comte, trop longtemps mise en sommeil. Quant à l’incroyable ensemble de collections réunies par Georges Durand, il fut légué avec le domaine au Muséum national, qui malheureusement s’en désintéressa après la mort de Durand, survenue en 1964. Après bien des rebondissements, la propriété est devenue en 2013 un centre de la biodiversité créé à l’initiative du conseil régional, présentant un échantillonnage de ces fonds conservés et gérés par le Conseil général et son service de conservation des musées.
■ Héron pourpré, naturalisé Lieu de découverte : lac de Grand-Lieu (Loire-Atlantique), 6 août 1929 Ancienne collection Édouard Seguin, Jard-sur-Mer, n° 1703 Legs Georges Durand Les Lucs-sur-Boulogne, Historial de la Vendée, dépôt du MNHN (ECV D989.2.122)
■ Nautile coupé Ancienne collection François Boucheron (1819-1887) Collection Musées de Noirmoutier-en-l’Île
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LA NATURE POUR PASSION •••
■ Plocamium Planche d’herbier extraite de Plantes marines, bazar de Noirmoutier, salle d’asile, année 1845 Noirmoutier, Association des amis de l’île de Noirmoutier (1E32)
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••• Introduction
■ Martin-pêcheur d’Europe, mâle, naturalisé Lieu de découverte : Le Bourg-sous-la-Roche (Vendée), 23 décembre 1938 N° 2266 Legs Georges Durand au MNHN Les Lucs-sur-Boulogne, Historial de la Vendée, dépôt du MNHN (ECV D989.2.125)
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En réalité, Georges Durand, à qui plusieurs articles de cet ouvrage font référence, représente le personnage le plus emblématique du mouvement naturaliste vendéen, créant à lui seul un véritable muséum privé, déployant toute son énergie et tous ses moyens pour rassembler le fruit de ses collectes dans ce qu’il conviendrait de définir comme des « sections » dans les domaines de la botanique et de la zoologie, plus particulièrement de l’ornithologie et de l’entomologie. Il se dota également d’une bibliothèque. Esprit formé au xixe siècle mais exerçant sa passion au xxe, il succomba certes à la dérive de l’accumulation et à une approche encyclopédique, mais il comprit également déjà l’intérêt que représentait l’étude du vivant et des écosystèmes. S’étant plus particulièrement spécialisé dans l’élevage des lépidoptères, il excellait dans l’art du soufflage des chenilles et cherchait, comme le fit Réaumur pour les abeilles, à en comprendre la vie et le rôle. Il s’intéressa également à la recherche d’aberrations. S’il publia peu, comme le souligne dans son article Christian Perrein, il joua un rôle essentiel de relais avec la communauté scientifique nationale et même étrangère. Naturaliste, Georges Durand était aussi un humaniste et sut faire de sa propriété un lieu d’accueil chaleureux où les chercheurs aimaient à séjourner. C’est un véritable réseau qu’il sut tisser dont les membres échangeaient des données et des spécimens. Localement, il est incontestable qu’il eut une influence sur les générations qui suivirent, tant auprès de jeunes conservateurs des muséums voisins (Nantes et La Rochelle) que des amateurs qui, avec leurs écoles, eurent la chance de visiter sa demeure, qu’il ouvrait volontiers. Comme le souligne Myriam Boyer dans sa contribution, le rôle de l’école d’une manière générale, avec les musées scolaires apparus dans les années 1870, fut du reste très important pour favoriser auprès des générations qui depuis se sont succédé l’intérêt porté aux sciences, matière rendue obligatoire à partir de 1882. Lors de la création des écoles normales de La Roche-sur-Yon, ces établissements furent rapidement dotés d’instruments scientifiques et techniques, et il suffit de constater l’importance des collections1 que renfermait l’ancienne école normale de garçons, située boulevard Aristide-Briand2, et qui viennent d’être déposées
■ Anonyme Georges Durand et deux couples d’entomologistes, dont M. et Mme Guillemé, à la chasse aux insectes au parapluie Photographie Collection Georges Durand Les Lucs-sur-Boulogne, Historial de la Vendée
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••• Introduction
dans les collections de l’Historial pour juger de l’importance que l’on attachait à l’enseignement de ces disciplines. On peut faire le même constat avec l’ensemble des instruments conservés dans l’ancien lycée de La Roche-sur-Yon, situé place Napoléon3. Plusieurs de ses professeurs s’illustrèrent comme botanistes, tels Nicolas-Charles Pontarlier, Henri-Nicolas Marichal ou le géologue Auguste Rivière. De son côté, l’enseignement catholique, comme le souligne Jean Rousseau, en fit autant, tels les frères de Saint-Gabriel ou bien encore le petit séminaire des Sablesd’Olonne, avec la figure emblématique d’un abbé Dalin qui sut transmettre sa passion de la botanique à ses élèves, dont Ambroise Viaud-Grand-Marais. Il n’est par conséquent pas étonnant que, parmi les naturalistes, on relève de nombreux enseignants et ecclésiastiques. Outre la présence de ces derniers au sein des sociétés savantes et de leurs bulletins, qui jouèrent un rôle essentiel dans la propagation des sciences, Denis Lamy relève dans son article celle des médecins et des pharmaciens. Parmi eux figurent
■ Boîte de papillons collectés par Georges Durand Legs Georges Durand Les Lucs-sur-Boulogne, Historial de la Vendée, dépôt du MNHN (ECV D989.2.155).
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l’entomologiste Henry Donnot, les botanistes Jules Douteau et Joseph Charrier, les médecins Ambroise Viaud-Grand-Marais et Gustave Mignen… Si tous ces érudits publièrent assez peu, on leur doit un rôle essentiel de collecteur compte tenu de leur excellente connaissance du terrain. Loin d’être le travail ou la passion d’acteurs isolés, l’activité des naturalistes, qu’ils soient « touche-à-tout » ou spécialisés dans une discipline, est en effet collective, l’exemple de l’Académie ambulante du bois de la Chaise l’atteste. Si ces travaux contribuèrent à alimenter les inventaires, tel celui de la flore de l’ouest de la France sous la conduite de James Lloyd, ils furent parfois orientés vers des perspectives économiques : ce fut le cas des recherches entreprises par le géologue Henri Fournel sur les mines de houille, ou bien encore celui du Laboratoire maritime zoologique des Sables-d’Olonne, création éphémère d’Amédée Odin, pour le développement de la pêche. On peut également relever le rôle de l’entomologie en ce qui concerne la protection des cultures – on pense plus particulièrement aux recherches menées par Georges Durand concernant la chenille processionnaire ou la légionnaire. Mais le département ne fut pas le seul territoire d’investigation de certains scientifiques vendéens : Charles Payraudeau prospecta en 1825 en Corse, d’où il rapporta une quête fructueuse dans les domaines de la malacologie et de l’ornithologie qui lui valut les honneurs de l’Académie pour avoir recensé des types inconnus. Peu avant lui, Jean-René Quoy, chirurgien naval, qui passa sa petite enfance en Vendée, accomplit dans la mouvance des grandes expéditions scientifiques deux tours du monde, le premier en 1817 à bord de la corvette Uranie et l’autre, de 1826 à 1829, à bord de l’Astrolabe, rapportant avec ses compagnons une moisson considérable. C’est aussi le cas du géologue Léon Pervinquière avec ses travaux en Tunisie. Encore plus loin de la Vendée, le ciel fut également observé par plusieurs astronomes vendéens. Suzanne Débarbat cite bien sûr François Viète, ce mathématicien fontenaisien de la Renaissance dont un cratère de la Lune porte le nom – et dont on vient de retrouver un manuscrit à Florence ! Plus près de nous, c’est le géographe Charles-Louis Largeteau, natif de Mouilleron-en-Pareds, dont les nombreux travaux le firent entrer au Bureau des longitudes puis à l’Académie des sciences en 1847. Ainsi, la Vendée, avec ses amateurs, ses érudits, ses scientifiques, ses correspondants et ses membres de l’Académie, a connu depuis le xvie siècle, avec un apogée au xixe siècle et au début du xxe, une intense activité dans le domaine des sciences de la nature en dépit de l’absence d’université et d’un muséum. Parmi ces très nombreux personnages dont seulement quelques-uns viennent d’être cités, il est même des chercheurs de renommée mondiale, tel Henry Des Abbayes, spécialiste des lichens. C’est à tous ces passionnés que, à travers cet ouvrage et l’exposition qu’il accompagne, nous rendons hommage. NOTES 1. Herbiers, lépidoptères, mammifères, minéraux… sont en cours d’inventaire. 2. Fermé fin 2013, l’IUFM vient d’être transféré dans un bâtiment neuf.
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3. Voir pages 104-105 l’article de Catherine Cuenca, Valérie Joyaux et Anne Fellinger.
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Maurice Lœwy (1833-1907) Pierre Puiseux (1855-1928) Le cratère Viète (cerclé), au sud-est de la face visible de la Lune Photographie, 23 juillet 1897 Observatoire de Paris Gabriel de Fontaine (1826-1901), attribué à Portrait de François Viète Huile sur toile Les Lucs-sur-Boulogne, Historial de la Vendée (CDMV 2003.11.1.1)
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••• Un nouveau regard sur le marais vendéen
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Un nouveau regard sur le Marais poitevin au Moyen Âge : Pierre de Maillezais et Pierre Bersuire CÉDRIC JEANNEAU
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➤ Page précedente : Frans II Franckren, Éléments d'un cabinet de curiosités (détail) ➤ Fig. 1, ci-contre Robinet Testard (actif à Poitiers de 1471 à 1531) Poitou – Le Marais poitevin et, vraisemblablement, l’abbaye de Maillezais à la fin du xve siècle Enluminure extraite du manuscrit Secrets de l’histoire naturelle [entre 1480 et 1485] Paris, Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits (Ms. français 22971, fol. 47v)
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epuis le Moyen Âge, l’espace bas-poitevin a considérablement évolué : assèchement des marais, disparition de la forêt, progrès des cultures. Ces changements, mesurables à travers les enquêtes géologiques ou palynologiques, ne semblent guère avoir intéressé les témoins de l’époque médiévale, qui n’évoquent leur environnement que de manière superficielle, sans méthode ni réalisme, loin de toutes les exigences de la science naturaliste moderne. Si le terme de « naturaliste » implique une démarche scientifique fondée sur l’observation et l’analyse précise des espèces végétales ou animales, alors le mot ne convient guère pour la période, durant laquelle, comme le résume Michel Pastoureau, « le réel est une chose, le vrai en est une autre1 ». S’il englobe, en revanche, toute forme de curiosité pour la nature, alors cette époque peut être celle des prémices de cette matière en Vendée. Les marais du Bas-Poitou ont en tout cas suscité l’intérêt des moines qui y ont vécu. Est-ce l’aspect sauvage des lieux ou bien la richesse de l’abbaye de Maillezais2 ? Il est difficile de dire ce qui a conduit deux moines originaires de ces contrées, à deux siècles et demi d’intervalle – Pierre de Maillezais, moine de la célèbre abbaye, au xie siècle et Pierre Bersuire, un bénédictin, au xive siècle – à introduire à l’intérieur de leurs ouvrages respectifs, une Historia pour le premier3 et une encyclopédie moralisée pour le second4, leurs propres observations sur cet environnement si particulier.
Pierre de Maillezais : un observateur attentif du Marais poitevin Lorsqu’on évoque le Marais poitevin au Moyen Âge, un nom surgit : celui de Pierre de Maillezais, auteur, à la demande du père abbé Goderan, entre 1060 et 1072,
d’un récit de fondation suivi de la relation de la translation du corps de saint Rigomer dans la nouvelle abbatiale. Le texte s’ancre dans les usages et la rhétorique propres à ce genre littéraire, mais il s’en distingue aussi par un long prologue assez inhabituel, dans lequel le moine évoque les étendues marécageuses qui bordent l’abbaye – une présentation qui contraste avec celles, plus courtes, rédigées par ses contemporains. UN PAYSAGE ENTRE TRADITION ET RÉALITÉ
Les questions environnementales ne désintéressent pas les hommes des xie et xiie siècles et sont régulièrement l’objet de débats dans les actes diplomatiques. Leur traitement s’avère toutefois rarement fidèle à la réalité, les moines continuant à utiliser un vocabulaire et des formulaires anciens qui ne rendent pas véritablement compte des nouveaux aménagements du territoire5. Les scribes de l’abbaye de Maillezais vont toutefois un peu plus loin et évoquent des constructions récentes, comme les séries d’écluses, ou la présence de troupeaux au milieu des marais6. Pierre de Maillezais dépasse cette première approche pour proposer un tableau de l’île et des marais qui l’entourent fondé sur ses propres observations et renforcé par les témoignages d’autrui insérés à la suite de formules comme « dicitur »7. UN RÉCIT ENTRE TRADITION HISTORIOGRAPHIQUE ET OBSERVATIONS PERSONNELLES
Les propos de Pierre de Maillezais (fig. 3 p. 26) ne se limitent pas à une simple description ; il cherche aussi à comprendre et à expliciter la forme des marais et leurs particularités – notamment la présence d’une faune foisonnante, une densité qu’il attribue à l’humidité des terres, qui assure aux animaux un habitat propice (la bauge), une nourriture abondante à base de glands et des abris contre les chasseurs8. Son regard se tourne ensuite vers les habitants,
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dont il cherche à identifier les caractères, les habitudes, les manières de vivre en s’appuyant, comme il est d’usage à l’époque, sur l’étymologie. Il fait ainsi dériver le nom latin des colliberts9, collibertus, de cultu imbrium10, s’appuyant pour cela – confession rarement exprimée ailleurs – sur la tradition populaire, qu’il cite11. La description n’est guère avantageuse : les colliberts sont perçus comme grossiers, prompts à la colère, cruels, une accumulation qui les déshumanise et les assimile en quelque sorte à des sauvages. Mais ces qualificatifs ne doivent pas être pris au pied de la lettre : Pierre de Maillezais se contente de répéter un topos largement diffusé par ailleurs qui oppose la sauvagerie de la nature à la civilisation apportée par les moines, lesquels finissent par la dompter. Son enquête s’avère particulièrement novatrice pour l’époque et se rapproche sur certains points de celles qui seront menées beaucoup plus tard par les explorateurs naturalistes des Lumières découvrant des peuples inconnus. Il s’appuie en effet autant sur ses propres observations que sur les témoignages antérieurs ou sur la tradition. Évoquée un peu comme un élément de décor au début de son récit, la nature change peu à peu de rôle et devient par la suite une véritable actrice.
Le bestiaire poitevin des hommes du XIe siècle La nature intervient dans le récit de Pierre de Maillezais avec un animal exceptionnel, un sanglier (fig. 2 cidessous) particulièrement dangereux que Goscelme, un chevalier, débusque au fin fond de la forêt, au beau milieu du chœur d’une ancienne église. Son combat ➤ Fig. 2 Mouton et cochon, métopes figurant sur la façade de l’église romane Saint-Hilaire Foussais-Payré (Vendée) [entre 1050 et 1100] ➤ Fig. 3, page de droite Anonyme Qualiter suit constructum Malliacense monasterium et corpus sancti Rigomeri translatum [entre 1201 et 1300] Copie du manuscrit autographe de Pierre de Maillezais [xie siècle] Paris, Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits (Ms. latin 4892, fol. 246a)
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contre la bête l’amène à commettre un sacrilège, puni immédiatement par une colère divine qui le paralyse. La sanction est levée grâce à l’intervention de la comtesse Emma, qui dispose deux cierges le long de son corps. Le rétablissement du chevalier amène Emma à solliciter de son époux la fondation de ce qui deviendra l’abbaye de Maillezais12. Pour évoquer ce sanglier, le moine Pierre quitte le registre descriptif pour puiser dans des références scripturaires ou symboliques, reprenant des motifs hagiographiques usités ailleurs, notamment celui de l’animal-guide13, chargé de faire découvrir aux hommes un endroit sacré où bâtir un lieu de culte14. Le sanglier de Maillezais est présenté comme un animal extraordinaire de par sa taille, ce qui permet de le retrancher du bestiaire traditionnel pour le placer dans celui des animaux monstrueux, un rapprochement qu’il est aisé de réaliser car le sanglier est perçu par les clercs comme une créature particulièrement dangereuse et démoniaque : la gueule constamment plongée dans la fange, il retourne la boue pour y chercher des glands sans jamais regarder vers le ciel et son Créateur15. Le caractère surnaturel de cet animal est d’ailleurs souligné à plusieurs reprises dans le récit à travers sa capacité à réaliser des prodiges, tel celui de surgir brusquement des ronces à la clairière, du monde de l’enfer à celui des hommes16. Chez Pierre de Maillezais cohabitent deux perceptions de la nature : l’une, traditionnelle, qui fait d’elle un espace magique, lieu d’affrontement entre la puissance divine et les forces du mal par l’intermédiaire de ses créatures, et l’autre plus rationnelle, du moins plus réfléchie, fondée sur une observation personnelle ani-
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mée du désir de comprendre. Source d’inspiration, la faune et la flore du Marais poitevin le sont assurément pour le moine-écrivain, mais aussi pour les artistes romans de la région, qui ont sculpté un bestiaire miréel, mi-fantastique sur les chapiteaux des églises17. Elles le seront aussi pour un autre enfant du pays né deux siècles et demi plus tard, Pierre Bersuire.
PIERRE BERSUIRE : LA NATURE COMME EXEMPLE Natif de la Vendée, probablement de Saint-Pierre-duChemin, Pierre Bersuire (1290 ?-1362, fig. 5 p. 31) entre dans les ordres comme moine à une date inconnue, d’abord chez les Franciscains puis chez les Bénédictins, sans que l’on sache dans quelle abbaye il a prononcé ses vœux. Durant ces années, il acquiert une solide maîtrise du latin et de grandes connaissances en théologie qui lui permettent d’entrer au service du pape Jean XXII, alors installé en Avignon. Il y rencontre de nombreuses personnalités comme Pétrarque et obtient des appuis qui lui seront très utiles par la suite, particulièrement lors de son arrestation à Paris pour fait d’hérésie. Établi en Avignon de 1320 à 1350, il y entreprend la rédaction de la plupart de ses ouvrages, notamment le Reductorium morale18, une vaste encyclopédie de treize livres recensant toute l’œuvre de la Création (fig. 4). Il ne s’agit pas seulement d’une somme scientifique : l’objectif de Pierre Bersuire, comme le titre de son ouvrage l’indique – reducere, « ramener, rétablir » –, est de se servir de la nature dans une perspective moralisatrice en interprétant chaque élément d’un point de vue analogique et allégorique pour en découvrir le sens caché et, ainsi, en tirer des enseignements pour éduquer les chrétiens et corriger leurs mœurs. Cet intérêt pour la nature place au centre des débats plusieurs questions cruciales concernant tant les modalités de classement des espèces végétales ou animales que les méthodes à employer pour décrire et analyser les individus. CLASSER ET ORDONNER LA NATURE
Pour Pierre Bersuire, la nature est le fruit du dessein divin, une création qu’il s’efforce de recenser en établissant une hiérarchie qui le conduit de l’évocation de la divinité (livre II) à l’homme (morphologies, comportements, maladies…), au ciel et à la terre (livre V), aux éléments naturels (vents), aux êtres vivants, répartis selon l’espace dans lequel ils se meuvent (terre, air, eau), aux minéraux (livre XI), aux végétaux (livre XII) et aux autres singularités de la nature (livre XIII). À ces volumes, il en ajoute trois autres : une descrip-
tion géographique moralisée du monde, réparti en cinquante-sept ensembles ou régions dont le Poitou, la relation des Métamorphoses d’Ovide, toujours dans une perspective moralisatrice, et un commentaire des principaux récits et paraboles des Écritures. Malgré son étendue, cet inventaire tombera dans l’oubli à partir du xviie siècle et n’intéressera guère les Lumières, qui lui reprocheront sa trop grande crédulité envers les anecdotes légendaires qu’il rapporte. Il faut cependant éviter de procéder à une lecture anachronique et de déchiffrer le Reductorium à la lumière de nos connaissances naturalistes actuelles, mais plutôt s’efforcer de comprendre le raisonnement des savants de l’époque, en premier lieu le système de classification des espèces. La liste des animaux présentés peut surprendre. S’y côtoient en effet, rangés par ordre alphabétique, les espèces domestiques rencontrées régulièrement comme le mouton, la poule, le coq, mais aussi les animaux sauvages comme la belette ou le renard et aussi, plus curieusement, des animaux exotiques comme l’éléphant, le léopard ou la hyène, auxquels le moine ajoute des créatures fabuleuses comme le basilic ou le dragon, ou encore d’autres mi-humaines, mi-animales comme le satyre ou le faune – individus fréquentant peu le Marais poitevin. Ce type de rapprochement, que l’on retrouve également pour les oiseaux ou les poissons, est imputable en grande partie aux sources que Pierre Bersuire a consultées. Son catalogue, en effet, se fonde sur des mentions rencontrées dans la Vulgate, auxquelles s’ajoutent des espèces citées par des auteurs antiques comme Aristote, Pline l’Ancien, Élien ou dans le Physiologus, ainsi que d’autres puisées dans les bestiaires et encyclopédies rédigés par les clercs, au premier rang desquels Isidore de Séville, mais aussi Albert le Grand, Barthélemy l’Anglais, Thomas de Cantimpré19… Le classement que l’auteur a effectué contient un certain nombre de contradictions qui révèlent les incertitudes des naturalistes de l’époque. Les insectes ne constituent pas un ensemble bien identifié et sont répartis entre les animaux – abeilles, puces, sangsues, bombyx – et les oiseaux – cigales, moustiques –, tout comme d’ailleurs les reptiles et les batraciens. Contrairement à d’autres encyclopédies, le monde marin, avec cent vingt-deux items, est bien représenté, malgré un traitement très inégal. Les poissons de rivière, pourtant les mieux connus, sont rares (six), largement dépassés par les créatures marines de toutes sortes : poissons (vingt-six), coquillages et crustacés de l’estran ; créatures rencontrées dans les textes anciens,
➤ Fig. 4, page de gauche Pierre Bersuire (1290 ?-1362) Première page du Reductiorum morale, avec miniature anonyme d’Adam et Ève cueillant le fruit de l’arbre de la science (deuxième moitié du xive siècle) Manuscrit, vélin Toulouse, bibliothèque municipale de Toulouse, Bibliothèque d’étude et du patrimoine (Ms. 226, fol. 1)
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comme les néréides ou les sirènes ; mammifères ou reptiles fréquentant les points d’eau, comme les crocodiles ; et même espèces difficilement identifiables, mais qui sont les pendants en mer de créatures terrestres avec des caractéristiques semblables, comme le scorpion de mer, le moine de mer ou le cheval de mer… Les chapitres sur les plantes s’organisent de la même manière et associent herbes locales, végétaux évoqués dans les textes patristiques et plantes « magiques ». On le voit, cette perception du monde animal et végétal diffère sensiblement de la nôtre et accorde une large place au légendaire et au merveilleux.
UNE NATURE ENTRE MERVEILLEUX ET RAISON Le Reductorium regorge de créatures et d’événements extraordinaires qui vaudront par la suite à son auteur de nombreuses railleries. Mais, pour les clercs du Moyen Âge, les mirabilia ne sont pas incompatibles avec la rédaction d’un discours scientifique sur la nature. Ils répondent en fait à un objectif précis : montrer la toutepuissance de la Création divine, capable de s’exprimer à travers tous ces prodiges, ces merveilles de la nature qui doivent servir de modèle aux chrétiens. Dans cette entreprise, Pierre Bersuire se distingue de ses prédécesseurs du fait qu’il ne recourt pas uniquement aux exemples traditionnels, mais s’appuie sur des témoignages du quotidien qui ont pu lui être rapportés – comme cette femme qui, ayant accouché d’une sauterelle, en portait encore une autre dans son ventre au moment de son décès, ou bien ce poulpe simulant la mort pour s’échapper de la casserole, ou encore cette bête sauvage, appelée loz en Bohême, déjouant les attaques des chasseurs en leur jetant à la tête de l’eau bouillante20. Ces anecdotes ne sont pas considérées comme des fables, mais bien comme des objets de connaissance : à partir de toutes ces informations, le moine élabore un discours sur la nature articulé autour de quatre moments.
UN PROCESSUS PARTICULIER DE CONNAISSANCE DE LA NATURE
S’inspirant de la méthode d’Isidore de Séville, Pierre Bersuire commence son étude par une approche étymologique, l’analyse d’un nom étant considérée comme le moyen le plus efficace d’appréhender la réalité qui se cache derrière. Vulpe, par exemple, le nom latin du renard, viendrait de volutans pedibus, « virevoltant avec les pieds », ce qui expliquerait le caractère sournois et rusé qu’on attribue à cet animal durant tout le Moyen Âge21.
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La deuxième étape passe par la compilation des informations puisées dans les écrits de ses prédécesseurs, considérés comme des auctoritates sûres. L’identification des espèces animales se fait sur plusieurs critères fondés sur une approche essentiellement dichotomique (présence ou absence d’un élément du genus) qui permet d’établir distinction et hiérarchie. Les premières interrogations portent sur la manière de vivre (le jour ou la nuit), sur les relations avec les hommes (animal domestique ou sauvage) et sur le régime alimentaire (herbivore ou carnivore). Trois critères retiennent plus spécifiquement l’attention. En premier lieu, la complexion des espèces, c’est-àdire la nature des humeurs qui les parcourent et qui engendrent des qualités sensibles : chaleur, qui assure la supériorité des mammifères et des oiseaux, ou froideur, celle des reptiles ; sécheresse ou humidité. Ce système s’applique aussi aux végétaux, voire aux gemmes, et explique leur fonction curative, liée à leur capacité à influer sur une humeur défaillante d’un individu. Le deuxième critère concerne la reproduction. Si la sexualité de certaines espèces est bien connue et fait l’objet de développements22, pour d’autres, faute d’observations, elle reste mystérieuse et amène les clercs à évoquer l’idée de génération spontanée : ainsi, pour Pierre Bersuire, les petits des « barliatha » – des oiseaux non identifiables aujourd’hui – naissent dans la pourriture des arbres ou dans la mer23. Le troisième critère cherche à établir des corrélations entre des caractéristiques morphologiques propres à l’animal et leur finalité – à l’image des dents acérées du chien, qui lui permettent de déchirer sa proie. Il cite ainsi régulièrement Aristote, dont les écrits sur les animaux ont fait l’objet d’une traduction, vers 1230, par Michel Scot24. Cette approche est reprise pour le règne végétal, qui rassemble aussi une large palette d’espèces, des herbes locales jusqu’aux plantes les plus exotiques. Il s’intéresse aussi à leurs modalités de reproduction, puis aux facteurs qui assurent leur croissance, qu’ils soient naturels, comme l’eau, le soleil ou la lune, ou artificiels, fondés sur l’ajout d’engrais, qui permet de rétablir l’équilibre des humeurs. L’auteur s’arrête aussi sur la culture des vignes et la production du vin25.
ENTRE EXEMPLUM ET EXPERIMENTUM Si le moine s’appuie sur un patient travail de compilation, il introduit aussi des exemples tirés de ses propres observations – une démarche peu courante dans la mesure
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où, au Moyen Âge, cet exercice ne constitue pas l’étape initiale obligée de la démarche scientifique, l’auteur faisant davantage confiance aux légendes ou aux symboles, surtout lorsqu’ils sont portés par des auctoritates reconnues26. Il décrit ainsi précisément la démarche latérale du crabe ou la dureté de la coquille des huîtres, qu’il a pu peut-être ramasser sur les buttes coquillières de SaintMichel-en-l’Herm27, mais aussi des espèces inconnues aujourd’hui et qui doivent à cette époque nicher dans
la région : par exemple, les « barliatha », « qui pouvaient vivre plus de cent ans, appelés “tubonides” par Aristote et que l’on mangeait en carême. Très nombreux près de la mer, ils étaient appelés aussi dans la région “cravants”28 ». Il mentionne aussi les « congalérans », qui logent dans les clochers de Maillezais ou du Coudray29, ainsi que les « pidenculs30 ». Il rapporte également un témoignage concernant un monstre marin découvert près du monastère de Saint-Michel-en-l’Herm : appelé
➤ Fig. 5 Anonyme Pierre Bersuire (fin du xve siècle) Enluminure extraite du manuscrit Titus Livius, ab urbe condita traduit par Pierre Bersuire Paris, Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits (Ms. français 271, fol. 1)
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« zitiron », il « avait un visage et des mains d’homme et une tête munie d’écailles à la manière d’un chevalier et, à partir du nombril, une queue en forme de large peigne que les marins ne purent prendre qu’avec grand-peine, car il s’était retiré à l’abri des rochers et jetait des pierres de ses mains31 ». La dernière étape du travail de Pierre Bersuire, la plus étrange pour nous mais la plus importante pour lui, consiste à moraliser ces faits, c’est-à-dire à opérer un rapprochement avec les textes sacrés et à en tirer des enseignements et une morale destinés aux prédicateurs. C’est un travail dans lequel il excelle, car il est capable de mémoriser un nombre extraordinaire d’exemples et d’en inventer d’autres. Ainsi, les crabes sont associés aux pécheurs, notamment les
individus qui tentent de s’élever par tous les moyens audessus des autres : la carapace renvoie à leur caractère dur et obstiné, leur goût pour les huîtres, qu’ils attrapent par traîtrise, lorsque la coquille est ouverte, est l’occasion de dénoncer la mollesse et les délices de la chair, les pattes qui entourent leur corps servent à illustrer l’avarice et la cupidité qui caractérisent la plupart de ces personnes32. Durant cette longue période qu’on appelle Moyen Âge, la perception de la nature a évolué. Si elle reste toujours au service d’un discours moral et religieux, elle se détache progressivement, à partir de la fin du xiiie siècle, de sa fonction d’exemplum pour devenir tout simplement un objet de connaissance fondé sur l’observation.
NOTES 1. Pastoureau, 2011, p. 12. 2. Delisle, 1874, p. 506-508 ; Genton, 2005, p. 79-111. 3. Pierre de Maillezais, Qualiter fuit constructum Malliacense monasterium et corpus sancti Rigomeri translatum, Paris, BNF, ms. lat. 4892 : voir Chauvin, Pon, 2007, p. 42. 4. Pour consulter l’ensemble de l’œuvre de Pierre Bersuire (Reductorium et Repertorium), Paris, BNF, lat. 16785-16790. Une version imprimée est conservée à la médiathèque de Poitiers, BP 32. 5. Les scribes continuent à décrire les domaines de la même manière : une villa avec des terres cultivées et en friche, des forêts, des prés, des moulins et des esclaves, alors que ces domaines ont été morcelés et les dépendants lotis sur des tenures. 6. Chartes de l’abbaye de Maillezais : voir Chauvin, Pon, 2007, p. 203, 209. 7. Ibid., p. 91. 8. Ibid., p. 93. 9. Les colliberts, installés à Maillezais et évoqués également dans un certain nombre d’actes issus des régions de l’Ouest, constituent une catégorie de dépendants dont on ignore en grande partie les origines, la nature du lien qui les unit alors au seigneur et ce qui peut, plus généralement, les distinguer des autres serfs : voir Richard, 1875, p. 3-63. 10. Ibid., p. 95. 11. Les colliberts tirent « leur nom de ce que le déluge des pluies ayant fait gonfler la Sèvre, les habitants avaient abandonné le lieu où ils vivaient et seraient venus ici, en raison de la présence des poissons » : ibid., p. 95. 12. Ibid., p. 95-101. 13. Bozoky, 2005, p. 17. 14. Reprend le thème biblique du songe théophanique de Jacob, lorsqu’il voit en rêve l’échelle qui permet l’ascension jusqu’aux cieux (Genèse 28, 12).
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Châtelliers, d’un cochon à Foussais et à Chalais… : voir Crozet, 1948 ; Dillange, 1983, p. 232-241. 18. L’ouvrage le plus complet : Samaran, 1962. 19. Isidore de Séville, Etymologiae seu origines, livre XII, éd. J. André, Paris, 1986 ; Albert le Grand, De animalibus libri XXVI, éd. H. Stadler, Münster, 1916-1920 ; Barthélemy l’Anglais, De proprietatibus rerum, éd. B. Van den Abeele et al., Turnhout, 2007 ; Thomas de Cantimpré, Liber de natura rerum, éd. H. Boese, Berlin-New York, 1973. 20. Reductorium, livres IX et XIV. 21. Pastoureau, 2011, p. 110. 22. Ceux-ci portent notamment sur la fréquence des relations sexuelles, nombreuses pour certaines espèces comme l’oie, beaucoup plus rares pour l’éléphant (Reductorium, livre VII-8). Ces différences font l’objet de discussions autour du lien entre pureté et longévité : pour le moine, la rareté des relations charnelles limite les pertes d’humeur et n’épuise pas l’animal, qui peut ainsi espérer vivre plus vieux. 23. Reductorium, livre VII-12. 24. Malgré les réticences de l’Église, les écrits d’Aristote se diffusent dans tout l’Occident et influencent considérablement les clercs. Les neuf livres de son Histoire des animaux constituent la première tentative de perception rationnelle du règne animal à travers la description des différentes parties composant les espèces et l’analyse des modes de reproduction, de la marche et du mouvement : voir Lohr, 1982. 25. Reductorium, livre XII. 26. Berlioz, Polo de Beaulieu, 1999, p. 20-24. 27. Reductorium, livre IX-16 ; 84. Des buttes coquillières de plus de huit cents mètres de long formées d’huîtres ont existé jusqu’au milieu du xxe siècle : voir Godard, 1995, p. 193-229. 28. Reductorium, livre XII-9. 29. « De Pictavia », Reductorium, livre XIV-43.
15. Pastoureau, 2011, p. 68-69.
30. Reductorium. Il s’agit peut-être du grèbe : voir Samaran, 1962, p. 4.
16. Bozoky, 2005, p. 17.
31. Reductorium, livre IX-135.
17. Représentation d’un cerf à Vouvant, d’une biche et d’un chevreuil à La Chaize-Giraud et à Foussais, d’un renard à La Caillère et aux
32. Reductorium, livres IX-XVI.
Crabes, barliatha et zitiron dans le Marais poitevin au XIVe siècle
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QUIA sunt conche cum cruribus et sunt cancri pisces testas habentes, non directe ante faciem sed lateraliter incedentes ; ostrearum sunt inimici carnes earum cum ipsas apertas inveniunt devorantes. Charissimi, cancer significat peccatores et maxime illos qui in officiis et dignitatibus alios antecellunt ballivos et prepositos et similes. Tales igitur habent testas dure et obstinate voluntatis, carent sanguine in dulcore pietatis et benignitatis, viuunt in locis mollibus, in deliciis carnalitatis et voluptatis, et arenas divitiarum cum pedibus et cum affectibus amplectuntur per vitium avaritie et cupididatis. [Reductorium, livre XII-9]
Parce que les coquillages sont munis de pattes et que les crabes sont des poissons ayant des coquilles, ils avancent non de manière frontale, mais latéralement ; ils sont les prédateurs des huîtres et ils dévorent leurs chairs quand ils les trouvent ouvertes. Très cher, le crabe désigne les pécheurs et surtout ceux qui dans les offices et dignités s’élèvent au-dessus des autres, baillis, prévôts et autres individus semblables. Ils ont ainsi reçu des carapaces, de caractère dur et obstiné, ils manquent de sang dans la douce saveur de la piété et de la bonté, ils vivent dans des lieux amollissants, dans les délices de la chair et de la volupté, et ils entourent de leurs pattes et de leurs affections les sables des richesses dans le vice de l’avarice et de la cupidité. ➤ Fig. 1 p. 26 (détail) Robinet Testard (actif à Poitiers de 1471 à 1531) Poitou – Oiseaux du Marais poitevin Détail de l’enluminure « Poitou » extraite du manuscrit Secrets de l’histoire naturelle [entre 1480 et 1485] Paris, Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits (Ms. français 22971, fol. 47v)
BARLIATHA est avis que in arbore nascitur et in mari in lignis putrefactis. Et istas aves dicitur annos centius phibuisse in quadragesima manducari. Istas vocat arist. Tubonides. Iste in Pictavia, circa maritima, ubi plurime sunt tales vocantur cravancii, et ideo de istis vide in titulo de pictavia infra libro quartodecimo.
Barliatha est un oiseau qui naît dans un arbre, dans la mer, dans les bois pourris. On dit qu’on mange en carême ces oiseaux, qui vivent plus de cent ans. Aristote les appelait les tubonides. En Poitou, près de la mer, on peut en voir en très grand nombre, ils y sont appelés cravants1 : vois ce qu’on dit de ces oiseaux sous le titre « du Poitou », au livre XIV. ZITIRON id est miles marinus. Hic libet mihi inserere quod a religioso viro, praeposito Sancti Michaelis in Eremo, in solo Pictavico unde oriundus ego sum, supra littus Oceani Aquitanici situato, me recolo audivisse, vidisse scilicet in mari juxta monasterium capi piscem cum facie et manibus humanis, squamis armato capite ad modum loricati, ab umbilico vero ad modum lati pectinis terminatum, qui vix a nautis capi potuit, in quodam rupis maris recessu se retinens et manibus proiciendo lapides se defendens. [Reductorium, livre IX-135]
Le zitiron est un chevalier de la mer. Il me plaît d’insérer ici que je me rappelle avoir entendu dire par un religieux, prévôt de Saint-Michel-en-l’Herm, situé en Poitou, d’où je suis originaire, près du rivage de l’océan aquitain, qu’il a vu prendre près du monastère un poisson ayant un visage et des mains d’homme, avec une tête armée munie d’écailles à la manière d’un chevalier et, à partir du nombril, une queue terminée par un large peigne : les marins ne purent le prendre qu’avec peine car il s’était retiré à l’abri des rochers et se défendait en jetant des pierres avec ses mains. 1. Bernaches cravants.
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Deux coffres d’herbes séchées, la plante de Judée Le goût des curiosités à Fontenay-le-Comte MYRIAM MARRACHE-GOURAUD Promettant de montrer tout ce que la nature Tient de rare et de beau sous la ronde cambrure1.
I
l est au xvie siècle une passion savante qui occupe tout le loisir de certains beaux esprits. Poussés par la curiosité, ils accumulent en un coffre, une armoire, une pièce fermée tout ce que le hasard ou la recherche raisonnée a pu leur offrir de rare et de précieux. Le cabinet de curiosités2 est ce lieu privé où l’on resserre sa collection de « merveilles ». Lorsque la collection grandit, et parfois se diversifie, on la fait visiter, dans un cercle privé d’amis ou de recommandations, et il arrive qu’un droit d’entrée soit perçu. Les collectionneurs les plus fameux – ou qui désirent passer pour tels – publient
➤ Fig. 1 Anonyme, Portrait de Barnabé Brisson (1530-1591), huile sur toile, musée de Fontenay-le-Comte.
➤ Fig. 2, page de droite Anonyme Bouquet de végétaux [1609] Gravure extraite de l’ouvrage Jardin, et cabinet poétique de Paul Contant, apoticaire de Poictiers, Paul Contant (1562 ?-1629 ?) (1609) Poitiers, médiathèque François-Mitterrand (DM 1453)
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de leurs richesses un inventaire imprimé, parfois illustré de planches réalisées d’après nature, afin de faire connaître ce qu’ils baptisent leur « trésor ». C’est tout un réseau savant qui se construit et qui occasionne des correspondances, des échanges d’objets, des dons entre collectionneurs, des visites ; on vient souvent de loin pour avoir le privilège de pénétrer dans tel ou tel cabinet. Le phénomène touche toutes les classes sociales : des princes, dont la collection dira le prestige et la puissance, aux simples apothicaires ou savants cherchant à comprendre l’ordre du monde et les jeux de la nature. Depuis les travaux fondateurs de Krzysztof Pomian3, il est admis que l’idée du cabinet de curiosités a pour origine les trésors des églises, et notamment le culte des reliques, puisque chaque objet, même très simple, une fois inséré dans la collection, se trouve exposé avec parfois beaucoup de faste et devient quasiment sacré, du moins aux yeux de son possesseur. Pour autant, le désir de montrer ne va pas sans l’idée d’ordonner et de comprendre, à une époque où les classifications de Linné n’existent pas et où il faut dès lors inventer des manières d’associer, de distinguer, d’inventorier les productions de la nature. Les hommes de la Renaissance rivalisent d’adresse pour tenter de concilier l’effet spectaculaire, souhaité dans la scénographie générale d’un lieu qui doit impressionner, et l’effet savant, qui donnera tout son intérêt à la visite, laquelle pour être réussie doit donc surprendre, plaire et instruire tout à la fois (fig. 4, p. 37). Puisque le phénomène, naissant au xvie siècle et prenant toute son ampleur au xviie siècle, touche absolument toute l’Europe, Fontenay-le-Comte, alors prestigieuse capitale du Bas-Poitou, n’en est pas exclue, loin s’en faut.
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➤ Fig. 3 Élie II Richard (1672-1720) Le « bazilic ou dragon volant », animal imaginaire recherché par les détenteurs de cabinets de curiosités aux xvie et xviie siècles Dessin extrait du manuscrit Histoire naturelle des végétaux et des minéraux avec un abrégé des météores (1700) La Rochelle, médiathèque d’agglomération de La Rochelle (Ms 2715)
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Si le cabinet de curiosités est un lieu d’étude autant que d’exposition, c’est que dès ses premiers temps ce « musée » privé a pour ambition de manifester un intérêt pour les mystères de la nature tout en rassemblant les merveilles de l’univers sous la forme d’un « abrégé » du monde. Au xvie siècle, l’idée qui prévaut est celle du microcosme, afin de recréer en miniature, à l’échelle de la petite pièce où l’on place les objets, une reproduction du grand univers, le macrocosme. Le collectionneur
cherchera donc à recueillir chez lui des éléments issus de tous les règnes naturels : dans la grande catégorie des naturalia viennent les éléments extraits des profondeurs de la terre (les minéraux, les métaux), mais aussi des végétaux et des animaux, lesquels se partagent entre animaux terrestres, marins, aériens et monstres. La collection célèbre ainsi la toute-puissance de Dieu, créateur du monde dans son infinie variété. Les naturalia sont complétées par la catégorie des artificialia, objets créés de la main de l’homme – entendons ici aussi bien les monnaies et médailles antiques que les restes archéologiques, les statues, peintures et autres objets d’art ainsi que les objets rapportés du Nouveau Monde (fig. 4). Plus l’objet est rare et énigmatique, que ce soit par sa taille, sa couleur, sa matière ou sa facture, plus il mérite une place dans la collection, qui lui confère un statut de merveille. Tout cabinet digne de ce nom possédera quelques objets attendus : le grand crocodile, généralement accroché au plafond (fig. 5), l’œuf d’autruche, le bec de toucan, éventuellement pour les plus fortunés une corne de licorne (fig. 5, 6 et 7), et parfois même un dragon (fig. 3), des morceaux de momie, des poissons gigantesques et autres serpents monstrueux, et, parmi les plantes les plus prisées, des tulipes, arrivées en Europe à la fin du xvie siècle. Les nouveaux venus, les canoës, maracas et autres nattes des Amériques, s’imposent rapidement comme indispensables témoins d’une connaissance géographique en expansion. Dans cette mesure, Fontenay-le-Comte tire un avantage indéniable de sa proximité avec la façade atlantique. Les navires apportent d’Amérique ou d’Afrique des marchandises qui arrivent d’itinéraires lointains, chargées de leur mystère. Par ailleurs, la ville a une activité commerciale importante favorisée par les foires de la Saint-Jean, qui sont renommées dans toute la région. Et puis Fontenay-le-Comte est une ville qui entretient avec ses voisines des relations importantes : Poitiers attire les jeunes Fontenaisiens par les formations en droit et en médecine de son université ; quant à La Rochelle, elle sert de refuge aux réformés de Fontenay chassés par les guerres de Religion. La florissante capitale du Bas-Poitou est ainsi le lieu de nombreux échanges tant économiques qu’intellectuels. Le droit, la médecine, les belleslettres, les questions théologiques sont débattus avec passion dans des cercles savants dont les noms les plus illustres sont parvenus jusqu’à nous : Rabelais, Tiraqueau, Brisson, pour ne citer qu’eux.
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➤ Fig. 4 Frans II Francken (1581-1642) Éléments d’un cabinet de curiosités, Kunstund Raritätenkammer [vers 1620-1625] Vienne (Autriche), Kunsthistorisches Museum Wien (GG 1048)
C’est justement dans ce cercle que peut commencer notre visite des collections de curiosités du Bas-Poitou d’alors. On trouve à Fontenay, bien avant le début du xviie siècle, époque de l’apothicaire de Poitiers Paul Contant, dont nous aurons à reparler, des lignées de collectionneurs de père en fils, dont quelques exemples nous sont connus. Raoul Colin, d’après l’inventaire dressé après son décès en 15494, laisse à Sébastien – son fils ou son neveu, médecin comme lui – deux coffres remplis d’herbes séchées, classées dans un certain ordre, ainsi que des livres d’histoire naturelle. Le même Sébastien Colin ouvrira une faïencerie à Fontenay quelques dizaines d’années plus tard avec un autre illustre
collectionneur de la région, Bernard Palissy. Les frères Brisson sont, quant à eux, juristes : l’un est sénéchal de Fontenay-le-Comte, l’autre effectue des missions diplomatiques pour le roi et publie des textes juridiques ainsi que des œuvres consacrées à la poésie latine. Ils possèdent, semble-t-il, une précieuse collection de livres mais aussi d’objets d’art et de curiosités. Grâce à Hubert Göltzius, antiquaire numismate de Vanloo, qui dit l’avoir visitée lors d’un voyage à Paris en 1561, on sait que cette collection existe déjà lorsque Barnabé Brisson (fig. 1, p. 34) y est encore jeune avocat, avant de revenir exercer à Fontenay-le-Comte. Toutefois, la plus célèbre des collections familiales fontenaisiennes
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➤ Fig. 5, ci-contre Anonyme Le crocodile, accroché au plafond du cabinet de curiosités, attire à coup sûr l’attention des visiteurs. Gravure « Ritratto del Museo di Ferrante Imperato » extraite de l’ouvrage Historia naturale di Ferrante Imperato… In questa seconda impressione aggiontovi da Gio. Maria Ferro…, Ferrante Imperato, Venetia (1672) Toulouse, bibliothèque municipale de Toulouse, bibliothèque d’étude et du patrimoine (Fa B 434) ➤ Fig. 6, page de droite Anonyme Le cabinet d’Ole Worm (1588-1654), comportant entre autres curiosités une dent de narval, dite « corne de licorne », au centre de l’image (1655) Gravure extraite de l’ouvrage Museum Wormianum seu historia rerum rariarum tàm naturalium quàm artificialium, etc. ab Olao Worm, med., Ole Worm, Amsterdam (1655) Strasbourg, université de Strasbourg, service commun de la documentation ➤ Fig. 7, page de droite Dent de narval provenant du trésor de l’abbaye de Saint-Denis Paris, musée national du Moyen Âge (CL 20202)
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initiées par un père puis continuées par un fils est celle de Michel Tiraqueau, fils du « bon, sage, tant humain5 » André Tiraqueau, grand juriste célébré par Rabelais. Michel Tiraqueau possède, selon l’inventaire versifié écrit par son petit-neveu André de Rivaudeau, « un saint Cabinet, à qui le grand Soleil / Qui voit tout et sait tout, ne sait rien de pareil6 ». Il renferme « mille médailles belles » ainsi que des œuvres d’art – statues, vases, tableaux – et une bibliothèque considérable, mais aussi « des fruits des arbres estrangers, / Rapportés de si loin parmi mille dangers », et puis « Les Lézards du Brésil, et maint Barbare monstre », des baumes ou végétaux exotiques tels que « Le Poivre avec sa grappe, et la Palme Idumée », la plante de Judée, et encore un œuf d’autruche, des chapeaux « velus », des habits de « petits cartilages » confectionnés par les « sauvages », enfin un herbier peint de cinq cents plantes. Cette « chambre ornée » méritait bien un hymne, puisque le collectionneur « tient le Pérou et Guinée, les rares
trésors du terroir indien » dans le lieu-dit de Bel-Ébat à Fontenay-le-Comte. L’inventaire de la succession préciserait que la belle propriété disposait d’une serre chaude (« loge vitrée »). Comme son concitoyen François Mizière, docteur en médecine et possesseur d’un cabinet d’antiquités et d’histoire naturelle à Fontenay, Michel Tiraqueau a des contacts avec Bernard Palissy, qui lui rend visite au moins deux fois, en 1555 et 1560. Un autre individu de la région mérite d’être cité, car il a aussi des liens avec Bernard Palissy et Paul Contant, qui lui dédie ses œuvres en 1600 : il s’agit de Julien Mauclerc, seigneur du Ligneron, baspoitevin de naissance, où il ouvre, à Apremont, une faïencerie de terre blanche imitant l’art des artisans italiens. Auteur d’un traité d’architecture qui paraît à La Rochelle en 1600 (fig. 8, p. 40), il possède sans doute aussi plusieurs objets de curiosités, puisqu’il en offre quelques-uns à Contant à Poitiers, avant de se fâcher avec lui. On doit mentionner également la présence
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de François Rabelais, qui pendant la première moitié du xvie siècle envoie pendant ses séjours en Italie des échantillons de graines ou de plantes à des amis restés à L’Hermenault, tel Geoffroy d’Estissac, l’abbé de Maillezais. Faut-il rappeler que l’adjectif « exotique » apparaît pour la première fois dans la langue française en 1552 sous la plume de Rabelais7, justement pour désigner des marchandises merveilleuses et lointaines que l’on échange sur un port ? On cultive décidément sous nos latitudes un goût véritable pour l’inédit et les curiosités. Si l’on veut comprendre plus précisément les origines et les manifestations de ce phénomène de collecte et d’exposition, il convient de nous intéresser à
ces deux personnalités que sont Michel Tiraqueau et Paul Contant, pour lesquels les témoignages sont plus riches. Le premier succède à son père André comme lieutenant du sénéchal du Poitou en 1541 et meurt vers 1565. À l’image de Rabelais, les humanistes comme André Tiraqueau sont fascinés par l’Antiquité et se plongent dans l’étude non seulement de la langue mais de la culture de cette époque fameuse. La collection de médailles, de vases et autres antiques est certainement à l’origine de l’engouement du fils, qui l’aura enrichie avec des nouveautés plus contemporaines. De la même manière, Paul Contant (1562-1629) publiera plusieurs états d’une collection qui ne cessera d’évoluer au fil de son existence. D’abord constituée
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➤ Fig. 8 Pierre Daret (1604-1678), graveur, Portrait de Julien Mauclerc du Ligneron (v. 1543ap. 1608) (1648) Extrait de la gravure du frontispice de l’ouvrage Traitté de l’Architecture suivant Vitruve, par Mauclerc, Julien (sieur du Ligneron-Mauclerc) (1648) Poitiers, médiathèque François-Mitterrand (AM58(1)
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presque exclusivement de végétaux, elle est la collection typique d’un apothicaire qui cultive les simples dans son jardin et qui a voyagé dans sa jeunesse en Italie et dans les Alpes avec un père lui-même apothicaire. Il n’a pas manqué de rapporter de ces voyages des spécimens rares et un goût toujours plus prononcé pour les curiosités naturelles. Dans un premier temps, en 1600, Paul Contant publie un catalogue intitulé Bouquet printanier, dédié à Julien Mauclerc, d’Apremont. Le titre de ce premier inventaire montre que la plupart des objets de la collection pourraient entrer dans un bouquet (fig. 2, p. 35). De fait, il y a encore fort peu de curiosités zoologiques. Mais, en 1609 puis en 1628, les nouvelles versions, désormais intitulées Jardin, et cabinet poétique, soulignent l’évolution de la collection, enrichie de nombreuses autres curiosités naturelles, notamment zoologiques. Elle augmente considérablement grâce aux dons et échanges dont Contant bénéficie du fait de son réseau d’amis, auxquels il rend hommage dans le texte. Si les collections évoluent bel et bien, on peut également se demander à quoi ressemblent les lieux où sont conservées toutes ces curiosités. La « chambre ornée » dont il est question chez Tiraqueau n’est pas une expression très explicite et autorisera chacun à exercer son imagination : il est permis de supposer, conformément à l’usage de l’époque, que le plafond comme les murs étaient ornés d’objets suspendus et que l’espace de cette « chambre » était exigu. Chez Contant, les documents donnent des indications plus précises. Réduite d’abord à l’espace d’un jardin, la collection est obligée de se transporter en partie à l’étage de la petite maison. En effet, si la pièce appelée « cabinet » abrite quarantetrois spécimens en 1609, en 1628 il y en aura plus de quatre mille cinq cents, sans compter les trois mille plantes exotiques conservées dans quinze herbiers secs. Il n’est même plus question de « jardin » à ce stade, puisque la collection s’intitule désormais Exagoge mirabilium naturae è Gazophyliacio Pauli Contanti Pictavensis Pharmacopaei, désignation que l’on peut traduire par « Résumé des merveilles de la nature figurant dans le trésor de Paul Contant, apothicaire de Poitiers ». Non seulement il s’agit à présent d’un « trésor », appellation qui brille de promesses mystérieuses à la manière d’une chambre aux merveilles (Wunderkammer) princière, mais encore la liste est donnée en latin, ce qui lui apporte une apparence de sérieux et
un vernis scientifique qui prouvent que l’on est désormais bien loin du modeste jardin des débuts. Le contenu comme l’esprit ont changé. Aux fruits, graines, bois, écorces, fleurs, racines, gommes classés sont venus s’adjoindre des fossiles, des pierres et des coquillages. On trouve également plus d’une centaine d’animaux ou de parties d’animaux, comme une mâchoire de baleine, une corne de licorne, quatre crocodiles, un pied d’élan, une dent d’éléphant, une dent d’hippopotame, un castor, un bec de toucan (fig. 9)… Enfin, il faut parler des objets d’art, passés sous silence dans les précédentes versions des inventaires de Contant, mais qui représentent tout de même une part non négligeable de son « trésor » de 1628, à savoir quelque trois mille cinq cents statuettes de bronze, une centaine de flacons d’essence ou de parfum et toutes sortes d’autres singularités, comme un astrolabe de marine, des miroirs concaves, des parures du Nouveau Monde faites de dents humaines, des papiers de Chine… On ne s’étonnera pas que, après la mort de Contant, il ait fallu, aux dires de son petit-fils Raffou, employer à plein temps quatre déménageurs pendant sept jours pour débarrasser la pièce, dont le plancher menaçait de s’effondrer. Comparée à d’autres collections contemporaines du Poitou, celle de Paul Contant affiche donc sa prédilection pour les curiosités de la nature, goût partagé entre autres par Samuel Veyrel, apothicaire de Saintes, par Raoul Colin à Fontenay-le-Comte ou encore par son concitoyen Michel Tiraqueau, qui possède lui aussi nombre de curiosités exotiques. Notons en revanche que Contant, fervent lecteur de Dioscoride, ne montre aucun intérêt pour la numismatique, contrairement à bien des collectionneurs de son époque, notamment les juristes. Reste à savoir comment les pièces de la collection sont données à voir lors de la visite. Le souci du classement pertinent est soumis à trois préoccupations. D’abord la volonté scientifique d’exposer un savoir, alors que les raretés ont justement ceci de particulier qu’elles sont quasiment inclassables. Ensuite, il s’agit de produire un effet sur le visiteur, c’est-à-dire d’organiser une forme de spectacle, en privilégiant non plus seulement la raison et la science, mais le foisonnement spectaculaire. Enfin, il faut préserver une part de mystère, donc dévoiler sans forcément tout révéler. Une collection doit exhiber sa profusion autant que ses pièces uniques. Et il n’est sans doute pas si facile qu’on le croit d’éblouir l’œil et l’imagination : ce ne sont pas des ignorants qui visitent
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les cabinets de curiosités. Au contraire, le public le plus fréquent est fait d’amateurs avertis, collectionneurs eux-mêmes, voyageant à travers l’Europe et tout à fait à même de comparer. Autant dire qu’il s’agit de connaisseurs qui, sans être blasés, sont sans doute difficiles. Il faut donc déployer quelque ingéniosité pour les émerveiller. C’est ainsi que l’on procédera par allusions dans le texte de l’inventaire, en dissimulant les objets sous des appellations métaphoriques, telle cette « herbe qui rafraîchit le sauvage recru » chez Tiraqueau et qui n’est autre que le tabac. Ou encore « cent vases polis », « maint arbre, mainte plante, / Dont le More, le Juif, dont l’Orient se vante » : les pluriels signalent la profusion et incitent chacun, dans l’emphase, à s’émerveiller si ce n’est à désirer venir faire la visite. Il vaut mieux, à cet égard, ne pas trop en dire – et le texte, en effet, ne précise pas ce que représentent « des meilleurs pinceaux les plus dignes peintures / En nombre bien fort grand », ni à quoi ressemblent vraiment les statuettes ainsi désignées : « Force portraitures / De bosse et de relief, et par l’art de Vulcain / Des statues de fonte en bronze et en airain. » Paradoxalement, une image peut obéir aux mêmes exigences de révélation voilée : les gravures de Contant montrent un bouquet très serré dans lequel on distingue mal chaque plante, ou encore un meuble (fermé !) dont les tiroirs à ouvrir sont autant de promesses pour un futur visiteur (fig. 10, p. 42). Pour sa part, sans délaisser les aspects métaphoriques8, le texte choisit d’insister sur ce qui doit frapper l’imagination : rien de tel qu’un gigantesque crocodile pour ouvrir le poème consacré aux curiosités zoologiques. Ces dispositifs plus ou moins explicites de mise en scène par le livre ont un véritable succès, car ils flattent le goût des curieux pour la recherche et l’enquête, l’objectif étant bien de provoquer le désir de la visite. L’un des enjeux est en effet de faire connaître le contenu de ces cabinets de curiosités au-delà des frontières du Poitou. C’est indéniablement un lieu à montrer, et dont Tiraqueau assure la visite guidée, « qu’aux doctes, comme lui, plus docte il nomme et montre ». « Je le vous ouvrirai », assure aussi l’accueillant Contant, parce qu’il sait que certains viennent jusqu’à lui d’Allemagne ou de Flandres. Ainsi, Abraham Gölnitz9 (fig. 11 p. 43) rapporte que son regard a été frappé d’abord par le dragon de Contant, qu’il place au premier rang de sa liste des animaux terrestres. Cela ne signifie pas forcément que l’effrayant montage de taxidermiste était effectivement placé à l’entrée du cabinet, mais plutôt que cette vision
➤ Fig. 9 Anonyme Chauve-souris, toucan, canot et autres curiosités [1609] Gravure extraite de l’ouvrage Le jardin, et cabinet poétique de Paul Contant, apoticaire de Poictiers, Paul Contant (1562 ?-1629 ?) (1609) Poitiers, médiathèque François-Mitterrand (DM 1452)
était saisissante. Ensuite, il cite la chauve-souris géante et d’autres bêtes gigantesques. Dans son rapport, les places de choix reviennent apparemment aux créatures de grande taille ou d’allure monstrueuse. Toutefois, rien ne permet d’en déduire avec certitude la disposition spatiale choisie par Contant dans son cabinet, puisque ce pourrait tout aussi bien être l’ordre que choisit Gölnitz pour reporter les objets dans ses notes, tout simplement parce que, ne citant pas tous les objets qu’il voit, le voyageur ne s’intéresse qu’aux pièces les plus rares et place en tête de cette liste partielle celles qu’il a jugées les plus remarquables, au regard de ce qu’il a pu voir ailleurs. Pour concevoir son cabinet, l’apothicaire de Poitiers s’est peut-être inspiré du fameux jardin botanique de Padoue, qu’il a visité dans sa jeunesse : son jardin côtoie en effet son officine, comme le jardin padouan comportait, à proximité, des salles destinées à préparer les plantes médicinales et d’autres espaces abritant une collection de naturalia : « Et dans ce petit théâtre », dit le catalogue de Padoue, « comme en un petit monde, on
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➤ Fig. 10 Anonyme Armoire [1628] Gravure extraite de l’ouvrage Les Œuvres de Jacques et Paul Contant père et fils, maistres apoticaires de la ville de Poictiers (1628) Poitiers, médiathèque François-Mitterrand (AM56(1)
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••• Deux coffres d'herbes séchées, la plante de Judée
fera spectacle de toutes les merveilles de la nature10. » Ce spectacle total demeure l’objectif ambitieux affiché par Contant, qui, en l’enfermant dans les vers d’un livre, fait de périssables fleurs11 des merveilles désormais mémorables. Plus sûr que l’armoire à coquilles, plus emphatique encore qu’un socle ouvragé, le livre donne à voir et à visiter les collections de Contant et de Tiraqueau jusqu’au xxie siècle. Les collections de raretés invitent le lecteur au voyage… dans un lieu clos, parce que celui-ci réussit le prodige de rassembler « tout ce que la nature / Tient de rare et de beau sous sa ronde cambrure », comme le dit Contant : Bref dans mon Cabinet, les larmes, les résines, Les gommes, bois exquis, les métaux les plus dignes, Et mille fruits lointains si trouvent largement. Bref encor s’y peut voir, soit du froid Élément, Soit du chaud, soit du sec, ou bien soit de l’humide Cent mille raretés, il n’y a rien de vide12. Tiraqueau est loué, de même, pour parvenir à la synthèse de tous les continents, qu’il rapproche : « Pérou & Guinée », ce « dont l’Orient se vante », « de Judée venue » et « de mille endroits de la France ». En ressortent les caractéristiques du goût des Poitevins pour les curiosités : d’une part, ce désir d’amasser autant que de montrer, cultivé en famille quand un fils reprend et enrichit la collection d’un père ; d’autre part, une collection totalisante, ambitieuse, soucieuse de sa renommée, et adossée pour cela à des réseaux d’approvisionnement et de visiteurs éclairés qui dépassent les frontières de la région et même du pays. Les cénacles humanistes s’entendent à l’échelle de l’Europe et tournent leur regard vers les terres nouvellement découvertes. À Fontenay comme ailleurs en
Poitou, ce que dira Charles Patin de la curiosité un siècle plus tard est déjà juste : « La curiosité ne peut toucher que les grandes âmes, qui ont trop peu de toutes les choses ordinaires, qui assemblent les siècles, et découvrent la nature pour se satisfaire et s’occuper plus noblement ; qui […] par le choix de ce qu’il y a de meilleur dans le monde s’en font un nouveau, qui savent unir l’esprit et les sens dans le concert d’une même volupté, et les mettre en société de goût, en donnant des yeux à la raison et de la raison aux yeux13. »
➤ Fig. 11 Anonyme Plan du jardin botanique de Padoue (Italie) [1591] Gravure extraite de l’ouvrage Horto dei semplici di Padova…, Girolamo Porro, Venezia (1591) Padoue (Italie), biblioteca dell’Orto Botanico, University of Padova (coll. HHP.11)
NOTES 1. Contant, 2004 [1609], p. 225. Nous avons modernisé l’orthographe de toutes les citations du présent article. 2. Voir le site http://curiositas.org. 3. Pomian, 2003. 4. Les informations concernant Fontenay-le-Comte sont livrées par Benjamin Fillon et Octave de Rochebrune : Fillon, Rochebrune, 1981 [1887], t. 1. Elles sont à considérer avec la plus grande prudence car certaines sont véritablement invérifiables. 5. Éloge fait par Rabelais dans le prologue du Pantagruel (1532). 6. Rivaudeau, 1566. Le poème est paru un an après la mort du collectionneur, vers 1565. Voir Myriam Marrache-Gouraud et Pierre Martin, « Cabinet de Tiraqueau, Michel », http://curiositas.org/ cabinet/curios315. 7. François Rabelais, Quart Livre (1552), chap. II.
8. Voir à ce sujet Marrache-Gouraud, 2008, p. 415-425. 9. Abraham Gölnitzius, Ulysses belgico-gallicus (Amsterdam, 1655), p. 295, cité dans Contant, 2004 [1609], p. 270-271. 10. Le guide catalogue du jardin de Padoue est publié par Gerolamo Porro en 1591, alors que le jardin, fondé en 1545, est encore inachevé. Texte cité dans Lugli, 1998, p. 154. 11. Concrètement, tous les éléments d’une collection sont périssables. Celle-ci est généralement dispersée après la mort de celui qui l’a composée. Un besoin d’argent peut mener à ce que certains éléments soient vendus. Le texte, en immortalisant la collection, brave les accidents transitoires de cette sorte. Pour une réflexion sur les aléas de la collection, voir Pomian, 1987, p. 55-59. 12. Voir note 1. 13. Patin, 1676, p. 47-48.
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René-Antoine Ferchault de Réaumur et son « académie aux champs » GASTON GODARD ET PHILIPPE JAUNET
À
➤ Fig. 1 Ambroise Tardieu (1818-1879) René Antoine Ferchault de Réaumur (1683-1757), zoologiste et physicien, membre de l’Académie des sciences [sd] Gravure, dessin réalisé d’après le tableau original de A. S. Belle Paris, Académie des sciencesInstitut de France
■ Fig. 2 René-Antoine Ferchault de Réaumur (1683-1757) Page de titre de l’ouvrage Mémoires pour servir à l’histoire des insectes, par M. de Réaumur, tome 5 [1734-1742] Les Lucs-sur-Boulogne, coll. Historial de la Vendée (CDMV.2004.7.5)
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la fin du xviiie siècle, le Bas-Poitou devient le département de la Vendée et connaît, comme l’on sait, la guerre civile et une ruine presque totale. Le traumatisme sera considérable, de sorte que l’histoire de la région dans les décennies précédentes en sera largement occultée. Pourtant, le Bas-Poitou reçoit alors, comme les autres régions françaises, l’influence des Lumières, en particulier dans le domaine des sciences1 ; les sciences naturelles y connaissent un essor notable autour d’une personnalité de premier plan, René-Antoine Ferchault de Réaumur (1683-1757, fig. 1). Bien que né à La Rochelle, Ferchault est d’une famille bas-poitevine et est seigneur de Réaumur, village où l’on peut toujours visiter son manoir. Il serait présomptueux de retracer ici la vie et l’œuvre de Réaumur, auquel plusieurs ouvrages ont été consacrés2. Rappelons cependant qu’il est membre puis directeur de l’Académie royale des sciences et qu’à ce titre il s’occupe des arts et métiers, s’adonnant à des recherches appliquées à la métallurgie, à la sidérurgie, à la fabrication des ancres et de la porcelaine ; il met au point un thermomètre à alcool et un « four à poulets » (incubateur artificiel). Mais cet homme à l’esprit encyclopédique s’intéresse aussi aux sciences naturelles, auxquelles il consacre de nombreux mémoires. Au cours des années 1710-1720, Réaumur entreprend des observations sur les animaux marins et les algues de la côte bas-poitevine, en particulier aux environs d’Angles, où il possède une maison. Il étudie par exemple la reproduction des Fucus, la croissance du test (l’enveloppe) des coquillages, la locomotion et les mouvements des étoiles de mer et des « orties de mer » (anémones),
la régénération des membres des crustacés, la reproduction du « lièvre marin » (gastéropode du genre Aplysia). Dans le domaine des sciences naturelles, Réaumur est surtout connu pour ses études sur les insectes, en particulier les abeilles, considérées comme l’exemple d’une société vertueuse et bien organisée. À la suite de ses observations, il publie à Paris de 1734 à 1742 ses Mémoires pour servir à l’histoire des insectes (fig. 2 et 3), en six volumes in-quarto, qui lui valent les sarcasmes peu justifiés de Buffon (« Une mouche ne doit pas tenir
➤ Fig. 3 Hélène Dumoustier de Marsilly (xviiie siècle) Ruches et abeilles [1734-1742] Planche 22 annotée « Mémoire 5 de l’Histoire des Insectes Tome 5 » extraite du manuscrit Dessins originaux par Melle Dumoustier de Marsilly, des figures pour servir à l’Histoire des Insectes, de Mr de Réaumur, 6 volumes [1734-1742] Crayon et encre sur papier Paris, Muséum national d’histoire naturelle, direction des bibliothèques et de la documentation (Ms. 1901)
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LES PRÉMICES DES SCIENCES NATURELLES EN VENDÉE
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dans la tête d’un naturaliste plus de place qu’elle n’en tient dans la nature » fig. 2 et 3 p. 44). Réaumur vit à Paris mais séjourne plusieurs mois par an dans son village, généralement de septembre à la Toussaint. Il y reçoit quelques savants et érudits, entretenant ainsi une sorte d’académie aux champs. C’est ainsi que Jean-Étienne Guettard (1715-1786), le découvreur des volcans d’Auvergne, séjourne en BasPoitou. Il consigne dans ses Observations sur les plantes3 le résultat de ses herborisations dans les environs de Réaumur, donnant une liste d’une centaine de plantes (fig. 7 p. 49). Il consacre un autre mémoire à ses observations sur la côte bas-poitevine4, effectuées principalement aux environs d’Angles, où il doit séjourner chez Réaumur. Charles-René Girard de Villars (16981769) compte aussi parmi les disciples de Réaumur.
➤ Fig. 4 Martinet, dessinateur et graveur Groupe d’oiseaux, dont Traquet de l’Isle de Luçon, mâle (figure 2) [1760] Planche en couleurs extraite de l’ouvrage Ornithologia, sive Synopsis methodica sistens avium divisionem in ordines, sectiones, genera, species, ipsarumque varietates a D. Brisson, MathurinJacques Brisson, tome III, planche XXIV, 1760 Paris, Bibliothèque nationale de France, département des sciences et techniques (4-S-1777 (7)
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Résidant près des Essarts, il se fixe à La Rochelle en 1740, où il exerce la fonction de médecin d’hôpital. Il devient membre correspondant de l’Académie royale des sciences de Paris en février 1747 et est élu membre de l’académie de La Rochelle5. On lui doit notamment la première description minéralogique et paléontologique du Poitou, que publie Dezallier d’Argenville en 17556. Roland-Michel Barrin de La Galissonnière (16931756), gouverneur de la Nouvelle-France, pourvoit pour sa part le cabinet de Réaumur en animaux et plantes du Canada. Après s’être retiré dans sa propriété de La Galissonnière, près du Pallet, il poursuit sa correspondance avec l’Académie des sciences, y envoyant en 1755 un mémoire sur un granite des environs de Montaigu7. Citons aussi Jean-Baptiste-Laurent de Hillerin (1704-1779), propriétaire du domaine du
••• René-Antoine Ferchault de Réaumur et son « académie aux champs »
Boistissandeau d’Ardelay, qui s’adonne aux sciences, en particulier aux mathématiques8. Son beau-frère, l’astronome Jean-Paul Grandjean de Fouchy (17071788), étant devenu secrétaire perpétuel de l’Académie royale des sciences en 1743, Hillerin est nommé membre correspondant de cette académie en 1744 et entre ainsi en relation avec Réaumur. Celui-ci séjourne au Boistissandeau, où il est accueilli en voisin, en savant et en ami. Curieusement, ses souvenirs sont aujourd’hui plus nombreux au Boistissandeau qu’au manoir de Réaumur. De son passage, le château conserve une rose des vents, un cadran solaire et, surtout, la chambre que le naturaliste occupait lors de ses séjours, avec des boiseries d’époque, ainsi qu’un fourneau et une pierre plate, fixée sur le rebord extérieur de la fenêtre, qui servaient à ses expériences. Des ruches vitrées, disposées
dans l’orangerie, permettaient d’observer le comportement des abeilles. Jean-Baptiste-Laurent de Hillerin s’éteindra au Boistissandeau en 1779 ; son épouse et deux de ses filles périront massacrées par une colonne infernale le 31 janvier 1794, et le château sera saccagé et partiellement incendié9. Parmi les disciples de Réaumur se distingue la figure de Mathurin Brisson (1723-1806), né à Fontenay-leComte, lui aussi membre de l’Académie royale des sciences et maître de physique et d’histoire naturelle des enfants de France10. En 1749, Brisson devient démonstrateur au cabinet de Réaumur, charge qui consiste à maintenir et à enrichir les collections. À la mort de Réaumur, en 1757, ces collections sont réunies, par décision de Louis XV, à celles du Jardin du Roy, le futur Muséum national d’histoire naturelle
➤ Fig. 5 Martinet, dessinateur et graveur Grèbe huppé [1760] Planche en couleurs extraite de l’ouvrage Ornithologia, sive Synopsis methodica sistens avium divisionem in ordines, sectiones, genera, species, ipsarumque varietates a D. Brisson, MathurinJacques Brisson, tome VI, planche IV, 1760 Paris, Bibliothèque nationale de France, département des sciences et techniques (S – 3461)
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LES PRÉMICES DES SCIENCES NATURELLES EN VENDÉE
➤ Fig. 6 Auguste Delorme (xviiie siècle) Jean Gabriel Gallot, Médecin de Montpellier, né à St Maurice le Girard près La Châtaigneraie, Bas-Poitou le 3 septembre 1744, Député du Poitou à l’Assemblée nationale de 1789 Gravure extraite de l’ouvrage La vie et les œuvres du Dr Jean-Gabriel Gallot (1744-1794) : médecin des épidémies, Dr Louis Merle, 1961, frontispice Les Lucs-sur-Boulogne, Historial de la Vendée – documentation
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de Paris, bien que le naturaliste les ait léguées à l’Académie. Elles passent ainsi sous la responsabilité de Buffon, qui finit par en interdire l’accès au malheureux Brisson. On sait que Réaumur et Buffon ne s’aimaient pas, et il est certain que cette animosité a rejailli sur les disciples du premier. Parmi les écrits de Brisson, on retiendra trois ouvrages : un traité sur les quadrupèdes et les cétacés11, un très remarquable traité d’ornithologie en sept volumes avec de nombreuses gravures d’oiseaux12, enfin un livre de minéralogie13. Le traité d’ornithologie, publié en 1760, précédait la parution du premier volume de l’Histoire naturelle des oiseaux de Buffon et était peut-être la cause de l’hostilité de ce dernier envers Brisson (fig. 4 et 5 p. 46-47). En dehors de l’« académie aux champs » de Réaumur, fréquentée par un cercle restreint de la petite noblesse poitevine, la bourgeoisie locale s’investit à son tour dans les sciences. Ce sont surtout des médecins qui entreprennent ainsi des observations scientifiques dans la région, au cours de la seconde moitié du xviiie siècle. Ils s’appliquent à recenser les sources d’eau minérale, à effectuer les premiers relevés météorologiques et à noter les épidémies ; certains d’entre eux commencent à inventorier la faune, la flore et les ressources minérales de leur région. Une partie notable de ces travaux est consignée dans les Affiches du Poitou, premier périodique littéraire et scientifique de la province. Parmi ces érudits, Jean-Gabriel Gallot (1744-1794, fig. 6), médecin à Saint-Maurice-le-Girard, fait de nombreuses observations de météorologie et analyse toutes les eaux minérales qu’on peut recueillir dans la région. Pierre Dorion (1722-1777), médecin à Saint-Gilles-sur-Vie14, a écrit plusieurs mémoires scientifiques, aujourd’hui égarés, consacrés au Bas-Poitou maritime (1772), au
« lythophyte ou pennacle de mer » (1775), à la pratique de la médecine (Jeu de la médecine ou le voyage du temple d’Esculape) et à l’inoculation de la petite vérole15. Il contribue aux Affiches du Poitou, dans lesquelles il publie des observations sur les naufrages et les noyés, des notes de médecine, des articles sur les coutumes du pays maraîchin et sur l’ambre gris (concrétions intestinales de cachalot) des côtes du Bas-Poitou, ainsi que des observations météorologiques ; par ailleurs, il rapporte l’étrange observation d’une femme marine échouée sur la côte de Noirmoutier, qui s’avérera n’être qu’un phoque femelle16. Dorion prête enfin son concours à Pierre-Marcellin Fontanes (1719-1774), l’inspecteur des manufactures de la province, pour la rédaction d’une Notice sur l’histoire naturelle du Poitou, malheureusement perdue17. Un inventaire après décès nous apprend que, outre 386 volumes et 274 brochures, la bibliothèque de Dorion comportait une petite collection de coquillages et de « pierres de mer ». Le docteur Jean-Louis-Marie Guillemeau (1766-1812), médecin à Niort, rédige quant à lui un Essai sur les minéraux et les fossiles des départements de la Vendée, des Deux-Sèvres et de la Vienne (1798), un Essai sur l’histoire naturelle des oiseaux du département des Deux-Sèvres (1806) et divers ouvrages sur la flore des environs de Niort. François Bonamy (1710-1786), enfin, publie en 1782 la première flore de la région nantaise, qui déborde largement sur le Poitou. Au cours de la seconde moitié du xviiie siècle, des érudits de la petite noblesse et de la bourgeoisie poitevine, sensibles à l’esprit des Lumières, s’adonnent donc aux sciences, en particulier à l’histoire naturelle. Les circonstances vont les pousser dans le brasier de la guerre civile, souvent dans des camps opposés. Ces événements tragiques freineront considérablement le développement des sciences naturelles en Vendée, qui ne reprendront leur essor qu’assez tardivement au cours du xixe siècle.
NOTES 1. Dehergne, 1963. 2. Torlais, 1936 ; Bresson, 2001. 3. Guettard, 1747, t. 2. 4. Guettard, 1770, p. 328-403. 5. Torlais, 1933. 6. Dezallier d’Argenville, 1755. 7. Il pourrait s’agir du granite de l’Ortay, qui affleure aux abords du château de la Richerie (Beaurepaire), dont La Galissonnière était propriétaire. 8. Manguy, 1996.
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9. Ibid. 10. Merland, 1883, t. 2. 11. Brisson, 1756. 12. Brisson, 1760. 13. Brisson, 1797. 14. Baudouin, 1912. 15. Garran de Balzan, 1893, p. 331-334, 366-369, 425-428. 16. Godard, 2004, p. 139-144. 17. Pillard, 1979, p. 323-479.
••• René-Antoine Ferchault de Réaumur et son « académie aux champs »
➤ Fig. 7 Jean-Étienne Guettard (1715-1786) L’auteur relate ici la présence de la plante « Cotyledon » sur certains murs des maisons et jardins du village de Réaumur, en Bas-Poitou (1747) Page 437 de l’ouvrage imprimé Observations sur les plantes, par M. Guettard, tome 2 (1747) Paris, Bibliothèque nationale de France, département des sciences et techniques (S-13455 – T.2)
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Différentes époques de ma vie
“ ➤ Fig. 1 Fournier, dessinateur, et Chrétien, graveur Portrait en médaillon de Mathurin-Jacques Brisson (1723-1806), membre de l’Institut [sd] Eau-forte Musée de Fontenay-leComte, (FLC.956.4.11)
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M ATHURIN B RISSON T RANSCRIT PAR P HILIPPE J AUNET
Moi, Mathurin-Jacques Brisson, de
l’Academie royale des Sciences, maitre de physique et d’histoire naturelle des enfants de France, professeur royal de physique expérimentale au college royal de Navarre, et censeur royal, suis né le 3 avril 1723, à Fontenay-le-Comte, en Poitou […]. En 1732, je fus mis en cinquième, au college de Fontenay-le-Comte, dans lequel j’ai fait toutes mes humanités, ma rethorique et une année de philosophie. De ce temps-là, je montrois du goût pour l’histoire naturelle, en m’amusant à ramasser, élever et conserver des insectes. J’avois pris ce goût-là chez M. de Reaumur, que j’allois voir toutes les vacances à sa terre de Reaumur en Poitou, où il venoit tous les ans. Je fus même assez heureux pour lui apprendre quelque chose en ce genre. Il avoit dit, et même imprimé, qu’il n’y avoit point de cigales en Poitou. Je lui dis que j’en prenois fort souvent aux environs de Fontenay. Il me dit que je me trompois, et que je prenois pour cigale, une espece de sauterelle, qui, de même que la cigale, fait du bruit. Il est vrai qu’il n’y a point de cigales aux environs de Reaumur. Mais l’année suivante je lui en portai, que j’avois prises aux environs de Fontenay ; et il les reconnut pour telles. En 1738 au mois de novembre je fus dans l’université de Poitiers recommencer ma philosophie. En 1740, croyant me sentir du goût pour l’etat ecclésiastique, j’etudiai en theologie dans la même université. En consequence, le 8 juin 1743, je reçus la tonsure, qui me fut donnée par Mgr l’evêque de La Rochelle, mon evêque diocésain. Je continuai d’etudier en théologie. Le 27 aoust 1744 je fus reçu bachelier en theologie de la dite université. [Cependant, après des études au séminaire Saint-Sulpice à Paris,] je renonçai à l’état ecclesiastique […]. En 1749, au mois d’octobre, étant allé voir Mr de Reaumur, qui étoit alors à sa terre, et Mr l’abbé Ménou, qui depuis environ 18 mois étoit démonstrateur de son cabinet, étant mort le mois précédent, je demandai à Mr de Reaumur de prendre sa place ; ce qu’il m’accorda. En consequence je vins à la fin d’octobre avec lui à Paris, et j’y suis demeuré jusqu’à sa mort. Ayant à ma disposition un aussi beau cabinet d’histoire naturelle, je l’etudiai, et y fis quelques progres. J’entrepris même de mettre par classes et par ordre tout le regne animal. J’ai publié le premier volume de cet ouvrage en 1756, sous ce titre Le regne animal divisé en neuf classes, ou méthode contenant la division generale des animaux, &. Ce volume qui contient les deux premieres classes, savoir les quadrupedes et les cétacés, fut dédié à Mr de Reaumur, mon maitre, et dont je me ferai toujours honneur d’avoir été le disciple. Sitôt ce premier volume fini, je commençai à travailler à la 3e classe, savoir à celle des oiseaux. Pendant ce temps-là j’eus la douleur de perdre Mr de Reaumur, qui mourut d’une chûte à sa terre de la Bermondiere dans le bas Maine, au mois d’octobre 1757. Après sa mort son cabinet fut réuni à celui du roi : je ne fus cependant pas privé pour cela des objets qui m’etoient essentiels pour continuer mon ouvrage. MM. de Buffon et d’Aubenton me donnerent sur cela toutes les facilités. Cependant vers la fin ils me les refuserent ; ce qui fit que mon ouvrage ne fut pas aussi complet qu’il l’auroit été sans cela : il y manque la gravure de quelques oiseaux que j’y aurois encore ajoutés. En 1760 je publiai cette 3e classe en six volumes in 4° sous ce titre : Ornithologie, ou méthode contenant la division des oiseaux
••• Un nouveau regard sur le marais vendéen
en ordres, &. Cet ouvrage fut dédié à monseigneur le duc de Bourgogne [frère aîné du futur Louis XVI]. L’année précedente, savoir le 11 d’aoust 1759, je fus elu membre de l’Academie royale des Sciences, à la place de M. Tillet. L’hiver suivant Mgr le chancelier me mit au nombre des censeurs royaux. Le refus que m’avoient fait MM. De Buffon et d’Aubenton, m’ayant privé des objets qui m’etoient essentiels pour mon ouvrage sur le regne animal, je me trouvai hors d’état de le continuer. M. l’abbé Nollet me proposa de travailler à la physique au lieu de l’histoire naturelle, me faisant esperer que je lui succederois à la place de professeur royal de physique expérimentale au college royal de Navarre. Je devins donc le disciple de ce physicien, aussi grand dans son genre que Mr de Reaumur l’avoit été dans le sien. En consequence, pour pouvoir professer dans l’université de Paris, j’y fus reçu maitre-es-arts le 20 aoust 1762. En l’année 1762 je commençai à faire des cours particuliers de physique expérimentale ; ce que j’ai toujours continué depuis, jusqu’à l’année 1790, que jai cessé d’en faire. Le 19 avril 1768, j’obtins la survivance de la place de professeur royal de physique expérimentale au college de Navarre. Le 16 mars 1770, le roi m’accorda, à la demande de M. l’abbé Nollet, la survivance de la place de maitre de physique et d’histoire naturelle des enfants de France. Je devins titulaire de ces deux places par la mort de Mr l’abbé Nollet, le 24 avril 1770. En 1771 je publiai une Histoire de l’electrité, traduite de l’anglois de Joseph Priestley. En 1773, après le mariage de Mgr le comte d’Artois, dernier fils de feu Mgr le dauphin, je continuai mes fonctions de maitre de physique, auprès de Madame, et de Madame Elizabet, sœurs du roi Louis XVI. En 1775 le 24 avril, je me suis marié avec Melle Marie-Denise Foliot de Foucherolles, […] Le 27 juillet 1778, j’ai commencé un cours de physique pour la reine. Le 27 janvier 1779, j’ai été élu à l’Academie des Sciences, associé-botaniste, à la place de M. Fougeroux. Au mois de decembre 1780 j’ai publié mon dictionnaire de physique. Le 4 decembre 1782 l’Academie a demandé pour moi la place de pensionnaire surnumeraire dans la classe de botanique : ce qui a été accordé, par lettre du 6 Xbre 1782. Au mois de novembre 1784, j’ai presenté à l’Academie mon ouvrage sur les pesanteurs spécifiques des corps. Le rapport en a été fait le 24 novembre 1784. Le 6 janvier 1785, le roi ayant crée à l’Academie deux nouvelles classes, l’une de physique et l’autre d’histoire naturelle, j’ai été nommé second pensionnaire dans la classe de physique. […] Au mois d’avril 1787, jai publié mon ouvrage sur la Pesanteur spécifique des corps, 1 vol. in 4°. Au mois de mars 1790, j’ai publié mes Principes de physique, 3 vol. in 8°. Au mois de décembre 1794 (1 nivose an 3) j'ai été nommé professeur de physique et chymie aux ecoles centrales de Paris. Le 1er nivose an 4 (21 decembre 1795) j'ai été nommé membre de l’Institut, dans la section de physique. Au mois thermidor an 5 (aoust 1797) j’ai publié mes Principes élementaires de l’histoire naturelle et chymique des substances minérales, à l’usage des ecoles centrales. [Archives départementales de la Vendée, 25J19, fonds Pailloux, famille Brisson]
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Des astronomes en Bas-Poitou SUZANNE DÉBARBAT
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➤ Ci-contre François Viète (1540-1603) À cette page du chapitre Hypothesis LUNAE…, l’auteur aborde le sujet des épicycles [sd] Manuscrit Ad Harmonicon coeleste libri quinque priores, François Viète, p. 118 recto Florence (Italie), Biblioteca nazionale centrale di Firenze (Ms Magliabechiana XI. 36) ➤ Fig. 1, page de droite Arthur-Joseph Gueniot (1866-1951) Statue de François Viète (Fontenay-le-Comte, 1540-Paris, 1603) Plâtre patiné 1913 Musée de Fontenay-leComte (FLC.913.1.2)
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orsque Jean Picard naît, le 21 juillet 1620 d’après des recherches de l’astronome Joseph-Jérôme Lefrançois de Lalande (1732-1807), à La Flèche, qui relève de la province d’Anjou, nul autour de lui ne peut imaginer qu’il sera, cinquante ans plus tard, à l’origine du renouvellement de la cartographie de la France. En 1666, Picard figure parmi les quatre astronomes nommés par Louis XIV pour appartenir à l’Académie royale des sciences, qu’il vient de créer. L’année suivante, l’Académie établit son programme de travail au service du roi. Dans l’intervalle, Picard met au point les instruments – quart-de-cercle à lunettes, secteur de faible amplitude angulaire, niveau à lunette – qui permettront de satisfaire aux ordres de Louis XIV et de Colbert : construire une meilleure carte du royaume que celles alors existantes. Le premier y voit, sans doute, de quoi guerroyer pour l’agrandir ; le second, vraisemblablement, une façon de faciliter les échanges commerciaux et la levée des impôts… Picard mettra également en œuvre une méthode de triangulation fondée sur des réalisations, à petite échelle, effectuées au xvie siècle aux Pays-Bas par Rainer Gemma Frisius (15081555) : l’astronomie géodésique est née ; elle régnera sans partage sur la cartographie de la France et du monde jusqu’à notre époque, puisque les positions GPS ne peuvent être obtenues que s’il y a au moins trois satellites en vue !
Un mathématicien poitevin Sensiblement contemporain de Gemma Frisius, François Viète (fig. 1) est né à Fontenay-le-Comte en 1540. On le trouve étudiant à Poitiers puis en 1566 à La Rochelle. À Paris pour quelques années à partir
••• Un nouveau regard sur le marais vendéen
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LES PRÉMICES DES SCIENCES NATURELLES EN VENDÉE
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les problèmes relevant de leurs observations tant terrestres, en géodésie, que célestes, en astronomie proprement dite.
➤ Fig. 2 Philippe de La Hire (1640-1718) Autoportrait [début xviiie siècle] Pastel Paris, bibliothèque de l’Observatoire de Paris (Paris Inv.i.87)
Astronomes en Bas-Poitou
de 1570 puis à Rennes en 1574, il est de nouveau à Paris en 1580. De 1584 à 1589, il est éloigné du pouvoir, se retirant à Beauvoir-sur-Mer. Bientôt au service d’Henri III puis d’Henri IV, il est doté d’une virtuosité en mathématiques appliquées qui le fait affecter au chiffre. De retour à Paris en 1594, puis à Fontenay en 1597, de nouveau à Paris en 1599, mais plus au service d’Henri IV en 1602, Viète y meurt le 23 février 1603. Ce remarquable savant est à l’origine des travaux des mathématiciens du xviie siècle ; il s’intéresse également aux astronomes, qui ont besoin des fonctions trigonométriques caractéristiques de leurs mesures angulaires, et il établit un Canon mathematicus représentant une table de leurs fonctions. Cet adepte de la division décimale, bien en avance sur son temps par rapport à celle sexagésimale que notre époque conserve encore dans certains domaines, va établir la valeur de π avec dix décimales, sans le secours des ordinateurs qui en donnent d’innombrables aujourd’hui. En 1600, il publie un calendrier de caractère grégorien et perpétuel. Ses travaux vont inspirer ceux de René Descartes (1596-1650), de Pierre de Fermat (v. 1601-1665), sans doute aussi de Gilles Personne de Roberval (1602-1675) et de Christiaan Huygens (1629-1695), ce Hollandais qui – comme Roberval et Picard – figurera parmi les académiciens de 1666. Les astronomes utiliseront largement les recherches de Viète pour résoudre, la Terre étant sphérique, tous
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Après la Mesure de la Terre – titre de son ouvrage qui paraît en 1671 –, dont il a déduit la longueur d’un arc de méridien entre Amiens et La Ferté-Alais, puis une mission à Uranienborg, au Danemark, Jean Picard est armé pour déterminer les coordonnées terrestres, base de la cartographie, de différents lieux de France. Dans le sens nord-sud, la latitude se compte depuis l’équateur terrestre (0°) jusqu’au pôle Nord (90°). Cet angle s’obtient à partir de la hauteur, par exemple, de l’étoile Polaire au-dessus de l’horizon ; les astronomes préfèrent déterminer l’angle de sa direction avec la verticale que fixe le zénith du lieu. La coordonnée est-ouest, plus difficile à déterminer, s’obtient dans la deuxième moitié du xviie siècle grâce aux horloges de Huygens, qu’il a su munir d’un pendule (leur balancier) pour en régulariser le mouvement. Ces horloges fournissent l’heure locale repérée grâce au Soleil : il est midi lorsqu’il est au plus haut sur l’horizon dans le plan méridien, et leur système d’engrenage permet aux pendules des astronomes de battre la seconde ou la demi-seconde. Encore faut-il trouver un phénomène qui donne accès à une comparaison de leurs indications. À la fin du xviie siècle et pendant la plus grande partie du siècle suivant, ce sont les éclipses des satellites de Jupiter, découverts par Galilée (1564-1642) en 1609-1610, qui y pourvoiront : ce phénomène se produisant au même instant de tous les points de la Terre d’où il est observable, la différence des heures locales des horloges fournira la différence de leurs longitudes. Jean Picard et Philippe de La Hire (1640-1718, fig. 2) vont, entre 1675 et 1681, se rendre sur les côtes ouest de la France, de la Gascogne à la Flandre, notamment dans deux villes qui encadrent le Poitou, La Rochelle et Nantes. La côte poitevine « recule » dans la Terre d’environ cinquante de nos modernes kilomètres ; la surface de la France s’en trouve notablement diminuée. Résultant de ces campagnes, la Carte de France Corrigée par Ordre du Roi sur les Observations de Mrs de l’Académie des Sciences constitue la première étape vers une carte générale, la première au niveau d’un pays entier à être fondée sur une méthode scientifique.
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Les côtes du Poitou et aussi l’intérieur des terres verront revenir les astronomes, qui, à l’instar de Picard, effectueront triangle après triangle les mesures nécessaires. Sur le terrain s’activeront en premier lieu Jean-Dominique Cassini Ier (1625-1712), son fils Jacques, Cassini II (1677-1756), son neveu Giacomo Filippo Maraldi Ier (1665-1729), également Philippe de La Hire et son fils Gabriel-Philippe (1677-1719). Puis viendront Giovanni Domenico, Maraldi II (1709-1788), neveu de Maraldi Ier, César-François Cassini de Thury, Cassini III (1714-1784), fils de Cassini II, ainsi que, bien entendu, leurs collaborateurs, leurs collègues. Tous ne sont probablement pas venus dans le Poitou, mais on connaît l’ensemble des triangles où ils ont œuvré – à titre d’exemple, en reliant Les Sables-d’Olonne, la tour des Baleines et Talmont, ou Saint-Hilaire, Notre-Dame-de-Monts et l’île d’Yeu. Jean-Dominique comte de Cassini, Cassini IV (17481845), achèvera l’œuvre de son père, Cassini III, qu’il pourra présenter à l’Assemblée constituante en 1790. Si les départements poitevins sont devenus ce qu’ils sont aujourd’hui, c’est grâce à la carte générale de la France ainsi obtenue que le découpage est effectué.
Un Poitevin d’adoption secrétaire perpétuel de l’Académie Fouchy (Jean-Paul Grandjean de) – comme il figure dans l’index biographique de l’Académie des sciences – est né à Paris le 17 mars 1707. Après ses études, en parallèle à ses fonctions à la Cour des comptes et comme secrétaire du duc d’Orléans, il suit les cours d’astronomie de Joseph-Nicolas Delisle (1688-1768), qui enseigne au Collège royal, de nos jours Collège de France. Fouchy (fig. 3) entre à l’Académie royale des sciences en 1731 et ne la quittera qu’à son décès, le 15 avril 1788 à Paris. Il se mariera deux fois, en premier lieu avec une demoiselle qui l’attache au BasPoitou : en effet, le château de Boistissandeau, dans la zone entourant Les Herbiers, est la propriété de JeanBaptiste-Laurent de Hillerin (1704-1779), frère de l’épouse, un mathématicien poitevin qui sera le correspondant à l’Académie de Fouchy, lequel viendra souvent le visiter dans la région. Guillaume Bigourdan (1851-1932), astronome de l’Observatoire de Paris, a mené de nombreuses études sur différents aspects de l’astronomie, sur des
astronomes, sur leurs travaux. Il écrit au sujet de Fouchy qu’il paraissait « s’occuper spécialement de la partie de cette science qui a pour objet la perfection des instruments qu’elle emploie ». De fait, ses publications, pour la plupart figurant dans les Mémoires de l’Académie royale des sciences, portent sur des instruments qui se trouvent dans Machines et inventions approuvées par l’Académie royale des sciences […] avec leurs descriptions.
■ Fig. 3 Dom Lyon Portrait de Jean-Paul Grandjean de Fouchy (1707-1788) (1736) Huile sur toile Paris, bibliothèque de l’Observatoire de Paris (Paris Inv. I. 77)
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Ce qui marque le plus l’œuvre de Fouchy est constitué des éloges de ses confrères alors qu’il est appelé à succéder à Jean-Jacques Dortous de Mairan (16781771) comme secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences en 1743, entrant en fonction en 1744. L’astronome assurera son poste pendant plus de trente ans et, lorsque son âge le fera démissionner, deviendra secrétaire perpétuel honoraire. Contrairement à plusieurs de ses collègues, Fouchy n’œuvre pas à la cartographie de la France, mais il est à l’origine de la courbe en huit qui décore nombre de cadrans solaires, en particulier ceux qui sont en fait des méridiennes. Le cadran solaire fournit directement l’heure solaire locale correspondant à la durée du jour entre deux passages du Soleil au méridien du lieu. Les astronomes ayant remarqué que cette durée fluctuait au cours de l’année, avec au maximum un quart d’heure en plus ou en moins en temps vrai du cadran, ils introduisent la notion de temps moyen, c’est-àdire le temps vrai après prise en compte de ces écarts, appelés équations du temps. Fouchy aura l’ingénieuse idée de représenter la courbe annuelle de ces écarts sur des méridiennes tracées sur des murs verticaux ou sur le sol ; la courbe dite de temps moyen est graduée selon la date de l’année. En Poitou, on trouve un tel cadran à Saint-Hilaire-de-Riez (fig. 6 p. 58).
Un astronome poitevin, ingénieur géographe Charles-Louis Largeteau, né en Poitou le 22 juillet 1791, à Mouilleron-en-Pareds, y est également décédé, mais à Pouzauges, le 11 septembre 1857. Ses études le conduisent à l’École polytechnique, où il est répertorié X 1811 ; il en sort dans le corps des ingénieurs géographes et se trouve intégré au Dépôt ■ Fig. 4 Bardou [xixe siècle] Longue-vue Bardou [vers 1886], similaire à celle utilisée par Charles-Louis Largeteau (1791-1857) lors de ses travaux sur le 45e parallèle nord au début du xixe siècle Inscriptions : « A. Bardou Paris modèle 1886 n° 38, longue-vue de batterie » Saint-Mandé, prêt de l’Institut national de l’information géographique et forestière (B4 – 9)
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de la guerre. En 1811, Napoléon Ier demande à ce corps de réaliser une nouvelle carte destinée à remplacer celle des Cassini. Les événements du moment retardent notablement les opérations, d’autant que, si la méridienne de France, établie sur le méridien de l’Observatoire royal de Louis XIV en 1667, a déjà été mesurée à deux reprises, il manque un réseau trigonométrique sur le parallèle de 45° qui passe au sud du Poitou. L’opération géodésique de triangulation est effectuée en 1818, 1819 et 1820 de la côte ouest de la France à la zone italienne vers l’est. Il manque la partie astronomique, qui doit fournir l’écart angulaire correspondant entre ses extrémités ; cette dernière partie, projetée en 1821, est réalisée en 1822. Largeteau est requis pour la station intermédiaire de Pierre-sur-Audre, ainsi que d’autres ingénieurs géographes. Le rapport fera mention de leur œuvre : « Tous ces coopérateurs ont montré du zèle et fait preuve de connaissances, notamment M. Largeteau, qui […] a pris plus de part à tous [sic] les espèces de travaux. » (fig.4 et 5) Largeteau collabore à une nouvelle opération de raccordement des méridiens de Paris et de Greenwich, le précédent, de caractère géodésique, ayant eu lieu en 1787. Ce nouveau raccordement est placé sous l’égide du Dépôt de la guerre et du Bureau des longitudes. Ce dernier, créé en 1795, est chargé de la publication des éphémérides astronomiques françaises que sont la Connaissance des temps (depuis 1679) et l’Annuaire du Bureau des longitudes (depuis 1795). Cet organisme existe toujours ainsi que ces éphémérides, publiées sous sa responsabilité scientifique. Largeteau va bientôt y contribuer. À l’occasion de ce raccordement, il observe avec John Herschel (1792-1871), fils de William Herschel (1738-1822), découvreur de la planète Uranus en 1781. Dans une communication devant la Royal Society de
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Londres en 1826, Herschel décrit les opérations qu’il a menées avec « le Lieutenant Largeteau corps of geographical engineers » ; il s’agit donc bien de CharlesLouis. Cette fois, le raccordement est de caractère astronomique par observation des mêmes étoiles des deux côtés de la Manche ; mais, auparavant, il faut synchroniser les horloges par des stations intermédiaires, Largeteau et Herschel opérant ensemble à Fairlight Down, près de Hastings. Les observations ont lieu au cours de douze nuits et Herschel note que Largeteau est « a most scrupulous and exact observer », « un observateur très scrupuleux et exact ». Ces qualités vont conduire l’astronome poitevin au poste de secrétaire-bibliothécaire du Bureau des longitudes en 1829. Son corps étant dissous en 1831, il y obtient dès 1832 une position de membre adjoint, devenant titulaire en 1846. Puis il en sera le président pour l’année 1850, membre de l’Institut de France, par l’Académie des sciences, depuis 1847. Depuis 1831, il est chargé de la Connaissance des temps : grâce à cette éphéméride, on sait qu’il habite à cette époque au 89, rue de Seine. Par ailleurs, Largeteau est l’auteur de plusieurs articles qui paraissent dans la partie Additions de ces volumes annuels. Une nouvelle opération géodésique dont Largeteau sera le rapporteur est une conséquence d’une communication faite à l’Académie en 1836 par l’un de ses membres, Louis Puissant (1769-1843), ingénieur géographe du Dépôt de la guerre. Il y fait état d’une erreur de soixante-dix toises dans les calculs ayant conduit à une nouvelle estimation de la longueur du mètre ; cet écart provient de la longueur de l’arc Dunkerque-Barcelone, qui a servi à fixer le mètre en 1799, combiné avec celui issu des observations effectuées en 1806-1808 entre Barcelone et les Baléares. En 1840, plusieurs journaux, s’insurgeant contre l’obligation d’employer, depuis le 1er janvier, le seul système métrique décimal, publient des articles relatifs à cette erreur. Le Bureau des longitudes désigne Largeteau, ClaudeLouis Mathieu (1783-1875), un autre de ses membres, et Pierre Daussy (1792-1860) pour examiner ce sujet. Dans son rapport, Largeteau précise les données de départ et les méthodes employées par chacun d’entre eux, leurs examens ayant été effectués de manière indépendante. Et, effectivement, tous trois tombent d’accord sur une différence avec le mètre de 1799, et posent la question d’une modification éventuelle de cette longueur. Leur conclusion fournit la réponse :
■ Fig. 5 Reichenbach [xviiie siècle] Cercle répétiteur de Reichenbach [fin du xviiie siècle] similaire à celui utilisé par Charles-Louis Largeteau (1791-1857) lors de ses travaux sur le 45e parallèle nord au début du xixe siècle Inscriptions : « Reichenbach Utz Schneider, Liebherr in Munchen. Dépôt de la Guerre n° 14 » Saint-Mandé, prêt de l’Institut national de l’information géographique et forestière (H2 – 7)
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« Cette longueur [celle du mètre fixée définitivement en 1799] ne pourra ni ne devra jamais être changée. » Le rapport de Largeteau comprend un commentaire : « Les progrès de la géodésie, quelque grands qu’ils soient, n’y changeront rien ; seulement et au besoin ils fourniraient de nouveaux moyens d’en retrouver la longueur. » C’est bien ce qui se produira. Ce qui changera, c’est la réalisation du mètre, et la dernière, celle de 1983, demeure cohérente avec celles qui ont précédé depuis 1799, dans la limite des erreurs dont elles sont affectées. Hommage soit rendu aux membres de la commission du Bureau des longitudes, qui en a adopté les conclusions, et à Largeteau, le rapporteur. À remarquer que la notice concernant Largeteau dans le tome I du Livre du centenaire de l’École
➤ Fig. 6 Méridienne avec courbe en huit, dite « de temps moyen », située à SaintHilaire-de-Riez [sd] Collection particulière ■ Page de droite Masse principale (2 281 grammes) de la météorite de Chantonnay (Vendée) tombée le 5 août 1812, reposant sur le livre d’inventaire des collections du Museum de Vienne Chondrite ordinaire, restes de croûte de fusion, 4,56 milliards d'années, Vienne (Autriche), Naturhistorisches Museum (NHMV A 109)
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polytechnique, publié en 1895, est signée A. de Lapparent. Il s’agit du géologue Albert-Auguste Cochon de Lapparent (1839-1908), issu d’une génération de polytechniciens avec son père et son grand-père, et dont le bisaïeul Charles Cochon de Lapparent (1750-1825), qui avait eu un rôle politique, était né en Poitou, à Champdeniers. Qu’il s’agisse de la carte des Cassini, puisque tous y ont apporté leur contribution, ou de celle du corps des ingénieurs géographes, dont Largeteau était membre, dite carte d’État-Major au xixe siècle, les naturalistes – comme d’autres parcourant le BasPoitou – sauront apprécier les travaux de longue haleine de ceux qui, de triangle en triangle, ont permis leur réalisation.
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