André Le Nôtre à Vaux-le-Vicomte. Un nouvel art des jardins (extrait)

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André à

Le Nôtre

Vaux-le-Vicomte

Un nouvel art des jardins Aurélia Rostaing Frédéric Sichet


Cet ouvrage a été réalisé avec le soutien de la Fondation des parcs et jardins de France

Conception graphique : Ariane Naï Aubert Contribution éditoriale : Anne-Marie Valet Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros Suivi éditorial : Astrid Bargeton

© Somogy éditions d’art, Paris, 2013 ISBN 978-2-7572-0628-7 Dépôt légal : mai 2013


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ndré Le Nôtre est né aux Tuileries et sa carrière était tracée pour les jardins du roi, de sa famille et de ses proches. Deux jardins majeurs font exception : Vaux et Chantilly. Tous deux ont provoqué l’envie de Louis XIV.

La Fondation des parcs et jardins de France a voulu contribuer aux deux, et particulièrement à ce livre sur les jardins de Vaux-le-Vicomte. Les auteurs y décrivent bien l’irruption du génie qui forme une harmonie savante à partir d’un vallon en biais et d’un fond de ruisseau, pour mettre le tout en perspective depuis et vers le château. C’est la beauté de ce lieu qui l’a protégé de la jalousie du roi. Elle s’est acharnée contre Fouquet, mais s’est limitée pour le jardin à la saisie de quelques statues. C’est encore cette beauté, bien que dégradée par le temps, qui a charmé Sommier et sa descendance, au point qu’ils consacrèrent toute leur énergie à la retrouver. Le jardin de Vaux, œuvre commune de Le Nôtre et Fouquet, a établi entre eux un lien fort. En 1679, rentrant de Rome où il s’est rendu à la demande du pape et sur lettre de Colbert, André Le Nôtre décide de passer par Pignerol et obtient du gouverneur une rencontre avec Nicolas Fouquet, malgré l’interdiction de visite édictée par Louvois. A-t-il ou non prévenu le roi qu’il voyait si souvent dans les jardins de Versailles, nul ne sait. En tout cas il exerça, à ses risques, une fidélité touchante. Et c’est à cette fidélité pour le jardin de Vaux qu’il faut rendre hommage, celle de Le Nôtre et celle de Patrice de Vogüé avec sa famille. Malgré la fragilité des jardins, elle a permis que l’art de Le Nôtre continue à enchanter le site de Vaux, après plus de 350 ans. Didier Wirth Président de la Fondation des parcs et jardins de France


« Le Nôtre donne à Vaux le fond de son âme. Un résumé de son art en même temps qu’un chef-d’œuvre. Le chef-d’œuvre du jardin à la française. » Erik Orsenna, Portrait d’un homme heureux : André Le Nôtre, 1613-1700 (2000)

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ares sont les jardins dont la notoriété peut être comparée à celle de Vauxle-Vicomte, œuvre emblématique pour laquelle un commanditaire brillant – le surintendant des Finances Nicolas Fouquet – a réuni des artistes majeurs du xviie siècle. Peu de réalisations ont suscité autant de fantasmes. Longtemps perçu comme le prototype du jardin dit « à la française », Vauxle-Vicomte est le coup d’éclat où se révèle Le Nôtre, icône de l’art des jardins, comme Hardouin-Mansart a pu l’être pour l’architecture et Vauban pour les fortifications. Dans son poème Le Songe de Vaux, Jean de La Fontaine voit dans ces jardins une telle innovation qu’ils appellent la création d’une nouvelle muse rivale d’Apellanire (la peinture), Palatiane (l’architecture) et Calliopée (la poésie) : Hortésie, la muse des jardins, personnifie ce nouvel art qui prend corps à Vauxle-Vicomte entre 1652 et 1661. Dans la mémoire collective, le temps de Vaux est resté suspendu le 16 août 1661, au soir de la fête somptueuse donnée par Fouquet en l’honneur de Louis XIV. Cette fête, suivie de l’arrestation de Fouquet quelques jours plus tard, puis de l’un des plus grands procès politiques de l’histoire de France, enveloppe Vaux-le-Vicomte d’un parfum de soufre et de légende. Dans l’imaginaire collectif, Fouquet, tel Icare, s’est brûlé les ailes pour avoir fait au roi l’affront d’exhiber un luxe supérieur au sien. Pour les historiens, il est la victime de rivalités politiques et financières où le clan Colbert a eu le dessus. Accusé de péculat et de lèse-majesté au terme d’un procès où certains témoins ont vu l’expression d’une justice entièrement aux ordres du roi, Fouquet échappe de justesse à la peine capitale, et passe le reste de ses jours emprisonné dans une forteresse. Entre la légende et l’histoire, qu’en est-il des jardins de Vaux-le-Vicomte ? Des hypothèses ont tenté récemment de retirer à Le Nôtre la paternité de son œuvre. Pour certains, c’est un ingénieur-architecte d’origine locale, Daniel Gittard, qui en aurait donné tout le cadre. Pour d’autres, la fusion parfaite entre la demeure et son environnement justifierait une attribution à Louis Le Vau, l’architecte du château. Quant à l’idée du jardin classique français apparu pour la première fois à Vaux sous la forme d’une réalisation à la perfection immédiate, est-elle vraie ou fausse ? L’envie d’embellir le mythe de Vaux-le-Vicomte au détriment de la réalité historique n’aurait-elle pas desservi le monument ? Le dossier est à la fois complexe et passionnant. Il convient de le rouvrir pour restituer à ces jardins toute leur importance historique et esthétique.

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Des hommes au service d’un projet Nicolas Fouquet : entrepreneur, financier et mécène Nicolas Fouquet est né en 1615 au sein d’une famille de bourgeois d’origine angevine dont les aïeux firent fortune comme marchands drapiers-chaussiers au xve siècle. Conseiller au Parlement (1609) puis maître des requêtes (1615), François, le père de Nicolas, entre à partir de 1626 au service de Richelieu, principal ministre du royaume. Il assiste fidèlement le cardinal, en particulier dans le développement d’une force maritime. Après une éducation reçue chez les Jésuites du collège de Clermont, à Paris, Nicolas poursuit l’œuvre familiale. En 1635, son père lui achète une charge de maître des requêtes ; en 1640, son mariage avec Louise Fourché lui procure une belle dot de 150 000 livres. Louise Fourché décède en 1641, alors que Fouquet avait perdu son père un an plus tôt : ces deux disparitions mettent à sa disposition des moyens financiers importants, lui permettant, le 1er février 1641, d’acheter une terre noble : la seigneurie de Vaux-le-Vicomte. Resté fidèle au roi pendant la Fronde (1648-1652), Fouquet acquiert en 1650 la charge de procureur général au Parlement. Son remariage, le 4 février 1651, avec Marie-Madeleine de Castille, fille d’un parlementaire fortuné, lui apporte une nouvelle dot importante et, après le décès de ses beaux-parents, un héritage de plus de deux millions de livres. En février 1653, Fouquet est nommé surintendant des Finances, conjointement avec Abel Servien. Cette charge lui donne par délégation du roi tous les pouvoirs sur les finances de l’État, y compris pour assurer le financement du royaume et démarcher les bailleurs de fonds en garantissant ou en participant lui-même à certaines opérations. Cette confusion est le résultat du système fiscal et financier de l’époque ; elle durera jusqu’à la fin de la monarchie. Servien était de vingt ans l’aîné de Fouquet ; sa mort, en 1659, permet à ce dernier d’occuper seul la surintendance, point d’orgue

n Attribué à Charles Le Brun, Portrait de Nicolas Fouquet (page de droite).

n L’écureuil est l’emblème familial des Fouquet. Sur les façades du château il apparaît dans un blason entouré d’une couronne de lauriers et soutenu par des lions.

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d’une ascension qui lui vaudra l’acharnement de Jean-Baptiste Colbert et précipitera sa chute, tel Phaëton. Mais les revenus de Fouquet ne se bornent pas aux rentrées d’argent considérables que lui rapportent ses fonctions administratives, charges, rentes et gratifications royales, car le surintendant s’est doublé d’un entrepreneur ambitieux. Par fidélité à Richelieu, son père avait acquis plusieurs participations dans des compagnies commerciales à monopole, parmi lesquelles celle des îles d’Amérique, dont Nicolas recevra une part dès 1638. Ces parts ne représentent qu’une portion de la fortune dont il va hériter en 1640, mais elles préfigurent l’entreprise maritime considérable que va fonder Nicolas Fouquet : persuadé que le développement économique passait par l’outre-mer, il deviendra l’un des plus grands armateurs du royaume. Pour développer cette activité, il achète des terres, fiefs et seigneuries, essentiellement au large du Morbihan, dont l’île d’Yeu, Concarneau et surtout Belle-Île, en 1658. Fouquet a ainsi constitué une base navale pour le commerce international à laquelle participent également d’importantes possessions outre-mer. Possédant plusieurs hôtels parisiens, Fouquet est au contact d’architectes, de peintres et de sculpteurs. À Saint-Mandé, propriété constituée autour de plusieurs acquisitions faites à partir de 1654, Fouquet peut s’enorgueillir de sa célèbre bibliothèque. Mais cette maison est aussi réputée pour son jardin, assez vaste, et dont l’orangerie passe pour être la plus belle du royaume. C’est également à Saint-Mandé que Fouquet se révèle sous les traits d’un mécène, accordant des pensions à des écrivains (Pélisson, La Fontaine, Molière, Scarron, Charles Perrault, Thomas et Pierre Corneille), employant des peintres (Poussin, puis Le Brun), des sculpteurs (Puget, Anguier, Sarazin) et, bien entendu, des architectes (Le Vau) et dessinateurs de jardins (Le Nôtre). La plupart d’entre eux collaborent déjà à l’œuvre majeure que va être Vaux-le-Vicomte. Sans doute Fouquet espérait-il devenir le principal ministre de la France à la mort de Mazarin. Mais la disparition du cardinal en 1661 marque le début du

n Israël Silvestre, Vue de Vaux le Vicomte du côté de l’entrée. La transparence des baies du corps central du château participe à l’effet d’unité avec le jardin.

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gouvernement personnel de Louis XIV, qui décide de régner seul. Soupçonneux depuis 1659, Colbert réussit à convaincre le roi que Fouquet le vole et complote contre lui. Lorsque la fête du 16 août 1661 a lieu, la chute du surintendant est déjà décidée ; Fouquet sera arrêté le 5 septembre à Nantes, loin de Paris où il avait des partisans.

Un château novateur

n Pierre-Denis Martin, Visite de Marie Lesczynska à Vaux (1728). Cette huile sur toile présente une vue d’ensemble des jardins et du château qui apparaît comme encadré par les bâtiments des communs.

Le château constitue le point central de la grande mise en scène spatiale qui se développe depuis la grille d’honneur jusqu’à l’Hercule Farnèse. Une fusion aussi parfaite entre château et jardin, en une composition unifiée, est peut-être la plus grande innovation de Vaux-le-Vicomte. Elle n’avait en tout cas jamais été pratiquée à une telle échelle. Cet ensemble est perceptible dès le premier contact avec le site grâce à l’effet de transparence des trois baies du corps central du château qui fait deviner et désirer le jardin placé derrière lui. Un tel effet, voulu et souligné à l’origine par l’absence de menuiseries vitrées, donne un avant-goût du chefd’œuvre pour la réalisation duquel Louis Le Vau opère la fusion des innovations architecturales de la première moitié du xviie siècle. Les communs abritent, côté ouest, les écuries, des remises à carrosses, une ménagerie et des logements pour la domesticité ; côté est, l’orangerie,

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le colombier, la salle d’audience de la justice seigneuriale et des granges. Ces bâtiments utilitaires font partie intégrante de la composition. De loin, ils participent à l’impression d’unité d’ensemble et équilibrent parfaitement la masse du château auquel ils semblent accolés. En réalité, les communs sont séparés du château, Louis Le Vau ayant adopté là une solution moderne en rupture avec le plan en U encore en vigueur au château du Raincy, son précédent grand chantier réalisé pour Jacques Bordier (un autre financier) entre 1643 et 1648. Dans l’axe de la composition, le grand salon ovale ou salon à l’italienne (c’està-dire dont l’élévation correspond à celle de deux niveaux) est une innovation encore rarement appliquée. Dans son traité d’architecture paru en 1624, Louis Savot évoque déjà cette pratique des Italiens, qui donnent une plus grande élévation aux salles de réception, tandis que les Français couvrent généralement celles-ci d’un plancher. Les salons à l’italienne apparaissent en France dans les années 1630, notamment au château de Richelieu, aux Tuileries et peut-être au Luxembourg. Louis Le Vau en crée d’autres au château de Chantemesle (1639, pour Louis Hesselin), à l’hôtel Hesselin (1640), au Raincy, et à Meudon pour le surintendant des Finances Abel Servien (v. 1655), mais c’est à Vaux-le-Vicomte que ce motif est mis en œuvre à une échelle inédite. Le plan à double épaisseur avec long corridor central régissant la distribution des pièces illustre également les recherches qui trouveront à Vaux un terrain d’expérimentation propice. À l’hôtel Tambonneau (1640) puis à l’hôtel de Jars (1648), Louis Le Vau avait déjà rompu avec la distribution traditionnelle consistant en une simple épaisseur de pièces en enfilade. La construction « tout en pierre » est une autre manifestation de modernité. On en trouve un précédent à Paris en 1625 (hôtel de Sully). Comme le montrent les plans dessinés par Louis Le Vau, le projet initial devait employer trois matériaux traditionnels d’Île-de-France : la pierre pour les encadrements, la brique pour les remplissages et l’ardoise pour les couvertures. Après une modification décidée en

n Le grand salon (page de gauche). n Louis Le Vau, élévation projetée pour le château de Vaux-le-Vicomte côté jardin. Cette proposition employant l’alternance traditionnelle de la brique et de la pierre a été refusée par Fouquet et a évolué vers des façades entièrement traitées en pierre de taille.

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n L’avant-corps central du château.

cours de chantier, le château sera finalement construit en n’utilisant que la pierre pour les élévations, marquant ainsi la distinction du commanditaire. À l’extérieur du château, enfin, la disposition de la cour d’honneur traditionnellement fermée par un haut mur et un portail disparaît au profit d’une cour d’honneur débouchant sans aucun écran visuel sur une grande avant-cour. À Meudon, l’aménagement contemporain de la grande terrasse visait le même effet. À Vaux, l’espace unifié est pareillement dégagé et rendu à lui-même grâce à une grille en fer forgé rythmée de termes monumentaux. Éloignement des communs, double épaisseur des pièces, salon à l’italienne, élévation tout en pierre, mise en scène et transparence visuelle des cour et avantcour, telles sont les caractéristiques d’une architecture innovante qui n’avaient jamais été réunies dans une même réalisation. C’est au château de Vaux-leVicomte que cette synthèse a lieu ; elle témoigne de la volonté de Fouquet de réaliser une œuvre exceptionnelle.

André Le Nôtre avant son intervention à Vaux Une biographie anonyme de Le Nôtre (1613-1700) rappelle qu’il avait près de quarante ans lorsque Fouquet « lui donna occasion de se faire connoître par les magnifiques jardins de Vaux le Vicomte ». Le témoignage concordant d’Antoine-Nicolas Dezallier d’Argenville laisse entendre que Le Nôtre n’en était pas à son premier chantier : « Les jardins [de Vaux] sont le premier ouvrage considérable qui fit connoître les talens du fameux le Nostre, âgé pour lors de trente-neuf ans. » Le surintendant des Finances ne faisait pas appel au premier venu : Le Nôtre était premier jardinier de Monsieur, frère du roi, depuis 1635, jardinier du roi aux Tuileries depuis 1637, et il avait le titre de dessinateur des jardins du roi depuis 1643. Son grandpère et son père, jardiniers du roi aux Tuileries, avaient participé aux campagnes

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successives de plantation du jardin depuis l’origine de celui-ci, et il comptait parmi ses beaux-frères d’autres jardiniers du roi, Pierre Ier Desgots et Michel Le Bouteux. Le Nôtre a dû se former au métier de jardinier aux côtés de son père, qui inventait des dessins de bosquets et de parterres de buis en broderie dont il dirigeait ensuite la plantation pour des membres de la cour. D’après Félibien, historiographe des Bâtiments du roi, Le Nôtre a également travaillé dans l’atelier du premier peintre du roi Simon Vouet, probablement pour se perfectionner dans l’art du dessin. D’après une autre source, il a également collaboré avec l’architecte François Mansart ; aussi est-il difficile de croire qu’il n’ait pas trouvé à employer ses talents avant le chantier de Vaux. Des sources d’archives et des attributions anciennes permettent de lui rendre, entre autres, le parterre de l’orangerie de Fontainebleau (1645-1646) et des jardins des années 1640-1650 : Gagny, Thouars (parterre ? allées en berceau ?), Morsang-sur-Orge (pépinière ?). Selon Antoine-Nicolas Dezallier d’Argenville, les jardins de Gagny « ont été peut-être le premier ouvrage de le Nostre, & par lequel il a commencé à se faire connoître ». Gagny partage avec Vaux certaines caractéristiques : une longue

n La transparence de la grille d’honneur donne à voir l’enchaînement des cours du château.

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échappée visuelle séquencée dans l’axe du château, un parterre de broderies auquel succède un parterre de gazon, des travaux d’adduction d’eau, une allée de vasques évoquant des goulettes, un carré d’eau, une grotte de rocaille, une cascade ; des transitions ménagées par des rampes, d’abord en pente douce, puis accompagnées de degrés. Si Gagny porte la marque du coup d’œil de Le Nôtre (de son œil absolu, est-on tenté d’écrire), ces jardins peuvent paraître relativement modestes au regard du colossal chantier de Vaux. L’ambitieux projet de Fouquet – « laisser sa marque », et quelle marque ! – demandait un important travail de coordination entre les divers corps de métiers appelés à intervenir au cours des différentes phases du chantier. Vaux fut-il, pour Le Nôtre, même assisté de Daniel Gittard, le premier terrain d’expérimentation à pareille échelle ? Cela paraît probable, et l’expérience acquise à Vaux fut certainement précieuse, plus tard, à Versailles, Chantilly, Saint-Germain, Sceaux et ailleurs. Mais il n’en est pas moins plausible que Gagny n’ait pas été le seul chantier où Le Nôtre eut l’occasion de gagner une expérience pratique en matière de direction de chantier, de terrassement, de maçonnerie (murs de soutènement, grottes) et d’hydraulique (conduites d’adduction d’eau, aqueducs, canaux, réservoirs, fontaines, cascades). À l’exception, peutêtre, des jardins de Berny, « compassez par le Nostre » (vers 1653-1655), et du parc de Juvisy, « planté par Le Nostre », les jardins contemporains de Vaux connus à ce jour ne correspondent cependant qu’à des interventions partielles : Lignières (projet inconnu, non réalisé), Le Plessis-Pâté (labyrinthe). Bien des zones d’ombre subsistent sur les vingt premières années de la carrière d’André Le Nôtre. Mais il n’est pas sorti de l’anonymat du jour au lendemain pour accéder au génie, loin s’en faut : sa formation dans de multiples disciplines, la fréquentation de grands chantiers et la progression de ses expériences professionnelles ont fait de lui le premier dessinateur de jardins consacré par l’histoire. Il ne lui manquait que les moyens mis à sa disposition par un grand maître d’ouvrage pour révéler son talent dans un chef-d’œuvre signant la naissance d’une nouvelle profession. Nicolas Fouquet lui donna cette occasion à l’âge de la maturité. Jamais avant Le Nôtre un dessinateur de jardins n’avait conçu et dirigé une telle réalisation paysagère et les multiples ouvrages qui la composent : terrassements, murs, escaliers, rampes, fabriques, aqueducs, bassins, jeux d’eau, fontaines et cascades, plantations et engazonnements. Témoin de cette dimension inédite de l’art des jardins, le premier plan d’ensemble d’un projet de jardin et de parc est dessiné pour Vaux-le-Vicomte par André Le Nôtre. Un tel document ne connaît pas de précédent à ce jour, aucun plan antérieur ne nous étant parvenu, alors qu’ils se multiplieront par la suite. Ainsi peut-on, à la suite de Dezallier d’Argenville au début du xviiie siècle, considérer Le Nôtre comme « le créateur de l’art du jardinage ».

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n Carlo Maratta, André Le Nôtre, vers 1679 (la décoration de l’ordre de SaintMichel a été ajoutée postérieurement). n André Le Nôtre, Plan du jardin et parc de Vauxle-Vicomte. Réalisé probablement en 1659, ce document est l’un des rares plans dessinés par André Le Nôtre qui aient été conservés. Il est à ce jour le plus ancien plan connu d’un projet d’ensemble de jardin dressé par un jardinier (page de droite).



Vaux et la cristallisation d’un nouveau modèle de jardin

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a grammaire du jardin dit « à la française » (cette appellation n’existe que depuis le xixe siècle), ses codes, ses caractéristiques, son vocabulaire et ses figures de style se sont mis en place au fur et à mesure, sur une longue période. Celle-ci court du début du règne d’Henri IV (1594) jusqu’à l’apparition de jardins réunissant certains éléments : emploi du buis ; nouvelle manière de composer les parterres ; utilisation diversifiée de l’eau ; composition d’ensemble et effets paysagers. Vaux-le-Vicomte semble bien être la première grande manifestation de ces jardins d’un genre nouveau. Dans son Théâtre des plants et jardinages, Claude Ier Mollet (1557-1647) revendique fièrement deux innovations dont il a été le témoin et le protagoniste. Il est à l’origine de la première, qui consiste à employer du buis dans les parterres. Cette pratique n’est attestée en France qu’à partir de 1609 dans les archives, mais elle remonte à 1595 selon Mollet, qui déclare avoir utilisé du buis à Fontainebleau, Monceaux, Saint-Germain-en-Laye et aux Tuileries. Les premiers parterres de broderies de buis sont donc contemporains de la seconde école de Fontainebleau

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n Israël Silvestre, Vue et perspective du jardin de Vaux le Vicomte. Au premier plan et au centre, le parterre de broderie.


n Israël Henriet, Vue du château de Courance, vers 1640. Avec sa demi-lune ajoutée en fond de composition, ses compartiments encore proches du carré, un grand canal et des jeux d’eau variés, les jardins de Courances sont représentatifs des réalisations de la première moitié du xviie siècle. La cour du château est quant à elle encore fermée de hauts murs.

plutôt que des époques dites classique ou baroque. Si le buis a un inconvénient (son odeur, qui incommode les commanditaires), il présente plusieurs avantages déterminants aux yeux de Claude Ier Mollet : sa rusticité, qui le rend résistant à la chaleur et au gel, le fait qu’il soit persistant, et donc toujours vert, et sa longévité, qui évite d’avoir à refaire un parterre tous les trois ans environ, comme c’était le cas jusqu’alors avec les plantes vivaces auparavant employées par Mollet et « qui faisoient diversité de verts ». Notons au passage que Mollet préférait le gros buis au buis nain, qu’il trouvait moins résistant au froid et à une tonte sévère. L’autre innovation est le fait d’un ornemaniste et architecte, Étienne Dupérac (1520-1604), que Mollet a rencontré en 1582 à Anet, où son père était jardinier du duc d’Aumale. Le « grand volume » que Dupérac enseigne à Mollet doit être interprété comme une tendance à composer les compartiments sans multiplier les subdivisions sans liens les unes avec les autres. Cette propension à l’unification du parterre, dont les différents compartiments ne forment plus qu’un seul grand dessin, jointe à l’augmentation probable de la superficie des parterres (et des jardins), annonce l’étape suivante : l’application de ces principes directeurs à la conception du plan d’ensemble. Les compartiments de Saint-Germain (mais aussi de Fontainebleau) « dont l’on pourra tirer l’adresse de faire un jardin entier, aïant des allées droites, des costés droits, des diagonales, & des curves », selon Olivier de Serres (1600), ont vraisemblablement donné naissance à des jardins en « grand volume ». Quelques décennies plus tard, les premiers traités exclusivement consacrés au jardin (ceux de Jacques Boyceau, d’André Mollet et de Claude Ier Mollet) énoncent en tous cas que les parties des jardins doivent être proportionnées entre elles. On sait que Jean Le Nôtre, père d’André, ou Claude Ier Mollet donnaient des modèles de parterres et de bosquets, mais il est peu probable qu’ils aient inventé des plans d’ensemble. Ce qui paraît certain, c’est que la plantation ex novo, au cours des décennies 1610-1630, de jardins tels que le Luxembourg, Richelieu ou Liancourt, requérait un plan d’ensemble ; malheureusement, on ne sait pas qui les élaborait, ni qui, de l’architecte ou du jardinier, faisait office de dessinateur de jardins. Ce qui est certain, en revanche, c’est que la forme des parterres a évolué entre la fin du xvie siècle et le début des années 1650, passant d’un plan centré (quatre carrés avec un bassin central) à quatre carrés accompagnés d’une demilune (Berny, palais du Luxembourg, Palais-Cardinal, Richelieu) avant d’aboutir à la forme oblongue des deux rectangles parallèles de Gagny et de Vaux.

n Charles Estienne et Jean Liébault, exemple de compartiment de parterre à l’ancienne mode, 1583. n Jacques Mollet, exemple de parterre composé en « grand volume », vers 1620.

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La transformation progressive des parterres va de pair avec l’évolution concomitante, mais assez lente, de la composition d’ensemble des jardins, qui ne se manifeste vraiment qu’à Vaux. Le jardin de Liancourt, l’un des plus importants des années 1630, est encore composé d’une multitude de parterres et de bosquets de plan carré assemblés dans une trame orthogonale simple. On peut voir dans cette composition l’une des dernières transpositions en grand de ces parterres en damier décriés par Jacques Boyceau (1560-1635), intendant des jardins du roi, grandement lassé de « voir tous les jardins partis seulement en lignes droites, les uns mis en quatre carrez, les autres en neuf, les autres en seize, & jamais ne voir autre chose ». L’accumulation des bosquets carrés de Versailles, héritage des jardins de Louis XIII, présentera de ce point de vue une forme d’archaïsme. La composition de Vaux – et, avant Vaux, celle de Gagny – prendrait ainsi le contrepied du plan simple de Liancourt. L’influence de ce dernier jardin ne saurait toutefois être négligée : la densité et la variété de ses décors hydrauliques constituaient en effet un répertoire de formes susceptibles d’inspirer bien des réalisations ultérieures. Le motif du grand canal appartient enfin à ce lot d’innovations apparues entre la fin du xvie siècle et le milieu du xviie siècle. Le premier grand canal réalisé en France est celui de Fleury-en-Bière. Long de 800 mètres pour une largeur d’à peine dix mètres, il a été construit dans la seconde moitié du xvie siècle en régularisant le lit de la rivière locale et en revêtant ses berges de maçonnerie. Le grand canal de Fontainebleau (1606-1609, long de 1 200 mètres) est le deuxième exemple de ce nouveau motif qui va évoluer tout au long de la première moitié du xviie siècle. Vers le milieu du siècle, le modèle du canal très longiligne aura cédé la place à celui, plus large, de Vaux, auquel Le Nôtre donnera de nouveaux développements dans ses jardins ultérieurs à Chantilly, Versailles et Sceaux, notamment. Cette évolution sur un demi-siècle du motif du grand canal est emblématique de la longue mutation du modèle des jardins à cette époque. Berny, Courances, Liancourt, le Luxembourg, le premier Versailles et le parc du château de Richelieu, que devait connaître Fouquet, sont une partie des sites sur lesquels s’opère cette mutation, jusqu’à l’aboutissement que constitue Vaux-le-Vicomte.

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n Le grand canal (page de droite).

n Henri Mauperché, Grande Vue des jardins de Liancourt. L’un des plus vastes jardins réalisés dans les deux décennies qui précèdent le chantier de Vauxle-Vicomte.


Je donne au liquide cristal

Tomber à flots précipités ;

Plus de cent formes différentes,

Sur des glacis je fais qu’il roule,

Et le mets tantôt en canal,

Et qu’il bouillonne en d’autres lieux ;

Tantôt en beautés jaillissantes ;

Parfois il dort, parfois il coule,

On le voit souvent en degrés

Et toujours il charme les yeux. Jean de La Fontaine, Le Songe de Vaux (1659-1661)

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Les secrets d’un jardin Rarement avait-on pratiqué un tel enchaînement de parterres, terrasses, canaux, cascades et grottes architecturées. Dans son roman Clélie (1654-1660), Madeleine de Scudéry insère une description de Valterre, pseudonyme qu’elle donne à Vaux-le-Vicomte. Elle y souligne l’impression d’unité ressentie devant Valterre, où elle perçoit dès l’entrée dans le jardin « tant de beaux objets qui se confondent par leur éloignement ». Cela n’est pourtant que l’amorce des nombreux effets paysagers mis en ordre par Le Nôtre pour créer un univers riche de surprises et d’illusions suscitées à mesure qu’on le découvre. Ces effets sont délibérés et ne doivent rien au hasard ; ils sont, au contraire, le résultat d’un chantier considérable. Si, dès le perron sud, Madeleine de Scudéry peut remarquer que « ce grand jardin est entre deux bois, qui arrêtent agréablement les yeux », c’est

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n Plan schématique indiquant l’emprise du ru de Bobet par rapport à celle du jardin.


À la sortie du salon ovale, le jeu des perspectives donne l’illusion d’un jardin de dimensions encore raisonnables. Les bassins semblent de proportions équivalentes, la grotte paraît édifiée sur le bord du carré d’eau. Au cours de sa promenade, le visiteur va être amené à constater que tout cela n’est qu’illusion et le jardin va révéler bien d’autres objets. n

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que la rivière qui coulait à l’origine dans son emprise a été déviée dans une galerie souterraine rejetée latéralement. L’effet de cadre dû aux bosquets d’arbres est magnifié par la topographie de ce vallon du ru de Bobet, légèrement encaissé et incliné ; Le Nôtre a su en tirer admirablement parti. Lorsqu’il sort du salon ovale du château, le visiteur de Vaux-le-Vicomte se trouve face à un jardin harmonieux dans lequel les parterres de broderies, les parterres de gazon, la grotte et la statue d’Hercule semblent se répondre et se succéder avec fluidité en un concert symétrique. Tout cela n’est qu’illusion : rien n’est réellement symétrique. Doublement trompé par ses sens, le promeneur va être amené à découvrir un jardin bien plus grand qu’il n’est en apparence. À ce stade du parcours, les canaux transversaux qui séparent les parterres sont insoupçonnables. De même, la grande cascade et le grand canal, pourtant presque aussi large qu’un fleuve, ont été visuellement escamotés grâce au remblai de la terrasse du premier carré d’eau. Ils ne se dévoileront à sa vue que lorsque le visiteur aura atteint ce qui semble être, depuis le château, le bout du jardin. De ce point d’observation, on peut aussi se familiariser avec les jeux de perspective que Le Nôtre a mis en place. Si la grotte apparaît si proche et incluse dans la première partie du jardin, c’est grâce au surdimensionnement des éléments qui la composent  : les sculptures des divinités fluviales sont colossales, de même que la balustrade qui couronne cet ensemble architectural est de proportions exceptionnellement grandes, tout comme la statue d’Hercule. Il faut s’intéresser aux quatre principaux bassins qui semblent

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n Les axes transversaux donnent de la diversité à la composition et complètent l’axe principal. (A) axe « des deux fontaines jaillissantes » ; (B) axe Grille d’eau-grille du potager (C) axe grotte sèche-grande allée de terrasse ; (D) axe du grand canal

(Restitution de Vaux-le-Vicomte dans son état de la fin du xviie siècle. Dessin de Cyril Bordier)


de même taille alors qu’il n’en est rien : les bassins des parterres de gazon sont en réalité de forme allongée, et le carré d’eau est en fait une très vaste surface aquatique. Seul le rond d’eau du parterre de broderies ne « triche » pas. Le Nôtre met là en application le principe des anamorphoses perspectives décrit par le physicien Jean-François Nicéron dans son livre La Perspective curieuse (1638). Ce principe était connu dans le milieu des ateliers de peintres comme celui de Simon Vouet dans lequel Le Nôtre compléta sa formation. Les questions de déformations perspectives n’étaient pas ignorées non plus dans le milieu des créateurs de jardins. Dans son traité paru en 1651, Le Jardin de plaisir, André Mollet indique que les parterres les plus éloignés de la vue doivent être réalisés « en plus grand volume que ceux qui sont plus proches ». À Vaux, ce principe a été démultiplié pour s’appliquer non seulement aux parterres, mais aussi à l’ensemble du jardin. Loin de n’être conçus que pour être saisis dans leur intégralité depuis un seul point, les jardins d’André Le Nôtre réservent des surprises au fur et à mesure de la déambulation, ce qui évite toute monotonie. La multiplication des axes transversaux concourt à cette grande variété des vues et des itinéraires en dehors de l’axe principal ; mais ce n’est pas tout : outre leur répartition équilibrée qui rythme à intervalles réguliers la découverte du jardin, Le Nôtre a construit – comme dans une perspective ralentie – des axes transversaux de plus en plus larges au fil du parcours. Tout d’abord assez discrets à la sortie du pont-levis, où la première ligne transversale est marquée par « deux fontaines jaillissantes en deux petits coins solitaires » décrites dans Clélie, ces axes sont de plus en plus marqués, avec l’axe médian du parterre de broderies aboutissant à la Couronne, d’abord, puis avec

n Israël Silvestre, Vue et perspective de la grotte et d’une partie du canal. Le reflet de la grotte dans le carré d’eau du grand canal représenté avec soin par Silvestre, témoin attentif du chantier, atteste l’importance accordée aux effets de miroir voulus par André Le Nôtre. (La statue de Neptune sur son rocher était projetée mais n’a jamais été installée).

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Reflet de la grotte sèche dans le carré d’eau.

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Les portiques architecturés entre bâtiments de communs et douves.

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Les trois baies du grand salon.


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Reflet du château dans le carré d’eau.

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Reflet des lisières du jardin dans le bassin des tritons.


l’allée reliant la grille du potager et la Grille d’eau – allée d’ailleurs doublée par les canaux qui lui sont parallèles. Arrive ensuite, à l’extrémité des parterres de gazon, la composition axée sur la grotte sèche, le premier carré d’eau et l’allée de la grande terrasse, juste avant le grand canal. Le même principe est appliqué au sud, dans le grand parc boisé où, au niveau du carrefour de l’Étoile, l’allée transversale est fortement soulignée en aboutissant à la pièce ou demi-lune de Pouilly. Aux jeux de la perspective et des axes de composition, Le Nôtre a ajouté celui des miroirs, qui participent de cette démonstration jubilatoire des secrets de son métier. La minutie avec laquelle Israël Silvestre représente, dans l’une de ses gravures, le reflet de la grotte qui apparaît comme posée sur le carré d’eau du grand canal est révélatrice des intentions de Le Nôtre. Avant de pouvoir apercevoir ce reflet, le visiteur découvre, en se positionnant au bord du premier carré d’eau, le reflet de l’Hercule, comme s’il était exactement posé sur la margelle opposée. En contournant le bassin et en se retournant, il peut alors contempler cette fois le reflet parfaitement cadré du château. En se plaçant sur le bord ouest, il voit enfin le reflet de la façade de la grotte sèche. Ce qui n’est en apparence qu’une simple pièce d’eau carrée acquiert alors une place à plus d’un titre centrale dans le jeu de composition du jardin. Un réseau de correspondances architecturales a aussi été savamment réparti sur l’ensemble du jardin. Il renforce le sentiment d’unité qui s’en dégage. L’ordonnance des trois baies cintrées du vestibule et du salon est répétée dans l’élévation des portiques situés dans le prolongement des communs et dans la façade de la grotte sèche. Les portiques encadrant la grande grille de l’avant-cour trouvent quant à eux un écho dans ceux, plus petits, de la grille du potager. Les termes sculptés de la grille d’honneur répondent à ceux de la grotte des animaux du canal, comme en un dialogue d’une extrémité à l’autre de la composition.

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n Rodolphe Pfnor, élévation des portiques architecturés encadrant la grande grille d’honneur et la grille du potager. En les représentant côte à côte, Pfnor souligne le rapprochement à opérer entre ces motifs.


La statuaire, pour laquelle Charles Le Brun donne le programme, offre un autre niveau de lecture. Ainsi, autour de la grotte, les sculptures d’animaux et de divinités apportent leur lot de symboles. De part et d’autre des volées d’escaliers, les lions protégeant dans leurs pattes un écureuil sont une déclinaison du blason héraldique des Fouquet. Les dieux fleuves représentés couchés et appuyés sur une urne d’où s’épanche l’eau font également l’éloge du surintendant. Selon Madeleine de Scudéry, la mélancolie du Tibre s’explique parce qu’il est surpassé par le fleuve du lieu, l’Anqueil, à l’air « gai et enjoué ». Au centre du carré d’eau, c’est une image à la gloire de Fouquet grand armateur qui, cette fois, est délivrée. Pour Jean de La Fontaine, la figure de Neptune sur son rocher (aujourd’hui disparue) est là pour remettre au surintendant « tous les trésors de

n Mathieu Lespagnandel, lions encadrant les volées d’escalier de la grotte. Des écureuils, emblème de la famille Fouquet, trouvent protection entre les pattes des félins qui rappellent ceux en basrelief des façades du château.

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l’empire maritime », les coraux et les coquillages qui ornent les pétrifications de la grotte. La statue d’Hercule, enfin, règne sur les lieux. Appuyé sur sa massue, le héros se repose après ses célèbres exploits. Son omniprésence tout au long du site est une autre prouesse de Le Nôtre. Lorsqu’on entre à Vaux-le-Vicomte par la grande grille d’honneur, il semble, depuis l’avant-cour, comme installé au centre du vestibule du château. Pourtant, plus tard, lors de la visite, il apparaît tour à tour en reflet dans le carré d’eau, puis comme posé sur la balustrade de la grotte avant de révéler, après maintes autres surprises dispensées à travers le jardin, sa vraie dimension colossale.

n

L’Anqueil (page de gauche en haut).

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Le Tibre (page de gauche en bas).

n Depuis la rive du grand canal, la statue d’Hercule apparaît comme posée sur la balustrade de la grotte.

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L’Hercule Farnèse face au château et au jardin (statue colossale installée au xixe siècle).



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