Les Belles Heures du duc de Berry (extrait)

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Les

Belles Heures du

duc de Berry


Cet ouvrage accompagne l’exposition « Les Belles Heures du duc de Berry » présentée à Paris au musée du Louvre du 5 avril au 25 juin 2012. L’exposition a été organisée par le musée du Louvre, Paris, avec la participation exceptionnelle du Metropolitan Museum of Art, New York. Les textes de Timothy B. Husband sont issus de l’ouvrage The Art of Illumination. The Limbourg Brothers and the Belles Heures of Jean de France, duc de Berry, publié par le Metropolitan Museum of Art, New York, en 2008.

Cette exposition est réalisée avec le soutien d’Ipsen

Le catalogue a bénéficié du concours du Groupe AG2R La Mondiale

En application de la loi du 11 mars 1957 [art. 41] et du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre.

© musée du Louvre, Paris, 2012 © The Metropolitan Museum of Art, New York, 2008, pour les textes de Timothy B. Husband © Somogy éditions d’art, Paris, 2012 www.louvre.fr www.somogy.fr ISBN musée du Louvre : 978-2-35031-369-6 ISBN Somogy éditions d’art : 978-2-7572-0508-2 Dépôt légal : mars 2012 Imprimé en Italie (Union européenne)

Couverture et jaquette Première de couverture : L’Annonce aux bergers (détail), voir fol. 52. Quatrième de couverture : La Mort de saint Antoine (détail), voir fol. 194v. Dos : Saint Louis devant Damiette (détail), voir fol. 173.


Les

Belles Heures du

duc de Berry sous la direction de

Hélène Grollemund et Pascal Torres

Textes de Timothy B. Husband, Élisabeth Antoine, Hélène Grollemund, Eberhard König, Margaret Lawson, Pierre-Yves Le Pogam, Inès Villela-Petit


Musée du Louvre Henri Loyrette Président-directeur

Exposition Édition Direction de la Production culturelle Musée du Louvre Soraya Karkache Direction de la Production culturelle Chef du service des Expositions

Hervé Barbaret Administrateur général Claudia Ferrazzi Administratrice générale adjointe Carel van Tuyll van Serooskerken Directeur du département des Arts graphiques Juliette Armand Directrice de la Production culturelle

Sixtine de Saint-Léger Coordinatrice de l’exposition

Direction Architecture, Muséographie et Technique Sophie Lemonnier Directrice Michel Antonpietri Directeur adjoint Clio Karageorghis Chef du service Architecture, Muséographie et Signalétique Catherine Arborati Scénographie Frédéric Poincelet Graphisme Carol Manzano et Stéphanie de Vomécourt Coordination, service Architecture, Muséographie et Signalétique Hervé Jarousseau Chef du service des Travaux muséographiques Xavier Guillot et Philippe Leclercq Coordination, service des Travaux muséographiques Sébastien Née Chef de l’atelier éclairage, service Électricité et Éclairage

Violaine Bouvet-Lanselle Chef du service des Éditions Fabrice Douar Coordination, suivi éditorial et index Virginie Fabre Collecte de l’iconographie

Somogy éditions d’art Nicolas Neumann Directeur éditorial Sarah Houssin-Dreyfuss assistée de Stéphanie Méséguer Coordination et suivi éditorial Michel Brousset et Béatrice Bourgerie Fabrication Nelly Riedel Conception graphique et réalisation Marion Lacroix et Colette Malandain Contribution éditoriale


Auteurs

Traducteurs

Élisabeth Antoine (ÉA) conservateur en chef au département des Objets d’art, musée du Louvre, Paris

Renaud Temperini a traduit de l’américain vers le français les textes de Timothy B. Husband. Camille Fort a traduit de l’américain vers le français le texte de Margaret Lawson.

Hélène Grollemund (HG) chargée d’expositions au département des Arts graphiques, musée du Louvre, Paris Timothy B. Husband (TH) conservateur, Department of Medieval Art and the Cloisters, The Metropolitan Museum of Art, New York Eberhard König (EK) professeur à la Freie Universität, Berlin Margaret Lawson (ML) restauratrice associée, Department of Paper Conservation, The Metropolitan Museum of Art, New York

Prêteurs Que toutes les personnes qui, par leurs prêts généreux, ont permis la réalisation de cette exposition, trouvent ici l’expression de notre gratitude : Châteauroux Bibliothèque municipale-médiathèque Équinoxe Lyon Bibliothèque municipale Mehun-sur-Yèvre Musée-château Charles-VII

Pierre-Yves Le Pogam (P-YLP) conservateur en chef au département des Objets d’art, musée du Louvre, Paris

New York The Metropolitan Museum of Art, The Cloisters Collection

Inès Villela-Petit (IV-P) conservateur au département des Monnaies, Médailles et Antiques, Bibliothèque nationale de France, Paris

Paris Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits Bibliothèque nationale de France, département des Monnaies, Médailles et Antiques Musée de Cluny-musée national du Moyen Âge Musée du Louvre, département des Arts graphiques Musée du Louvre, département des Objets d’art Musée du Louvre, département des Sculptures


Remerciements Cette exposition n’aurait jamais pu avoir lieu sans la détermination et le soutien du présidentdirecteur du musée du Louvre, Henri Loyrette, et des directeurs du Metropolitan Museum of Art, Philippe de Montebello puis Thomas P. Campbell, qui ont accordé le prêt exceptionnel du manuscrit des Belles Heures.

Hervé Jarousseau, chef du service, Xavier Guillot et Philippe Leclercq ; du service Architecture, Muséographie et Signalétique : Clio Karageorghis, chef du service, Carol Manzano et Catherine Arborati qui ont su déployer des trésors d’ingéniosité pour répondre à nos attentes, Stéphanie de Vomécourt, Cybèle Castoriadis, Frédéric Poincelet et Christian Sebastiani qui ont veillé à la signalétique ; à la direction de la Production culturelle : Juliette Armand, directrice, et du service des Expositions : Soraya Karkache, chef du service, et Sixtine de Saint-Léger qui ont fait preuve d’une ténacité et d’une patience à toute épreuve ; à la direction du Développement et du Mécénat : Christophe Monin, directeur, Estelle-Sarah Eliezer, Constance Lombard, Danielle Pintor et Sophie Walter ; à la direction de la Communication : AnneLaure Béatrix, directrice, et Coralie James.

Nous ne saurions assez remercier Timothy B. Husband, conservateur aux Cloisters, et Wendy A. Stein, Research Associate, pour leur accueil et leur participation enthousiaste dès les débuts de ce projet. Nous savons gré à Timothy B. Husband d’avoir partagé le commissariat de l’exposition et de nous avoir fait bénéficier de sa grande connaissance du manuscrit. Son ouvrage sur l’œuvre, The Art of Illumination. The Limbourg Brothers and the Belles Heures of Jean de France, duc de Berry, ainsi que l’étude de Margaret Lawson ont été fondamentaux pour notre propre catalogue. Que ceux qui, au Que notre mécène Ipsen soit vivement remercié Metropolitan Museum of Art, ont facilité l’organisa- de son aide généreuse. tion de l’exposition soient associés à ces remercieNous ne saurions oublier, pour toute l’attention ments : Aileen Chuck, Kirstie Howard et Linda Sylling. qu’ils ont portée au transport et à la surveillance Nous tenons à exprimer toute notre reconnais- de l’état des œuvres, Sylvie Bouteille, Christine sance à Marc Bascou, Philippe Bon, Geneviève Chabod, Suzeline Chandon, Laurent Creuzet, Bresc-Bautier, Pierre Guinard, Marie-Pierre Laffitte, Valentine Dubard, Gilles Éboli et Florence Ertaud. Dominique Potard, Bruno Racine et Carel van Enfin, nous tenons à témoigner notre plus vive Tuyll van Serooskerken pour la générosité de reconnaissance, pour leur soutien constant et leurs prêts et leur soutien dans cette exposition. leur aide amicale et vigilante, à Violaine BouvetNos plus chaleureux remerciements s’adressent Lanselle, chef du service des Éditions, et à Fabrice également aux auteurs de ce catalogue, Élisabeth Douar qui a assuré de main de maître la coordinaAntoine, Eberhard König, Pierre-Yves Le Pogam et tion éditoriale avec ténacité et patience, ainsi qu’à Inès Villela-Petit, pour leur enthousiasme dès le Virginie Fabre pour la collecte de l’iconographie, début de ce projet et leurs brillantes suggestions. son efficacité et son inaltérable bonne humeur, soutenue, à la Bibliothèque nationale de France, par Que soient encore remerciés les chercheurs et Franck Bougamont et Georgette Ballez. Nous soules collègues français et étrangers dont l’aide et haitons également remercier les éditions Somogy, les conseils nous ont été précieux : François Avril, particulièrement Nicolas Neumann, directeur édiMarie-Cécile Bardoz, Gabriele Bartz, Béatrice de torial, et Sarah Houssin-Dreyfuss pour le suivi édiChancel-Bardelot, Suzeline Chandon, Dominique torial, Nelly Riedel pour sa belle maquette, Marion Cordellier, Laurent Creuzet, Marie-Thérèse Gousset, Lacroix et Colette Malandain pour leur relecture Dirk Imhof, Fritz Koreny, Éric Löffler, Philippe attentive. Nous tenons à exprimer toute notre graLorentz, Philippe Palasi, Erwin Pokorny, Pieter titude à Renaud Temperini et à Camille Fort pour Roelofs, Dominique Thiébaut et Carole Treton. leurs traductions. Nos remerciements chaleureux La préparation, la réalisation et la promotion de vont également au Metropolitan Museum of Art : l’exposition n’auraient pu se faire sans le concours, au service des Éditions, Mark Polizzotti, Gwen à la direction Architecture, Muséographie et Tech- Roginsky et Jane S. Tai ; au service Images, Julie nique, du service des Travaux muséographiques : Zeftel et Neal Stimler.


Sommaire 8-9 Préfaces 11 Introduction Timothy B. Husband

21 Les frères de Limbourg Timothy B. Husband

39 Sources et influences Timothy B. Husband

80 Structure du manuscrit 88 Les Belles Heures du duc de Berry Timothy B. Husband

346 Observations techniques sur le manuscrit des Belles Heures

Matières, procédés de fabrication et mesures de conservation Margaret Lawson

367 La Bible historiale et les Très Riches Heures Inès Villela-Petit Cat. 1 et 2

377 L’art en France autour de 1400 : nouveaux regards Élisabeth Antoine et Pierre-Yves Le Pogam Cat. 3 à 14

407 La question des emprunts aux Belles Heures Eberhard König Cat. 15 à 17

421 À propos de quelques œuvres graphiques des collections du Louvre Hélène Grollemund

426 Arbre généalogique de Jean de France, duc de Berry 428 Bibliographie 438 Index 448 Crédits photographiques


Préfaces Ipsen est engagé de longue date dans le domaine du mécénat culturel, qui s’inscrit dans l’approche humaniste du Groupe et illustre son ambition de partage et de diffusion des connaissances. Ipsen participe à la conservation et à l’enrichissement du fonds du musée du Louvre, notamment par le biais de son adhésion au Cercle Louvre entreprises qui apporte son soutien au musée dans ses grandes missions patrimoniales, éducatives et sociales. Après l’acquisition par l’État pour le musée du Louvre, grâce au mécénat d’Ipsen, d’un papyrus médical égyptien du Nouvel Empire en 2007 et le soutien à l’exposition « Méroé, un empire sur le Nil » en 2010, Ipsen s’associe aujourd’hui au musée du Louvre pour présenter des feuillets exceptionnels des Belles Heures du duc de Berry. Ceux-ci ont été réalisés par les frères de Limbourg et constituent une occasion unique de découvrir un chef- d’œuvre de l’enluminure du xve siècle. Fidèle mécène du musée du Louvre, Ipsen partage ainsi avec cette prestigieuse institution, universellement reconnue, sa politique d’ouverture sur le monde, de même que ses valeurs d’innovation, de créativité et de diffusion des connaissances. Marc de Garidel Président du Groupe Ipsen

Ipsen, groupe pharmaceutique mondial de spécialité, a opté pour un modèle de développement original au service de l’innovation, notamment en neurologie, en endocrinologie, en uro-oncologie et en hémophilie. Il inscrit son développement dans la durée, avec l’objectif de transformer sa connaissance des mécanismes biologiques en nouveaux traitements, et de permettre aux médecins et aux patients du monde entier d’y accéder.


Accueillir les Belles Heures de Jean de France, duc de Berry, constitue, pour le musée du Louvre, un événement considérable pour l’histoire de ses collections autant que cela marque sa politique d’expositions, et je ne saurais commencer cette préface autrement qu’en exprimant ma profonde gratitude au Metropolitan Museum of Art de New York pour l’extraordinaire générosité d’un tel prêt. Car, par-delà l’incomparable beauté du chef-d’œuvre que forment les Belles Heures de Jean de France, duc de Berry, véritable laboratoire où les frères de Limbourg développèrent à partir de 1405 tout l’esprit d’invention propre à la rénovation de l’art émérite du récit illustré, les Belles Heures renvoient aussi à l’histoire des collections nationales françaises. En effet, le musée Condé à Chantilly, propriétaire des Très Riches Heures du duc de Berry, acquises en leur temps par le duc d’Aumale, et la Bibliothèque nationale de France, qui conserve aussi de rares chefs-d’œuvre des Limbourg, dont la Bible moralisée commandée en 1402 par Philippe le Hardi, sont les uniques dépositaires en France de leurs œuvres. Sans la restauration magistrale du manuscrit des frères de Limbourg, entreprise en 1996 et qui permit, en détachant les feuillets autographes de leur reliure moderne, de présenter en 2009 à Los Angeles et en 2010 à New York l’ensemble du manuscrit au public, il n’eût pas été concevable d’exposer au musée du Louvre ce trésor de l’art français. Recevoir aujourd’hui les Belles Heures du duc de Berry signifiait aussi pour le musée du Louvre songer à une présentation de cette œuvre majeure avec certains chefs-d’œuvre des xive et xve siècles que le Louvre abrite au sein de ses diverses collections. Car c’est aussi dans l’intention de permettre au public de porter un regard nouveau sur l’œuvre des frères de Limbourg, enrichi par les diverses techniques artistiques, dessins, sculptures, objets d’art, peintures, qui de près ou de loin ont connu dans leur développement historique l’influence de ce manuscrit français du xve siècle, que le Louvre s’est montré désireux de présenter, comme à livre ouvert, les plus belles pages des Belles Heures du duc de Berry. Je tiens encore à remercier tout particulièrement les institutions françaises qui ont contribué à enrichir cette exposition, la Bibliothèque nationale de France pour la générosité de ses prêts, le musée de Cluny, le musée du Château de Mehun-sur-Yèvre, les bibliothèques municipales de Châteauroux et de Lyon, et je remercie enfin Pascal Torres, conservateur de la collection Edmond de Rothschild au musée du Louvre, et Hélène Grollemund, chargée d’expositions au département des Arts graphiques, d’avoir assuré le commissariat de cette exposition en étroite collaboration avec Timothy B. Husband, conservateur au Metropolitan Museum of Art de New York. Je me réjouis que le public retrouve au musée du Louvre, le temps d’une exposition exceptionnelle, un monument majeur de l’art français né dans la cour des Valois, véritable épicentre d’une activité créatrice où les Belles Heures occupent sans nul doute, au regard des rares chefs-d’œuvre qui nous sont parvenus, une position charnière à l’apogée de l’efflorescence artistique de l’art gothique parisien. Henri Loyrette Président-directeur du musée du Louvre



Introduction Timothy B. Husband Le titre sous lequel ce manuscrit est aujourd’hui connu lui fut donné par l’inestimable Robinet dans son inventaire : « Item, unes belles Heures, très bien et richement historiées 4 ». Plus tard, à une date qui reste incertaine mais qui se situe sans doute vers 1411 ou 1412, les trois frères commencèrent à travailler aux célèbres Très Riches Heures 5, mais leur disparition précoce et brutale – peut-être due à la peste –, en 1416, laissa le manuscrit inachevé. Les deux princes de la maison de Valois n’eurent pas la même estime pour les frères de Limbourg, comme le révèle la nature même de leurs commandes. En 1402, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, engagea Paul et Jean « pour parfaire les histoires d’une très belle et notable Bible ». L’ouvrage auquel se réfère ce document a été identifié comme étant la Bible moralisée aujourd’hui conservée à la Bibliothèque nationale de France (Fr. 166). Que cette identification soit correcte ou non – il existe en effet, comme nous le verrons dans un chapitre du présent ouvrage, des arguments de poids contre elle –, il fait peu de doute que les frères de Limbourg sont bien les auteurs des enluminures des trois premiers cahiers et des dessins préparatoires du quatrième cahier de cette Bible moralisée, qu’ils laissèrent largement inachevée à la mort du duc, survenue en 1404. Les Bibles moralisées fig. 20 correspondaient à de monumentaux projets princiers qui prévoyaient, en l’occurrence, plus de cinq mille enluminures. Très peu de gens pouvaient donc se permettre d’en commander la réalisation et, de fait, seuls sept exemplaires entièrement illustrés de ce type d’ouvrage sont parvenus jusqu’à nous 6. Chaque page comprenait quatre images illustrant et accompagnant un texte biblique, mises en rapport avec quatre « images moralisées » complétant de leur côté un « texte moralisé », le plus souvent tiré de commentaires de la Bible. Ces binômes d’images et

Les Belles Heures de Jean de France, duc de Berry, qui sont l’un des plus remarquables chefsd’œuvre des Cloisters, furent d’abord un livre d’heures relativement ordinaire, avant de devenir, au fil de leur élaboration, un volume très dévefig. 1 loppé, d’une somptuosité sans précédent 1. Les raisons de cette transformation en cours d’exécution tiennent au talent exceptionnel des jeunes frères de Limbourg (Herman, Paul et Jean), que le duc ne tarda pas à reconnaître et qu’il encouragea volontiers par tous les moyens nécessaires. fig. 2 En 1404, Jean de Berry, l’un des plus grands mécènes de tous les temps, accueillit en effet ces artistes à sa cour après la mort de son frère Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, qui les avait engagés, encore adolescents, pour illustrer une Bible 2. En l’état actuel de nos connaissances, il semble que le premier travail important que leur confia le duc de Berry ait justement été la création du manuscrit analysé ici. Dans la mesure où les livres d’heures figuraient, au Moyen Âge, parmi les formes de livres les plus répandues, et où ils comptaient parmi les plus appréciés – et certainement les plus splendides – des livres de dévotion du duc, il s’agit là d’un choix peu surprenant. Recueils de prières destinés pour l’essentiel aux laïcs, et rivalisant avec ceux dont disposait le clergé, les livres d’heures étaient considérés comme un moyen d’établir une relation plus immédiate avec Dieu, et plus particulièrement avec la Vierge Marie, qui fit l’objet d’un des cultes les plus populaires à la fin du Moyen Âge. S’appuyant sur les inventaires de Robinet d’Estampes, « varlet de chambre » du duc, et sur d’autres documents, Millard Meiss a soutenu de manière convaincante l’hypothèse selon laquelle la réalisation des Belles Heures commença vers 1405, pour s’achever fin 1408 ou début 1409 3.

Saint Nicolas sauvant les voyageurs en mer, fol. 168

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de textes étaient disposés sur deux colonnes, et ici les deux textes latins étaient également traduits en français. La Bible moralisée commandée par Philippe le Hardi s’inspirait pour l’essentiel de celle qui avait été réalisée pour son père, Jean II le Bon (1319-1364, roi en 1350), entre 1349 et 1352 ; ce manuscrit est lui aussi conservé à fig. 19 la Bibliothèque nationale de France (Fr. 167). Le format, le cadre architectural et plusieurs compositions des enluminures de la première version furent repris à peu près tels quels dans la version ultérieure, ce qui limita beaucoup la marge d’invention laissée aux frères de Limbourg, sans doute sur les instructions de Philippe. Le duc définit peut-être ces paramètres en raison du jeune âge de ces derniers et de leur manque d’expérience. Toutefois, comme nous le verrons, malgré les entraves imposées à leur créativité, ils manifestèrent une maturité artistique et une inventivité considérables au cours des deux années durant lesquelles ils travaillèrent à ce manuscrit. Jean de Berry ne semble pas avoir imposé ce genre de restrictions et il ne tarda pas à engager les frères de Limbourg après la mort de son frère cadet, puisque, dès l’année suivante, ils travaillaient déjà aux Belles Heures. Les enluminures des lectures des Évangiles et des Heures de la Vierge, qui comptent parmi les premières à avoir été réalisées pour ce manuscrit, sont de petites dimensions, et plusieurs adoptent d’ailleurs le même format que celles de la Bible moralisée. Dans les Heures de la Vierge, chaque heure, comme le voulait l’usage, est introduite par une enluminure (il y en a huit en tout). Mais le programme décoratif devint vite plus ambitieux. Ainsi, au lieu de l’image générale d’introduction qui apparaît dans la plupart des livres d’heures, chacun des psaumes pénitentiaux commence ici par une enluminure qui lui est propre. De même, chaque heure de l’Office de la Passion (une série de textes et de prières récités à des moments précis de la journée pour célébrer les mystères de la vie, de la mort et de la résurrection du Christ) se voit accorder non pas une, comme le voulait la tradition, mais deux enluminures, et il y en a même trois pour les matines. Toutefois, les Belles Heures touchèrent des sommets jamais atteints grâce à l’ajout de sept « livres d’images » – analysés infra dans leurs moindres détails – allant de trois à douze enluminures en pleine page. Ces ajouts sont sans équivalent dans les livres d’heures conventionnels, et 12

ils n’eurent pas d’autre objet que d’offrir aux frères de Limbourg un vaste champ pour développer leur art et par là même accroître le plaisir visuel de leur mécène, qui leur accordait tout son soutien et, semble-t-il, toute son indulgence. Le format en pleine page permettait en effet d’élargir l’encadrement, et il devenait dès lors possible d’élaborer un style figuratif articulé doté d’un supplément d’âme, de raffiner la palette, d’expérimenter des valeurs de lumière et de surface, d’inventer des formules de composition concentrées sur la tension dramatique de l’image. Comme il n’y avait plus de pages de texte intercalaires, les frères de Limbourg s’efforcèrent de faire naître une cohérence et un mouvement visuels entre chaque enluminure et le texte. À mesure que le manuscrit progressa, ils en vinrent de plus en plus à considérer ces cycles non pas comme une simple série d’images iconiques fascinantes, mais comme des séquences narratives visuelles et indépendantes. Ils expérimentèrent différentes modalités de composition et de contenu émotionnel, de manière à obtenir le plus haut degré possible d’effet narratif. En bref, ils firent des insertions de « livres d’images » de véritables laboratoires, où ils cultivèrent leurs talents considérables de créateurs et de peintres, et où ils développèrent leur art prodigieux du récit illustré. Loin de freiner leurs dons exceptionnels, Jean de Berry leur permit de prendre pleinement leur envol. Il ne s’agissait pas là, nous le verrons, du type de relation le plus habituel entre un mécène et un artiste, et le duc encouragea clairement l’énergie créatrice des trois frères, finançant la production du manuscrit à hauteur d’un montant que seul un prince de sang royal pouvait se permettre. Après les Belles Heures, les Limbourg s’engagèrent dans un projet plus ambitieux encore, l’enluminure des Très Riches Heures, largement considérées comme l’un des plus beaux manuscrits peints que nous ait légués la fin du Moyen Âge. Le duc ne se lança certes pas dans une entreprise aussi coûteuse par besoin d’un autre texte dévotionnel, puisqu’il possédait déjà quatorze livres d’heures 7. Du point de vue de l’échelle et de la vision, les Limbourg s’efforcèrent ici d’échapper aux limites de la page de manuscrit, même lorsqu’elle était d’un très grand format. Les compositions, qu’elles se situent dans un vaste complexe architectural urbain ou dans un paysage spacieux et profond, enrichi par


Fig. 1 Les frères de Limbourg Belles Heures de Jean de France, duc de Berry, vers 1405-1408/1409 Encre, détrempe et feuille d’or sur parchemin ; page simple, ensemble : 23,8 × 17 cm ; double page, ensemble : 23,8 × 34,1 cm New York, The Metropolitan Museum of Art, The Cloisters Collection, 1954 (54.1.1)

une observation rapprochée du monde naturel, et bien mieux conservé que n’importe quelle peinture murale ou sur bois datant du début du dimensions réduites des figures, par rapport xve siècle. C’est largement de ce point de vue que au reste du décor, permettent d’obtenir des les enluminures de ce livre seront analysées ici. perspectives plus larges, tandis qu’une gamme chromatique brillante et une maîtrise troublante Livres d’heures de la lumière reflètent un naturalisme accru. Pendant toute la fin du Moyen Âge, les livres desEntièrement débarrassées de leurs marges, ces tinés à la dévotion privée, dont les livres d’heures images sont plus traitées comme des peintures constituaient la forme la plus répandue, domimurales ou sur panneaux de taille réduite que nèrent la production de manuscrits enluminés 11. comme des enluminures de manuscrit 8. Certains À partir de 1300 environ, les commanditaires spécialistes ont même soutenu que huit des laïques de manuscrits enluminés de luxe surpascompositions en pleine page furent conçues à sèrent de plus en plus ceux qui appartenaient aux l’origine comme des images indépendantes, non milieux ecclésiastiques, monastiques et univerdestinées à êtres incluses dans le manuscrit 9. sitaires ; au xve siècle, ils étaient devenus majoriAvec leurs cent soixante-douze enluminures, taires. Les raisons de cette augmentation rapide les Belles Heures constituent de loin la plus de la production de livres destinés à la dévogrande œuvre achevée des frères de Limbourg 10. tion privée tiennent en partie aux changements Pris ensemble, les trois principaux manuscrits intervenus dans les pratiques religieuses, et en auxquels ils travaillèrent permettent de retracer la particulier à l’accent croissant mis sur la nature stupéfiante progression artistique qu’ils accom- individuelle de la piété, à travers laquelle le fidèle plirent au fil de leurs carrières hélas trop courtes : recherchait un lien plus intime et plus immédiat celle du plus âgé des trois ne dura guère plus de avec Dieu, passant de moins en moins par la seize ans. Bien que se présentant manifestement médiation du clergé. Mais tout aussi important comme un ouvrage destiné à la dévotion privée, fut l’essor des classes moyennes urbaines, marles Belles Heures peuvent aussi être considérées chandes et patriciennes, qui disposèrent de plus comme un recueil pictural beaucoup plus étendu en plus d’argent à dépenser dans l’acquisition de

fig. 48 ne sont jamais moins que panoramiques. Les

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Les frères de Limbourg Timothy B. Husband La redécouverte des frères de Limbourg En 1830, Henri d’Orléans (1822-1897), duc d’Aumale et fils du roi Louis-Philippe, hérita du dernier prince de Bourbon-Condé le château de Chantilly et son importante collection de manuscrits. À la suite de l’abdication de son père, en 1848, il s’exila à Twickenham, dans la banlieue de Londres. Bibliophile de renom, il consacra beaucoup de son temps à étudier et à enrichir sa collection de manuscrits jusqu’à son retour en France, en 1871. Un de ses bons amis et compagnons d’exil était l’érudit italien Antonio Panizzi, qui fut bibliothécaire et conservateur au British Museum (où la grande salle de lecture circulaire de la cour centrale porte aujourd’hui son nom). Il informa le duc, peut-être vers la fin de 1855, que le baron Felix de Margherita pourrait être disposé à vendre un exceptionnel livre fig. 3 d’heures, richement enluminé. Le duc avait en effet déjà vu le manuscrit, plus tôt au cours de cette même année 1855, lorsqu’il avait rendu visite à sa mère, près de Gênes. Bien décidé à l’acquérir, il confia l’affaire à Panizzi qui, à l’aide d’un autre intermédiaire, conclut la vente, pour un montant de 18 000 francs, en janvier 1856 1. Le duc, qui n’avait pas tardé à apprécier « la beauté, le style, l’originalité des miniatures 2 », en fit généreusement profiter autrui. Parmi ceux qui eurent la chance d’examiner le manuscrit, on compte Gustav Friedrich Waagen (1794-1868), auteur d’une étude pionnière sur les frères Van Eyck, mais aussi directeur énergique et avisé de la Gemäldegalerie de Berlin. Impressionné par la qualité du manuscrit, il en publia une description en 1857 3. Vers 1881, Léopold Delisle fit le rapprochement entre l’ouvrage et un passage de l’inventaire des biens du duc de Berry établi en 1416 4, qui mentionnait « en une layette plusieurs cayers d’unes très riches Heures, que faisoient Pol et ses frères 5 ». On reconnut unanimement en ces derniers les frères de Limbourg, et leur

redécouverte, en liaison avec les Très Riches Heures 6, inspira toute une série d’études de première importance, à commencer par la monographie fondamentale de Paul Durrieu, publiée en 1904 et qui est restée le point de départ indispensable de toutes les études ultérieures sur les trois artistes et leurs manuscrits enluminés, lesquelles sont désormais légion 7.

Les documents Bien que les frères de Limbourg soient tombés dans les limbes de l’histoire entre le milieu du xve et la fin du xixe siècle, ils demeurent malgré tout les peintres actifs en France au xive et au début du xv e siècle sur lesquels on dispose du plus grand nombre de sources. Alfred de Champeaux et Paul Gauchery publièrent en 1894 la première étude biographique les concernant et, dans les années 1950, Friedrich Gorissen, archiviste municipal de Clèves, rassembla un vaste ensemble d’écrits (publié en 1954 et en 1957) qui constitue encore de nos jours la base de nos connaissances sur les trois frères. En 1974, Millard Meiss examina en détail cette documentation, à laquelle il apporta quelques corrections et qu’il enrichit d’un complément au travail de Gorissen 8. En 1990, JeanYves Ribault y ajouta de nouveaux éléments significatifs ; enfin, en 2005, Willy Niessen, Pieter Roelofs et Mieke van Veen-Liefrink soumirent les documents à d’autres analyses, qui aboutirent à de nombreuses transcriptions inédites et à des observations novatrices. Le nom Van Limburg/de Limbourg apparaît sous de nombreuses formes dans les archives de Nimègue, à commencer par la mention, peu après le milieu du xive siècle, d’un certain Johannes de Lymborgh. Des études récentes soutiennent que cet homme était originaire du village de Limbourg, situé sur la Vesdre entre Aix-la-Chapelle et Liège, qu’il s’installa ensuite à Nimègue, une ville importante de ce qui était alors le duché de Gueldre, et 21


Fig. 3 Les frères de Limbourg, vers 1411-1416 Très Riches Heures du duc de Berry Saint Jean à Patmos (fol. 17) Encre, détrempe et feuille d’or sur parchemin, 29 × 21 cm Chantilly, musée Condé, ms. 65

qu’il fut le père d’Arnold de Lymborgh, un sculpteur né à Nimègue vers 1355-1360 et dont les archives locales citent le nom entre 1389 et 1419 9. Aux alentours de 1385, Arnold épousa Mechteld ou Metta Maelwael, sœur du peintre Johan (Jean Malouel) 10. Les deux époux eurent au moins six enfants entre 1385 et 1395 : leur aîné fut presque à coup sûr Herman ; vinrent ensuite Paul (né vers 1386-1387), Johan ou Jean (vers 1388), Rutger (vers 1390), Arnold (vers 1392), et enfin leur seule fille, Greta 11 (vers 1395). Vers 1398, Herman et Jean furent envoyés par leur mère à Paris pour y effectuer leur apprentissage auprès d’un orfèvre nommé Alebret de Bolure, dont on sait qu’il fournit des objets à Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, entre 1394 et 1396. Vers cette époque, l’oncle des deux jeunes gens, Jean Malouel, qui travaillait alors à Paris au service d’Isabeau de Bavière (137122

1435), rencontra sans doute l’orfèvre, et il pourrait avoir joué un rôle important dans l’affermissement de la position de ses neveux 12. Bien que la durée normale d’un apprentissage eût été d’au moins six ans, un document daté du 2 mai 1400 nous apprend que les deux jeunes artistes furent renvoyés à Nimègue « pour cause de la mortalite estant nagaires à Paris », sans doute en novembre 1399 13. Ce document parle des frères « Hermant » et « Jacquemin Maleuel » (ou encore, toujours dans le même document, « Herman » et « Gillequin », ce dernier étant cité ailleurs sous les prénoms « Janequin », « Jannechin » et « Hennequin ») comme des neveux de Jean Malouel, peintre et « varlet de chambre » de Philippe le Hardi 14. Sur le chemin du retour, le Brabant étant en conflit avec le pays d’origine des « jonnes enfants », le « pais de Ghelre [Gueldre] », ils furent retenus à Bruxelles pendant plus de six mois – de novembre 1399 à mai 1400 – et une rançon de 55 écus fut demandée en échange de leur libération. Leur mère, qui venait de perdre son mari (leur père), se vit contrainte de régler les frais de leur séjour en prison 15. Par égard pour Jean Malouel, les peintres et orfèvres de Bruxelles acceptèrent de payer la rançon, mais Philippe le Hardi, qui appréciait les services de Malouel, avança l’argent au moyen d’un ordre de paiement émis à Conflans, près de Paris, et les deux garçons furent délivrés 16. Herman n’aurait donc pas eu plus de quinze ans, et Jean environ douze, lorsque le duc de Bourgogne acquitta leur rançon. On ignore ce que firent les Limbourg juste après qu’ils eurent été relâchés, mais certains auteurs ont suggéré qu’ils voyagèrent en Italie. Toutefois, aucune preuve n’est venue étayer cette hypothèse 17. Un document établi entre le 8 février et le 8 mai 1402 révèle que Philippe le Hardi engagea « Polequin Manuel et Jennequin Manuel, elumineurs […] pour parfaire les histoires d’une très belle et notable Bible ». Ce même document stipule qu’ils devaient réaliser le travail eux-mêmes, refuser tout autre engagement et achever l’ouvrage dans un délai de quatre ans. Chacun des frères serait payé 10 sous par jour. Jean Durant, médecin du duc à Paris, fut chargé de prendre soin des peintres et de superviser leur travail, ce pour quoi il reçut une avance de 600 francs. En juillet de la même année, le duc accorda des fonds supplémentaires à Durant pour acquérir du « fin asur » (sans doute du bleu


Fig. 6 Jan van Eyck, vers 1424 Heures de Turin-Milan La Naissance de saint Jean Baptiste (fol. 93v) Détrempe sur parchemin, 28 × 20 cm Turin, Museo Civico d’Arte Antica, ms. 47

28


Fig. 7 Maître du Saint-Esprit, vers 1405 Très Belles Heures de Notre-Dame La Résurrection des morts (p. 169) Encre et détrempe sur parchemin, 29 × 20,5 cm Paris, Bibliothèque nationale de France, N. a. Lat. 3093

29


Fig. 18 Les frères de Limbourg, vers 1412 Petites Heures du duc de Berry Le Duc partant en pèlerinage (fol. 288v) Encre et détrempe sur parchemin, 21,5 × 14,5 cm Paris, Bibliothèque nationale de France, Lat. 18014

35



Sources et influences Timothy B. Husband Artistes et artisans Les frères de Limbourg naquirent dans une famille d’artisans et d’artistes. Willem Maelwael, leur grand-père, et son frère Herman, leur grandoncle, pratiquaient aussi bien la peinture que l’artisanat et résidaient à Nimègue ; les archives municipales les mentionnent pour la première fois, en qualité de propriétaires fonciers, dans les années 1380 1. Leurs principaux mécènes furent Guillaume Ier, duc de Gueldre (1363-1402), son épouse, Catherine de Bavière-Straubing (1358-1400), et certains membres de leur cour itinérante. Un de leurs châteaux les plus importants, Het Valkhof, était situé dans l’enceinte de la ville de Nimègue. Les deux frères Maelwael apparaissent à maintes reprises, entre 1386 et 1397, dans les livres de comptes du duc, qui leur passa de nombreuses commandes et les employa surtout comme peintres héraldiques : ils fournirent ainsi à leur mécène des décorations d’armes et d’armures, des bannières et des fanions liés aux voyages du duc, à ses tournois, à ses processions, à ses entrées triomphales, à ses spectacles et autres manifestations du même genre. Les documents nous apprennent que les deux frères cousirent, brodèrent et peignirent des dizaines de bannières, de fanions d’équipage, de pennons de lances, et qu’à l’occasion d’une seule commande ils ne créèrent pas moins de cent cinquante boucliers de tournoi peints 2. À ce propos, il est intéressant de noter que le mot hollandais pour « peintre » (schilderen) dérive de celui qui signifie « bouclier » (schild) 3. Les documents attestent aussi que les frères Maelwael furent souvent engagés pour la fabrication et la dorure d’objets divers. Ainsi, en 1390, Herman réalisa pour le duc dix-sept petits sacs dorés, ornés d’un blason à ses armes, et trois autres aux armes de son épouse 4. Les artistes de l’époque étaient censés maîtriser les techniques les plus variées, et

la frontière entre les différents métiers était peu marquée. Beaucoup avaient fait leur apprentissage comme orfèvres, mais ils devaient aussi avoir des compétences de peintre, d’enlumineur et de ciseleur 5. La plupart des œuvres produites par ces artistes pour leurs mécènes avaient un caractère éphémère, si bien que peu d’entre elles sont parvenues jusqu’à nous. Herman Maelwael semble également avoir reçu des commandes du roi d’armes suprême, ou héraut de la région de la Meuse et du Rhin, un certain Claes Heynenzoon, qui portait également le titre de héraut de Gelre ou Gueldre. Lorsqu’il fut au service de Guillaume Ier, il compila le Wapenboek Gelre, ou Armorial de Gueldre (vers 1395), aujourd’hui conservé à Bruxelles, dont il écrivit lui-même plusieurs des poèmes et des panégyriques qui le composent 6. Trois dessins contenus dans ce manuscrit – un portrait de Claes Heynenzoon, une représentation du saint empereur romain et de ses électeurs, un blason – sont d’une qualité si remarquable que plusieurs spécialistes ont soutenu qu’ils avaient dû être exécutés par un membre de la famille Maelwael. Des documents indiquant que Herman a travaillé pour le héraut de Gueldre en 1388-1390, on s’accorde en général à lui attribuer ces dessins 7. Willem Maelwael eut une fille, Mechteld ou Metta, et un fils, Johan. Vers 1385, Metta épousa Arnold de Lymborgh. Ce dernier semble être né et avoir grandi à Nimègue : son nom apparaît à plusieurs reprises, entre 1389 et 1419, dans les archives locales, où il est mentionné comme sculpteur (« beeltsnijder 8 »). À n’en pas douter, c’est grâce à son beau-père qu’il obtint des commandes du duc de Gueldre, en l’occurrence des sculptures sur bois (« gesnedene werke ») pour Het Valkhof 9. Le fils de Willem et frère de Metta, Johan – Jean Malouel 10 –, devint le peintre le 39


Fig. 19 Bible moralisée de Jean le Bon (fol. 12), 1349-1352 Grisaille et lavis de couleur sur parchemin, 41,5 × 29 cm Paris, Bibliothèque nationale de France, Fr. 167

40


Fig. 20 Paul et Jean de Limbourg, 1402-1404 Bible moralisée (fol. 12) Encre et détrempe sur parchemin, 41,5 × 29 cm Paris, Bibliothèque nationale de France, Fr. 166

41


Fig. 25 Maître du Parement de Narbonne (Jean d’Orléans) et atelier, vers 1390 Très Belles Heures de Notre-Dame L’Arrestation du Christ (p. 181, détail) Encre et détrempe sur parchemin, 27,9 × 19,9 cm Paris, Bibliothèque nationale de France, N. a. Lat. 3093

Fig. 26 Le Baiser de Judas, fol. 123v (détail)

Fig. 27 Maître du Parement de Narbonne (Jean d’Orléans) et atelier, vers 1390 Très Belles Heures de Notre-Dame La Flagellation (p. 197, détail) Encre et détrempe sur parchemin, 27,9 × 19,9 cm Paris, Bibliothèque nationale de France, N. a. Lat. 3093

Fig. 28 La Flagellation, fol. 132 (détail)

45


Fig. 36 Jean Malouel La Grande Pietà ronde, vers 1400 Détrempe sur bois, D. 64,5 cm Paris, musée du Louvre, MI 692

49


Fig. 49 Les frères de Limbourg, vers 1411-1416 Très Riches Heures du duc de Berry La Mort du Christ (fol. 153) Détrempe et feuille d’or sur parchemin, 29 × 21 cm Chantilly, musée Condé, ms. 65

57


64


Fig. 65 Simone Martini Polyptyque Orsini, deuxième quart du xiv e siècle La Mise au Tombeau (détail) Bois, 22 × 15 cm Berlin, Staatliche Museen, Gemäldegalerie, inv. 1070A

67


Fig. 66 Suiveur de Simone Martini, dit le Maître des Anges rebelles La Chute des anges rebelles, vers 1340-1345 Bois marouflé sur toile, 58 × 26 cm Paris, musée du Louvre, DL 1967-1-a

68


Fig. 67 Les frères de Limbourg, vers 1411-1416 Très Riches Heures du duc de Berry La Chute des anges rebelles avec Dieu et l’armée céleste (fol. 64v) Détrempe et feuille d’or sur parchemin, 29 × 21 cm Chantilly, musée Condé, ms. 65

69


cahiers

folios

structure

textes et enluminures

notes

ex-libris I

A-1

2 folios = page de garde + 1

Ex-libris de Jean Flamel

pages de calendrier II

2-13

12 folios

Fol. 2

Janvier : Jeunesse et Vieillesse, dos à dos ; Signe du Verseau ; deux fois les armes du duc

Fol. 3

Février : Un homme se chauffant les mains ; Signe des Poissons

Fol. 4

Mars : La Culture des vignes ; Signe du Bélier

Fol. 5

Avril : Un homme de cour humant une fleur ; Signe du Taureau

Fol. 6

Mai : La Chasse au faucon ; Signe des Gémeaux

Fol. 7

Juin : Le Fauchage du foin ; Signe du Cancer

Fol. 8

Juillet : La Moisson ; Signe du Lion

Fol. 9

Août : Le Battage du blé ; Signe de la Vierge

Fol. 10

Septembre : Le Foulage du raisin ; Signe de la Balance

Fol. 11

Octobre : Les Semailles ; Signe du Scorpion

Fol. 12

Novembre : La Nourriture des cochons ; Signe du Sagittaire

Fol. 13

Décembre : L’ Abattage d’un sanglier ; Signe du Capricorne ; deux fois les armes du duc

histoire de sainte catherine III

14-20

6 folios + 1. Le folio 14, vierge des deux côtés, est fixé par une charnière au folio 20.

Fol. 17v

Le folio 14, une page de protection blanche, Sainte Catherine refusant d’adorer l’idole porte des traces de maculage provenant du folio 13v ; Sainte Catherine confondant les docteurs le folio 20v, ligné, contient un encadrement et une marge, Sainte Catherine jetée en prison mais il ne présente ni texte ni enluminure : il s’agit du seul Sainte Catherine attachée à une colonne folio incomplet de ce genre dans tout le manuscrit. Sainte Catherine soignée par les anges

Fol. 18

La Décapitation de l’impératrice Faustine

Fol. 18v

Les Anges détruisant les roues du martyre

Fol. 19

La Décapitation de Porphyre

Fol. 19v

La Décapitation de sainte Catherine

Fol. 20

Les Anges transportant le corps de sainte Catherine sur le mont Sinaï

Fol. 15 Fol. 15v Fol. 16 Fol. 16v Fol. 17

Sainte Catherine dans son studio

80


cahiers

folios

structure

textes et enluminures

notes

lectures des évangiles et prières à la vierge IV

21-29

7 folios + 2. Fol. 21 Le bifolio 21-29 est vierge ; le folio 28 Fol. 21v est une feuille volante attachée au manuscrit. Fol. 22

Fol. 23 Fol. 24 Fol. 24v Fol. 26v

Fol. 29

Folio vierge portant les traces des signes distinctifs de deux pèlerins (?)

La moitié manquante du folio 28 devait comporter, au verso, l’essentiel du texte, Folio vierge portant une faible trace aujourd’hui manquant, tiré de l’enluminure manquante représentant de l’Évangile selon saint Jean, saint Jean l’Évangéliste et, au recto, les quatre premières lignes du texte, Cinq dernières lignes du texte de saint ainsi qu’une enluminure Jean ; enluminure sur un quart de page : en pleine page représentant Saint Matthieu ; début du texte de saint Luc l’évangéliste. Une légère trace de l’enluminure figure sur Enluminure sur un quart de colonne : Saint le folio 21v, et une trace Luc et début du texte de saint Matthieu du folio 30 est visible sur le folio 29v, et non pas 28v. Enluminure sur un quart de colonne : Saint Par conséquent, le bifolio 21Marc et début du texte de son Évangile 29 a dû être ajouté à une date précoce. Les représentations Début des prières à la Vierge ; Obsecro te de saint Matthieu et de saint Luc n’apparaissent pas dans Enluminure sur un quart de colonne : le bon ordre, de sorte qu’elles Aracoeli ; autre enluminure sur un quart ne correspondent pas à leurs de colonne : L’ Empereur Auguste textes respectifs. et la sibylle de Tibur ; O intemerata Folio vierge portant des traces de L’ Annonciation

heures de la vierge, sept psaumes pénitentiaux et institution de la grande litanie V

30-37

8 folios

Fol. 30

L’ Annonciation ; deux fois les armes du Se termine au fol. 37v par duc (France ancien) et marge ornementée les mots : « tuo sancto eius ». (matines)

VI

38-45

8 folios

Fol. 41

Enluminure sur un quart de colonne : Saint Ambroise et saint Augustin ; Te Deum

Fol. 42v

La Visitation (laudes)

Fol. 48v

La Nativité (prime)

Fol. 52

L’ Annonce aux bergers (tierce)

Fol. 54v

L’ Adoration des Mages (sixte)

Fol. 57

La Présentation au Temple (nones)

Fol. 59v

Le Massacre des Innocents (vêpres)

Fol. 63

La Fuite en Égypte (complies)

Fol. 66

Sept Psaumes pénitentiaux Enluminure sur un quart de colonne : Un ange détruisant les ennemis de David

Fol. 66v

Enluminure sur un quart de colonne : David faisant une offrande à Dieu

Fol. 67v

Enluminure sur un quart de colonne : David percé de flèches

Fol. 68v

Enluminure sur un quart de colonne : David réprimandé par le prophète Nathan

VII

VIII

IX

46-53

54-61

62-69

8 folios

8 folios

8 folios

81

Se termine au fol. 45v par les mots : « quia exultatum ».

Se termine au fol. 53v par les mots : « et spiritui sancto » . Se termine au fol. 61v par les mots : « virgo singularis ».

Se termine au fol. 69v par les mots : « domine exaudi ».


cahiers

folios

X

70-79

structure

10 folios

textes et enluminures

Fol. 70

Enluminure sur un quart de colonne : David suppliant Dieu

Fol. 71v

Enluminure sur un quart de colonne : David suppliant Dieu

Fol. 72

Enluminure sur un quart de colonne : David fuyant Absalon

Fol. 73

L’ Institution de la grande litanie

Fol. 73v

La Procession de la grande litanie

Fol. 74

La Fin de la peste

Fol. 74v

La Procession des flagellants

notes

Fol. 75-77 Litanie

heures de la croix et heures du saint-esprit, quinze joies de la vierge et sept prières invoquant l ’ incarnation et la passion XI

80-87

8 folios

Fol. 80 Fol. 84

XII

88-93

6 folios

La Descente de Croix (Heures de la Croix) Des examens aux rayons ultraviolets ont permis La Pentecôte (Heures du Saint-Esprit) de rendre visible un mot qui ne l’est plus à l’œil nu. Plummer 1974b le lit ainsi : « placebo » (fol. 87v), ce qui indiquerait que les Heures de la Croix et les Heures du Saint-Esprit devaient à l’origine être suivies de l’Office des morts.

Fol. 88

Enluminure sur un quart de colonne : L’ Assomption ; enluminure sur un quart de colonne : Un roi et sa suite en prière (prières pour les Quinze Joies de la Vierge)

Fol. 91

Enluminure sur une colonne : Le Duc de Berry en prière

Fol. 91v

Enluminure sur un quart de colonne : La Trinité ; enluminure sur un quart de colonne : La Duchesse de Berry en prière (Sept Prières invoquant l’Incarnation et la Passion)

Fol. 93

Enluminure sur une colonne : L’ Adoration de la Croix

Le folio 93v est ligné, mais par ailleurs vierge.

raymond diocrès, saint bruno et la fondation de l ’ ordre des chartreux XIII

94-98

4 folios + 1. Le folio 98 est une insertion.

Fol. 94v

Raymond Diocrès expliquant les Écritures Le folio 98 est vierge des deux côtés. Raymond Diocrès criant dans son cercueil

Fol. 95

Les Funérailles de Raymond Diocrès

Fol. 95v

Saint Bruno quittant Paris

Fol. 96

La Vision de l’évêque Hugues

Fol. 94

82


cahiers

folios

structure

textes et enluminures

Fol. 96v

L’ Évêque Hugues recevant Bruno et ses compagnons

Fol. 97

L’ Entrée dans la Grande Chartreuse

Fol. 97v

La Grande Chartreuse

notes

office des morts XIV

99-106

8 folios

XV

107-114

8 folios

Se termine au fol. 114v par les mots : « A peccato meo ».

XVI

115-122

8 folios

Les folios 121v et 122 sont lignés, mais par ailleurs vierges, à l’exception du folio 122v, qui se termine par des mots tracés en minuscules par une main différente de celle qui a copié les textes précédents dans une écriture bâtarde ; Domine labia.

Fol. 99

Un cimetière

Se termine au fol. 106v par le mot : « Confundatur ».

heures de la passion XVII

123-130

8 folios

Fol. 123

Le Christ au jardin des Oliviers (matines)

Fol. 123v Le Baiser de Judas (matines) Fol. 124 XVIII

131-138

8 folios

Se termine au fol. 130v par les mots : « dominum confitemur ».

Le Christ devant Caïphe (matines)

Fol. 131v La Dérision du Christ (laudes) Fol. 132

La Flagellation (laudes)

Fol. 135v Le Christ devant Pilate (prime) Fol. 136

Ponce Pilate proposant de relâcher le Christ (prime)

Fol. 138

Ponce Pilate se lavant les mains (tierce)

Fol. 138v Le Portement de Croix (tierce) XIX

139-146

8 folios

Fol. 141v Le Christ cloué sur la Croix (sixte) Fol. 142

L’ Éponge de vinaigre présentée au Christ (sixte)

Fol. 145

Le Coup de lance (nones)

Se termine au fol. 146v par les mots : « Non me de ».

Fol. 145v La Mort du Christ (nones) XX

147-154

8 folios

Se termine par les mots, visibles aux rayons ultraviolets Fol. 149v La Déploration (vêpres) et tracés de la même écriture gothique minuscule que le Fol. 152 La Mise au Tombeau (complies) folio 87v : « Domine labia ». Cela indique que les Heures de Fol. 152v Les Soldats devant le Tombeau (complies) la Passion devaient à l’origine être suivies du cahier XI des Heures de la Croix et du SaintEsprit, ou d’autres heures aujourd’hui perdues. Fol. 149

La Déposition (vêpres)

83





ex-libris Le manuscrit s’ouvre sur une inscription en pleine page, tracée par le secrétaire du duc de Berry, Jean Flamel. Suivant la coutume adoptée par les autres membres de la famille royale, le duc avait l’habitude d’écrire lui-même ses ex-libris, en général à la fin du texte. Pour quelques manuscrits d’une importance exceptionnelle, dont celui des Belles Heures, il s’en remit à la remarquable calligraphie de Flamel. Les capitales sont ornées de jeux de plume très élaborés portant le nom de « cadeaux ».

fol. 1 Les Heures Fist faire Tres/Excellent et Puissant Prince Jehan/Filz de Roy de France Duc de Berry/Et Dauvergne Conte de Poitou destampes/De Boulongne et dauvergne/Flamel Les capitales, d’une hauteur extrême, déploient des empattements se terminant souvent par des fioritures anguleuses ; les minuscules se prolongent parfois par de longues lignes en forme de plantes grimpantes, peut-être pour évoquer les rinceaux de vignette qui ornent les marges du manuscrit. Le message du texte se révèle seulement à mesure que le regard perce à travers cette extravagante calligraphie.

fol. 1

Les enluminures et folios des Belles Heures reproduits ci-après le sont à l’échelle 1/1. Pour chaque folio reproduit, exception faite des Suffrages, partie ou totalité du texte latin est transcrite et traduite ; le français a été uniquement transcrit (les traductions sont en italique). Pour les Suffrages, seuls les textes qui accompagnent les enluminures en pleine page sont transcrits et traduits. Chaque enluminure est commentée, à la suite de la traduction. Le foliotage est restitué en bleu. Les dimensions des œuvres reproduites dans ce catalogue sont exprimées en centimètres. 91


pages de calendrier Au Moyen Âge, on n’indiquait pas tant les jours du mois par leur place dans des séquences numériques, comme nous le faisons de nos jours, que par le nom de la fête ou du saint célébrés à cette date. Nos références à la SaintValentin, à Pâques, à la Toussaint et à Noël, respectivement le 14 février (jour du martyre de saint Valentin), une date variable (la Résurrection du Christ), le 1er novembre (jour de tous les saints) et le 25 décembre (jour de la naissance du Christ), sont autant d’héritages de cette pratique médiévale chrétienne. Presque tous les livres d’heures commencent par un calendrier établissant la liste des fêtes et des jours sacrés, pour la plupart des anniversaires de saints, jour après jour et mois après mois, tout au long de l’année. Comme il existait beaucoup plus de saints que de jours disponibles, on accordait la préférence à ceux qui faisaient l’objet d’un culte local ou régional. De même, la longueur des jours solaires et des jours lunaires variait selon la latitude. Voilà pourquoi le contenu du calendrier ainsi que les textes des livres d’heures, qui changeaient considérablement d’un lieu à un autre, étaient conçus pour l’usage liturgique d’une région ou d’un diocèse précis, comme « l’usage de Rome » ou « l’usage de Paris ». Le calendrier des manuscrits de luxe pouvait par ailleurs être personnalisé en fonction des goûts spécifiques et des centres d’intérêt du commanditaire. Dans le cas des Belles Heures, on spécifia quelles étaient les fêtes des nombreux saints ayant la faveur de Jean de Berry, tandis que les pages du calendrier furent ornées de marges très élaborées et de médaillons illustrant les activités ou les travaux et les signes du zodiaque correspondant à un mois donné. Dans les Belles Heures, chaque mois commence sur un recto (page de droite) et se termine sur un verso (page de gauche), qui comprennent chacun dix-sept lignes ; seuls les rectos sont enluminés. De façon conventionnelle, le calendrier est structuré sur quatre colonnes. Au sommet, la première ligne commence par un KL (pour Kalendes, le premier jour du mois), suivi du nom du mois et du nombre de jours solaires, en lettres dorées, tandis que la deuxième ligne porte le nombre de jours lunaires, à l’encre bleue. Au-dessous, la première colonne contient une série de chiffres romains, de I à XIX, alternativement tracés à l’encre rouge et à l’encre bleue, dans un ordre non consécutif mais fixe. Il s’agit des nombres d’or. À chaque année correspond un nombre d’or différent, déterminable à partir d’une formule mathématique. Une fois connu, le nombre d’or sert à fixer la date de la nouvelle lune et, par addition de quatorze, celle de la pleine lune. La deuxième colonne comprend les lettres dominicales, de a à g, à l’encre noire, qui se suivent consécutivement tout le long du mois, mais sans nécessairement commencer par le a. Une autre formule permet de définir la lettre dominicale de chaque année, et ainsi de connaître tous les dimanches de cette même année. Le nombre d’or et la lettre dominicale servent ensemble à fixer la date de Pâques, fête principale de l’année chrétienne, qui tombe le premier dimanche après la première pleine lune postérieure à l’équinoxe d’hiver, et toujours entre le 22 mars et le 25 avril, inclusivement 1. 92


La troisième colonne contient le système calendaire romain : chaque mois comprenait trois dates fixes, les calendes, les nones (cinquième ou septième jour du mois) et les ides (au milieu du mois, le treizième ou le quinzième jour), indiquées ici par des abréviations (kl’, id’ ou idus, et Nös), alternativement à l’encre bleue et à l’encre rouge. Les dates de tous les autres jours étaient calculées en comptant à rebours à partir de ces points fixes. Ce système complexe, dit calendrier julien, avait au xve siècle plus d’une semaine de décalage par rapport au calendrier lunaire, mais l’Europe n’adopta la réforme grégorienne du calendrier qu’en 1583. Dans les Belles Heures, la répétition entre les trois points fixes, parfois dénuée de sens, de N’ et id’ trahit le déclin progressif du recours au système romain archaïque. La quatrième et dernière colonne comprend la séquence des fêtes, alternativement indiquées à l’encre rouge et à l’encre bleue, tandis que les jours saints sont tracés à l’or bruni. La ou les lignes finales du verso donnent la longueur moyenne des jours et des nuits pour le mois en question.

fol. 2

Pages suivantes : fol. 13v (à gauche) et 2 (à droite)

Mois de janvier Jeunesse et Vieillesse – Signe du Verseau Chaque recto des pages du calendrier comprend, dans des quadrilobes, les activités (en haut de la page) et les signes du zodiaque (en bas de la page) correspondant à chaque mois. Sur la page du mois de janvier, un jeune homme et un vieillard sont assis dos à dos, selon une disposition évoquant Janus ; le jeune homme boit à une coupe pleine, tandis que le vieillard s’efforce en vain d’atteindre une grande carafe pour remplir sa coupe vide, car l’eau, comme le temps, s’est écoulée 2. La symétrie de la composition est soulignée par les couleurs des vêtements : le jeune homme porte une tunique bleue et un chapeau mauve, tandis que le vieillard est doté, à l’inverse, d’une tunique mauve et d’un chapeau bleu. Les positions des genoux et des plis des drapés sont presque symétriques. En bas de la page, le Sagittaire, un homme vigoureux vêtu d’un simple pagne, verse l’eau d’une grande cruche posée sur son épaule et soutenue par son bras droit, lui-même arc-bouté sur sa hanche. La forme soigneusement modelée de son corps offre un contraste saisissant avec les lourds drapés des personnifications de la Jeunesse et de la Vieillesse, sur le quadrilobe supérieur. Le flux apparemment sans fin de l’eau qui vient frapper le sol argenté et provoquer un éclaboussement de délicates gouttes dans le quadrilobe inférieur fait écho à la présence ou à l’absence de cet élément dans les coupes des personnages du quadrilobe du haut de la page. Les pages consacrées aux mois de janvier et de décembre ont des marges particulièrement élaborées. Ici, les rinceaux de vignette dorés sont rehaussés par les feuilles bleues et les feuilles rouges, tandis que les méandres des vrilles sont aléatoirement interrompus par des taches de fleurs rouges ou bleues. Les quadrilobes situés des deux côtés du centre de la page, légèrement plus petits, montrent l’écu aux armes du duc, soutenu par un cygne, un de ses emblèmes personnels. Faisant allusion à l’élément du mois, les cygnes se dressent sur une pièce d’eau. 93




histoire de sainte catherine Le texte de l’histoire de Catherine, comme celui de la plupart des cycles picturaux, s’inspire largement, mais sous une forme très abrégée, de La Légende dorée, une compilation du xiiie siècle rassemblant les vies légendaires des saints, due au moine italien et archevêque de Gênes Jacques de Voragine. De sang royal – « née dans la pourpre 3 », dit le texte –, réputée pour sa beauté, son intelligence et sa culture, sainte Catherine faisait l’objet d’une vénération particulière de la part des princes de la maison de Valois. Le duc lui-même possédait plusieurs de ses reliques. Elle était aussi l’une des saintes patronnes de Jeanne de Boulogne, la seconde épouse du duc, et de l’université de Paris. Sa grande érudition semble avoir suscité l’intérêt de Jean de Berry ; dans le contexte de cet ouvrage, son cycle, que suivront ceux de Raymond Diocrès et de saint Jérôme, tourne tout entier autour des arguments irréfutables dont elle étaya sa foi et du prix qu’elle dut payer pour la ferveur de ses croyances. À une époque aussi encline au mysticisme, il est surprenant que deux des événements les plus importants de sa vie – sa vision de la Vierge et son mariage mystique avec le Christ – soient ici omis. La faveur dont elle jouissait auprès du duc est soulignée par sa position au sein du manuscrit, qui précède même celle de la Vierge ; dans La Cour céleste de la fin de l’ouvrage (fol. 218), elle est la plus en vue des saints adorant la Vierge et l’Enfant. 118

fol. 15




fol. 15 Katherina Costi regis filia omniumque liberalium artium studiis erudita et incredibili pulcritudine omnium oculis admirabilis in Alexandria civitate Egypti tempore Naxencii imperatoris claruit. Fille du roi Costus, Catherine, très versée dans tous les arts libéraux et admirable aux yeux de tous pour son incroyable beauté, devint célèbre dans la ville égyptienne d’Alexandrie à l’époque de l’empereur Maxence. Sainte Catherine dans son studio Le cycle s’ouvre sur une scène, dont on ne connaît pas de précédent, nous montrant, à travers une double arcade, Catherine occupée à lire dans son studio, ce qui souligne d’emblée le thème de son érudition. Les motifs linéaires du sol carrelé conduisent l’œil vers la profondeur de la chapelle adjacente. La grande fenêtre ajourée et l’autel suggèrent qu’il s’agit d’un bâtiment ecclésiastique, mais la statue de Moïse tenant les Tables de la Loi, qui remplace sur l’autel les objets liturgiques habituels, pourrait laisser penser que ce n’est pas le cas. À gauche, sainte Catherine se concentre, avec un calme imposant, sur un livre, ouvert sur un lutrin, dont le texte n’est pas visible ; à droite, venant contrebalancer la figure de la sainte, un grand guéridon à deux plateaux supporte de nombreux volumes. L’image semble ainsi vouloir établir une équivalence entre la sainte et la connaissance, et le caractère ecclésiastique de l’architecture pourrait tout simplement symboliser sa foi. Une autre statue de Moïse, la tête ici ornée de cornes, occupe le sommet du guéridon. En sa qualité de récipiendaire des Dix Commandements – sur le mont Sinaï, où la dépouille de Catherine fut transportée –, il symbolise la Parole écrite. À une époque troublée, on l’estimait aussi pour ses qualités exceptionnelles de meneur d’hommes, et il servait de modèle aux souverains. Le rouge écarlate des voûtes en éventail apporte la seule note de vivacité à cet intérieur par ailleurs monochrome, mais empli de dignité. Le long cou élégant de Catherine, ses épaules tombantes et son regard contemplatif dirigé vers le bas, de même que les tonalités froides de sa robe blanche et de son manteau bleu, contribuent à la sérénité concentrée de la scène. Une bête grotesque, au cou allongé et aux ailes pointues, anime la bordure de toutes les enluminures du cycle, à l’exception de la dernière. Tandis qu’une décoration très élaborée caractérise les marges du folio d’ouverture, un motif simplifié de vrilles et de rinceaux de vignette dorés orne celles des autres pages de la série.

fol. 15v Katherina virgo annorum xviii preceptoque Maxencius imperator christianos ad ydolorum sacrificet metu mortis cogeret. Munita signo crucis ante portam mirabilis sciencie profunditate ac eloquencie confundit. La vierge Catherine était âgée de dix-huit ans lorsqu’elle apprit que l’empereur Maxence contraignait les chrétiens, sous peine de mort, à sacrifier aux idoles. Munie du signe de la croix, elle confondit l’empereur, devant la porte du temple, par la profondeur de sa science admirable et par son éloquence.

fol. 15v

Sainte Catherine refusant d’adorer l’idole Les neuf enluminures illustrant la suite du cycle se distinguent par la sobriété de leurs décors, la monumentalité de leurs figures, la cohérence de leurs compositions et leur intensité dramatique. Ici, la double arcade de l’enluminure précédente, avec sa colonnette centrale, est fonctionnellement rappelée par la colonne supportant l’idole dorée, qui divise efficacement la composition en deux et sépare 121


l’idolâtrie de la vraie foi. L’horizon est relativement haut ; le paysage se réduit à un plan peint dans un camaïeu de verts, et, comme dans la plupart des enluminures de ce cycle, le ciel est remplacé par un motif mosaïqué, ce qui permet de se concentrer davantage sur le drame. Catherine tient un texte sacré à la main et se détourne de l’idole ; l’empereur romain Maxence agrippe fermement son épée, mais le regard qu’il jette en arrière vers son conseiller trahit son incertitude. Les attitudes, les gestes et les expressions suffisent ici à raconter toute une histoire.

fol. 16 Katherina virgo l inter philosophos et retores de remotis ab imperatore vocatos argumentorum vi confundit et ab ydolorum erroribus revocans ad Christum convertit quos imperator igne succendens martirio coronavit. Par la force de ses arguments, la vierge Catherine confondit cinquante philosophes et rhéteurs que l’empereur avait fait venir des provinces les plus éloignées ; les détournant des erreurs de l’idolâtrie, elle les convertit à la foi chrétienne ; l’empereur les condamna alors au bûcher, leur offrant ainsi la couronne du martyre. Sainte Catherine confondant les docteurs Prenant conscience qu’il ne pouvait rivaliser avec la sagesse de Catherine, Maxence convoqua « tous les grammairiens et rhéteurs : ils obtiendraient d’immenses récompenses s’ils triomphaient par leurs raisonnements de la vierge argumentatrice ». Mais « ne trouvant quoi répondre, ils devinrent totalement muets ». La figure monumentale de Catherine, vue en raccourci et en contreplongée, séparée du groupe des païens par les limites du trône, affirme picturalement l’autorité de la sainte. Cette impression est soulignée par le fait que, de manière tout à fait exceptionnelle, c’est elle qui est assise sur le trône, alors que l’empereur reste debout. Les sages assis devant elle lui lancent des regards muets d’admiration. Lorsque, rendu fou de rage par leur conversion, Maxence les fit brûler vifs, « ils rendirent leur âme au Seigneur, sans que leurs cheveux ni leurs vêtements fussent aucunement atteints par le feu ». Un vieillard stupéfait, qui, de la main, protège son visage de la fumée, tisonne le feu en signe d’incrédulité, afin de vérifier si ce que voient ses yeux correspond bien à la réalité. Les phylactères qui se dressent vers Dieu (qui plane dans les cieux), et que les flammes touchent, mais apparemment sans les consumer, symbolisent-ils le Verbe authentique, qui, comme la foi elle-même, ne peut être détruit ?

fol. 16

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heures de la vierge, sept psaumes pénitentiaux et institution de la grande litanie Heures de la Vierge (fol. 30-65v) Les Heures de la Vierge, ou plus exactement le Petit Office de la bienheureuse Vierge Marie, sont le texte fondamental d’un livre d’heures. Elles se subdivisent en huit sections, ou heures : matines, laudes, prime, tierce, sixte, none, vêpres et complies, chacune comprenant un ensemble d’oraisons, ou prières, de psaumes, de leçons, de credo, ou capitula, d’hymnes, de Te Deum, de cantiques et de séquences ou brèves interjections, le plus souvent composées de quelques mots seulement, de locutions ou de phrases correspondant à des versets, des cantiques, des répons, des antiennes, des bénédictions et des absolutions 8. Le texte des matines est de loin le plus long. Chaque heure commence par une série de versets et de répons, qui répètent, avec de très légères variations : « Domine, labia mea aperies » (« Seigneur, ouvre mes lèvres »), « Et os meum annunciabit laudem tuam » (« Et ma bouche proclamera ta louange »), « Deus, in adjutorium meum intende » (« Mon Dieu, viens à mon aide »), « Dominus, ad adjuvandum me festina » (« Seigneur, hâte-toi de me venir en aide »). Le psaume d’ouverture (95 9) déclare la grandeur de Dieu, tandis que le premier hymne glorifie la pureté de la Vierge et le caractère divin de l’Incarnation, donnant ainsi le ton à l’ensemble de l’office. Vient ensuite, seulement pour les matines, un nocturne, appelé ainsi parce que les moines le récitaient à l’origine durant les heures précédant l’aube. Mais, dans la mesure où une série différente de psaumes est lue chaque jour de la semaine, on dispose de trois séries de nocturnes : les psaumes 8, 19 et 24 doivent être lus le dimanche, le lundi et le jeudi ; les psaumes 45, 46 et 87, le mardi et le vendredi ; les psaumes 96, 97 et 98, le mercredi et le samedi 10. Chaque série s’ouvre et s’achève sur des antiennes et des leçons louant et glorifiant la Vierge. Pour donner une idée du contenu et du ton de l’office de la Vierge, les matines sont expliquées ci-dessous dans leurs grandes lignes par des extraits du texte. Traditionnellement, chaque heure était introduite par une image représentant un des principaux événements de la vie de la Vierge liés à l’enfance du Christ, à commencer par l’Annonciation, qui inaugure les matines. Les enluminures des Belles Heures suivent la séquence habituelle des matines aux nones (l’Annonciation, la Visitation, la Nativité, l’Annonce aux bergers, l’Adoration des Mages, et la Présentation au Temple) mais s’en écartent au moment des vêpres (le Massacre des Innocents – peu souvent représenté en raison de la violence du sujet – remplace ici la Fuite en Égypte) et de complies (la Fuite en Égypte est ici choisie à la place du Couronnement de la Vierge, auquel se substituent parfois aussi la Dormition de la Vierge ou l’Assomption). 145


fol. 30 Domine labia mea aperies et os meum annun//ciabit laudem tuam Deus in adjutorium meum intende. Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche//fera retentir ta louange. Mon Dieu, viens-moi en aide. L’Annonciation (matines) Le décor intérieur de la scène est encadré pour le spectateur par une double arcade, dont la colonne centrale divise la composition en deux, selon une formule que les frères de Limbourg réutilisèrent à sept reprises dans le manuscrit. L’espace intérieur est en outre défini par l’arcade aveugle de l’arrière-plan et le plafond à voûte en berceau qui couvre l’espace intermédiaire. Bien que physiquement proches, les deux figures sont nettement séparées par la colonne, qui les isole l’une de l’autre. Gabriel ne regarde pas la Vierge, mais concentre plutôt son attention sur la descente du Saint-Esprit, tandis que Marie baisse modestement les yeux, comme si elle n’était pas encore pleinement consciente de sa présence. L’accent n’est donc pas mis sur l’apparition de Gabriel et sur son salut, mais sur le moment de l’Incarnation. En conséquence, les personnages restent quelque peu compartimentés et repliés sur eux-mêmes. La composition se caractérise par la monumentalité de son statisme, avec ses figures immobiles, distantes et introspectives : autant d’éléments qu’on ne retrouve que dans les toutes premières enluminures. Dieu le Père, entouré d’anges, est représenté à un balcon soutenu par un atlante. La luxuriante bordure de la page, formée de feuilles d’acanthe entourant des prophètes et des anges musiciens, est animée par des putti batifolant, des cygnes et des ours. Les armes du duc (France ancien) figurent à deux reprises. La somptuosité et la vitalité de cette bordure animée lui confèrent, par contraste, quelque chose de presque incongru.

fol. 30v Venite exultemus, Domino jubilemus Deo salutari nostro preocupemus faciem ejus in confessione et in psalmis jubilemus ei. Ave Maria. Quoniam Deus magnus Dominus et rex magnus super//omnes deos quam non repellet Dominus plebem suam quia in manu ejus sunt omnes fines terre et altitudines moncium ipse conspicit. Dominus tecum. Quoniam ipsius est mare et ipse fecit illud et aridam fundaverunt manus ejus, venite adoremus et procidamus ante Deum, ploremus coram Domino qui fecit nos quia ipse est Dominus Deus noster, nos autem populus ejus et oves pascue ejus […]. [Psaume 95.] Venez, exultons, acclamons notre Seigneur Dieu, qui est notre salut, approchons-nous de sa face en rendant grâce, au son des psaumes acclamons-le. Je te salue Marie. Car c’est un grand Dieu que le Seigneur, un roi grand par-dessus//tous les dieux, et il ne s’est pas détourné de son troupeau, car il tient entre ses mains toutes les limites de la terre, et les hauteurs des montagnes lui appartiennent. Le Seigneur est avec toi. Car la mer est à lui, il l’a faite lui-même, et ses mains ont façonné [la terre] aride ; venez, adorons Dieu et prosternons-nous devant lui, pleurons devant le Seigneur qui nous fit, car il est notre Seigneur et notre Dieu, et nous sommes son peuple, et les brebis de son pâturage […].

fol. 30

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fol. 31 Ymnus. O quam glorifica luce coruscas, stirpis Davitice, regia proles, sublimis residens, Virgo Maria, supra celigenas etheris omnes. Tu cum virgineo mater honore, angelorum Domino pectoris aulam sacris visceribus casta parasti, natus hinc Deus est corpore Christus, [fol. 31v] quem cunctus venerans orbis adorat, cui nunc rite genuflectitur omne, a quo nos petimus te veniente, abjectis tenebris, gaudia lucis. Hymne. Oh ! de quelle glorieuse lumière tu brilles, descendante de David, progéniture royale, Vierge Marie, qui résides au-dessus de tous les habitants du plus haut des cieux. Toi la chaste mère qui, dans un geste d’honneur virginal, a transformé en cour du Seigneur des anges les viscères de ton ventre sacré, dont naquit Dieu dans le corps du Christ, [fol. 31v] que la terre entière adore et révère, devant lequel voici que tous les genoux, comme il se doit, se plient, à qui, par ton intercession, nous demandons, nous qui sommes plongés dans les ténèbres, les joies de la lumière 11.

fol. 31v In primo nocturno. Antiphona Exaltata es. Psalmus Domine, Dominus noster, quam admirabile est nomen tuum in universa ter//ra. Quoniam elevata est magnificencia tua super celos. Ex ore infancium et lactancium perfecisti laudem propter inimicos tuos ut destruas inimicum et ultorem. Quoniam videbo celos tuos opera digitorum tuorum, lunam et stellas que tu fundasti. Quid est homo quid memores ejus aut Filius hominis quoniam visitas eum. Minuisti eum paulo minus ab angelis [fol. 32]. gloria et honore coronasti eum et constituisti eum super opera manuum tuarum. Omnia subjecisti sub pedibus ejus oves et boves universas insuper et peccora campi, volucres celi et pisces maris qui perambulant semittas maris. Domine, Dominus noster quam admirabile est nomen tuum in universa terra. Premier nocturne. Antienne Loué sois-tu. Seigneur, Notre-Seigneur, comme ton nom est admirable sur toute la terre !//Car ta magnificence s’élève audessus des cieux. De la bouche des enfants et des nouveau-nés, tu as tiré la louange, à cause de tes ennemis, pour détruire l’ennemi et le vengeur. Car je verrai tes cieux, œuvre de tes doigts, et la lune et les étoiles que tu fixas. Qu’est donc l’homme, pour que tu te souviennes de lui ? ou le Fils de l’homme, pour que tu le visites ? Tu l’as fait à peine plus petit que les anges, [fol. 32] tu l’as couronné de gloire et d’honneur et tu l’as placé au-dessus des œuvres de tes mains. Tu lui as assujetti, tu as mis sous ses pieds toute chose, toutes les brebis et tous les bœufs, tous les troupeaux des champs, les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, qui sillonnent les sentiers marins. Seigneur, Notre-Seigneur, comme ton nom est admirable sur toute la terre !

fol. 33v Surge. Lectio prima. Beatissima Virgo Maria misericorditer actura pro nobis surge et amplectere misericordiam redemptoris, da preces pro no//bis quos cernis offensos ante oculos conditoris. Tu autem Domine, miserere nostri. Lève-toi. Première leçon. Lève-toi, bienheureuse Vierge Marie, intercède miséricordieusement pour nous et accueille en ton cœur la miséricorde du rédempteur, prie pour nous,//que tu distingues devant les yeux offensés du Créateur. Mais toi, Seigneur, aie pitié de nous 12 .

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fol. 39v Lectio vii O beata Maria quis tibi digne valeat jura graciarum et laudum preconia impendere, que singulari tuo assensu mundo succurristi perdito. Quas tibi laudes fragilitas humani generis persolvet. Que solo tuo commercio recuperandi aditum invenit. Accipe itaque quascumque exules et quascumque meritis tuis impares graciarum actiones et cum susceperis vota culpas no//stras orando excusa. Tu autem, Domine, miserere nostri. Deo gracias. Septième leçon. Ô bienheureuse Marie, qui pourrait dignement expliquer la justesse de tes grâces et entreprendre l’éloge de tes mérites, toi qui, par ton unique acceptation, as secouru le monde voué à sa perte ? Par quelles louanges la faiblesse du genre humain s’acquittera-t-elle envers toi, qui par ta seule intervention as trouvé le chemin de son rachat ? Reçois donc toutes les actions de grâces que nous te rendons dans notre exil, quelque indignes qu’elles soient de tes mérites, et, lorsque tu auras reçu nos supplications, obtiens le pardon de nos fautes par tes prières. Mais toi, Seigneur, aie pitié de nous. Grâces soient rendues à Dieu.

fol. 40v Versus Gabrielem archangelum scimus divinitus te esse affatum, uterum tuum de Spiritu Sancto credimus impregnatum, erubescat Judeus infelix qui dicit Christum ex Joseph semine esse natum. Dum//virgo Deum et hominem genuisti et post partum virgo inviolata permansisti. Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto. Dum virgo Deum et hominem genuisti et post partum virgo inviolata permansisti. Verset. Nous savons que l’archange Gabriel fut pour toi le messager de Dieu, que ton ventre a été fécondé par le Saint-Esprit ; rougisse le malheureux Juif qui dit que le Christ est né de la semence de Joseph.//Car tu as enfanté, encore vierge, un Dieu et un homme, et tu es restée vierge inviolée après sa naissance. Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Car tu as enfanté, encore vierge, un Dieu et un homme, et tu es restée vierge inviolée après sa naissance 13.

Secuntur laudes et primo canticus Ambrosii et Augustini. Viennent ensuite d’abord un cantique pour saint Ambroise et saint Augustin, puis les laudes 14.

fol. 41 Te Deum laudamus, te Dominum confitemur. Te eternum Patrem, omnis terra veneratur. Tibi omnes angeli, tibi celi et universe//potestates. Tibi cherubin et seraphin, incessabili voce proclamant. Sanctus, sanctus. Sanctus Dominus, Deus Sabbaoth. Pleni sunt celi et terra majestatis glorie tue. Te gloriosus apostolorum chorus, Te prophetarum laudabilis numerus, Te martirum candidatus, laudat exercitus. Te per orbem terrarum sancta confitetur ecclesia, Patrem immense [fol. 41v] majestatis, venerandum tuum verum et unicum Filium, sanctum quoque paraclitum Spiritum.

Pages suivantes : fol. 42v (à gauche) et 41 (à droite)

C’est toi, Dieu, que nous louons, toi que nous reconnaissons comme Seigneur. Toi, Père éternel, que tout l’univers adore. C’est toi que tous les anges, toi que les cieux et les armées des cieux,//toi que les chérubins et les séraphins éternellement acclament : saint, saint, saint est le Seigneur, Dieu des forces célestes ! Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire souveraine. Le chœur glorieux des Apôtres, la troupe vénérable des prophètes, l’éclatante armée des martyrs chantent tes louanges. Sur toute l’étendue de l’univers, la sainte Église t’adore, 149







fol. 54v Deus in adjutorium meum intende.//Domine ad adjuvandum me festina. Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto. Mon Dieu, viens à mon aide.//Seigneur, hâte-toi de me venir en aide. Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. L’Adoration des Mages (sixte) Assise et dépassant légèrement de l’ouverture de son abri à palissades en clayonnage, la Vierge tient fermement l’Enfant Jésus sur ses genoux. Partiellement enveloppées dans le manteau bleu de Marie, les deux figures semblent se confondre. Les trois rois, disposés en triangle, s’agenouillent devant elles. Deux d’entre eux ôtent leur couronne ; le plus âgé, aux cheveux blancs, a déjà déposé la sienne aux pieds du groupe sacré, selon une iconographie qui a persisté dans l’art de l’Europe du Nord tout au long du xve siècle. En bas à gauche, on distingue le profil très pur de Joseph, agenouillé lui aussi, dont le vêtement suit les contours de l’angle de l’encadrement. La composition se fonde sur une série de fortes obliques parallèles, définies par le toit de chaume de la grange, la colline du plan intermédiaire (au bas de laquelle un berger s’agenouille, tandis qu’on aperçoit derrière lui des cavaliers) et celle de l’arrière-plan, que domine une imposante ville. Les lignes opposées et presque perpendiculaires créées par les figures agenouillées du premier plan interrompent ces diagonales. Comme dans La Nativité, la plupart des personnages sont disposés à la périphérie de l’espace pictural, laissant ainsi une sorte de vide au centre de la composition. Les riches couleurs éclatantes des vêtements des rois sont rehaussées par les pâles tonalités vertes et marron du sol. L’intense bleu lapis-lazuli du manteau de la Vierge attire l’œil sur le point de convergence de la composition, tout en isolant l’Enfant Jésus.

fol. 54v

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fol. 57 Deus in adjutorium meum intende.//Domine ad adjuvandum me festina. Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto. Mon Dieu, viens à mon aide.//Seigneur, hâte-toi de me venir en aide. Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. La Présentation au Temple (nones) La Vierge, aidée par le grand prêtre, dépose un robuste Enfant Jésus sur un autel en forme d’édicule. Marie et le prêtre ont tous deux les mains protégées par les langes du Christ. Sainte Anne, un long cierge à la main, observe la scène, qu’encadre la structure sommaire d’un temple. Les paysages profonds et le traitement narratif des scènes précédentes sont ici abandonnés. À travers les murs dématérialisés de l’édifice, on aperçoit un paysage de collines monochromes, peint dans un vert dense et presque entièrement privé de toute définition topographique. Un motif mosaïqué remplit l’espace surmontant la ligne de crête. La composition, dominée par les imposants personnages principaux, fait abstraction des figures secondaires et des détails du paysage. Les drapés qui enveloppent Marie, sainte Anne et le prêtre ont des plis d’une complexité et d’une sculpturalité exceptionnelles. L’absence de détails confère à la construction spatiale et au décor une certaine ambiguïté, mais l’économie de la composition ne fait que souligner davantage l’importance dramatique de l’événement. La bordure de la feuille, très élaborée, incorpore une banderole sur laquelle est inscrit un texte emprunté au psaume 51.

fol. 57

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fol. 59v Deus in adjutorium meum intende.//Domine ad adjuvandum me festina. Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto. Mon Dieu, viens à mon aide.//Seigneur, hâte-toi de me venir en aide. Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Le Massacre des Innocents (vêpres) Une épée à la main, Hérode est assis, jambes croisées, sur un socle surélevé. Tandis qu’un de ses conseillers se tient debout derrière lui, il donne ses ordres à un serviteur agenouillé, qui porte une bannière accrochée à une lance si longue qu’elle se prolonge au-delà de l’arcade s’ouvrant sur l’extérieur. Bien que la structure architecturale soit censée représenter le palais d’Hérode, l’étroitesse de l’espace pictural disponible a imposé sa miniaturisation. Une série d’orthogonales apparemment contradictoires renforce la sensation d’un espace plus suggéré que décrit. Le spectateur est introduit dans la scène d’intérieur grâce à l’expédient de la suppression d’un mur. Juste à côté de la structure architecturale, les ordres du roi sont en cours d’exécution. La complexité de la scène donne une impression d’action narrative. Deux soldats en armure mettent à mort des bébés mâles, sous le regard horrifié de leurs mères. Les cadavres en morceaux d’autres enfants gisent au sol. La délimitation de l’espace oblige les deux figures de droite à disparaître en partie derrière le bord de l’image, comme si le spectateur observait les événements à travers une fenêtre trop petite. Le coteau triangulaire vert de la colline du plan intermédiaire sert de toile de fond à la scène macabre. À l’arrière-plan, une ville fortifiée est perchée au sommet d’une montagne dénudée. Le brillant lapis-lazuli du manteau du roi et de celui d’une des mères attire l’attention sur les deux actions séquentielles, tandis qu’une palette faisant alterner les tons pastel (mauves, violets atténués, bleus légers et jaunes pâles) noue un lien inextricable entre les deux scènes 17.

fol. 62-62v Psalmus David Magnificat anima mea Dominum, et exultavit spiritus meus, in Deo salutari//meo. Quia respexit humilitatem ancille sue, ecce enim ex hoc beatam me dicent omnes generaciones. Quia fecit michi magna qui potens est, et sanctum nomen ejus. Et misericordia ejus a progenie in progenies timentibus eum. Fecit potenciam in brachio suo, disperxit superbos mente cordis sui. Deposuit potentes de sede, et exaltavit humiles. Esurientes implevit bonis et divites di- [fol. 62v] misit inanes. Suscepit Israel puerum suum, recordatus est misericordie sue. Sicut locutus est ad patres nostros, Abraham et semini ejus in secula. Gloria Patri. Psaume de David Magnificat [Luc, 1, 46-55]. Mon âme exalte le Seigneur, et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon sauveur.//Car il a jeté les yeux sur son humble servante. Voici en effet qu’à cause de cela toutes les générations me diront bienheureuse. Car il a fait pour moi de grandes choses, celui qui est puissant, et son nom est saint. Et sa miséricorde, de descendance en descendance, s’étend sur ceux qui le craignent. Il a donné de la puissance à son bras, et dispersé les hommes au cœur orgueilleux. Il a renversé les puissants de leur trône et il a élevé les humbles. Il a comblé de biens les affamés et renvoyé [fol. 62v] les riches les mains vides. Il a soutenu Israël, son enfant, se souvenant de sa miséricorde. Comme il l’avait dit à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa postérité, pour les siècles des siècles. Gloire au Père. fol. 59v

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fol. 63 Converte nos Deus salutaris noster//Et averte iram tuam a nobis, Deus in adjutorium meum. Tourne les yeux vers nous, Dieu de notre salut,//et éloigne de nous ta colère. Mon Dieu, [viens] à mon secours. La Fuite en Égypte (complies) La Vierge, enveloppée dans un large manteau d’un bleu profond, est assise sur le dos d’un âne remarquablement docile. Le visage tourné de manière à n’en laisser visible qu’une toute petite partie, elle entoure l’Enfant Jésus de ses bras. Regardant avec anxiété vers l’extérieur de l’espace pictural, ce dernier semble se débattre pour se dégager des plis du manteau de sa mère et de son étreinte. La masse formée par les drapés de ce manteau sert d’ancrage à la composition, sa stabilité visuelle étant renforcée par le curieux détail du morceau de tissu tubulaire qui descend, telle une colonne, derrière le flanc gauche de l’âne. La silhouette triangulaire de Marie a pour écho celle de la montagne vert sombre située à l’arrière-plan. Des idoles fracassées tombent au sol à mesure que la Sainte Famille passe devant elles ; les empreintes de pieds imprimées sur le chemin de terre marquent son avancée. Dans le ciel, un ange désigne du doigt, sans équivoque possible, la voie du salut, tandis que Joseph, inquiet pour sa famille, s’arrête et regarde en arrière, donnant ainsi à la scène toute sa tension dramatique. Son expression inquiète imprègne l’épisode d’un contenu émotionnel qui forme un contraste saisissant avec la sobriété d’émotion de l’Annonciation placée en ouverture du cycle des Heures de la Vierge. Ici, tous les détails sont subordonnés à la simplicité harmonieuse et au caractère poignant du moment représenté 18.

fol. 65 Psalmus Nunc dimittis servum tuum Domine, secundum verbum tuum in pace, quia viderunt oculi mei salutare tuum, quod parasti ante faciem omnium populorum. Lumen ad revelacionem gencium et gloriam plebis tue, Israel. Psaume [Luc, 2, 29-32]. Maintenant, souverain maître, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s’en aller en paix ; car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple, Israël 19.

fol. 63

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heures de la croix et heures du saint-esprit, quinze joies de la vierge et sept prières invoquant l ’ incarnation et la passion Heures de la Croix et Heures du Saint-Esprit (fol. 80-87v) Les Heures de la Croix et les Heures du Saint-Esprit, bien que beaucoup plus courtes que les Heures de la Vierge, sont structurées, comme ces dernières, autour des heures canoniques, mais n’incluent pas les laudes 21. Elles apparaissent parfois ensemble après les Heures de la Vierge, mais dans les Belles Heures, de même que dans de nombreux livres d’heures français de la période, elles suivent la litanie. Les Heures de la Croix commencent par des prières traditionnelles, sur deux colonnes de texte situées sous une image de la Descente de Croix, qui sert d’introduction à cette section de l’ouvrage. Viennent ensuite un bref hymne, puis un verset et un répons, et enfin une prière invoquant le réconfort du Christ au moment de la mort. La même structure est reprise pour chaque heure, la principale variante consistant dans un hymne qui porte tour à tour sur tel ou tel moment de la Passion : dans les Belles Heures, les matines correspondent à la Trahison du Christ ; la prime renvoie à la Dérision ; la tierce, au Couronnement d’épines ; la sixte, à la Crucifixion ; la none, à la Mort du Christ ; les vêpres se rapportent à la Déposition ; les complies, à la Mise au Tombeau. Chaque heure s’achève sur la même prière relative à la rémission des péchés et à la rédemption. Les Heures du Saint-Esprit sont composées de la même manière, mais l’hymne de chacune d’elles énumère ici les bénédictions et les réconforts apportés par le Saint-Esprit : les matines invoquent l’Incarnation ; la prime en appelle à la Résurrection et à l’Ascension ; la tierce, à la Pentecôte ; la sixte, à l’enseignement apostolique de la foi ; la none, aux réconforts du Saint-Esprit ; les vêpres se réfèrent à sa force spirituelle et à sa protection ; les complies, au destin de l’âme au jour du Jugement dernier. La prière qui clôt chaque heure invoque la grâce du Saint-Esprit. 180

fol. 80



fol. 80 Domine, labia mea aperies Et os meum annun//ciabit laudem tuam. Deus, in adjutorium meum intende. Domine, ad adjuvan- [fol. 80v] dum me festina. Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche//fera retentir ta louange. Mon Dieu, viens-moi en aide. Seigneur, hâte-toi [fol. 80v] de me venir en aide. La Descente de Croix (Heures de la Croix) Le corps languissant et affaibli du Christ est descendu de la Croix : Nicodème porte l’essentiel de son poids, tandis que Joseph d’Arimathie s’agrippe quelque peu maladroitement au cadavre, contribuant ainsi bien peu à le soutenir. Plus bas, la Vierge et Marie Madeleine s’agenouillent. Les plis massifs des draperies, vert pâle tirant sur le gris, bleu profond, lavande assourdie et rose, encadrent le corps du Christ et mettent en valeur ses tonalités couleur chair. L’action s’est figée et le cadavre apparaît comme le symbole du sacrifice et de la rédemption. La scène obéit à une composition rigoureuse : la Croix en T définit l’axe central et le bord supérieur, tandis que la disposition triangulaire des figures est renforcée par les angles que forment la lance et la grande hampe terminée par une éponge que tiennent les anges situés sur les côtés. Les longs et maigres flancs du Christ font écho à ces mêmes angles. Le sol d’un vert jaunâtre et l’arrière-plan mosaïqué composent un décor dépouillé. Les entrelacs inhabituellement sophistiqués des marges, qui abondent en rinceaux de vignette et en méandres de fleurs, toutes en rouge, bleu et or, incluent un médaillon à chaque angle de la feuille : deux d’entre eux montrent un ange en prière, sur un fond bleu, les deux autres un ange en pleurs, sur un arrière-plan rouge. Les Heures de la Croix s’ouvrent d’ordinaire sur une Crucifixion ; la présence de trois images de cette dernière dans les Heures de la Passion a ici conduit à choisir La Descente de Croix, absente de cet autre cycle.

fol. 80v Patris Hymnus sapiencia, veritas divina, Deus homo captus hora matutina, a suis scipulis cito derelictus, a judeis venditus, n [rayé] traditus, afflictus. [...] Oracio Domine, Jhesu Christe, Fili Dei vivi, pone Passionem, mortem et crucem tuam inter judicium tuum et animam meam nunc et in hora mortis mee semper, largiri digneris vivis misericordiam et graciam, defunctis veniam et requiem, ecclesie pacem et veram concordiam et nobis peccatoribus vitam et gloriam sempiternam. Qui vivis et regnas Deus per Christum Dominum nostrum. Amen. Hymne. La sagesse du Père, la vérité divine, Dieu fait homme fut capturé au petit matin, bien vite abandonné par ses disciples, vendu par les Juifs, trahi, jeté à terre. [...] Prière. Seigneur, Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, mets ta Passion, ta mort et ta Croix entre ton jugement et mon âme, maintenant et pour toujours à l’heure de ma mort ; daigne accorder aux vivants ta miséricorde et ta grâce, aux défunts le pardon et le repos, à ton Église la paix et la vraie concorde, et à nous pauvres pécheurs la vie et la gloire éternelle. Dieu qui vis et qui règnes par le Christ notre Seigneur. Amen.

fol. 84 Domine, labia mea aperies. Et os meum annun//ciabit laudem tuam. Deus in adjutorium meum intende. Seigneur, ouvre mes lèvres. Et ma bouche//fera retentir ta louange. Mon Dieu, viens-moi en aide. fol. 84

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raymond diocrès, saint bruno et la fondation de l ’ ordre des chartreux Saint Bruno, le confesseur, érudit ecclésiastique et fondateur, au xie siècle, de l’ordre des Chartreux, naquit, selon la tradition, à Cologne, fit ses études à la collégiale Saint-Cunibert et paracheva son éducation à Reims. Revenu à Cologne, où il entra dans les ordres, il fut rappelé à Reims pour y diriger l’école cathédrale ; il fut également nommé chanoine et chancelier. Après un litige avec l’archevêque, on lui retira ses charges et on lui confisqua ses biens ; Philippe Ier de France l’empêcha ensuite d’occuper le siège épiscopal. Bruno décida alors de se retirer du monde. Toutefois, à en croire la légende, cette décision ne fut pas hâtée par des considérations d’ordre politique, mais par la vue du cadavre du célèbre professeur d’université parisien et chanoine Raymond Diocrès, qui, lors de ses funérailles, sortit à trois reprises de son cercueil pour crier : « J’ai été appelé au juste jugement de Dieu » ; « J’ai été jugé au juste jugement de Dieu » ; puis « J’ai été condamné au juste jugement de Dieu. » Toujours selon la légende, Bruno et ses six compagnons quittèrent Paris et partirent à la rencontre d’Hugues de Châteauneuf, évêque de Grenoble. Ce dernier, informé de leur mission par une vision de sept étoiles qui lui était venue en rêve, conduisit Bruno et ses compagnons sur un site alpestre rocailleux et isolé, où fut édifiée la Grande Chartreuse et où fut fondé l’ordre des Chartreux. Mêlant les traditions monastiques érémitique et cénobitique, cet ordre se répandit dans toute l’Europe. L’intérêt du duc de Berry pour les chartreux lui fut très probablement inspiré par le profond attachement que son frère éprouvait pour eux : Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, fit en effet construire la chartreuse de Champmol, à Dijon. Les trois scènes de la légende de Diocrès et le cycle de saint Bruno dans son ensemble sont sans précédent. Une scène isolée qui représente Diocrès criant dans son cercueil apparaît dans les Très Riches Heures (fol. 86v) : sa composition fut conçue par les frères de Limbourg, mais elle fut achevée plus tard dans le siècle par Jean Colombe. 192

fol. 94




office des morts L’Office des morts est, dans un livre d’heures, le seul texte repris directement du bréviaire, avec peu ou pas de changement ; le clergé et les laïcs trouvaient ici en substance la même chose, alors que toutes les autres composantes d’un livre d’heures étaient par ailleurs des versions très abrégées et simplifiées des passages correspondants qu’on observe dans un bréviaire 28. Lors d’un service funèbre médiéval, l’Office des morts était dit juste avant le requiem, ou messe funéraire. Après cette dernière, on procédait à l’absolution ou à la bénédiction de la bière à l’encens et à l’eau, puis on portait le cercueil en procession jusqu’au cimetière. La structure canonique de l’Office des morts, ou Veillée des défunts, pour reprendre l’expression des Belles Heures, se limite à trois heures, et s’ouvre sur les vêpres, les prières qu’on devait prononcer le soir précédant la messe funéraire. Elle commence par cinq psaumes – 115, 120, 121, 130 et 138 – qu’encadrent des antiennes. Vient ensuite le Magnificat de saint Luc, qui reprend les mots adressés par la Vierge à sa cousine Élisabeth après l’Annonciation (« Mon âme exalte le Seigneur […] »). Un autre psaume – 146 – et trois courtes prières concluent l’heure. Les matines comprennent, comme dans les Heures de la Vierge, trois nocturnes se composant chacun de trois psaumes – destinés à être lus en série différents jours de la semaine – et trois leçons à numérotation continue, que viennent émailler des antiennes, des versets et des répons. Cette heure, la plus longue avec les laudes, contient des prières qui devaient être prononcées le jour de la messe funéraire et des obsèques. Les laudes comprennent huit psaumes – 51, 65, 63, 67, 149, 150, 151 et 130 –, une lecture d’Isaïe et une lecture tirée de l’Évangile selon saint Luc, que séparent des antiennes, et s’achèvent sur une succession de courtes prières pour les âmes des défunts. En règle générale, l’Office des morts se situe vers la fin d’un livre d’heures, mais, dans les Belles Heures, il apparaît vers le milieu du manuscrit, séparé des Suffrages par les très longues Heures de la Passion. Dans le plan d’écriture originel, il suivait les Heures de la Croix et celles du Saint-Esprit. L’enluminure introductive de l’Office des morts a le plus souvent pour sujet le service funèbre, et elle représente en général une bière enveloppée d’un linceul, autour de laquelle les parents et amis du défunt, rassemblés à l’intérieur d’une église ou d’une cathédrale, récitent ce même office. D’autres aspects des funérailles, comme l’absolution, la procession d’accompagnement du cercueil ou l’inhumation, étaient aussi figurés. Dans une veine moralisatrice, on montrait la mort, le purgatoire et les tourments de l’enfer, mais pour ajouter une note d’espoir, on marquait également une certaine prédilection pour des sujets comme la Résurrection de Lazare ou les Anges conduisant l’âme au ciel. Dans la mesure où les aspects les plus sinistres de la mort étaient, ce qui est tout à fait compréhensible, moins populaires, le sujet choisi pour les Belles Heures – une scène curieuse et énigmatique, située dans un cimetière – a quelque chose de surprenant. Habituellement, les défunts recevaient une ultime bénédiction avant d’être enterrés, mais, ici, deux cadavres décharnés gisent dans une tombe très ordinaire, tandis que deux moines lisent de lourds volumes. Plusieurs détails de l’enluminure n’ont d’ailleurs pas reçu, à ce jour, d’explication convaincante. Il s’agit là de la seule illustration de l’office, qui comprend trois cahiers complets. On trouvera plus loin des extraits de son texte.

fol. 99



heures de la passion Les Heures de la Passion figurent rarement dans les livres d’heures, les images de la Passion accompagnant en général les Heures de la Croix, qui en constituent au contraire une composante classique. Les Heures de la Passion se présentent ainsi comme une version augmentée des Heures de la Croix, dans la mesure où elles comprennent les laudes, ce qui leur vaut parfois l’appellation de Grandes Heures de la Croix. Toutefois, les Petites Heures de la Croix ne sont pas simplement une version réduite des Grandes Heures de la Croix, mais un office à part entière. Alors que les Heures de la Vierge, en leur qualité de texte fondamental, sont d’ordinaire les plus généreusement enluminées, ce privilège échoit, dans les Belles Heures, aux Heures de la Passion. Les matines s’ouvrent sur trois enluminures, et les heures suivantes commencent toutes par deux miniatures. De ce point de vue, les Belles Heures sont sans équivalent. On ne sait pas bien pourquoi le duc décida de donner une telle importance aux Heures de la Passion. L’office commence par une invitatoire (« Venez, adorons le Christ Roi crucifié, notre Seigneur »), que suit une série de quatre psaumes – 95, 59, 88 et 94 –, émaillée d’antiennes. Viennent ensuite trois lectures qui détaillent différents aspects de la Passion : Isaïe, 53, 5 (« Mais il fut blessé à cause de nos iniquités, il fut meurtri à cause de nos péchés ») ; Évangile selon saint Matthieu, 26, 47 (« voici Judas […] et avec lui une bande nombreuse armée de glaives et de bâtons ») ; Évangile selon saint Matthieu, 27, 28-29 (« L’ayant dévêtu, ils lui mirent une chlamyde écarlate, puis, ayant tressé une couronne avec des épines, ils la placèrent sur sa tête »). Les heures suivantes sont plus courtes : chacune comprend en général un hymne et un psaume, qu’entrecoupent des antiennes, des versets et des répons, et s’achève sur une prière. À la fin des matines, une rubrique de deux lignes, tracée à l’encre bleue et rouge utilisée pour les cycles picturaux, annonce les laudes ; les heures restantes s’achèvent chacune sur une rubrique d’une ligne bleue indiquant l’heure suivante, à l’exception des complies, qui proclament la fin de l’office. Les nones, toutefois, sont présentées par erreur comme la tierce (« ad iii passione do. »). La prière conclusive exhorte le lecteur à s’identifier à la souffrance du Christ (« fais-nous, nous t’en supplions, abonder en larmes compatissantes pour ta Passion, fais-nous toujours pleurer ta Passion avec la plus haute dévotion de notre cœur, fais-nous tenir fermement à elle, rafraîchis d’un désir ardent »). 210

fol. 123









fol. 141v Deus in adjutorium meum intende.//Domine, ad adjuvandum me festina. Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto. Mon Dieu, viens-moi en aide. //Seigneur, hâte-toi de me venir en aide. Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Le Christ cloué sur la Croix (sixte) Dans cette composition chargée, la Croix et le corps du Christ, qu’elle soutient, sont disposés en diagonale par rapport à l’encadrement de l’image, au milieu d’une abondance de détails placés essentiellement à la verticale. La Croix semble presque flotter au-dessus du sol. Un grand clou rudimentaire attend d’être planté dans la main droite de Jésus, tandis qu’un homme lui transperce déjà les pieds. À proximité, on aperçoit le dessin sous-jacent d’une couronne d’épines, qui ne fut finalement pas peinte. Le personnage vu de dos, au premier plan, creuse un trou afin d’y enfoncer la base de la Croix. Témoignant de l’intérêt des frères de Limbourg pour la réalité concrète, plusieurs sortes d’outils jonchent le sol. À l’angle supérieur gauche de l’image, un homme, monté sur une échelle, se penche au sommet d’une croix pour y hisser le bon larron ; le raccourci de sa représentation est si accentué qu’il apparaît tout à fait disproportionné par rapport aux autres figures. Une sombre colline rocailleuse sert à suggérer la rudesse du décor où se déroula le Calvaire. Les taches de couleurs claires qui émaillent les costumes ajoutent une fois encore une note d’agitation à la scène. Le Christ semble concentrer toute son attention sur le diable qui plane au-dessus de sa tête ; on peut se demander si ce dernier s’apprête à s’emparer de l’âme du mauvais larron, ou bien s’il s’attarde pour assister à un éventuel nouvel échec de la rédemption de l’humanité.

fol. 141v

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fol. 142 Sicut erat in principio et nunc et semper et in secula seculorum. Amen. Hympnus// Crucem pro nobis subiit et stans in illa sicut Jhesus sacratis mani- [fol. 142v] bus clavis fossis et pedibus. Comme il était au commencement, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen. Hymne.//Jésus subit pour nous le supplice de la Croix, et lorsqu’il y fut attaché, il eut soif, et ses mains [fol. 142v] et ses pieds étaient percés de clous. L’Éponge de vinaigre présentée au Christ (sixte) Pour la première des trois scènes consacrées à la Crucifixion, les frères de Limbourg ont mis au point une composition d’une symétrie rigoureuse, où la Croix, qui sert d’axe central, est flanquée de deux groupes soigneusement équilibrés. La Vierge, vêtue d’un lourd manteau d’un bleu profond, est assise à l’angle inférieur gauche, un genou levé, dans une position en substance identique à celle qu’elle avait sur La Nativité (fol. 48v). À l’angle opposé, saint Jean l’Évangéliste, le visage détourné, enveloppé d’un manteau rose qui contraste avec celui de Marie, adopte une position inverse à celle de cette dernière. La longue perche que termine une éponge imprégnée de vinaigre a pour écho et pour parallèle la hampe de l’étendard que tient un soldat, de l’autre côté de la Croix. Les deux groupes de spectateurs se faisant face, bien équilibrés, définissent des lignes reprises par les contours des pics montagneux situés derrière eux. Le hérissement de lances accentue la verticalité des deux ensembles de figures, qui encadrent efficacement la Crucifixion. La description du sol est plus détaillée et la gamme chromatique plus modulée que celles des autres enluminures du cycle. Les méandres de branches dorées, sur fond rouge, forment, derrière le Christ crucifié, un arrièreplan qui présente l’aspect d’un tissu. Sur le bord gauche de l’image, un soldat tient un bouclier qui a la forme d’un visage tourmenté.

fol. 142

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fol. 145 Deus in adjutorium meum intende.//Domine, ad adjuvandum me festina. Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto. Mon Dieu, viens-moi en aide. //Seigneur, hâte-toi de me venir en aide. Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Le Coup de lance (nones) Dans une composition à la symétrie moins insistante que celle de la précédente, les trois crucifiés se détachent maintenant sur un ciel d’un bleu profond, dont l’intensité augmente à mesure qu’il s’élève au-dessus de l’horizon. À l’arrièreplan, deux pics montagneux se dressent de manière à former deux masses à peu près équivalentes, qui encadrent partiellement les trois personnages principaux. Le groupe de droite a pour point d’ancrage un personnage vu de dos et vêtu de rouge orangé, qui joue aux dés, avec deux compagnons, la tunique de Jésus. Son manteau de couleur vive déborde sur l’encadrement peint de l’image, pénétrant ainsi dans l’espace du spectateur. Le groupe opposé s’organise autour du centurion Longin, qui perce le flanc du Christ d’un coup de lance. Les frères de Limbourg illustrent ici une scène de La Légende dorée rarement représentée. Selon ce texte, Longin souffrait d’une maladie des yeux, et il est ici montré paupières fermées, tandis qu’un de ses camarades l’aide à diriger sa lance. On raconte que le sang et l’eau qui coulèrent le long de cette même lance guérirent son affection lorsqu’il les toucha. Il se convertit alors au christianisme et devint moine à Césarée de Cappadoce 30. Les larrons ont eu les membres brisés et du sang s’échappe de leurs blessures. Un soldat appuyé sur une lance semble se reposer, à moins qu’il n’observe les joueurs de dés de l’angle inférieur droit. Le bouclier en forme de visage tourmenté réapparaît sur le bord gauche de l’enluminure. Les bleus intenses, les roses et les rouges orangés, mis en valeur par le vert grisâtre du décor, dominent la gamme chromatique.

fol. 145

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histoire de saint jean baptiste, messes et prières pour les voyageurs Le Propre des saints se poursuit par la messe de saint Jean Baptiste. Peut-être parce qu’il était l’un des saints patrons du duc, sa messe se voit accorder non pas une mais quatre illustrations, inspirées de sa légende. Le texte de la messe ne commençant que sous la quatrième enluminure, Salomé présentant la tête de Jean Baptiste, et celui qui accompagne les trois enluminures précédentes étant tracé à l’encre bleue et rouge que l’on retrouve dans les autres cycles picturaux, il est clair que ces images supplémentaires résultent d’une modification du plan original de l’ouvrage. La messe ne commémore pas la décollation du saint (29 août), mais sa nativité (24 juin). Toutefois, les textes des deux premières enluminures sont empruntés à un hymne des matines de la nativité de saint Jean Baptiste. Viennent ensuite les messes de saint Pierre et de saint Paul (29 juin), de la Toussaint (1er novembre) et des défunts (2 novembre). Jusqu’ici, toutes les messes sont des messes ordinaires, ou régulières, en ce sens qu’elles correspondent à des fêtes et à des féries liées à des jours précis de l’année calendaire. Par ailleurs, des messes extraordinaires sont célébrées en des occasions particulières, par exemple la consécration d’une église, les cérémonies pour les morts, les messes votives pour les malades, les personnes en danger ou dans le besoin, et ne sont associées à aucune date déterminée. Les Belles Heures n’en comprennent pas, mais le cahier final, tronqué, inclut un texte qui s’y apparente, et qui prend la forme de deux supplications et de deux prières sollicitant la protection pour les voyageurs. L’enluminure jointe au texte qui représente le duc et sa suite s’approchant d’un château fort est peinte sur une feuille insérée dans le manuscrit. Cet ajout apparemment après coup pourrait bien avoir été inspiré au duc de Berry par le meurtre de l’un de ses neveux, le duc Louis d’Orléans, que perpétra en 1407 un autre de ses neveux, le duc de Bourgogne Jean sans Peur. La préoccupation de Jean de Berry pour sa sécurité lors de ses déplacements entre ses différents domaines et résidences se manifeste aussi dans l’inclusion de prières analogues à la fin de deux autres livres d’heures. 326

fol. 211





Observations techniques sur le manuscrit des Belles Heures Matières, procédés de fabrication et mesures de conservation 1 Margaret Lawson

En 1996, le splendide manuscrit des Belles Heures, œuvre des frères de Limbourg, fut transféré des Cloisters au département de la Conservation du papier du Metropolitan Museum of Art de New York en vue d’un examen préliminaire aux photographies rendant possible la réalisation d’un nouveau fac-similé entièrement en couleurs 2. La première étape, supervisée par le département d’Art médiéval et des Cloisters, consista à le dépouiller de sa reliure moderne 3. Puis on observa au microscope le manuscrit, exécuté sur parchemin à la détrempe, à l’or et à l’encre, et l’on constata qu’il s’écaillait profondément par endroits 4. Il fallut dès lors envisager un traitement de conservation à long terme pour ce chef-d’œuvre singulier. Ce fut l’occasion d’étudier en profondeur les matières dont il se compose et ses procédés de fabrication. Au cours de l’examen 5, les spécialistes ont pu faire des observations techniques et les confronter aux informations données par les traités de l’époque 6. Une méthode non destructrice, la diffraction de rayons X, a permis d’analyser les zones endommagées du parchemin et de révéler ainsi que le pigment le plus courant était le carbonate de plomb basique, isolé ou mélangé à d’autres composants, ce qui désignerait le blanc de plomb comme principal facteur de dégradation 7. Les recherches menées sur les liants ont facilité la sélection des matières et des méthodes les plus appropriées au traitement de restauration, tout en éclairant les chercheurs sur les causes possibles de cette détérioration. Ces mêmes chercheurs ont également analysé certains des pigments relevés dans les Belles Heures 8. Notre essai s’emploiera donc à rendre compte des observations, examens et traitements dont le manuscrit a pu faire l’objet 9.

Évolution des matières et techniques Entre autres caractéristiques notables, et souvent novatrices, les Belles Heures présentent un parchemin au grain uni et velouté (très agréable au toucher), des bordures étincelantes de rinceaux de vignette, réalisés à l’or, des motifs au poinçon étonnamment fins, découverts sous certaines dorures

du calendrier et disséminés dans le manuscrit, des décors damassés complexes. Le texte calligraphié à l’encre est aussi régulier que fluide. Sous les scènes d’un cycle pictural, rubriques et lignes de texte font apparaître une alternance de rouge et de bleu, appliqués parfois avec une telle épaisseur que l’écriture y gagne un surprenant relief. Quant aux enluminures, elles déploient une magnifique palette de pastels ; on y retrouve des postures originales, des compositions historiées sophistiquées, un effort distinct pour rendre la perspective, des paysages aux détails charmants et, sur les vêtements de couleurs variées, des drapés finement modelés. Les gradations de couleur dans les cieux et les paysages opèrent de manière quasi imperceptible : on passe de l’obscur au lumineux au moyen de traits fins qui empruntent parfois plusieurs coloris. L’eau miroitante est figurée par des lavis blancs et colorés que l’artiste peint directement sur la feuille d’or ou d’argent. Le spectateur ne cesse de s’émerveiller devant le talent de ces enlumineurs aboutissant à une réussite sans pareille qui reflète les efforts conjoints d’une communauté artisanale : parcheminiers, copistes, rubricateurs, doreurs, enlumineurs chargés tantôt des bordures, tantôt des images (les frères de Limbourg), relieur…, sans oublier le mécène, Jean de France, duc de Berry, sans le soutien et la vision duquel l’entreprise n’aurait pu voir le jour. La fraîcheur des Belles Heures atteste non seulement que ces artistes étaient des virtuoses, mais aussi qu’ils étaient des connaisseurs, aptes à préparer eux-mêmes leurs matériaux, conscients de leurs différents domaines d’expertise, désireux de mettre en œuvre de nouvelles idées, capables de fabriquer ces merveilleux éléments et d’assurer leur survie dans le temps. Les pigments disponibles Les archives fiscales ont permis d’établir qu’à l’époque des frères de Limbourg le commerce entre l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient a suffisamment prospéré pour que l’ensemble des pigments, teintures, métaux et liants évoqués dans les traités soient disponibles à l’achat 10. Au xve siècle, on pouvait se procurer les pigments auprès des apo-

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La Bible historiale et les Très Riches Heures Inès Villela-Petit

La carrière fulgurante des frères de Limbourg s’inscrit entre deux œuvres considérables, la Bible moralisée de Philippe le Hardi (datée de 14021404) et les Très Riches Heures de Jean de Berry (vers 1411-1416), qui ont en commun d’être restées inachevées 1. La première est l’œuvre de leurs quinze ans ; avec l’autre, ils atteignent à peine la trentaine, mais entre-temps leur art a connu une maturation, un épanouissement, un enhardissement aussi, remarquables. À mi-chemin, les Belles Heures, seul chef-d’œuvre mené à complétude, tiennent de l’une et annoncent l’autre.

Une « très belle et très notable Bible » En février 1402, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, engageait deux des jeunes neveux de son peintre en titre, Jean Malouel, « pour faire les ystoires d’une très belle et très notable Bible » dont il venait de lancer la réalisation (Paris, Bibliothèque nationale de France, Fr. 166). Celle-ci, à vrai dire, était une gageure pour Paul et Jean de Limbourg 2. La Bible moralisée de Jean le Bon (Bibliothèque nationale de France, Fr. 167), qu’il leur donnait pour modèle, comporte rien moins que cinq mille cent douze de ces « histoires » qui illustrent le texte fig. 105 biblique et son commentaire moral. Cependant, les et 106 deux Limbourg se voyaient accorder des conditions privilégiées : des gages élevés versés même les dimanches et jours chômés, ainsi que le gîte et le couvert au cloître Notre-Dame à Paris, dans la maison de Jean Durant, médecin du duc, et à proximité de leur mécène. Outre qu’il se chargeait des fournitures, Jean Durant lui-même fut sans doute un des conseillers de l’entreprise. Sa qualité d’astrologue, alors nécessaire à l’exercice de la médecine, transparaît dans la représentation de ses instruments de mesure, astrolabe et sextant (Bibliothèque nationale de France, Fr. 166, fol. 5v et 13v). Ce souci d’exactitude, dont ses protégés font déjà preuve, Fig. 104 Les frères de Limbourg, 1402-1404 Bible moralisée Histoire du patriarche Joseph (fol. 11v) Peinture sur parchemin, 41,5 × 29 cm Paris, Bibliothèque nationale de France, Fr. 166

se révèle dans le rendu des objets et ustensiles du quotidien, la poulie du puits où est précipité Joseph fig. 104 ou la roue à livres de saint Paul (fol. 15). Dès les premiers feuillets, nos enlumineurs débutants montrent une grande audace ou une grande ambition. Loin de se laisser brider par le modèle, ils en réinterprètent les compositions, et parfois s’en affranchissent en préférant une nouvelle lecture du texte. S’ils empruntent à la Bible de Jean le Bon l’alternance des polylobes et des cadres architecturés, ces derniers sont représentés en projection sur le plan de la page comme dans les livres d’heures de Bruges, et adoptent un vocabulaire ornemental dont les Limbourg ne se départiront plus : chapiteaux bouletés, écoinçons remplis d’acanthes, gargouilles en tortillon. Enfin, ils sont parmi les premiers à faire usage de la perspective aérienne en décolorant leurs ciels à l’horizon, ce qui donne aux petites images de leur Bible une profondeur sans précédent. Le travail sur la Bible moralisée, interrompu en avril 1404 par la mort de Philippe le Hardi, fut donc particulièrement enrichissant et fondateur par la réflexion iconographique qu’il impliquait de la part des jeunes enlumineurs et par la variété des scènes à leur disposition, qu’ils allaient pouvoir remployer. Certains motifs et compositions des Belles Heures ont là leur premier état, ainsi les flagellants de la Procession de saint Grégoire (fol. 23 et Belles Heures, fol. 74v) ou l’Adoration du Seigneur (fol. 16 et Belles Heures, fol. 66v).

« plusieurs cayers d’unes très riches Heures » L’inventaire après décès du duc de Berry († juin 1416) mentionne « plusieurs cayers d’unes très riches Heures, que faisoient Pol et ses frères, très richement historiés et enluminez ». Ces cahiers de parchemin non reliés, alors conservés dans une boîte, étaient les éléments constitutifs d’un ouvrage qui à maints égards est davantage qu’un livre d’heures. Les Très Riches Heures (Chantilly, musée Condé, ms. 65) ne contiennent qu’un seul portrait du commanditaire (fol. 1v : Janvier), mais il s’agit d’un portraitréaliste qui ne cherche pas à dissimuler les marques du grand âge, contrairement

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2. Frères de Limbourg, vers 1412 Petites Heures du duc de Berry Le Duc partant en pèlerinage (fol. 288v) Encre et détrempe sur parchemin H. 21,5 ; L. 14,5 Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, Lat. 18014 PROVENANCE Jean de Berry ; Robinet d’Estampes, son garde des joyaux, 1416 ; Charles de Lorraine, 1606 ; vendu à Roger de Gaignières († 1715) par Mme de Chasnay, du cloître des Bernardins ; Louis-Jean Gaignat ; vente, en 1769, au duc de La Vallière († 1780) ; acheté par la Bibliothèque royale à la première vente de La Vallière, en 1784

BIBLIOGRAPHIE Leroquais 1927, II, p. 175-187 et pl. xiv-xix ; Meiss 1967, passim ; Meiss 1974, passim, fig. 403-405 ; Avril 1975, p. 41 ; Avril, Dunlop et Yapp 1989, surtout p. 357-360 ; König 2003, p. 132-135 ; Lawson 2005, p. 163

EXPOSITIONS Paris 1904, no 69 ; Paris 1907, no 21 ; Paris 19551956, nos 182, 190 ; Vienne 1962, no 103 ; Paris 1981-1982, no 297 ; Paris 1993-1994, no 2 ; Paris 2004a, no 41 ; Nimègue 2005, no 104

de même que le Maître de Bedford qui montra le duc à la porte du paradis dans les Grandes Heures, nous ont laissé les meilleurs portraits de Jean de Berry en enluminure. Comparée au caractère réaliste de celui du duc dans les Petites Heures, la lithographie ne semble pas vraiment rendre le même personnage, surtout si l’on prend en compte le quatrième portrait ducal réaliste, brûlé avec les Heures de Turin, que peignit le Maître de Saint Jean Baptiste. Dans les Belles Heures et les Petites Heures, texte et image se trouvent sur des feuillets ajoutés. La qualité des deux miniatures conservées diffère de manière remarquable : celle des Belles Heures, de 1408, que Margaret Lawson (2005) suggère d’attribuer à Paul de Limbourg à cause de la minuscule lettre p dans une des tourelles, fut largement dépassée par l’image plus convaincante des Petites Heures, datable autour de 1412. En donnant cette miniature nettement supérieure au coloriste exceptionnel que fut pour eux Jean de Limbourg, Meiss (1974) et Avril (1989) abandonnaient l’idée de hiérarchie dans l’atelier. Ce texte de prière singulier et les trois versions qui l’illustrent – quelle que soit la personne que le modèle de la lithographie figurait – sont sans doute apparus en réaction à l’assassinat de Louis d’Orléans pour le compte de Jean sans Peur, en 1407. Mais, à propos de la représentation possible d’un pèlerinage dans les Petites Heures, Avril (1989) a constaté que le duc n’était presque plus parti de Paris de 1412 à sa mort, en 1416 3. EK

Les Petites Heures, le plus petit des grands livres d’heures du duc de Berry, occupèrent des grands peintres de la fin du xive siècle. La seule miniature des Limbourg y précède une prière très rare, une sorte de suffrage pour le voyage (fol. 289), qu’on retrouve dans les Belles Heures (fol. 223v). Elle est composée de l’antienne In viam pacis et du Cantique de Zacharie, Benedictus Dominus Deus Israel, suivi d’un verset et d’un répons, terminant avec une prière à Dieu qui parle de la traversée de la mer Rouge. Une troisième version de cette prière, disparue mais attestée par une lithographie du xixe siècle 1, est souvent considérée comme appartenant aux fig. 13 Très Belles Heures de Notre-Dame (voir cat. 1), bien que sa mise en page, son écriture et son décor ne correspondent pas au reste de ce volume. Un seul autre manuscrit connu, copié à Langres et daté de 1463, comporte le même texte, sans image 2. Trois versions de cette prière furent donc accompagnées par une miniature des Limbourg décrivant à gauche la porte d’une ville ou d’un château fort et un groupe de voyageurs, sans signes héraldiques. Dans les Belles Heures, l’image, divisée en deux moitiés, dérive de l’iconographie profane de chevaliers arrivant devant un lieu fortifié. La réception d’un seigneur, qui passe la porte à pied, était le sujet de la miniature perdue, tandis que, dans les Petites Heures, Jean de Berry part en pèlerinage, guidé par un ange qui rappelle celui de La Fuite en Égypte des Belles Heures (fol. 63). Dans les Belles Heures, on a de la peine à reconnaître le protagoniste, et l’on chercherait en vain un vrai portrait. Sur la lithographie, des prêtres reçoivent un prince dont la tête barbue fait douter de son identification. Seules les Petites Heures comprennent un portrait exceptionnel du même Jean de Berry âgé, qu’on observera sur l’enluminure du mois de janvier des Très Riches Heures. Ainsi, les frères de Limbourg,

1. Bastard d’Estang 1834. 2. Voir The Arcana Collection, I, Londres, Christie’s, 7 juillet 2010, lot 36, fol. 15. 3. Voir l’itinéraire publié par Lehoux 1966-1968, surtout vol. 3, p. 510-513.

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L’art en France autour de 1400 : nouveaux regards Élisabeth Antoine et Pierre-Yves Le Pogam

Les artistes actifs pour Jean de France dans son duché de Berry relèvent-ils d’un milieu local, comme pourrait le laisser penser leur solide implantation à Bourges même ou dans la région ? Ou bien doiventils être considérés comme des artistes de cour, aux origines lointaines et diverses, rassemblés temporairement par la volonté d’un commanditaire hors de pair, leur activité pouvant se dérouler aussi bien dans leur ville natale, à Paris, à Bourges ou ailleurs, sans que ces cités influent sur le style de leurs créations ? Ou encore faut-il voir en eux les purs produits de ce courant qu’on a nommé le « gothique international » pour insister précisément sur son caractère de koinè artistique, qui serait valable pour toute l’Europe entre la fin du xive et les premières décennies du xve siècle, au point que les foyers de création d’Avignon, de Prague, Valence, Cologne, Paris ou Sienne seraient presque impossibles à distinguer les uns des autres ? Ces questions ont été largement débattues depuis que Louis Courajod a fondé le concept de gothique international il y a plus d’un siècle 1. La grande exposition de Vienne de 1962 consacrée à cette période proposait déjà un titre plus neutre, celui d’Art européen vers 1400 ; mais ses détracteurs italiens insistaient néanmoins sur les difficultés qu’entraînait le concept de gothique international tel qu’il était employé dans l’exposition, et Roberto Longhi se moquait même plaisamment de la formule, avec sa verve habituelle, en la raccourcissant en « got.intern. » (au moment où l’expression « Komintern » avait tout son sens…) 2. Une situation aussi peu satisfaisante – un concept attaqué de toutes parts, mais jamais vraiment remplacé – nous amène à revenir sur la question à nouveaux frais.

La question du paysage artistique : « le tourbillon de la vie » Les expositions françaises récentes 3 ont insisté sur l’enracinement local des artistes et de leur style, comme l’avaient fait quelques années auparavant Fig. 109 Paris, avant 1397 Reliquaire de la Sainte-Épine Émail sur ronde-bosse d’or, rubis, saphir, perles et cristal, H. 30,5 cm Londres, British Museum, WB 67

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d’autres pays à propos du gothique international en Allemagne et en Europe centrale notamment 4. Pourtant, on ne peut échapper au sentiment d’une certaine unification stylistique, due à la mobilité des grands princes, des artistes et de leurs œuvres. Ainsi, pour les princes des fleurs de lys, leurs intérêts partagés entre la cour royale et leurs propres fiefs entraînaient des déplacements incessants durant le règne de Charles VI (1380-1422), qui coïncide presque exactement avec la période en question. Le duc de Berry en est une parfaite illustration, lui qui chevauchait constamment entre ses résidences parisiennes et celles du Berry, de Poitiers, de Riom, etc. Pour les artistes, ne citons que l’exemple extrêmement connu du voyage de Claus Sluter et Jean Malouel, envoyés par le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, pour visiter le chantier de la nouvelle résidence de son frère aîné, Jean de Berry, à Mehun-surYèvre en 1393. Même si la signification de ce séjour nous échappe encore en grande partie, il atteste les relations profondes que les artistes au service des différentes cours des Valois entretenaient entre eux, ce que renforce l’analyse nouvelle proposée ici pour une sculpture du Louvre (cat. 6). Ces artistes pouvaient d’ailleurs passer du service d’un prince à celui d’un autre, un phénomène que l’on peut à nouveau illustrer par le cas des cours de Berry et de Bourgogne. Quant aux œuvres, on peut évoquer la production des grands retables de l’atelier des Embriachi, à Florence puis à Venise, qui constituent (avec d’autres objets religieux et des œuvres profanes) un des tout premiers exemples d’une création « industrielle » et exportée sur commande spécifique ou sur « catalogue » dans toute l’Europe, comme le montre, encore une fois, le mécénat du duc de Berry, avec le retable de l’église de Poissy aujourd’hui au Louvre 5. Enfin, on n’avait jamais encore connu une telle effervescence dans les échanges entre différents arts, ni autant d’artistes polyvalents : Beauneveu, sculpteur de Charles V, du comte de Flandre et de Jean de Berry, se fait pour le duc peintre enlumineur (pour son Psautier, Bibliothèque nationale de France, Fr. 13091) et peintre cartonnier (pour les vitraux de la Sainte-Chapelle de Bourges). Accomplissant le parcours inverse, l’enlumineur Giovannino de’ Grassi,


Fig. 110 Jean de Marville, Claus Sluter et Claus de Werve Tombeau de Philippe le Hardi, 1384-1410 Marbre noir, marbre blanc et albâtre en partie polychromes et dorés, 243 × 254 × 360 cm Dijon, musée des BeauxArts, CA 1416

devenu maître dans un rendu poétique de la nature, passe de la miniaturisation à l’échelle monumentale en devenant magister operis du chantier le plus important d’Italie, celui de la cathédrale de Milan ; il appelle à ses côtés non pas un architecte, mais l’enlumineur Jacques Coene, un Brugeois travaillant à Paris. Les frères de Limbourg, fils d’un sculpteur et formés par un orfèvre parisien, délaissent l’orfèvrerie pour enluminer une Bible pour Philippe le Hardi et passent après sa mort au service de son frère. Quant à l’orfèvre auteur du reliquaire de l’ombilic du Christ (cat. 14), il semble s’être appuyé, pour dessiner le trône de la Vierge, sur un modèle davantage destiné à un miniaturiste travaillant en deux dimensions, qu’à un orfèvre. Au-delà de ces aspects, il reste la question du style. Celui-ci nous permet-il de reconnaître dans les œuvres créées autour de 1400 les caractères d’un art supranational ? Ici aussi, la réponse paraît nuancée, mais elle tend à l’affirmative. On connaît l’argument avancé traditionnellement à propos de notre période : il existe de nombreuses œuvres qui ont déjoué, au moins pendant longtemps, toutes les tentatives d’attribution à un milieu géographique précis ou qui ont trompé unanimement la sagacité des spécialistes jusqu’à ce qu’une mention d’inventaire ne permette de les situer dans un foyer artistique où on ne les

attendait pas (à titre d’exemple, citons seulement la statuette de prophète du Louvre, pour laquelle la critique avait hésité, allant jusqu’à proposer une origine italienne, mais qui fut ensuite documentée en tant qu’œuvre parisienne, voir cat. 8). On pourrait répondre qu’il s’agit seulement là du résultat du retard des études, qui devrait être comblé peu à peu par une meilleure connaissance des artistes, des milieux géographiques et de leur style respectif. Néanmoins, le nombre d’œuvres encore problématiques pour l’époque qui nous concerne est peut-être un indice significatif. Par ailleurs, même si l’on pense aujourd’hui mieux distinguer les œuvres créées à Prague, Vienne, Londres ou Paris, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas entre elles une large part d’éléments stylistiques communs. Ici, les exemples sont trop nombreux pour être mentionnés de façon exhaustive. Évoquons seulement le cas d’œuvres colonaises qui rappellent l’art d’André Beauneveu (notamment le tombeau de l’archevêque Friedrich de Saarwerden) et d’autres, dans la péninsule Ibérique (à Palma de Majorque notamment), qui se réfèrent au contraire à Claus Sluter. Plus globalement, il est frappant que l’époque qui suit celle du gothique international, c’est-à-dire le xve siècle dans sa maturité, soit précisément celle où se constituent des styles proprement nationaux, une évolution complexe et débattue, mais à notre sens indiscutable.

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4. Jean de Marville (actif à partir de 1366-mort en juillet 1389) et Claus Sluter (vers le milieu du xive siècle-avant le 31 janvier 1406) Dais du tombeau de Philippe le Hardi Dijon, fin du xive siècle Marbre 1 H. 24,5 ; L. 22 ; Pr. 15 Paris, musée du Louvre, département des Sculptures, N 15012 A PROVENANCE Soubassement du tombeau de Philippe le Hardi, dont de nombreux éléments ont été dispersés entre 1791 et 1793 ; réutilisé pour constituer une niche abritant un pleurant, dans le commerce parisien (Isaac Guntzburger, dit Gansberg) ; ensemble acquis en 1850

BIBLIOGRAPHIE Aubert et Beaulieu 1950, no 354 ; Baron 1996, p. 158 ; Baron, Jugie et Lafay 2009, p. 134, no 8

Ce pleurant, placé sous un dais de plan triangulaire et richement ouvragé, évoque la splendeur des tombeaux princiers de la fin du Moyen Âge, avec leurs matériaux somptueux (marbre ou albâtre sur fond noir, rehauts d’or), leur composition complexe et leur signification politico-religieuse. Pourtant, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que le pleurant est bien plat pour une niche aussi profonde, et que les colonnettes se raccordent mal avec le dais qu’elles supportent. Il s’agit en fait d’un objet hétérogène, créé probablement pour répondre au goût des collectionneurs du xixe siècle pour les œuvres complètes plutôt que pour de simples fragments, mais composé à partir d’éléments authentiques et d’un grand intérêt. Les colonnettes sont d’origine inconnue. En revanche, Françoise Baron a prouvé que le pleurant provenait du tombeau d’Anne de Bourgogne, duchesse de Bedford (dont le gisant est aussi conservé au Louvre, ainsi qu’un autre pleurant, cette fois isolé). Seul le dernier élément, le dais, nous intéresse ici. Il a été démontré récemment 2 qu’il appartenait au tombeau du duc de Bourgogne Philippe le Hardi, à la chartreuse de Champmol,

EXPOSITION Dijon et Cleveland 2004-2005, no 82-1

chef-d’œuvre inaugural de la sculpture funéraire du xve siècle. Dans ce monument remarquable apparaissent en effet de nombreuses innovations décisives. Parmi celles-ci, il faut citer la création de dais alternativement triangulaires, comme celui-ci, et en forme de rectangles concaves, qui constituent une galerie autour du coffre. Cette transformation des fig. 110 arcatures aveugles placées contre le coffre d’un tombeau en une succession d’arcades libres rendait possible la métamorphose des pleurants en relief plaqués sur le fond en statuettes en ronde bosse se mouvant presque librement dans l’espace. D’où l’impression que ces galeries étaient inspirées du promenoir d’un cloître dans lequel circulaient les moines, ou y ressemblaient – ce qui a été contesté. En tout cas cette mise en scène permettait de conférer à la procession des pleurants toute sa dimension dramatique. Mais il faut insister sur le fait que les galeries du tombeau ne forment pas des allées rectilignes, puisque les dais impliquent une série de ressauts et de creux, dont l’espace complexe comprime ou dilate tour à tour le cortège funéraire, cachant ou révélant les pleurants par le

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jeu des colonnettes graciles. Ici se révèle un trait fondamental de l’esthétique qui domine dans le gothique flamboyant, à savoir la préférence pour les plans complexes et les attaques convexes, dont on voit un autre exemple à Champmol, dans le dessin du Puits de Moïse 3. On comprendra donc que l’on prête de l’importance à l’identification de l’auteur de cette double nouveauté. Or, le monument funéraire du premier duc de Bourgogne de la dynastie des Valois fut une entreprise complexe, impliquant des acteurs multiples. La chronologie des opérations et l’identité des responsables sont pourtant bien connues par une documentation abondante et assez bien conservée. Si l’on en croit ces sources d’archives, la conception d’ensemble du tombeau (et donc notamment l’invention des dais) serait due à Jean de Marville (l’exécution concrète des dais revenant entre autres, au moins en 1390, à Philippe ou Philippot Vaneram, à lire comme Van Eram 4). On a parfois contesté cette conclusion, suggérant au contraire que la paternité de cette innovation géniale ne pouvait revenir qu’à Claus Sluter, arrivé sur le chantier en 1385 et remplaçant Jean de Marville en 1389 5. Sans s’appesantir sur cette discussion attributionniste, on insistera plutôt ici sur le fait que ce thème de la galerie à redents a pu s’ancrer dans des expériences diverses. Ainsi le motif des personnages « emprisonnés derrière les barreaux » de la niche qui les abrite se retrouve dans les vitraux de la Sainte-Chapelle de Bourges, création probable d’André Beauneveu 6, ou dans des enluminures réalisées pour le même commanditaire, le duc de Berry 7. Mais le développement du thème sur le tombeau bourguignon, où les ressauts forment série, trouve peut-être son origine dans des portails antérieurs, qui non seulement dessinent le même motif dans le plan de leurs ébrasements, mais possédaient dans quelques cas redécouverts récemment des colonnettes au-devant des statues 8. P-YLP 1. Identification faite par Jean Délivré lors de l’étude globale du tombeau en 1999. 2. Baron 1996. 3. Notamment si l’on suit l’analyse de Susie Nash, ici parfaitement convaincante ; voir Nash 2005-2008, Part II, p. 466-467. 4. Voir Roggen 1937, p. 153. 5. Joubert 1993, et surtout Joubert 1999, avec une argumentation plus complète et plutôt convaincante. 6. Joubert 1999. 7. König 2003, p. 90, 99 ; voir, ici, fol. 96 et 136. 8. Comme à la cathédrale d’Auxerre, voir Joubert 2011, et à celle de Fribourg (Suisse).

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La question des emprunts aux Belles Heures Eberhard König

Dans l’histoire de la peinture, quelques artistes éminents fournirent des modèles qui furent parfois répétés par les générations suivantes comme des icônes modernes. Ce fut un effet de l’art des primitifs flamands, particulièrement de Jan van Eyck et Rogier van der Weyden, mais aussi de la grande enluminure parisienne du temps du duc de Berry, avec les Maîtres de la Mazarine, de Boucicaut et de Bedford. De même que ces artistes anonymes, les frères de Limbourg ont défini tout un monde de nouvelles images, avec une imagination inattendue.

Les frères de Limbourg et le milieu des enlumineurs parisiens Les frères de Limbourg étaient des Hofkünstler par excellence 1, gens de la cour du duc de Berry. Ils n’avaient pas appris leur art en suivant un apprentissage traditionnel, et Jean de Berry parvint à les éloigner d’autres commanditaires de la cour royale, les séparant aussi de leurs collègues actifs dans la capitale. Le duc leur réserva d’abord le privilège de vivre et de travailler dans son château de Bicêtre, aux alentours de 1408, et finalement mit à leur disposition, pendant les années 1410, une maison « propre pour logier l’un des seigneurs de nostre sang et lignage 2 » à Bourges, où ils moururent tous les trois au cours de l’année 1416. Ainsi, les trois frères (dont deux étaient avant 1400 des apprentis de l’orfèvre parisien Alebret de Bolure) 3 n’étaient pas vraiment intégrés dans le milieu des enlumineurs parisiens 4. Toute hypothèse fondée sur les manuscrits qui nous sont parvenus se heurte d’emblée au fait que trois frères auraient dû laisser des traces de trois mains différentes. La tentative de Millard Meiss est un impressionnant travail de connaisseur 5, mais la distinction qu’il opère semble aussi arbitraire que les prénoms qu’il a attribués aux œuvres ainsi définies. Margaret Lawson, la restauratrice des Belles Heures, s’est appuyée sur

des éléments du dessin sous-jacent afin de caractériser différentes mains et a même trouvé un p pour attribuer la dernière miniature à Paul. Nous ne savons cependant pas si ceux qui ont dessiné les scènes les ont aussi exécutées 6. Les miniatures sont dominées par une homogénéité stylistique étonnante, qui exclut toute autre participation que celle des trois frères (la preuve en est qu’on ne retrouve rien de comparable après 1416, date de leur mort) 7. Dans les Très Riches Heures, en revanche, on décèle bien, dans les initiales historiées, la main d’artistes dont le style ne correspond pas à la manière des Limbourg, en premier lieu le Maître du Bréviaire de Jean sans Peur 8, qui se servit (rarement) de motifs empruntés aux frères de Limbourg.

L’évolution des miniatures des frères de Limbourg Qui veut analyser la réception de leurs inventions par d’autres enlumineurs ne doit pas seulement s’attacher aux Belles Heures, terminées autour de 1408, et aux Très Riches Heures, laissées inachevées en 1416, mais, plus encore, distinguer plusieurs étapes qui ont permis aux Limbourg d’atteindre des résultats aussi étonnants. Les frères ont dû dépasser la conception parisienne du livre d’heures des alentours de 1400 9, après des débuts relativement traditionnels : les Belles Heures étaient d’abord un livre d’heures tout à fait commun. Les enluminures des Quinze Joies de la Vierge et des sept prières au Seigneur, ainsi que le début de l’O intemerata (fol. 26v), donnent déjà une idée du sens de l’innovation de ces peintres, qui incitèrent le copiste à laisser des espaces inhabituels pour les miniatures aux folios 26v (Aracoeli), 88 (L’ Assomption) et 91v (La Trinité et La Duchesse de Berry en prière). Suivirent une ou plutôt deux campagnes de travail 10, pendant lesquelles furent d’abord ajoutés des textes comme l’Office de la Passion, avec dix-sept enluminures, les Suffrages (uniques dans un livre d’heures du duc de Berry) et quelques messes. Tout à la fin, la relation entre miniature et texte fut inversée dans des séries d’images nouvelles presque indépendantes : les cycles de sainte Catherine, de saint Grégoire, d’Héraclius et de la Croix, de saint

Fig. 116 Maître de Saint Jérôme Bible moralisée, 1402-1404 Saint Jérôme dans son studio (frontispice), 41,5 × 29 cm Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, Fr. 166

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Bruno, de saint Antoine et de saint Jérôme ne servent plus au texte ; ils sont au contraire expliqués par les quatre lignes en rouge et bleu qui les accompagnent. Ainsi observe-t-on dans les Belles Heures le développement de la liberté artistique des frères de Limbourg qui, débutant avec des miniatures au fond quadrillé et des paysages simples, aboutissent à une émancipation inouïe de l’enluminure. Chez les Limbourg, des artistes pouvaient donc trouver le nécessaire pour orner un livre d’heures habituel, ainsi que des alternatives étonnantes, comme celles des deux versions du calendrier et de l’office de la Vierge : l’une, relativement banale, dans les Belles Heures, l’autre, beaucoup plus sophistiquée, dans les Très Riches Heures. Les Belles Heures proposaient aussi des épisodes rares qui n’étaient presque jamais demandés pour des livres courants.

Les emprunts des images de la première campagne des Belles Heures

plutôt que des copies directes ou des copies de copies précédentes. De l’image très ambitieuse de La Cour céleste (fol. 218), on connaît au moins quatre versions différentes. L’une se trouve dans un exemplaire de La Légende dorée, daté de 1404 (voir cat. 15), enluminé par le Maître du Virgile, qui avait déjà commencé à exercer son art dans les années 1390. Tandis que Meiss (1974) était encore convaincu que ce frontispice avait été exécuté après la miniature des Belles Heures, vers 1407, François Avril (dans Paris 2004a) a émis l’hypothèse selon laquelle les deux images dérivaient d’une source commune. Cette source me semble avoir été plutôt un dessin pour un objet d’orfèvrerie du type des grands joyaux qu’un patron pour l’enluminure ; une des répliques dans les Heures Spitz montre l’apparition de Dieu en camaïeu d’or 16, argument supplémentaire en faveur de cette hypothèse.

Les sources des emprunts

On comprend tout de suite pourquoi, pour les sujets habituels, les rares emprunts aux miniatures exceptionnelles des Très Riches Heures ont été en principe liés à la connaissance du manuscrit luimême : vers 1485, dans le cercle de Jean Colombe qui devait terminer le volume pour Charles de Savoie ; aux alentours de 1515, quand le manuscrit se trouvait chez Marguerite d’Autriche à Malines et servait de modèle au calendrier et à La Crucifixion du Bréviaire Grimani 11. Ce même calendrier a profité aux Heures de Dunois, dont un successeur du Maître de Bedford, qui a certainement aussi feuilleté les cahiers encore non reliés, tire son nom 12. On peut observer une tout autre situation dans les Belles Heures : pour la plupart des auteurs, surtout pour Meiss, le manuscrit aurait été la source d’innombrables emprunts 13. Quelques ouvrages sont des livres d’heures communs, enluminés par des artistes qui n’ont pas compris grand-chose au véritable art des Limbourg, surtout le ms. Widener 5 de Philadelphie et les Heures Friel, en mains privées 14. Un troisième manuscrit, le Morgan 865, à New York, d’origine ou au moins de destination bretonne, peut même servir à nous donner une idée de la seule miniature arrachée des Belles Heures, celle du saint Jean à Patmos, manquante après le folio 21 15.

La Cour céleste chez des peintres de générations différentes Il est peut-être temps de mieux comprendre ce qui s’est passé en examinant d’autres œuvres

La Cour céleste n’est pas la seule miniature des Heures Spitz qui me semble fidèle aux dessins préparatoires qui servirent également de modèles aux Belles Heures. Une version de la visite de l’impératrice à sainte Catherine soignée par les anges (fol. 17v des Belles Heures et fol. 45v des Heures Spitz) est iso- fig. 117 lée dans les Heures Spitz, et correspond à elle seule au récit narré par une série dans les Belles Heures (fol. 15-20) : l’empereur observe la visite, caché à gauche derrière le garde de la prison ; il condamnera sa femme, convertie par la sainte, au martyre (fol. 18 des Belles Heures), avant même la décollation de Catherine (fol. 19v). La comparaison des deux miniatures révèle une importante faiblesse des frères de Limbourg : l’inversion dans les Belles Heures ne gâche pas seulement le récit de cette scène ; elle domine le cycle de sainte Catherine et se retrouve aussi dans quelques scènes de la vie de saint Jérôme (fol. 184v185) où le début d’un épisode est représenté à droite, alors que sa suite ou ses conséquences semblent le précéder, à gauche de la composition. Le Maître des Heures Spitz eut recours à des dessins préparatoires. Seule l’existence de tels dessins pour chacune des miniatures des Belles Heures peut expliquer qu’on y trouve très rarement des repentirs, même à l’aide des nouvelles techniques d’analyse 17. Les différences entre préparation et exécution se limitent à de petits motifs, comme la couronne d’épines au folio 141v, qu’on a voulu, de manière un peu aberrante, déposer à terre pendant la mise en Croix avant de la replacer sur la tête du

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15. Maître du Virgile Actif à Paris entre les années 1390 et les années 1420 La Cour céleste (fol. 1) Dans Jacques de Voragine, La Légende dorée Traduction de Jean de Vignay, Paris, 1404 Encre et détrempe sur parchemin H. 35 ; L. 27,5 Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, Fr. 414 PROVENANCE Destinataire inconnu ; Louis de Bruges, seigneur de La Gruuthuse (1427-1492) ; acquis par Louis XII

BIBLIOGRAPHIE Van Praet 1831 ; Delisle 1868, I, p. 143 ; Porcher 1953, p. 8-11 et fig. 1 ; Meiss 1974, p. 408 et passim ; Avril, dans Paris 2004a, no 187 ; Guérinel-Rau 2007, p. 105-108, fig. 110-123

EXPOSITION Paris 2004a, no 187, p. 299-300

deux rangées de part et d’autre du médaillon de la Vierge. Ils ne correspondent ni au texte de La Légende dorée ni à une prière d’un livre d’heures. Le frontispice servirait alors non seulement aux textes de tous les saints, mais aussi, par l’importance inouïe de la Vierge, aux prières à la Vierge. En effet, dans les Belles Heures, l’image introduit la messe votive de Toussaint, alors que dans les Grandes Heures de Rohan, en une reprise plus tardive et peu élégante, elle illustre la prière mariale Obsecro te 1. Utilisant la même iconographie, ces trois représentations de la Cour céleste se distinguent par leurs proportions : dans La Légende dorée, l’image carrée dans un large cadre est typique des alentours de 1400, alors que les éléments sont superposés dans un cadre resserré dans les Belles Heures, étagement encore plus marqué, voire exagéré, dans les Grandes Heures de Rohan. L’aspect particulièrement heureux dans les Belles Heures est dû à l’étroitesse de la miniature, qui est soulignée par la séparation des saintes (en bas) et des saints (en haut). Ce trait ne correspond pas du tout au caractère général du manuscrit : au lieu de s’insérer dans le cadre qui entoure les autres enluminures des Belles Heures, La Cour céleste est la seule grande miniature couronnée par un arc en demi-cercle. Cette disposition est encore peu commune vers 1408 dans l’enluminure parisienne et on la retrouvera plus tard chez les Maîtres de la Mazarine et de Bedford. La tendance composite de l’image fait penser aux grands joyaux, ces chefs-d’œuvre de l’orfèvrerie parisienne contemporaine, dont plusieurs médaillons comparables, aux images de Dieu et de la Vierge, sont conservés. Le format étroit s’achevant en arc de cercle est, de plus, caractéristique des grands joyaux du Louvre, de Londres et d’Altötting. Ainsi, un dessin préparatoire, perdu, pour un tel grand joyau, également perdu, pourrait bien avoir été à l’origine de la composition.

Ce manuscrit présente des enluminures de deux techniques différentes. Contrairement à ce que l’on observe dans le frontispice, les petites miniatures se bornent à un camaïeu de couleurs réduites. Millard Meiss (1974) y voyait la main de deux enlumineurs travaillant dans un même atelier : le Maître du Virgile pour le frontispice, le Maître des Médaillons pour le reste. Cette distinction fut contestée en 2004 par François Avril. Le colophon date le texte du 13 septembre 1404, ce manuscrit est donc le plus ancien à comporter une version de La Cour céleste telle qu’on la rencontre dans les Belles Heures (fol. 218). La question de la datation des deux enluminures est liée à la qualité de celle des Belles Heures. Le frontispice de La Légende dorée, datée de l’année où les frères de Limbourg passèrent du service de Philippe le Hardi à celui du duc de Berry, d’un format plus important, fut seulement accepté comme première version de cette image par Jean Porcher en 1953. Son attribution au jeune Paul de Limbourg fut réfutée par Meiss (1974), qui y voyait une miniature déjà inspirée par les Belles Heures ; cette hypothèse le forçait à dater le frontispice seulement vers 1407. De son côté, Avril (dans Paris 2004a) proposa une source commune pour les deux enluminures. La composition est unique parmi les frontispices de La Légende dorée : le disque d’or du soleil, coupé par l’encadrement, est surplombé des médaillons superposés dans lesquels apparaissent, en demifigure, la Vierge à l’Enfant et Dieu le Père. La colombe du Saint-Esprit les relie pour former l’axe central de la Trinité, que vénère l’assemblée de tous les saints. Des éléments iconographiques peu communs ont été introduits par l’artiste : le couronnement de Dieu le Père par deux anges, les deux saint Jean qui le flanquent, la disposition d’innombrables saints (guidés par les princes des Apôtres, Paul et Pierre) en 414


La manière avec laquelle cette idée fut rendue par les frères de Limbourg serait alors un témoignage du fait qu’ils étaient toujours proches des orfèvres après leur premier apprentissage auprès de l’un de ces maîtres. Dans une quatrième version de cette image, une miniature des Heures Spitz du J. Paul Getty Museum de Los Angeles, parente de celle des Belles

Heures par ses proportions et par sa forme cintrée, le lien avec l’orfèvrerie est mis encore plus clairement en évidence par le fait que l’apparition de Dieu couronnée par les anges est traitée en camaïeu d’or. EK 1. Paris, Bibliothèque nationale de France, Lat. 9471, fol. 29v. 415


À propos de quelques œuvres graphiques des collections du Louvre Hélène Grollemund

Si l’activité des frères de Limbourg en tant qu’enlumineurs de manuscrits a été depuis longtemps étudiée, attester leur main parmi les dessins français ou franco-néerlandais des collections publiques et particulières est chose délicate : le frontispice de la Bible moralisée, généralement considéré comme œuvre du Maître de Saint Jérôme, était donné autrefois à l’un des Limbourg, et la critique récente est revenue sur cette attribution 1. Discerner la main d’un artiste est d’autant plus complexe que le nombre de feuilles françaises de la fin du xive et du début du xve siècle est restreint. Que l’on en juge : l’exposition de 1904 sur les primitifs français présentait treize œuvres graphiques (sans compter les miniatures) des xive et xve siècles, dont neuf étaient alors conservées au Cabinet des dessins : Le Parement de Narbonne 2, le grand dessin associant les scènes de la Dormition, de l’Assomption et du Couronnement de la Vierge 3, un portrait d’homme de Fouquet aujourd’hui attribué à Jan van Eyck 4, deux petits patrons 5, et quatre apôtres qui, depuis, ont été rendus à Michelino da Besozzo 6. Les expositions et études suivantes ont peu ajouté à ce maigre corpus, qui reste toujours discuté 7. Ainsi, La Dormition, l’Assomption et le Couronfig. 122 nement de la Vierge 8 : tenue dans un premier temps pour italienne cette œuvre, depuis Paul Durrieu, a été revendiquée comme un exemple de l’art français de la fin du xive ou du début du xve siècle. La tentative de cet historien de l’art pour y reconnaître la main d’André Beauneveu s’est rapidement heurtée à la critique, qui préféra y voir celle d’un artiste français œuvrant dans l’entourage du duc de Berry 9. Encore récemment 10, on a proposé de donner la feuille à un dessinateur italien, reprenant en cela les parentés souvent citées avec l’Italie du Nord et l’historique du dessin, entré au Louvre en 1806 avec la collection de l’historien d’art florentin Filippo Baldinucci 11. Quelques motifs paraissent plutôt la rattacher au milieu français et pourraient concourir à alimenter la réflexion sur sa paternité. Le Couronnement de la Vierge par la Trinité est un motif qui semble apparaître peu avant 1400 ; Marie y est alors agenouillée de face, entre Dieu le Père et le Christ et en présence de la colombe du Saint-Esprit 12. Dans le dessin du Louvre, en revanche, la Vierge est vue de trois quarts,

Fig. 123 Maître de Bedford Bréviaire à l’usage de Paris, vers 1414 La Mort, l’Assomption et le Couronnement de la Vierge (fol. 282v) Encre et détrempe sur parchemin, 28 × 20 cm Châteauroux, bibliothèque municipale, ms. 2

Fig. 124 Pseudo-Jacquemart Lectionnaire de la Sainte-Chapelle, vers 1410 Le Couronnement de la Vierge par la Trinité (fol. 1v, détail) Encre et détrempe sur parchemin, 50 × 35 cm Bourges, bibliothèque municipale, ms. 34

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Jean II, le Bon (1319-1364, roi en 1350) Marié en 1332 à Bonne de Luxembourg (1315-1349) Marié en 1350 à Jeanne d’Auvergne (1326-1361)

Jean, duc de Berry

Charles V le Sage

Louis Ier, duc d’Anjou

(1338-1380, roi en 1364)

(1339-1384)

(1340-1416)

Marié en 1350 avec Jeanne de Bourbon (1338-1378)

Marié en 1360 à Marie de Blois (1345-1404)

Marié en 1360 à Jeanne d’Armagnac (morte en 1388) Marié en 1389 à Jeanne de Boulogne (1378-1422)

Louis II, duc d’Anjou (1377-1417) Marié en 1400 à Yolande d’Aragon (1380/1384-1442/1443)

Marie d’Anjou

René d’Anjou

(1404-1463)

(1409-1480)

Charles VI

Louis d’Orléans

(1368-1422, roi en 1380)

(1372-1407)

(1367-1435)

Marié en 1385 à Isabeau de Bavière (1371-1435)

Marié en 1389 à Valentine Visconti (1370-1408)

Mariée en 1393 à Bernard VII, comte d’Armagnac (mort en 1418)

Charles d’Orléans

Bonne d’Armagnac

Bonne de Berry

(1394-1465)

(née en 1399)

Marié en 1410 à Bonne d’Armagnac (née en 1399)

Mariée en 1410 à Charles, duc d’Orléans (1394-1465)

Jean, duc de Touraine

Charles VII

(1398-1417)

(1403-1461, roi en 1422) Marié en 1422 à Marie d’Anjou (1404-1463)

Louis, duc de Guyenne

Catherine de Valois

(1397-1415)

(1401-1437)

Marié en 1404 à Marguerite de Bourgogne (1393-1441)

Mariée en 1420 à Henri V d’Angleterre (1387-1422, roi en 1413)

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Philippe le Hardi, duc de Bourgogne

Jeanne

Marie

(1342-1404)

(1343-1373)

(1344-1404)

Isabelle de France (1348-1372) Mariée en 1360 à Gian Galeazzo Visconti (1351-1402)

Marié en 1368 à Marguerite de Flandre (1350-1405)

Jean sans Peur, duc de Bourgogne

Marguerite de Bourgogne

Valentine Visconti

(1371-1419)

(1374-1441)

(1370-1408)

Charles de Berry

Marie de Berry

Jean de Berry

(1371-vers 1382)

(1375/1376-1434)

(vers 1376 ?-1397)

Mariée en 1401 à Jean de Bourbon (1380/1381-1434)

Arbre généalogique de Jean de France, duc de Berry Arbre généalogique simplifié des membres de la famille de Jean de France incluant des personnalités citées dans les textes Wendy A. Stein

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