L'ÉCOLE DE NANCY. ART NOUVEAU ET INDUSTRIE D'ART (extrait)

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Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coéditions : Véronique Balmelle Coordination éditoriale : Lore Gauterie Conception graphique : Élisabeth Welter Contribution éditoriale : Karine Forest Fabrication : Béatrice Bourgerie, Mélanie Le Gros

© Somogy éditions d’art, Paris, 2018 © Musée de l’École de Nancy, 2018 ISBN : 978-2-7572-1382-7 Dépôt légal : avril 2018 Imprimé en Union européenne

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ART NOUVEAU ET INDUSTRIE D‘ART MUSÉE DE L’ÉCOLE DE NANCY

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PRÉFACE

En février 1901, un groupe d’artistes, d’architectes et d’industriels d’art ont souhaité se réunir en association et ont créé l’École de Nancy. Malgré certaines rivalités et différences d’appréhension, ils se sont unis pour défendre leurs productions et créations, encourager la formation des ouvriers d’art et promouvoir l’art décoratif moderne lorrain. Pour ce faire, ils se sont clairement affirmés comme des industriels d’art, l’association prenant également le nom d’Alliance provinciale des industries d’art. Cette volonté de modernité et le recours à l’industrie ne sont pas propres qu’à l’École de Nancy mais traversent l’Art nouveau en Europe, à la même époque, dans d’autres villes telles Bruxelles, Glasgow, Milan ou Vienne. L’exposition organisée par le musée de l’École de Nancy au musée des Beaux-Arts rappelle ces principes à travers différents exemples visibles, tant dans l’organisation de ces manufactures, que dans la production de pièces modestes ou uniques, la rénovation du cadre de vie ou la diffusion et les magasins. Les grands noms de l’Art nouveau nancéien seront évoqués tels Émile Gallé, la manufacture Daum – toujours en activité et qui fête en 2018 son 140e anniversaire –, Eugène Vallin, Jacques Gruber et d’autres plus modestes qui ont largement contribué à la vitalité artistique de Nancy à cette période. L’adaptation à un nouveau mode de vie prôné par l’École de Nancy est perceptible dans la Villa Majorelle dont les façades et les toitures viennent de faire l’objet, en 2016-2017, d’une longue et précise restauration. Le projet autour

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de cet édifice classé monument historique va se poursuivre ces prochaines années, sur les intérieurs. Ces derniers vont être restaurés et aménagés avec meubles et objets d’art. Cette rénovation devrait permettre de redonner tout son cachet à la Villa et de témoigner de l’harmonie et de l’unité revendiquées entre architecture, décoration intérieure et mobilier. Ce précepte reste toujours d’actualité dans notre vie quotidienne et nous pouvons espérer voir s’appliquer de nos jours, une des missions que se sont assignés les artistes nancéiens : « l’art pour tous et l’art dans tout ». C’est une des leçons que l’École de Nancy et le patrimoine conservé et mis en valeur par la Ville de Nancy peuvent continuer à apporter et à propager.

LUCIENNE REDERCHER

LAURENT HÉNART

Adjointe au maire, déléguée à la Culture, à l’Intégration et aux Droits de l’homme

Maire de Nancy, ancien ministre

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L’ÉCOLE DE NANCY ART NOUVEAU ET INDUSTRIE D’ART Catalogue publié à l’occasion de l’exposition « L’École de Nancy. Art nouveau et industrie d’art » organisée par la Ville de Nancy et le musée de l’École de Nancy au musée des Beaux-Arts de Nancy, du 19 mai au 3 septembre 2018. Commissariat Valérie Thomas, conservateur en chef, musée de l’École de Nancy Jérôme Perrin, assistant principal de conservation, musée de l’École de Nancy Assistés d’Élodie Réot Régie des œuvres Patricia Pédracini, régie des expositions, Nancy-Musées

Düsseldorf, Glassmuseum Hentrich Dedo Von Kerssenbrock-Krosigk, directeur Inge Maruyama, régie des œuvres Épinal, Musée départemental d’art ancien et contemporain Thierry Dechezleprêtre, conservateur en chef Suzanne Stemmer, chargée des collections de peintures et de sculptures Lyon, musée des Beaux-Arts Sylvie Ramond, conservateur en chef, directeur

Administration Olivier Krier, administration des expositions, Nancy-Musées

Salima Hellal, conservateur en charge des Objets d’art

Muséographie Didier Blin Centre technique municipal

Sophie Leconte, régie des œuvres

Graphisme et signalétique Frédéric Rey 6

L’exposition a été organisée grâce au généreux concours de plusieurs collections publiques et de collectionneurs privés qui ont préféré conserver l’anonymat. Par leurs prêts, ces institutions ont permis la réalisation de cette manifestation. Qu’ils soient remerciés, en particulier :

Restauration des œuvres Bluenn Boulangé, Hervé Leriche, Pauline Parfait-Emma Insigrini-Groult, Armelle Poyac, Nathalie Schluck Que toutes les personnes ayant permis la réalisation de l’exposition « L’École de Nancy. Art nouveau et industrie d’art » reçoivent l’expression de notre gratitude pour leur précieuse collaboration. Cette manifestation n’aurait pu être organisée sans l’appui et le soutien de : Laurent Hénart, maire de Nancy Lucienne Redercher, adjointe au maire déléguée à la Culture, à l’Intégration et aux Droits de l’homme Anne Mistler, directrice régionale des Affaires culturelles du Grand Est Christine Richet, directrice pôle Patrimoine, DRAC Grand Est Bertrand Bergbauer, conseiller pour les musées de Lorraine, Direction régionale des affaires culturelles de Lorraine Véronique Noël, directrice du pôle Culture-Attractivité de la Ville de Nancy, Guillaume Doyen, directeur des Affaires culturelles et leur équipe

Maryse Bertrand, assistante du directeur chargée de la coordination des prêts

Nancy, cristallerie Daum Richard Odier, directeur général Laura Brami, service juridique Vanessa Sitbon, service communication Benoît Crantz Nancy, palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain Richard Dagorne, conservateur en chef Sophie Mouton, conservatrice chargée des collections XIXe -XXe siècle Anne-Laure Rameau et Irène Portal, régie des œuvres Lorraine Daval, Bénédicte Pasques et Claire Tiné, documentation Nancy, musée des Beaux-Arts Charles Villeneuve de Janti, directeur Marion Pacot, attachée de conservation Michèle Leinen et Muriel Mantopoulos, documentation Florence Portallegri, régie des œuvres Nancy, École nationale supérieure d’art de Nancy Christian Debize, directeur Sophie Petitjean, documentaliste

Charles Villeneuve de Janti, directeur du musée des Beaux-Arts, directeur de Nancy-Musées

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Paris, musée d’Orsay Laurence Des Cars, directrice Claire Bernardi, conservateur, et Élise Dubreuil, conservateur

L’exposition et le présent ouvrage ont bénéficié du soutien généreux des collectivités suivantes, que nous associons à nos remerciements :

Matthieu Leverrier, régie des œuvres Rambervillers, musée de la Terre Marie-Claude Ferry, présidente Pour leur contribution à la publication de cet ouvrage, nous remercions tout particulièrement les auteurs des différents essais : Jean-Claude Bonnefont, Roselyne Bouvier, Claire Centres, Lucie Collot, Hervé Doucet, Blandine Otter, Bénédicte Pasques Pour la qualité de leurs conseils et l’aide apportée à la préparation de cette exposition et à la réalisation de ce catalogue, nous tenons également à remercier : Marie-Liesse Boquien, documentation objets d’art, musée d’Orsay ; Roselyne Bouvier, Philippe Carpentier et Laurence Casalini, documentaliste, Service régional de l’Inventaire de Lorraine ; Paul Chasse, Rakow Library, Corning Museum of Glass ; Dominique Courtot ; Carole Dufour, chargée de la régie des œuvres et de la photothèque, Musée départemental d’art ancien et contemporain, Épinal ; Muriel Fleurance ; Mireille François, bibliothèque municipale de Nancy ; Steeve Gallizia, Service archives, Institut national de la propriété industrielle ; Jean-François Gonot, Jardin botanique du Grand Nancy et de l’université de Lorraine ; Deborah Hasson Biermann ; Juliette Langlois, Laboratoire de recherche des musées de France ; Jérôme Legrand, documentation photographie, musée d’Orsay ; Annie Madec, agence photographique de la RMN ; Simon Remy, responsable des fonds figurés, archives municipales de Nancy ; Henrique Simoes, chargé du Service images, musée des Beaux-Arts, Lyon ; Philippe Vaillant, Robert Zehil

L’exposition bénéficie du soutien exceptionnel du musée d’Orsay.

Les œuvres du palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain ont été prêtées avec l’aimable accord de la Société d’histoire de la Lorraine et du Musée lorrain.

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Nous souhaitons aussi associer à ces remerciements, pour l’aide apportée dans l’organisation de cette manifestation, l’ensemble du personnel du musée de l’École de Nancy et de Nancy-Musées, en particulier : Administration : Monia Apparu, Jean-Paul Darada, Élisabeth Harelle, Éric Maugras, Ingrid Thiery Conservation : Marion Pacot, François Parmantier Documentation : Blandine Otter Département des Publics des musées : Lucie Chappé, Ghislaine Chognot, Katell Coignard, Emmanuelle Guiotat, Véronique Hazotte, Carole Miglietta, Sandrine Mondy, Sophie Toulouze ainsi que les médiateurs de Nancy-Musées Communication : Véronique Baudoüin, Lucie Poinsignon Service technique : Damien Boyer, Filipe Domingues, Nicolas Moreau et l’équipe technique L’équipe d’accueil et de surveillance

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SOMMAIRE p. 10

AVANT-PROPOS Valérie Thomas p. 12

L’ÉCOLE DE NANCY. ALLIANCE PROVINCIALE DES INDUSTRIES D’ART Hervé Doucet

p. 110 UN NOUVEL OBJET. LE LUMINAIRE ÉLECTRIQUE p. 118 PROTÉGER LA CRÉATION. PROTECTION DES INVENTIONS, DÉPÔTS DE BREVETS ET DE MODÈLES p. 134 DÉVELOPPER LE GOÛT POUR L’ART NOUVEAU, LE BIBELOT

ŒUVRES EXPOSÉES

p. 140

p. 24

LA RÉNOVATION DU CADRE DE VIE

LE CONTEXTE. NANCY VILLE REFUGE, NANCY VILLE INDUSTRIELLE Jean-Claude Bonnefont p. 34 LA CHAMBRE DE COMMERCE ET LA SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE DE L’EST

p. 38

USINES ET OUVRIERS D’ART Valérie Thomas p. 42 DES ENTREPRISES MODERNES. ORGANISATION INTERNE ET COLLABORATEURS p. 58 LES PROCESSUS DE CRÉATION p. 76 LA FORMATION AU CŒUR DES STATUTS DE L’ÉCOLE DE NANCY

p. 86

UNE PRODUCTION MODERNE ET INDUSTRIELLE ? Valérie Thomas p. 90 UNE DOUBLE PRODUCTION MODERNE ET DE STYLE p. 94 LA VULGARISATION ARTISTIQUE. DE LA PIÈCE UNIQUE À SA DÉCLINAISON

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Roselyne Bouvier p. 144 UNE CONCEPTION D’ENSEMBLE. LA MAISON PAUL LUC À NANCY p. 154 UNE FORMATION AU SERVICE DE L’ART TOTAL p. 156 HABILLER LES FAÇADES ET LES INTÉRIEURS. L’INDUSTRIE DES DÉCORS ET DES ORNEMENTS p. 162 LE VELOURS. UNE MATIÈRE PRIVILÉGIÉE POUR LES INTÉRIEURS p. 166 LA SERRURERIE D’ART p. 170 L’EXPÉRIENCE DU MOBILIER. LA DIFFUSION D’UN STYLE

p. 176

LES LIEUX ET LES MODES DE DIFFUSION. MAGASINS, CATALOGUES ET PUBLICITÉS Bénédicte Pasques p. 190 LES MAGASINS. IMAGES DE L’ART NOUVEAU p. 192 L’ART NOUVEAU SUR PAPIER. PUBLICITÉS, CATALOGUES, MENUS ET AFFICHES

p. 214

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

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AVANT-PROPOS

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L’École de Nancy a pris part, au tournant du XXe siècle, au renouveau des arts décoratifs, participant à un mouvement plus large en Europe, l’Art nouveau, qui s’est développé parallèlement dans différentes villes. Ce mouvement qu’il est parfois difficile de décrire tant ses résultats sont divers et variés, peut cependant se résumer selon François Loyer1 à trois notions communes : l’identité territoriale, le rapport à l’industrie, la volonté de modernité. C’est justement ces deux dernières notions que nous avons voulu interroger à l’occasion de cette manifestation en associant œuvres, archives et documents liés aux artistes nancéiens. Créée le 13 février 1901, l’association École de Nancy porte également le nom d’Alliance provinciale des industries d’art, se définissant dans les statuts comme une « sorte de syndicat des industriels d’art et des artistes décorateurs [qui] s’efforce de constituer en province, pour la défense et le développement des intérêts industriels, ouvriers et commerciaux du pays, des milieux d’enseignement et de culture favorables à l’épanouissement des industries d’art ». Les artistes nancéiens revendiquent clairement leurs liens avec l’industrie et leurs statuts d’industriels, à la différence de William Morris et du mouvement Arts and Crafts promouvant le travail artisanal. Le propos de l’exposition est donc de questionner et de présenter l’organisation, le fonctionnement de ces entreprises ainsi que les moyens à disposition pour concevoir, produire et diffuser.

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« L’humain » est au cœur de cette manifestation car l’École de Nancy rassemble de nombreux industriels d’art, artistes et architectes qui souhaitent améliorer le cadre de vie de leur époque en créant un art nouveau inspiré par la nature. L’association s’est également beaucoup intéressée à la question de la formation des ouvriers d’art, cette dernière s’avérant nécessaire et prioritaire pour le fonctionnement de ces entreprises2. Les ateliers nancéiens de Gallé, Majorelle, Daum et Vallin sont ainsi évoqués aux côtés d’autres plus modestes qui, tous, ont contribué à l’essor de l’Art nouveau nancéien. À côté des « maîtres », le rôle des ouvriers d’art et des collaborateurs est également précisé, même si dans ce milieu industriel leurs noms sont très rarement mentionnés au bénéfice de celui de l’entreprise, les créations portant toujours la signature de cette dernière 3. Les archives et les documents conservés ne permettent cependant pas d’illustrer toutes les maisons d’art nancéiennes. Si l’usine d’art Gallé et la manufacture Daum nous sont connues à travers des fonds photographiques et quelques documents d’archives, ce n’est pas le cas de la maison Majorelle pour laquelle nous ne disposons pas de témoignages écrits ou visuels

1 Loyer, 2000, p. 12.

3 Une exception :

2 Voir l’article d’Hervé Doucet p. 12-21.

le vase Rose Wild qui porte la signature de Gallé et de la décoratrice.

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anciens, seulement quelques reproductions publiées dans des revues d’époque. L’organisation de ces maisons, les outils, les processus de création et les innovations techniques sont mis en œuvre ensemble afin de renouveler la production artistique. L’exposition illustre ainsi le caractère novateur des créations nancéiennes où les procédés techniques les plus modernes de l’époque étaient utilisés pour produire des meubles et objets à la fois fonctionnels, dotés d’une esthétique inédite et utilisant des inventions récentes tels l’éclairage domestique ou l’emploi de l’acide. Les chefs-d’œuvre, pièces uniques ou de petite série, cohabitent avec les pièces de grande série dont la large diffusion a contribué à la reconnaissance internationale du foyer lorrain d’art décoratif et industriel. Cette volonté de modernité apparaît également très clairement dans le souhait de rénover le cadre de vie. Ce dernier doit être adapté à la vie quotidienne, dans des intérieurs aménagés et meublés non par des œuvres pastichant les styles historiques mais conformes aux usages de l’époque, fonctionnelles et modernes. C’est ainsi que l’on voit apparaître et se développer à cette époque, dans le domaine du mobilier, l’emploi de sellettes et de tables qui se placent et se déplacent facilement dans ces intérieurs. De même, une certaine unité est recherchée dans l’architecture et les aménagements intérieurs : unité de style, de forme, de motif ou de couleur au bénéfice d’une harmonie qui s’applique à tous les détails. Les plaques de propreté et autres

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éléments de serrurerie sont ainsi conçus pour s’insérer dans le décor global d’une pièce au même titre qu’un vitrail ou une cheminée. Les outils et les lieux de diffusion sont évoqués à travers différents exemples liés aux acteurs de l’École de Nancy car ce mouvement s’avère contemporain du développement des grands magasins et des outils publicitaires. Les maisons d’art nancéiennes ont su parfaitement utiliser les outils de diffusion à leur disposition, concevant cartes photographiques ou publicitaires, catalogues commerciaux ou notices d’exposition, privilégiant également pour ces derniers une typographie et des compositions originales et modernes. L’Art nouveau s’est parfaitement introduit dans le milieu des imprimeurs dont Nancy est à l’époque un berceau très actif et l’on voit apparaître de nombreux documents publicitaires pour divers maisons et commerces nancéiens privilégiant le répertoire végétal et inspirés par ce mouvement artistique.

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Valérie THOMAS

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HERVÉ DO UCET

L‘ÉCOLE DE NANCY ALLIANCE PROVINCIALE DES INDUSTRIES D‘ART

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« L’UN DES PROBLÈMES ACTUELS À RÉSOUDRE POUR NOS GRANDES USINES N’EST-CE PAS DE PRODUIRE DES ARTICLES QUI SOIENT FRANÇAIS DE GOÛT, ALLEMANDS QUANT AU PRIX1 ? »

Bien moins évocatrice pour le grand public qu’« École de Nancy », l’appellation officielle de l’association regroupant les artistes de l’Art nouveau nancéien, « Alliance provinciale des industries d’art », est pourtant celle qui reflète le plus précisément ses objectifs essentiels. Mouvement provincial qui entend œuvrer à la prospérité nationale par son action décentralisatrice, l’École de Nancy regroupe des industriels qui s’unissent pour protéger et accroître leur production en mutualisant certaines initiatives. À côté d’une « école » regroupant des artistes tirant leur inspiration de la nature, les différents écrits et discours rédigés par les acteurs de l’Art nouveau nancéien ainsi que les termes mêmes des statuts de leur association permettent de faire émerger un groupe d’industriels pragmatiques, soucieux de la rentabilité de leur entreprise et du succès industriel de la France face à ses concurrents européens.

LA NAISSANCE DE L‘ÉCOLE DE NANCY ET L ES INDUSTRIES D‘ART Alors que certains artistes lorrains, comme Émile Gallé, s’étaient déjà fait connaître dans les années 1880, il fallut attendre 1894 pour que l’existence d’un foyer nancéien particulièrement dynamique dans le domaine des arts décoratifs commence à s’imposer. Du 14 juin au 15 juillet de cette année-là eut lieu dans les galeries de la salle Poirel une « exposition d’art décoratif et industriel ». La Ville de Nancy avait confié la direction de son organisation à Charles André, alors architecte départemental et membre du conseil municipal. Selon son programme, l’exposition ambitionnait « de faire connaître les efforts tentés par les artistes et industriels lorrains pour la réalisation du beau dans l’utile2 ». Lors du discours qu’il prononça pour

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l’inauguration, Charles André se félicitait « de voir [les] grands industriels [lorrains] faire appel à des hommes de cette valeur et à des artistes tels que MM. Camille Martin, Hestaux, Grüber, Guingot3 », célébrant par là même la collaboration très profitable entre industriels et artistes. Revendiquant sa filiation avec l’exposition de 1894, l’École de Nancy, Alliance provinciale des industries d’art, fut fondée le 13 février 1901. L’appellation officielle de cette association souligne la place prépondérante qu’elle accordait à l’industrie. « Sorte de syndicat des industriels d’art et des artistes décorateurs4 », l’École de Nancy était dominée par un groupe d’artistes travaillant dans le même sens et partageant un certain nombre d’idéaux, esthétiques notamment. Dans les statuts, les qualificatifs qui accompagnent les noms de chacun des membres du comité directeur sont particulièrement significatifs de l’ambition de l’association : son président, Émile Gallé5, est présenté en tant que « céramiste, fabricant de meubles et maître de verreries ». Antonin Daum est également « maître de verreries » alors que Louis Majorelle est « fabricant de meubles d’art » et Eugène Vallin, « fabricant de menuiseries d’art »6. C’est donc bien en tant que « producteurs » d’objets que ces personnalités souhaitent d’abord se présenter et non en tant qu’artistes. Si Émile Gallé fut désigné président, c’est non seulement parce qu’il jouissait d’une réputation qui dépassait déjà largement les frontières lorraines, mais également parce qu’il était l’archétype de cet artiste industriel que l’association entendait promouvoir. Gallé était alors à la tête d’ateliers où environ deux cents personnes produisaient céramique, verrerie et mobilier à l’aide d’outils modernes qui permettaient d’en améliorer le rendement. Gallé était en outre celui qui avait

1 Gallé, 1884, p. 553. 2 Anonyme, 1894a, p. 38. 3 Texte du discours prononcé par Charles André à l’inauguration de l’exposition des arts décoratifs et industriels de Nancy en 1894, reproduit dans André, 1894, p. 76. 4 École de Nancy, 1901a, p. 3. 5 Si Gallé décide de la création de l’association en 1901, c’est sans doute aussi pour que lui soit reconnu son rôle moteur dans la création

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d’un centre artistique à Nancy. Auparavant, et pendant des années, il s’était plaint de voir certains de ses confrères lorrains le copier et être récompensés dans des manifestations internationales, sans que son rôle ne soit officiellement reconnu. Créer l’Alliance provinciale des industries d’art était donc pour lui le moyen de reprendre la main et de faire acter son rôle précurseur. 6 École de Nancy, 1901b.

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Fig. 2

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ŒUVRES EXPOSÉES

Les notices des œuvres ont été rédigées par Roselyne Bouvier, Claire Centres, Lucie Collot, Blandine Otter, Bénédicte Pasques, Valérie Thomas.

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LE CONTEXTE NANCY VILLE REFUGE, NANCY VILLE INDUSTRIELLE

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Les années 1870-1914 ont été des années d’intense renouvellement pour la ville de Nancy. La petite capitale provinciale endormie du début du XIXe siècle s’est métamorphosée, en une trentaine d’années, en une métropole hardie de toute la France de l’Est.

UNE VILLE DE LA FRONTIÈRE Après le traité de Francfort (1871), Nancy devient la porte d’entrée et le premier point d’accueil des Alsaciens-Lorrains qui veulent rester français. Un grand nombre d’entre eux s’y fixe définitivement avec leur famille. Mais ils ont gardé des attaches avec le pays annexé. C’est pourquoi l’opinion à Nancy est très sensible à tout ce qui se passe de l’autre côté de la frontière. La situation frontalière de Nancy nourrit à la fois un patriotisme ardent et un esprit d’émulation, qui poussent à se comparer aux performances économiques du pays voisin. L’autre conséquence de la situation frontalière de Nancy est le renforcement constant du rôle de l’armée dans la ville. Bien que Nancy ait été déclarée ville ouverte, elle accueille une garnison dont l’effectif ne cesse de croître jusqu’à la veille de la guerre de 1914. On doit construire pour elle de nouvelles casernes, Donop pour la cavalerie, Blandan, Verneau et Molitor, alignées à la limite du « nouveau Nancy », et transférer à Sédillot le vieil hôpital militaire de la porte Saint-Jean. L’apport des Alsaciens-Lorrains et celui de l’armée expliquent en partie, avec l’exode rural, l’essor démographique de Nancy, passée de 53 000 habitants en 1872 à près de 120 000 en 1911. Tous ces nouveaux habitants ont contribué à faire de la ville un grand marché de consommation, propice au développement sur place de grandes entreprises industrielles et commerciales.

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LA CAPITALE D‘U NE RÉGION INDUSTRIEL LE EN PLEIN ESSOR Certains facteurs favorables sont hérités de la période précédente : le canal de la Marne au Rhin, le chemin de fer de Paris à Strasbourg, les premières concessions de mines de fer. Mais un coup d’accélérateur est donné après 1871 avec l’arrivée des Alsaciens-Lorrains et le renforcement du rôle universitaire de la ville. On sait que les Alsaciens-Lorrains ont joué un rôle capital dans l’industrialisation de Nancy. Ils y ont apporté leurs capitaux, leur esprit d’entreprise, leur savoir-faire et jusqu’à leur main-d’œuvre, en incitant leurs ouvriers les plus qualifiés à les suivre. L’exemple classique de transfert réussi est celui de l’imprimerie Berger-Levrault de Strasbourg, dont la municipalité de Nancy a facilité l’installation rue des Glacis en 1872. Mais on pourrait multiplier les exemples, en citant la tonnellerie Fruhinsholz, la minoterie avec les Vilgrain, la verrerie avec les Daum, la chaussure ou l’industrie textile. Tous ces industriels ont joué un grand rôle à la chambre de commerce de Nancy, qui a été présidée à partir de 1903 par Louis Vilgrain. L’originalité de cette expansion industrielle est qu’elle s’est faite, surtout après 1880, en coopération étroite avec l’université. Aux trois facultés que possédait Nancy en 1870 (lettres, sciences et droit) se sont ajoutées en 1872 celles de médecine et de pharmacie, transférées de Strasbourg dans les bâtiments neufs d’un nouveau quartier. Elles accueillent toutes des professeurs alsaciens, qui ont choisi Nancy pour rester au plus près de la province perdue. Ils partagent la même culture, les mêmes valeurs que les industriels de même origine, ce qui favorise les contacts et les interactions. Comme l’enseignement n’offre encore qu’un petit nombre de débouchés à ses étudiants, la faculté des sciences accroît ses effectifs en offrant à un large public un enseignement de sciences appliquées, qui va aboutir peu à peu, après bien des efforts, à la création d’écoles d’ingénieurs spécialisées. C’est le chimiste Albin Haller qui, avec le soutien d’Ernest Bichat, a joué un rôle de pionnier dans ce domaine, en créant à l’exemple allemand, près de la porte de la Craffe, dans des bâtiments neufs, mieux adaptés que le solennel palais des Facultés, un Institut chimique spécialisé, qui a

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Les archives des industries d’art nancéiennes ont été peu conservées. Cependant, plusieurs clichés photographiques ainsi que des articles et des publications contemporaines permettent de se faire une idée de l’organisation et du fonctionnement de ces entreprises.

Émile Gallé a plusieurs fois décrit la disposition de son usine d’art et des différents bâtiments la composant, en particulier dans ses notes à l’intention des jurys d’exposition. En 1900, dans un projet de notes non publiées pour le jury du verre de l’Exposition universelle, il évoque la cristallerie selon ces termes : « Comme vous pouvez le voir par les photographies ci-jointes notre cristallerie se compose essentiellement d’une halle en premier étage, avec deux fours Boetuis (système Regnault), des arches à pot et à recuire, un four spécial au patinage breveté des verres, des ouvreaux de travail séparés ; l’atelier des marqueteurs de verre y est attenant, ainsi que tous les autres organes habituels à une fabrique de cristaux. Celle de Nancy est remarquable sans doute par l’élégance inusitée des constructions et par l’isolement des ateliers au milieu d’une école de botanique, à laquelle les ouvriers de plusieurs métiers ont pris l’habitude d’avoir eux-mêmes recours durant la fabrication. Je ne saurais trop insister sur ce détail, futile en apparence, mais qui explique la fidélité et la vérité des rendus : organes, végétaux, insectes, effets de lumière atmosphérique… Mais les ateliers importants ce sont : le laboratoire pour les recherches relatives à la coloration des cristaux, les essais de résistance au doublage. Ce sont surtout ceux d’études après nature, de création et composition décorative, de modelage, de ciselure et l’école de dessin et modelage pour les apprentis. »

Cette description révèle, outre l’équipement, l’existence de parterres de végétaux et atteste de l’importance accordée par l’artiste-verrier aux recherches décoratives et techniques. Plusieurs photographies ont été prises de la manufacture Daum, tant de l’intérieur que de l’extérieur, et témoignent d’une certaine proximité avec divers bâtiments de l’usine d’art Gallé, en particulier la halle verrière avec sa rampe d’accès ou les ateliers aux larges fenêtres.

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Peu d’archives écrites sont conservées pour la maison Majorelle, permettant de bien comprendre l’organisation interne de l’entreprise. Cependant, un article paru en 1906 dans le Bulletin de la Société industrielle de l’Est donne quelques informations1 et les illustrations publiées confirment l’existence de différents espaces, rue du Vieil Aître, abrités sous une charpente métallique et possédant de grandes baies vitrées, d’une surface de 3 500 mètres carrés. Ces photographies témoignent d’une claire répartition du travail, chaque atelier ayant une fonction précise : ébénisterie, marqueterie, sculpture sur bois, finition, décoration des étoffes et tentures, travail du métal (ciselure, bronze et ferronnerie d’art) ; dans chacun travaillent parallèlement plusieurs ouvriers. Un espace était également dédié au modelage et un autre au dessin. L’atelier de tissus de Charles Fridrich s’avère évidemment plus modeste mais révèle également des espaces différenciés et assez bien équipés. Ceux-ci nous sont connus par des clichés provenant du fonds familial et permettent d’y voir du personnel posant devant des modèles ou en pleine activité. Une vue montre une pièce proche d’un laboratoire, aux étagères remplies de bouteilles et d’instruments de chimie, rappelant l’usage de ces produits dans le domaine du velours décoloré. La question des ouvriers d’art et de leur formation est au cœur des préoccupations de l’association École de Nancy, lors de sa création en février 1901. Les manufactures d’art nancéiennes ont besoin d’un personnel qualifié mais aussi diversifié, remplissant les activités liées à la conception, à l’exécution, mais également à la gestion administrative et commerciale de l’entreprise. Quelques chiffres permettent d’avoir une idée de ce personnel : deux cent cinquante employés sont présents en 1905 chez Majorelle ; chez Daum, c’est près de trois cents ouvriers qui travaillent en 1908 alors qu’à l’usine d’art Gallé, on estime leur nombre à deux cents personnes en 1900. Même si les manufactures ont en interne les ressources humaines suffisantes, elles ont parfois recours à un collaborateur occasionnel pour des pièces souvent exceptionnelles ou répondant à une commande. Elles font surtout appel à un dessinateur pour concevoir les modèles et les décors. C’est le rôle que va jouer Jacques Gruber qui travaille pour les frères Daum

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1 Thiolère, 1906b, p. 317-324.

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UNE PRODUCTION MODERNE ET INDUSTRIELLE? MAQUETTE-NANCY_2603.indd 86

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L’Art nouveau s’est introduit progressivement dans les industries d’art mais il n’a pas mis un terme à la production courante de meubles et d’objets, puisant souvent dans les styles historiques alors très appréciés des intérieurs bourgeois.

Les entreprises ont donc continué cette production simultanément à l’exécution de pièces inédites, privilégiant des formes et des motifs nouveaux, ici fortement inspirés par la nature. C’est le cas pour la manufacture Keller et Guérin de Lunéville (cat. 80 à 87), mais également pour la maison Majorelle qui propose parallèlement des meubles en vernis Martin avec des décors imitant des scènes du XVIIIe siècle, créations qui avaient fait dans les années 1880 sa réputation et étaient à l’origine de commandes importantes1. Le goût de la clientèle nécessite parfois un temps d’adaptation, d’appropriation de ces œuvres nouvelles, et reste parfois longtemps attaché à un style. Ainsi, la manufacture Daum poursuit jusqu’en 1927 la production de verreries au décor naturaliste alors que l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 à Paris avait consacré l’Art déco. Il existe donc après la Première Guerre mondiale une permanence pour des modèles dont témoignent également les verreries industrielles des Établissements Gallé, confirmant l’existence d’un marché encore séduit par l’Art nouveau. Ce sont évidemment des questions de rentabilité qui sont à l’origine et justifient cette double production, les industries d’art cherchant à toucher une clientèle la plus large possible mais aussi à limiter les risques. Il fallait ainsi conserver une production classique qui avait fait ses preuves alors qu’on se lançait dans la conception et l’exécution de pièces inédites et innovantes dont le succès commercial n’était pas certain. La présence au sein d’une même pièce, de meubles et d’objets de styles divers, imitant le passé ou d’apparence contemporaine, semble avoir été fréquente d’après les photographies d’intérieurs de cette époque, attestant le souhait d’une certaine clientèle de trouver et d’acquérir cette double production. Cette recherche de rentabilité est également perceptible dans la volonté des industries d’art

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nancéiennes de proposer une large production allant de la pièce unique à la grande série. Ainsi Émile Gallé, dans sa « Notice sur la production de verres et cristaux de luxe d’E. Gallé » pour l’Exposition universelle de 1889, évoque les « applications industrielles » ou la « vulgarisation artistique », précisant que « Ni moi, ni mes ouvriers, nous n’avons trouvé impossible la conciliation de la production à bon marché et de l’art […] Je ne me suis pas soucié seulement de faire œuvre de maîtrise, j’ai voulu encore rendre l’art accessible, de façon à préparer un nombre moins restreint d’esprits à goûter les œuvres plus enveloppées ». L’industriel d’art utilise les recherches artistiques et techniques complexes menées au sein de l’usine, pour la mise au point d’une œuvre afin de les appliquer ensuite à une production plus industrielle et plus commerciale et pouvoir ainsi répondre à la demande d’un public plus large et plus modeste. La série autour du motif Rose de France en témoigne, tout comme celle autour des ombellifères qui touche également les services de table (cat. 94 à 101). Ce principe est également employé dans le domaine du mobilier ; les catalogues de la maison Majorelle et de Gauthier-Poinsignon mentionnent la possibilité d’adapter certains modèles. Ainsi il est possible chez Majorelle de faire exécuter plusieurs pièces en chêne ou en acajou mais également d’y associer un panneau marqueté ou non ; évidemment ces changements ont un coût supplémentaire. Dans les catalogues de Gauthier-Poinsignon, diverses mentions témoignent de capacités d’adaptation afin de laisser à la clientèle plusieurs choix :

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« tous les meubles peuvent s’exécuter en bois autre que ceux indiqués moyennant supplément pour exécution spéciale et différence de prix du bois » ou « tous les meubles peuvent être modifiés soit comme dimensions, disposition, bois ou sculptures moyennant supplément pour exécution spéciale ».

Chez Daum, ce souhait d’application industrielle ou de vulgarisation artistique se manifeste dans la possibilité accordée à la clientèle de combiner forme et décor selon sa volonté.

1 Par exemple, la commande

en 1886 du roi de Hollande d’un paravent et d’un ensemble de mobilier.

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LA RENOVATION DU CADRE DE VIE MAQUETTE-NANCY_2603.indd 140

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L’enseignement majeur de l’École de Nancy, qui fait aujourd’hui encore son succès, réside dans le principe de l’unité dans l’art au bénéfice d’un nouvel art de vivre et du façonnement de son environnement par les arts du décor.

Pour tous les artistes nancéiens qui y adhèrent, rompre avec les styles historiques et créer un langage radicalement neuf adapté aux exigences de la vie contemporaine devient nécessité. Le critique d’art Roger Marx, ardent défenseur de l’École de Nancy, avait déjà engagé activement une action en faveur des arts décoratifs, en refusant l’idée d’un art « pur » traditionnel au profit d’un art « utile », moderne, adapté à son époque. Ainsi revendique-t-il avec force l’idée de l’unité dans l’art et préconise-t-il comme solution à l’aboutissement de ce programme la refonte de l’enseignement et l’alliance entre l’art et l’industrie. Un programme dans l’air du temps bien sûr mais repris à leur compte par les peintres et sculpteurs qui, aux côtés des architectes et des décorateurs, apportèrent ainsi leur contribution au renouvellement des arts décoratifs. À Nancy ce fut particulièrement vrai dans le projet d’une architecture où les aménagements intérieurs se fondent harmonieusement dans l’architecture extérieure. Cette réflexion commune menée entre l’architecte et les artisans du décor a permis de penser les intérieurs en rupture avec le passé. Ce sont en fait le peintre, l’ébéniste, le céramiste, le maître verrier, le ferronnier et le décorateur qui font œuvre commune pour rendre le lieu de vie le plus cohérent, le plus harmonieux possible, et participer ainsi à l’embellissement du décor quotidien. Que le chef d’orchestre en soit l’architecte ou le commanditaire, la bonne entente entre tous les corps de métier fut un facteur de réussite, de même la nouvelle référence à la nature le fil conducteur de l’inspiration commune. Toutefois seules quelques maisons ou villas pour de fortunés commanditaires ont pu rendre possible cette modernité produite par la vitalité des arts décoratifs et des industries d’art. Car, malgré son essor démographique, la ville n’a pas su s’inscrire dans de vastes projets

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et dans un urbanisme à la hauteur de sa prospérité économique. Quand elles sont conservées, ces demeures restent évidemment aujourd’hui les fleurons du Nancy Art nouveau. La villa Majorelle, dite villa Jika, par son caractère d’exception, est le remarquable exemple d’application du principe de l’unité dans l’art. L’art dans tout, ce credo de l’École de Nancy, relève d’une volonté moderne de supprimer la hiérarchie des arts. Ce qui, dans le décor, exprime une des ambitions fondamentales des rénovateurs de l’habitat moderne. L’intérêt de Louis Majorelle pour l’aménagement intérieur apparaît bien avant 1900. Et il est intéressant de constater que dès 1896, il participe à l’agencement de la galerie d’exposition du couturier anglais Redfern, installé rue de Rivoli à Paris. La passerelle entre la mode et le monde artistique est toujours d’actualité, comme le prouve, cette année, l’exposition Dior au musée des Arts décoratifs, ancien siège de l’Union centrale des arts décoratifs. Mais l’émergence d’une réelle réflexion sur le rôle de l’architecte associé à celui du décorateur apparaît en fait dans l’aménagement des salles du Café de Paris, avenue de l’Opéra. L’architecte Henri Sauvage fait appel au Nancéien, « un artiste si bien doué, doublé d’un ingénieux technicien », pour meubler trois des salons à réaménager. Majorelle fournit tout ce qui est bois (mobilier, cheminée, encadrement de fenêtres, rinceaux du plafond) et métal (boutons de porte et plaques de garde). Même si la référence à la nature reste visible, la construction l’emporte sur le décor1. C’est une toute première expérience d’œuvre d’art totale où la pensée de l’architecte se conjugue à celle du décorateur dans le traitement d’un espace. L’amitié entre Majorelle et Sauvage, et la complémentarité de leurs approches trouveront une finalité dans la réalisation de la villa Jika à Nancy. La parfaite adéquation entre architecture et arts décoratifs, la transition entre extérieur et intérieur que le seul motif décoratif, la monnaiedu-pape, contribue à rendre fluide, relèvent d’une conception d’ensemble à laquelle s’ajoute le charme d’un parc arboré. Résultat d’une conception homogène et d’une grande unité dans sa réalisation, l’aménagement interne, sans aucune intention ostentatoire, répond au choix

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1 Jacques, 1899,

p. 161-167.

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LES LIEUX ET LES MODES DE DIFFUSION MAGASINS, CATALOGUES ET PUBL ICITÉS

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Le 22 juin 1894 s’ouvre pour la première fois à Nancy, dans les galeries Poirel, une « Exposition d’art décoratif et industriel lorrain » dont le but « est de faire connaître les efforts tentés par les artistes et industriels lorrains pour la réalisation du beau dans l’utile1 ».

Les principes de l’École de Nancy sont alors posés, l’intérêt est éveillé. Suivront, après la création officielle de l’Alliance provinciale des industries d’art en 1901, trois expositions spécifiquement dédiées à l’École de Nancy, dans trois villes différentes2. Présents également dans les salons de province, les industriels d’art nancéiens sont aussi et surtout à Paris : depuis 1884, où Émile Gallé s’est fait un nom à la VIIIe exposition de l’Union centrale des arts décoratifs, ils remportent de nombreux prix aussi bien aux Expositions universelles de 1889 et 1900 (cat. 263, 264 et 277) qu’au Salon annuel du Champ-de-Mars, pour ne citer qu’eux. Les expositions à l’étranger offrent quant à elles la reconnaissance internationale nécessaire pour trouver de nouveaux marchés (cat. 270)3. À l’Exposition internationale de l’est de la France en 1909, enfin, le pavillon de l’École de Nancy montrera tout le savoir-faire des industriels d’art à un nombre impressionnant de visiteurs. Premières vitrines de l’École de Nancy, les expositions sont un moyen incontournable de diffusion des productions. Des objets y sont achetés, des contacts y sont pris, des commandes effectuées (cat. 263 et 264). Un catalogue est publié et vendu, des cartes postales sont éditées4, les affiches sont dans la rue. Et même si c’est un public choisi qui accède à ces manifestations où l’entrée est payante5 (seuls les ouvriers d’art peuvent bénéficier de la gratuité d’entrée6), on a l’occasion de les découvrir par l’intermédiaire des journaux qui relatent ces événements au jour le jour. La presse, qu’elle soit quotidienne ou spécialisée, locale ou nationale voire internationale, est un relais essentiel pour les actions et les créations des industriels d’art. Parallèlement aux expositions, garantes d’excellence (les récompenses obtenues sont souvent mentionnées sur les documents publicitaires), les stratégies commerciales des industriels sont variées. Souhaitant répondre à leur clientèle aisée

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mais aussi mettre leurs productions à la portée de tous, ils tâchent d’être en accord avec la fameuse vulgarisation artistique prônée par Émile Gallé. Cela est rendu possible grâce à l’utilisation de tous les procédés techniques modernes mis à leur disposition pour développer des objets en série7, ainsi que par la recherche de nouveaux marchés et l’utilisation des outils publicitaires. À Nancy, les lieux de vente des industriels d’art sont en fait peu nombreux. Émile Gallé, qui tient à mener lui-même la politique commerciale de son entreprise, a fait le choix de vendre ses productions uniquement dans le magasin familial Couleru-Dannreuther dirigé par son cousin8. Il propose également, au sein de son usine avenue de la Garenne, une salle d’exposition. Travaillant peu sur commande, Louis Majorelle pour sa part fournit à ses clients objets d’art et mobilier moderne et de style dans son magasin de la rue Saint-Georges, qui accueille par ailleurs, entre autres, le seul dépôt nancéien de la manufacture Daum. Certains artistes décorateurs répondent directement à des commandes (cat. 57), d’autres vendent à partir de leurs ateliers, informant leurs clients par le biais de documents publicitaires et de catalogues. Tel est le cas de la maison Gauthier-Poinsignon qui met en avant

1 « Programme de

5 Au Salon du Champ-de-

l’Exposition », Catalogue Exposition d’art décoratif et industriel lorrain, Nancy, imprimerie BergerLevrault et Cie, 1894. Voir aussi « Inauguration de l’exposition des arts décoratifs », L’Est républicain, 23 juin 1894, et « Exposition d’art décoratif », La Lorraine artiste, 24 juin 1894. Voir fig. 1 p. 17.

Mars de 1893, le prix de l’entrée est de 50 centimes à 2 francs selon les jours (tarifs mentionnés sur l’affiche) ; à l’issue de l’« Exposition d’art décoratif » de Nancy en 1904, deux cent quatre-vingt-seize cartes d’abonnement de 1 à 3 francs permettant de visiter librement l’exposition et huit mille six cent quatrevingt-dix-sept entrées à 50 centimes ont été vendues en six semaines (catalogue du Salon annuel de la Société lorraine des amis des arts, 1905).

2 En 1903 à Paris,

en 1904 à Nancy et en 1908 à Strasbourg. Voir fig. 3 et 4 p. 18-19. 3 Rappelons rapidement

Chicago en 1893, Anvers en 1894, Bruxelles en 1897, Darmstadt en 1898, Turin en 1902, Saint-Louis en 1904. 4 En 1904, l’imprimerie

Helmlinger et Cie propose à la vente une série de vingt et une cartes postales de vues de l’intérieur de l’« Exposition d’art décoratif » de Nancy.

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6 L’Étoile de l’Est,

11 octobre 1904. 7 Voir Valérie Thomas,

« Une production moderne et industrielle ? », p. 87-89. 8 Ancienne maison Gallé-

Reinemer, située à l’angle de la rue de la Faïencerie et de la rue Saint-Dizier.

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