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CLÉMENT JACQUEMOUD
LES ALTAÏENS
PEUPLE TURC DES MONTAGNES DE SIBÉRIE
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Un spécialiste rituel (neme biler kiži) fait une purification de genévrier (alas), lors du rituel de Nouvel An Čagaa bajram à Tondoška, district de Turočak. 2014.
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CLÉMENT JACQUEMOUD
LES ALTAÏENS
PEUPLE TURC DES MONTAGNES DE SIBÉRIE
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Table des matières
6 Préface 12 Avant-propos 16 Remerciements 20 Introduction 30 CHAPITRE I Qui sont les Altaïens ? 32 Diversité altaïenne 35 Un peu d’Histoire 38 L’Altaï dans l’Empire russe 40 Naissance du bourkhanisme 41 En Altaï soviétique 42 Les Altaïens aujourd’hui 43 Une momie alimente la polémique 46 CHAPITRE II Organisation sociale de deux groupes ethniques très proches, les Altaj-kiži et les Télenguites 48 Organisation sociale 52 Organisation spatiale et mode de vie 56 Économie des familles altaïennes 64 CHAPITRE III Représentation du monde des Altaïens 66 Plusieurs mondes 70 Les principales divinités 71 Les esprits du monde du milieu 74 Le religieux en Altaï aujourd’hui 74 Les différents courants 78 Évolutions de la représentation du monde 84 CHAPITRE IV De nombreux spécialistes rituels 86 Le chamane 91 Le kajčy (chanteur d’épopées) 93 Les spécialistes rituels dans le bourkhanisme 94 D’autres formes de spécialisation rituelle ? 98 CHAPITRE V Rythmes de vie : les rites de passage 101 La naissance 105 La première coupe de cheveux
108 L’entrée dans la vie d’adulte 109 Le mariage 116 Les funérailles 124 CHAPITRE VI Les rituels collectifs 126 Rites sacrificiels au XIXe siècle 127 Rituels domestiques 129 Rituels familiaux aux sources aržan suu 130 Rituels réguliers 133 Le Nouvel An Čagaa bajram des Télenguites 135 En route pour Koš-Agač 136 Préparation des offrandes 137 Déroulement du rituel 138 Première étape : les yourtes 138 Deuxième étape : auprès de l’üle 139 Troisième étape : les bouleaux 140 Quatrième étape : dans l’enceinte rituelle küre 142 Cinquième étape : auprès des pierres taillées 143 De retour à la yourte 144 D’autres cérémonies 144 Un rituel de Nouvel An Čagaa bajram en compagnie d’un chamane 147 Le « glissement de l’année » T’ylgajak 149 Rituels saisonniers dans le cadre néobourkhaniste d’Ak T’aŋ 152 Les cérémonies à la lumière de l’analyse anthropologique 160 CHAPITRE VII Jeux rituels : vers de nouvelles formes ? Innovations et risques liés à la mondialisation 162 Les jeux rituels 165 Èl Ojyn, « une fête altaïenne à l’esprit national » 168 Kajčylardyŋ Kurultajy, rassemblement des chanteurs d’épopées 169 Festivités et développement touristique 172 Conclusion 178 180 181 186 194
Annexes Translittération Alkyš (paroles de bénédiction) Glossaire Bibliographie
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Petite fille d’Elo, district d’Ongudaj, 2010.
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PrĂŠface
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La chaîne montagneuse de l’Altaï marque de son empreinte profonde les limites de la Sibérie méridionale et de l’Asie centrale, offrant tout à la fois des paysages de haute montagne, avec des sommets culminant à plus de 4000 mètres, des forêts denses, des steppes d’altitude, des vallées encaissées et d’innombrables lacs alimentés par de majestueux glaciers. Dans cette région habitée par l’homme depuis des temps très reculés, des civilisations de grande culture se sont depuis longtemps épanouies, comme en témoignent les fantastiques momies tatouées de Pazyryk. Bien sûr, au cours de l’histoire, différents empires se sont âprement disputé ces espaces situés au cœur de l’Asie. La géopolitique contemporaine les a découpés en différentes entités politiques, parmi celles-ci se trouve la République de l’Altaï, qui appartient à la Fédération de Russie. Cette terre des confins russes, qui jouxte à la fois la Mongolie, la Chine et le Kazakhstan, est passée sous la férule tsariste au XVIIIe siècle. Certaines de ses vallées, difficiles d’accès, ont très tôt servi de refuge à des communautés de vieux-croyants, persécutées dans l’Empire et, à la fin du XIXe siècle, les terres altaïennes ont été assez massivement investies par des paysans, fuyant eux les famines qui sévissaient en Russie européenne. Aujourd’hui, la république altaïenne n’est pas majoritairement habitée par ses peuples autochtones, de langue turque, qui ne représentent qu’un tiers de sa population. L’ethnographie en dénombre cinq, relevant de deux ensembles linguistiques un peu distincts, les Altaiens du Nord et les Altaiens du Sud ; leur zone de peuplement ne se limite toutefois pas aux frontières politiques de la République. Les premiers, moins nombreux, habitent surtout dans les forêts montagneuses du Nord où ils vivent principalement de chasse et de pêche
tandis que les seconds évoluent dans des steppes d’altitude où ils élèvent du bétail. Ici comme ailleurs, les différents groupes ethniques se plaisent à se distinguer les uns des autres en mettant en avant des traits culturels par lesquels ils s’identifient les uns par rapport aux autres. Traditionnellement, ils sont cependant tous chamanistes, mais d’autres systèmes religieux sont depuis longtemps présents en Altaï, le bouddhisme apporté du sud par les Mongols et, depuis leur incorporation dans l’orbite russe, l’orthodoxie à la fois dans sa version officielle véhiculée par des missionnaires et sous différentes autres formes. Avec la venue en masse de colons russes à la fin du XIXe, un mouvement millénariste de grande ampleur a surgi dans l’Altaï, le bourkhanisme, la « foi blanche », et il s’inscrivait en faux à la fois contre le chamanisme traditionnel, contre l’orthodoxie et contre le bouddhisme aussi, même s’il s’inspirait évidemment des trois à la fois. L’histoire russe du XXe siècle a bien sûr profondément modifié l’Altaï, où elle a entraîné, comme ailleurs, des bouleversements majeurs tant économiques que socio-politiques ou religieux. Et maintenant ? Un quart de siècle après la chute de l’URSS, quelle est donc la situation de l’Altaï ? Le livre de Clément Jacquemoud va nous inviter à la découvrir. L’Altaï, avec ses paysages d’une beauté souvent stupéfiante, est aussi une terre qui fait rêver. Le terme même d’Altaï n’est-il pas déjà très souvent associé naturellement à l’idée d’or ? Le peintre N. Roerich dans sa quête mystique n’y avait-il déjà pas localisé, dans les années 1920, le pays mythique des « Eaux Blanches » ? Il n’est donc pas surprenant que depuis une quinzaine d’années le tourisme s’y soit rapidement développé. Les adeptes des sports de haute
Préface
montagne trouvent là une région extrêmement propice pour satisfaire leur passion, mais ils ne sont pas les seuls, et des hordes de touristes venus du monde entier déferlent aujourd’hui dans la république, imaginée à l’abri de bien des maux imputés à notre modernité. Curieusement, les peuples autochtones de l’Altaï, pourtant entraînés depuis bien longtemps dans les spirales de l’Histoire, sont censés avoir préservé une supposée authenticité religieuse et pratiquer toujours aujourd’hui, comme hier, leur chamanisme ancestral, venu du fond des âges. Le néo-chamanisme, empreint de NewAge, s’y est donc fortement développé et est aujourd’hui florissant, comme dans les autres républiques sibériennes de la Fédération de Russie. Des Occidentaux, comme des Russes, en quête de mysticisme bon marché n’y sont pas pour rien. De ce point de vue, les Altaïens ont parfaitement répondu à leur demande, et proposent aujourd’hui à ceux qui arrivent en quête de spiritualité, à la poursuite de leur propre imaginaire, ce qu’ils sont venus chercher dans l’Altaï… Quelques pseudo-savants peu scrupuleux entretiennent d’ailleurs ce mythe contemporain en faisant croire qu’après 1991, le chamanisme des sociétés sibériennes avait spontanément resurgi et retrouvé, somme toute à peu de choses près, la forme qui était la sienne avant les années 1930, ce qui ne peut se faire qu’en déniant définitivement le poids de l’histoire du XXe siècle. Dans l’Altaï, comme dans tout l’espace postsoviétique, ou comme d’ailleurs en Europe occidentale, le monde d’antan est pourtant bel et bien révolu, et à jamais. Clément Jacquemoud, avec lucidité, déchire le voile de cet imaginaire fallacieux pour nous montrer que la réalité des faits se révèle immensément plus complexe, et infiniment
plus passionnante, que ce que pourrait laisser supposer cette illusion. L’importance de l’entreprise soviétique ne saurait être sousestimée et ne peut en aucun cas être ramenée à un vernis plus ou moins superficiel, possible à décaper. L’ethnographie interdit évidemment de nier les persistances, mais elle contraint aussi à analyser les changements de forme. Si par exemple des rituels familiaux, décrits avec une grande finesse, ou des gestes quotidiens destinés à réguler les relations avec les esprits ont parfois réussi, souvent en s’adaptant, à traverser les époques, les rites collectifs anciens ont disparu au profit de fêtes mises en place par le pouvoir communiste ; la société soviétique était, on le sait bien, extrêmement ritualiste. Depuis les années 1990, l’ouverture au monde de l’Altaï a engagé cet espace, longtemps fermé, dans de nouvelles dynamiques dont le rythme a été extrêmement rapide. Clément Jacquemoud, lui, entretient une authentique passion pour l’Altaï, ce pays de montagnes qui n’est pas sans lui rappeler ses Alpes natales, chères à son cœur. Il sillonne l’Altaï depuis maintenant plus de sept ans, partage l’intimité de ses gens au point d’en avoir épousé l’une de ses filles. Et dans l’ouvrage qu’il propose aujourd’hui au lecteur, il nous invite à réellement découvrir ce pays fascinant et d’une incroyable richesse, mais aussi traversé en profondeur par de multiples tensions soutenues par des interrogations légitimes, liées au monde contemporain dans lequel de facto il se trouve inséré. Au fil des pages, le lecteur apprendra à connaître le quotidien des peuples de l’Altaï, leurs visions du monde, leurs rites d’hier comme ceux d’aujourd’hui, hauts en couleur, effectués au sein de la sphère familiale et qui scandent la vie. Du point de vue religieux, la République de l’Altaï est
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animée par de multiples courants, concurrents. Les forces en présence sont variées : l’orthodoxie russe, à nouveau présente sur ce terrain comme le bouddhisme tibéto-mongol, les mouvements évangéliques protestants qui cette dernière décennie ont enregistré par endroits de francs succès. Le néo-chamanisme bien entendu, mais aussi et surtout de manière beaucoup plus vaste une tradition altaïenne largement réinventée, jugée authentique et qui puise dans les registres anciens. Elle s’appuie notamment sur la récitation de l’épopée, sur le chant de gorge toujours pratiqué et avec quelle maîtrise étourdissante ! Le mouvement millénariste du début du siècle dernier a lui aussi resurgi, évidemment sous une forme nouvelle. Il est mené par un leader autoproclamé, donc contesté, que l’on verra conduire des rituels collectifs réguliers qui se démarquent par une spécificité toute relative de ceux organisés ailleurs, et qui sont également décrits dans une langue très vivante par Clément Jacquemoud. Ces derniers sont souvent fermement soutenus par le pouvoir, qui semble rêver d’instaurer un cycle rituel officiel dans lequel s’inséreraient également « les Jeux », associés aux cérémonies complexes du Nouvel An. L’État altaïen se doterait ainsi de fondements symboliques pour asseoir sa propre légitimité et finalement sa souveraineté, fragile. Celui-ci s’efforce aussi, comme on le verra, de constituer une nation altaïenne en voulant fondre dans un unique creuset les différents peuples autochtones, qui parfois tentent de maintenir, voire d’accentuer leurs différences pour eux-mêmes se définir… La seconde vie de la « princesse d’Ukok », dont la momie parfaitement conservée a été découverte récemment, est le révélateur, aussi surprenant qu’inattendu, de cette société altaïenne qui se construit sous nos yeux.
Un bien bel emblème, doté de puissantes charges symboliques… Clément Jacquemoud nous la montre tour à tour mise en scène et en mouvement en différents points de la République, rendue responsable des calamités naturelles tout en étant fièrement exhibée dans un musée flambant neuf alors même que d’autres voudraient lui offrir de secondes funérailles pour calmer son supposé courroux. Au lecteur donc d’imaginer quel sera son devenir, et peutêtre par là même celui de cet Altaï en train de se configurer pour tenter de relever au mieux les défis imposés par le monde d’aujourd’hui et même de demain.
Jean-Luc Lambert Enseignant-chercheur à l’École Pratique des Hautes Études Membre du GSRL (UMR 8582) Directeur du Centre d’Études Mongoles et Sibériennes
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Auprès du balbal, au terme du rituel de T’ažyl bür. Koš-Agač. 2014.
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Avant-propos
Avant-propos
Pour qui parcourt le riche livre de Clément Jacquemoud, nombreux sont les rapprochements qui s’imposent avec ce que l’on sait des civilisations anciennes de l’Altaï. Regardons les trois personnages sur la photo en pages 12-13. Ils ont le goût des fourrures, des tissus ornés, des galons, des couleurs vives. Toutes choses qu’ont révélées les célèbres « tombes gelées » des nomades antiques de l’Altaï. La femme porte non pas une boucle d’oreille, mais un ornement de tempe qui tombe de sous la coiffure, tout comme ses abondantes nattes, à l’évidence postiches. L’homme, cuillère à la main, arbore un manteau en soie brochée à la chinoise. Quant à sa voisine, son vêtement est orné de breloques parmi lesquelles on distingue des cauris, coquillages des mers du Sud appréciés dès la plus haute antiquité au cœur du continent. Surtout, tous trois semblent dans la continuité de ce bloc grossièrement équarri en forme de figure humaine, coupe en main. C’est une « baba de pierre », un balbal comme on en trouve dans la steppe où, associés ou non à une sépulture, ils figurent les ancêtres. Que celui-ci soit ou non ancien importe peu : il s’inscrit dans une tradition millénaire et ses grands yeux largement ouverts suggèrent moins un temps arrêté que le Temps à l’état pur, pétrifié. Est-ce à dire que nos personnages descendent en droite ligne des anciens Altaïens ? Certes pas. Ce qui les en rapproche est à chercher non du côté du sang, mais du mode vie qu’impose le milieu : cette steppe et son horizon enneigé de montagnes, immuables malgré fils et poteaux. Et c’est bien là ce qui fait la qualité de l’enquête de Clément Jacquemoud. Son oreille attentive, son œil qui sait voir et surtout l’empathie dont il fait preuve en observant sur le vif une foule
de détails signifiants donnent à son étude une dimension qui, bien au-delà d’un excellent essai d’ethnographie contemporaine, ouvre sur l’universel.
Véronique Schiltz Membre de l’Institut (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres)
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La spécialiste rituelle télenguite A. Naeva (à droite) explique à une femme toubalar comment faire une purification de genévrier, lors du rituel T’ylgajak à Krasnosel’sk, district de Čoja. 2014.
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Remerciements
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Fig. 1 Le chef de clan t’ajzaŋ Aju Èdešev et ses petits-enfants, Kuraj. 2011.
L’étude que j’ai conduite au sein des groupes de population altaïens a commencé il y a 7 ans, et elle a eu pour point de départ un intérêt personnel pour les chants de gorge et le chamanisme de Sibérie. Elle m’a amené à rencontrer les musiciens et personnes dépositaires d’un savoir sur les « traditions » dans toutes les régions de l’Altaï. Au cours de mes enquêtes sur le terrain, qui au total représentent une durée de deux ans, de nombreux Altaïens m’ont accueilli avec une généreuse hospitalité et ont, avec bienveillance, partagé leurs connaissances avec moi. Cet ouvrage leur est dédié et j’ose espérer qu’il contribuera à ce que leurs riches traditions soient mieux connues du monde extérieur. Je souhaite exprimer tout particulièrement ma gratitude aux chanteurs Ajdar Čurupov, Ajdyn, Youri et Anatolij Kurmanov, Nohon Šumarov, Anatolij Turlunov, Sarimaj Určimaev et Aržan Tudenev, aux musiciennes Arina et Alina Tadyrova, à l’ethnologue Küzeleš Jadanova, à l’alpiniste Marianna Tundubaševa et à leurs familles pour m’avoir offert leur amitié et m’avoir chaleureusement accueilli.
Fig. 2 L’artiste altaïen Ajdyn Kurmanov décore la gourde tažuur qu’il est en train de fabriquer, Gorno-Altaïsk. 2014.
J’adresse à Mira Alčinovna, Klara Ergekovna et Zoja Kazagačeva de l’Institut d’Altaïstique de Gorno-Altaïsk, à mon professeur d’altaïen Valentina Dedeeva, au t’ajzaŋ1 Aju Èdešev et à son fils Amyr, au t’arlykčy A. Askanakov, ma plus vive reconnaissance pour leurs précieuses informations. J’ai bénéficié d’une aide importante de la part de Čagat Almašev et de Maja Erlenbaeva, du Fonds pour le Développement Durable de l’Altaï, de Rimma Mihailovna Erkinova, Directrice adjointe du Musée National A. V. Anohin2, et des spécialistes des collections de la Kunstkamera et du Musée russe d’ethnographie (Saint-Pétersbourg). Je les en remercie, tout comme les membres des églises évangéliques de la région, avec lesquels j’ai eu de passionnantes discussions (fig. 1 à 6). Beaucoup de mes interlocuteurs n’auront pas été mentionnés dans cette courte liste, mais j’ose espérer qu’ils ne m’en tiendront pas rigueur. J’adresse par ailleurs ma plus vive gratitude à la Fondation Culturelle Musée Barbier-Mueller et à sa directrice Laurence Mattet, sans qui ce livre n’aurait pas vu le jour. Je tiens également
Remerciements
Fig. 3 Le fermier musicien Anatoli Kurmanov à côté de son tracteur Belarus’, Ulagan. 2014.
à remercier Véronique Schiltz et Jean-Luc Lambert pour leur relecture attentive et leurs conseils stimulants, Roberte Hamayon, Virginie Vaté, Yann Borjon-Privé, Timour Claquin Chambugong, ma femme Svetlana et sa famille, mes parents, sœur et frère pour leur confiance et leur patience à mon égard durant toutes ces années de recherches. Mon travail a bénéficié du soutien logistique et financier de la Fondation Culturelle Musée Barbier-Mueller, du Centre Franco-Russe de Recherches en Sciences Humaines et Sociales de Moscou, du projet Pentecostal Charismatic Research Initiative, et de l’accueil bienveillant du Centre d’Études Mongoles et Sibériennes à l’École Pratique des Hautes Études à Paris et de l’Université de la République de l’Altaï. Je suis reconnaissant à leurs directeurs de m’avoir accordé toute leur confiance. Notes 1. Les termes indigènes notés en italique se trouvent dans le glossaire en fin d’ouvrage. 2. Afin d’éviter toute confusion et de marquer la cohérence avec la bibliographie, les noms propres ont été translittérés selon la norme présentée en fin d’ouvrage et n’ont pas été francisés. Fig. 6 Anatoli et Bayir Turlunov, musiciens de père en fils, Koš-Agač. 2014.
Fig. 4 Le luthier Ajdar Čurupov dans son atelier, Gorno-Altaïsk. 2014.
Fig. 5 Dans une isba dans la montagne, Youri Kurmanov affûte la chaîne de sa tronçonneuse, district d’Ulagan. 2010.
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Le domptage d’un poulain lors du festival Èl Ojyn à Muhor-Tarhata, district de Koš-Agač. Juin 2014.
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Introduction
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Introduction Il n’est pas si fréquent que les publications ethnographiques proposent d’intégrer un grand nombre d’illustrations. Généreusement ouvert aux images, le projet de la Fondation Culturelle Musée Barbier-Mueller avec le soutien de Vacheron Constantin, dans lequel cet ouvrage s’inscrit, est donc idéal pour que soit dépassé l’imaginaire collectif d’une Sibérie froide, que soit brisé le mythe d’un continent blanc, enneigé et désert. La République de l’Altaï, qui va être l’objet de cette étude, se révèle être un territoire qui se joue des couleurs : non seulement la palette Fig. 7 Le lac Šavla, district de Koš-Agač. 2011.
du paysage surprendra par sa variété, mais on découvrira aussi une extrême diversité au sein de ces couleurs que l’on dit « locales ». Situé au sud de la Sibérie centrale, le massif montagneux de l’Altaï court de l’extrémité est du Kazakhstan et se prolonge au nord de la Mongolie avec les monts Saïan. Alors qu’au nord-ouest se trouve une vaste zone de steppe, l’altitude augmente au fur et à mesure que l’on descend vers le sud-est. Le long de la M52, le célèbre « Tchouïskij trakt », seule route goudronnée qui sillonne l’Altaï et mène à la Mongolie en suivant la rivière Čuj, les collines
Introduction
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Fig. 8 Situation générale de la République de l’Altaï.
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Fig. 9 Carte de répartition des peuples de la République de l’Altaï et principaux villages dans lesquels les recherches ont été menées.
Province de Kemerovo
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Territoire de L'Altaï
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MONGOLIE
Introduction
boisées font place à des vallées plus ou moins encaissées, puis à des pics vertigineux recouverts de neiges éternelles. Quand les montagnes s’ouvrent enfin, c’est à nouveau sur de vastes zones de steppe d’altitude, prémices du relief dénudé mongol. Non loin d’ici se trouve le point culminant de la Sibérie, le pic Béloukha, avec ses 4506 m d’altitude. Il n’est pas rare en effet que les sommets de l’Altaï atteignent plus de quatre mille mètres, donnant à la région son surnom de « petite Suisse de la Sibérie ». Le réseau hydrologique y est par ailleurs très développé, les nombreux glaciers irriguant plus de sept mille lacs et donnant naissance à d’innombrables rivières. Les plus importantes, la Katoun’ et la Bija, coulent d’abord vers l’ouest puis se retrouvent pour former l’Ob’, l’un des grands fleuves sibériens, qui remonte alors vers le nord se jeter dans l’océan Glacial arctique (fig. 7, 11 et 12). Un peu plus à l’est, le massif du Saïan donnera quant à lui naissance au Iénisseï. Du fait de la richesse et de la variété de son environnement naturel, l’Altaï est une région favorable à la vie des hommes, et les nombreuses découvertes archéologiques faites dans le massif témoignent d’une présence humaine très ancienne : la grotte de Denisova a ainsi révélé les restes d’un hominidé datant de plus de 40 000 ans1, tandis que des momies et des vestiges de l’âge du bronze et de l’âge du fer d’une importance archéologique majeure ont été exhumés de tombes richement garnies (kourganes de Pazyryk et du plateau d’Ukok2). Nous considérerons plus en détail cet héritage ainsi que l’histoire du peuplement de l’Altaï dans le premier chapitre. L’Altaï est également depuis le 3 juillet 1991 le nom de deux entités administratives
Fig. 10 Sarymaj Určimaev en représentation dans une salle du Musée A. V. Anohin de Gorno-Altaïsk. 2014.
rattachées à la Fédération de Russie (nommées communément « sujets ») : une petite République Autonome (ru. Respublika Altaj3) et un Territoire (ru. Altajskij Kraj) (fig. 9). La République de l’Altaï, d’une surface de 92,6 milliers de kilomètres carrés (à peu près 1/6 de la France, ou deux fois la taille de la Suisse), comprend la partie montagneuse de l’Altaï, tandis que sa partie steppique est située dans le Territoire de l’Altaï, au nord-ouest. Située à l’extrême sud de la Fédération de Russie, la petite République possède des frontières communes avec le Kazakhstan (à l’ouest), la Chine (au sud) et la Mongolie (à l’est). Elle n’est peuplée que de 211 645 habitants4, et abrite notamment un petit peuple dont la langue appartient au groupe des langues turques, et que
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Fig. 11 La rivière Katun’ dans les environs de Kupčegen, district d’Ongudaj. 2014.
les ethnologues désignent communément sous l’ethnonyme d’Altaïens. En réalité, celui-ci désigne cinq petits groupes ethniques : les Altaj-kiži, qui sont les Altaïens proprement dits, les Télenguites, les Koumandines, les Toubalars et les Tchelkanes. Comme il est possible de le constater sur la carte (fig. 9), les Altaj-kiži et les Télenguites vivent dans le sud de la République, tandis que les Koumandines, les Toubalars et les Tchelkanes vivent dans le nord.
Du fait du faible nombre de leurs représentants (moins de 75 000 personnes au recensement de 2010), les Altaïens restent généralement peu connus du grand public. Leur riche culture est par ailleurs bien souvent occultée par les découvertes archéologiques faites dans le sous-sol de la région. L’histoire de l’Altaï est pourtant, depuis plus de deux siècles, indissociable de celle de la Russie. Mais elle est celle des confins de cette dernière : malgré les
Introduction
grandes expéditions scientifiques du XVIIIe siècle (Pallas, Georgi) qui accompagnèrent la colonisation de la Sibérie, la région, qui faisait office de zone-tampon avec l’empire de Chine, est très longtemps restée terra incognita. Les sources concernant les mœurs des peuples de la région, hormis les annales chinoises, sont donc largement dues aux missionnaires orthodoxes, aux explorateurs, chercheurs et voyageurs du XIXe siècle. La présence des missionnaires,
l’arrivée des premiers colons russes, la période soviétique, puis le passage à une économie de marché accompagnée de l’ouverture sur le monde ont profondément transformé le mode de vie et de pensée de la société altaïenne dans son ensemble. Nous pouvons citer à titre de malheureux exemple la quasi-disparition des langues tchelkane, toubalar et koumandine. Face à ce constat et aux transformations rapides que connaît aujourd’hui la Russie, il est impératif
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d’offrir un témoignage clair et précis sur les traditions non seulement uniques et fascinantes, mais aussi très fragiles, des peuples altaïens. Leur organisation sociale traditionnelle est en grande partie liée à leur vision du monde animiste, au sens large du terme. Celle-ci est basée notamment sur l’idée que des esprits sont présents, au même titre que les hommes, dans le monde environnant, et que des « personnes qui savent quelque chose » (en altaïen neme biler ulus), sont susceptibles d’interagir avec eux. Nous analyserons en détails les transformations de ce système de pensée, et poserons bien évidemment un regard appuyé sur ces neme biler ulus en mesure d’intercéder auprès du monde invisible des esprits, et qui ont pour la plupart une fonction de « spécialistes rituels ». Le plus réputé d’entre eux est le chamane (en altaïen kam), dont la seule mention ouvre la porte à tout un imaginaire en Sibérie. Comme il n’est toutefois pas le seul personnage dans l’Altaï supposé capable de faire le lien entre le monde des vivants et celui des esprits, nous accorderons une attention particulière au kajčy, barde ou chanteur d’épopées, et au t’arlykčy, personnage religieux apparu au début du XXe siècle en même temps que le bourkhanisme, un mouvement millénariste et messianique local. Actuellement, les pratiques religieuses, réapparues après la période soviétique, sont en pleine transformation : outre le développement du néo-chamanisme, l’Altaï connaît depuis une dizaine d’années une forte diffusion du protestantisme évangélique et du bouddhisme tibéto-mongol. Certains spécialistes rituels sont désormais convertis au christianisme et ont redéfini leurs activités religieuses, tandis que d’autres tiennent des discours imprégnés de
l’esprit New Age. Face à cette situation, il nous semble nécessaire d’aborder ces reconfigurations, et de faire le point sur les changements culturels qu’elles induisent localement. En effet, les événements importants de la vie d’un individu (naissance, première année, entrée dans la vie d’adulte, mariage, mort) sont marqués par de nombreuses cérémonies, que nous pouvons qualifier de « rites de passage ». Aux dires des Altaïens, ces cérémonies étaient considérées comme areligieuses par le pouvoir soviétique, et n’ont pas été réprimées. Elles n’auraient donc pas connu de grandes transformations et sont dites avec fierté « préservées », au contraire des rites saisonniers collectifs qui ponctuent l’année et visent à assurer la prospérité du bétail, l’abondance du gibier et la bienveillance des esprits envers les membres de la communauté. Parmi ceux-ci figurent le Čagaa bajram (« fête blanche » en mongol), Nouvel An d’inspiration bouddhique chez les Télenguites, le Nouvel An altaïen T’ylgajak (« le glissement de l’année »), les rituels d’entrée dans la saison chaude T’ažyl bür (« le Rameau vert ») et d’entrée dans la saison froide Sary bür (« le Rameau jaune »). À travers l’analyse de leur réapparition à la suite de la période soviétique, nous verrons comment une dimension politique est bien souvent associée au phénomène de revitalisation de la vision du monde traditionnelle. Une attention toute particulière sera finalement portée à deux événements majeurs apparus en Altaï à la fin de l’époque soviétique : le festival Èl Ojyn (« les Jeux du peuple ») et le Kajčylardyŋ Kurultajy (le « Rassemblement des chanteurs d’épopées »). Ces deux manifestations,
Introduction
Fig. 12 La rivière Katun’ à Malyj Jaloman, district d’Ongudaj. 2010.
totalement prises en charge par l’administration et très médiatisées, font revivre de manière profane certaines pratiques autrefois associées à des cérémonies rituelles. Elles sont devenues emblématiques de la petite République au risque d’en être la vitrine, économiquement rentable, destinée aux touristes du monde entier et aux visiteurs de la Haute Administration de la Fédération de Russie.
Notes 1. http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/03/24/ un-nouveau-type-d-hominide-decouvert-ensiberie_1324052_3244.html, consulté le 25/03/2010 ; http:// www.hominides.com/html/actualites/nouvelle-especehominide-siberie-0288.php, consulté le 25/03/2010. 2. De très importantes découvertes archéologiques ont également été faites dans les régions voisines de Touva et du bassin du Iénisséï en Khakassie (sites d’Aržan, Vallée des Tsars, kourgane de Salbyk). 3. N. B. : il ne sera pas fait mention de la langue lorsque des termes altaïens seront présentés. En revanche, nous indiquerons les termes russes (ru.), mongols (mg.) et tibétains (tib.). 4. http://www.gks.ru/free_doc/new_site/population/ demo/Popul2014.xls, consulté le 05/06/2014.
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Jeunes Télenguites en vêtements traditionnels lors du festival Èl Ojyn à Muhor-Tarhata, district de Koš-Agač. Juin 2014.
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Fig. 13 A. Pustagašev, chasseur tchelkane sur ses skis, district de Turočak. 2010.
Diversité altaïenne Les Altaïens représentent un tiers de la population de la République de l’Altaï, les Russes formant globalement les deux autres tiers. Quelques Kazakhs sont néanmoins présents (particulièrement dans la steppe de Koš-Agač), ainsi que d’autres groupes ethniques comme des Allemands, des Lettons, des Chinois ou des Ukrainiens. La population russe se concentre dans la capitale et seule ville de la région, GornoAltaïsk, et dans les districts de Majma, d’UstKoksa, de Čoja et de Turočak. Les Altaïens sont quant à eux majoritairement ruraux et occupent principalement les districts méridionaux d’Ulagan, de Koš-Agač, d’Ongudaj et d’Ust-Kan, ainsi que les districts septentrionaux de Čoja et de Turočak.
Les Altaïens sont globalement répartis en deux grands groupes linguistiques, les Altaïens du Nord et les Altaïens du Sud, géographiquement dispersés même au-delà des frontières de la petite République. Le missionnaire orthodoxe V. I. Verbickij est l’un des premiers auteurs à avoir fait la distinction entre peuples du Nord et du Sud, à la fin du XIXe siècle (Mujtueva 1993, p. 267). Selon Znamenski, la différence se ferait tout d’abord par rapport à leurs zones géographiques de peuplement (2005, p. 31). En effet, au nord se trouvent de petites montagnes recouvertes par une dense forêt mixte, tandis que dans le sud les montagnes sont plus hautes et escarpées, parsemées de conifères ou parfois nues, et l’on y rencontre de vastes zones de steppe. Jusqu’à l’époque soviétique et la collectivisation, il est aussi possible de se baser sur le type prédominant d’alimentation et d’économie pour distinguer les populations, qui s’opposent alors principalement en termes de chasse et élevage. Les Altaïens du Nord, bien que pouvant posséder un petit cheptel, tiraient principalement leurs ressources alimentaires de la chasse, de la cueillette et de la pêche (fig. 13). Les Altaïens du Sud étaient quant à eux éleveurs : ils chassaient également mais ce n’était là qu’une activité secondaire (fig. 14). Enfin, le critère linguistique, tout en recoupant la distinction géographique nord/sud, dissocie pleinement aujourd’hui les langues de chaque groupe. Bien que proches les unes des autres, elles relèvent tout de même de deux catégories : langues turques du nord-ouest et langues turques du nord-est (Potapov 1953, p. 134). Il est également à noter que les peuples altaïens du Nord comportent des éléments provenant des
Chapitre I Qui sont les Altaïens ?
Fig. 14 Élevage de moutons en bordure de la rivière Čuj, dans le sud de l’Altaï.
Samoyèdes1 et des Iénisséens turcisés2, tandis que ceux du Sud ont assimilé des éléments mongols (op. cit., p. 135 ; Verbickij 1993, p. 21 ; Radlov 1989, p. 588 ; 593). Les peuples altaïens du Nord sont les Toubalars (ou Tuba, autrefois nommés « Tatars noirs »), et comptent 1 965 personnes au recensement de 20103, les Tchelkanes (Čalkandu ou Kuu-kiži, les « hommes-cygnes », autrement nommés en russe Lebedincy), au nombre de 1 181 personnes, et les Koumandines (Kumandy, 2 892 personnes). Ces trois peuples de chasseurs, cueilleurs et pêcheurs étaient parfois englobés sous le terme de « Tatars noirs ». Les Altaïens du Sud, descendants des anciens Türks, sont les Altaj-kiži (littéralement, les « hommes de l’Altaï »), et les Télenguites. Assez proches culturellement de leurs voisins touvas et mongols, ils pratiquaient, avant leur
sédentarisation progressive, l’élevage nomade. Leur nombre s’élève aujourd’hui respectivement à 67 381 personnes pour les Altaj-kiži et à 3 712 personnes pour les Télenguites4. Parmi les peuples proches vivant en dehors de la République de l’Altaï, plus au nord, se trouvent les Chors (Tadar-kiži, Čyš-kiži ou Šor-kiži), ethnie importante regroupant 12 888 personnes. Très proches culturellement des peuples altaïens du Nord, ils vivent principalement dans la Province (ru. Oblast’) de Kemerovo, où un district autonome porte leur nom. Dans le Territoire de l’Altaï, nous rencontrons les Téléoutes (Teles, Tadar), au nombre de 2 643 personnes. Leur culture et leur langue les rattachent aux Altaïens du Sud. Toutefois, en raison de leur zone géographique de peuplement septentrionale, ils ont subi l’influence russe très tôt, bien avant le rattachement de l’Altaï à l’Empire russe en
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1756, notamment en adoptant l’agriculture et en se sédentarisant. Ils ont néanmoins conservé jusqu’au début du XXe siècle la pratique de l’élevage. Ces deux derniers peuples ne relèvent pas directement de notre étude, mais nous serons susceptibles de faire appel aux données les concernant, ainsi qu’à celles caractérisant d’autres populations turco-mongoles d’Asie centrale et septentrionale, telles que les Kirghizes5, les Bouriates et les Mongols6, et les Iakoutes7, afin d’obtenir une vision comparative globale. Revenons un instant sur la distinction que nous avons précédemment faite entre peuples chasseurs et peuples éleveurs : chez les Altaïens
Fig. 15 Le village tchelkane de Suranaš, dans le nord de l’Altaï, district de Turočak. La quantité importante de neige l’hiver contraste avec le sud de l’Altaï, et rend ici l’élevage difficile.
du Nord, contrairement aux Altaïens du Sud, l’usage du cheval n’est pas très répandu. La forêt très dense et la neige profonde en hiver empêchent les équidés de trouver leur nourriture par eux-mêmes, alors que dans le sud ils grattent la fine couche de neige pour trouver à manger (Verbickij 1993, p. 40) (fig. 15, 16 et 17). Posséder des animaux d’élevage nécessite évidemment la constitution de réserves importantes de fourrage, ce qui requiert un travail manuel éprouvant (Radlov 1989, p. 201). Tandis que les groupes du Nord pratiquent la chasse à skis l’hiver, et au moyen de pièges, cette activité se maintient à titre secondaire chez les groupes du
Chapitre I Qui sont les Altaïens ? Fig. 16 Dans le village de Suranaš, près de la rivière Lebed’ (ru. « cygne »), à laquelle on va puiser de l’eau. L’exploitation d’une mine d’or se trouvant plus en amont rend désormais la qualité de l’eau aléatoire. 2010.
Sud, qui étaient devenus éleveurs sous l’influence des grands empires nomades médiévaux. Par ailleurs, les Altaïens du Nord avaient pour habitude de semer des graines d’orge sur une parcelle déboisée, pratique agricole rudimentaire8. Les traces archéologiques de canaux d’irrigation dans le sud de l’Altaï sous-entendent quant à elles qu’une forme d’agriculture a été présente autrefois dans les régions habitées aujourd’hui par les Altaïens du Sud. L. P. Potapov (1969, pp. 82-83) avance ainsi l’idée qu’il a existé une configuration variable des moyens de subsistance (élevage, chasse et agriculture) chez ces populations. Ajoutons que les groupes altaïens du Nord et du Sud ont été entre eux en contact permanent, aussi bien par les échanges matrimoniaux et économiques que par des transferts culturels de différents niveaux (techniques, représentations). C’est là vraisemblablement la raison pour laquelle un vaste répertoire d’épopées contant les prouesses des cavaliers de la steppe est présent chez les Chors de la taïga (Funk 2005) et que l’idéologie de la chasse se maintient chez les éleveurs de la steppe. Rappelons-nous ce que dit R. Hamayon (1990, p. 326) : « Il n’est pas toujours aisé de ranger une société donnée dans l’un ou l’autre camp » tant « la Sibérie offre l’image d’un continuum dans lequel toute classification a quelque chose d’arbitraire ». Confirmant l’idée d’une proximité culturelle forte entre peuples altaïens du Nord et du Sud, C. Stépanoff signale quant à lui qu’ils étaient tous uniformément considérés comme « gens de la forêt » par les Mongols médiévaux, en raison de leur capacité à disparaître dans la taïga lors des invasions (2007, p. 26). Aussi, intéressons-nous à leur histoire commune.
Fig. 17 En allant chercher du foin pour nourrir les bêtes, Suranaš. 2010.
Un peu d’Histoire Comme nous l’avons mentionné en introduction, le massif montagneux de l’Altaï-Saïan est depuis longtemps une région habitée par l’homme. Des vestiges datant du paléolithique y ont été exhumés (notamment sur le site d’Ulala, à Gorno-Altaïsk), et la grotte de Denisova révèle encore aujourd’hui quantité de vestiges de l’âge du cuivre (culture d’Afanasievo, 3300/32002600/2400 av. J.-C.). Avec l’apparition des groupes d’éleveurs nomades sous la culture
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Fig. 18 Les kourganes de Pazyryk non loin d’Ulagan. 2011.
d’Andronovo (deuxième millénaire av. J.-C.), l’Altaï devient, de façon plus marquée encore, un carrefour, ses vallées étant des voies de communication entre différentes civilisations. L’importance des échanges va être attestée par les découvertes faites dans les nombreux kourganes, et vont révéler les fortes relations commerciales que les peuples de l’Altaï entretenaient avec leurs voisins chinois et centrasiatiques. Elles vont permettre de rattacher les populations de l’époque à la mouvance scythe. Des momies, mondialement renommées, abondamment tatouées, ont été découvertes en parfait état de conservation9 dans les kourganes de Pazyryk (district d’Ulagan) dans les années 1930 et sont associées à la civilisation du même nom (Ve siècle av. J.-C.), considérée comme une branche scythe (Schiltz 2001, pp. 104-107). La dépouille d’une jeune femme datée de 2 500 ans a également été mise au jour dans le permafrost du plateau d’Ukok en 1993
(kourgane d’Ak-Alaha). La « Princesse d’Ukok », nommée également « Princesse d’Altaï », « Ak kadyn » (« dame blanche »), « Khan Bala » (« enfant-roi »), ou encore « Očy Bala » (« petite sœur », nom tiré de l’épopée altaïenne du même nom), caractérisée comme la « dernière découverte du siècle », alimente désormais la polémique quant aux dérèglements climatiques en Altaï, et fait l’objet de récupérations politiques aussi bien que de considérations religieuses, sur lesquelles nous reviendrons en fin de chapitre. V. Schiltz (op. cit., p. 106) propose de voir dans les mœurs des peuples habitant l’Altaï à cette époque et dont nous parle Hérodote dans ses Histoires, les fameux Argippéens, qui « demeurent toute l’année chacun sous un arbre. L’hiver, ils couvrent ces arbres d’une étoffe de laine blanche, serrée et foulée, qu’ils ont soin d’ôter pendant l’été. Personne ne les insulte : on les regarde en effet comme sacrés » (Livre IV,
Chapitre I Qui sont les Altaïens ? Fig. 19 Jeune homme en costume de feutre stylisé civilisation de Pazyryk, au Théâtre National de Gorno-Altaïsk. 2011.
XXIII). Nous verrons plus loin en effet que les huttes recouvertes d’écorce utilisées comme habitation par les Altaïens jusqu’au XXe siècle se prêtent parfaitement à la comparaison10. Jusqu’au début du premier millénaire, les populations nomades vont donc se succéder sur le territoire de l’Altaï, avant de laisser la place aux peuples turcs d’aujourd’hui. L’Histoire nous apprend qu’en 552 naît le Kaganat turc de Tukue (Potapov 1953, p. 82), ou « Kaganat des anciens Türks ». Ces Türks restent au pouvoir et adoptent le bouddhisme, jusqu’à ce que les Ouïgours, venus d’Asie centrale, s’emparent du territoire en 745 (idem, p. 95). Ils bâtissent des routes et des villes fortifiées dont on trouve encore les traces aujourd’hui dans la République voisine de Touva (Stépanoff 2007, p. 40). Le manichéisme, venu de Perse, devient religion d’État en 763 (Potapov, op. cit.). En 840, c’est au tour des Kirghizes du Iénisseï de prendre le contrôle de la région. C’est encore une administration militaire qui dirige l’Empire (op. cit., p. 97). À l’intérieur de ce grand Empire les tensions existent et au début du Xe siècle la région est sous le contrôle des Kidan (Kytajan). Ils sont suivis par les Najman, de langue mongole, qui restent au pouvoir jusqu’à la domination mongole proprement dite, au XIIIe siècle. En 1204, l’Empire de Gengis Khan conquiert le territoire des Najman (op. cit., p. 104). À sa demande en 1207, son fils Džuči prend le contrôle des territoires des peuples des forêts : Oïrats, Bouriates, Teles et autres populations de l’Altaï (op. cit., p. 105). Durant toute cette période, l’aristocratie oscille entre les diverses religions en présence : manichéisme, nestorianisme et bouddhisme. En 1264, l’empereur mongol Khoubilaï Khan adopte ce dernier, sans toutefois
Fig. 20 Jeune femme en costume de feutre de la Princesse d’Ukok, au Théâtre National de Gorno-Altaïsk. 2011.
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Fig. 21 Un informateur me montre les briquets utilisés jusqu’il y a peu par les Télenguites pour allumer feux et pipes, Muhor-Tarhata, district de Koš-Agač. 2011.
emporter l’adhésion de la population, au sein de laquelle continueront de dominer les pratiques chamaniques. Au début du XIVe siècle, l’Ulus (empire) de Džuči se sépare en deux parties. La Horde Blanche, qui s’étend de la Volga à la Sibérie occidentale, englobe la région de l’Altaï et en garde le contrôle jusqu’au milieu du XVe siècle. À partir de cette date, les Mongols occidentaux ou Oïrats (Alliés), vont prendre le contrôle de l’Altaï. Ils conservent le système militaro-administratif mis en place à l’époque de l’Empire de Gengis Khan (op. cit., p. 113). Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, après de nombreuses luttes intestines de l’aristocratie, les Oïrats parviennent à retrouver une certaine unité politique. Cette période de renouveau des Oïrats sera à l’origine de l’Empire dzoungare (op. cit., p. 114), mais elle restera gravée dans la mémoire populaire altaïenne en termes ambivalents (Znamenski 2005, p. 31). La tradition orale des Turcs de Sibérie du sud met en effet en scène des figures politiques historiques [telles qu’Amyr-Sana, Šunu ou encore Galdan-Ceren,
princes mongols regroupés sous le nom général d’Altyn-Khan (Stépanoff 2007, p. 40)] et présente le « temps oïrate » comme un âge d’or. Ainsi, les groupes altaïens ont été invités à s’unir et à rejoindre les Oïrats dans les guerres contre la Chine. Mais une grosse contribution en terme de coût humain et matériel (chamanes persécutés, tribut élevé, pillages) résultera de cette alliance. Nous verrons plus loin que l’importance des personnages historiques dépassera le cadre de la tradition orale (dans les épopées notamment) et qu’une dimension religieuse inédite leur sera bientôt attribuée. Un siècle plus tard, en 1756, les luttes intestines au sein de l’Empire dzoungare favorisent son assaut par l’Empire sino-mandchou de la dynastie Ts’ing (Q’ing) (Potapov 1953, p. 114). Les peuples de l’Altaï demandent protection à l’Empire russe (Broz 2009a, p. 47), mais les actuels districts d’Ulagan et Koš-Agač restant une zone tampon entre la Russie et la Chine, leurs habitants paient un double tribut jusqu’en 186511.
L’Altaï dans l’Empire russe Au fur et à mesure de son avancée dans l’Altaï, l’administration russe reprend le système mis en place par l’Empire dzoungare pour maintenir le contrôle des populations indigènes. Les Altaïens du Nord étaient autrefois dirigés par des baštyk (ou bašlyk12), alors que les Altaïens du Sud l’étaient par des t’ajzaŋ13. Ces chefs de « clan », au statut héréditaire (Radlov 1989, pp. 123 ; 126), avaient en charge une ou plusieurs unités territoriales : le volost’ (mot russe désignant une unité territoriale) dans le nord, et le djučin (mot mongol hérité de l’Empire dzoungare14) dans le sud (Potapov 1953, p. 131). Les t’ajzaŋ étaient
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Fig. 22 La steppe de la rivière Čuj, autrement nommée Ère-Čuj (« Čuj donnant naissance au jour »), district de Koš-Agač. 2010.
reconnus par l’administration russe, qui leur fournissait des objets garantissant leur statut, comme par exemple des médailles d’or ou de cuivre marquées d’un sceau et des costumes d’apparat (Znamenski 1999, p. 198). Ils les portaient en présence de voyageurs étrangers, mais non dans leur vie quotidienne, ce qui fait dire à Radlov (op. cit., p. 125) que l’apparence des t’ajzaŋ ne permettait pas de les distinguer des autres Altaïens15. Ils étaient assistés de d’emiči, secondés eux-mêmes par des šulengi, chargés de récolter le tribut (turc jasak, passé en russe) (Znamenski 1999, p. 241, note 17). Le code de Speranskij (ru. Ustav ob upravlenii inorodcev, 1822) reconnaissait la propriété sur leurs terres des peuples rattachés à l’Empire russe, et les préservait d’une colonisation massive (Tchihatcheff 1845, pp. 24-25). Ce texte modifia le statut de t’ajzaŋ, qui d’héritage devint dès lors celui de chef en théorie élu. En dépit du code, l’organisation clanique se maintint jusqu’à la fin du XIXe siècle, et ce sont les pressions de la Mission Orthodoxe Altaïenne (ru. Altajskaja Duhovanja Missija, active dans la région dès 1828) qui aboutirent au fonctionnement du système électoral (Znamenski 1999, pp. 198 ; 211). Fig. 23 Une église orthodoxe contemporaine à Gorno-Altaïsk. 2011.
Parallèlement à ces transformations politiques, la colonisation de l’Altaï commence et les Russes s’y installent petit à petit. Il y a tout d’abord les Vieux-Croyants (ru. starovery) qui, fuyant la répression après le schisme de l’Église orthodoxe provoqué par les réformes du Patriarche Nikon en 1653, s’exilent par milliers en Sibérie dès la fin du XVIIe siècle, notamment dans certaines vallées isolées de l’Altaï16. À partir de 1828 débuta dans la région la plus vaste campagne impériale de christianisation, menée par la Mission Orthodoxe Altaïenne. Cette campagne pacifique17, mais néanmoins accompagnée de militaires, a surtout touché le nord de l’Altaï. À peu près à la même période se met en route en Altaï une expédition scientifique mandatée
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par le tsar afin d’étudier faune, flore, peuples et géographie de l’Empire (Tchihatcheff). Elle fait suite à celles de Müller & Gmelin, de Pallas et de Georgi, qui ont eu lieu bien avant ailleurs en Sibérie. Escortée par des bataillons de Cosaques, cette expédition ne manque pas de susciter l’émoi des populations indigènes que les uniformes et l’équipement militaires ne laissent pas indifférentes (Tchihatcheff 1845, p. 48). Les colons arrivent finalement en masse en Altaï lors de la famine de 1891-1892 en Russie européenne (Znamenski 2005, p. 33 et 1999, pp. 201-204). Les conflits entre Russes et indigènes se multiplient, tandis que les plaintes pour « mainmise sur la terre » que les t’ajzaŋ déposent auprès de l’administration russe restent lettre morte (Znamenski 1999, idem). Les Altaïens s’enfoncent alors toujours plus profondément dans les montagnes, ou se sentent forcés de se sédentariser dans les villages, suite à leur conversion au christianisme ou à la disparition de leurs pâturages. Ainsi, les populations indigènes locales ont dû tant bien que mal s’accommoder de cette présence étrangère, essentiellement masculine, décidée à Fig. 24 Cérémonie bourkhaniste au début du XXe siècle en Altaï. Musée de la Kunstkamera, Saint-Pétersbourg.
rester (cela entraîna parfois des mariages mixtes, mais qui concernaient avant tout les femmes indigènes, selon Šatinova 1981, pp. 43-44).
Naissance du bourkhanisme Au début du XXe siècle, le ressentiment des Altaïens face à la situation coloniale donna naissance au bourkhanisme, un mouvement millénariste de grande ampleur, profondément antirusse et anti-chamanique. Son nom vernaculaire, Ak T’aŋ (« foi / loi / manière de faire » blanche), met en avant le côté pur de ses pratiques, opposées à celles du chamanisme, ou « foi noire ». Le terme bourkhanisme provient de la divinité Ak-Burhan (« Bouddha blanc18 ») alors vénérée. Les attentes messianiques auraient trouvé pour une grande part leur origine dans les épopées (Znamenski 2005, pp. 31 ; 36), dont les héros sont alors pour certains divinisés. Les chamanes sont accusés de ne traiter qu’avec des entités spirituelles néfastes, et sont forcés de brûler leurs tambours et de rejeter leurs pratiques. Un clergé est mis en place, avec à son sommet des t’arlykčy (« messager ») et des Fig. 25 Un chamane altaïen, début du XXe siècle. Musée russe d’ethnographie, Saint-Pétersbourg.
Chapitre I Qui sont les Altaïens ?
chanteurs d’épopées kajčy. On ne s’adresse plus qu’à des entités bienfaitrices (créées, car dans le chamanisme, aucune n’est en soi que positive), et les sacrifices animaux sont rejetés. La plupart des auteurs voient là une première tentative de la part des groupes altaïens de s’unifier à la faveur d’un mouvement « ethnoconfessionnel » (Šerstova 1986 et 2010), s’inscrivant dans la lignée des mouvements libéraux et populistes de la fin du XIXe siècle en Russie européenne (Vinogradov 2003, p. 23). Toutefois, les répressions sanglantes des mouvements de protestation qui ont eu lieu dans d’autres régions de Russie, et qui ont précédé l’apparition de mouvements millénaristes, nous indiquent également que les Altaïens n’ont peut-être pas eu les moyens de prendre les armes à l’encontre des colons, que c’était là la seule réaction possible. L’existence du mouvement est d’autre part un signal envoyé à l’administration tsariste, qui prend conscience des difficultés de la population indigène. Alarmé par la rapidité avec laquelle le mouvement se diffuse, et par la tension, alimentée par la peur, qui règne au sein de la population russe en Altaï, le pouvoir impérial prend des mesures et inculpe six responsables. Toutefois, avec l’aide de la communauté russe libérale de Sibérie (dont de nombreux membres sont des exilés) et du linguiste, archéologue et ethnographe D. A. Klemenc, aucune condamnation ne fait suite au procès. Celui-ci, en revanche, met en lumière la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les Altaïens, et fait le lien avec la présence des colons russes (Šerstova 2006, pp. 2025). Les « bourkhanistes » sont donc relâchés et libres de pratiquer leur culte (Znamenski 2005, pp. 35-37) (fig. 24).
En Altaï soviétique Puis vint la révolution d’Octobre. Selon de nombreuses personnes avec lesquelles j’ai discuté sur le terrain, la guerre civile aurait provoqué en Altaï un « véritable génocide dont personne aujourd’hui ne parle ». Pris en étau entre les groupes armés des Rouges et des Blancs, un grand nombre d’Altaïens aurait été réprimé sans ménagement. Un important travail d’archives serait nécessaire pour faire le point sur cette situation, qui reste très confuse. Puis, durant la période de mise en place du régime soviétique, les différents groupes altaïens subissent la politique de collectivisation des terres et des moyens de production. Les troupeaux sont confisqués, les baj (en altaïen : « riches ») sont progressivement liquidés lors de la dékoulakisation. D’abord toléré par le jeune régime, le mouvement bourkhaniste sera progressivement réprimé au cours des années 1930, au même titre que toutes les autres pratiques religieuses, et les cérémonies resteront désormais confinées au cadre domestique. Parallèlement, les études ethnographiques sont utilisées par le régime pour organiser sa politique des nationalités : selon Vinogradov (2003, pp. 2526), c’est L. P. Potapov, spécialiste soviétique des peuples turcs du sud de la Sibérie, qui serait l’un des acteurs principaux de la dénégation du passé des groupes altaïens. En effet, la politique des nationalités mise en place par Staline dans les années 1930 va conduire au regroupement par affinités linguistiques de groupes ethniques qui ne se sentent pas forcément apparentés entre eux. On renommera, ou on crééra, certains peuples. Cela se traduira dans l’Altaï par la création des peuples koumandine, toubalar, tchelkane et
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Fig. 26 L’écrivain télenguite Lazar V. Tanzaev prend quelques notes, Ulagan. 2011.
Les Altaïens aujourd’hui Depuis la chute du régime soviétique en 1991, l’Altaï est devenu le 3 juillet 1991 une république autonome au sein de la Fédération de Russie, possédant ses langues officielles (l’altaïen et le russe), son drapeau et son emblème (un griffon) (fig. 27), sa Constitution, son Parlement et son Président (en russe : Glava)21. La question de la nationalité altaïenne n’est cependant pas pour autant résolue. Un tribunal spécialisé est en charge de la reconnaissance des individus membres des petits peuples du nord (Koumandines, Toubalars, Tchelkanes et Télenguites, mais pas les Altaj-kiži, trop nombreux), mais de multiples documents sont requis pour se voir accorder ce statut et la procédure est souvent rébarbative (Donahoe et al. 2008 ; MT 2010).
Fig. 27 Le blason de la République de l’Altaï, sur lequel figurent un griffon, le mont Béloukha (Üč Sümer, « Trois sommets »), les deux rivières la Katun’ et la Bija se rejoignant pour former l’Ob’, et le trépied d’un foyer (očok), Gorno-Altaïsk. 2011.
télenguite, présentés précédemment. Mais très rapidement, au sein de la jeune « République oïrate » créée en 1922 (qui deviendra « Région Autonome Oïrate », puis « Région Autonome du Haut-Altaï » en 194819), la mention de ces nouvelles ethnies disparaîtra au profit d’un regroupement sous les nationalités oïrate et chore lors des recensements de 1937 et 1939. Cette situation persistera puisque dans les recensements de 1970 et 1989, seules figurent les nationalités altaïenne et chore20 (Blum et Filippova 2003, pp. 146-147).
Lors du recensement de 2002, bien qu’il ait été possible de se définir comme appartenant à l’un des sous-groupes susmentionnés, une vaste campagne a été menée en faveur de la nationalité altaïenne, au prétexte que la baisse du nombre d’Altaïens entraînerait la disparition de la République et sa fusion avec la région fédérale voisine, le Territoire de l’Altaï (Blum et Filippova 2003, idem). Alors qu’un tel remaniement administratif a peu de chances de se produire, il est possible de comprendre ce phénomène comme une suite logique de la politique d’uniformisation entamée à l’époque soviétique. Il en résulte, comme j’ai pu le constater lors du recensement de 2010, que les gens hésitent encore beaucoup à se définir comme koumandine, toubalar, tchelkane ou télenguite, surtout lorsqu’ils ne maîtrisent pas la langue indigène. En outre, le fait que les Altaj-kiži
Chapitre I Qui sont les Altaïens ?
Fig. 28 En route vers le plateau d’Ukok, district de Koš-Agač. 2011.
ne bénéficient pas du statut de « petit peuple », ni des prestations sociales qui l’accompagnent (crédit d’impôts, allocation de terres et d’hectares de forêt) justifie la campagne de ces derniers en faveur de l’unité ethnique.
Une momie alimente la polémique En 1993, des archéologues russes découvrent lors de fouilles effectuées sur le plateau d’Ukok (district de Koš-Agač) la momie d’une jeune femme. Âgée de 2500 ans, elle prendra très vite le nom de « Princesse d’Ukok ». Dix ans plus tard, un tremblement de terre de magnitude 7 secoue l’Altaï, et détruit le village de Beltyr (district de Koš-Agač), situé à proximité de l’épicentre. Pour une majorité d’Altaïens, cela ne fait aucun doute : l’excavation de la momie a provoqué la colère des esprits, il faut absolument que son corps soit rapatrié en Altaï, et replacé dans le kourgane dont elle a été exhumée. En 2012, le Musée national de l’Altaï est rénové22 et dispose de la technologie adaptée pour la conservation de la momie. Une cérémonie d’accueil est organisée pour son retour en Altaï. Néanmoins, en 2014, à la suite
des inondations exceptionnelles du mois de juin, suivies d’une tempête de grêle destructrice au mois de juillet, un mouvement dirigé par Akaj Kine (un leader religieux, de son vrai nom Sergueï Kynyev23) revendique à nouveau une inhumation à Ukok, lance une pétition et souhaite organiser une cérémonie religieuse à Gorno-Altaïsk, au cours de laquelle une cavalière toute de blanc vêtue symbolise l’âme de la momie. À cause des élections pour la Présidence de la République de l’Altaï en septembre 2014, la manifestation n’aura finalement lieu qu’en octobre, et seule une banderole blanche comportant les signatures des adhérents au projet sera déployée24. L’exigence d’un retour de la dépouille à Ukok est d’autant plus forte que les indigènes altaïens se sentent pleinement apparentés à la momie : elle serait l’une de leurs ancêtres et c’est un crime que d’avoir profané sa tombe. Les recherches effectuées sur l’ADN révèleront pourtant l’absence de parenté entre les Altaïens d’aujourd’hui et cette momie25. Ce qui va alimenter la polémique au sein de la population d’une utilisation orientée de la science dans le but de discréditer la « présence ancestrale » des Altaïens dans la région (Broz
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2009a et 2010 ; Halemba 2006 et 2008). Bien que ce ne soit pas là le sujet de ce livre, il est tout de même important de s’arrêter sur ces deux épisodes récents traitant de l’ethnicité. Ils montrent que définir clairement ce que signifie « être altaïen » peut impliquer à la fois des critères socioculturels, linguistiques et territoriaux. Ceux-ci ne sont pas toujours évidents à réunir pour les indigènes eux-mêmes, notamment en ce qui concerne les populations du nord de la petite République, quasi-russifiées. Cette étude menée pour la Fondation Culturelle Musée Barbier-Mueller, tout en présentant majoritairement les traits culturels des Altaj-kiži et des Télenguites, tient compte de cette pluralité des groupes altaïens, et par là-même, de la pluralité des pratiques. Notes 1. Les Samoyèdes sont un groupe de peuples vivant au nord de la Sibérie et constitué aujourd’hui des Nénetses, des Ènetses, des Nganassanes et des Selkoupes. 2. Les Iénisséens sont un ensemble de plusieurs peuples vivant le long du Iénisséï, dont seuls restent les Kètes aujourd’hui (parmi les Kotes, les Arins et les Assans au XVIIIe siècle) (informations de J.-L. Lambert). Selon Radlov (1989, p. 209), les Chors, dont la langue et le mode de vie sont très proches de ceux des Tchelkanes, ont intégré des éléments ostiako-iénisseins. 3. Toutes les données concernant le nombre d’individus sont tirées du recensement de la population de la Fédération de Russie effectué en 2010 : http://www.gks.ru/free_doc/new_site/perepis2010/croc/ Documents/Vol4/pub-04-01.pdf, consulté le 5/06/2014. Il est à noter que les chiffres varient fortement si la question de la nationalité est posée en rapport avec la maîtrise de la langue indigène : http://www.gks.ru/ free_doc/new_site/perepis2010/croc/Documents/Vol4/ pub-04-04.pdf, consulté le 5/06/2014. 4. En tant que minorités, les Tchelkanes, les Toubalars, les Koumandines et les Télenguites se sont vus reconnaître le statut de « Petits Peuples du Nord » et bénéficient à ce titre de droits fonciers et de chasse étendus (Donahoe et al. 2008). Néanmoins, seuls les Koumandines apparaissent à part dans le recensement de 2010 : Télenguites,
Toubalars et Tchelkanes sont considérés comme faisant partie des Altaïens. Il faut donc les retrancher pour obtenir le nombre total d’Altaï-kiži. D’autre part, on peut se demander si le télenguite est officiellement considéré comme langue à part entière puisqu’il n’apparaît pas dans la liste des langues de la Fédération de Russie de ce même recensement : http://www.gks.ru/free_doc/new_site/ perepis2010/croc/Documents/Vol4/pub-04-05.pdf, consulté le 5/06/2014. 5. Les Kirghizes mettent très souvent en avant le fait qu’ils sont originaires de l’Altaï-Saïan, d’où ils ont été chassés avant de s’établir dans l’actuel Kirghizstan. 6. Les Bouriates sont des Mongols vivant en Sibérie, autour du lac Baïkal. 7. Les Iakoutes (ou Sakha) sont le peuple turc le plus septentrional. Ils vivent dans la République de Sakha Iakoutie, immense et riche région minière du nord-est de la Sibérie, et dont la capitale est Yakoutsk. 8. Ils ne prêtaient pas grande attention au mûrissement des graines, ce désintéressement pouvant conduire à la famine durant l’hiver (Verbickij 1993, p. 39 ; Radlov 1989, pp. 163 ; 201). 9. La conservation des corps, ainsi que d’autres objets tels qu’un tapis ou des artefacts en bois et en feutre, a été permise grâce à la congélation de l’eau qui s’était infiltrée dans la chambre funéraire des kourganes. Les amas de grosses pierres recouvrant les tombes ont protégé la glace, des siècles durant, des rayons du soleil. L’or, en revanche, avait déjà été volé. 10. Les archéologues à l’origine de la découverte de la momie d’Ukok associent quant à eux les peuples de l’Altaï aux Arismapes, « qui n’ont qu’un œil », dont le pays est habité par « des Gryphons qui gardent l’or » (Hérodote, Livre IV, XXVII, cité par Polosmak 1994, 4e de couverture). Signalons que le griffon est aujourd’hui l’emblème de la République d’Altaï (fig. 27). 11. Les actuels districts d’Ulagan et de Koš-Agač correspondent au territoire traditionnel des Télenguites. Ceux-ci affirment, au contraire des historiens, que leurs ancêtres ont « fait croire » qu’ils payaient un double tribut, alors qu’en réalité ils ne payaient rien à personne. Le conte, apprécié des Télenguites, de la chauve-souris (t’arganat, in Potanin 2005, p. 169), peut être vu comme la parabole de cette situation : alors que le roi des oiseaux lui demande de payer le tribut, la chauve-souris affirme être un animal « à crocs » (ru. klykastyj). Lorsque le roi des animaux « à crocs » le lui demande à son tour, elle affirme être un oiseau. Pour finir, elle ne paie aucun impôt. Aurait-ce été le cas des Télenguites, se faisant passer tour à tour pour des Chinois ou des Russes ?
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12. Le terme baš, « tête », est compris en altaïen avec les mêmes sens qu’en français. Notons également que le terme bašlyk est passé dans la langue russe, où il signifie « capuchon ». On peut alors voir dans cette appellation des chefs locaux un équivalent direct du français « gros bonnet » (je remercie V. Schiltz pour sa remarque à ce sujet). 13. Le terme t’ajzaŋ vient d’un titre chinois (Potapov 1953, p. 131). 14. Un djučin est un regroupement de quarante yourtes (Potapov 1953, p. 131). 15. Radlov (1989, p. 125) indique que certains des t’ajzaŋ reçurent de l’administration russe des cafetans ornés de galons d’or, qu’ils ne portaient toutefois que lors de leurs visites chez les fonctionnaires russes. Autrefois, les Télenguites recevaient quant à eux de la part de l’administration chinoise des chapeaux décorés de plumes de paon et de perles (idem). 16. L’exil des Vieux-Croyants et leur dissimulation dans les profondes vallées de l’Altaï-Saïan ont été remarquablement illustrés par l’incroyable histoire des Lykov : cette famille de Vieux-Croyants a quitté la civilisation dans les années 1930, a vécu isolée en autarcie pendant plusieurs décennies de la période soviétique, avant d’être finalement « découverte » par hasard par un groupe de géologues en 1978 (Peskov 1992). Après le décès des membres de sa famille, l’une des filles, Agafia, vit encore aujourd’hui seule dans la demeure familiale, dans une vallée reculée de l’Abakan. 17. Certaines campagnes d’évangélisation en Sibérie, qui eurent lieu au début du XVIIIe siècle et donc précédèrent la Mission Orthodoxe Altaïenne, ont parfois été teintées de violence (cours de Master de M. J.-L. Lambert, EPHE, 2007-2008). Le code de Speranskij a interdit tout recours à la force pour les conversions. 18. Burhan serait, selon B. Laufer (1916, p. 393), un esprit avec lequel les chamanes des peuples turcs de l’Altaï sont en contact. Mais le terme désigne le Bouddha ou toute autre divinité en mongol, ce que confirme Krader (1956, p. 283). Pour Znamenski (2005, p. 37), burhan est l’« image de Bouddha » depuis que le bouddhisme est devenu la religion d’État de l’Empire oïrot en 1616 (op. cit., p. 32). Venu ainsi de Bouddha, le terme est aujourd’hui très général et générique, et désigne les divinités en Mongolie. En témoignent le nom de la Grande Ourse (mg. doloon burhan, « sept divinités ») et celui du lieu où se rendent les âmes des morts (mg. burhany oron, « pays des divinités ») (Ruhlmann 2009, pp. 3-4 du fichier PDF). 19. Selon Vinogradov, cette transformation du nom de la région serait due à L. P. Potapov, pour qui « toute trace
positive des Oïrats [devait] être effacée de la mémoire collective altaïenne » (2003, p. 26). 20. Les mentions Altajcy, Ojraty, Kumandincy, Telengety, Teleuty et Šorcy étaient présentes uniquement dans le premier recensement soviétique de 1926 (Blum et Filippova 2003, pp. 146-147). 21. Celui-ci était jusqu’aux élections de septembre 2014 nommé par Moscou. 22. La rénovation a été financée en grande partie par Gazprom, entreprise gazière russe ayant le projet de faire passer un gazoduc en direction de la Chine par le plateau d’Ukok. De toutes parts les critiques s’élèvent, car le site figure sur la liste du Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Par ailleurs, la construction d’une route parallèle au tracé du gazoduc, justifiée par la nécessité d’intervenir en cas d’incident technique, est perçue par une grande partie de la population du sud de la Sibérie comme la porte ouverte aux immigrants chinois. 23. Selon Broz (2009b, p. 32), Kynyev s’est choisi le prénom altaïen Akaj (que l’on peut interpréter de diverses manières : « Lune Blanche », « Grand Frère », « Cheval Guidant ») pour rajouter au côté « spirituel » de son entreprise. Ancien étudiant d’ethnographie à l’Université de Gorno-Altaïsk puis doctorant à Moscou, il est devenu un temps chef de file du mouvement de revivalisme du néo-bourkhanisme, sous la dénomination Ak T’aŋ. Il a tenté de réunir tous les spécialistes rituels de l’Altaï sous son autorité, avant que ces derniers ne fassent scission chacun de leur côté. Personnage au rôle ambigu, il est l’interlocuteur privilégié du gouvernement concernant les questions religieuses indigènes, mais ne bénéficie pas d’une grande écoute au sein de la population. 24. Il faut noter le soutien apporté au mouvement par de nombreuses organisations russes hostiles à la politique fédérale de V. Poutine (MT 2014) : l’argument d’opposition repose sur l’idée qu’un complot visant à disloquer la Fédération de Russie et à livrer la Sibérie à la Chine est en marche. Par ailleurs, les rumeurs circulant sur la disparition de grandes quantités d’or contenu dans le kourgane de la Princesse accroissent la suspicion quant au dessein réel des activités entreprises à Ukok : la construction d’une route parallèle au gazoduc justifierait l’ouverture de nombreux autres kourganes situés sur son tracé. Ceux-ci sont jusqu’à présent interdits de fouille par une loi fédérale sur la protection des territoires indigènes et scrupuleusement surveillés par les associations locales. 25. Les momies exhumées des kourganes de Pazyryk, moins médiatisées mais datées de la même époque, présentent quant à elles, au moins pour certaines, des traits mongoloïdes (Schiltz 1980, p. 158).
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Caroline Kaspar-Nebel Conception graphique, cartes et production
Helder Da Silva
Photolithogravure et impression
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Cet ouvrage a été achevé d’imprimer en octobre 2015. Dépôt légal : octobre 2015. ISBN 9782757210482