La demeure médiévale à Paris La demeure médiévale à Paris
Hôtels de Cluny, de Sens, de Clisson : ces monuments nous sont familiers. Mais qui sait qu’il existe encore à Paris des dizaines d’autres demeures et bien plus encore de caves du Moyen Âge ? Ces richesses méconnues n’ont pas toujours eu la place qu’elles méritaient dans les études d’histoire et d’archéologie alors que c’est cette époque qui a donné à la plupart des villes anciennes la forme qu’on leur connaît aujourd’hui en y suscitant des types d’habitats adaptés aux besoins des citadins. Paris, la plus grande ville de l’Occident médiéval avec ses 200 000 habitants et ses milliers de maisons et d’hôtels, joua un rôle majeur dans l’élaboration de ces modèles résidentiels qui ont connu une grande longévité et n’ont cessé, jusqu’à nos jours, d’alimenter la création artistique ou littéraire et l’imaginaire. Cet ouvrage propose, à l’occasion d’une exposition tenue aux Archives nationales, à la fois un ensemble de documents rares sur ce patrimoine millénaire – archives, images et objets – et un bilan des connaissances sous forme d’essais et d’études de cas par des spécialistes issus des diverses disciplines qui contribuent aujourd’hui à la redécouverte de ces témoignages saisissants du paysage monumental d’un passé brillant.
Couverture Montage réalisé par Nicolas Dubret (Toile Concept) avec les figures 151 et 205. 978-2-7572-0587-7
35 €
Rabat Relevé de la tour Jean sans Peur par Charles-Gustave Huillard, 1877 (figure 145).
Ouvrage publié sous la direction scientifique de Étienne Hamon et Valentine Weiss, à l’occasion de l’exposition présentée aux Archives nationales, du 17 octobre 2012 au 13 janvier 2013. Coordination éditoriale : Claire Béchu et Pierre Fournié, assistés de Sarah Boitelle, Alexandra Hauchecorne, Monique Hermite
© Somogy éditions d’art, Paris, 2012 © Archives nationales, Paris, 2012 Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Conception graphique : Atelier Rosier Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie Suivi éditorial : Isabelle Pelletier ISBN 978-2-7572-0587-7 ISBN Archives nationales : 978-2-86000-356-8 Dépôt légal : octobre 2012 Imprimé en Italie (Union européenne)
La demeure médiévale à Paris
LISTE DES AUTEURS
PIERRE GARRIGOU GRANDCHAMP
docteur en histoire de l’art et archéologie, Société française d’archéologie
J EA N - P I E R R E G É LY SABINE BERGER
doctorante, université de Paris-Sorbonne
MONIQUE BLANC
conservateur en chef du patrimoine, musée des Arts décoratifs
FRANÇOIS BLARY
maître de conférences en histoire et archéologie du Moyen Âge, université de Picardie – Jules-Verne
MARION BOUDON-MACHUEL
maître de conférences en histoire de l’art moderne, université François-Rabelais, Tours
VIOLAINE BRESSON
conservateur du patrimoine – archéologue au Département Histoire de l’Architecture et Archéologie de Paris (DHAAP)
C ATH E R I N E B R UT
conservateur en chef du patrimoine – archéologue au Département histoire de l’architecture et archéologie de Paris (DHAAP)
SANDRINE BULA
conservateur en chef du patrimoine, Archives nationales (chargée de mission pour les archives photographiques)
R O B E RT C A RVA I S
directeur de recherche au CNRS (Institut d’histoire du droit, UMR 7184 – université de Panthéon-Assas), professeur associé à l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles
JEAN-LUC CHASSEL
maître de conférences en histoire du droit, université de Paris Ouest-Nanterre-La Défense, Société française d’héraldique et de sigillographie
GRÉGORY CHAUMET
architecte DPLG, professeur à l’EPSAA, doctorant à l’université de Paris-Sorbonne
CARMEN DECU TEODORESCU
doctorante, université de Paris-Sorbonne
JEAN-DENIS CLABAUT
doctorant en archéologie, spécialiste des caves médiévales urbaines
ÉLIANE DERONNE-CAROUGE
conservateur en chef honoraire du patrimoine
membre du CTHS, chercheur associé, équipe d’Histoire des Techniques, Paris 1-CNRS, UMR 8589 LAMOP
NOËLLE GIRET
conservateur général honoraire des bibliothèques
M A R I E -T H É R È S E G O U S S E T
ingénieur de recherche honoraire au CNRS (Centre de recherche des manuscrits enluminés)
ÉTIENNE HAMON
professeur d’histoire de l’art médiéval, université de Picardie – Jules-Verne
MICHEL HÉROLD
conservateur général du patrimoine, Centre André-Chastel
MARIE HOULLEMARE
maître de conférences en histoire moderne, université de Picardie – Jules-Verne
GUILLAUME LE GALL
maître de conférences d’histoire de l’art contemporain, université de Paris-Sorbonne
YVONNE-HÉLÈNE LE MARESQUIER-KESTELOOT ingénieur de recherche honoraire au CNRS (Centre de topographie parisienne)
CLAIRE MARTIN
restauratrice au Département histoire de l'architecture et archéologie de Paris (DHAAP)
FLORIAN MEUNIER
conservateur du patrimoine, musée Carnavalet
E V E LYN M U L L A L LY
chercheuse honoraire en francais médiéval à la Queen’s University (Belfast)
ODILE NOUVEL-KAMMERER
conservatrice honoraire des collections du XIXe siècle, musée des Arts décoratifs
BÉNÉDICTE PERFUMO
architecte voyer et directrice générale adjointe des services de la Ville de Paris (mairie du XIIIe arr.)
PIERRE PINON
professeur d’histoire de l’architecture, École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville
ROBERT DESCIMON
PHILIPPE PLAGNIEUX
CÉCILE FABRIS
JOËLLE PRUNGNAUD
JACQUES FREDET
THOMAS RAPIN
directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) conservateur du patrimoine, archives départementales de Seine-et-Marne architecte DPLG, ancien professeur d’architecture à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville
J E A N - C L AU D E G A R R E TA
directeur honoraire de la bibliothèque de l’Arsenal
Fig. 1 Scène de rue commerçante. Gilles de Rome, Livre du gouvernement des princes ; nord de la France, vers 1500-1508. B.n.F., Arsenal, ms. 5062, fol. 149 r°.
professeur d’histoire de l’art médiéval, université de Franche-Comté, École nationale des chartes professeur émérite de littérature comparée, université Charles-de-Gaulle – Lille 3 docteur en histoire de l’art médiéval
ANNE RICHARD-BAZIRE
docteur en histoire de l’art contemporain
DANY SANDRON
professeur d’histoire de l’art médiéval, université de Paris-Sorbonne, directeur du Centre André-Chastel
VALENTINE WEISS
conservateur du patrimoine, Archives nationales, responsable du Centre de topographie historique de Paris au département du Moyen Âge et de l’Ancien Régime
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LISTE DES PRÊTEURS
M. le maire de Paris Archives de Paris :
Agnès MASSON, directrice
Archives départementales de la Côte-d’Or : Gérard MOYSE, directeur
Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques : Anne GOULET, directrice
Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) :
Patrice GUÉRIN, directeur ; Carole MARTIN, adjointe
Association des amis de la tour Jean Sans Peur :
Patrice BONSEIGNOUR, président ; Rémi RIVIÈRE, directeur
Association pour la sauvegarde et la mise en valeur du Paris historique :
Pierre HOUSIEAUX, président
Bibliothèque historique de la Ville de Paris :
Emmanuelle TOULET, directrice, ainsi que Pauline
GIRARD ; Maryse GOLDEMBERG, conservateur responsable
des Cartes et plans ; Marie-Françoise GARION-ROCHE, conservateur responsable des Manuscrits
Bibliothèque nationale de France : Bruno RACINE, président,
et Jacqueline SANSON, directrice générale ; Département des Manuscrits : Thierry DELCOURT (†), directeur ;
Anne-Sophie DELHAYE, adjointe du directeur ; Isabelle LE MASNE DE CHERMONT, directrice ;
Charlotte DENOËL et Pierre-Jean RIAMOND, conservateurs
6
Bibliothèque de l’Arsenal :
Bruno BLASSELLE, directeur ;
Nathalie COILLY, conservateur Bibliothèque royale de Belgique :
Patrick LEFÈVRE, directeur ; Bernard BOUSMANNE,
directeur du Cabinet des manuscrits ; Michiel VERWEIJ,
chargé de recherche au département des manuscrits
Centre André-Chastel :
Dany SANDRON, professeur à l’université de Paris-
Sorbonne (Paris IV), directeur, responsable scientifique et technique d’un groupe de recherche sur les caves
de Paris dans le cadre du PRES-Sorbonne Universités, Catherine LIMOUSIN et Véronique SOULAY
Centre hospitalier national des Quinze-Vingts : Jean-François SÉGOVIA, directeur
Collection Debuisson :
Roxane DEBUISSON et Florence QUIGNARD-DEBUISSON
Département histoire de l’architecture et archéologie de Paris (DHAAP) :
Laurent ALBERTI, chef du Département ; Catherine BRUT, conservateur en chef du patrimoine – archéologue ; Violaine BRESSON et Élisabeth PILLET, conservateurs
du patrimoine – archéologues ; Marc LELIÈVRE,
Christian RAPA et Pascal SAUSSEREAU, photographes ;
Claire MARTIN, restauratrice
École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) :
Nicolas BOURRIAUD, directeur ; Emmanuel SCHWARTZ, conservateur
Institut national d’histoire de l’art (INHA) :
Antoinette LE NORMAND-ROMAIN, directrice générale ;
Martine POULAIN, directrice de la bibliothèque
de l’INHA ; Jérôme DELATOUR, conservateur Maison de Victor Hugo :
Gérard AUDINET, directeur
Médiathèque de l’architecture et du patrimoine : Jean-Daniel PARISET, directeur
Musée Carnavalet :
Jean-Marc LÉRI, directeur ; Florian MEUNIER, conservateur du département de l’archéologie et du Moyen Âge ;
Thierry SARMANT, conservateur en chef du patrimoine,
responsable des collections de monnaies et médailles Musée des Arts décoratifs :
Béatrice SALMON, directrice ; Monique BLANC,
conservateur en chef ; Odile NOUVEL-KAMMERER,
conservateur en chef
et, à la Direction des fonds des Archives nationales :
Nadine GASTALDI, conservateur en chef du patrimoine
aux Archives nationales, chargée de mission pour les cartes et plans ;
Département de l’Éducation, de la Culture et des Affaires sociales :
Catherine MÉROT, conservateur général du patrimoine, responsable
Département des archives privées :
Isabelle ARISTIDE, conservateur général du patrimoine, responsable
Département du Moyen Âge et de l’Ancien Régime : Jean-Pierre BRUNTERC’H, conservateur général
du patrimoine, responsable
Département du Minutier central des notaires de Paris : Marie-Françoise LIMON-BONNET, conservateur général du patrimoine, responsable
Musée du Louvre :
Henri LOYRETTE, président ; Guillaume FONKENELL,
conservateur du patrimoine, responsable de la Section
sur l’histoire du Louvre au département des Sculptures Musée national du Moyen Âge :
Élisabeth TABURET-DELAHAYE, directrice ;
Jean-Christophe TON-THAT, responsable
de la documentation
Musée Vivenel (Compiègne) :
Claire ISELIN, conservateur des musées de la ville de Compiègne
7
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS
I. LES SOURCES DE L’HISTOIRE D E L A D E M E U R E 15
11 AGNÈS MAGNIEN D I R E C T R I C E D E S A R C H I V E S N AT I O N A L E S
PRÉFACE
13 J EA N F AVI E R MEMBRE DE L’INSTITUT PRÉSI DENT DU COMITÉ D’H ISTOI R E
La demeure à travers les archives DE
PARIS
La demeure à travers les plans
16 20
La demeure d’après l’enluminure La demeure dans la littérature
28 34
II. STATUTS, USAGES ET MISE EN ŒUVRE D E L A D E M E U R E 37 La demeure dans l’espace seigneurial parisien et les règlements d’urbanisme
38
La mise en œuvre : chantiers, techniques, contrôle Usages et dépendances
79
À l’enseigne de la demeure médiévale parisienne
III. LA DEMEURE DANS LE TEMPS ET L’ESPACE PARISIENS Typologie des demeures parisiennes : évolution chronologique 98 Les hôtels ecclésiastiques Les hôtels laïques
8
126
62
104
97
93
IV. REGARDS SUR L’ARCHITECTURE
139
Les demeures parisiennes des xiiie et xive siècles L’hôtel parisien sous Charles VIII et Louis XII
140
186
La maison parisienne à pan de bois de l’époque gothique tardive : restitution du processus de mise en œuvre Le décor monumental de la demeure
206
Entre gothique et Renaissance : La demeure parisienne des années 1510-1530
V. MOBILIER ET DÉCOR INTÉRIEURS
198
212
221
Le mobilier d’une demeure parisienne au xve siècle La period room médiévale aux Arts décoratifs
222
225
Le menuisier, principal maître d’œuvre du décor de la demeure parisienne 227 La fenêtre et son vitrage
232
Les tentures dans la demeure parisienne à la fin du Moyen Âge 235 Images de dévotion sculptées dans la demeure parisienne à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance 237 Ustensiles et vaisselle en usage à Paris au Moyen Âge
239
VI. POSTÉRITÉ : VISIONS MODERNES D U « V I E U X P A R I S » 243 Guides et littérature
244
L’habitat néo-gothique à Paris au xixe siècle Redécouverte : destructions et archéologie
250 258
275
Liste des demeures médiévales conservées
Une anticipation rétrospective : l’exposition du Vieux Paris d’Albert Robida en 1900 269 Visions cinématographiques du Paris médiéval
ANNEXES Bibliographie
273
276
277
Table des matières
290
9
LES SOURCES
10
DE L’HISTOIRE
DE LA DEMEURE
AVANT-PROPOS AGNĂˆS MAGNIEN
Les Archives nationales prÊsentent à l’automne une exposition consacrÊe à la demeure mÊdiÊvale à Paris. PubliÊ en même temps que le rÊpertoire des demeures sur lequel il s’appuie, le prÊsent ouvrage vise à Êbaucher une synthèse inÊdite sur un sujet à la fois central dans l’histoire de l’urbanisme en Occident et relativement mÊconnu. La pÊriode considÊrÊe, qui porte sur plusieurs siècles, du e siècle à , prend en compte aussi des sources postÊrieures permettant d’Êclairer cette histoire. Elle tÊmoigne de l’Êvolution historique de la maison dans la ville, de la mise en œuvre des constructions et du dÊcor des demeures qui reflètent les conditions sociales de leurs habitants et s’adaptent aux structures et à la topographie de la ville. La typologie des documents est d’une grande variÊtÊ et les sources sont d’origine très diverse, ces deux aspects renforçant par là même l’intÊrêt du sujet. En effet, outre les sources Êcrites, archÊologiques et figurÊes rÊparties dans la plupart des sÊries des Archives nationales, les prêts proviennent de nombreuses institutions à Paris (Archives de Paris, archives de l’Assistance publique – hôpitaux de Paris, archives hospitalières des Quinze-Vingts, Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque historique de la Ville de Paris, Institut national d’histoire de l’art, Centre AndrÊ-Chastel, MÊdiathèque de l’architecture et du patrimoine et Maison de Victor Hugo), en province (archives dÊpartementales de la Côte-d’Or et des PyrÊnÊes-Atlantiques), à l’Êtranger, comme la Bibliothèque royale de Belgique, et de collections particulières. Les sources mettent en lumière l’approche historique et archÊologique de l’habitat mÊdiÊval parisien au e siècle. S’y ajoutent maquettes, dessins, meubles, tableaux et objets divers (issus du musÊe Carnavalet, du musÊe national du Moyen Âge, de la section Histoire du Louvre, du musÊe des Arts dÊcoratifs, du
musÊe Vivenel de Compiègne, de l’École nationale supÊrieure des beaux-arts, mais Êgalement du DÊpartement histoire de l’architecture et archÊologie de Paris, des associations de sauvegarde du patrimoine parisien). Nous tenons à remercier très chaleureusement l’ensemble de ces prêteurs, ainsi que les commissaires et les contributeurs de cet ouvrage pour le travail qu’ils ont accompli. L’exposition fournit ainsi l’occasion de nouer des relations scientifiques de qualitÊ entre les institutions et d’envisager un partenariat solide avec plusieurs d’entre elles, à l’image de la contribution des enseignants, chercheurs et conservateurs du Centre AndrÊ-Chastel de l’universitÊ de Paris IV, que les Archives nationales ont rÊcemment rejoint dans le PRESSorbonne UniversitÊs ; à l’image aussi de l’Êtude historique et archÊologique menÊe conjointement par des archÊologues du DÊpartement histoire de l’architecture et archÊologie de Paris, des membres de la SociÊtÊ française d’archÊologie et les Archives nationales sur l’hôtel de Clisson.
Fig. 2 Place de marchĂŠ. Enluminure du MaĂŽtre de la CitĂŠ des Dames, Thomas de Saluces, Le chevalier errant, vers 1394. B.n.F., ms. fr. 12559, folio 167.
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LES SOURCES
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DE L’HISTOIRE
DE LA DEMEURE
PRÉFACE J EA N F AVI E R
À l’œil, une ville dessine d’abord un panorama, un ensemble qui s’inscrit dans le paysage. Pour le citadin, elle est d’abord faite de sa maison, et de celles des autres de son côté de la rue. Cette maison n’est pas que l’un des éléments de la façade sur la rue. Elle est aussi le reflet d’une position sociale et d’un moment dans un destin familial. L’historien se doit d’être sensible à ce que furent les premières préoccupations de l’habitant, les dimensions, les matériaux, les éléments de la solidité et ceux de la protection contre les éléments. Pour chacun la maison est un moyen de vie, de confort, de travail, et c’est aussi un placement. Tout cela, l’historien le mesure grâce à une documentation exceptionnelle à Paris par son ampleur, par sa diversité. C’est à la lourdeur des procédures qui président à la construction, à l’acquisition, à la modification, à la cession, que nous devons cette documentation. Elle mentionne des accès, des pierres, des tuiles, le bois, des ameublements. Elle fait leur place aux commodités, comme au besoin de lumière et de regard. De cette matière, les historiens de l’art comme Étienne Hamon savent, forts d’un siècle et demi d’érudition savante et de nouvelles méthodes d’investigation, tirer les informations pertinentes pour identifier les grands courants et les modèles de la création monumentale. Si l’historien de Paris est aussi bien servi en documents et en informations, il le doit à l’importance de l’immobilier bâti dans le patrimoine des établissements ecclésiastiques, comme à celle des monastères et des collèges dans le partage du sol, dans le bâti, qui font la ville. Nombre de nos informations sont naturellement de source domaniale, et la conservation scrupuleuse des preuves de propriété par les gestionnaires ecclésiastiques aura rendu un immense service à Valentine Weiss pour les travaux qu’elle mène depuis quelques années. Mais, là, c’est chacun chez soi. La documentation d’origine fiscale met chacun à sa place, et conjoint le regard de l’administrateur avec celui du propriétaire ou du futur propriétaire. Là comme ailleurs, l’intervention de la puissance publique dans les affaires de l’individu et de la famille nourrit la recherche historique. Fig. 3 Marie de Blois et Louis II d’Anjou accueillis à Paris. À l’arrière plan, vue générale de la ville depuis le nord. Enluminure du Maître d'Antoine de Bourgogne. Jean Froissart, Chroniques. Bruges, vers 1470. B.n.F., ms. fr., 2645, fol. 321 v°.
Nous empruntons l’œil du propriétaire et celui du plaideur, celui du maçon et celui du couvreur. C’est eux qui ont voulu la ville et en ont connu et servi la croissance, et non les urbanistes. Ceux-ci n’ont fait qu’adapter à leur vue les réalités matérielles. Vient ensuite pour l’historien le temps de la vie et de tout ce qui nous informe du cadre de vie et de l’adaptation des fonctions à la construction. Ce livre offre à notre interrogation des réponses combien nouvelles. Il ouvre la voie à de nouveaux cheminements que ne manqueront pas d’emprunter d’autres historiens.
Fig. 4 3, rue Volta (IIIe arr.). Maison à pan de bois du XVIIe siècle, jadis datée du XIIIe siècle. Cliché Alain Berry, Arch. nat.
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LES SOURCES
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DE L’HISTOIRE
DE LA DEMEURE
I. LES SOURCES DE L’HISTOIRE DE LA DEMEURE VALENTINE WEISS
Paris se présente sous la forme d’une île reliée à deux rives, mais comprend surtout une enceinte fortifiée ponctuée par des portes, de nombreux clochers ou tours d’abbayes, de prieurés, d’églises paroissiales ou d’hôpitaux ; la forteresse du Louvre, celle de la Bastille ou bastide Saint-Antoine dès le règne de Charles V et les deux Châtelet de part et d’autre du fleuve. Excepté quelques marchés, places et rues un peu larges comme la rue Saint-Antoine, Paris est un dédale de rues étroites dont les dénominations s’enchevêtrent . Entre l’édification du mur de Philippe Auguste et l’enceinte de Charles V, la physionomie de Paris change considérablement, englobant de grands espaces jusqu’alors suburbains, patents dans les documents de seigneuries foncières comme Saint-Magloire, Saint-Martin-des-Champs, le Temple ou, vers Saint-Paul, celle de Saint-Éloi. Telle est la vision de l’historien d’aujourd’hui qui dispose de sources très diverses dont on s’efforcera d’énumérer les carences autant que les apports. Celle qu’a le Parisien de l’époque médiévale de sa ville est très certainement bien différente de la perception actuelle : c’est celle, plus ou moins sublimée, déformée ou orientée, qui s’exprime dans les sources narratives et les enluminures dès le XIVe siècle et s’épanouit au siècle suivant, et dont les premiers plans de l’extrême fin de ce siècle et du XVIe siècle rendent compte également. La ville médiévale est caractérisée par des seigneuries, des justices, des paroisses et des quartiers qui se superposent. Mais au-delà de ces diverses circonscriptions, ces maisons sont la marque d’une ville qui se définit aussi, voire avant tout, par une coexistence du sacré et du profane, par des implantations guidées par le désir de regroupements identitaires de communautés sociales fortes, dans le paysage urbain qu’il convient de reconsidérer comme des ensembles humains et non comme des territoires. Les découpages municipaux sont le signe le plus évident de cette affirmation bourgeoise des notables sur la maison parisienne. Fig. 5 La cour de l’Hôtel du Prévôt. Eau forte de Gabrielle Niel parue dans Eaux fortes sur le vieux Paris, vers 1866. Épreuve avant la lettre. Coll. part. E. Hamon.
Sur la parcelle, qui est caractérisée par une certaine stabilité, la demeure s’implante selon des particularités d’orientation, suivant certaines règles que les voyers sont chargés de faire appliquer et dont le respect n’est toutefois constaté qu’a posteriori. Le lotissement progressif témoigne de l’essor urbain qui subit les aléas économiques et les événements politiques que traverse la capitale. Après les Halles, « qui voudrait compter le nombre des autres maisons de Paris, travaillerait probablement en vain, à peu près comme celui qui essaierait de compter les cheveux de plusieurs têtes abondamment fournies, ou les épis d’une vaste moisson, ou les feuilles d’une grande forêt. Que de grands et beaux hôtels de riches fameux ! Les uns sont ceux des rois, des comtes, des ducs, des chevaliers et des autres barons ; les autres appartiennent aux prélats ; tous sont nombreux, grands, bien bâtis, beaux et splendides, au point qu’à eux seuls et séparés des autres maisons, ils pourraient constituer une merveilleuse cité ». Ainsi s’exprime Jean de Jandun dans son Traité des louanges de Paris en . Six siècles plus tard, Adolphe Berty s’exprime ainsi dans sa monumentale Topographie historique du vieux Paris : « Quant aux hôtels seigneuriaux, leur histoire est pleine d’erreurs, et les historiens de Paris n’ont point mentionné le quart de ceux qui méritaient de l’être. Il a été encore moins question des maisons de bourgeois ou d’artisans, que distinguaient de si pittoresques dénominations […] de telle sorte […] qu’on ne savait presque jamais retrouver la demeure d’un personnage célèbre ». Même si nombre d’études ont été publiées depuis lors, elles ne sont malheureusement que bien ponctuelles face à la masse des demeures dont l’histoire reste encore à découvrir… Les articles publiés livrent un éclairage sur des lieux, des ensembles communautaires, des usages particuliers. L’essai de synthèse historique qui les illustre, en dépit du caractère encore réduit des connaissances sur cette immense matière, pose des jalons qui permettront sans doute d’ouvrir la voie à des recherches plus poussées. 1 Favier 1997, p. 13-22. 2 Le Roux de Lincy et Tisserand 1867, p. IX et 52-53. 3 Berty 1876-1897, t. I, p. XII.
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LA DEMEURE À TRAVERS LES ARCHIVES VALENTINE WEISS
Fig. 6 Chronique du règne de Louis XI, dite Chronique scandaleuse de Jean de Roye, 1460-1483. B.n.F., ms. fr. 5062, fol. 53 v°. LES SOURCES
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DE L’HISTOIRE
DE LA DEMEURE
Les mÊdiÊvistes dÊplorent les destructions massives de documents et parfois de fonds entiers d’archives qui auraient ÊtÊ bien utiles à la recherche parisienne, dues en grande partie à l’incendie de la Chambre des comptes en , aux Êliminations rÊvolutionnaires ou à l’incendie de l’Hôtel de Ville en . En ce qui concerne les documents domaniaux – essentiellement des registres –, un tiers de la production a ainsi disparu au fil des siècles . Il reste nÊanmoins de superbes fonds d’archives et de nombreux documents rÊpartis dans les sÊries des Archives nationales, aux Archives de Paris, aux archives de l’Assistance publique de Paris ou aux archives hospitalières des Quinze-Vingts, dans les institutions parisiennes – dÊpartement des Manuscrits de la Bibliothèque nationale, bibliothèques de l’Arsenal, de la Ville de Paris, Sainte-Geneviève, Sorbonne ou Mazarine –, dans des fonds de province comme à Rouen – collection Leber pour la copie de registres de la Chambre des comptes – et dans les autres dÊpôts qui ont recueilli les fonds des prÊlats ou d’institutions religieuses (Bourges, Autun, Beauvais, Reims) et des princes possessionnÊs à Paris (Arras, Lille, Dijon, Pau), ou encore des fonds Êtrangers, anglais, belges ou russes . Pour ne prendre qu’un exemple, les archives du duc Louis d’OrlÊans, dispersÊes au XVIIIe siècle, ont subsistÊ pour une partie à la chambre des comptes de Blois, l’essentiel Êtant conservÊ au dÊpartement des Manuscrits, auquel s’ajoute un seul compte de conservÊ aux Archives nationales . Le même constat de dispersion des sources s’impose pour les archives du duc de Berry . Certaines sources ont ÊtÊ en partie sauvÊes de l’oubli par des publications d’Êrudits : Sauval, dans ses Antiquitez, a publiÊ des extraits des  registres des œuvres royaux . Après lui, on peut citer les  Preuves  contenues dans l’Histoire de la ville de Paris de FÊlibien et Lobineau ( ), les appendices de la Topographie historique du Vieux Paris d’Adolphe Berty et ses continuateurs ( - ) ou le Cartulaire gÊnÊral de Paris de Robert de Lasteyrie ( ) ou les Documents parisiens du règne de Philippe VI de Valois de Jules Viard ( ). S’ajoutent à cela les sources littÊraires publiÊes dans Paris et ses historiens aux XIVe et XVe siècles par Antoine Le Roux de Lincy et Lazare-Maurice Tisserand ( ) et les Êditions de journaux ou chroniques, notamment : Chronique du Religieux de Saint-Denis de LouisFrançois Bellaguet ( - ), le Journal d’un bourgeois de Paris, Journal de Nicolas de Baye, Journal de ClÊment de Fauquembergue
au nombre des nombreuses publications d’Alexandre Tuetey ( , , - ), Journal de Jean de Roye, connu sous le nom de Chronique scandaleuse de Bernard de Mandrot ( ). Parmi les Êditions de sources concernant des institutions, relevons, entre autres, le Cartulaire de Notre-Dame de Benjamin GuÊrard ( ), les appendices à l’Histoire de l’Hôtel de Ville de Paris d’Antoine Le Roux de Lincy ( ) et son Êtude sur la Grande ConfrÊrie Notre-Dame ( ) complÊtÊe par celle d’Henri Omont ( ), Les MÊtiers et corporations de la ville de Paris de RenÊ de Lespinasse et d’Alfred Bonnardot ( ), les Registres des dÊlibÊrations du Bureau de la Ville de Paris de François Bonnardot, Alexandre Tuetey et Paul GuÊrin, commencÊs en et poursuivis jusqu’à nos jours, le Chartularium
fig 1
LA DEMEURE À TRAVERS LES PLANS VALENTINE WEISS
Fig. 15 Copie du plan de la Gouache, vers 1540. BHVP, rouleau 9.
À quelques exceptions près, tous les plans conservÊs sont postÊrieurs à la pÊriode mÊdiÊvale. L’Êdifice laïque, notamment la maison ordinaire, reconnaissable à sa façade à pignon sur rue, gÊnÊralement de deux Êtages au dÊbut du XVe siècle (jusqu’à sept par la suite à l’ouest de la rive droite), appendances à l’arrière, apparaÎt dans les plans gÊnÊraux et seigneuriaux ou sur le plan figuratif de la place Royale – des Vosges. Outre les plans gÊnÊraux, les maisons sur les ponts sont reprÊsentÊes dans le plan seigneurial de Saint-Merry. Les appendances sont plus visibles encore sur les plans seigneuriaux suburbains des Cordelières ou de la Grande ConfrÊrie. Figurant Êgalement sur certains plans ruraux , la structure à pan de bois apparaÎt dans les plans des Cordelières ou les archives de la chambre des Bâtiments. En revanche, à la diffÊrence de l’enluminure, le parement, typique des maisons mÊdiÊvales à encorbellement, est presque totalement absent des plans.
PLANS
GÉNÉRAUX
Dans sa Topographie historique du vieux Paris, Adolphe Berty considÊrait avec scepticisme la vÊracitÊ des plans gÊnÊraux de la capitale avant le plan de Gomboust, voire celui de Delagrive . Les plans qui retiennent l’attention des historiens sont les plans de la Tapisserie et de Bâle au XVIe siècle, Quesnel et Vassalieu sous Henri IV, Merian, Gomboust, Bullet et Blondel au XVIIe siècle, Bretez (sous les ordres de Turgot) et Verniquet, premier plan gÊomÊtral, au XVIIIe siècle. Les plans, jusqu’en offrent la vision d’une ville circulaire, dans la tradition idÊale d’une capitale du monde,  caput mundi , notamment dans le plan de Bâle, ou elliptique dans le plan de Merian en perspective de , lequel schÊmatise rues et maisons sur un tissu urbain en perspective, mais les principaux monuments sont reprÊsentÊs de manière soignÊe. Il en est de même du plan de Gomboust de , premier essai de restitution gÊomÊtrique de l’ensemble des Êdifices publics et privÊs, (notamment les hôtels) dans la lignÊe des prÊcÊdents, qui reprÊsente tous les lieux, ou du plan de Bullet de . Le plan de Quesnel de est orientÊ au sud-est, le plan contemporain de Vassalieu mettant lui aussi en valeur la ville forte. Delagrive, à travers ses plans cadastrÊs entre et , renseigne sur les Êdifices, Êchoppes et boutiques. Le plan de Louis Bretez, levÊ sous les ordres de Michel Étienne Turgot en - , qui LES SOURCES
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DE L’HISTOIRE
DE LA DEMEURE
offre une vue cavalière dÊtaillÊe de Paris, a pour but une reprÊsentation parfois plus thÊâtrale que scientifique de la capitale . La chanson de geste Les Narbonnais, de la fin du XIIIe siècle, Êvoque une reprÊsentation de la ville avec les portes, le Palais, la Sainte-Chapelle, les clochers des Êglises et les moulins sur le fleuve,  au milieu d’un amas inÊgal d’habitations , mais aussi les maisons à tours, les textes les mentionnant souvent, telles celle d’Étienne de Garlande, une autre situÊe en haut de la rue Saint-Jacques ou celle de Jean sans Peur . De même que l’enluminure des XIVe et XVe siècles , les premiers plans gravÊs sur bois de l’extrême fin du XVe siècle sont des  vues imaginaires , une vue gravÊe vers reprÊsentant les enceintes, les Êglises, la tour et l’hôtel fortifiÊ de Nesle . Un plan manuscrit perdu, des annÊes , sert de modèle aux autres du XVIe siècle . Les principaux plans de Paris au XVIe siècle reprÊsentent enceintes, ponts, Îles, rues, Êglises et un certain nombre d’hôtels,
Fig. 25. Dave, l’esclave de Simon rencontre Mysis, la servante de Glycère, au dÊtour d’une rue. B.n.F., Arsenal, ms. 664, fol. 10 r°, TÊrence, ComÊdies ; (L’Andrienne, acte I, scène 3).
LA DEMEURE D’APRĂˆS L’ENLUMINURE M A R I E -T H É R Ăˆ S E G O U S S E T
Un peu plus d’un demi-siècle avant que ne s’Êveille l’art du paysage, des enlumineurs parisiens avaient dÊjà cÊdÊ à l’attrait qu’exerçait la capitale du royaume de France, la plus grande ville de l’Occident chrÊtien. Plus que l’architecture urbaine, c’est l’activitÊ portuaire et artisanale qui a fascinÊ le MaÎtre de la Vie de saint Denis au point d’illustrer, en , l’histoire du martyr et de ses compagnons au-dessus d’une frise quasi continue reprÊsentant le trafic fluvial et les ponts maisonnÊs reliant la CitÊ aux deux rives, avec la vie grouillante qui les anime au quotidien . De cette Êvocation, rendue au demeurant avec un sens remarquable de l’observation, un seul ÊlÊment est intÊressant à retenir en ce qui concerne la demeure mÊdiÊvale : c’est l’implantation des maisons dont les pignons donnent sur la chaussÊe et leurs Êchoppes s’ouvrant sur la rue. À deux ou trois annÊes d’intervalle, la plume alerte du MaÎtre du Roman de Fauvel esquisse, dans son œuvre Êponyme, la silhouette du palais de la CitÊ . Cœur de la ville, la CitÊ est effectivement le site qui va retenir le plus souvent l’attention des meilleurs artistes depuis les frères Limbourg jusqu’à Jean Fouquet. C’est à l’aube du e siècle que, sous l’influence des enlumineurs venus du Nord, se dÊveloppe l’intÊrêt pour le paysage. Tantôt panoramiques, tantôt ciblÊes sur un Êdifice prÊcis, les vues parisiennes apparaissent dès le dÊbut des annÊes . L’illustration de livres de dÊvotion, d’ouvrages politiques ou de chroniques est l’occasion de choisir Paris comme dÊcor pour des scènes de martyre ou de vie des saints tutÊlaires de la capitale, de dÊdicace ou d’histoire. Les vues cavalières que l’on trouve dÊjà chez le MaÎtre de Boucicaut dans le BrÊviaire de Louis de Guyenne vers , puis chez le MaÎtre de Dunois dans un livre d’heures peut-être exÊcutÊ pour Charles VII vers , enfin chez Fouquet tant dans les Heures d’Étienne Chevalier vers que dans les Grandes Chroniques de France aux environs de , montrent bien à quel point le tissu urbain est resserrÊ. Des peintures prÊsentant un plan plus rapprochÊ permettent de discerner les caractÊristiques extÊrieures des maisons et, à ce propos, il est utile de se rÊfÊrer Êgalement à des paysages urbains qui ne sont pas censÊs figurer prÊcisÊment Paris, mais qui sont dus à des artistes travaillant in situ et, de ce fait, qui reproduisent ce qu’ils ont sous les yeux, comme c’est le cas du MaÎtre de la CitÊ des Dames et de certains de ses collaborateurs. Leur tÊmoignage peut être ainsi considÊrÊ comme fiable même si parfois l’intrusion d’un pignon en  saut de moineau  rappelle l’origine flamande de plusieurs d’entre eux. LES SOURCES
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DE L’HISTOIRE
DE LA DEMEURE
LA DEMEURE DANS LA LITTÉRATURE E V E LY N M U L L A L LY
À l’intÊrieur du rempart de Charles V les habitations des gens ordinaires Êtaient bien à l’Êtroit. Il Êtait normal de vivre dans un immeuble de plusieurs Êtages, comme nous le voyons dans une enluminure du milieu du XVe siècle . Il peut paraÎtre Êtrange de voir ces ensembles de maisons si près de Notre-Dame, mais, avant les transformations dues à Haussmann, même l’Île de la CitÊ Êtait un rÊseau de rues Êtroites bordÊes d’immeubles. Si on traversait le Petit Pont pour gagner la rive gauche, il ne fallait pas s’Êtonner de voir très peu de demeures privÊes. Toute la partie sud de la ville à l’intÊrieur du rempart s’appelait globalement l’UniversitÊ. Outre les nombreuses maisons religieuses, les collèges foisonnaient. Comme à Oxford et à Cambridge, les collèges Êtaient des institutions caritatives qui permettaient aux Êtudiants pauvres de venir Êtudier à Paris. Des esquisses faites au milieu du XIVe siècle Êvoquent les activitÊs des Êtudiants dans leur tout petit collège de Hubant . Si, en revanche, on traversait le Grand Pont à la rive droite, on se trouvait dans la Ville, partie de Paris qui s’Êtait tant dÊveloppÊe qu’il a fallu construire un plus grand rempart sous Charles V. C’est donc sur la rive droite que se trouvaient tous les hôtels des grands bourgeois qui nous permettent d’imaginer les demeures des familles aisÊes à Paris au Moyen Âge. À la fin du XIVe siècle, un anonyme, qu’il faut très probablement identifier à Guy de Montigny, chevalier au service du duc de Berry, rÊdigea un traitÊ à l’usage de sa très jeune Êpouse . Ce MÊnagier de Paris nous instruit sur tous les devoirs que doit remplir une maÎtresse de maison. Ce faisant, il nous laisse apercevoir toutes les ressources que doit contenir une maison appartenant à une famille aisÊe mais prudente. La maison de Guy de Montigny occupait l’angle de la rue Saint-Antoine et de la rue PercÊe (auj. du PrÊvôt). Elle semble assez grande, mais au Moyen Âge l’absence de tout appareil pour faciliter et simplifier toutes les besognes domestiques nÊcessitait une main-d’œuvre importante. Le personnel qui vivait sur place comprenait maÎtre Jehan, son intendant, dame Agnès, bÊguine et compagne de la jeune maÎtresse de maison, l’huissier, le jardinier, Richard le garçon de cuisine, sans compter  les hommes et les femmes  qui s’occupaient de la cuisine, du chauffage, des chevaux et ainsi de suite. Quelques dÊcennies plus tard, nous obtenons des dÊtails intÊressants sur les demeures à Paris grâce à un texte terminÊ en , la Description de Paris par le Flamand Guillebert De LES SOURCES
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DE L’HISTOIRE
DE LA DEMEURE
Mets (fig. 30). Parmi les personnages notables à Paris dans son temps, Guillebert mentionne Nicolas Flamel, cÊlèbre à plusieurs Êgards : c’Êtait un alchimiste, mais aussi un calligraphe et un homme d’affaires très prospère et en plus, de concert avec sa femme Pernelle, c’Êtait un philanthrope qui possÊdait plusieurs maisons  oÚ gens de mÊtiers demeuraient en bas et du loyer qu’ils payaient Êtaient soutenus pauvres laboureurs en haut . Une de ces maisons existe encore au rue de Montmorency (IIIe arr.). Ces logements gratuits permettaient à quelques ouvriers pauvres d’avoir une demeure à Paris. Les moins chanceux se logeaient tant bien que mal. Guillebert nous assure qu’il y avait mendiants à Paris à cette Êpoque. Il exagère sans doute, mais les pauvres Êtaient probablement très nombreux. Les familles plus fortunÊes, en revanche, sont bien mieux documentÊes. Guillebert mentionne cinq riches bourgeois qui, sans être nÊs nobles, vivaient comme des  petits royetaux . Tous les cinq sortaient de familles bien Êtablies dans de riches mÊtiers, tels des orfèvres ou des changeurs, et qui fonctionnaient en effet comme des banquiers. Tous avaient fait fortune dans l’administration royale, notamment à la Chambre des comptes. Guillebert fait allusion à la demeure splendide de chacun : Dino Rapondi ( / - ), grand banquier lucquois, argentier des ducs de Bourgogne, possÊdait un grand hôtel qui combinait les nos - rue de la Vieille Monnaie (auj. - boulevard SÊbastopol, IVe arr.). À la vente en , cette propriÊtÊ comprenait non seulement quatre pignons sur rue, mais une grande porte, diverses entrÊes et sorties, une cave, un cellier, un puits, une cuisine, une Êcurie, des salles, des chambres, des galeries, des Êgouts et des latrines . Bureau Dampmartin, orfèvre et changeur, avait un  bel hostel  rue de la Courroirie (auj. section sud de la rue Quincampoix au nord de la rue des Lombards, IVe arr.). Guillemin Sanguin, changeur bourgeois lui aussi, mais qui acquit enfin des lettres de noblesse, avait un hôtel ÊquipÊ  d’autant de serrures comme il y a de jours dans l’an . Il demeurait rue Bourdonnois (auj. rue Bourdonnais, Ier arr.). Miles Baillet, trÊsorier du roi, vivait rue de la Verrerie (IVe arr.). Son hôtel avait  une chapelle oÚ l’on cÊlÊbrait chaque jour l’office divin . On ne s’Êtonne pas d’apprendre qu’il y avait des  salles, chambres et Êtudes  au rez-de-chaussÊe, mais curieusement on avait les mêmes pièces à l’Êtage, pour permettre de vivre en bas en ÊtÊ et en haut en hiver. Dernier luxe, l’hôtel avait d’innombrables fenêtres.
STATUTS, USAGES
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DE LA DEMEURE
II. STATUTS, USAGES ET MISE EN ŒUVRE DE LA DEMEURE ÉTIENNE HAMON
Avant d’être un modèle architectural pour ses semblables puis de devenir, au fil du temps, un bien patrimonial objet d’un marché fluctuant, enfin un matériau de l’histoire et de l’archéologie, la demeure urbaine d’une grande cité de la fin du Moyen Âge se définit par son appartenance à un espace juridique et physique et par le choix d’un ou de plusieurs programmes fonctionnels ; elle résulte d’un processus complexe, humain et technique, de conception et de mise en œuvre. Les contributions qui suivent proposent de cette forme d’appropriation du sol discontinue, élastique et dynamique une série d’éclairages qui rendent compte de la diversité des approches et des sources mobilisables. La maison parisienne est soumise au régime commun de la seigneurie foncière qui détermine les droits et les devoirs du citadin au regard des tribunaux, des receveurs et du personnel chargé de l’application des règlements que les maîtres du sol ou les corps municipaux imposent à mesure qu’ils organisent l’expansion urbaine. Le parcellaire issu de cette croissance nullement spontanée forme, les historiens l’ont compris de longue date, une matrice d’une exceptionnelle stabilité. Mais pas un carcan. Remembrements et dérogations négociées avec les voyers accompagnent en effet la croissance, qui s’opère par à-coups, et les mutations du bâti. La construction est l’un des aspects les mieux connus de l’économie de la demeure parisienne. C’est surtout vrai de son volet technique pour lequel les textes sont nombreux, variés et représentatifs d’un large champ typologique et chronologique de bâtiments, limité cependant aux deux derniers siècles du Moyen Âge. L’intérêt grandissant porté à ces questions a mis en lumière les particularismes parisiens comme le recours, en fonction des ressources, des réseaux de distribution et des modes, à certains matériaux. Plus difficile à définir est le rôle des bâtisseurs dans le processus de création. Identifier les maîtres d’œuvre, leurs réseaux, leur champ d’intervention et leur place dans la hiérarchie des responsabilités et des talents appelle en effet une exploration méthodique de fonds hétérogènes. Certains ont récemment livré leur matière, comme ceux du Minutier central pour la fin de la période. D’autres sont des plus prometteurs, comme ceux de la série S des mêmes Archives nationales. Fig. 31 Détail de la fig. 40.
Ce que les acteurs de cette économie du bâtiment puissante et structurée traduisent en termes monumentaux, ce sont les programmes qui leur ont été assignés en fonction des usages dévolus à ces édifices. Les archives offrent à ce sujet un matériau inépuisable mais imparfait puisque ses données manquent bien souvent d’un calage précis dans l’espace. L’archéologie du sol et du bâti s’est imposée depuis quarante ans par ses découvertes spectaculaires, tout en restant tributaire de monuments remaniés et de vestiges partiels à l’accessibilité incertaine. De toutes ces approches, qu’un programme de recherche pluridisciplinaire et diachronique sur les caves parisiennes mobilise actuellement, on peut tirer certains enseignements. Le premier est une polyvalence généralisée. Même les résidences de l’élite abritent des ateliers, des zones de stockage ou de traitement des marchandises, des parties locatives et d’autres soumises à la culture… La maison bourgeoise combine de manière plus stable logis et « ouvroir », mais ses usages résidentiels sont à géométrie variable : de la maison entière qui se confond avec le feu à la chambre meublée, en passant par l’appartement familial en copropriété ou en « louage ». La pression démographique et les enjeux spatiaux-économiques modulent, au fil du temps, ces équilibres entre espaces de vie, de représentation, de production, d’échange, de stockage, de dégagement et leur interconnexion. Ils déterminent aussi l’importance des éléments de confort, d’hygiène et de récréation. Car le croisement des regards dévoile parfois des espaces où se déroulent des activités plus informelles, comme les aires de jeu et les « salles à faire fêtes », qui prennent leurs aises dans le tissu urbain en temps de dépression foncière et à la faveur de la désaffectation progressive des grandes salles aristocratiques ; ou encore les étuves collectives qui tendent à concurrencer les maisons de plaisirs à l’activité très réglementée. Nom, culture, statut ou fonction de l’occupant, du propriétaire éminent ou réel, toutes ces caractéristiques peuvent se résumer à un élément de la demeure à la fois dérisoire et essentiel, et tour à tour immuable ou éphémère : l’enseigne figurée. C’est sa mise en place qui, à l’instar de la pendaison de crémaillère et du rituel qui l’accompagne aujourd’hui, marque le terme d’un chantier, insuffle la vie dans la maison et lui confère son identité.
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LA DEMEURE DANS L’ESPACE SEIGNEURIAL PARISIEN ET LES RĂˆGLEMENTS D’URBANISME LA DEMEURE PARISIENNE ET LE TRAVAIL DES LIMITES AU MOYEN Ă‚GE ET AU DÉBUT DES TEMPS MODERNES ROBERT DESCIMON et VALENTINE WEISS
Les risques de l’anachronisme ne menaceraient-ils pas l’historien des villes plus que les autres ? C’est que  les constructions territoriales sont avant tout du temps consolidÊ . Ce temps si particulier produit à la fois du viaire (des rues, des places, etc.) et des espaces bâtis, du vide et du plein. Plus encore,  la ville ne se construit pas rÊgulièrement, mais par spasmes, par rythmes de crÊation, de transformation et de digestion progressives , dit Marcel Roncayolo .  Le territoire est essentiellement une mÊmoire et tout son contenu n’est fait que de formes passÊes , cependant la ville n’est pas un  palimpseste  . Car les usages qui sont faits d’un territoire et des diverses mÊmoires qu’il porte sont toujours et par dÊfinition contemporains, y compris les actions politiques et organisatrices ou manipulatrices de ces passÊs sÊdimentÊs qui ne disent en eux-mêmes rien de leur signification historique ancienne et des usages particuliers, peut-être pÊrimÊs, qui ont assurÊ leur pÊrennitÊ apparente. Le territoire urbain est donc l’objet d’une praxis qui improvise à partir des contraintes lÊguÊes. Il est de la libertÊ appliquÊe à des hÊritages. En ce sens, il peut laisser libre cours à des lectures trompeuses qui projettent sur le passÊ les conceptions et les pratiques qui fondent nos propres usages de ce passÊ urbain transmis qui apparaÎt, fallacieusement peut-être, si essentiellement nôtre. En ville, le remploi ne concerne pas les seuls matÊriaux, il regarde aussi les mœurs et coutumes. Les legs architecturaux sont au cœur de telles contradictions qui n’Êpargnaient pas plus nos ancêtres que nous-mêmes. STATUTS, USAGES
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ET MISE EN Ĺ’UVRE
DE LA DEMEURE
DES
HÔTELS ET DES RÉSIDENCES
CO M M E M A R Q U E U R S S PAT I AU X
Pour se repÊrer dans la ville, le Parisien du Moyen Âge ne dispose ni de plaques de rues, ni de leur numÊrotation. La numÊrotation des maisons, dans les actes, sur les deux ponts Notre-Dame successifs, en et , n’est qu’un palliatif à l’absence, pour ces constructions toutes neuves, d’enseignes, lesquelles continuent d’identifier les maisons . Le janvier , l’administration dÊcide de fixer les noms des voies en les inscrivant, au coin des rues, sur des Êcriteaux de fer blanc peints, qui sont remplacÊs un an et demi plus tard, en vertu d’une ordonnance de police, par des tables de pierre. Après un essai lors de l’ouverture de la Halle au blÊ vers , le numÊrotage gÊnÊralisÊ commence en avec un dÊnommÊ Kreenfelt . La numÊrotation actuelle est instituÊe en par Nicolas Frochot, prÊfet de la Seine, d’amont en aval du fleuve pour les rues parallèles à la Seine, à partir du fleuve pour les rues perpendiculaires à la Seine. Avant ces transformations fondamentales, la localisation d’une demeure se fait donc par le biais du nom de la rue et d’un dÊtail topographique comme une enceinte, une rue voisine, un hôtel, une Êglise, un couvent, un carrefour, une fontaine. Ce peut être aussi une enseigne, plus stable que le nom d’un propriÊtaire, malgrÊ de frÊquents changements de dÊnomination – voir à ce chapitre –, une maison en pierre, encore rare au e siècle, une couverture de tuile, matÊriau qui apparaÎt peu à peu au cours de ce siècle avec l’Êtablissement de tuileries à l’ouest du Louvre et près de Saint-Germain-des-PrÊs, ou la hauteur de son pignon . L’hôtel comme point de repère Ainsi serait-ce sans doute une erreur de considÊrer que les maisons parisiennes du Moyen Âge Êtaient de simples rÊsidences, des  demeures . L’espace urbain n’est lisible pour ses habitants qu’au sein de configurations mentales qui doivent être pensÊes dans leur historicitÊ. La remarque est ancienne qui associe une exacte perception gÊnÊrale d’un plan urbain à la rÊgularitÊ de la trame des rues et qui suggère que la confusion propre à l’urbanisme mÊdiÊval amène les citoyens à se repÊrer à l’aide de dÊtails visuels, souvent monumentaux, parfois fonctionnels ou utilitaires, mais plus souvent religieux et ecclÊsiaux .
L’URBANISME L’OCCUPATION DU SOL : PARCELLAIRE ET PLANS MASSE ÉTIENNE HAMON
LA
ET
VALENTINE WEISS
PA R C E L L E ,
FONDEMENT
DE LA DEMEURE URBAINE
Fig. 37 Restitution du parcellaire d’une partie de l’Îlot de la rue du Roule en 1459, d’après un censier du fief de Tirechappe. CHASTEL 1965-1966, fig. 16.
Le mouvement d’urbanisation qui transforme le visage de Paris au cours du Moyen Âge par des phÊnomènes cycliques d’extension, de densification ou, au contraire, de relâchement du tissu s’est opÊrÊ sur une base stable, qui est cependant difficilement saisissable dans les sources Êcrites anciennes sur l’habitat : le parcellaire. Dans l’historiographie française, longtemps marquÊe par des travaux ponctuels, il a fallu attendre la fin du XXe siècle pour voir cette rÊalitÊ prise en compte de manière systÊmatique avec une vision englobant de larges pÊrimètres. L’approche dynamique, surtout, a renouvelÊ les connaissances hÊritÊes des pionniers de cette archÊologie comme Berty, dont l’Êbauche d’un plan parcellaire du Paris mÊdiÊval reste cependant un outil toujours irremplaçable pour tout travail d’histoire urbaine dans la capitale. Pour avoir rÊussi à identifier près de maisons dans les sources mÊdiÊvales et à les localiser sur un plan dÊrivÊ de celui de Verniquet, premier plan gÊomÊtral parisien levÊ peu avant la RÊvolution, Berty avait en effet bien compris le caractère pÊrenne, sauf accident, du parcellaire sur lequel s’est dÊveloppÊe la demeure urbaine :  les murs latÊraux n’Êtaient presque jamais dÊplacÊs , alors que les modifications en profondeur de parcelle ont ÊtÊ plus frÊquentes . Longtemps axÊes sur des ensembles atypiques comme les lotissements , les Êtudes urbaines ont renouÊ dans les annÊes avec les essais d’exploration systÊmatique d’Îlots reprÊsentatifs de la diversitÊ parcellaire mÊdiÊvale (fig. 37 et 39) . Plusieurs facteurs ont contribuÊ à l’affinement de la cartographie rÊgressive à commencer par la prise en compte de documents peu exploitÊs jusque-là comme les plans parcellaires modernes qui gardent le souvenir de l’organisation mÊdiÊvale, à l’image du grand plan du fief de Poissy de (fig. 38) , les minutes notariales qui remontent à la Renaissance et surtout les censiers dont les plus anciens datent du XIIIe siècle, qui Ênumèrent les bâtiments selon un parcours très tôt stabilisÊ rendant possible le positionnement sur les plans modernes. Ce tournant mÊthodologique a ÊtÊ pris à l’occasion des Êtudes menÊes sur le quartier des Halles par une Êquipe rÊunie autour d’AndrÊ Chastel. Elles englobaient toute la partie ouest de la rive droite jusqu’au mur de Charles V , secteur mal couvert par l’entreprise avortÊe de Berty et de ses continuateurs. À l’occasion de cette enquête sur la
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DE LA DEMEURE
très longue durÊe, la parcelle a ÊtÊ rÊhabilitÊe comme  l’ÊlÊment fondamental de la structure urbaine  dont la morphologie et l’Êvolution permettent de comprendre les principes et les transformations dans la conception de la demeure, et les rapports de cette dernière avec la voie publique , à commencer par sa principale caractÊristique, sa façade sur rue, mur pignon ou mur gouttereau.
ORIGINE
ET ÉVOLUTION
D U PA R C E L L A I R E PA R I S I E N
 Fixer et dater les conditions d’occupation du sol de la capitale semble impossible en l’Êtat actuel de nos connaissances  . Cette formule lancÊe il y a vingt ans à l’issue du constat de carence des Êtudes sur les conditions de l’appropriation du sol parisien, on peut à peine la tempÊrer aujourd’hui. La principale raison invoquÊe par les auteurs demeure : le manque de sources antÊrieures au e siècle. D’après ce que l’on peut saisir du mouvement d’urbanisation de la capitale, ce sont surtout les sources exploitables des e- e siècles dont nous devons dÊplorer la raretÊ. Car c’est au cours de ce moment fondateur pour une grande partie de l’urbanisation de la ville mÊdiÊvale qu’il faut placer la fixation du parcellaire, à l’occasion de la mise à disposition par le maÎtre du sol d’une portion de terrain à un tenancier invitÊ à y bâtir une maison. Faute de documents, les auteurs de l’Êtude de rÊfÊrence sur les Halles n’ont pu remonter au-delà de la fin du XIVe siècle. Mais c’est suffisant pour Êtablir, comme l’ont confirmÊ toutes les Êtudes diachroniques, la stabilitÊ du parcellaire ordinaire parisien sur la longue durÊe, du XIIIe au XIXe siècle, en dÊpit
OPÉRATIONS URBAINES, LOTISSEMENTS ET HABITAT SUR LES PONTS À LA FIN DU MOYEN ÂGE ÉTIENNE HAMON
L’expansion de Paris au Moyen Âge est un phÊnomène majeur dans l’histoire de l’urbanisme occidental puisque c’est au cours de cette pÊriode que cette ville est devenue une très grande agglomÊration et que ses principales articulations se sont fixÊes pour longtemps . Après six siècles de stagnation ou de dÊclin, le tournant du premier millÊnaire marque le dÊbut d’une longue phase de croissance à partir des noyaux autour desquels l’habitat s’Êtait repliÊ durant le haut Moyen Âge, dans la CitÊ et sur quelques Êminences entre Saint-Germain-l’Auxerrois et SaintGervais. Les modalitÊs juridiques et surtout Êconomiques et pratiques de cette expansion, en dehors du constat d’une croissance en Êventail et multipolaire qu’accompagne la densification du rÊseau des rues et des Êglises, ne sont pas toujours claires. Ce sont souvent des documents fiscaux tardifs qui les suggèrent comme les censiers, qu’il faut interprÊter avec prudence. Mais quelques opÊrations volontaires exceptionnelles sont ÊclairÊes par des textes prÊcis, que l’on peut confronter à l’archÊologie et à l’observation du tissu urbain actuel.
ESSOR :
X I I e- X I I I e S I Ăˆ C L E S
Sur la rive droite l’urbanisation semble couvrir, vers , tout l’espace dÊlimitÊ par une nouvelle enceinte qui suit un arc de cercle entre le Louvre et Saint-Gervais, en longeant au nord Sainte-Opportune et Saint-Merry. Des bourgs extra urbains existent autour de Saint-Martin-des-Champs, fondÊ en , et de Saint-Paul. L’expansion vers le nord se prÊcise au cours du XIIe siècle : fondation du marchÊ aux Champeaux en , installation de Saint-Magloire en qui entraÎne le regroupement du Bourg-l’AbbÊ. La construction par Philippe Auguste de la troisième enceinte de la ville vers assure l’essor de ces  bourgs  rÊsidentiels (Beaubourg, Bourg-Thibourg ) et du secteur des Halles à vocation plus commerciale pour lequel l’hypothèse d’un lotissement a ÊtÊ posÊe par Anne LombardJourdan . Deux gÊnÊrations plus tard, la densification est à son comble et la muraille protectrice est devenue une gêne. Le nombre des maisons a ainsi doublÊ dans le deuxième quart du XIIIe sur les domaines du Temple intra-muros . La bourgeoisie ÊclairÊe a anticipÊ le mouvement en acquÊrant des parcelles extra-muros attenantes aux murailles ; des faubourgs naissent au-devant de chaque porte, oÚ les artisans jouissent d’une plus grande libertÊ que dans la ville. Le nombre des censitaires de Saint-Martin croÎt rÊgulièrement et, comme à Saint-Magloire mais avec une plus grande rÊgularitÊ dans le tracÊ des nouvelles voies et une meilleure rentabilitÊ des acensements , il atteint son maximum vers . Les activitÊs agricoles sont peu à peu relÊguÊes hors de la ville close, et au dÊbouchÊ des poternes les STATUTS, USAGES
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DE LA DEMEURE
lotissements fleurissent, comme derrière Saint-Paul oÚ l’abbaye de Saint-Maur et son prieurÊ de Saint-Éloi accensent, vers , des terres arables pour Êtablir des  hebergeages  le long d’une nouvelle voie . C’est alors que se fixe, intra-muros, le rÊseau des paroisses et des rues. La plupart de leurs noms apparaissent dans la documentation au XIIIe siècle . Leur liste est à peu près stabilisÊe vers , comme on le constate dans des documents fiscaux ou dans le Dit de Guillot . Rive gauche, les textes Êpars montrent qu’au XIIe siècle beaucoup de  clos  sont encore en culture le long de la Seine : Mauvoisin, Garlande, Bruneau, Laas ou Chardonnet sont couverts de vignes. Leur densification est cependant en marche . En , le roi Louis VI encourage le chapitre de Notre-Dame à lotir le clos de Garlande. Le vaste clos de Laas est loti à son tour par l’abbÊ Hugues de Saint-Germain-des-PrÊs en - , aux termes d’une concession de terrain à charge pour les hôtes de construire moyennant une redevance dÊterminÊe, rare exemple de volontarisme . Puis vient le clos Bruneau par l’Êvêque en . La construction de l’enceinte de Philippe Auguste offre la sÊcuritÊ aux habitants ; la densification s’accÊlère comme le constate l’historiographe du roi, Rigord , notamment sur les domaines de Sainte-Geneviève (clos Mauvoisin vers ), entre l’abbaye et le Petit-Pont, et sur ceux de Saint-Victor. De nouvelles paroisses accompagnent ici aussi le mouvement, ainsi que de nouveaux procÊdÊs de gestion des redevances seigneuriales qui montrent que le fait urbain s’impose enfin au dÊtriment d’une conception  rurale  de la ville . La rive gauche restera cependant longtemps clairsemÊe en dehors des principales artères et de ses deux bourgs Êtablis hors de l’enceinte, Saint-Germaindes-PrÊs et Saint-Marcel. Dans la CitÊ, le remodelage de l’Île par le roi Louis VII et l’Êvêque Maurice de Sully vers , moyennant une rÊorganisation du rÊseau d’Êglises et une active campagne d’Êchanges, est organisÊ autour de l’Êlargissement de la rue qui relie les deux ponts et du percement de la rue Neuve-Notre-Dame dans l’axe du portail de la nouvelle cathÊdrale .
TASSEMENT ET Ă€-COUPS : FIN XIIIe SIĂˆCLE-1420
MalgrÊ un ralentissement, l’essor urbain continue après . Entre et , le Temple crÊe, entre son enclos et l’enceinte, le lotissement de La Ville-Neuve . Au prix de rachats massifs et de dÊmolitions de maisons, neuf nouvelles rues, larges de toises chacune, sont tracÊes au cordeau. Elles accueillent des tenanciers exemptÊs de taxes sur des parcelles de taille variable mais
BĂ‚TIR ET HABITER DANS UN ENVIRONNEMENT CONTRAIGNANT : LA MAISON SOUS SURVEILLANCE R O B E RT C A RVA I S
ET
ÉTIENNE HAMON
PartagÊe, enclavÊe, bordÊe par la rue et par d’autres Êdifices ou espaces privatifs, la maison urbaine est soumise, dans sa construction et son utilisation, à de fortes contraintes dont la dÊlimitation, l’application ou la contestation ont produit un nombre considÊrable de documents. Ceux-ci forment l’un des corpus de sources Êcrites – et plus tard figurÊes – les plus riches pour la connaissance des techniques de construction, de la morphologie de la maison et de ses usages, et pour l’identification des principaux maÎtres d’œuvre de la construction civile parisienne. Car les garants de son harmonieuse insertion dans son environnement monumental et humain, les maÎtres des œuvres, les jurÊs et les voyers, Êtaient ceux-là mêmes qui en inspiraient les formes.
LES
RĂˆGLES DE BON VOISINAGE
NUISANCES, USAGES
:
ET SERVITUDES
Les jurisconsultes du Moyen Âge Êtant nourris des classifications romaines , il n’est pas Êtonnant de les voir considÊrer les servitudes comme des droits incorporels, constituÊs sur la propriÊtÊ d’autrui dans l’intÊrêt d’une personne ou d’un fonds. Cependant seules les servitudes rÊelles, ou prÊdiales, retiendront notre attention puisqu’elles seules s’intÊressent à la demeure comme bien immobilier. De plus, elles seules font l’objet d’une rÊglementation parisienne nÊe  spontanÊment  des usages et coutumes, en raison du dÊveloppement important de la ville dans un espace restreint. La contiguïtÊ matÊrielle des propriÊtÊs place la question des servitudes au centre des querelles de voisinage. Les rapports entre propriÊtÊs privÊes sont donc rÊgis, en pratique, par les usages et coutumes de France. La justification des servitudes pesant sur un hÊritage est liÊe à l’usage et à l’utilitÊ d’un hÊritage voisin, appartenant à un autre propriÊtaire. Dès la fin du XIIe siècle, la pratique mentionne des accords entre voisins au sujet d’une servitude d’Êcoulement des eaux pluviales et de l’utilisation d’un mur de clôture, à propos de vues, de gouttières et de murs communs ( ) , ou encore sur la mitoyennetÊ ( ) . Ce n’est qu’à la fin du XIVe siècle que la coutume se prÊcise à ce sujet, après une sÊrie d’enquêtes par turbe au Châtelet de Paris qui tentent de fixer la rÊglementation. Celles-ci sont incluses dans Les Coutumes notoires du Châtelet de Paris ainsi que dans les DÊcisions attribuÊes à l’avocat gÊnÊral Jean Desmarès . Ces enquêtes serviront de base à la rÊglementation parisienne en la matière. Elles passeront du Grand Coutumier de Jacques d’Ableiges aux deux rÊdactions STATUTS, USAGES
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ET MISE EN Ĺ’UVRE
DE LA DEMEURE
officielles successives de la coutume de Paris en et . Pour François Olivier-Martin, la question des servitudes est gouvernÊe par des dispositions traditionnelles remontant à la seconde moitiÊ du XIVe siècle. Nous ne pouvons douter que les rapports de voisinage et les relations entre propriÊtÊs fussent rÊglÊs avant tout par des liens contractuels de constitution de servitude à l’amiable ou par des dÊcisions jurisprudentielles rÊglant tel conflit entre propriÊtaires ou occupants de propriÊtÊs contiguÍs. De fait, ces mentions de servitude nous parviennent souvent par le biais de l’expertise sollicitÊe par les parties, le juge ou l’arbitre. Si les juristes parviennent à formuler ces règles, ce sont avant tout les gens de mÊtiers qui les construisent, les apprÊcient et les vÊhiculent. Cependant, lorsqu’aucun texte ne servait de rÊfÊrence, en dehors de toute convention particulière, les usages locaux admettaient l’utilisation  raisonnable et normale  des servitudes. Celles-ci ne pouvaient être aggravÊes qu’en vertu d’un titre. Faute de titre, on s’en remettait aux  us et coutumes de la ville de Paris  qui n’Êtaient pas encore Êcrits. Pourtant, après quelques hÊsitations, la coutume de Paris opte pour un rÊgime radical selon lequel nulle servitude ne peut être acquise par prescription sans titre. Autrement dit, les servitudes ne peuvent donc s’Êtablir que par titre et non par l’usage plus ou moins long de celles-ci. Lors d’un transfert de propriÊtÊ, l’acte doit prÊciser exactement les servitudes qui pèsent sur le bien aliÊnÊ sinon on s’en rÊfère aux us et coutumes de Paris, c’est-à dire que les servitudes se trouvent limitÊes au strict nÊcessaire pour l’utilisation ou la commoditÊ du fonds immobilier . Les rapports de voisinage concernaient principalement deux domaines, si l’on excepte l’Êcoulement des eaux pluviales et mÊnagères et les servitudes de passage sur lesquelles nous sommes peu renseignÊs : les vues et la mitoyennetÊ. - L’Êcoulement direct des eaux des toits sur le terrain du voisin n’est probablement pas admis, les gouttières devant se dÊverser sur la rue. De même les Êgouts pour les eaux mÊnagères ne peuvent emprunter le fonds du voisin qu’en cas d’enclave . Cette règle d’Êquilibre permet Êgalement de trancher la question de la servitude d’Êcoulement des eaux. Les lois de Newton n’Êtant pas encore dÊcouvertes, on se contente du bon sens. Un rapport du juillet de jurÊs maçons et charpentiers contraint un propriÊtaire à dÊtruire ou modifier les gouttières Êvacuant  abusivement  les eaux chez un voisin . Une sentence du prÊvôt de Paris en date du avril homologue un accord selon lequel est octroyÊ à une maison appartenant aux Quinze-Vingts un droit de passage afin de puiser au moins le
LA MISE EN ŒUVRE : CHANTIERS, TECHNIQUES, CONTRÔLE LA DEMEURE EN CHANTIER : HOMMES ET TECHNIQUES À LA FIN DU MOYEN ÂGE ÉTIENNE HAMON
Fig. 51 Dessin du portail de l’allée du cloître de SaintJacques-aux-Pèlerins, 1474. Arch. AP-HP, SaintJacques-aux-Pèlerins, liasse 41, n° 709.
DE
Paris vit, à la fin du Moyen Âge, au rythme incessant des constructions et reconstructions de son tissu résidentiel. À en juger par le nombre des chantiers et des artisans qui y sont impliqués, il est clair que cette activité du bâtiment, dont la composante domestique constitue le ressort le plus puissant, contribue pour une part significative au dynamisme de l’économie au point qu’elle en reflète par ses orientations les fluctuations autant qu’elle les conditionne. Toutes ces entreprises résultent de la mise en œuvre par des professionnels du bâtiment d’un projet porté par un commanditaire. Selon la nature du programme et les moyens financiers engagés, les intermédiaires entre ces deux parties sont plus ou moins nombreux. Les propriétaires peuvent laisser le soin de traiter avec les artisans à des hommes de confiance plus au fait du marché local – les concierges des hôtels notamment – ou à des parents . Ils peuvent se voir imposer par décision de justice un administrateur . S’il est lui-même un homme de l’art, le maître d’ouvrage peut se confondre avec le maître d’œuvre. Pour l’exécution, tous les montages sont envisageables. Les bâtisseurs de grands hôtels ont à cœur de s’adresser à un artiste de renom, comme le fait Mahaut d’Artois en confiant en la maîtrise d’œuvre de ses hôtels à l’imagier Évrart d’Orléans . Le phénomène est surtout connu dans la capitale au tournant des XIVe et XVe siècles, avec la mainmise des architectes des œuvres royales sur les grands chantiers des princes apanagés et le recours aux meilleurs artistes parisiens de la part de l’aristocratie des principautés alliées attirée par la présence de la cour. Par leur connaissance des techniques, des hommes et par leur expérience, ils sont en mesure « de coordonner les données du programme et d’en donner une résolution optimale » . Ils les transcrivent le cas échéant en « portraits » de présentation ou en dessins techniques qui seront soumis à des entrepreneurs généraux – qui peuvent se confondre avec l’archi-
ET MISE EN ŒUVRE
DE LA DEMEURE
À LA
R É A L I S AT I O N
STATUTS, USAGES
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LA CONCEPTION
UN CHANTIER CIVIL DE LA FIN DU MOYEN Ă‚GE (1427-1428) : LA BOUCHERIE DE SAINT-MARTIN-DES-CHAMPS PHILIPPE PLAGNIEUX
Le novembre , Philippe de Morvilliers, premier prÊsident du Parlement de Paris, et son Êpouse, Jeanne Du Drac, signèrent avec les religieux de Saint-Martin-des-Champs l’accord fixant les termes de leur fondation funÊraire. En Êchange d’une concession perpÊtuelle, ils s’engageaient à reconstruire au profit des moines un hôtel de boucherie totalement ruinÊ . L’ensemble des actes concernant cette fondation fut collationnÊ par deux notaires le juillet . En raison de son mauvais Êtat, le volume fit l’objet d’une copie scrupuleuse, le octobre . On y transcrivit, entre autres, le dossier concernant le chantier de la boucherie. Probablement s’agit-il pour Paris du plus important et du plus ancien corpus de textes se rapportant à l’Êdification d’une maison. On y trouve d’abord, à la date du fÊvrier (n. st.), un acte sous le sceau du Châtelet qui rÊsume : - °) les conclusions de la visite des ruines de la boucherie, authentifiÊe par deux notaires. Cette opÊration ne mobilisa pas moins de neuf experts – probablement en raison du statut social du commanditaire –, parmi lesquels les principaux reprÊsentants des mÊtiers du bâtiment à Paris : Pierre Robin et Pierre de Servilliers, maÎtres des œuvres de maçonnerie et de charpenterie du roi pour la vicomtÊ de Paris, ainsi que Denis Bonhomme, Robert de Layeville et Simon Richier, maçons jurÊs, Sanson Hubert et Robert Chauvin, charpentiers jurÊs, Jean Le Danois et Jean Gautier, maçons bacheliers. Philippe de Morvilliers Êtait reprÊsentÊ par Jean Vivien, conseiller du roi et prÊsident de la Chambre des enquêtes du Parlement, et le prieurÊ par Dom Jean de La Bretonnière, sous-prieur et cellÊrier de Saint-Martin-des-Champs. À la suite de la visite, on dressa  en un roolle de parchemin , le devis descriptif du bâtiment à Êdifier ; - °) le compte rendu de lecture, dans la priorale, du devis par les deux notaires et devant les jurÊs, pour l’adjudication, au rabais et à la chandelle, du gros œuvre de maçonnerie. Celle-ci fut remportÊe par le maçon et entrepreneur parisien Adenet Thierry, selon une sÊrie de prix à la toise, en fonction des matÊriaux employÊs : s. p. pour les gros murs et parties en pierre de taille ; s. p. pour les cheminÊes, marches d’escalier et tuyaux de descente de latrines ; s. p. pour les planchers et cloisons en bois. Selon la procÊdure coutumière, l’entrepreneur se chargeait Êgalement de conduire les terres et gravois en dehors de la ville. Hormis la fourniture des matÊriaux pour la maçonnerie et la main d’œuvre, assurÊe par l’entrepreneur, la charpente et le second œuvre demeuraient à la charge de la maÎtrise d’ouvrage, par marchÊs ou en rÊgie ;
- °) la transcription intÊgrale du devis descriptif comportant articles. Pour tenir lieu de compte rÊcapitulatif gÊnÊral, on recopia suivant l’ordre chronologique les mandats de paiement et quittances qui s’Êchelonnèrent entre le fÊvrier (n. st.) et le janvier (n. st.) . Ces ordres de paiement furent rÊgulièrement Êtablis par les reprÊsentants des deux parties – Jean Vivien et Dom Jean de La Bretonnière – puis adressÊs au caissier du chantier, le marchand, orfèvre et changeur Guillaume Sanguin, à qui l’on confia la somme et la gestion des l. t., suivant un acte de reconnaissance sous le sceau du Châtelet du dÊcembre . Au vu de ces documents, il est possible de reconstituer la maison dans ses principaux traits. La façade principale ouvrait sur la rue Saint-Martin, l’un des deux murs latÊraux Êtant mitoyen de la maison à l’enseigne du Pot d’Êtain, sur la même rue, tandis que le second bordait la rue Au Maire. Une Êcorcherie s’adossait à la façade arrière, suivie d’une cour renfermant deux Êtables. Les murs extÊrieurs devaient être rÊalisÊs en moellons et plâtre, renforcÊs par des chaÎnes en pierre de taille. Ainsi, l’angle commun aux rues Saint-Martin et Au Maire Êtait bâti en grosses pierres taillÊes à la broche pour les fondations, puis en liais, alors que deux chaÎnes en  blanc caillou  consolidaient la façade sur la rue Saint-Martin, l’une du côtÊ du Pot d’Êtain et l’autre probablement au milieu. Une troisième chaÎne de pierre, mÊnagÊe dans le mur sur la cour, devait  porter les poultres de ladicte escorcherie qui entrerront audict mur . Le mur mitoyen au Pot d’Êtain, le mur de refend central, ainsi que celui sur la rue Au Maire comportaient chacun une chaÎne de pierre, aux emplacements destinÊs à soutenir les poutres du plancher, disposÊes transversalement. Par ailleurs, le mur côtÊ cour ainsi que celui sur la rue Au Maire reposaient sur un soubassement moulurÊ constituÊ de trois assises en pierre de taille s’Êlevant en deux retraits successifs. À l’intÊrieur, depuis la façade sur rue et rejoignant celle sur cour, un mur de refend divisait l’habitation en son milieu. Au-dessus d'un niveau de caves, constituÊ de deux berceaux voÝtÊs, s'Êlevaient un rez-de-chaussÊe et deux Êtages carrÊs. Outre le mur de refend central, chacun des niveaux se trouvait partagÊ par des cloisons en bois, disposÊes transversalement à ce dernier. À usage commercial, le rez-de-chaussÊe abritait du côtÊ de la rue Saint-Martin une Êchoppe, ou ouvroir puisque pourvue d’un volet rabattable maintenu par deux chaÎnes et servant d’Êtal. À l’arrière, il existait une dÊpendance puis, vers l’Êcorcherie, une cuisine pavÊe de pierres de liais et pourvue
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L’APPROVISIONNEMENT EN MATÉRIAUX DE CONSTRUCTION DES CHANTIERS PARISIENS AU MOYEN ÂGE J E A N - P I E R R E G É LY
UNE
VILLE PLEINE
DE RESSOURCES
De tout temps, Paris et sa proche banlieue bÊnÊficièrent de l’approvisionnement d’une grande variÊtÊ de roches facilement accessibles. De nombreux matÊriaux de construction Êtaient extraits aux environs immÊdiats de la ville (argile, sable, gypse, calcaire) et arrivaient sur les chantiers urbains par voie de terre. D’autres, exploitÊs à plus grande distance, Êtaient transportÊs de prÊfÊrence par bateau sur la Seine et ses affluents (calcaire, grès, bois d’œuvre, mÊtaux). Les matÊriaux pondÊreux Êtaient alors dÊbarquÊs dans les ports de la ville dÊdiÊs à chaque nature de produit ou au plus près des grands chantiers. StockÊs sur des aires d’entreposage, ils Êtaient transportÊs jusqu’au lieu de construction par chariot ou simplement à dos d’homme dans les rues et ruelles de la ville. Bien que le remploi des pierres de construction, du plâtre gros, des tuiles et carreaux, du bois d’œuvre, des mÊtaux, soit systÊmatique dans la sociÊtÊ mÊdiÊvale, il fallait nÊanmoins, en pÊriode d’expansion urbaine, faire venir des matÊriaux neufs en grande quantitÊ (fig. 58). De nombreux corps de mÊtiers contribuaient à la construction des bâtiments, depuis l’extraction et la fabrication jusqu’à la mise en œuvre : carriers, marchands-carriers, chaufourniers, plâtriers, tuiliers, tailleurs de pierre, maçons, mortelliers, paveurs, couvreurs, manouvriers, transporteurs, mais aussi bÝcherons, charpentiers, menuisiers, fondeurs, plombiers, forgerons, marÊchaux, cloutiers, serruriers, vitriers, imagiers ‌ Les professionnels vivaient et exerçaient leurs mÊtiers prÊfÊrentiellement près des lieux d’arrivage des matÊriaux, aux alentours des ports et des aires de stockage pour la voie fluviale, à proximitÊ des portes de la ville pour les voies de terre ou pour les installations de production comme les fours tuiliers situÊs sous les murs de la ville. À Paris, cette organisation complexe des mÊtiers à la fin du Moyen Âge transparaÎt dans les sources Êcrites, comme l’a bien mis en Êvidence rÊcemment Étienne Hamon . Les calcaires pour la pierre de construction Le calcaire grossier du LutÊtien, appelÊ communÊment  pierre de Paris  , Êtait extrait sur les flancs de la vallÊe de la Bièvre en carrière à ciel ouvert au dÊbut Moyen Âge, puis en carrière souterraine à partir du dÊbut du XIIIe siècle, lors du dÊveloppement de la ville sous le règne de Philippe Auguste. Le couvent des chartreux, le prieurÊ bÊnÊdictin de NotreDame-des-Champs, la commanderie des hospitaliers de SaintJean-de-JÊrusalem et l’Hôtel-Dieu possÊdaient chacun leurs carrières souterraines . Vers la fin du XIVe siècle, les exploitations de carrières souterraines se multiplièrent sous de petites STATUTS, USAGES
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ET MISE EN Ĺ’UVRE
DE LA DEMEURE
propriÊtÊs foncières qui commençaient à s’individualiser dans les anciennes seigneuries. À la fin du XVe siècle, les carrières souterraines Êtaient ouvertes au sud du faubourg Saint-Jacques, à l’emplacement actuel de l’Observatoire . La pierre de Paris extraite des carrières de Charenton-le-Pont, d’Ivry-sur-Seine et de CrÊteil, circulait sur les chemins ou arrivait par bateaux aux chantiers de la cathÊdrale (Le Terrain), aux ports des BarrÊs, Saint-Paul et de la tour de Billy. La pierre extraite à Bicêtre et à Gentilly transitait probablement par la Bièvre. Des carrières de Chaillot et de Vaugirard, la pierre circulait par voie de terre. De toutes ces carrières Êtaient extraits de simples moellons, des moellons Êquarris (libages) et de grandes pierres d’appareil. Au cours du XIVe siècle, du calcaire grossier exploitÊ dans la vallÊe de l’Oise, aux environs de Creil, appelÊ communÊment  pierre de l’Oise  ou  pierre de Saint-Leu , commença à alimenter les grands chantiers comme celui du Louvre de Charles V ou de l’Êglise des Bernardins . La pierre de l’Oise Êtait alors dÊbarquÊe au port Saint-Nicolas et à l’École Saint-Germain. À Paris, le marchÊ de la pierre à la fin du XVe siècle Êtait complexe avec la production locale de pierre de Paris et les importations de plus en plus importantes de pierre de l’Oise . Le calcaire pour la fabrication de la chaux Les dÊchets de taille des carrières de pierre à bâtir fournissaient en abondance des pierres à chaux. Les fours devaient être situÊs à la pÊriphÊrie de la ville, toutefois assez proches des carrières de pierres calcaires ou des stockages de bois à brÝler. De la chaux fabriquÊe dans la vallÊe de la Seine aux environs de Melun pouvait Êgalement arriver à Paris. Le grès à pavÊs Les pavÊs et carreaux de grès Êtaient largement utilisÊs pour l’amÊnagement de la voirie urbaine parisienne depuis la fin du XIIe siècle et, dans une moindre mesure, pour le pavage des cours des hôtels aristocratiques oÚ l’on utilisait plutôt du  rabot  de liais . Au XVe siècle, en amont de Paris, les blocs de grès, provenant pour l’essentiel des environs de Fontainebleau , Êtaient dÊbarquÊs sur la Grève et entreposÊs sous les piliers de l’Hôtel de Ville pour ceux achetÊs par la municipalitÊ . En moindre quantitÊ, des pavÊs Êtaient embarquÊs à La FertÊ-sous-Jouarre dans la vallÊe de la Marne. En aval de Paris, les marchands de Louveciennes exportaient les grès du massif forestier de Marly jusqu’à l’École-Saint-Germain. Le sable pour les mortiers et le vitrail De nombreuses formations gÊologiques fournissaient, dans une multitude de petites sablières, des sables pour le corroyage
SCEAUX DE JURÉS ET MÉREAUX DE CONFRÉRIES JEAN-LUC CHASSEL
De gauche Ă droite
Les demeures parisiennes ont ÊtÊ l’objet d’une foule de contrats de vente, de constitution de rentes, par exemple, passÊs sous le sceau du Châtelet. Quant aux prisÊes des immeubles, aux chantiers de construction, de dÊmolition et de rÊparation, ils rÊclamaient de multiples expertises. Choisis principalement parmi les maÎtres maçons et charpentiers, les experts avaient le statut de  jurÊs du roi  qui supposait, comme aujourd’hui, d’être agrÊÊ par la juridiction et de prêter devant elle un serment. Engageant la responsabilitÊ des experts, les rapports Êtaient validÊs par leurs marques personnelles, sceaux ou seings manuels (voir fig. ). Les seings manuels apparaissent à la fin du XVe siècle ; cependant, en , un rapport mentionne que certains jurÊs ne savent pas signer. Jusqu’à ce que le seing ne prenne l’avantage, c’est le sceau qui sert de mode de validation aux rapports d’expertise. En rÊgion parisienne, en effet, comme dans une large partie de l’Europe oÚ le notariat public a tardÊ à s’implanter, l’usage du sceau dans la validation des actes juridiques n’est pas restÊ confinÊ aux Êlites aristocratiques ou clÊricales. Dès le XIIIe siècle, on connaÎt des sceaux de bourgeois et, en Normandie, même, se multiplient les sceaux de petits notables paysans . Plusieurs sceaux de maçons et de charpentiers, jurÊs du roi, ont ÊtÊ recensÊs par Louis-Claude DouÍt d’Arcq , et les recherches menÊes par les commissaires de la prÊsente exposition ont permis d’en retrouver d’autres. De cire rouge et de petite dimension ( à mm de diamètre, en gÊnÊral) pour être apposÊs sur de simples queues, ils comportent normalement une lÊgende au nom du titulaire autour d’une image de valeur emblÊmatique. Le choix de ces emblèmes, qu’aucune autre source ne nous permet de connaÎtre, rÊvèle plusieurs tendances. Certains jurÊs font usage d’armoiries de type traditionnel, que rien ne permet de distinguer de l’hÊraldique chevaleresque. Ainsi, en , le maçon Jean Gaucel orne son sceau d’un Êcu au sautoir (fig. 60) . De même, en , FrÊmin Charpentier, charpentier jurÊ du roi, qui exerce aussi la fonction de garde de la voirie du Temple, porte un Êcu à la croix, chargÊe en cœur d’une Êtoile et accompagnÊe en chef de deux Êtoiles Êgalement (fig. 61). Cette tendance traduit sans doute la volontÊ de s’affir-
mer comme un notable, membre de la bourgeoisie parisienne. La volontaire absence de diffÊrenciation entre l’hÊraldique bourgeoise et celle des nobles a d’ailleurs ÊtÊ notÊe dans le milieu Êchevinal à Paris comme à Bruxelles . Les jurÊs parisiens, toutefois, ne sont pas très nombreux à faire ce choix. Certains prÊfèrent des emblèmes  parlants  faisant allusion à leur nom. Inclus ou non dans le champ d’un Êcu, ce type d’emblèmes est bien connu au Moyen Âge dans tous les groupes sociaux, même dans la plus haute aristocratie. En , sur le sceau du maçon Jean Chevrin, on voit une chèvre dressÊe contre un arbuste. Mais l’allusion prend parfois des tours moins Êvidents : le maçon Jean Poireau, en , place dans son Êcu un petit pot oÚ pousse un magnifique bouquet de lis : gageons que cette plante est un noble substitut au vulgaire poireau (fig. 62) ! Un autre mode d’emblÊmatique parlante a recueilli la plus grande partie des suffrages : la reprÊsentation des outils professionnels. Cette tendance, qui est ancienne, est prÊsente dans les mÊtiers du bâtiment comme dans tous les autres : aux fèvres les tenailles, aux pelletiers les ciseaux, aux tisserands la navette, aux pêcheurs l’hameçon‌ L’historien puise dans cette source une riche documentation sur l’Êvolution des outils et des techniques au Moyen Âge , mais il est possible aussi d’y dÊcouvrir des significations symboliques dont les dÊveloppements de la maçonnerie ont donnÊ l’exemple . Chez les maçons, les outils les plus frÊquents sont le marteau taillant, l’Êquerre et la truelle, comme chez Jean Pintoin en (fig. 63) ; chez les charpentiers, on trouve le plus souvent la hache : ainsi Robert Foucher, charpentier gÊnÊral du roi, en , charge son Êcu de deux haches accompagnÊes de deux fleurs de lis . D’autres choix encore se rÊvèlent çà et là dans les sceaux des jurÊs, comme dans l’ensemble des sceaux de l’Êpoque. On trouve ainsi une image hagiographique chez le charpentier Renier de Saint-Laurent : en , à côtÊ d’un Êcu à deux haches accompagnÊes d’une fleur de lis et d’une Êtoile, il fait figurer le saint dont il porte le nom, identifiable par l’instrument de son martyre, un gril . Le maçon Raimond du Temple, en ,
Fig. 60 Sceau de Jean Gaucel (empreinte originale en cire rouge), maçon jurÊ, apposÊ au rapport de visite d’une maison à Paris appartenant au Temple, avec devis de travaux, 20 aoÝt 1449. Arch. nat., S 5067 – Écu au sautoir. LÊgende : [i]ehan [ga]usel (rinceau). Fig. 61 Moulage du sceau de FrÊmin Charpentier, charpentier jurÊ du roi, garde de la voirie du Temple, d’après une empreinte de 1474. Arch. nat., sc/D5874 (original dans S 5072B, n° 1). Fig. 62 Sceau de Jean Poireau, maçon jurÊ du roi, 1480. Arch. nat., S 5072B, n° 1. Fig. 63 Moulage du sceau de Jean Pintoin, maçon jurÊ du roi, d’après une empreinte de 1349. Arch. nat., sc/D5886. Fig. 64 Sceau de GÊrard Chapeau, maçon jurÊ du roi, 1474. Arch. nat., S 5072B, n° 1.
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USAGES ET DÉPENDANCES ÉLIANE DERONNE-CAROUGE et VALENTINE WEISS
Le bien immobilier est dÊcrit parfois avec ses appartenances,  appendances , louages, Êdifices, habitations, autant de termes gÊnÊraux pour dÊsigner des annexes destinÊes à faciliter la vie quotidienne, la circulation intÊrieure ou la communication avec l’extÊrieur ; d’autres ne visent que l’agrÊment ou l’ornement ; certaines enfin ont un but Êconomique : production alimentaire, ateliers ou commerces, rentabilisation du bien (voir fig. ). Elles sont plus ou moins nombreuses en fonction de l’espace disponible, du luxe de la demeure et du train de vie de ses habitants. Elles sont attenantes ou non au corps de logis selon leur nature et les nuisances qu’elles provoquent. Citons pour mÊmoire les cours d’hôtels et de maisons, qui sont très nombreuses, et les allÊes, voies privÊes qui les jalonnent sans être à proprement parler des dÊpendances.
A P PA RTE N A N C E S ET
DÉPENDANCES
Les divers types d’immeubles : hôtels, maisons et maisonnettes Les dÊpendances se trouvent dans les  hôtels  et  maisons , termes parfois interchangeables s’agissant du même Êdifice mais qui Êvoquent cependant une distinction. On appelle  hôtel  un bâtiment important occupant gÊnÊralement une assez vaste emprise foncière, dite  pourpris . Ce mot, employÊ au fÊminin dans le Dictionnaire de l’ancienne langue française, est synonyme d’enclos ou de clôture, puis d’habitation, pour de grands hôtels comme le sÊjour de Navarre ou l’hôtel de Rouen. C’est effectivement à propos des hôtels qu’on trouve le plus souvent la mention de murs de clôture : par exemple l’hôtel de Gamaches appelÊ anciennement maison aux CrÊnaux, la Petite Bretagne dont la cour est clôturÊe en , l’hôtel de Mesmes qui prÊsente un mur crÊnelÊ en . En , l’hôtel de Saint-Brieuc consiste en deux pourpris communiquant par des portes . Si la plupart des maisons sont pourvues de cours, il est en revanche rare qu’elles soient closes de murs : elles sont accolÊes. On rencontre cependant en rue du Chaume et du Grant Chantier – auj. partie de la rue des Archives – une maison dotÊe d’ une petite tournelle et un bas mur a crenaux  , le tout
nÊanmoins sans doute trop modeste pour que cette belle maison accède à la dÊnomination d’hôtel. Mais une grande maison divisÊe en plusieurs logements pourra, quoique non close de murs, être dite  hôtel  en raison de sa taille. Une petite maison ou maison basse (ce qui donne à entendre que la maison ordinaire est à plusieurs niveaux) concerne une maison  a appentis  , attenante à une autre maison ou à un hôtel. Ces petites maisons font donc souvent partie d’un corps de logis plus vaste dont elles sont une dÊpendance. Dans les registres du Temple, le terme de  maisonnectes  ou  maisonnettes  dÊsignent les  petites maisons d’aumosne  de la rue des Poulies – voir article sur la maison d’aumône de Nicolas Flamel. Certaines habitations enfin sont la dÊpendance d’un Êdifice industriel, oÚ loge l’exploitant. En , un boulanger et son compagnon tiennent à ferme le moulin du Temple contigu à la grande arche vers le Palais, à charge de construire une maison  du haut et du large dudit moulin  . Selon l’usage gÊnÊral, la boutique ou l’atelier jouxte le logis du commerçant ou artisan. Clore et circuler : portes, huis et galeries EntrÊes et issues sont souvent prÊcisÊes lorsque la maison donne sur deux rues à la fois. Certaines portes servent à clore les rues. Le terme de  grant porte  est Êgalement employÊ pour les hôtels, comme ceux de Langres en , des Bordes rue Barbette – auj. Vieille-du-Temple – en ou des hÊritiers d’Antoine Raguier rue de Paradis – auj. partie de la rue des Francs-Bourgeois – en . On parle aussi d’ entree principalle  ou de  maistre entree  . Les maisons Êtaient probablement de plain-pied. Le contraire est prÊcisÊ : à la fin du XIVe siècle, rue Saint-Denis, on trouve l’hôtel à l’ex-enseigne de la Tasse  ou l’en monte à trois marches de degrÊs  . Le terme d’Êtages qui peut Êquivaloir à celui de plancher est liÊ à ceux de bouges, de chambres ou de louages. Les galeries sont assez frÊquentes : elles font partie des maisons, comme le montre une enluminure des Chroniques de Jean Froissart du XVe siècle , ou sont accolÊes aux jardins comme à l’hôtel de la Moufle dans la censive de Sainte-Catherine-duVal-des-Écoliers en ou l’hôtel Raguier en . À l’hôtel Saint-Pol, des galeries communiquent de plain-pied avec les jardins, d’autres aux Êtages. On les trouve Êgalement sous le terme de galeries hautes et basses, sur cour, comme à l’hôtel de
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LES CAVES MÉDIÉVALES DANY SANDRON
Comme tous les mondes enfouis, les caves fascinent en laissant entrevoir des origines lointaines, un sentiment exacerbé par la qualité des rares témoins accessibles, souvent liés à des établissements religieux (fig. 73), avec la conscience pleine de frustration que la plupart d’entre elles nous échappent. Plus rationnellement, elles nous offrent l’occasion de remonter le temps en explorant des structures qui peuvent superposer trois niveaux ou davantage. C’est le cas rue de la Montagne-SainteGeneviève (Ve arr.) ou rue de l’Arbre-Sec (Ier arr.) près des anciens magasins de la Samaritaine où l’on peut descendre en ligne droite du Paris haussmannien aux premiers temps de l’urbanisation de cette région de la rive droite, en passant par des vestiges d’habitat du XVIIe siècle. Les caves permettent en effet, au propre comme au figuré, de saisir la profondeur historique d’une cité
qui s’est formée par stratifications successives. Les premières couches qu’elles constituent échappent à l’homme de la rue, mais elles restent disponibles aux investigations de l’historien et de l’archéologue entre autres spécialistes. Le bilan historiographique s’avère au demeurant encore modeste. Des repérages multiples ont été réalisés depuis plus
Fig. 73 Cave, 16, rue de l’Abbaye, VIe arr. Relevé par Violaine Bresson, DHAAP.
Fig. 74 Carte des caves repérées par la Commission du Vieux Paris. DHAAP.
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LA MAISON D’OURSCAMP : 44-48, RUE FRANÇOIS MIRON GRÉGORY CHAUMET
Située dans la haute vallée de l’Oise, à quelques kilomètres de Noyon, l’abbaye Notre-Dame d’Ourscamp, huitième fille de Clairvaux, fut fondée en . Les premières mentions montrant qu’elle possède une maison à Paris, à l’angle des rues Geoffroyl’Asnier et Saint- Antoine , remontent à . En février de cette année, un bourgeois de Paris, Mathieu de Saint-Germain, et sa femme Héloïse reconnaissent le don qu’ils font à l’abbé et au couvent d’Ourscamp d’une maison située près de la porte Baudoyer . Mais, en , les religieux sont en conflit avec Oudard Arrode, bourgeois de Paris, qui revendique tous les droits sur la demeure qui lui sont revenus d’une succession paternelle, et les tient « en fief » du propre fils du comte Henri de Grand Pré, seigneur de Livry . Le point important de ce texte est la
mention : « magnam domum lapideam ». Le matériau de la maison, la pierre, est pour la première fois cité. De plus, cette mention semble confirmer une probable reconstruction par les moines d’une plus grande demeure dans un matériau solide, noble et coûteux. Comme beaucoup d’autres abbayes, les moines font de cette maison de ville un pied-à-terre parisien qui loge leurs étudiants et sert de lieu de stockage pour la production agricole excédentaire du couvent. Sur le plan juridique, jusqu’à la fin du XIVe siècle, la dénomination officielle est « maison ou hôtel d’Ourscamp ». Or la désignation populaire est plus parlante : « l’hôtel de l’Ours ». Elle fait référence à l’enseigne qui, elle-même, rappelle la légende de l’ours et saint Éloi, fondateur de l’abbaye d’Ourscamp . L’hôtel de l’Ours, situé dans le fief de la porte Baudoyer de l’Hôtel-
Fig. 79 Les caves de la maison d’Ourscamp. © Cl. G. Chaumet.
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À L’ENSEIGNE DE LA DEMEURE MÉDIÉVALE PARISIENNE ÉTIENNE HAMON et VALENTINE WEISS
Encore rare au XIIIe siècle, l’enseigne fleurit ensuite et se gÊnÊralise dans la seconde moitiÊ du XIVe siècle au grÊ des inspirations ou des activitÊs professionnelles des habitants. Elle est en effet l’apanage de la maison polyvalente ; la demeure à usage exclusivement rÊsidentiel se singularise, en gÊnÊral, par sa morphologie dans le tissu urbain. ÉlÊment d’identification qui participe au dÊcor des façades, l’enseigne emprunte à de multiples thèmes : hÊraldique (Êcus), images de dÊvotion, animaux, thèmes littÊraires, dÊtails topographiques, plus rarement mÊtiers avant l’Êpoque moderne. Il en est parfois plusieurs de même dÊnomination dans la même rue, dont le nom est gÊnÊralement dÝ à des enseignes, ou inversement (Marmousets en la CitÊ, Huchette, Arbre-Sec, Mauvais-Garçons, Harpe, Coq), à des habitants du lieu ou à des particularitÊs topographiques ou quotidiennes . L’imagination des rÊsidents est fÊconde pour faire parler les enseignes à leur nom, prÊnom ou profession. Au XVe siècle, la famille HÊron a mis le volatile sur sa maison de la rue Saccalie , tandis que la famille Arbaleste a placÊ cette arme sur sa maison de la rue de la Mortellerie . On verse à l’occasion dans le calembour comme chez les Barbedor, orfèvres, qui logent à l’enseigne de la Barbe d’Or . L’image de son patron offre un moyen d’identification plus respectable : un saint Nicolas pour Rion Nicolas, au bout du Grand-Pont, en ; un saint Michel pour Jean Michel, rue du Temple ; un saint Étienne pour Étienne Delahaye, rue Plâtrière, la même annÊe , etc. Enfin dans la catÊgorie peu commune des enseignes professionnelles, on signalera celle de la famille de huchiers Des Aubeaux au vieux cimetière SaintJean, la Huchette, qui ne survivra pas à la reconversion de cet atelier au XVIe siècle, celle des fondeurs Pierre Saniet puis Jacques Brochet rue aux Ours, la Cloche d’or, ou celle qu’a choisie le verrier Florent de HÊmon, rue de la Verrerie, la Rose de verre . Les enseignes prennent des formes variÊes. SculptÊes, elles participent à l’ordonnance monumentale de la maison – voir le chapitre consacrÊ au dÊcor monumental. Peintes sur les murs, elles occupent des emplacements privilÊgiÊs : au-dessus de la porte d’entrÊe le plus souvent ; parfois sur les jambes de pierre du rez-de-chaussÊe comme sur les terres de Saint-Magloire dans les annÊes oÚ l’on rencontre  la Truye et ses pourceaux , ainsi que l’image de saint Laurent, cette dernière ornant une jambe sÊparant les seigneuries de Saint-Magloire et de SaintMartin-des-Champs . Plus rarement, c’est le pignon qui accueille ce dÊcor mural . Mais ce dernier sert aussi de signalÊtique
Fig. 81 Scènes de rixes à Paris entre les Êtudiants et les bourgeois. Enluminure de la fin du xve siècle. B.n.F., ms., fr. 2829, fol. 11 v°.
juridique qui peut se superposer à celle de l’enseigne. Vers , une maison double de la rue des FossÊs-Saint-Germain est peinte des images de saint Germain et de saint Vincent, patrons du chapitre qui la possède. Mais elle porte pour enseigne la Barbe d’Or . L’hôpital Saint-Jacques-aux-Pèlerins possède de son côtÊ une maison rue Saint-Denis  sur l’uys de laquelle est paint pour enseigne la Coquille et le Bourdon , et, en , il paie un peintre pour avoir peint  contre le posteau de l’uisserie de la maison nefve en la rue au Cigne l’enseigne de la Marguerite et contre le mur de la maison devant lad. maison de la Marguerite l’enseigne de la Coquille  .
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LA DEMEURE
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DANS LE TEMPS
ET L’ESPACE PARISIENS
III. LA DEMEURE DANS LE TEMPS ET L’ESPACE PARISIENS
Page de gauche Fig. 85 Détail de la fig. 136. Fig. 86 Carte des principales demeures médiévales à Paris. Réalisée par Valentine Weiss, Archives nationales, et Laurent Antoine, Lemog, 2012.
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TYPOLOGIE DES DEMEURES PARISIENNES : ÉVOLUTION CHRONOLOGIQUE VALENTINE WEISS
Fig. 87 Donation de la maison des Piliers à Henri de Sully après forfaiture de Jean Le Flament, aoÝt 1319. Arch. nat., 1 AP 2218.
LA DEMEURE
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ET L’ESPACE PARISIENS
Le rÊpertoire des demeures publiÊ sÊparÊment, divers articles et la carte des lieux identifiÊs permettent une synthèse des implantations et de leur Êvolution au cours du Moyen Âge. Demeures ecclÊsiastiques (abbÊs ou prÊlats) et laïques (rois, princes, nobles, officiers du rois ou bourgeois) ont ÊtÊ rÊparties en cinq grandes pÊriodes : avant , de à , de à correspondant à peu près au règne de Charles VI, la domination anglaise et ses suites jusqu’à , et la pÊriode de reconstruction jusqu’aux annÊes . Les Êglises servent de points de repère, ainsi que les collèges, quelques-uns ayant ÊtÊ à l’origine des demeures laïques ou ecclÊsiastiques – voir article sur les collèges. La carte (fig. 86) et son commentaire ont tout naturellement principalement pris appui sur la carte archÊologique d’Adolphe Berty, sur celles de Jean Favier et leur synthèse publiÊe dans Paris au XVe siècle et sur la carte ÊditÊe par le CNRS, sans pour autant nÊgliger de consulter les Êtudes rÊcentes, plus ou moins probantes. Les recherches sur telle ou telle demeure, en particulier la consultation quasi systÊmatique des sources de gestion domaniale, permettent de livrer ponctuellement quelques Êclairages nouveaux. Il faut cependant remarquer l’extrême complexitÊ d’une telle Êtude, car si l’on peut observer la permanence de quelques demeures, notamment ecclÊsiastiques, il est indÊniable que la plupart de ces lieux passe de main en main, qu’elle soit ecclÊsiastique ou laïque.
AVANT 1320
En ce qui concerne les ecclÊsiastiques, on peut relever avant deux grands secteurs d’implantation : rive gauche, essentiellement dans les paroisses de Saint-AndrÊ-des-Arts et de Saint-Côme – voir article sur ces deux paroisses –, oÚ très tôt s’installent de grands prÊlats comme les archevêques de Rouen ( ), le long de l’enceinte, et de Reims ( ), ainsi que l’abbÊ de Molesme ( ), les Êvêques d’Auxerre jouxtant eux aussi les murs, de Chartres (vers ) et de Clermont, et rive droite, oÚ les abbayes, notamment cisterciennes (Chaalis, Longpont, Jouy, Ourscamp, Preuilly et Maubuisson), s’installent au cours du XIIIe siècle autour de la rue François-Miron, seules Clairvaux, Royaumont, l’abbaye de Val-Notre-Dame, hors les murs de Philippe Auguste et celle des Vaux-de-Cernay, rive gauche, Êchappant à ce principe – voir article sur les maisons cisterciennes. La nÊcessitÊ de sÊjourner dans la capitale est la raison majeure de ces installations, ainsi que, pour les cisterciens, celle d’y vendre leurs produits et d’y parfaire leurs Êtudes tout en Êvitant soigneusement les lieux de fièvre estudiantine. Les chanoines, eux, se concentrent dans les cloÎtres comme celui de Notre-Dame – voir article sur le cloÎtre de Notre-Dame. En marge de ces implantations, rive gauche, le monastère de Bourg-Moyen ( ), jusqu’au rachat par Charles V pour l’Êdification des fossÊs, et celui des Vaux de Cernay ( ) s’installent en bordure orientale de la rue de la Harpe, l’abbÊ de FÊcamp ( ) à l’est de la rue Hautefeuille ; Saint-Père de Chartres ( ), Saint-BenoÎt-sur-Loire ( ) et Notre-Dame de la Couture ont une demeure le long de la rue Saint-Jacques ; l’hôtel des Êvêques de Tournai (avant ), un peu tardif, s’Êtablit à l’est de l’abbaye de Sainte-Geneviève ; hors les murs, l’abbÊ de Corbie ( ) possède temporairement une grande demeure au bourg Saint-Germain, entre l’abbaye et l’enceinte. Rive droite, les bÊnÊdictines de Chelles ( ) et d’Yerres ( ), les abbÊs du Bec Hellouin ( ), jusqu’à la fin du XIVe siècle, et l’Êvêque de Beauvais ( ) se fixent à proximitÊ des cisterciens, tandis que les abbÊs de Saint-Maur ( ), rue Saint-Antoine, et les archevêques de Sens ( ), en bordure de Seine, sont en pÊriphÊrie de la ville, seuls les prÊmontrÊs de Joyenval ( ) prÊfÊrant l’ouest du Châtelet. Il semble qu’à la même Êpoque, avant , les grandes demeures laïques soient rÊparties de manière un peu plus homogène sur le sol parisien, avec des prÊfÊrences nÊanmoins simi-
LES HÔTELS ECCLÉSIASTIQUES LES HÔTELS DANS LES PAROISSES DE SAINT-ANDRÉ-DES-ARTS ET DE SAINT-CÔME : LE QUARTIER DES PUISSANTS AU MOYEN ÂGE J E A N - C L A U D E G A R R E TA
Alors que Philippe Auguste put faire Êlever à la charge de la Ville l’enceinte de la rive droite, la ville commerçante, dÊjà dense même s’il restait, vers l’est, quelques prÊs, c’est à ses frais que, dans un second temps, il rÊalisa hâtivement l’enceinte de la rive gauche, enclavant cette fois un espace peu bâti à l’ouest, au-delà du bourg du Petit-Pont. Dans cette partie retirÊe à la paroisse Saint-Sulpice, il fut prÊvu en de dÊlimiter une ou deux paroisses, et cette hÊsitation marque combien la population Êtait encore peu nombreuse. Il en rÊsulta finalement les deux paroisses considÊrÊes ici, Saint-AndrÊ-des-Arts avec le Laas et la  terre d’Arondel , et Saint-Côme-Saint-Damien (voir fig. et ). On peut imaginer que les premières constructions vinrent spontanÊment s’Êlever le long de la grand’rue menant de l’Île de la CitÊ à l’abbaye de Saint-Germain-des-PrÊs, mais aussi au bord de la Seine, avant que les textes laissent entrevoir au XIIIe siècle l’installation de grands ensembles seigneuriaux, à commencer par les rÊsidences royales. De moindre Êtendue, mais plus durables furent les deux hôtels d’archevêque, Rouen et Reims. Nous examinerons ensuite, dans l’ordre de leur apparition dans les sources, les demeures de moindre importance mises sous le nom d’Êvêques ou d’abbÊs, mais il ne s’agit plus dÊsormais que de propriÊtÊs vendues ou lÊguÊes dans de grandes familles dont quelques membres, au cours de leur carrière administrative, ont ÊtÊ revêtus des ornements Êpiscopaux ou abbatiaux. L’hôtel dit d’Arras, plus que l’hôtel de Laon, prÊsente le cas d’une mobilitÊ foncière compliquÊe par les partages successoraux qui mettront fin à l’Êpoque des grandes rÊsidences. Le tracÊ de l’enceinte de la rive droite imposait en vis-à -vis des extrÊmitÊs symÊtriques sur la rive gauche, et le relief incitait à englober l’abbaye de Sainte-Geneviève et son bourg, avec la rue Saint-Jacques, seule grande voie vers le sud, alors que, sur la rive droite, la rue Saint-Denis double la rue Saint-Martin. Depuis le point haut – la porte Saint-Jacques –, on contourna les vestiges du forum romain (rue Soufflot) avant de dÊvaler la pente en droite ligne pour aboutir en face de la tour du coin – à côtÊ, mais en deçà de la grosse tour du Louvre. En arrivant à la Seine, le tracÊ marque un dÊcrochement dÝ à l’existence d’une LA DEMEURE
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construction prolongeant la  tornella Philippi Hamelin , comme en tÊmoignent des enluminures du XVe siècle confirmÊes par le relevÊ en ÊlÊvation fait par Le Vau avant la dÊmolition de la tour de Nesle en (voir fig. et ). Il pourrait s’agir d’une tour d’observation, ÊlevÊe au coude que fait le fleuve en aval des Îlots plus tard rattachÊs à l’Île de la CitÊ. En , un emplacement rue de l’Hirondelle est situÊ  de retro magnam domum defuncti Philippi dicti Hamelin . On est donc portÊ à croire que tout l’espace au nord des maisons jalonnant la grand’rue SaintGermain – auj. Saint-AndrÊ-des-Arts – appartint d’une manière ou d’une autre à ce Philippe Hamelin, qui n’est jusqu’à prÊsent pas autrement connu. En cette pÊriode du XIIIe siècle apparaÎt Gui le Queux, dont le nom dÊformÊ en GÎt le Cœur garde le souvenir, la rue  quae est juxta masuram Guidonis Coci , sans doute en face de la rue de l’Hirondelle, lors d’une concession faite en à Eudes, le queux du roi. Mais  Le Queux  pourrait être le patronyme de Gui car il y a, à la fin du XIIe siècle en Anjou, un sergent d’armes du roi Richard qui porte ce nom (il s’agit peut-être d’un Anglais). Il servit ensuite Jean Sans Terre avant de se rallier à Philippe Auguste. Ce domaine parisien s’Êtend loin vers l’ouest : en l’abbÊ de Saint-Denis achète (rue du Collège) une grange qui tenait  aux jardins de Gui le Queux . On lit d’autre part  super domibus que fuerunt Guidonis Coci . Certes la rue PavÊe coupe cet ensemble mais elle ne mÊritera son nom qu’un peu plus tard et ce n’est encore qu’un sentier à travers un terrain nu pour aller à la rivière (Philippe le Bel fera aussi paver la grand’rue SaintGermain et le chemin suivant la Seine jusqu’à l’hôtel de Nesle). À la même Êpoque, Gilles de Trasignies, dit Gillon le Brun, est nommÊ connÊtable bien que sa famille soit dans le comtÊ de Hainaut, donc hors du royaume. Il semble avoir possÊdÊ un vaste terrain car il est citÊ fort au-delà de la rue de l’Hirondelle, à l’ouest, en à propos de l’hôtel de Sancerre (le futur hôtel d’Hercule, à l’angle de la rue du Collège et de la Seine) et en à la porte Saint-Germain. Il doit s’agir de concessions de vastes domaines faites par le roi à ses officiers pour les aider à tenir leur rang, comme le souligne Brussel . Fort du dominium royal sur toutes les terres
LE CLOÎTRE DE NOTRE-DAME : UN VILLAGE AU CŒUR DE LA VILLE ÉLIANE DERONNE-CAROUGE
Fig. 100 Confirmation par Charles le Simple de l’immunité accordée par Charlemagne au cloître de Notre-Dame, 17 juin 911. Arch. nat., K 16, n° 7 A (AE II 78).
Fig. 101 Plan de la Cité, par l’abbé Delagrive, 1754. Arch. nat., N II Seine 62.
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La règle de vie commune qu’on tenta d’imposer au clergé des cathédrales – les canonici – au début du IXe siècle, peu compatible avec le mode de vie de clercs séculiers, se relâcha rapidement. Il n’en subsista généralement que l’obligation de résider dans un quartier clos proche de la cathédrale, le « cloître », où chaque chanoine avait sa maison. Des églises qui n’étaient pas siège cathédral, les collégiales, étaient de même desservies par un chapitre de chanoines logés à proximité de leur église. Il existait plusieurs de ces cloîtres à Paris : à Saint-Germain-l’Auxerrois, Saint-Benoît-le-Bétourné, Sainte-Opportune, Saint-Merry, la Sainte-Chapelle, auxquels s’ajoutaient ceux des hôpitaux et commanderies. L’organisation résidentielle de certains d’entre eux est assez précisément connue . Dans les chapitres cathédraux, l’évêque assura l’entretien du chapitre en lui attribuant une part des biens de la cathédrale, dont le territoire du cloître . À Paris , cette partition s’est faite en et des logis canoniaux sont attestés dès le Xe siècle. Cet espace relève de la seule autorité du chapitre : en Charles le Simple lui a accordé l’immunité
LES MAISONS DE COLLĂˆGES CÉCILE FABRIS
Le premier collège parisien, le collège des Dix-Huit, est fondÊ en : il s’agit en rÊalitÊ d’une simple pièce achetÊe à l’intÊrieur de l’Hôtel-Dieu pour hÊberger dix-huit Êcoliers clercs . Ce premier Êtablissement marque pourtant le dÊbut d’un mouvement de fondations appelÊ à se dÊvelopper au XIIIe et surtout au XIVe siècle. ConcentrÊs en majoritÊ sur la rive gauche, près de Êtablissements en , et plus de en , impriment profondÊment leur marque à son urbanisation et son architecture. RÊpondant à la problÊmatique du logement et des moyens de subsistance des  pauvres Êcoliers  , le collège est caractÊrisÊ par une fondation lÊgale, des textes statutaires rÊglant le fonctionnement quotidien – recrutement, rÊpartition des espaces et des revenus, cadre institutionnel et charges administratives, obligations des collÊgiens, etc. –, une maison et des revenus permettant de faire vivre une communautÊ d’Êcoliers. Leur vocation est dans un premier temps essentiellement matÊrielle, pour des membres qui sont hÊbergÊs et reçoivent une bourse, mais suivent les leçons des Êcoles de l’UniversitÊ. Cet aspect Êvolue cependant, notamment avec l’apparition des grands collèges rÊguliers – la première installation des Dominicains à Paris date de et celle des Franciscains de – dans lesquels sont assurÊs en interne les enseignements pour les religieux qui passent leurs grades
Fig. 107 Don par Saint Louis d'une maison à Robert de Sorbon, 1257. Arch. nat., S 6213, n° 85 (AE II 2407).
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auprès de l’UniversitÊ. Ce modèle influence les fondations sÊculières qui se multiplient par la suite , au premier rang desquelles la Sorbonne. Sa fondation vers , entreprise appuyÊe par le roi et destinÊe à promouvoir les Êtudes de thÊologie, marque un vÊritable tournant (fig. 107). C’est cependant seulement en que l’enseignement dans l’Êtablissement est prÊvu d’emblÊe, lors de la fondation du collège de Navarre . Les fondateurs se caractÊrisent principalement par leur rang, leurs moyens financiers et les appuis dont ils disposent, ce qui explique qu’ils se trouvent principalement parmi les grands prÊlats et les officiers et conseillers royaux, les deux statuts n’Êtant d’ailleurs pas exclusifs . Ils sont mus par des prÊoccupations charitables, ainsi que par le souci d’assurer le salut de leur âme grâce aux prières perpÊtuelles des Êcoliers . Les considÊrations politiques ne sont pas non plus absentes, qu’il s’agisse de garantir la qualitÊ de la formation de l’administration royale ou du haut clergÊ . C’est souvent par testament que la fondation est dÊcidÊe et organisÊe , avec parfois une marge d’apprÊciation importante laissÊe aux exÊcuteurs testamentaires . Au rang des premières prioritÊs figure toujours le souci d’assurer un logement et des revenus aux Êcoliers , ce qui passe dans les deux cas par le transfert de propriÊtÊ d’une ou plusieurs maisons.
MAISONS CISTERCIENNES À PARIS FRANÇOIS BLARY ET VALENTINE WEISS
Le fait qu’une abbaye cistercienne ait des possessions en ville peut paraÎtre incompatible avec les idÊaux de l’Ordre. Les premiers règlements cisterciens de prÊcisent, en effet, que les monastères doivent être construits  dans des lieux ÊloignÊs du commerce des hommes .
L’ I M P L A N T A T I O N RUPTURE
OU CONTINUITÉ
URBAINE
?
:
Trois raisons justifient l’Êtablissement de telles maisons en ville. La première raison est d’ordre Êconomique et ne concerne pas seulement Paris. Les moines cisterciens travaillaient pour vivre : le fruit de leur travail, essentiellement des produits agricoles, devait être entreposÊ en ville pour en faciliter la vente. La prÊsence d’Êtablissements urbains jouait donc un rôle important pour ces communautÊs : ils permettaient essentiellement d’Êcouler les productions des diffÊrentes granges, les celliers pouvant aussi servir de lieu de production de vin, et, ce faisant, d’hÊberger les religieux ou les hôtes de passage. Cela ne transgressait pas la règle de l’Ordre, puisqu’il ne s’agissait pas d’un monastère mais d’une simple maison oÚ ni moine ni convers ne rÊsidaient . Bien que les moines cisterciens aient interdiction de rÊsider en ville, de nombreuses abbayes disposaient donc de maisons dans les centres urbains proches de leurs diffÊrents domaines. Ainsi l’abbaye de Chaalis (Oise), pour ne prendre qu’un exemple, possède des maisons installÊes dans les principales villes des environs. Les moines ont, à Senlis, deux bâtiments situÊs l’un en face de l’autre, rue du Petit-Chaalis : un manoir, louÊ dès , dÊnommÊ par la suite l’hôtel du petit Chaalis, au numÊro , aujourd’hui totalement disparu et, au numÊro , le logement du prieur, conservant des parties remontant au XVIe siècle. À Beauvais, un notable du nom d’Hugues de Conti donne aux moines, en , une maison rue Guy-Patin, dont dÊpendent des vignobles situÊs sur des coteaux à l’ouest de la ville dans le quartier de Saint-Just-des-Marais ; un nouveau bâtiment y est construit vers , l’ensemble est vendu en . Le bâtiment a ÊtÊ entièrement dÊtruit ainsi que ses caves. La troisième ville est Paris oÚ une maison est donnÊe à l’abbaye en par dame HÊloïse de Palaiseau, rue François-Miron. L’abbaye est quelque temps en possession d’une autre maison rue Saint-Jacques, rive gauche. Les deux autres raisons d’implantation à Paris lui sont plus spÊcifiques. RÊsidence royale à partir de Philippe Auguste, capitale du royaume, Paris ne laissait pas l’Ordre indiffÊrent. Comme saint Bernard, les abbÊs cisterciens, amenÊs à jouer un grand rôle LA DEMEURE
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dans les affaires de la ChrÊtientÊ, devaient quelquefois sÊjourner à Paris pour effectuer des dÊmarches, rencontrer le roi ou les princes. L’hôtellerie parisienne de l’Êpoque ne leur offrait pas des conditions de vie convenables, d’oÚ la nÊcessitÊ de possÊder une petite maison oÚ ils pourraient rÊsider. Les rapports avec la monarchie se dÊveloppent très tôt. Vers , Étienne Harding Êcrit à Louis VI pour protester contre le sort fait par le roi au clergÊ parisien. MalgrÊ les interventions de l’Ordre, qui ne vont pas toujours dans le sens souhaitÊ par le souverain, les CapÊtiens favorisent les cisterciens à Paris. En , Louis VII accorde une rente importante de l. p. aux moines de Clairvaux sur les revenus des changes du Grand Pont . Surtout, l’essor de l’Ordre s’inscrit dans la même chronologie que le dÊveloppement des Êcoles parisiennes qui, à la fin du XIIe siècle, donnent naissance à l’UniversitÊ, haut lieu de la thÊologie sous AbÊlard. Le Grand Exorde de CÎteaux raconte comment Bernard est venu prêcher à Paris pour ramener avec lui des Êtudiants à Clairvaux, mais cette mÊfiance à l’Êgard des Êtudes universitaires n’a durÊ qu’un temps. MalgrÊ les rÊticences de l’abbÊ de Clairvaux, la nÊcessitÊ s’est imposÊe à ses successeurs de donner une formation intellectuelle à des membres de l’Ordre. Ces maisons pouvaient par consÊquent servir aussi bien de lieu de rÊsidence provisoire pour des Êtudiants que de refuge momentanÊ en cas de conflits touchant l’abbaye. Au nombre des possessions immobilières des moines blancs dans Paris, le collège des Bernardins occupe une place particulière. Si l’idÊal cistercien repose à l’origine sur la simplicitÊ, la vie de prière et le travail manuel, il faut comprendre qu’au dÊbut du XIIIe siècle, les abbÊs de Clairvaux ont ressenti la nÊcessitÊ de prendre une part dans les Êtudes intellectuelles et de crÊer un collège en relation Êtroite avec l’universitÊ de Paris. Ainsi, en , Raoul de La Roche-Aimon acquiert une maison au port Saint-Landry, dans l’Île de la CitÊ ; Évrard obtient ensuite du chapitre gÊnÊral de l’Ordre, en , la permission d’y envoyer des moines suivre une formation universitaire . C’est finalement sous l’impulsion d’Étienne de Lexington, abbÊ de Clairvaux de à , avec le soutien du pape Innocent IV, du cardinal Jean Tholet et du comte Alphonse de Poitiers, frère du roi Louis IX, qu’est transformÊe cette simple maison en un vÊritable collège dotÊ des mêmes privilèges que les Êtablissements des ordres mendiants. Des pièces de terre sont acquises en auprès du chapitre et du doyen de Notre-Dame, à l’extÊrieur de l’enceinte de Philippe Auguste, à côtÊ de l’abbaye Saint-Victor. Étienne de Lexington s’empresse d’Êchanger ce lot de terre initial avec l’abbaye pour prendre une parcelle d’Êgale Êtendue
LES HÔTELS LAÏQUES LES HÔTELS ROYAUX DE SAINT-POL ET DES TOURNELLES : DEUX DESTINS TRAGIQUES VALENTINE WEISS Fig. 115 Hôtel de la Reine : arrêt du Parlement et plaidoiries au sujet d’un vol commis par Jacques Binot et ses complices (gobelets, bijoux, objets de culte, linge, pierres précieuses), 3 décembre 1406. Arch. nat., X2A 14, fol. 353 r°.
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Les hôtels royaux de Saint-Pol et, dans une moindre mesure, des Tournelles, sont liés de près aux événements de l’histoire nationale et présentent, à eux deux, à la fois un cas particulier, de par leurs illustres propriétaires, et un résumé parfait du panorama typologique et sociologique des hôtels parisiens au Moyen Âge.
Le désir d’installation de Charles V est, en effet, intimement lié au souvenir, relativement récent et douloureux, des émeutes ayant directement menacé le dauphin au Palais de la Cité. Les diverses acquisitions visant à constituer l’hôtel royal concernent tous les types de résidences parisiennes – voir le répertoire, publié séparément, à ces différents noms – : des hôtels ecclésiastiques, qu’ils soient abbatiaux comme l’hôtel de Saint-Maur, ou archiépiscopaux comme le premier hôtel des archevêques de Sens, et des hôtels laïques, qu’ils soient comtaux avec l’hôtel d’Étampes, bourgeois pour ce qui concerne la résidence de Simon Verjal ou ducaux comme l’hôtel du Petit-Musc. En dépit de l’incorporation de son nouvel hôtel royal au domaine de la Couronne en et de son inaliénabilité, Charles V affecte lui-même très tôt certains de ces hôtels à sa famille et à son entourage : l’hôtel de la Reine (fig. 115) comme logis de la reine, l’hôtel de Saint-Maur dès à des seigneurs, d’où son nom d’hôtel de la Conciergerie. Ainsi, malgré la magnificence de l’ensemble, où se remarquent notamment des chapelles, de nombreuses galeries, des fontaines, des étuves, une cerisaie, une ménagerie et un jeu de paume, il ressort que l’hôtel Saint-Pol se présente sous l’aspect d’une succession d’hôtels et de cours. Le règne de Charles VI marque un tournant pour cet hôtel royal : l’hôtel du Petit-Musc est sans doute donné par le roi à son frère, Louis d’Orléans, et passe entre plusieurs mains avant d’échoir en à l’amiral de France Louis Malet de Graville, puis à ses successeurs. Si le roi y habite dès l’âge de ans, le bal des ardents où Charles VI faillit périr en (fig. 117) et sa longue maladie conduisent inéluctablement à une lente mais certaine désaffection, Isabeau de Bavière préférant séjourner à l’hôtel Barbette, situé non loin de là, rue Vieille-duTemple. Après la mort du roi, l’hôtel Saint-Pol reste inoccupé, ses successeurs lui préférant désormais l’hôtel des Tournelles, exception faite de Louis XI qui loge parfois à l’hôtel Neuf, futur hôtel d’Étampes, situé à l’est de la rue du Petit-Musc. Uni au domaine de la Couronne au retour de Charles VII, l’hôtel, voisin, des Tournelles, a eu, quant à lui, pour propriétaires un chancelier de France en la personne de Pierre d’Orgemont, un évêque de Paris, avant que ne s’y succèdent les ducs de Berry (fig. 116), d’Orléans et de Bedford, qui l’embellit, puis le
L’HÔTEL ARISTOCRATIQUE PARISIEN AUTOUR DE 1400 FLORIAN MEUNIER
Le Bal des ardents à l’hôtel Saint-Pol et l’assassinat du duc d’OrlÊans devant l’hôtel Barbette ont confÊrÊ aux hôtels parisiens du règne de Charles VI ( - ) le rôle de dÊcor tragique des pages les plus sombres de l’histoire de France. Quant à l’hôtel de Clisson, il rÊsonne tout autant au nom du connÊtable Olivier de Clisson, qui dÊclencha la campagne militaire oÚ le roi connut sa première crise de folie, qu’en raison de son usage à l’Êpoque contemporaine : encadrÊe de ses tourelles, cette porte majestueuse fut un temps l’entrÊe de la première École des chartes au XIXe siècle et abrite aujourd’hui, et depuis quelques annÊes, les grandes expositions des Archives nationales (voir fig. ). Mais, au-delà des estampes romantiques, que sait-on des hôtels parisiens à la fin du XIVe siècle et au dÊbut du XVe siècle ? Aux sources Êcrites, conservÊes pour l’essentiel aux Archives nationales, mais aussi dans les provinces d’origine des princes installÊs à Paris , s’ajoute le travail de comparaison avec les documents figurÊs les plus anciens qui existent.
LA
COMMANDE PRINCIĂˆRE
EN TĂŠTE
Le nombre ÊlevÊ des hôtels princiers est l’une des consÊquences les plus visibles du statut de capitale du royaume de France : Paris, siège permanent du pouvoir depuis Philippe Auguste, accueille les grands personnages de la cour, mais aussi les grands dignitaires ecclÊsiastiques qui avaient donc vocation à y possÊder un hôtel, dont la richesse reflÊtait leur rang. Mais ce qui caractÊrise la fin du XIVe siècle est sans doute le gouvernement des princes apanagÊs qui aboutit à la multiplication de ces rÊsidences princières à un point inÊgalÊ. Les relations familiales très Êtroites entre le roi Charles VI, son frère Louis, duc d’OrlÊans, et leurs oncles et cousins expliquent sans doute les nombreux Êchanges et ventes d’hôtels qui Êmaillent les annÊes à . La rapiditÊ de ces transformations, naissances, agrandissements et ventes des hôtels est connue des Êrudits depuis le dÊbut du XXe siècle, mais elle n’en reste pas moins Êtonnante. Outre la famille royale des Valois proprement dite, à savoir Charles VI, son frère, Louis d’OrlÊans, leur oncle paternel, le duc de Berry (avec son petitfils AmÊdÊe VIII de Savoie) et leur cousin, Jean sans Peur, duc de Bourgogne, il faut ajouter l’oncle maternel du roi, Louis II de Bourbon, dont l’hôtel a survÊcu à la guerre de Cent Ans sans grand dommage (fig. 120). L’hôtel parisien du XIVe siècle n’est pas seulement princier, à l’instar de ses successeurs modernes et contemporains. Il faut aussi compter avec les autres grands personnages, bien que les LA DEMEURE
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DANS LE TEMPS
ET L’ESPACE PARISIENS
sources soient beaucoup plus rares les concernant. Les hôtels des proches serviteurs de la couronne reflètent leur rÊussite et leur fortune. Ainsi en fut-il de deux favoris dont l’ascension fut aussi rapide que la chute : Charles de Savoisy, dont l’hôtel connu par des mentions admiratives du Religieux de Saint-Denis fut rasÊ en , et Jean de Montaigu, fils de GÊrard de Montaigu, conseiller du roi, noble de robe d’extraction bourgeoise toute rÊcente . Ce financier de Charles VI et du fastueux duc de Berry possÊda et amÊnagea plusieurs hôtels dont certains attirèrent l’attention de ses protecteurs puissants à qui il les vendit : l’hôtel Barbette plut à la reine, la conciergerie de la Bastille au frère du roi. Le roi Charles VI fut particulièrement gÊnÊreux envers son oncle Jean, duc de Berry, et son frère Louis, duc d’OrlÊans, tous deux Êtroitement associÊs au gouvernement du royaume. Les dons royaux en argent, en nature ou en biens immobiliers, qui devaient couvrir bien des frais de reprÊsentation au-delà de leurs seules rÊsidences parisiennes, ne furent sans doute pas Êtrangers au faste architectural des hôtels parisiens de ces deux grands commanditaires. Ainsi le duc d’OrlÊans fut-il propriÊtaire, durant sa courte existence, de neuf hôtels diffÊrents au moins, dont on suit l’histoire de à . Parmi ceux-ci, on retiendra particulièrement l’hôtel de Bohême oÚ intervint le cÊlèbre architecte Raymond du Temple , la conciergerie de la Bastille donnÊe au duc d’OrlÊans par le financier Jean de Montaigu, l’hôtel du PrÊvôt (ou du Porc-Épic) dÊcorÊ de peintures par le renommÊ Colart de Laon (voir fig. ) et enfin l’hôtel des Tournelles, remarquable par ses vastes jardins et qui allait devenir le siège du gouvernement du duc de Bedford sous l’occupation anglaise. Les relations Êtroites entre les ducs d’OrlÊans et de Berry dessinent dÊjà l’alliance politique de la guerre civile ultÊrieure, le futur clan des  Armagnacs . Les deux princes Êchangèrent ainsi en deux de leurs rÊsidences : l’hôtel du PrÊvôt passa de Louis d’OrlÊans au duc de Berry, qui le donna immÊdiatement après à son financier Jean de Montaigu dÊjà citÊ, tandis que l’hôtel des Tournelles, achetÊ Êcus d’or deux ans auparavant par le duc de Berry, passait à la famille d’OrlÊans.
LA
GÉOGRAPHIE
VERS
DES HÔTELS À
1400
PARIS
Les contraintes du parcellaire urbain, même si elles furent moindres sous Charles VI qu’aux siècles suivants, ont dÊjà modelÊ l’hôtel parisien de façon diffÊrente de ses homologues placÊs hors des murs. Sans parler des forteresses comme le château de Vincennes, les manoirs dans lesquels les princes sÊjournaient et
Fig. 119 Paris vers la fin du XIVe siècle par Leuridan et Mallet (rééd. CNRS 1991, 1999). Les hôtels de la fin du xive siècle et du début du XVe siècle ressortent en jauneorangé sur le plan.
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LA MAISON DE RAPPORT DE PHILIPPE TURQUAM, RUE DE LA TANNERIE YVON N E-HÉLĂˆN E LE MAR ESQU I ER-KESTELOOT
L’histoire de la maison de la Fleur de Lys, rue de la Tannerie, est pour plusieurs raisons exemplaire. Elle montre d’abord la fragilitÊ des habitations mÊdiÊvales vouÊes à la ruine si les propriÊtaires nÊgligent leur entretien. Elle illustre ensuite les stratÊgies immobilières des Êlites parisiennes qui, à la fin du XVe siècle, prÊfèrent placer leur argent dans des biens patrimoniaux plutôt que dans les affaires . Cette histoire, enfin, bien documentÊe, retrace les Êtapes de son acquisition jusqu’à sa location en passant par sa rÊhabilitation de fond en comble, comme l’atteste un ensemble d’actes et de quittances passÊes devant notaires . La maison de la Fleur de Lys est situÊe sur la rive sud de la rue, près du pont Notre-Dame. Elle a une issue, à l’arrière, sur la Seine, nÊcessaire à ses occupants pour l’exercice de leur mÊtier. En effet, depuis le dÊbut du XVe siècle, elle est la propriÊtÊ de tanneurs : Jean Le Grant, dit Regnault, puis Robin de Nicolle , Georges Du Ponceau, enfin . PressÊ par les difficultÊs financières, il constitue le mars une rente annuelle et perpÊtuelle de l. p. en faveur de l’avocat au Parlement Philippe Turquam qui lui verse sur le champ l. p. . N’ayant pu rÊtablir sa situation, trois ans plus tard, il vend le tiers de sa maison aux enchères, avant que le reste ne fasse l’objet d’une procÊdure de criÊes rÊservÊe, selon une ordonnance de Philippe le Bel, renouvelÊe par la suite, aux maisons en dÊshÊrence. Philippe Turquam est ainsi devenu propriÊtaire en de toute la maison et il peut alors entreprendre sa restauration . Les travaux se sont dÊroulÊs d’avril à novembre , comme l’attestent les huit quittances dÊlivrÊes par les fournisseurs de matÊriaux et les artisans qui ont travaillÊ sur le chantier (fig. 122). Le charpentier en est l’artisan principal. Il a perçu en tout l. s. d. t.  tant pour ses penes et saleres d’avoir mis tout le merrien dessusdit que aussi le merrien baillÊ et livrÊ par Nicolas de La Planche , ainsi que pour neuf manteaux de cheminÊes et un linteau pour l’escalier qu’il a fournis. Il a dÊjà perçu des acomptes, la quittance de s. t. n’Êtant que la  parpaye  ou solde du marchÊ. Il a pu ainsi payer ses valets et ses manœuvres au fur et à mesure. Sa tâche a consistÊ à mettre en place les ÊlÊments de structure de la maison en bois d’œuvre, que lui ont livrÊ en deux fois les marchands de merrien, le premier entre le avril et le aoÝt, le second en octobre. La quantitÊ et la qualitÊ de ces matÊriaux montrent l’ampleur de cette restauration : vingt-trois sablières de taille et d’Êpaisseur diffÊrentes, une grande quantitÊ de solives, certaines grosses, d’autres  de couche  ou  de bout  et quarante-huit  pour faire planchers , plus quatre membrures ; des poteaux pour former les cloisons et les murs, neuf poutres dont une de plus de m
de long sur une trentaine de centimètres d’Êpaisseur, la poutre maÎtresse sans doute. La variÊtÊ des chevrons sur lesquels sont fixÊes les lattes pour la couverture est immense ; enfin environ m de gouttières, quelques grosses planches et  une establie  de , m sur cm. C’est un sergent qui a louÊ le charretier pour le transport du merrien, du port des BarrÊs, lieu de dÊbarquement obligatoire sur la Seine , au chantier et les scieurs de planches qui ont prÊparÊ sur place les marches de l’escalier .
Fig. 122 Quittances de paiement des travaux rÊalisÊs dans la maison de Philippe Turquam, rue de la Tannerie, avril-novembre 1497. Arch. nat, Min. centr., Ét. XIX/12.
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LA MAISON D’AUMÔNE DE NICOLAS FLAMEL RUE DE MONTMORENCY PHILIPPE PLAGNIEUX ET VALENTINE WEISS
Nicolas Flamel (†mars ), maÎtre d’Êcriture et libraire-jurÊ de l’UniversitÊ, habitait au coin de la rue des Écrivains – auj. rue Nicolas Flamel – et de la grande rue de Marivaux – auj. rue de Pernelle –, en face du portail de l’Êglise Saint-Jacques-de-laBoucherie, une maison qui fut dÊtruite en lors du percement de la rue de Rivoli. Il Êpousa Perrenelle (†septembre ) – qui Êtait deux fois veuve et sans enfant – en , dont il n’eut pas d’enfants. Tous les deux ont un certain nombre de maisons – et de rentes – dans la censive de Saint-Martin-desChamps, d’après un relevÊ systÊmatique opÊrÊ dans les registres et censiers. Ils achetèrent le novembre rue des Gravilliers la maison de l’Image Saint-Martin dont la cour est dans la censive
de Saint-Victor. Ils dÊtiennent avant une maison situÊe rue Au Maire. En , les Flamel sont Êgalement propriÊtaires d’une maison rue Saint-Martin, près du coin mÊridional de la rue du Cimetiere. Flamel est mentionnÊ comme propriÊtaire de la maison de la Heuse en mai . Sur la place qu’il a acquise au coin de la rue Saint-Martin, une maison  nouvelement ediffiÊ  est attestÊe en mars . D’après Charles Fegdal , Flamel possède Êgalement la maison de l’Image Saint-Martin rue Saint-Martin, a priori diffÊrente de celle des Gravilliers pour cause de mitoyennetÊ de la censive de Saint-Victor, la maison de l’Image Saint-Jacques dans la même rue, ainsi que la maison du Mouton Saint-Jacques, rue Troussevache – auj. partie de la rue de La Reynie. Fig. 124 Maison de Nicolas Flamel, 51 rue de Montmorency (IIIe arr.). Š Cl. M. Paturange, Arch. nat.
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REGARDS
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SUR
L’ARCHITECTURE
IV. REGARDS SUR L’ARCHITECTURE ÉTIENNE HAMON
Dans l’histoire brillante de l’architecture mÊdiÊvale de la capitale, la demeure a souvent jouÊ les seconds rôles. Elle a acquis depuis peu la place qui lui revient grâce aux donnÊes combinÊes des sciences historiques et des enquêtes de terrain et à leur mise en perspective dans un concert foisonnant d’Êtudes urbaines et de monographies qui couvrent dÊsormais un grand nombre de rÊgions d’Europe. SollicitÊes dans des proportions variables selon le matÊriau disponible, l’histoire, l’histoire de l’art, l’archÊologie du sol et du bâti nous livrent ici un ensemble de synthèses par type ou par phase, illustrÊes d’Êtudes de cas. Sans prÊtendre à l’exhaustivitÊ – les rÊsidences des rois et des Êvêques de Paris ont ÊtÊ laissÊes de côtÊ –, elles se veulent reprÊsentatives des moments clÊs de la crÊation monumentale autant que de la vitalitÊ et de la pluridisciplinaritÊ de la recherche actuelle dont la qualitÊ des dÊcouvertes doit inviter les acteurs des futurs amÊnagements urbains à une vigilance redoublÊe. Longtemps rÊduite aux informations Êparses livrÊes par les sources Êcrites et aux images de quelques caves voÝtÊes, notre vision de la demeure antÊrieure à la fin du XIVe siècle, pÊriode clÊ dans l’affirmation des caractères du bâti urbain, s’est tout rÊcemment clarifiÊe et nuancÊe. L’Êtude du bâti menacÊ a brièvement rÊvÊlÊ, derrière un rhabillage moderne, la plus ancienne façade de maison mÊdiÊvale, rue du Renard, datable du XIIIe siècle. Elle a aussi affinÊ le repÊrage et la comprÊhension des structures souterraines. Unique par son ampleur, la fouille du Carrousel du Louvre a mis au jour dans un contexte pÊriurbain les restes d’un manoir au riche dÊcor peint des annÊes , attribuÊ à Pierre des Essarts. La redÊcouverte des relevÊs du fonds de l’archÊologue Albert Lenoir a permis de restituer une grande demeure du temps de Saint Louis aux accents rayonnants dignes des plus belles Êglises, l’hôtel d’Harcourt. La relecture des sources confirme la prÊÊminence, dans la crÊation de la fin XIVe siècle, des hôtels de l’Êlite. Si les rÊsidences royales cÊlÊbrÊes par les chroniques, dont la perte est mal compensÊe par une iconographie dÊcevante, peinent à se dÊvoiler, celles des princes Valois, mieux loties en la
matière, nous Êclairent sur les acquis durables de ces grands programmes : plans et distribution complexes ; grandes salles, escaliers et galeries d’apparat ; ordonnances et dÊcors personnalisÊs, etc. Il convient dÊsormais d’en apprÊcier les singularitÊs à l’aune de l’hôtel d’un grand officier, celui du connÊtable Olivier de Clisson, pour lequel sont ici rÊunies, pour la première fois, des Êtudes sur l’histoire, l’architecture, le dÊcor et le mobilier de la vie quotidienne dans ce qui est devenu le quadrilatère des Archives nationales. Au sortir de la guerre de Cent Ans, les jalons se font bien plus nombreux, sans toutefois que les approches sur les textes et le bâti puissent toujours se rejoindre. Ils dessinent nÊanmoins un panorama marquÊ par des tendances profondes à la rÊgularisation que tempèrent les recherches plastiques individuelles. Mais plusieurs repères dans le brillant Êpisode flamboyant des annÊes rÊsistent toujours à une chronologie et à une attribution serrÊes : hôtels de Cluny, Le Gendre, La Faye, HÊrouet. Et la mutation vers l’hôtel classique au dÊbut du règne de François Ier est, paradoxalement, l’un des processus les plus insaisissables de l’histoire de l’architecture parisienne. En revanche, les regards portÊs sur la morphologie urbaine doivent tenir compte de la dÊmonstration, au prix d’Êtudes topographiques rigoureuses que de nouvelles mÊthodes de datation sont venues Êtayer, de la longÊvitÊ des formes et des techniques de la maison bourgeoise à pan de bois et pignon sur rue, paradigme de la ville mÊdiÊvale. Si les principaux tÊmoins vivants doivent être rajeunis, à l’instar de la maison du de la rue Volta jadis datÊe du XIIIe siècle et rendue au XVIIe (voir fig. ), leur examen couplÊ à celui des images et des documentations de chantiers autorise une restitution de la maison type telle qu’on la voit s’Êlaborer, à Paris comme ailleurs oÚ son Êtude est plus avancÊe (Normandie, Centre), au cours du XIVe siècle. Quant aux atours de toutes ces demeures de la fin du Moyen Âge, la relative raretÊ des tÊmoignages de toute nature laisse penser que le monumental ne cÊda jamais tout à fait devant le pittoresque du dÊcor ou des matÊriaux qui fut, en revanche, à l’honneur dans d’autres contextes urbains français. C’est en arrière de la rue que se concentrait le dÊcor architectural, annonçant le raffinement des amÊnagements de l’espace privÊ.
Fig. 126 Une procession place de Grève. BÊnÊdictionnaire de Jacques Juvenal des Ursins, reproduction d'une enluminure disparue du dÊbut du xve siècle. D’après LEROUX DE RINCY et TISSERAND 1867.
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LES DEMEURES PARISIENNES DES XIIIe ET XIVe SIĂˆCLES PIERRE GARRIGOU GRANDCHAMP
Alors que l’Êtude de l’habitat mÊdiÊval est en plein renouveau, les maisons de Paris restent les grandes absentes des publications. En la matière, l’Île-de-France est plutôt reprÊsentÊe par Provins ou par Senlis. L’idÊe dominante est que tous les Êdifices domestiques parisiens antÊrieurs au XVe siècle ont disparu et que ce type de construction est en outre peu documentÊ ; nous partagions d’ailleurs quelque peu cet avis naguère . De fait, il ne semblait pas, il y a peu encore, qu’une seule maison mÊdiÊvale des XIIIe et XIVe siècles fÝt conservÊe dans la capitale, pourtant la plus grande ville d’Europe dès le règne de Philippe Auguste. Les causes en sont multiples : la richesse de la ville a provoquÊ un incessant renouvellement du tissu bâti et des formes de l’habitat, tandis que les grandes opÊrations d’urbanisme du XIXe siècle ont dÊtruit la plupart des Îlots du centre de Paris. Aussi la majoritÊ des Êtudes publiÊes est-elle fondÊe sur des sources Êcrites , parfois sur les donnÊes de fouilles , mais il n’existe presque aucune monographie rÊalisÊe à partir de l’Êtude d’un bâtiment, conservÊ en ÊlÊvation . Or, il reste des constructions mÊdiÊvales reprÊsentatives de l’habitat parisien, mais elles n’ont, à ce jour, guère bÊnÊficiÊ d’Êtude archÊologique ; il est vrai que ce sont pour la plupart des substructions, dites caves, d’accès difficile et souvent jugÊes peu dignes d’attention. Par ailleurs, un certain nombre d’Êdifices disparus sont relativement bien documentÊs, notamment grâce aux relevÊs de ThÊodore Vacquer, dont une partie seulement a ÊtÊ publiÊe par Albert Lenoir . ComplÊtant les sources ÊvoquÊes ci-dessus, la rÊunion de donnÊes recueillies sur le terrain et d’informations fournies par les documents graphiques, si elle n’est pas encore suffisante pour dresser un tableau complet de l’habitat parisien des siècles considÊrÊs, jette nÊanmoins de vives lueurs sur une composante importante du paysage urbain de la capitale, que l’on jugeait encore il y a peu inaccessible . L’interprÊtation des documents n’en soulève pas moins de nombreuses difficultÊs, comme l’illustre le cas de l’Êdifice dit Parloir aux bourgeois, qui avait ÊtÊ inclus dans le couvent des dominicains, mais faisait saillie d’une quinzaine de mètres hors de l’enceinte de Philippe Auguste (fig. 127). Or, au nord, le mur de ville Êtait de biais par rapport à l’axe de l’Êdifice ; qui plus est, en dÊpit des grandes fenêtres à croisÊes qui ajouraient ses deux longs côtÊs et sont datables du XIVe siècle ou, au plus tôt, de la deuxième moitiÊ du XIIIe siècle, l’enveloppe paraissait bien plus ancienne : en attestent, sans le moindre doute, les chapiREGARDS
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SUR
L’ARCHITECTURE
teaux des piliers, trois libres et un engagÊ dans le mur sud, qui appartenaient au vocabulaire roman du XIIe siècle. Dès lors, les arguments convergent pour identifier un Êdifice antÊrieur à la construction du mur de Philippe Auguste, sectionnÊ par celui-ci, mais conservÊ, et rÊamÊnagÊ un siècle après sa construction, durant une pÊriode de grande tranquillitÊ publique. La partie documentÊe Êtait une grande salle basse plafonnÊe, selon toute vraisemblance surmontÊe par au moins un Êtage. Son plan, barlong avant la mutilation de l’extrÊmitÊ nord, son ÊlÊvation à deux niveaux au moins et le rythme des contreforts sur toutes les faces renvoient à une architecture de type seigneurial, tels le manoir de Lavilletertre ou le  donjon  de Clermont, tous deux dans l’Oise . Cet exemple illustre les problÊmatiques à affronter pour exploiter la documentation parisienne : avant de produire une Êtude architecturale et, si possible, une restitution des formes et du programme, il faut souvent d’abord procÊder à une identification, restituant à l’habitat un Êdifice dont la fonction a beaucoup variÊ et avait perdu celle de rÊsidence privÊe.
LES
CAVES,
R É V É L AT E U R S
D ’ U N TI S S U U R BA I N D I S PA R U
L’essentiel du patrimoine bâti mÊdiÊval subsistant est composÊ de caves architecturÊes, voÝtÊes en berceau ou couvertes de voÝtes d’arêtes ou sur croisÊes d’ogives. Que nous apprennent-elles quant aux plans de masses des demeures urbaines, Êtant entendu que l’Êtude de leur typologie et de leurs fonctions est traitÊe dans une autre contribution ? Il convient d’emblÊe de rappeler une donnÊe presque constante, celle de l’identitÊ du plan de la cave et de l’emprise du corps de logis principal de la maison ; ce constat est fondÊ sur des sÊries de maisons à Chartres, à Provins et à Senlis, et il est confortÊ à Paris, là oÚ tout ou partie de la maison est conservÊe (voir les encarts sur les maisons d’Ourscamp et de la rue du Renard, voir fig. - et - ). En outre, la prÊsence d’une cave architecturÊe pose une forte prÊsomption d’existence d’une maison dont l’enveloppe Êtait maçonnÊe, au moins en grande partie. Cet Êtat de fait est vÊrifiÊ hors de Paris comme à Paris, ce que prouvent diverses observations de ThÊodore Vacquer. Ainsi d’une maison du XIVe siècle, dÊtruite en , qui s’Êlevait quai de la MÊgisserie, à l’angle de la rue Thibaut aux
Fig. 127 Parloir aux bourgeois, rĂŠsidence seigneuriale, vers 1200. Dessin dans Lenoir 1867, Atlas, Couvent des Dominicains, pl. II.
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ÉTUDE DE CAVES AUX 11 ET 13 RUE DU RENARD ET 77 RUE DE LA VERRERIE (IVe ARR.) : UN PALIMPSESTE JEAN-DENIS CLABAUT ET BÉNÉDICTE PERFUMO
Fig. 139 Détail d’une des colonnes du premier niveau de la cave du 11 rue du Renard (IVe arr.). © Cl. B. Perfumo.
REGARDS
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SUR
L’ARCHITECTURE
Lors de travaux menés il y a quelques années, des éléments remarquables avaient été observés dans la façade de la maison sise au n° rue du Renard – voir le répertoire, publié séparément, à ce nom –, sous la forme de colonnettes aux chapiteaux feuillagés au premier étage, laissant soupçonner l’existence d’une belle bâtisse médiévale. L’étude de la cave a permis d’apporter des éclaircissements sur cette vaste demeure. Dans ses dispositions actuelles, cette cave dessine un plan rectangulaire perpendiculaire à la rue et comporte deux niveaux superposés. Le premier, auquel on accède par un escalier en arrière de parcelle, est couvert d’une voûte grossière, qui contraste avec la qualité
d’exécution des deux colonnes qui la supportent, dont les chapiteaux sont ornés de feuilles délicatement travaillées (fig. 139). Dans les parois latérales, des pilastres engagés supportent la voûte, qui repose directement sur le mur de façade. Celui-ci, monté en assises très régulières comme les autres parois, possède quatre niches qui s’ouvrent sous des arcs en plein-cintre, au ras du sol actuel. Au dessus de ces niches, le départ de deux larges soupiraux est encore visible, occultés par la voûte actuelle. Un puits a été ménagé contre la façade, qui communiquait directement avec le rez-de-chaussée et le second niveau. Le long du mur mitoyen, un large escalier interne permet d’y descendre, en bas duquel une porte communiquant avec la cave voisine est encore visible, aujourd’hui murée. Le second niveau est voûté de deux berceaux à l’architecture régulière, qui reposent au centre de la cave sur un large mur de refend, percé de trois ouvertures, mettant en relation les trois travées ainsi dessinées. La qualité d’exécution que l’on peut observer dans la mise en œuvre de la voûte contraste avec celle du niveau supérieur. L’unité de cet ensemble architectural n’est qu’une apparence, et l’étude rigoureuse de cette cave permet de proposer des hypothèses de restitution de son agencement d’origine. En effet, au premier niveau, différents éléments ne laissent pas de surprendre, comme les niches ouvertes au ras du sol, ou la présence de deux colonnes surmontées de chapiteaux richement décorés pour soutenir une voûte grossière. Ajoutons à cela les soupiraux de façade obturés et l’absence de base pour les colonnes, et cela suffit pour faire naître le doute sur l’intégrité actuelle de cette cave. C’est dans la descente de l’escalier, qui met en communication les deux niveaux de cave, que se trouve conservé dans la paroi un élément important. Il s’agit du départ d’un arc aux claveaux réguliers et chanfreinés, qui repose dans la paroi sur une console abîmée, mais semblable, autant par le matériau que par le décor, aux deux chapiteaux de colonnes conservés. Cet arc, parfaitement intégré dans la paroi, est l’ultime témoin du système de couvrement de la cave à l’origine. Comme les chapiteaux des colonnes et cette console ne sont pas situés à la même hauteur, cela indique clairement que le niveau de sol actuel n’est pas celui d’origine. C’est également ce que révèlent les niches maçonnées en façade, qui, dans d’autres caves, s’ouvrent à environ un mètre du sol. Comment expliquer ces distorsions de l’architecture ? Ce que nous avons sous les yeux est le résultat de plusieurs campagnes
LE MANOIR DES TUILERIES DE PIERRE DES ESSARTS SABINE BERGER
Ă€ l’occasion des fouilles des jardins du Carrousel conduites Ă la fin des annĂŠes par la direction des AntiquitĂŠs historiques d’Île-de-France et l’Établissement public du Grand Louvre, un manoir pĂŠri-urbain datant du XIVe siècle a ĂŠtĂŠ mis au jour . Son propriĂŠtaire pourrait avoir ĂŠtĂŠ le bourgeois parisien d’origine rouennaise devenu conseiller du roi, Pierre des Essarts. Celui-ci joua un rĂ´le important dans la politique monĂŠtaire de Philippe de Valois comme receveur de la reine, argentier du roi puis maĂŽtre Ă la Chambre des comptes comme le fut son frère Martin , et enfin comme principal crĂŠancier du prince Jean, duc de Normandie. Il occupa une position privilĂŠgiĂŠe au sein du patriciat parisien, contractant notamment pour ses proches les alliances matrimoniales les plus avantageuses : Étienne Marcel, Robert de Lorris et Henri Baillet furent ses gendres. EmprisonnĂŠ avec plusieurs agents financiers du roi après la dĂŠfaite de CrĂŠcy, en , il dut payer une forte amende pour ĂŞtre libĂŠrĂŠ mais mourut peu après, probablement de la peste, entre fĂŠvrier et septembre . En , Pierre des Essarts disposait de la Couture-l’ÉvĂŞque, un clos de terre labourable de quarante-deux arpents et trois quartiers, fermĂŠ de murs, situĂŠ près du chemin – ou chaussĂŠe – du Roule – auj. Saint-HonorĂŠ –, au sud de l’hĂ´pital des QuinzeVingts, Ă l’ouest de l’hĂ´tel de la Petite-Bretagne et Ă l’est des Tuileries, de la maison de Pierre de Bonneuil et du jardin de Jean de Courbeul. Cette annĂŠe-lĂ , en accord avec sa seconde ĂŠpouse, Jeanne de Pacy, il cĂŠda Ă l’hĂ´pital une pièce de terre contenant une ÂŤ fosse a fiens Âť, ainsi que la Couture-l’ÉvĂŞque avec la rĂŠsidence qui s’y dressait et qu’il occupait alors, en ĂŠchange de l’institution de six messes annuelles Ă perpĂŠtuitĂŠ . L’ÊvĂŞque de Paris, de qui le fonds relevait, amortit ces deux terrains le septembre . Le er mai , Pierre des Essarts donna aux Quinze-Vingts une rente d’un montant ĂŠquivalent Ă celle qu’ils devaient Ă l’ÊvĂŞque pour ces deux parcelles . Pierre des Essarts et Thomasse, sa première ĂŠpouse, avaient acquis le clos peu avant le juillet d’un certain Arnoul de la Haute-Maison , mentionnĂŠ dans le rĂ´le de la taille de comme rĂŠsidant rue Saint-Thomas-du-Louvre , et dans celui de l’annĂŠe . Arnoul et Isabelle, sa femme, avaient eux-mĂŞmes, le mai , pris Ă cens la Couturel’ÉvĂŞque de l’ÊvĂŞque Guillaume de Baufet, Ă charge pour eux de dĂŠpenser l. en trois ans pour amĂŠliorer la terre ou y construire . Dans cet acte d’accensement, les constructions occupant la Couture sont qualifiĂŠes d’ hostel des tuileries Âť et de ÂŤ manoir [...] prĂŠs des tuileries Âť. La dĂŠnomination ÂŤ hotel des Tuilleries Âť est encore rapportĂŠe par Henri Sauval qui consacre quelques paragraphes dissĂŠminĂŠs dans son Ĺ“uvre Ă
la  maison de campagne  de Pierre des Essarts . En , Pierre et sa première Êpouse avaient aussi pris à bail des Aveugles , moyennant l. p. de rente annuelle, un  chantier à merrain  situÊ près des Tuileries, derrière l’hôpital et touchant la propriÊtÊ des Essarts, les Quinze-Vingts se rÊservant toutefois la possibilitÊ de poser en ce terrain des canalisations pour amener l’eau de la Seine en leurs  aisemens et chambres . Dans une charte de , il est fait mention d’un  jardin et hostel que ledit des Essars avoit [...]  sur la Couture . Les niveaux infÊrieurs d’une habitation retrouvÊs au sud de l’ancienne place du Carrousel, sur une superficie de près de m , pourraient correspondre à cette rÊsidence. Si son plan d’ensemble reste difficile à restituer, certains traits de sa physionomie se dÊgagent nÊanmoins. Trois corps de bâtiments, disposÊs en U autour d’une cour ouverte vers la Seine ont ÊtÊ identifiÊs (fig. 142). Le corps occidental comportait une vaste pièce rectangulaire divisÊe dans sa longueur par des piliers (dont
Fig. 142 Plan des fouilles du manoir de Pierre des Essarts, d'après VAN OSSEL 1998.
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L’HÔTEL D’ARTOIS ET LES RÉSIDENCES PARISIENNES DES DUCS DE BOURGOGNE Philippe PLAGNIEUX
RÉSIDER
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PARIS PARIS
ET HORS
Au dÊbut du XIVe siècle, le duc de Bourgogne Eudes IV ( ), qui exerçait un rôle important à la cour de France, abandonna sa rÊsidence de la montagne Sainte-Geneviève, situÊe entre les rues des Sept-Voies et Chartière , lui prÊfÊrant le somptueux hôtel d’Artois, sur la rive droite, construit par les aïeux de son Êpouse, le comte Robert II d’Artois (†) puis sa fille Mahaut (†) . Cette première demeure passa ensuite, avec l’hÊritage des ducs de Bourgogne de la branche capÊtienne, à Philippe le Hardi, par une concession du duchÊ octroyÊe par son père, le roi Jean le Bon, en septembre et par un acte de confirmation de Charles V, le juin . Alors qu’il n’Êtait encore que duc de Touraine, Philippe le Hardi avait dÊjà acquis, en fÊvrier , grâce à un versement de fr octroyÊ par son frère, le futur Charles V et pour l’heure rÊgent du royaume, une maison à proximitÊ du palais du Louvre, rue des Bourdonnais, à l’angle de la rue de la Fosseaux-Chiens . Devenu duc de Bourgogne, il ressentit la nÊcessitÊ d’agrandir sa propriÊtÊ par l’achat d’une nouvelle maison en – sur l’arrière, du côtÊ de la rue Tirechappe – et de remanier l’ensemble en profondeur : transformation de la chambre à parer et de la grande salle (reconstruction à neuf et en pierre de taille, sur douze toises de haut, des deux pignons du côtÊ de la rue de la Fosse-aux-Chiens) ; rÊfection des gros murs, cloisons et planchers de l’hôtel ; rÊalisation de cheminÊes et d’escaliers ; vidange des fosses d’aisances sous la grande salle et dans la cour. Un nouvel achat, en , sur la rue Tirechappe, permit d’augmenter encore la surface. Philippe le Hardi entreprit Êgalement des travaux somptuaires, rÊalisÊs par le peintre Jean d’Arbois, qu’il fallut aller chercher en Lombardie en et qui y travailla plus de deux ans . Avant , le duc se dÊfit de cette propriÊtÊ au profit de son chambellan, Guy V de La TrÊmoille, qui possÊdait dÊjà , semble-t-il, une maison dans le voisinage . À la suite de son mariage en avec Marguerite de Male puis du dÊcès de son beau-père, Louis de Male (†janvier ), le duc de Bourgogne entra en possession de l’hôtel des comtes de Flandre , au coin des rues Coquillière et du Coq-HÊron, non loin du sÊjour d’Artois. Dès , la comtesse Marguerite de Flandre avait achetÊ une maison, situÊe à l’extÊrieur de la ville et contre l’enceinte de Philippe Auguste. La propriÊtÊ s’agrandit au moyen de deux acquisitions rÊalisÊes par le fils et hÊritier de la comtesse, Guy de Dampierre, en , qui entreprit de faire Êlever une nouvelle demeure, puis par Louis de Male en . Un compte de travaux ordonnÊs par le concierge de
l’hôtel en - tÊmoigne d’une rÊsidence caractÊristique de la haute aristocratie : prÊsence, entre autres, d’un donjon et de deux grosses tours (appartenant probablement à l’enceinte de Philippe Auguste), d’une grande salle, d’une chapelle avec un oratoire, ainsi que de diverses chambres, galeries, jardins et autres bâtiments de service. Afin de suivre Charles V et la cour lors de leurs dÊplacements au château de Vincennes et dans les rÊsidences royales environnantes, Philippe le Hardi s’assura en outre plusieurs logements dans ce secteur . Depuis son mariage en , il bÊnÊficiait dÊjà de certaines demeures appartenant à son beau-père – dont il hÊrita en –, l’hôtel d’Artois, mais aussi le manoir de Conflans, situÊ sur les bords de la Marne et proche du bois de Vincennes, alors qu’il avait dÊjà achetÊ en , non loin de là , la rÊsidence agreste de Plaisance, dans la paroisse de Nogentsur-Marne. Il la revendit à Charles V en mais, dès , le jeune Charles VI restitua Plaisance au duc de Bourgogne. Par lettres patentes du novembre , le duc et la duchesse de Bourgogne organisèrent leur succession. L’une des clauses particulières concernait la rÊpartition de leurs rÊsidences parisiennes : Antoine, duc de Brabant, reçut l’hôtel de Flandre et le manoir de Plaisance, Philippe, comte de Nevers, celui de Bourgogne, tandis que leur hÊritier à la tête du duchÊ, Jean sans Peur, recueillait les hôtels de Conflans et d’Artois, ayant d’ailleurs lui-même prÊfÊrÊ ce dernier à celui de Flandre.
L’ H Ô T E L D ’A R T O I S
La constitution de l’hôtel des comtes d’Artois remonte à la fin du XIIIe siècle. Possesseur d’un simple logis situÊ entre les rues Mauconseil et PavÊe (actuelle rue Tiquetonne), Robert II, neveu de Saint Louis, acquit le mai une nouvelle maison jouxtant l’enceinte de Philippe Auguste, du côtÊ de la pointe Saint-Eustache. L’annÊe suivante, en dÊcembre , le comte acheta un jardin situÊ rue PavÊe, contre l’enceinte mais cette fois à l’extÊrieur. Par la suite, en une quinzaine d’annÊes, il Êtendit sa propriÊtÊ tant à l’intÊrieur qu’à l’extÊrieur du rempart. Puis, sa fille, Mahaut d’Artois, nÊgocia deux autres maisons rue PavÊe, en et . Des travaux d’amÊnagement et de construction suivirent ces acquisitions. Le mars , Guillaume de Charny, bourgeois de Paris, reçut la somme de l. p. pour des ouvrages en l’hôtel du comte. La même annÊe, il est question de la destruction d’une tourelle alors qu’on intervient sur plusieurs bâtiments : grande salle, chambre pourvue d’une cheminÊe, chapelle, cuisine, etc.
155
LES DEMEURES PARISIENNES DU DUC DE BERRY ET L’HÔTEL DE NESLE THOMAS RAPIN
Fig. 149 L’hôtel de Nesle au dÊbut du XVIe siècle. DÊtail du plan de Bâle. Bibl. univ. de Bâle, AA 124.
REGARDS
160
SUR
L’ARCHITECTURE
Jean de France ( - ), frère du roi Charles V, duc de Berry et d’Auvergne, comte de Poitou, bien connu pour ses palais et châteaux du centre de la France, rÊsidait en fait principalement à Paris. Le cÊlèbre mÊcène s’y plaisait au point de provoquer chez Henri Sauval ce commentaire ironique :  Voilà bien des palais pour être si proches les uns des autres, pour un seul prince, quelque grand qu’il fÝt. Mais peut-être alors Êtoit-ce la mode ?  . Effectivement cette pratique Êtait largement rÊpandue au sein de la haute aristocratie. D’ailleurs l’initiative en revenait souvent au souverain lui-même et parfois à grands frais pour le TrÊsor royal. Les donnÊes fournies, essentiellement par le TrÊsor des chartes et par les censiers, permettent de dÊnombrer huit rÊsidences intra-muros acquises par Jean de Berry à proximitÊ du Louvre, du palais de la CitÊ et de l’hôtel de Saint-Pol. Parmi ces logis – dont l’histoire est rÊsumÊe sur la carte (fig. 150) et le tableau ci-dessous – seul l’hôtel de Nesle tint le rôle de vÊritable rÊsidence, tandis que plusieurs demeures situÊes hors les murs servaient plus occasionnellement : les hôtels de la Grange-auxMerciers et l’hôtel de Bicêtre. C’est effectivement à Nesle que le prince tenait sa cour et recevait ses hôtes, et c’est aux abords de l’hôtel, notamment dans le bourg de Saint-Germain-des-PrÊs,
que ses grands officiers et ses services domestiques s’installèrent . Source de confusion de la part des historiens, le nom d’hôtel de Nesle Êtait aussi portÊ, aux XIIIe et XIVe siècles, par une rÊsidence royale de la rive droite autrement dÊsignÊe hôtel de Bohème et qui fut donnÊe au duc d’OrlÊans en . Il est fort probable que, dans ce même secteur, la prÊsence d’une autre rÊsidence de Jean de Berry (rue du Four) ajoutait à la confusion. Le octobre , le jeune Charles VI donnait au duc de Berry  trop petitement logÊ a Paris  sa maison de Nesle sur la rive gauche de la Seine à l’abri des murs de l’enceinte philippÊenne, relevant de la paroisse de Saint-AndrÊ-des-Arts et de la censive de Saint-Germain-des-PrÊs. L’Êtendue de la donation faite alors au prince est connue par un acte remontant à l’annÊe : la rÊsidence royale Êtait contiguÍ, d’une part, au chemin qui longeait l’enceinte depuis la tour de Nesle jusqu’au PrÊsaux-Clercs et, d’autre part, à la maison et au verger du gouverneur d’Artois, Miles de MÊsy, ainsi qu’aux vergers et jardins du collège de Saint-Denis et des Augustins. Un autre document ( ) nous apprend que la demeure Êtait dÊjà divisÊe en deux entitÊs : l’hôtel de Nesle, plus tard dÊsignÊ sous le terme de  grand Nesle , et le  petit Nesle  contigu à la porte de la ville . L’hôtel de Nesle Êtait probablement restÊ peu entretenu avant
L’HÔTEL DE CLISSON L’HÔTEL DE CLISSON ET SES VOISINS : ÉTUDE HISTORIQUE VALENTINE WEISS
SituÊ rue du Chaume – auj. partie de la rue des Archives –, à l’angle de la rue des Quatre Filz Hemon – auj. rue des QuatreFils –, l’hôtel de Clisson (fig. 152) – voir notice du rÊpertoire publiÊ sÊparÊment pour cet hôtel et tous les autres citÊs dans cet article – fait partie d’un vaste Îlot dÊlimitÊ à l’est par la rue Barbette – auj. rue Vieille-du-Temple – et au sud par la rue de Paradis – auj. partie de la rue des Francs-Bourgeois –, actuellement le quadrilatère des Archives nationales. L’espace est traversÊ d’ouest en est par une ruelle appelÊe rue du Petit Chantier et devenue plus tard rue de la Roche, dont le tracÊ est encore visible et qui Êtait à l’origine un cul-de-sac faisant issue rue du Chaume et butant sur les propriÊtÊs de la rue Barbette.
DES
SOURCES DÉCEVANTES
En comparaison de la notoriÊtÊ de ce qui fut la demeure d’Olivier de Clisson, connÊtable de Charles V, force est de constater que les documents historiques ou figurÊs sont minces pour l’histoire de l’hôtel avant son achat par le duc de Guise. Les archives concernÊes, dissÊminÊes, sont pour la plupart conservÊes dans les sÊries M et S des Archives nationales. Elles se limitent aux registres d’ensaisinements et aux documents domaniaux du Temple, auxquels s’ajoutent quelques actes, gÊnÊralement brefs : l’ensaisinement de Nicolas Braque en , l’autorisation par le Temple de clôturer la ruelle du Petit Chantier (fig. 153), la cession d’une parcelle par le Temple à Olivier de Clisson en pour l’Êdification de son hôtel (fig. 154), l’acquisition par Philibert Babou de La Bourdaisière en . Le rapport d’expertise de aux Êchevins sur l’adduction des eaux à l’hôtel de Clisson se trouve parmi les titres domaniaux de la sous-sÊrie Q (fig. 155), les lettres de remerciement de François de Guise aux Êchevins pour le rÊtablissement de la conduite d’eau en dans les papiers isolÊs de la sous-sÊrie AB XIX. ExceptÊ ce dernier, tous ces actes ont ÊtÊ ÊditÊs par LÊon Mirot dans l’Annuaire-bulletin de la SociÊtÊ de l’histoire de France de , qui comprend en outre de nombreuses transcriptions de documents domaniaux. Quelques rares documents conservÊs dans les titres de la famille d'Albret aux archives dÊpartementales des PyrÊnÊesAtlantiques donnent certains renseignements sur la propriÊtÊ après la mort de Clisson, principalement une transaction de et, surtout, un Êtat des rÊparations de , ÊditÊs par Paul Raymond dans la Bibliothèque de l’École des chartes en et .
Fig. 152 Vue de l’hôtel de Clisson, entrÊe sur rue. Š Cl. É. Hamon.
163
L’HÔTEL DE CLISSON ET SA PLACE DANS L’ARCHITECTURE DES ANNÉES 1400 PIERRE GARRIGOU GRANDCHAMP
Parmi les hôtels ÊdifiÊs durant la seconde moitiÊ du XIVe siècle dans le nouveau quartier à la mode, le Marais, non loin des rÊsidences royales, l’hôtel de Clisson Êtait un des plus cÊlèbres. Cependant, son architecture reste mÊconnue, bien que sa porterie (voir fig. ), pour le commun rÊsumÊe aux  tourelles , soit souvent citÊe. Pourtant, à la diffÊrences des hôtels des autres familiers de Charles V qui s’Êlevaient à proximitÊ, ceux de Bertrand Du Guesclin, Olivier de Mauny, Bureau de La Rivière, Silvestre de La Cervelle, Guy de Champdivers ou Jean Le Mercier, apparemment intÊgralement dÊtruits, celui d’Olivier de Clisson conserve de très importants vestiges, presque ignorÊs. En outre, des textes en offrirent des descriptions prÊcises un siècle après sa construction, en un temps oÚ il avait ÊtÊ encore peu modifiÊ, un peu avant le dÊbut des grandes transformations et des destructions que lui feront subir les Guise. Ils autorisent des hypothèses de restitution de son plan de masses . Quelles ont ÊtÊ les Êtapes et les raisons du relatif oubli dans lequel Êtait tombÊe cette belle rÊsidence aristocratique ? Que peut-on prÊciser sur son Êtendue, sa topographie et ses composantes ? En quoi la demeure d’Olivier de Clisson Êtait-elle reprÊsentative de la grande architecture rÊsidentielle de son temps ?
LES
Fig. 157 a : Plan de Saint-Victor, vers 1550, à partir d’une version des annÊes 15231530, dÊtail de l’hôtel de Clisson. b : plan de Quesnel, 1609, dÊtail de l’Hôtel de Clisson. c : plan de Vassalieu, 1609. REGARDS
168
SUR
L’ARCHITECTURE
É TA P E S
D’UNE REDÉCOUVERTE
L’hôtel de Clisson fut très cÊlèbre au temps de la splendeur du connÊtable et renommÊ pour l’Êclat de son dÊcor, à la mesure d’une fortune qui avait fait bien des envieux, jusqu’à irriter la colère des princes du sang. Par la suite, sans jamais disparaÎtre de la mÊmoire des Parisiens, il tomba dans un relatif oubli. Examinons le cas, d’abord dans la toponymie et sur les reprÊsentations de Paris, puis dans la littÊrature savante. Les constructions gardèrent le nom de Clisson, ou Clichon, durant près de deux cents ans, et le grand pourpris avec elles, jusqu’à ce qu’une très illustre famille, les Guise, y Êtablisse sa rÊsidence parisienne pour plus d’un siècle ( - ). C’est alors, à ce qu’il semble, que s’effaça le souvenir de la belle maison mÊdiÊvale, sans doute au rythme des transformations et du train de vie somptueux des nouveaux occupants, qui en firent un des pôles de la vie parisienne : l’hôtel de Guise, par ailleurs beaucoup plus vaste, s’Êtait substituÊ à l’hôtel de Clisson, dans les fastes architecturaux comme dans les fastes mondains. L’oubli ne pouvait qu’être confirmÊ lors d’un troisième acte monumental, celui de l’Êrection de l’hôtel de Soubise, rÊalisation de premier plan de la première moitiÊ du XVIIIe siècle. Dès lors, seules les  tourelles de Clisson  rappelaient encore le souvenir de la demeure du connÊtable.
LES CAVES DE L’HÔTEL DE CLISSON VIOLAINE BRESSON
Si la porterie de l’hôtel de Clisson situÊe le long de la rue des Archives et flanquÊe de ses deux ÊlÊgantes tourelles a fortement contribuÊ à pÊrenniser le souvenir de cet Êdifice fondÊ par le grand seigneur fÊodal Olivier de Clisson entre et au moins , la conservation exceptionnelle de ses caves a nettement moins attirÊ l’attention des spÊcialistes. Charles-Victor Langlois, en , puis Jean-Pierre Babelon, en , avaient tous deux dÊjà Êmis l’hypothèse que les niveaux de caves de l’ancien hôtel de Soubise, qui avait succÊdÊ à l’hôtel de Clisson puis à celui des Guise, conservaient d’importants ÊlÊments architecturaux datant de l’Êpoque d’Olivier de Clisson. NÊanmoins, seule une Êtude rÊcente a non seulement permis de confirmer que les caves sous l’ancien corps de logis principal de l’hôtel de Clisson avaient ÊtÊ en grande partie conservÊes, mais encore qu’elles
avaient largement intÊgrÊ dans leur bâti les vestiges de caves de maisons plus anciennes. Cette Êtude a ÊtÊ menÊe dans le cadre d’un groupe de recherches sur les caves parisiennes par le DÊpartement histoire de l’architecture et archÊologie de Paris, avec le concours de Valentine Weiss, conservateur du patrimoine aux Archives nationales , et de Jean-Denis Clabaut, spÊcialisÊ dans l’Êtude du bâti mÊdiÊval. Un grand ensemble architectural cohÊrent a ÊtÊ identifiÊ sous le corps de logis principal nord-sud de l’ancien hôtel de Soubise, parallèle à la rue des Archives et en limite orientale de la cour dite  de Clisson  (fig. 166). Il est constituÊ d’une grande pièce de , mètres de long sur de large en moyenne, divisÊe par huit murs diaphragmes en neuf travÊes (fig. 167). Chacun de ces murs diaphragmes est percÊ de deux arcs en berceau brisÊ et est parementÊ au moyen d’un appareil rÊglÊ, avec des assises en pierre de taille de calcaire à milioles et cÊrithes issu des bancs francs parisiens . Les arcs ne prÊsentent pas de chanfrein, ce qui conduit à dater cet ensemble de la fin du Moyen Âge, puisque le chanfrein est d’un usage presque systÊmatique à Paris aux XIIIe et XIVe siècles . La grande majoritÊ des pierres prÊsente des traces de bretture, un outil dont l’emploi s’est gÊnÊralisÊ en Île-de-France à partir du XIIIe siècle, avant d’être remplacÊ par la ripe à la fin du XVe siècle. Quatre-vingt-quatorze types de signes lapidaires diffÊrents ont ÊtÊ identifiÊs sur les murs de cette salle, pour
Fig. 166 Plan des ÊlÊments anciens ayant appartenu aux caves de l’hôtel de Clisson (la plupart des ÊlÊments architecturaux d’Êpoque moderne n’ont pas ÊtÊ figurÊs dans les caves mÊdiÊvales, pour une meilleure comprÊhension). Violaine Bresson, d’après un plan des Archives nationales. Fig. 167 L’un des murs diaphragmes de la cave principale de l’hôtel de Clisson. Š Cl. P. Saussereau, Ville de Paris.
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LES CARREAUX DE PAVEMENT DE L’ANCIEN HÔTEL DE CLISSON C AT H E R I N E B R U T
Les bâtiments dÊvolus au Archives nationales, appelÊs communÊment le  quadrilatère  par ses habituÊs, ont connu des transformations successives, incorporant les bâtiments anciens dans une trame de plus en plus serrÊe visant à gagner de la place. Le sol et le sous-sol ont de nombreuses fois ÊtÊ retournÊs sans ne jamais faire rÊellement l’objet d’une fouille archÊologique qui aurait permis d’en connaÎtre l’histoire passÊe et d’en lire les archives du sol. Les premiers bâtiments sont des maisons achetÊes par la famille de Braque et mentionnÊes au XIVe siècle. Elles sont cÊdÊes à Olivier de Clisson qui les transforme en hôtel parisien pour ses sÊjours dans la capitale royale. Les propriÊtaires suivants, les Penthièvre, le duc de Bedford lors de l’occupation anglaise de Paris pendant la guerre de Cent Ans, les Guise puis les RohanSoubise, vont transformer les bâtiments, densifiant l’occupation jusqu’à l’installation des Archives nationales dont les fonds ont besoin d’espace. De nouveaux bâtiments se construisent, occupant ce quadrilatère prestigieux qui abrite la mÊmoire tangible de l’histoire de France. La première mention d’une dÊcouverte est relatÊe par Eugène Viollet-le-Duc dans son Dictionnaire raisonnÊ de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, publiÊ en . À l’article  carrelage , qu’il dÊcrit  comme un assemblage de carreaux de pierre, de marbre ou de terre cuite , il donne une longue description de toute une sÊrie de carreaux de pavement mÊdiÊvaux dont les plus anciens sont conservÊs dans l’Êglise abbatiale de
Saint-Denis. Passant des carreaux de terre cuite, dÊcoupÊs pour former par assemblage des motifs, aux carreaux dont le motif est estampÊ, il mentionne en quelques lignes  deux portions de carrelages de cette Êpoque qui proviennent des fouilles exÊcutÊes en dans les jardins de l’hôtel des Archives à Paris (ancien hôtel Soubise), et dont les dessins rouges sur jaune sont exÊcutÊs avec une rare perfection. Des fragments d’une bordure bleue et blanche furent dÊcouverts en même temps . Cette courte mention est accompagnÊe de deux figures, numÊrotÊes et (fig. 172-173). La figure est un dessin de quatre carreaux assemblÊs prÊsentant un quart de motif avec un dÊcor stylisÊ de feuilles de vigne, d’une grappe de raisin et de petits quatrefeuilles stylisÊs dans un annelet et dans les Êcoinçons. La figure montre un carreau ornÊ, toujours sur fond jaune, d’un M gothique entourÊ de quatre lobes, trilobÊs, sÊparÊs par des pointes. Le M Êtant la devise d’Olivier de Clisson, ces carreaux ont ornÊ les sols de l’hôtel particulier du connÊtable. L’indication du jardin de l’hôtel des Archives pour ces fouilles exÊcutÊes en n’est pas très prÊcis et ne permet pas d’en dire plus sur leur localisation d’origine, ni de savoir s’ils sont en remploi dans un pavement postÊrieur. La bordure bleue et blanche, si elle indique des carreaux de faïence, reste Êgalement trop imprÊcise pour aller plus loin. Bien que ces carreaux ne soient pas rÊpertoriÊs dans les collections des Archives nationales et que leur localisation n’ait pas ÊtÊ identifiÊe, ils ont servi de rÊfÊrence pour dater d’autres
Fig. 172 Dessin de quatre carreaux de pavement dÊcouverts dans les fouilles exÊcutÊes en 1840 aux Archives nationales. Extrait de Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonnÊ de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, t. 2, p. 274, fig. 14. Ces carreaux ne sont pas localisÊs. Fig. 173 Dessin d’un carreau de pavement portant un M, devise d’Olivier de Clisson et dÊcouvert dans les fouilles exÊcutÊes en 1840 aux Archives nationales. Extrait de Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonnÊ de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, t. 2, p. 275, fig. 15. Ce carreau n’est pas localisÊ.
183
L’HÔTEL PARISIEN SOUS CHARLES VIII ET LOUIS XII ÉTIENNE HAMON
Le tournant des XVe et XVIe siècles constitue un moment privilégié pour l’étude de l’architecture parisienne de la fin du Moyen Âge puisque cette période à laquelle appartiennent la majorité des églises gothiques en place est aussi celle au cours de laquelle bon nombre de grandes demeures médiévales que nous connaissons de vue ou de mémoire ont été créées : celles ayant conservé, par-delà les inévitables remaniements, des disposiFig. 178 Hôtel de Sens. © Cl. M. Paturange, Arch. nat.
REGARDS
186
SUR
L’ARCHITECTURE
tions proches de celles d’origine comme les hôtels de Sens, de Cluny, Hérouet (fig. 178 à 181) ; celles victimes du vandalisme plus ou moins radical des XIXe et XXe siècles, période marquée par les hésitations quant aux noms des véritables bâtisseurs, comme pour les hôtels Le Gendre (alias La Trémoille), de Sansac (alias Tison) et d’Aumont (alias La Vieuville) [fig. 185, 191 et 265] ;
LA MAISON PARISIENNE À PAN DE BOIS DE L’ÉPOQUE GOTHIQUE TARDIVE : RESTITUTION DU PROCESSUS DE MISE EN ŒUVRE
JACQUES FREDET
MORPHOLOGIE
D E S CO R P S D E B Ă‚T I
Page de droite Fig. 197 Plans, coupes et ÊlÊvations de la maison type. Dessins J. Fredet. Fig. 198 ÉcorchÊ de la maison type de l’Êpoque gothique tardive. ModÊlisation Olivier Netter. REGARDS
198
SUR
L’ARCHITECTURE
La parcelle foncière de la maison que nous allons dÊcrire a pieds de large ( , m) par pieds de profondeur ( , m) [fig. 197 et 198]. Elle est situÊe sur une rue secondaire dÊbouchant sur une rue fondatrice, telle que la rue Saint-Martin ou SaintAntoine et sur laquelle on trouve successivement : ¡ un corps de logis principal entre rue et cour, d’environ pieds hors œuvre ( m), double en Êpaisseur, avec façades en pan de bois apparent de pieds de haut ( toises, , m), prÊsentant pignons sur rue et sur cour, de profil tiers-point ou ÊquilatÊral, deux travÊes de baies rÊglÊes sur rue et une travÊe de baie sur cour. Ce corps, divisÊ en trois travÊes de planchers composÊs, apparents, comporte une boutique au rez-de-chaussÊe, une petite porte dÊgageant une allÊe d’accès latÊrale desservant la cour et la cage d’escalier ; l’ensemble est surmontÊ de deux Êtages carrÊs d’habitation, de hauteurs dÊcroissantes, et d’un Êtage de comble habitÊ, surhaussÊ, à deux versants symÊtriques perpendiculaires aux murs de face. Les travÊes de poutres maÎtresses portent parallèlement à ces murs, de même que les chevrons formant fermes du comble, tandis que le couvrement des caves se fait par un berceau en plein cintre pontant en sens contraire ; ¡ une tourelle d’escalier hors œuvre, en pan de bois, desservant ce corps de logis ainsi que le suivant et recevant un escalier à vis montant de fond, à noyau plein, charpentÊ. La vis communique par quelques degrÊs avec une galerie ajourÊe en pan de bois, desservant le corps de logis du fond ; elle se prolonge en sous-sol par une descente de cave en maçonnerie ; ¡ un corps de logis sur cour, adossÊ en fond de parcelle, simple en Êpaisseur, d’environ pieds hors œuvre ( , m), avec façade en pan de bois apparent, comportant atelier ou remise au rez-de-chaussÊe, un Êtage carrÊ d’habitation couvert d’un comble surhaussÊ, à deux versants parallèles au fond de parcelle avec lucarne de chargement à chevalet, en pÊnÊtration dans ce comble. Les planchers sont faits de cours de solives portant entre la façade et le fond de parcelle, de même que les chevrons formant fermes à entraits retroussÊs du comble.
LE
PA N D E B O I S PA R I S I E N
À LA FIN DE L’ÉPOQUE GOTHIQUE
Au dÊbut du XVIe siècle, on utilise conjointement à Paris deux procÊdÊs pour construire les pans de bois. Le premier, frÊquemment rencontrÊ dans les murs de face, se sert de poteaux montant de fond, continus de bas en haut, aux extrÊmitÊs des pans ainsi qu’à leurs changements de direction. Ils sont Êtablis sur des socles en maçonnerie et s’Êlèvent d’un seul tenant sur la plus grande longueur de bois possible qui correspond gÊnÊralement à un peu plus de deux Êtages, avec assemblages bout à bout appelÊs entures, selon l’axe des poteaux. Les sablières hautes, pièces de charpente disposÊes horizontalement, servent à porter
ENTRE GOTHIQUE ET RENAISSANCE : LA DEMEURE PARISIENNE DES ANNÉES 1510-1530 ÉTIENNE HAMON
De ces maisons fut faicte une citÊ, Et des citez fut un royaulme faict : Beaucoup vault donc de la maison l’effect, Veu que de soy petit de lieu contient Et touteffois grand empire soustient.
Lorsqu’il compose ses vers en en tête de ses Blasons domestiques , Gilles Corrozet songe sans le dire à Paris qui a retrouvÊ sa forte densitÊ urbaine, gage pour les contemporains de prospÊritÊ et de grandeur politique. La maison idÊale dont il dÊcrit les techniques, la distribution et l’amÊnagement intÊrieur est sur bien des points celle des gÊnÊrations passÊes. Son dÊcor en revanche est marquÊ par un nouveau rÊpertoire : l’Antique. Entre l’achèvement vers des grands hôtels gothiques flamboyants conservÊs et les premières grandes rÊalisations à l’Antique du règne de François Ier consÊcutives du retour de la Cour à Paris en , une vingtaine d’annÊes se sont ÊcoulÊes, moins fÊcondes que les dÊcennies prÊcÊdentes en raison du retour des ÊpidÊmies ( , ), des accidents Êconomiques ( - ) et des alertes politiques (captivitÊ du roi en ), mais encore portÊes par le dynamisme de la reconstruction. Desservi par l’absence d’œuvres majeures conservÊes et de relevÊs systÊmatiques des sources notariales , ce mouvement reste à ce jour plus difficile à apprÊhender que celui des pÊriodes qui l’encadrent . Son bilan apparaÎt pourtant, numÊriquement et qualitativement, dÊterminant au regard de l’histoire de l’architecture car, bien plus radicalement que dans d’autres villes oÚ ces mutations furent souvent lentes, la grammaire de l’architecture s’est alors transformÊe en profondeur. DÊmentant sa rÊputation de conservatisme, l’architecture religieuse a d’ailleurs ÊvoluÊ au même rythme ; que l’on en juge au chemin parcouru entre le chevet de Saint-Merry projetÊ peu avant – et dont le presbytère qui subsiste au sud doit être contemporain – et celui de Saint-Eustache entrepris en . Dans ce laps de temps assez court, le statut, les fonctions et la morphologie de la demeure parisienne n’ont pas ÊtÊ bouleversÊs. Mais les tendances de la gÊnÊration prÊcÊdente se sont affirmÊes dans la plupart des rÊalisations. Le dÊcor et son Êconomie ont en revanche brutalement mutÊ au point de modifier en profondeur l’aspect de la demeure, du moins celle d’un certain rang. REGARDS
212
SUR
L’ARCHITECTURE
MAĂŽTRES
D’OUVRAGE
ET MAÎTRES D’ŒUVRE
Cette vitalitÊ s’appuie sur une maÎtrise d’ouvrage à la base sociologique renouvelÊe. Sensible dès le dÊbut des annÊes , l’attrait de Paris s’est renforcÊ au dÊbut du règne de François Ier de la part des premiers cercles de l’administration dans lesquels les notaires et secrÊtaires du roi occupent une place grandissante : entre alors en scène la nouvelle gÊnÊration des Morelet de Museau, Jean RuzÊ, Nicolas de Neufville, Jean Grolier, Gaillard Spifame, bientôt rejoints par le berruyer Philibert Babou qui achète l’hôtel de Clisson en . Ils partagent une solide expÊrience de la commande architecturale, à Paris et ailleurs puisqu’ils ne sauraient dÊroger au principe du couple  hôtel urbain – maison des champs  . Neufville, qui a hÊritÊ ce goÝt de son oncle Pierre Le Gendre, et Babou formeront le premier noyau de l’administration des bâtiments du roi après et ils auront pour successeur un ancien clerc des jurÊs maçons et charpentier à Paris, Pierre Des Hostels. Grolier sera l’homme de confiance d’Anne de Montmorency sur ses chantiers. En , Neuville a cÊdÊ au roi d’importants terrains aux Tuileries pour un projet d’installation de la reine mère . Et tous ont dÊjà prÊparÊ le terrain au retour de la Cour à Paris par leurs propres commandes. Dans un contexte oÚ les entrepreneurs sont à l’avant-scène des grands travaux, peu d’entreprises connues sont associÊes, dans les sources, à des architectes de renom. Ainsi Pierre Chambiges qui se distingue après dans la construction de châteaux en Île-de-France, n’est encore repÊrÊ que sur des chantiers d’Êglises ou pour des expertises. Dominique de Cortone travaille Êpisodiquement à Paris mais ce n’est qu’en qu’il y fait son grand retour en donnant les plans de l’hôtel de Ville . Son successeur comme maÎtre des œuvres de maçonnerie du roi, Guillaume de La Ruelle, est un entrepreneur courtisÊ par l’aristocratie dès les annÊes , mais ses talents d’architecte restent à dÊmontrer. Il en va de même pour Jean Boucher (†), maçon attirÊ de Jean RuzÊ depuis les annÊes , qui doit lui aussi sous-traiter les ouvrages de taille de pierre à son frère Louis. Celui-ci jouit cependant d’une certaine notoriÊtÊ auprès des milieux de la chancellerie et des finances puisque Gilles Berthelot, bâtisseur d’Azay-le-Rideau, l’emploie aux travaux du collège de la Merci.
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V. MOBILIER ET DÉCOR INTÉRIEURS ÉTIENNE HAMON
En franchissant la porte d’entrée du logis, l’historien de la demeure médiévale parisienne pénètre un univers aux repères plus familiers que sont pour lui les formes architecturales qui se dérobent souvent au regard. Les sources écrites décrivant le mobilier d’une maison, prolixes, laissent l’impression rassurante de pouvoir appréhender dans tous ses détails une culture matérielle à laquelle objets et images connus donnent corps. Les objets conservés en quantité dans les musées sont peu dénaturés ; l’iconographie qui s’y rapporte est riche. Mais il s’agit là, à bien des égards, de faux-semblants. L’exhaustivité de ces innombrables inventaires (levés après un décès généralement) n’est qu’apparente puisque les immeubles par destination leur échappent, tout comme les objets d’usage courant. Une grande incertitude – amplifiée par l’emploi encore très limité à Paris de marques de fabrication – règne aussi quant à l’origine et à la représentativité de ces pièces de musées, presque toutes sorties désormais d’un contexte souvent impossible à restituer. En témoignent les zones d’ombre qui entourent encore la provenance de la suite tissée de la Dame à la licorne du Musée du Moyen Âge, dont on peut raisonnablement supposer qu’elle a orné une grande demeure parisienne au début du XVIe siècle. Ont donc été privilégiés ici des éclairages sur les aspects du mobilier et du décor qui contribuaient le plus directement à l’embellissement du cadre de vie alors qu’ils étaient souvent les moins prisés des enquêteurs, dans tous les sens du terme. On s’attardera ainsi sur ce qui forme, à nos yeux, des « œuvres d’art » au détriment, soyons honnêtes, des vraies richesses domestiques de la société urbaine médiévale : linge fin, vêtements de prix, vaisselle d’argent, réserves alimentaires qui occupent la plus grande partie de ces énumérations… Mais avant cela, on s’appliquera à restituer le mobilier type d’une demeure parisienne de la fin du Moyen Âge avec sa répartition dans la maison. La concordance entre les textes et les objets connus y invite tandis
que les sources iconographiques, dont la rareté des repères locaux est palliée par les vastes corpus étrangers, montre le soin mis dans le positionnement de chaque objet et dans ses rapports avec les ouvertures. Cette period room virtuelle est aussi l’occasion d’évoquer un phénomène muséographique universel issu d’expériences individuelles remontant aux premiers courants du romantisme et nourri de modèles graphiques diffusés dans certains milieux artistiques « nostalgiques » depuis la Renaissance. L’accent a aussi été mis sur l’approche professionnelle à travers un essai de définition du rôle et des compétences du principal artisan – et parfois artiste – du décor de la demeure parisienne, le menuisier. Non seulement parce qu’il meuble la maison d’objets fonctionnels et parfois décoratifs, mais aussi parce qu’il l’équipe d’huisserie et de revêtements muraux qui en améliorent le confort. D’autres types d’objets vont combiner, à partir du XIVe siècle, les fonctions de confort et d’enrichissement visuel du cadre de vie. C’est le cas du vitrail, incolore ou peint, et des tentures de toile ou tissées, décoratives ou figurées. Ils offrent une alternative à la peinture murale qui semble décliner au XVe siècle, à supposer que le mutisme des sources ne soit pas trompeur. Sans rôle fonctionnel ni intérêt pour le confort des occupants, et souvent sans valeur marchande, les images de dévotion sculptées mettent en scène dans l’espace les croyances les plus intimes des habitants. S’agissant d’une époque où l’art de la capitale se nourrit de multiples courants européens, les rapprochements entre les objets énumérés dans les textes et les œuvres plastiques conservées sont incertains. L’histoire de l’art avance rapidement dans ce domaine, avec parfois le concours de l’archéologie du sol. Si aucune fouille de maison n’a permis de mettre au jour des chefs d’œuvres comparables à ceux découverts dans les opérations du Grand Louvre depuis trente ans, la plupart des sites domestiques ont livré du mobilier de table ordinaire, en terre cuite et en bois, qui offre désormais un émouvant éventail des éléments les plus usuels qui soient de la civilisation matérielle urbaine médiévale.
Fig. 222 Robert Campin, Annonciation, panneau central du triptyque de Mérode vers 1425. © The Metropolitan Museum of Art, dist. RMN / image of the MMA.
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LE MOBILIER D’UNE DEMEURE PARISIENNE AU XVe SIĂˆCLE MONIQUE BLANC
L’architecture parisienne sous le règne de Charles V fut novatrice et rÊvolutionnaire. Le roi, suite à la rÊvolte de la Jacquerie de au Palais de la CitÊ, fait construire l’hôtel Saint-Pol et rÊnover le Louvre. Dès le XIVe siècle, la noblesse et la riche bourgeoisie, dont font partie magistrats, notaires, secrÊtaires des finances, trÊsoriers, suivent les nouvelles tendances et adoptent les modes en usage à la Cour, tel maÎtre Jacques DuchiÊ qui se fit construire un hôtel particulier, rue des Prouvaires à Paris, particulièrement sophistiquÊ avec salle de jeux, salle de musique, une Êtude dont les parois Êtaient couvertes  de pieres precieuses et d’espices de soueve odeur , une chambre haute ou solarium qui servait de salle à manger . Guillebert de Metz en fait l’Êloge en dans sa Description de Paris :  les oiseaux dans la cour, la salle d’entrÊe, les instruments de musique, les jeux de toutes sortes, la chapelle, le cabinet d’Êtude, les lits, les tables sculptÊes, les tapis qui les couvraient, les fourrures, les armes, les salles hautes  . Cet auteur flamand, libraire du duc Jean de Bourgogne, dÊcrit aussi l’hôtel de Digne Responde, rue de la Vieille Monnaie, et l’hôtel de Bureau Dampmartin, rue de la Courroirie, qui abritait un poète cÊlèbre, Laurent du Premierfait (voir fig. ). La clientèle du marchand Digne Responde Êtait pour le moins prestigieuse. Parmi elle, le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi :  payÊ à Digne Responde marchant et bourgeois de Paris pour trois pièces de drap d’or de Chippre‌  . À partir du XIVe siècle, on assiste à une explosion des Êtoffes et des tissus coÝteux qui font partie intÊgrante du mobilier. Le lit et la cathèdre prÊsentÊs dans l’exposition des Archives nationales (fig. 223 et 224) ont appartenu au château auvergnat de Villeneuve-Lembron. Il Êtait la propriÊtÊ de Rigault d’Oureille, sÊnÊchal de Gascogne et de l’Agenais, maÎtre d’hôtel et diplomate des rois Charles VIII, Louis XII et François Ier, mort en . Dans ce château, le corps de logis distinct des communs comporte un rez-de-chaussÊe avec une galerie, aux extrÊmitÊs de laquelle deux escaliers à vis conduisent aux salles du premier Êtage : trois grandes salles (ou tinel), une chambre de parement avec une vaste cheminÊe, une chambre de retrait, une antichambre, une garde-robe, un cabinet, une salle d’Êtude. L’amÊnagement intÊrieur du château de Villeneuve rÊpond globalement à ce qui se fait à Paris, à Bourges ou en Normandie à la même Êpoque. L’accent est mis sur des ÊlÊments de prestige tels que la vis desservant les Êtages, la galerie en façade et la chapelle . La chambre (camera) est une pièce essentielle de la demeure, MOBILIER
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qui en compte plusieurs, plus ou moins privÊes selon leur destination et leur situation. La chambre de retrait (retro camera) est en principe rÊservÊe à la famille et aux proches. On peut y recevoir, lire, Êcrire, s’y baigner, y prendre ses repas, accoucher, mourir :  en la chambre oÚ ledict deffunct est allÊ de vie à trespas estant au-dessus de la salette fut trouvÊ ung banc à perche de huit piedz de long à ung guichet à l’ung des boutz fermant à clef et taillÊ à feuillaiges, une table à deux parements de la dicte longueur et trÊteaulx à entretoise, le tout de boys de chesne  . L’ensemble de l’espace s’organise autour du lit, le premier et le plus confortable de tous les meubles, il fait l’objet d’un grand soin. La chambre peut être composÊe d’un lit principal à ciel (ou demi-ciel) et  dossiel  en Êtoffe et d’une  couchette  parfois surmontÊe d’un pavillon confectionnÊ dans un beau damas ou une belle soierie ; au sol, des tapis turcs sur un plancher de bois ou de paille tressÊe ; à la droite du lit, une chaire à haut dossier souvent pourvue d’un coffre dissimulÊ sous le rabat de l’assise :  Une grant selle (chaise seigneuriale), une petite chaise à femme couverte de cuir courtepoinctÊ  ou d’un fauteuil en X (sedia dantesca) ou encore à dossier incurvÊ. Vers la fin du XVe siècle apparaissent les lits à colonnes encore rares à cette Êpoque. La period room, dite Raoul Duseigneur, au musÊe des Arts dÊcoratifs, en possède un à deux colonnes sculptÊes de fines torsades rythmÊes par des fleurs de lys, boules, losanges, feuilles de palmier et Êcusson armoriÊ du propriÊtaire des lieux :  d’azur à la bande fuselÊe de sable, posÊe de travers  ; les custodes (ou courtines) coulissent sur des verges en fer composÊes d’anneaux et fixÊes sur la retombÊe du dais sculptÊ de motifs à remplages. Les couleurs vives choisies pour ce lit rÊvèlent le goÝt prononcÊ au Moyen Âge pour la lumière. Notons que la majoritÊ des lits au XVe siècle sont dotÊs d’un dais en tissu rigidifiÊ par des artibois, le tout rattachÊ au plafond par des crochets qui le soutiennent. Le caractère privÊ d’une chambre peut être renforcÊ par la prÊsence de latrines dont l’usage tend à se gÊnÊraliser au XVe siècle. Entre le mur et le lit, se situe la ruelle ou venelle souvent ÊclairÊe par un pot de terre rempli de suif qui se consumait lentement et donnait un repère dans la nuit ; le dressoir se trouve Êgalement non loin du lit, gÊnÊralement contre un mur, mais aussi au milieu d’une chambre à vantaux latÊraux fermant à clef, on y pose souvent une aiguière et un verre ; le coffre se situe gÊnÊralement au pied du châlit, la scabelle, lÊgère et mobile, se dÊplace d’autant plus
LA PERIOD ROOM MÉDIÉVALE AUX ARTS DÉCORATIFS ODILE NOUVEL-KAMMERER
Lorsqu’Émile Peyre ( - ) lègue l’ensemble de sa collection d’art mĂŠdiĂŠval Ă l’Union centrale des arts dĂŠcoratifs, sait-il qu’il permettra d’ouvrir la première period room mĂŠdiĂŠvale de France ? L’UCAD achève alors les travaux d’installation de ses salles en vue de l’ouverture du musĂŠe en au pavillon de Marsan. La question des ÂŤ ensembles dĂŠcoratifs Âť avait fait l’objet de vifs dĂŠbats depuis au sein de la Commission du musĂŠe, nourris par l’ouverture massive, dans les pays anglo-saxons, de period rooms jugĂŠes excessives et factices par les esprits cultivĂŠs et positivistes français : cette nouvelle mode avaitelle le sĂŠrieux scientifique que tout musĂŠe se devait d’offrir Ă
ses visiteurs ? Ou empruntait-elle aux mœurs mercantiles des antiquaires et des organisateurs des pavillons nationaux des expositions universelles ? La première installation de la chambre mÊdiÊvale met en scène le lit de parade aux armes de Rigault d’Oureille, provenant du château de Villeneuve-Lembron, un lit d’angle, la grande tapisserie Les BÝcherons, ainsi que d’autres tapisseries plus petites, une scabelle et une bancelle, seul meuble à être posÊ sur une petite estrade. Paul Vitry, conservateur au Louvre, note que l’intention est de donner aux collections  leur valeur d’enseignement mÊthodique et clair , et il ajoute prudemment :  Il est Fig. 225 La period room de l’UCAD en 1905. Š Cl. UCAD.
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LE MENUISIER, PRINCIPAL MAÎTRE D’ŒUVRE DU DÉCOR DE LA DEMEURE PARISIENNE ÉTIENNE HAMON
Mobilier, lambris, huisseries : dans une demeure parisienne souvent avare en fantaisies monumentales, les ÊlÊments du second œuvre ou le mobilier en bois jouent un rôle dÊcisif dans le confort et l’agrÊment de la vie quotidienne. En tÊmoignent abondamment les sources comptables et les inventaires depuis le dÊbut du XIVe siècle, puis les sources notariÊes à partir du XVe siècle. Elles montrent, notamment, combien le raffinement du dÊcor mobilier ou mural en bois fut l’un des traits marquants de l’amÊnagement intÊrieur des palais et hôtels princiers sous Charles V et Charles VI à Paris et dans les environs, comme les rÊcentes dÊcouvertes effectuÊes sur les murs du château de Vincennes en ont apportÊ la preuve matÊrielle. Les tÊmoignages historiques relatifs à l’hôtel aristocratique et à la maison confirment l’ampleur du phÊnomène. Du dÊbut du XIVe au dÊbut du XVe siècle, l’Êlite plÊbiscite les grandes salles lambrissÊes : Mahaut d’Artois (hôtel d’Artois), les comtes de Dreux (hôtel d’Ardoise), le duc de Bourgogne (hôtel de La TrÊmoille), Louis d’OrlÊans dans ses diverses demeures etc., et couvre de la même manière ses plus belles chambres et chapelles, comme peut-être à Clisson. Par leur coÝt modÊrÊ en raison de l’abondance du matÊriau et du nombre d’ouvriers qui le travaillent , le mobilier et le dÊcor de bois sont accessibles à toutes les classes de la sociÊtÊ urbaine. Au minimum, comme on l’a vu dans la contribution de Monique Blanc, chaque foyer possède une couche, une table à trÊteaux, quelques scabelles et un coffre, le tout pour une valeur de quelques livres. Les meubles plus ÊlaborÊs comme les dressoirs qui servent à exposer la vaisselle d’argent et des images de dÊvotion sculptÊes valent une trentaine de sous, plus si les serrures bÊnÊficient d’un traitement particulier . À cela s’ajoutent les indispensables huisseries et les Êventuels  porches  (dais ?) et cloisons. Pour satisfaire cette Ênorme demande, des dizaines d’artisans sont installÊs en ville et dans les faubourgs : une soixantaine de maÎtres sont nommÊs dans les statuts de , et plus de menuisiers de tous rangs ont ÊtÊ repÊrÊs pour les seules annÊes - . Cette production parisienne, qu’il est difficile d’identifier aujourd’hui dans la masse des œuvres mobilières rÊunies depuis deux siècles par les collectionneurs et les musÊes, reflète l’Êvolution des modes en matière de typologie et surtout de formes et de techniques, grâce à l’inventivitÊ et à la virtuositÊ de ses professionnels qui, pour leurs crÊations, avaient recours aux modèles et aux outils graphiques .
UN
LARGE PÉRIMĂˆTRE
D’INTERVENTION TECHNIQUE
ET GÉOGRAPHIQUE
Dans le Paris de la fin du Moyen Âge, la profession de menuisier (le terme dÊtrône à la fin du XVe siècle celui de  hucher  ou  huchier ) est, à l’instar de celle des peintres, polymorphe. Elle ouvre le champ à trois niveaux qualitatifs d’intervention : fabrication d’huisseries et de cercueils ; fabrication de meubles ou de dispositifs monumentaux à moulure ou dÊcor ; fabrication d’objets ou de dÊcor monumental figurÊ ou historiÊ. Et comme dans les arts figurÊs, les ouvriers les plus qualifiÊs n’ont pas renoncÊ à une production ordinaire. D’autres mÊtiers du bois opèrent aussi en marge de l’activitÊ des menuisiers, comme les charpentiers – dont les menuisiers-huchiers se sont sÊparÊs au dÊbut du XIVe siècle –, tourneurs (qui travaillent le  bois blanc ), chalissiers et facteurs d’instruments. Cette diversitÊ des acteurs de la production, et des objets en bois eux-mêmes, explique pourquoi la menuiserie parisienne est particulièrement encadrÊe et soumise à une dÊfinition assez stricte du pÊrimètre de ses interventions et de la qualitÊ des produits. Plusieurs fois rÊorganisÊs aux XIIIe-XIVe siècles , rÊunis dans une confrÊrie installÊe aux Billettes et dÊdiÊe à sainte Anne dont l’image figure sur les mÊreaux de la corporation (fig. 227), les mÊtiers de la menuiserie sont donc impliquÊs dans le contentieux commercial que nous rapportent les registres des justices spÊciales. La provenance et la qualitÊ des produits sont Êtroitement surveillÊes à Paris et dans les deux seigneuries ecclÊsiastiques oÚ ce mÊtier a reçu des statuts particuliers, Sainte-Geneviève et Saint-Germain-des-PrÊs. Les inspections dans les ateliers ou chez les particuliers constituent une part importante de l’action des
Fig. 227 MÊreau de la confrÊrie Sainte-Anne des menuisiers de Paris. D’après Forgeais 1862, p. 91-93.
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Fig. 230 L’atelier du menuisier. Enluminure de J. Bourdichon extraite de Les quatre états de la société, Tours, vers 1505-1510. ENSBA, Mn. mas 92.
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LA FENÊTRE ET SON VITRAGE MICHEL HÉROLD
Fig 233 Fenêtre provenant d’un immeuble dÊtruit de la commanderie SaintJean-de-Latran à Paris. Dessin de Viollet-le-Duc, Dictionnaire‌, article  Menuiserie , p. 376.
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 Le vitrail civil du Moyen Âge [‌] constitue un des nombreux chapitres du dictionnaire de nos ignorances. C’est sans doute parce qu’il s’est rendu pour ainsi dire invisible  . Cette sentence reste aujourd’hui parfaitement d’actualitÊ, en l’absence d’Êtude rÊcente. Pour Paris, les textes patiemment rÊunis livrent des renseignements Êpars, qui ne compensent pas la disparition de toutes les fenêtres de la fin du Moyen Âge, dont aucun exemplaire n’a ÊtÊ relevÊ dans des conditions satisfaisantes (fig. 233 et voir fig. ) . Les reprÊsentations des maisons dans les arts figurÊs offrent un secours relatif à une question complexe . La forme et la nature de la fenêtre correspondent à l’espace oÚ elle se trouve. Elles suivent une hiÊrarchie subtile en partie liÊe à la fonction du lieu, et diffÊrente selon le type d’architecture, sa richesse, le mode de sa construction, en pierre, ou en pan de bois. Une reprÊsentation fiable, semble-t- il, de maisons rue du Roi-de-Sicile, dans leur Êtat vers , insÊrÊe dans un vitrail de l’Êglise Saint-Jean-Baptiste de Nemours , montre clairement cette diversitÊ (fig. 234). Les documents l’attestent Êgalement, comme la description, en , des ouvertures percÊes en remplacement de trois baies dans le mur d’une maison rue du Feurre : il s’agit au rez-de-chaussÊe, en la  sallette , de deux  bees de fenestraiges  ; au premier Êtage est percÊe une  bee de fenestre  ; le second Êtage, pour sa part, possède une  croisee  et une  petite bee de fenestrage  . La structure de la fenêtre subit des contraintes liÊes aux questions de mitoyennetÊ. Une fenêtre ne donnant pas sur l’espace public ne doit ni pouvoir s’ouvrir, ni permettre de voir chez son voisin. Une sentence du Châtelet de condamne ainsi l’abbÊ de Cluny à faire transformer quatre fenêtres de son hôtel à Paris, devant la Sorbonne, donnant sur le jardin d’une maison rue du Foin appartenant aux mathurins, de façon qu’elles rÊpondent  aux us et coutumes de Paris  : elles seront  à verre dormant  et placÊes à pieds de haut du rez-de-terre et à pieds du rezde-plancher . Par ailleurs, les baux de locations de la fin du xve siècle prÊcisent parfois la nature juridique du vitrage en tant qu’immeuble : le bailleur doit veiller à son bon Êtat ; le locataire pour sa part est tenu de le rendre dans les mêmes conditions lors de son dÊpart . Il faut imaginer les fenêtres des maisons parisiennes fort diverses. Toutes ne sont pas dotÊes d’un vitrage. Les  châssis à coulisse , parfois mentionnÊs, sont des volets à glissières en bois plein . L’usage de la toile cirÊe ou du papier huilÊ reprÊsente une vÊritable alternative . Sans oublier la question du coÝt, ces clôtures, que posent les châssissiers, se voient attribuer
LES TENTURES DANS LA DEMEURE PARISIENNE À LA FIN DU MOYEN ÂGE CARMEN DECU TEODORESCU
Maniable, isolante et dÊcorative, la tapisserie joue un rôle capital dans l’esthÊtique et le confort de la demeure mÊdiÊvale parisienne depuis son apparition à la fin du XIVe siècle et jusqu’à l’Êpoque moderne . En possÊder une à la fin du Moyen Âge est toutefois le signe d’un rang social ÊlevÊ. En effet, son coÝt (env. l. p. l’aune à la fin du XVe siècle), justifiÊ en partie par la prÊsence de matÊriaux constituants chers comme la laine, la soie et parfois l’or et l’argent, restreint l’accès de la tapisserie à une Êlite. Sa fonction couvrante et mobilière en dÊtermine la forme, surtout carrÊe ou rectangulaire, ainsi que les dimensions, potentiellement importantes mais pas toujours adaptÊes aux espaces très contraints de la demeure urbaine. Le processus d’acquisition d’une tapisserie à Paris implique diffÊrents acteurs dont les noms, rÊseaux et implantation gÊographique sont aujourd’hui plus prÊcisÊment cernÊs ainsi que leurs interactions mutuelles . Plaque tournante pour le nÊgoce de productions nordiques dont certains marchands se sont fait la spÊcialitÊ – le cÊlèbre Nicolas Bataille à la fin du XIVe siècle –, la capitale accède à certains moments au rang de centre de production, notamment vers . L’acquÊreur aguerri ou occasionnel pouvait, de ce fait, passer commande auprès de personnes compÊtentes ou acheter directement sur le marchÊ des pièces dÊjà tissÊes, gÊnÊralement issues d’une production sÊrielle dont les mille-fleurs sont une parfaite illustration à la fin du XVe siècle . En marge des officines, la possession de dispositifs de confection comme le  metier de bois a faire tapisserie , inventoriÊ le septembre chez l’audiencier en la cour de l’officialitÊ de l’Êvêque de Paris Jean Valton, atteste de la pratique d’une fabrication domestique à caractère non commercial chez des individus Êtrangers à la corporation des tapissiers . Autant qu’il soit possible d’en juger à la lecture de sources documentant l’usage de la tapisserie dans la demeure parisienne, la prospÊritÊ du propriÊtaire n’impliquait pas obligatoirement l’ostentation : la tapisserie pouvait faire l’objet d’une utilisation restreinte dans le temps et l’espace. Ainsi, dans l’hôtel du trÊsorier Pierre Le Gendre, rue des Bourdonnais, les murs n’en Êtaient couverts que dans la chambre à coucher – à la fois chambre de rÊception et chambre de retrait – oÚ dix grandes pièces de tapisserie constituaient une chambre de tapisserie . Dans sa version complète, il s’agit alors d’un ensemble composÊ de tentures murales, d’une garniture de lit (ciel, dossier, courtines, couvertures), de coussins permettant de s’asseoir au niveau du sol (carreaux) et des banquiers faits pour amÊliorer le confort des bancs et des sièges. Les Êlites pouvaient en possÊder de un
à plusieurs exemplaires, cependant rarement exposÊs en même temps. Mis à l’abri dans des sacs ou pliÊs dans des coffres et armoires, comme chez le duc d’OrlÊans vers et encore chez Pierre Le Gendre en , ces textiles onÊreux n’Êtaient dÊployÊs qu’à l’occasion d’ÊvÊnements importants, fêtes ou cÊrÊmonies. En toute logique, il importait peu au propriÊtaire que la muraille de certaines pièces de son logis fÝt laissÊe à dÊcouvert du moment que l’essentiel de la vie privÊe et publique se dÊroulait dans un seul endroit de la maison ou de manière sporadique. À titre d’exemple, dans la rÊsidence parisienne du cardinal Rolin, souvent absent de la capitale, une seule chambre de tapisserie soigneusement rangÊe dans un coffre mais incomplète est inventoriÊe en , annÊe de la mort du prÊlat . En l’absence de leurs maÎtres, certaines riches demeures parisiennes semblent donc dÊpouillÊes non seulement du faste, mais aussi du nÊcessaire. C’est ainsi que Philippe le Bon se voit obligÊ d’envoyer en de la vaisselle et des tapisseries à Paris afin de parer l’hôtel d’Artois-Bourgogne, en vue d’une rencontre de ses ambassadeurs avec ceux de Charles VII . Et du côtÊ des rois de France, le nomadisme incessant qui caractÊrise la maison des Valois, la nÊcessitÊ de faire courir moins de risques de dÊgradation à une collection prestigieuse, ou tout simplement la commoditÊ du procÊdÊ, font qu’ils recourent souvent à la location comme celle contractÊe le juin auprès du tapissier Jean Passavant en vue du sÊjour de Louis XII à l’hôtel de Tournelles . L’unitÊ textile des chambres de tapisserie n’Êtait pas toujours respectÊe. À la lecture des inventaires, on est souvent surpris de voir se côtoyer dans une même pièce des tapisseries dont les prix pouvaient atteindre plusieurs centaines de livres et des tissus moins nobles comme le chanvre, le lin ou la serge. Aussi la chambre de tapisserie pouvait-elle être remplacÊe, au besoin, par un Êquivalent moins sophistiquÊ comme l’atteste l’ensemble en serge tendu dans une des pièces de l’hôtel parisien de Pierre Le Gendre . Plus qu’une dÊmarche Êconomique, peut-être s’agit-il d’une prolongation ou d’une rÊminiscence dÊcorative de l’ancienne chambre de parement tendue d’Êtoffes ordinaires, antÊrieure à l’apparition de la tapisserie et qui survit, à l’Êvidence, à la gÊnÊralisation de celle-ci. On notera Êgalement que dans les milieux modestes, à dÊfaut de textiles somptueux, on se contentait de recouvrir les murs et les meubles de simples courtepointes de toile blanche ou de couvertures de qualitÊ ordinaire . Sur le plan iconographique, les grandes sÊries tirÊes de la bible ou des romans historiques, apparues à la fin du XIVe siècle
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IMAGES DE DÉVOTION SCULPTÉES DANS LA DEMEURE PARISIENNE À LA FIN DU MOYEN ÂGE ET À LA RENAISSANCE MARION BOUDON-MACHUEL
Un peuple de statues, insaisissable aujourd’hui si ce n’est par les documents, habitait la maison parisienne des XVe et XVIe siècles. À l’extÊrieur, au-dessus du portail ou dans la cour, dans une niche ou sur une console, des sculptures participaient au dÊcor architectural, certaines, eu Êgard à leur sujet et à leur emplacement, jouant aussi un rôle de protectrices de la demeure. Dans l’espace intÊrieur, parmi d’autres ÊlÊments du mobilier – panneaux peints de dÊvotion, tapisseries, vitraux, orfèvrerie et meubles – des  images  sont parfois mentionnÊes dans les inventaires après dÊcès. Leur emplacement n’est pas rÊservÊ : elles trônent souvent dans la salle principale, et jusque dans l’intimitÊ de la chambre. Œuvres mobiles, les statues occupaient des niches, souvent au-dessus d’une porte, mais elles reposaient le plus souvent sur des petits meubles, pour l’essentiel des dressoirs. L’expression, à connotation gÊnÊrique, d’une statue  servant à mettre sur un dressoir , dans l’inventaire après dÊcès du vendeur de vin Jean George, en , suggère la frÊquence de cette disposition . La fonction dÊvotionnelle des sculptures conservÊes dans une chapelle ou un oratoire privÊ est sans ambiguïtÊ, mais ce type de salles Êtait gÊnÊralement rÊservÊ à des grandes demeures, celles des dignitaires de l’Église ou de l’État. Dans la chapelle de l’hôtel de Germain de Marle, conseiller et gÊnÊral des Monnaies du roi, dÊcÊdÊ en , est ainsi mentionnÊ un retable en albâtre surmontÊ, semble-t-il, de statues de saint Pierre et de saint ClÊment . Par leur importance, certains ensembles de sculptures Êtaient comparables à ceux que l’on pouvait trouver dans les Êglises. Celui de la chapelle que fit Êdifier Jacques d’Amboise dans l’hôtel des abbÊs de Cluny comprenait notamment un groupe de la Vierge de pitiÊ entourÊ de saint Jean et de Joseph d’Arimathie, des statues de saintes, mais aussi de membres de la famille d’Amboise . Dans les maisons plus modestes, les sculptures pouvaient remplir la même fonction. Il faut alors imaginer des œuvres de petites dimensions posÊes sur des dressoirs, l’ensemble faisant office d’oratoire ; certaines Êtaient surmontÊes d’un  chapiteau , soit un dais qui participait à les solenniser. Le Christ Êtait souvent reprÊsentÊ, notamment le crucifiÊ, mais le sujet de loin le plus frÊquent Êtait celui de la Vierge. Chez Germain de Marle, on n’en compte pas moins de quatre .
Fig. 237 Le retable de la DĂŠploration, Bourgogne, vers 1430-1440. MusĂŠe national du Moyen Ă‚ge, inv. cl. 23311.
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USTENSILES ET VAISSELLE EN USAGE À PARIS AU MOYEN ÂGE C AT H E R I N E B R U T
En dehors des carreaux de pavement provenant de l’ancien hôtel de Clisson, le musÊe des Archives nationales conserve un mobilier archÊologique cÊramique venant de travaux rÊalisÊs dans ses murs (fig. 239). L’ensemble est conservÊ sous la cote AE VIa . Il s’agit d’une boÎte à neuf compartiments avec des fragments de terre cuite et de cÊramique. Ces tessons, une fois triÊs, ont rÊvÊlÊ une cinquantaine de fragments de la seconde moitiÊ du XIVe siècle et une cinquantaine de fragments d’Êpoque plus rÊcente, datables du XVIe au XVIIIe siècle, dont une poterie anthropomorphe à pâte blanche et glaçure verte du Beauvaisis. La provenance de ce mobilier est indiquÊe par une inscription au crayon sur le côtÊ de la boÎte :  Tessons trouvÊs dans la Cour de Soubise en - . Si ces travaux restent difficiles à localiser, les tessons de terre cuite et les fragments de carreaux et de tuiles du XIVe siècle rÊvèlent un ensemble certes très fragmentaire mais contemporain des premières maisons de la famille de Braque ou de l’hôtel de Clisson, comparable au mobilier issu d’autres dÊpotoirs de la même Êpoque du Paris mÊdiÊval. Ces ensembles mobiliers, mis au jour au grÊ des fouilles archÊologiques, ressuscitent ces anciens tÊmoins, miroir de leurs occupants, de leur quotidien et de leur activitÊ.
Ville toujours en mutation, Paris possède un service spÊcialisÊ chargÊ d’en prÊserver la mÊmoire. La Commission du Vieux Paris, dont dÊpend le service archÊologique municipal (DHAAP) , œuvre ainsi, depuis plus d’un siècle, dans la capitale. Ce service a permis de mettre au jour quantitÊ de vestiges, reflets du Paris ancien . Si les niveaux mÊdiÊvaux sont le plus souvent très perturbÊs, les très nombreux dÊpotoirs et latrines, objet de fouilles archÊologiques de plus en plus nombreuses, ont livrÊ terres cuites et traces d’artisanat rÊvÊlatrices de l’activitÊ de la ville. À l’Êpoque oÚ se rÊpandait l’usage des pavements colorÊs, les tuileries fabriquaient Êgalement par milliers tuiles à crochet et tuiles faÎtières (voir fig. ) destinÊes aux toits des maisons, des hôtels, mais aussi aux collèges, abbayes et couvents de la ville. Les tuiles sont rarement retrouvÊes intactes, car elles faisaient l’objet de ce commerce de la rÊcupÊration qui caractÊrise le Moyen Âge. Deux exemplaires provenant de deux dÊpotoirs parisiens en sont nÊanmoins les rares tÊmoins. À côtÊ d’une vaisselle mÊtallique ou de bois comme les Êcuelles mises au jour lors des fouilles archÊologiques de la rue de Lutèce , les tables et les cuisines sont ÊquipÊes au Moyen Âge de pots de terre cuite aux formes et aux dÊcors variÊs produits majoritairement par des ateliers parisiens. Les potiers de terre sont connus grâce au Livre des mÊtiers. En , en effet, le prÊvôt royal Étienne Boileau recueille les statuts de plus de cent un mÊtiers parisiens reprÊsentant et touchant des activitÊs aussi variÊes que l’alimentation, l’habillement, l’armement, le bâtiment, les mÊtiers d’art et de luxe ou, plus simplement, la fabrication d’ustensiles de cuisine en bois, la chaudronnerie maniant le cuivre ou la poterie d’Êtain. Plus que le consommateur, ces règlements Êtaient surtout destinÊs à protÊger l’artisan installÊ alors dans les zones pÊriphÊriques, à proximitÊ des marchÊs et des grands axes de circulation facilitant l’approvisionnement en matière première, le transport et la commercialisation de leurs produits. Ainsi en est-il à Paris pour la zone d’habitat qui se dÊveloppe entre l’enceinte de Philippe Auguste, construite au dÊbut du XIIIe siècle, et l’enceinte de Charles V, bâtie à partir de . Cette zone de terrain d’environ cinq cents mètres entre les deux enceintes voit se construire des hôtels et se densifier l’habitat comme en tÊmoignent les maisons de la famille de Braque et l’hôtel de Clisson, mais aussi une maison avec cave, situÊe le long de la petite impasse Saint-Denis donnant sur la rue du même nom. Elle a fait l’objet de fouilles archÊologiques rÊalisÊes en par la Commission du Vieux Paris , lors de travaux dans le sous-sol de l’immeuble actuel. La cave, abandonnÊe vers le
Fig. 239 Tessons du xive siècle conservÊs au musÊe des Archives nationales et provenant de travaux rÊalisÊs en 1962 à l’emplacement de l’ancien hôtel d’Olivier de Clisson. 1. Couvercle de rÊchaud ; 2. Fragment de pichet à glaçure jaune et dÊcor horizontal à la molette ; 3. Fond de pichet ; 4. Fond de petite tasse à glaçure jaune ; 5. Rebord de poêlon ; 6. Col de petit pot à rebord arrondi ; 7. Fond de tasse en grès gris du Beauvaisis. Dessin Catherine Brut, Mairie de Paris.
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POSTÉRITÉ :
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VISIONS MODERNES
DU « VIEUX PARIS »
VI. POSTÉRITÉ : VISIONS MODERNES DU  VIEUX PARIS  ÉTIENNE HAMON
Faute de monuments assez nombreux et reprÊsentatifs de la complexitÊ et de la diversitÊ du bâti rÊsidentiel ancien, la perception que nous avons aujourd’hui de la demeure mÊdiÊvale parisienne dÊpend largement du prisme à multiples facettes des temps modernes. Si la pÊriode qui s’Êtend du milieu du XVIe à l’aube du XXe siècle a fixÊ la mÊmoire de cet objet, elle l’a aussi progressivement effacÊ du paysage. Les Êtapes de ce double processus sont donc contrastÊes et chaotiques. Les XVIe et XVIIe siècles voient se succÊder des zÊlateurs de la grandeur parisienne minÊe par les troubles politiques, comme Corrozet, et des historiens formÊs aux nouvelles mÊthodes de l’histoire, comme Sauval ou Brice qui confrontent les monuments aux sources Êcrites dont ils assurent, ce faisant, la conservation indirecte. Les Lumières du XVIIIe siècle, sauf exception, se montrent bien plus critiques envers les formes d’habitat du passÊ dont certaines sont alors mÊthodiquement ÊradiquÊes comme les maisons sur les ponts ; et elles inaugurent une mythologie qui corrompt durablement le discours archÊologique en associant sans prÊcaution des monuments et des figures historiques. La RÊvolution Êpargne les rÊsidences de l’aristocratie dont les plus anciennes acquièrent une dimension pittoresque. Elle ne s’applique pas pour autant à prÊserver les vestiges de ce passÊ, à quelques exceptions près comme pour le poteau cornier de l’arbre aux Singes qu’Alexandre Lenoir recueille dans la maison natale de Molière. En recul sous la Restauration, l’intÊrêt pour les vestiges mÊdiÊvaux gagne les Êlites de la Monarchie de Juillet. La vision nostalgique magnifiÊe par le romantisme de Notre-Dame de Paris ( ) irriguera la littÊrature jusqu’à la fin du siècle, le naturalisme y compris. Elle est relayÊe par l’imagerie populaire et par les illustrations plus savantes d’un  vieux Paris  de connaisseurs : Turpin de CrissÊ dÊdie au duc de Bordeaux ses Souvenirs du vieux Paris illustrÊs de dix-huit lithographies ( ). Les Anglais introduisent la couleur dans ces images de maisons anciennes, comme Shotter Boys ( ), et rÊhabilitent l’eau-forte qui conforte une vision plus sombre du Moyen Âge, comme Meyron ( ) et son Êmule française, Gabrielle Niel. La veine romantique, avec personnages mis en scène dans une ambiance intimiste, est encore sensible dans le Paris dans sa splendeur publiÊ en . Toute cette imagerie fixe les appellations fantaisistes ; les  maisons de
la Reine blanche  se multiplient. Le Second Empire, qui dÊtruit à grande Êchelle, encourage cependant le travail de relevÊ des archÊologues et des architectes, et il suscite campagnes photographiques et travaux historiques, comme ceux de Berty. Mais il faut attendre les dernières annÊes du siècle et la crÊation de la Commission municipale du Vieux Paris pour que la maison et l’immeuble courants soient l’objet d’attentions systÊmatiques. Cette commission assiste encore, impuissante, aux grandes opÊrations d’Êradication des ilots insalubres des annÊes . Mais dès lors, la demeure mÊdiÊvale parisienne devient un objet archÊologique aussi prÊcieux que les Êglises et les palais. Sur le terrain, le phÊnomène international que reprÊsente le renouveau de l’art mÊdiÊval au XIXe siècle se traduit, tout au long de ce siècle, par des vagues successives d’expÊriences inÊgales. La veine pittoresque produit des immeubles à dÊcor nÊogothique dès le premier Empire. Un second souffle crÊatif est trouvÊ dans les annÊes - oÚ se côtoient la rigueur archÊologique d’un Lassus et le pittoresque d’un Danjoy. Les Êmules de Viollet-le-Duc imaginent ensuite, ça et là , des crÊations singulières. Mais c’est vÊritablement la IIIe RÊpublique qui sème dans les arrondissements pÊriphÊriques des crÊations de tous styles mÊdiÊvaux et de toutes sortes : maisons, hôtels, immeubles collectifs en style du XIIIe, flamboyant ou composite, sans parler du rationalisme nourri de l’observation des techniques mÊdiÊvales ; le tout accompagnÊ d’un brusque essor de la production de meubles d’une qualitÊ discutable. Les conditions et les circonstances de cette diffusion à grande Êchelle ne sont pas encore toutes Êclaircies. ConcurrencÊ par l’art nouveau, le mouvement ne passe pas le tournant du siècle. C’est donc au moment oÚ ses derniers souvenirs authentiques s’effacent et oÚ le revival s’essouffle que la ville mÊdiÊvale renaÎt dans une  anticipation rÊtrospective . Le  Vieux Paris  reconstituÊ à l’exposition universelle de est l’œuvre d’un Robida à la fois dessinateur prolifique, visionnaire et thÊoricien du pittoresque de la ville mÊdiÊvale. Ses simulacres, comme les restitutions imaginÊes par Hoffbauer vingt ans plus tôt, assureront à la demeure mÊdiÊvale son entrÊe prÊcoce dans le rÊpertoire du dÊcor du cinÊma naissant ; dès chez MÊliès (Le roi du maquillage), et durant tout le XXe siècle de part et d’autre de l’Atlantique, jouant sur les ressorts puissants du pittoresque moyenâgeux mais selon des dÊclinaisons esthÊtiques des plus variÊes.
Fig. 244 Tourelle de l'hôtel de Sansac identifiÊe comme  Maison de l'amiral Coligny . Lithographie de Delpech sur un dessin de Th. Shotter Boys, dans Architecture pittoresque dessinÊe d'après nature, Paris, 1833.
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GUIDES ET LITTÉRATURE LA DEMEURE MÉDIÉVALE À PARIS DANS LES GUIDES DE L’ÉPOQUE MODERNE Marie HOULLEMARE
Les guides et autres descriptions de Paris, qui apparaissent au XVIe siècle, sont construits comme des discours historiques sur la ville. Celle-ci est prÊsentÊe comme un espace dense, en extension constante, marquÊ par le nombre ÊlevÊ de rues. Le plus ancien guide, celui de Gilles Corrozet ( ), se termine par une liste des rues divisÊes selon les trois parties de Paris : la CitÊ ; la Ville sur la rive droite ; l’UniversitÊ sur la rive gauche. Fig. 245 Vue gravÊe de l’abbaye Saint-Germain-des-PrÊs. Pierre BONFONS, Les Antiquitez et choses plus remarquables de Paris, Paris, 1608, p. 13.
POSTÉRITÉ :
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VISIONS MODERNES
DU ÂŤ VIEUX PARIS Âť
Cette nomenclature des rues, puis des Êglises, des collèges et des quartiers de Paris, est une vÊritable litanie visant à suggÊrer l’immensitÊ de la ville. La grandeur de celle-ci rÊside dans l’accumulation de ses maisons mais aussi dans son unitÊ : la blancheur du bâti est soulignÊe par Du Breul ( ) qui l’attribue à l’utilisation du plâtre tirÊ des plâtrières de Montmartre, en usage selon AndrÊ Thevet depuis , qui limite progressive-
LA MAISON MÉDIÉVALE DANS LA LITTÉRATURE DU XIXe SIÈCLE JOËLLE PRUNGNAUD
Que la littérature du XIXe siècle ait une prédilection pour les cathédrales et les châteaux forts n’est guère surprenant dans le contexte culturel du retour au Moyen Âge. Mais qu’en est-il des demeures proprement dites, c’est-à-dire de l’habitat domestique, de l’hôtel seigneurial prestigieux à l’humble maison du peuple ? Et qu’en est-il plus particulièrement à Paris ? Sous l’emprise de la mode troubadour qui sévit pendant la Restauration, la scène du mélodrame déploie de vastes tableaux dans le goût moyenâgeux plutôt que médiéval et les romans imités de l’anglais perpétuent les châteaux du genre sombre. Cette fabrique « de carton et de terre cuite qui n’a du Moyen Âge que le nom » , raillée par Théophile Gautier, gagne les intérieurs parisiens comme en témoigne le « boudoir gothique » de la comtesse Foedora, au « plafond formé de solives brunes sculptées », aux boiseries « artistement travaillées », aux vitraux « coloriés et précieux » . La fiction porte la trace de cet engouement mondain de la première moitié du siècle pour un gothique en réduction, rapporté à l’échelle domestique. Dans son roman satirique, Louis Reybaud se moque de la « maison Moyen Âge » née de l’imagination d’un architecte parisien « de l’école chevelue » : croisées à ogive et à tête de trèfle, meurtrières, tourelles en saillie, clochetons, toit en forme d’éteignoir, façade de pierre ouvragée comme une dentelle… tout est mis en œuvre à grands frais pour aboutir au « pastiche du plus mauvais goût » , où Jérôme Paturot, l’heureux propriétaire, est censé « respirer » le Moyen Âge à défaut de pouvoir y vivre. En réaction contre ces fantaisies néo-gothiques et sous l’influence du courant porté par Walter Scott, le drame romantique prône l’authenticité, exigeant des décorateurs de théâtre et d’opéra d’éphémères reconstitutions archéologiques. Le roman historique s’empare des icônes de l’architecture monumentale pour en faire le lieu de résidence de ses héros. Les protagonistes de Victor Hugo habitent véritablement la cathédrale Notre-Dame ; ceux de La Reine Margot logent dans l’ancien Louvre, cette forteresse bâtie au temps de Philippe Auguste, qu’Alexandre Dumas imagine truffée de chausse-trapes, couloirs et cabinets secrets. Pour exister dans l’imaginaire romanesque, le Paris médiéval ne doit pas seulement être une toile de fond, il doit être habité. Selon les besoins de la fiction, il sera rendu par la saisie panoramique du paysage urbain ou par la description détaillée de ses demeures singulières. Nul mieux que Victor Hugo, avec son goût pour l’architecture et son talent visuel, n’a réussi à combiner les deux approches et à tirer parti de sources savantes, sans briser l’essor de l’imagination, pour ressusciter sous les yeux du lecteur le Paris du
quinzième siècle. L’esquisse de sa physionomie générale « à vol d’oiseau », animée par le sens des lignes et des volumes, rythmée par le découpage du tissu urbain avec l’entassement des palais, les « grappes de maisons » qui « se pressent les unes sur les autres », l’ascension des tours, flèches et donjons, les rues « étroites et tortues », est ponctuée par une série de vignettes qui devaient inspirer les illustrateurs et les inviter à embellir encore des lieux disparus (fig. 247). Ainsi l’hôtel Saint-Pol est-il longuement décrit dans l’extravagance de ses luxueux ajouts, « excroissances hybrides dont la fantaisie des architectes l’avait chargé depuis deux siècles », ce qui aboutit à une représentation du palais de Charles V plus proche du fantasme que de la réalité historique (fig. 248). La quête du pittoresque et de la couleur locale conduit les romanciers de l’époque romantique à concevoir l’ancien Paris comme un cabinet de curiosités, avec ses loges de recluses, ses ponts garnis de maisons. La logette de la TourRoland, creusée dans la muraille de l’antique demeure devient l’improbable Trou aux Rats où languit la mère d’Esmeralda . Dumas place le logis de Maître René, parfumeur de la reine mère (comprendre empoisonneur), sur le pont Saint-Michel, arborant façade à pans de bois et devanture de boutique « aux
Fig. 247 Almanach pour 1843 inspiré de Notre-Dame de Paris, par Numa de Lalu. Maison de Victor Hugo.
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L’HABITAT NÉO-GOTHIQUE À PARIS AU XIXe SIÈCLE ANNE RICHARD-BAZIRE
du Caire est éclectique » . Nous sommes un an après l’expédition d’Égypte et les motifs égyptisants de la partie inférieure de cet immeuble situé au n° de la place du Caire, têtes de la déesse Hathor surmontées de petits mastabas et frise représentant l’armée égyptienne au combat, se mêlent dans la partie supérieure aux arcades gothiques reposant sur des colonnes à chapiteaux lotiformes et composites (fig. 251). Cet immeuble à loyer, le premier à Paris à présenter une façade néo-gothique ( ), est aussi une des premières manifestations de l’éclectisme architectural . D’inspiration gothique, la Maison des Goths construite avant au n° de la rue Saint-Martin, présentait avant sa démolition en une étroite façade de cinq étages, percée d’arcades brisées en tiers point, géminées aux derniers étages, lui donnant l’allure d’un palais vénitien. L’immeuble tirait son nom d’une frise en bas-relief proposant un abrégé de l’histoire des Goths qui ornait le premier étage. Légendée en caractères gothiques, cette frise évoquait l’Origine des Goths, la Trahison de Stilicon5 et l’Expulsion des Goths de Rome (fig. 252). L’immeuble à loyers, au programme contraignant, laisse peu de place à la fantaisie d’un décor médiéval. Deux immeubles
Fig. 250 Catalogue des établissements Dufayel. Coll. part. Debuisson. Fig. 251 Immeuble 2 place du Caire, Paris IIe, construit en 1799. © Cl. A. Berry, Arch. nat. Fig. 252 Maison des Goths, rue Saint-Martin, construite vers 1810 (disparue). B.n.F., Est., Va 247f fol., H 29849.
La Révolution française fut anti-médiévale par sa haine de la féodalité et de la foi chrétienne. « Tout semblait détourner la France du Moyen Âge » . La création du musée des Monuments français par Alexandre Lenoir, à l’encontre de la politique destructrice dont beaucoup de monuments du Moyen Âge avaient fait les frais, contribue en France, et à Paris notamment, à l’éclosion de cette mode médiévale qui connaît son apogée sous la Restauration. Si, depuis la Renaissance, la forme et les structures gothiques ont été conservées pour les églises, et si le naturalisme médiéval n’a pas disparu du répertoire décoratif des édifices, au XIXe siècle, l’architecture résidentielle parisienne se montre peu réceptive au néo-gothique qui se manifeste plus volontiers dans le décor intérieur (fig. 250) . Mais ce courant suscite cependant, en plusieurs temps, quelques réalisations originales.
LE
VISIONS MODERNES
DU « VIEUX PARIS »
ET LE STYLE TROUBADOUR
« Avant , on connaît peu de constructions néo-gothiques à Paris : la brasserie Weel, rue Richer, par Damesne, fait figure d’exception, mais l’élément gothique y est limité à une transposition de la travée serlienne, tandis que la façade de la place
POSTÉRITÉ :
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DÉBUT DU SIÈCLE
REDÉCOUVERTE : DESTRUCTIONS ET ARCHÉOLOGIE DESTRUCTION DE LA DEMEURE MÉDIÉVALE X I X e- X X e S I Ăˆ C L E S PIERRE PINON Il ne reste de maisons mĂŠdiĂŠvales, ou de tradition mĂŠdiĂŠvale, Ă Paris, que de très rares exemples dont les plus connus sont visibles rue de Montmorency ou rue Galande (fig. 260 et voir fig. ) . Comme, manifestement, il a existĂŠ au cours du Moyen Ă‚ge des milliers de maisons, la plupart en colombage, c’est autant de demeures qui ont disparu. La question est de savoir pourquoi, comment et quand elles ont ĂŠtĂŠ dĂŠmolies. Les causes peuvent ĂŞtre accidentelles ou volontaires. Peuvent dĂŠtruire des maisons, Ă Paris, des incendies ou des inondations. Les incendies ont ĂŠtĂŠ limitĂŠs dans la capitale, qui n’a pas connu de gigantesques brasiers comme Bourges en et , Toulouse en , et Poitiers en . On connaĂŽt l’inondation de , qui a entraĂŽnĂŠ la ruine de maisons, et l’effondrement du pont NotreDame et de ses soixante maisons en . Mais ces catastrophes sont très rares. Ce n’est pas parmi les causes accidentelles qu’il faut donc chercher. La raison première, c’est ce qu’on appelle le ÂŤ renouvellement Âť urbain. Un propriĂŠtaire choisit de dĂŠmolir sa maison pour la reconstruire, afin de moderniser son style, de la rendre plus confortable, rarement pour l’agrandir – sauf par surĂŠlĂŠvation – puisque le parcellaire foncier est particulièrement contraignant. Dans bien des quartiers, le dĂŠcoupage foncier est, au XIXe siècle, encore d’origine mĂŠdiĂŠvale. Et l’on voit dans un parcellaire laniĂŠrĂŠ, composĂŠ de lots ÂŤ gothiques Âť comme les appellent les chercheurs italiens, s’Êtablir aisĂŠment des maisons du XVIIe ou du XVIIIe siècle . Ă€ Paris, on trouve probablement assez peu de façades du XVIIIe siècle apposĂŠes Ă un gros Ĺ“uvre mĂŠdiĂŠval, comme c’est frĂŠquemment le cas en Flandres pour des maisons en briques ou en Bourgogne pour des maisons en pierre. Manifestement l’essentiel des maisons mĂŠdiĂŠvales de Paris a disparu aux XVIIe et au XVIIIe siècle, selon la procĂŠdure du renouvellement. Ă€ cĂ´tĂŠ de celles qui ont ĂŠtĂŠ conservĂŠes (hĂ´tels de Clisson, de Cluny et de Sens), bien des grandes demeures mĂŠdiĂŠvales ont ĂŠtĂŠ rasĂŠes, afin que leurs terrains soient lotis, notamment trois grandes demeures royales sous François Ier : les hĂ´tels de Bourgogne, de Flandre et Saint-Pol. Le roi avait remarquĂŠ qu’il existait Ă Paris des hĂ´tels ÂŤ inutiles, inhabitez, et dĂŠlaissez Âť, lesquels ÂŤ ne servent que d’encombrer et defformer grandement POSTÉRITÉ :
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VISIONS MODERNES
DU ÂŤ VIEUX PARIS Âť
nostredite Ville de Paris, et nÊanmoins seroit fort à propos, utile et convenable à bastir et Êdiffier plusieurs beaux logis, maisons et demeures fort nÊcessaire pour y retirer et loger un inestimable nombre et multitude de peuple, qui ordinairement afflue et vient habiter en nostredite Ville, et dont la plus grande part sont contraints de faire maisons et bâtiments hors le mur et enclos de nostredite Ville, pour ne pouvoir trouver place en icelle  . Ainsi, en , il les mit tous trois en vente et les fit lotir. L’hôtel des Tournelles quant à lui, construit pour l’essentiel en , avait ÊtÊ dÊmoli entre et après l’accident qui coÝta la vie à Henri II. Quant aux autres hôtels particuliers des XIIIe et XIVe siècles, ils ont ÊtÊ Êgalement soumis à la loi du renouvellement. On ne compte pas ceux qui ont ÊtÊ remplacÊs par des hôtels aux XVIIe et XVIIIe siècles. C’est sur un hôtel bâti au XIVe siècle qu’a ÊtÊ construit, vers , l’hôtel de Chevreuse par l’architecte ClÊment MÊtezeau . Quelques hôtels rÊsistèrent plus longtemps. Ainsi l’hôtel Le Gendre, rue des Bourdonnais, ÊlevÊ au dÊbut du XVIe siècle, ne fut abattu qu’en , malgrÊ les protestations d’E. Viollet-le-Duc . Des fragments en furent sauvÊs, que FÊlix Duban remonta dans la cour de l’École des beaux-arts, rue Bonaparte (voir fig. ). D’ailleurs, de tout temps, on dÊmolit. La disparition de certaines maisons mÊdiÊvales remonte tout simplement à la fin du Moyen Âge. Quand, aux XIIIe et XIVe siècles, des grandes demeures se sont installÊes dans le centre de Paris, le mouvement s’est fait au dÊtriment de maisons. On sait que, dans les tissus urbains denses, on ne peut pas construire sans dÊmolir au prÊalable. Quand a ÊtÊ construit l’hôtel de Bourbon, quai du Louvre, par Louis de Clermont, plusieurs maisons acquises entre et ont ÊtÊ dÊmolies. Et ce dernier a disparu au profit du Louvre en . De même, au milieu du XIIIe siècle, diverses maisons sont achetÊes par Alphonse de Poitiers pour agrandir son hôtel de la rue des Poulies, lui-même dÊmoli par Nicolas de Neufville au dÊbut du XVIe siècle . L’autre cause volontaire est l’opÊration d’urbanisme. Ces entreprises ont ÊtÊ assez limitÊes avant le Second Empire ; nÊanmoins elles ont existÊ. Une des plus anciennes semble être la destruction de l’hôtel des Ursins (dÊbut XVe siècle), en ,
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LA MAISON MÉDIÉVALE DANS LES RELEVÉS D’ARCHITECTURE ET D’ARCHÉOLOGUES PIERRE PINON
Double page prÊcÊdente Fig. 262 Maisons historiques de l’ancien Paris. Gravure colorisÊe, vers 1860. Coll. part. Debuisson.
Il convient de distinguer les relevÊs qui concernent les belles demeures de ceux qui concernent les maisons ordinaires. Non seulement ils diffèrent par la chose reprÊsentÊe, mais aussi par les circonstances du relevÊ. Les grandes demeures apparaissent naturellement dans les ouvrages à caractère archÊologique depuis le milieu du XIXe siècle, parce qu’elles prÊsentent un intÊrêt pour l’histoire de l’art. Pour les simples maisons, la curiositÊ se manifeste plus tardivement (fig 262). Donc, pour voir enregistrer la forme des maisons mÊdiÊvales ordinaires, il faut des circonstances particulières. Pour Paris, ce sera à l’occasion des grands travaux du Second Empire qu’une importante campagne de relevÊs sera entreprise, notamment lors des dÊmolitions pour le percement de la rue de Rivoli entre et . L’Êtude des maisons mÊdiÊvales a commencÊ très tôt dans certaines rÊgions oÚ elles Êtaient nombreuses et remarquables. Par exemple, FÊlix de Verneilh a menÊ pour le PÊrigord une telle Êtude, exceptionnelle , publiÊe dans les Annales archÊologiques en et . E. Viollet-le-Duc donne, en , une ÊlÊvation et les plans d’une maison assez fantaisiste de Cluny dans son
Fig. 263 ThÊodore Vacquer. RelevÊ des charpentes de l’hôpital Sainte-Catherine. BHVP, ms. 232, fol. 109 v°-110. Š Ville de Paris, BHVP, Parisienne de Photographie.
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Histoire de l’habitation humaine, sur laquelle s’appuiera Charles Garnier pour ses reconstitutions de l’exposition universelle de . L’habitation rouennaise de Raymond Quenedey ( ) est un classique, mais il ne parle que de construction. D’ailleurs l’essentiel des ouvrages portant sur les maisons mÊdiÊvales, aujourd’hui encore, s’intÊresse surtout au colombage, donne des ÊlÊvations, mais presque jamais de plan. Pour Paris, l’ouvrage de Charles Lefeuve, Anciennes maisons de Paris, publiÊ par livraisons à partir de , recense bien quelques maisons anciennes, notamment celle de Nicolas Flamel, les hôtels de La TrÊmoille (Le Gendre) et de Torpanne (dÊmoli en ), mais il n’est pas illustrÊ. Il arrive qu’une maison soit relevÊe, mais avant qu’elle soit dÊmolie ou dÊmontÊe, comme c’est le cas de l’hôtel Le Gendre, que l’on appelait alors La TrÊmoille, par Viollet-le-Duc en . Ce n’est d’ailleurs qu’à la fin des annÊes que les relevÊs de cet architecte, avec ceux de ThÊodore Vacquer, Adolphe Berty et Albert Lenoir dressÊs à partir des annÊes dans les mêmes conditions d’urgence (fig. 263), sont publiÊs par ce dernier dans l’atlas de
LES DEMEURES FIXÉES PAR LES PHOTOGRAPHES SANDRINE BULA
Fig. 265 Henri Le Secq, hôtel de Sansac en cours de dÊmolition à l'angle des rues d'Avron et Jean-Tison. Š RÊunion des musÊes nationaux.
Depuis la seconde moitiÊ du XVIIIe siècle, en l’espace d’une centaine d’annÊes, Paris connut des opÊrations d’urbanisme entraÎnant la destruction d’Êdifices religieux et civils, mais qui contribuèrent surtout à l’extension de la ville sans modifier en profondeur les quartiers les plus anciens rÊpartis sur les rives de la Seine de part et d’autre de l’Île de la CitÊ. Ce tissu urbain très dense, conservant encore de nombreuses traces d’habitat mÊdiÊval, subira dans la seconde moitiÊ du XIXe siècle des trans-
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VISIONS MODERNES
DU ÂŤ VIEUX PARIS Âť
formations radicales qui seront saisies par la photographie, nouveau medium à même de capter de manière instantanÊe l’ampleur et la rapiditÊ de cette mÊtamorphose. Ces grands travaux commencèrent dès , sous la direction du prÊfet de la Seine Jean-Jacques Berger, qui entreprit notamment la prolongation de la rue de Rivoli vers l’est ainsi que la dÊmolition des habitations situÊes entre le vieux Louvre et les Tuileries. Henri Le Secq rÊunit en album Êpreuves photographiques, offertes en au prÊfet à l’occasion de son dÊpart en retraite. Il ne s’agissait pas d’une commande officielle, mais vraisemblablement d’un hommage amical, car le père du photographe, ayant occupÊ les fonctions de chef de bureau des archives à la PrÊfecture, connaissait Jean-Jacques Berger. Peintre formÊ dans l’atelier de Paul Delaroche, Henri Le Secq mena parallèlement une carrière de photographe consacrÊe essentiellement à la reprÊsentation de l’architecture. En , il fut un des cinq photographes chargÊs par la Commission des Monuments historiques, lors de la  mission hÊliographique , de constituer un corpus de clichÊs de monuments antiques et mÊdiÊvaux avant restauration. Au cours des deux annÊes suivantes, il tenta de saisir par la photographie les traces du Paris ancien qui disparaissait sous la pioche des dÊmolisseurs : sa sensibilitÊ toute romantique retint des vestiges de demeures mÊdiÊvales Êmergeant tels des spectres dans un chaos de ruines (fig. 265 et voir fig. ). Le prÊfet Haussmann, poursuivant de façon radicale l’œuvre de son prÊdÊcesseur, Êventra les quartiers de la rive gauche pour y ouvrir le boulevard Saint-Germain et la rue Monge, tandis que des rues entières Êtaient dÊmolies pour mieux dÊgager l’Hôtel de Ville, Êdifier les halles de Baltard. Le cœur historique de la CitÊ fut presque entièrement rasÊ afin d’isoler Notre-Dame et de laisser place à de nouveaux Êdifices : Hôtel-Dieu, caserne, palais de justice. Ces destructions suscitant les critiques d’une partie du public, notamment des sociÊtÊs d’histoire qui se constituaient alors à Paris, la municipalitÊ dÊcida de crÊer des conservatoires de la mÊmoire parisienne, dont un musÊe historique de Paris (le futur musÊe Carnavalet), ainsi qu’une Commission des travaux historiques ( ) chargÊe, via son Service des travaux historiques, de rassembler les documents nÊcessaires à la publication d’une  histoire gÊnÊrale de Paris . Le photographe Charles Marville , qui avait, en , documentÊ les rÊalisations du Service des promenades et plantations, reçut en une commande du Service des travaux historiques : rÊpertorier les rues sur le point d’être dÊtruites. Il rÊalisa vues, vÊritables relevÊs topographiques : les voies Êtaient photographiÊes dans leur ensemble, non dans leur axe mais avec un lÊger dÊcalage laissant apparaÎtre leur tracÊ ainsi
UNE ANTICIPATION RÉTROSPECTIVE : L’EXPOSITION DU VIEUX PARIS D’ALBERT ROBIDA EN 1900 Guillaume LE GALL
 Ces grandes expositions sont exactement un coup de Kodak universel, un instantanÊ d’humanitÊ photographiÊ à un moment donnÊ, sous toutes ses faces, physiques et morales, matÊrielles et intellectuelles . Gaston de Wailly, .
Pour l’exposition universelle de , Albert Robida conçoit la reconstitution d’ un Vieux Paris  qui marque, après un demisiècle d’Êtudes historiques et de dÊbats passionnÊs , à la fois une nouvelle Êtape dans l’intÊrêt pour la vieille ville et une nouvelle forme de l’exposition. Dessinateur, historien-amateur du Vieux Paris, mais aussi Êcrivain de textes d’anticipation illustrÊs, Robida a toutes les ressources nÊcessaires pour mener à bien ce projet. C’est d’ailleurs dans la convergence et la combinaison de ces qualitÊs que l’on doit aujourd’hui comprendre une telle entreprise. La reconstitution d’un  Vieux Paris  est comme une anticipation rÊtrospective, c’est-à -dire une projection imaginaire d’un passÊ – plus ou moins proche – dans un prÊsent qui connaÎt une formidable mutation de l’apprÊhension du temps, due en partie aux progrès techniques de l’exposition et des objets exposÊs au sein de la même manifestation. AidÊ de l’architecte diocÊsain restaurateur de monuments historiques LÊon Benouville et de l’architecte paysagiste Henri Martinet, Robida va dÊployer un Vieux Paris rêvÊ sur mètres carrÊs, dont une partie gagnÊe sur la Seine, grâce à des milliers de pilotis qui soutiennent une vaste terrasse (fig. 268 et 269) . L’intention de Robida est de juxtaposer des bâtiments grandeur nature dans une configuration urbaine inÊdite et des scènes de la vie quotidienne passÊe. Il fait appel pour cela à des figurants qui viennent animer les ruelles de leurs cris et leurs chants folkloriques. Le propos est alors de montrer  la vie d’autrefois  reconstituÊe  avec le souci de toute l’exactitude possible, par des comitÊs d’artistes et d’archÊologues  . Mais, pour Robida,  il ne pouvait être question, bien entendu, d’être sèchement et purement archÊologique, de tout sacrifier à l’exactitude momentanÊe, à l’exactitude d’un siècle qui n’Êtait plus celle d’un autre, les Êdifices, comme les organismes vivants, changeant et se transformant à travers les âges  . L’auteur des ouvrages Paris, de siècle en siècle ( ) et Le cœur de Paris ( ) se dÊfend de faire de la  froide archÊologie , de copier  servi-
lement les documents connus  et prÊfère une histoire vivante,  un Paris pittoresque et grouillant, avec tout le mouvement et le charme de la vie  . Ce n’est que par le truchement de la publication d’un Guide historique, pittoresque et anecdotique , que le lecteur est invitÊ à poser un cadre plus scientifique à ces reconstitutions. Cette approche n’est pas sans provoquer un dÊbat. Tous ne voient pas d’un bon œil cette libertÊ prise vis-à -vis de l’histoire. Pour ne prendre qu’un exemple, Émile Goudeau et Henri Paillard se moquent de ces tableaux oÚ  des gens moyenâgeux, quoique vêtus en mousquetaires, promenant des justaucorps rouges de hallebardiers du XVIe siècle, s’abouchent avec des demoiselles du XIIIe siècle. Les chanteurs de Saint-Gervais psalmodient du Palestrina sous l’œil de MÊrovack, le pitre des cathÊdrales  . Surtout, les auteurs critiquent un Vieux Paris privÊ de son contexte et conçu comme une fantaisie oÚ  l’on se promenait comme en un dÊcor [‌] sans souci des bonimenteurs  . D’autres, en revanche, saisissent davantage l’effet d’une histoire condensÊe, instantanÊe et accessible. Pour Gaston de Wailly,  ce Vieux Paris est une fantaisie gÊniale, un poème de pittoresque et d’effet ; mais c’est en même temps un document de premier ordre  . La Commission municipale du Vieux Paris, qui avait soutenu le projet dès son Êlaboration, abonde dans ce sens et y voit une exposition dans laquelle les monuments reconstituÊs  indiquent si Êloquemment la longue traversÊe des âges, ses perspectives aux allures grandioses qui symbolisent si hautement la capitale d’un grand pays  . C’est pour les dÊfenseurs de la mÊmoire du vieux Paris une promenade pÊdagogique et une  leçon de choses admirable pour apprendre le passÊ d’une ville  . Au-delà des dÊbats et des oppositions que ce  Vieux Paris  suscite, comme les attractions concurrentes qui jouent sur les mêmes ressorts (fig. 270), le projet apparaÎt comme une nouvelle forme d’Êcriture de l’histoire. Robida a construit son œuvre comme  un abrÊgÊ du Paris des siècles passÊs, du Paris de l’histoire  . Ce  Vieux Paris , qui est en rÊalitÊ conçu sur le modèle des expositions d’Anvers, d’Amsterdam ou de Berlin qui avaient chacune proposÊ une reconstitution historique de leur patrimoine urbain, devait permettre aux visiteurs de  voir renaÎtre un instant sous leurs yeux le passÊ de leur pays  .
269
POSTÉRITÉ :
270
VISIONS MODERNES
DU « VIEUX PARIS »
Fig. 268 Albert Robida, dessin préparatoire au Vieux Paris ; aquarelle sur papier. Compiègne, musée Vivenel, SN4, boîte 41. Fig. 269 La construction des pavillons du Vieux Paris en bord de Seine, 1 900. Photographie d’Henri Deneux. Médiathèque de l’architecture et du patrimoine. © Réunion des musées nationaux.
271
VISIONS CINÉMATOGRAPHIQUES DU PARIS MÉDIÉVAL NOËLLE GIRET
Nous nous hasarderons en tremblant dans le terrible Paris du Moyen Âge1 Les films qui mettent en scène un Paris mÊdiÊval sont en majeure partie adaptÊs de Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo, de La Tour de Nesle, d’Alexandre Dumas père ou Michel Zevaco et de biographies romancÊes de François Villon. Tributaires du roman historique, ils hÊritent de ses licences avec l’Histoire et de ses dÊcors mythiques, Notre-Dame, l’ombre menaçante de la Tour de Nesle, les maisons à colombage, les ruelles tortueuses infrÊquentables la nuit. Potences et gibets parsèment une citÊ qui repose sur le monde des bas-fonds, tavernes mal famÊes, cour des miracles, souterrains, cachots et chambres des tortures.
DÉCORS
ET COSTUMES
Notre Paris mÊdiÊval est celui du XVe siècle, Êpoque dont l’architecture, la mode et les arts de vivre sont riches de telles possibilitÊs dÊcoratives que les cinÊastes, bravant l’accusation d’anachronisme, n’hÊsitent pas à y transporter l’action de La Tour de Nesle. En règle gÊnÊrale, le dÊcor des films respecte l’image d’un habitat parisien très dense, oÚ voisinent logis populaires et hôtels aristocratiques, oÚ alternent le bois et la pierre. Les maisons à colombages ont toute la faveur des dÊcorateurs. Éminemment visuelles par leur graphisme et leur polychromie, elles sont une  valeur sÝre , qui nous renvoie à notre mÊmoire collective. Quel enfant ne l’a pas dessinÊe comme symbole de la maison mÊdiÊvale ? Le François Villon d’AndrÊ Zwobada imagine un Paris bucolique, oÚ les jardinets enclosent les maisons. Certains films mÊtamorphosent Paris en place forte, dÊcor traditionnel du film de chevalerie. La dimension religieuse, visuelle et sonore, est la grande absente de la majeure partie des films, nous privant de la vision d’une citÊ hÊrissÊe de clochers et de la symphonie de ses cloches et clochetons. Visiblement inspirÊs par la miniature, les intÊrieurs sont peu chargÊs en meubles. Seul Le Bossu de Notre-Dame, de Wallace Worsley , s’autorise un intÊrieur encombrÊ, dans le style  troubadour , oÚ ne manque au fronton de la cheminÊe que la devise  Vive jadis  .
Un âtre, des tables et des bancs constituent l’invariable dÊcor de la taverne. Si le film appartient au genre  cape et ÊpÊe , elle s’enrichit d’une mezzanine, indispensable aux acrobaties du hÊros. À contre-courant, la taverne du François Villon de Zwobada se fait cafÊ rive gauche oÚ  l’escholier  Jean-Roger Caussimon rÊcite des vers dans une ambiance très  SaintGermain-des-PrÊs . Sous l’influence de la mode ou des canons changeants de la sÊduction fÊminine, le costume rÊsiste difficilement à l’intrusion du contemporain. À l’opposÊ, les costumes des Rois maudits5 crÊent un climat mÊdiÊval très convaincant par leur coupe et leurs couleurs franches inspirÊes de la miniature.
FRANÇOIS VILLON,
H É R O S N AT I O N A L A M É R I C A I N
En , le romancier anglais Justin Hunty Mac Carthy publie Si j’Êtais roi6, biographie romancÊe de François Villon, dont s’emparent avec succès le thÊâtre et la comÊdie musicale. Par un  besoin très anglais de rapprocher le poète d’un certain concept moral acceptable  , Villon est un  good guy , gentiment paillard, solidaire des pauvres, vainqueur de Charles le TÊmÊraire et qui obtient de Louis XI la main de mademoiselle de Vauxcelles. Si j’Êtais roi fut l’objet, entre et , de six films amÊricains. De cette production, retenons L’Êtrange aventure du vagabond poète, oÚ John Barrymore, moins Villon que Robin des Bois , affronte un Louis XI hallucinÊ, interprÊtÊ par Conrad Veidt. Très chatouilleuse sur le traitement de notre histoire nationale par les AmÊricains, la critique fut cependant conquise par le talent et le charme irrÊsistible du film, mais fut franchement hostile aux adaptations suivantes, dont Villon eut pu Êcrire :  Je ris en pleurs .
PARIS,
FA N TA S M E H O L LY W O O D I E N
Il revient aux AmÊricains de nous avoir restituÊ un Paris fantastique, hÊritÊ des romantiques et des contemporains du baron Haussmann, traumatisÊs par la perte d’une vieille citÊ Êtrange et pittoresque. Paradoxalement, ce parti ne fut pas celui du cinÊma français. Dans Notre-Dame de Paris9, Jean Delannoy, à qui la critique reprocha un manque de  fibre hugolienne ,
273
ANNEXES
275
LISTE DES PRINCIPALES DEMEURES MÉDIÉVALES OU DE TRADITION MÉDIÉVALE VISIBLES À PARIS
RIVE
276
RIVE
GAUCHE
¡
, rue Étienne-Marcel : tour Jean Sans Peur, ancien hôtel des ducs de Bourgogne, -
¡
, rue de Montmorency : maison d'aumĂ´ne de Nicolas Flamel,
¡
, rue Saint-Denis : façades de maisons bourgeoises à pignon sur rue, e- e siècles
¡
¡
, rue Saint-Denis : façade de maison bourgeoise à pignon sur rue, XVe-XVIIe siècles
¡
, rue Galande : enseigne sculptĂŠe de Saint-Julien, vers
¡
¡
, rue Volta : façade de maison bourgeoise en pan de bois à pignon sur rue, XVIIe siècle
- , rue Galande : façades de maisons bourgeoises à pignon sur rue, XVe-XVIIe siècles
¡
¡
, rue Quincampoix : façade de maison bourgeoise à pignon sur rue, XVe-XVIIe siècles
, place Paul-PainlevĂŠ : hĂ´tel des abbĂŠs Cluny (MusĂŠe national du Moyen Ă‚ge), vers -
¡
- , rue Valette : bâtiments du collège de Fortet, vers
¡
, rue du Temple : maison en pierre de taille Ă mur gouttereau sur rue, vers
¡
, rue Scipion : hĂ´tel Scipion, vers
¡
, rue des Gobelins : maison en pierre de taille Ă mur gouttereau sur rue, vers
¡
, rue des Lombards : maison d’angle, XVe-XVIIe siècles
¡
, rue du Renard : maison du XIIIe siècle rhabillÊe au XIXe siècle
¡
, rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie (sur la cour) : hĂ´tel de La Faye, vers
¡
- , rue des Francs-Bourgeois et , rue Vieille-du-Temple : hĂ´tel HĂŠrouet, vers
¡
- , rue des Archives : maison dite de Jacques CĹ“ur, vers
¡
, rue des Archives : hôtel de Clisson, châtelet d’entrÊe, vers
¡
, rue François-Miron, façades de maisons bourgeoises en pan de bois à pignon sur rue, XVIIe siècle
¡
, rue François-Miron, caves voÝtÊes de la maison de l’abbaye d’Ourscamp, XIIIe siècle
¡
, rue François-Miron, caves voÝtÊes de l’hôtel de l’abbaye de Chaalis, XIIIe siècle
¡
, rue des Barres et , rue Grenier-sur-l’Eau : hôtel de l’abbaye de Maubuisson, XIVe-XVIe siècles
¡
, rue du Figuier : hôtel des archevêques de Sens (bibliothèque Forney), vers
ĂŽLE
ANNEXES
DROITE
DE LA
CITÉ
¡
- , rue du CloÎtre-Notre-Dame : maison des prêtres de Saint-Jean, XVe-XVIe siècles
¡
Crypte archÊologique de Notre-Dame : caves des anciennes maisons de la rue Neuve-Notre-Dame, XVe-XVIe siècles
¡
, rue Bonaparte, cour de l’École nationale supÊrieure des beauxarts : vestiges de l’hôtel Le Gendre (rue des Bourdonnais, dÊtruit en ), vers
¡
, rue Hautefeuille : hôtel de FÊcamp, vers , rue Boutebrie : façade de maison bourgeoise à pignon sur rue, siècles
XVe-XVIIe
¡
, rue Gustave-Geffroy : hôtel dit de la Reine Blanche, siècles
XVe-XVIIe
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES AUTEURS LISTE DES PRÊTEURS
I.
5 6
LES SOURCES DE L’HISTOIRE DE LA DEMEURE
VALENTINE WEISS
AVANT-PROPOS AGNÈS MAGNIEN
PRÉFACE
J EA N F AVI E R
13
11
15
LA DEMEURE À TRAVERS LES ARCHIVES 16
VALENTINE WEISS
LA DEMEURE À TRAVERS LES PLANS 20 VALENTINE WEISS
LA DEMEURE D'APRÈS L'ENLUMINURE 28 M A R I E -T H É R È S E G O U S S E T
LA DEMEURE DANS LA LITTÉRATURE 34 E V E LY N M U L L A L LY
II. STATUTS, USAGES ET MISE EN ŒUVRE 37 DE LA DEMEURE ÉTIENNE HAMON
LA DEMEURE DANS L’ESPACE SEIGNEURIAL PARISIEN ET LES RÈGLEMENTS D’URBANISME
38
LA DEMEURE PARISIENNE ET LE TRAVAIL DES LIMITES AU MOYEN ÂGE ET AU DÉBUT DES TEMPS MODERNES 38
ROBERT DESCIMON
ET
VALENTINE WEISS
L’URBANISME 46 L’occupation du sol : parcellaire et plans masse ÉTIENNE HAMON ET VALENTINE WEISS
ANNEXES
290
46
Opérations urbaines, lotissements et habitat sur les ponts à la fin du Moyen Âge 50 ÉTIENNE HAMON Bâtir et habiter dans un environnement contraignant : la maison sous surveillance 56 R O B E RT C A RVA I S E T É TI E N N E H AMO N
LA MISE EN ŒUVRE : CHANTIERS, TECHNIQUES, CONTRÔLE 62
LES HÔTELS ECCLÉSIASTIQUES
Le cloître de Notre-Dame : un village au cœur de la ville 114 ÉLIANE DERONNE-CAROUGE
L’approvisionnement en matériaux de construction des chantiers parisiens au Moyen Âge 74 J E A N - P I E R R E G É LY
ÉLIANE DERONNE-CAROUGE Les caves médiévales DANY SANDRON
ET
ET
79
LES HÔTELS LAÏQUES
87
VALENTINE WEISS
118
Maisons cisterciennes à Paris 122 FRANÇOIS BLARY ET VALENTINE WEISS
VALENTINE WEISS
À L’ENSEIGNE DE LA DEMEURE MÉDIÉVALE PARISIENNE 93
ÉTIENNE HAMON
Les maisons de collèges CÉCILE FABRIS
77
La maison d’Ourscamp : 44-48,rue François-Miron GRÉGORY CHAUMET
104
Les hôtels dans les paroisses de Saint-André-des-Arts et de Saint-Côme : le quartier des puissants au Moyen Âge 104 J E A N - C L A U D E G A R R E TA
Un chantier civil de la fin du Moyen Âge (1427-1428) : la boucherie de Saint-Martin-des-Champs 71 PHILIPPE PLAGNIEUX
USAGES ET DÉPENDANCES
TYPOLOGIE DES DEMEURES PARISIENNES : ÉVOLUTION CHRONOLOGIQUE 98
VALENTINE WEISS
La demeure en chantier : hommes et techniques à la fin du Moyen Âge 62 ÉTIENNE HAMON
Sceaux de jurés et méreaux de confréries JEAN-LUC CHASSEL
III. LA DEMEURE DANS LE TEMPS ET L’ESPACE 97 PARISIENS
91
126
Les hôtels royaux de Saint-Pol et des Tournelles : deux destins tragiques 126 VALENTINE WEISS L’hôtel aristocratique parisien autour de 1400 FLORIAN MEUNIER
128
La maison de rapport de Philippe Turquam, rue de la Tannerie 133 YVON N E-HÉLÈN E LE MAR ESQU I ER-KESTELOOT La maison d’aumône de Nicolas Flamel rue de Montmorency 135 PHILIPPE PLAGNIEUX ET VALENTINE WEISS
291
IV. REGARDS SUR L’ARCHITECTURE
139
ÉTIENNE HAMON
JACQUES FREDET
LES DEMEURES PARISIENNES DES XIIIE ET XIVE SIÈCLES 140 Étude de caves aux 11 et 13 rue du Renard et 77 rue de la Verrerie (IVe arr.) : un palimpseste JEAN-DENIS CLABAUT ET BÉNÉDICTE PERFUMO
150
ÉTIENNE HAMON
Les demeures parisiennes du duc de Berry et l’hôtel de Nesle 160 THOMAS RAPIN
V.
163 163
LA PERIOD ROOM MÉDIÉVALE AUX ARTS DÉCORATIFS 225 ODILE NOUVEL-KAMMERER
179
LE MENUISIER, PRINCIPAL MAÎTRE D’ŒUVRE DU DÉCOR DE LA DEMEURE PARISIENNE
Les carreaux de pavement de l’ancien hôtel de Clisson 183 C AT H E R I N E B R U T
ÉTIENNE HAMON
LE MOBILIER D’UNE DEMEURE P A R I S I E N N E A U X V E S I È C L E 222 MONIQUE BLANC
L’hôtel de Clisson et sa place dans l’architecture des années 1400 168 PIERRE GARRIGOU GRANDCHAMP
L’HÔTEL PARISIEN SOUS CHARLES VIII ET LOUIS XII
MOBILIER ET DECOR INTÉRIEURS
ÉTIENNE HAMON
L’hôtel de Clisson et ses voisins : étude historique VALENTINE WEISS
Les caves de l’hôtel de Clisson VIOLAINE BRESSON
ÉTIENNE HAMON
ENTRE GOTHIQUE ET RENAISSANCE : LA DEMEURE PARISIENNE DES ANNÉES 1510-1530 212
153
L’hôtel d’Artois et les résidences parisiennes des ducs de Bourgogne 155 PHILIPPE PLAGNIEUX
L’HÔTEL DE CLISSON
ÉTIENNE HAMON 186
292
TABLE DES MATIÈRES
227
La vaisselle médiévale en bois de la rue de Lutèce FLORIAN MEUNIER
231
LA FENÊTRE ET SON VITRAGE
232
MICHEL HÉROLD
ANNEXES
198
LE DÉCOR MONUMENTAL DE LA DEMEURE 206
PIERRE GARRIGOU GRANDCHAMP
Le manoir des Tuileries de Pierre des Essarts SABINE BERGER
LA MAISON PARISIENNE À PAN DE BOIS DE L’ÉPOQUE GOTHIQUE TARDIVE : RESTITUTION DU PROCESSUS DE MISE EN ŒUVRE
221
LES TENTURES DANS LA DEMEURE PARISIENNE À LA FIN DU MOYEN ÂGE 235
REDÉCOUVERTE : DESTRUCTIONS ET ARCHÉOLOGIE
258
Destruction de la demeure médiévale siècles 258 PIERRE PINON
CARMEN DECU TEODORESCU
XIXe-XXe
IMAGES DE DÉVOTION SCULPTÉES DANS LA DEMEURE PARISIENNE À LA FIN DU MOYEN ÂGE ET À LA RENAISSANCE 237
La maison médiévale dans les relevés d’architecture et d’archéologues 264 PIERRE PINON
MARION BOUDON-MACHUEL
USTENSILES ET VAISSELLE EN USAGE À PARIS AU MOYEN ÂGE 239 C AT H E R I N E B R U T Restauration des céramiques archéologiques CLAIRE MARTIN
241
Les demeures fixées par les photographes SANDRINE BULA
266
UNE ANTICIPATION RÉTROSPECTIVE : L’EXPOSITION DU VIEUX PARIS D’ALBERT ROBIDA EN 1900 269 GUILLAUME LE GALL
VISIONS CINÉMATOGRAPHIQUES DU PARIS MÉDIÉVAL 273
VI. POSTÉRITÉ : VISIONS MODERNES DU « VIEUX PARIS »
ÉTIENNE HAMON
GUIDES ET LITTÉRATURE
244
La demeure médiévale à Paris dans les guides de l’époque moderne 244 MARIE HOULLEMARE La maison médiévale dans la littérature du XIXe siècle 247 JOËLLE PRUNGNAUD
NOËLLE GIRET
243
ANNEXES
275
LISTE DES PRINCIPALES DEMEURES MÉDIÉVALES OU DE TRADITION MÉDIÉVALE VISIBLES À PARIS 276 BIBLIOGRAPHIE
277
L’HABITAT NÉO-GOTHIQUE À PARIS AU XIXE SIÈCLE 250 ANNE RICHARD-BAZIRE
293
La demeure médiévale à Paris La demeure médiévale à Paris
Hôtels de Cluny, de Sens, de Clisson : ces monuments nous sont familiers. Mais qui sait qu’il existe encore à Paris des dizaines d’autres demeures et bien plus encore de caves du Moyen Âge ? Ces richesses méconnues n’ont pas toujours eu la place qu’elles méritaient dans les études d’histoire et d’archéologie alors que c’est cette époque qui a donné à la plupart des villes anciennes la forme qu’on leur connaît aujourd’hui en y suscitant des types d’habitats adaptés aux besoins des citadins. Paris, la plus grande ville de l’Occident médiéval avec ses 200 000 habitants et ses milliers de maisons et d’hôtels, joua un rôle majeur dans l’élaboration de ces modèles résidentiels qui ont connu une grande longévité et n’ont cessé, jusqu’à nos jours, d’alimenter la création artistique ou littéraire et l’imaginaire. Cet ouvrage propose, à l’occasion d’une exposition tenue aux Archives nationales, à la fois un ensemble de documents rares sur ce patrimoine millénaire – archives, images et objets – et un bilan des connaissances sous forme d’essais et d’études de cas par des spécialistes issus des diverses disciplines qui contribuent aujourd’hui à la redécouverte de ces témoignages saisissants du paysage monumental d’un passé brillant.
Couverture Montage réalisé par Nicolas Dubret (Toile Concept) avec les figures 151 et 205. 978-2-7572-0587-7
35 €
Rabat Relevé de la tour Jean sans Peur par Charles-Gustave Huillard, 1877 (figure 145).