LES NA DE LIJIAZUI (extrait)

Page 1



PASCALE-MARIE MILAN

LES NA DE LIJIAZUI


02

Une grand-mère na en train de filer du chanvre, 2013.


03

PASCALE-MARIE MILAN

LES NA DE LIJIAZUI


04


Table des matières

06 Avertissement 08 Préface 12 Avant-propos 16 Introduction

24 CHAPITRE I Djiname hing : les gens de la montagne, éléments géographiques 26 Des Mosuo, des Naxi et des Na : Traces historiques et géographiques du groupe 28 Cartes 34 « Nabuhra est mon oncle » 35 Moines, caravaniers, tusi et brigands, allégeances et influences culturelles chez les Na 39 Le village du milieu, peuplement, maisonnée et persistance

44 CHAPITRE II Pluralité, continuité et variation du groupe 46 Un carrefour ethnique 50 Une organisation sociale singulière 56 Hrgala, visiter les femmes la nuit venue 60 Entraide et échange, les méandres du politique 69 Vénérer les ancêtres, prier la montagne et appeler gala

74 CHAPITRE III Le sacré et le lien social 77 Des rites pour des maux : protéger, soigner et accompagner 78 Relation entre les Na et leur milieu naturel 79 Le mukebu 86 Penser le féminin 94 Enterrer l’habit, porter la jupe, partir au pays des ancêtres

102 CHAPITRE IV Leguo yo, djatcuo yo : politique et poétique des chants et des danses 104 Enjeux sociopolitiques de la danse 118 De la fête à l’ivresse, préludes à la visite nocturne

124 CHAPITRE V Changement et constance : approches économico-politiques du village en mouvement 126 « Les garçons et les filles sont partis travailler à la ville ». Nouveau rapport à l’économie 130 Nouvelles modalités de l’intimité 134 Un espace social en mouvement

142 Glossaire 150 Bibliographie 156 Remerciements

05


06

Deux cousines maternelles. Chez les Na, cousins et cousines se nomment frères et sĹ“urs entre eux (soeurs : amu gumi). 2012.


Avertissement

La langue et sa transcription Le lecteur trouvera dans cet ouvrage des termes chinois et des termes en langue na (najua). Ces termes seront indiqués en italique, sauf lorsqu’il s’agit de noms propres. Les termes chinois seront transcrits dans un style romanisé officiel appelé pinyin. Dans ce système, le « h » est un son très guttural proche du « r » français, et le « r » se prononce comme un « j ». Ces termes seront suivis, la plupart du temps, par des idéogrammes chinois. Quant au najua, il s’agit d’une langue sino-tibétaine tonale pour laquelle il n’existe pas d’écriture. Il est donc difficile de la retranscrire. Plusieurs chercheurs se sont cependant prêtés au jeu. On peut en premier lieu évoquer le système de transcription proposé par Cai Hua, plus ou moins facile à lire pour les lecteurs français. Le linguiste Alexis Michaud a également effectué des travaux qui retranscrivent la langue selon un système phonologique complexe à maîtriser pour un lecteur non averti. Dans le cadre de ma démarche ethnographique, mes interlocuteurs ont souvent évoqué les problèmes liés à la prononciation de leur langue. Ils me racontaient que les Chinois et les locuteurs de langue anglaise n’y parvenaient pas correctement. Ils ont été d’autant plus surpris, tout au long de mon enquête, de ma faculté à prononcer les sons de cette langue. Dans les quelques chansons françaises que j’ai interprétées à leur demande, certains ont même cru reconnaître des similarités. Pour certains Na, le français est ainsi devenu au fil de l’enquête une langue comparable au najua. J’ai donc choisi de retranscrire ici les termes na selon un système qui m’est propre afin de faciliter la tâche aux locuteurs de langue française. Ainsi, sur le terrain, j’ai noté les termes employés à

partir d’une transcription phonétique utilisant les sons des lettres de l’alphabet français. Toutes les lettres se prononcent à l’exception du « h », qui est utilisé pour mettre l’emphase sur un son plus nasillard. Le « u » est généralement prononcé « ou », mais reste très proche du son « u » en français. Lorsqu’il s’agit d’un « ou » qui n’a pas tendance à tirer vers le « u », j’ai choisi d’utiliser le phonème « ou » en français. Si le « u » est précédé d’un « g », il doit être prononcé « ju ». Parfois des lettres sont placées entre parenthèses. Il s’agit dans ce cas d’un son très peu prononcé – voire pas du tout – mais qui met l’emphase sur la durée prolongée du phonème. J’espère que ces indications aideront le lecteur à ressentir toute la force poétique de cette langue.

07


08

Une habitante de Lijiazui pendant la saison des pluies, 2012.


09

PrĂŠface


10


Préface

Si le matriarcat est un mythe, les sociétés matrilinéaires et matrilocales – au sein desquelles le principe de descendance et de résidence passe par les femmes – existent dans différentes régions du monde. En Chine du sud-ouest, les Na (Naze, ou Mo-so, Mosuo) en sont un cas assez exemplaire, dont la notoriété est désormais bien établie internationalement. Cela leur a valu d’être visités par un grand nombre d’ethnographes et, depuis plus d’une décennie, par des vagues déferlantes de touristes chinois ou étrangers en quête d’exotisme. Au cœur d’une région montagneuse réputée pour sa diversité ethnique et culturelle, au carrefour des provinces du Yunnan et du Sichuan et de la région autonome du Tibet, les Na figurent au palmarès des groupes qui, dans notre monde globalisé, continuent à affirmer leur différence – qui a désormais acquis une valeur marchande. En effet, l’une des particularités de ce peuple est l’existence de maisonnées perpétuées par des femmes qui ne partagent pas leur résidence avec le(s) père(s) de leurs enfants ; les partenaires se rendent ainsi visite, sans pour autant cohabiter. Un tel principe de vie semble pouvoir remettre en cause notre conception de la famille et de l’universalité du mariage, tout comme il est susceptible d’alimenter bien des fantasmes sur la liberté sexuelle. Un certain sensationnalisme (journalistique ou anthropologique) cherche à faire des Na soit un reliquat d’un matriarcat illusoire, soit une société unique au monde ou ni pères ni maris n’existeraient. Le tableau doit cependant être nuancé. Divers modes d’organisation familiale coexistent, et c’est cette variabilité qui est également intéressante et demande à être expliquée. Les Na ne sont d’ailleurs pas un cas unique de société où la matrilinéarité est associée à un mode de visite entre partenaires sans résidence partagée. Ne serait-ce que dans cette région montagneuse de la bordure orientale du

plateau tibétain où les Na voisinent d’autres peuples en partie « tibétanisés », des cas similaires ont fait l’objet de descriptions ethnographiques, mais seulement en langue chinoise. Pour comprendre les spécificités de cette organisation familiale particulière, il importe donc de l’articuler à la variété des pratiques internes à la société na, mais aussi à la diversité des principes de parenté présents régionalement. Pour ce faire, l’important est de restituer la parole des intéressés et de ne pas s’arrêter à la surface de choses. Seules de longues enquêtes de terrain, le partage de l’intimité d’une famille, peuvent permettre d’accéder à une meilleure compréhension. C’est ce dont le présent ouvrage témoigne. Tout en discutant les acquis et les limites des ethnographies existantes, et en prenant en compte le contexte contemporain bouleversé par le tourisme de masse, Pascale-Marie Milan livre les résultats d’une expérience directe durant laquelle elle a surmonté l’obstacle de la langue. Elle nous fait ainsi découvrir, au fil de ces pages richement illustrées, d’autres pans moins connus de la vie sociale et spirituelle des Na. Et partant, elle les replace dans les forces du changement qui transforment la Chine jusque dans les zones les plus rurales, et témoigne des interrogations qui habitent la jeune génération.

Stéphane Gros Anthropologue, chargé de recherches au Centre national de la recherche scientifique (Centre d’études himalayennes)

11


12

Erchema, 2013.


13

Avant-propos


14

Pascale-Marie Milan est une ethnologue rigoureuse. Elle s’attache aux détails et, comme le prouve cette monographie consacrée aux Na de Lijiazui – village non étudié de manière systématique –, participe avec tout autant de sérieux à la vie des personnes qu’elle décrit. Ayant accès aux moments de leur quotidien, à leur signification et à leur interprétation, elle réunit la proximité et le recul nécessaires à son étude. Dans les deux premiers chapitres, l’auteur fait un bref mais utile résumé de l’état de nos connaissances sur les Na, et rappelle les débats en cours sur leurs origines et sur leurs relations avec les autres groupes ethniques. Étant donné l’intérêt que je porte personnellement aux questions de parenté et de genre, et à ce que les anthropologues évolutionnistes appellent « l’altruisme » (c’est-à-dire des actes qui coûtent au donneur et sont utiles à leur destinataire), le chapitre III a particulièrement retenu mon attention. Les descriptions que donne l’auteur de la nature de l’échange dans le travail domestique – auquel elle a participé – confirment par exemple l’importance de la réciprocité dans la coopération humaine. En tant qu’anthropologue avant tout quantitative, je suis très intéressée par la possibilité d’étudier en détail ces échanges de travail afin de voir quels autres facteurs pourraient intervenir. Les Na dispensent-ils leur aide sur la base d’une stricte réciprocité, ou d’autres éléments de la relation – le degré de parenté par exemple – jouent-ils également un rôle ? Indépendamment de toute perspective théorique, l’échange est un domaine où la recherche empirique chez les Na est restée limitée, et l’attention que porte l’auteur à la réciprocité – par opposition au strict altruisme (bien qu’elle n’emploie pas le terme) – nous

permet de mieux connaître et comprendre l’ethnographie des activités quotidiennes des Na. Les descriptions des échanges suivent ici un schéma général, passant du récit ou de l’anecdote à des spéculations à caractère plus global. De mon point de vue d’anthropologue scientifique, ce schéma permet de générer des hypothèses et constitue l’un des points forts de ce livre et de son auteur en sa qualité de chercheur. En rendant possible la formulation d’hypothèses à partir d’anecdotes, les descriptions forment un matériau de base qui incite à approfondir la réflexion sur les causes et les fonctions du comportement des Na. Cette démarche permet à son tour de dépasser les descriptions ethnographiques d’une société particulière pour s’orienter vers une meilleure compréhension de ce qu’elle a d’unique ou de commun avec d’autres populations, voisines ou lointaines. Contrairement à beaucoup d’autres auteurs, Pascale-Marie fait la part entre la « promiscuité » et la stabilité dans les relations sexuelles, par exemple. De même, elle présente les pratiques religieuses selon les méthodes traditionnelles rigoureuses, tout en décrivant aussi la place qu’elles occupent aujourd’hui dans un système contemporain où se mêlent de multiples croyances. Les spécialistes, quelle que soit leur tendance, trouveront, à n’en pas douter, ce livre utile, qui pose de nouvelles questions méritant d’être approfondies selon différentes perspectives théoriques et méthodologiques. C’est donc avec un extrême plaisir que je salue ce travail chez les Na de Lijiazui. En vivant dans ce village reculé du territoire na, Pascale-Marie confirme des faits établis et enrichit les débats actuels sur la signification du genre et de la sexualité dans des contextes contemporains.


Avant-propos

Son expérience personnelle, associée à l’authenticité des interprétations de ses informateurs, offre une vue nuancée des Na, de leur histoire, de leurs mœurs et des changements récents qui les affectent.

Siobhán M. Mattison PhD, professeure adjointe en anthropologie évolutionniste à l’université du Nouveau-Mexique

15


16

Une dabu devant la porte d’entrée de la pièce principale (awo zhimi), 2012.


17

Introduction


18

Introduction Environ 30 000 Na vivent encore aujourd’hui dans la région du lac Lugu, au sud-ouest de la Chine, sur les contreforts de l’Himalaya. Jusqu’au début du XXe siècle, cette zone montagneuse située à la frontière du Sichuan et du Yunnan échappait encore largement au contrôle de l’État chinois. Missionnaires, mandarins et explorateurs avaient pourtant arpenté les sentiers des caravanes de la région, mais sans toutefois se rendre dans les endroits les plus reculés. Dans le passé, ces lieux inaccessibles étaient habités par des montagnards qualifiés de « barbares crus » (shengfan). Selon la théorie évolutionniste, ils étaient alors considérés comme moins civilisés que les « barbares cuits » (shufan), et encore moins que les Han. Plus tard, en 1954, le projet de Classification ethnique (minzu shibie) partagea les groupes minoritaires de Chine en différents minzu1. Les Na furent considérés comme une branche du groupe ethnique naxi, leurs voisins des plaines du nord du Yunnan. Ce n’est que dans les années 1980 qu’ils obtinrent la possibilité de se différencier des Naxi en portant l’exonyme chinois de Mosuo. D’une adaptation remarquable, les Na, à la suite d’une migration historique incertaine, se mêlèrent aux populations locales des marches sino-tibétaines2. Cet ouvrage, qui a bénéficié du financement de la Fondation culturelle Musée Barbier-Mueller avec le soutien de Vacheron Constantin, est le fruit de multiples enquêtes de terrain menées dans un village isolé de cette région. Il n’aurait pu être réalisé sans l’aide précieuse des nombreux Na que j’ai croisés au cours de mes enquêtes et qui ont partagé avec moi leurs connaissances, leurs histoires et leurs témoignages. Dès 2007, année durant laquelle je me suis rendue pour la première fois dans la région du lac Lugu, j’ai

eu la chance de pouvoir partager le quotidien des habitants. À chacun de mes voyages, j’ai ainsi été accueillie par des familles et j’ai pu vivre au sein même de leur foyer. L’hospitalité sans réserve des Na et la manière dont ils m’ont intégrée dans leurs activités quotidiennes, qu’elles soient religieuses, agricoles, économiques ou domestiques, m’ont permis de mieux appréhender leur société et d’acquérir une certaine compréhension de leur culture et de leur système de parenté. Cette immersion et les relations privilégiées que j’ai ainsi nouées ont sans conteste enrichi mon enquête. L’attitude bienveillante des Na et leur sympathie à mon égard m’ont été d’une grande aide, et je tiens ici à les en remercier. Pour effectuer ce travail de terrain, il m’a fallu apprendre la langue chinoise et, surtout, la langue na (najua). Il me faut d’ailleurs souligner que, tout au long de cette enquête ethnographique, tous mes interlocuteurs ont tenu à m’enseigner quelques mots de cette langue sans écriture. Cet apprentissage n’a pas été facile. Non seulement parce que les sources écrites traitant de la grammaire na ou proposant un glossaire sont très récentes3, mais aussi parce que les Na, qui ont été victimes de nombreuses images infériorisantes, se méfient aujourd’hui des gens de l’extérieur. Cette digression est d’importance, car le najua est une langue orale, parlée uniquement par les membres de la société na. Elle représente une forme de résistance – c’est-à-dire un système infrapolitique qui leur permet de garder ce que l’on pourrait qualifier de jardin secret, inaccessible aux non-Na. Cela leur permet aussi d’exprimer l’animosité qu’ils éprouvent parfois à l’égard d’une culture dominante de plus en plus pressante. Ma rencontre avec le linguiste Alexis Michaud, dont le fin travail mené à Yongning


Introduction

entre 2006 et 2008 témoigne de la richesse de la langue na, a été décisive pour la continuité de cet apprentissage4. Bien entendu, au début, mon niveau de chinois scolaire et de najua n’était pas concluant. C’est en m’immergeant dans cette région du lac Lugu que j’ai pu me familiariser avec la langue, notamment grâce aux enfants, qui ont été mes premiers professeurs. Au bout d’un temps, j’ai enfin pu m’exprimer suffisamment bien en na pour provoquer l’étonnement de mes interlocuteurs. Mais très vite, comme me l’avait indiqué Alexis Michaud, j’ai dû redoubler d’efforts car cette langue idioglossique5 n’est pas parlée de la même manière dans tous les villages na, et varie en diphtongue selon les mots utilisés6. J’ai acquis mes premières connaissances de la culture na près du lac Lugu. Cet apprentissage a constitué un atout majeur lorsque j’ai décidé, en juin 2012, de me rendre pour la première fois à Lijiazui, un village enclavé dans les monts Liangshan. Pour beaucoup de villageois, voir arriver une femme occidentale à la peau blanche, maîtrisant le chinois et quelques rudiments de la langue na, a indéniablement été source de curiosité. Cela m’a permis d’attirer la sympathie des habitants et bon nombre d’entre eux, en particulier les vieilles femmes, tenaient à m’inviter chez eux pour converser. Ces interactions directes avec la population ont facilité mon enquête. J’ai pu, en effet, avoir accès à des dimensions plus personnelles de la vie sociale des Na. La complexité de cette réalité sociale m’est ainsi apparue, m’incitant de facto à mener un travail ethnographique rigoureux, prenant en compte les faits comme les commentaires qui les accompagnent, les détails et les contextes. J’ai eu ainsi à cœur de rendre compte, comme le souligne Alban Bensa, « non pas de ce que les individus sont et des causes à jamais mystérieuses

de leur altérité collective, mais de ce qu’ils font en tant que sujets singuliers et des raisons de leurs actes au sein d’un espace social déterminé 7 ». Cette rigueur me semblait d’autant plus importante que les données existantes sur les Na me paraissaient caricaturer la réalité complexe de cette société. Dans la majeure partie des documents chinois, cette société a longtemps été dépeinte comme matriarcale8, une société « fossile vivante » (huo huashi) qui remplissait, selon la vulgate, une case du système historique hérité d’Engels9. Cette conception, reflet de l’influence de l’évolutionnisme social sur une anthropologie chinoise encore jeune, déformait la réalité en se basant sur le fait que l’organisation sociale des Na est matrilinéaire et que leur pratique sociale particulière prévoit la visite des hommes chez les femmes la nuit venue. Cette coutume, appelée séssé, a institutionnalisé les visites comme mode de relation, par opposition au mariage. L’anthropologie occidentale a alors classifié la société comme matrilocale, natalocale ou encore duolocale avec filiation par matrilignée10. L’organisation est en effet ainsi faite que les enfants appartiennent au sizi11 de la mère, c’est-àdire qu’ils partagent avec elle « le même os12 ». Le géniteur n’est pas considéré comme le père biologique mais comme – selon l’expression vernaculaire – « le donneur de pluie qui permet à l’herbe de pousser ». La focalisation des anthropologues sur ce point précis, qui serait lié à un principe ontologique invariable, a contribué à entériner l’image d’une société immuable, comme figée dans le temps, en prenant pour acquis la continuité certaine de cette pratique culturelle. Le qualificatif de « fossile vivant » donné par les Chinois a sans doute largement contribué à ancrer l’image d’une société qui

19


20

n’aurait pas connu de changement depuis son origine. Pourtant, l’ethnogenèse de la société na est incertaine et son organisation sociale plus complexe qu’il n’y paraît, comme en témoignent les différentes formes d’union, telles que la cohabitation ou le gutch, que Cai Hua traduit par le terme de banquet13. Il existe de nombreuses controverses quant à l’affirmation que cette société a toujours été matrilinéaire. Pour certains, les Naxi partageaient autrefois les mêmes particularités matrilinéaires que les Na avant de devenir patrilinéaires14. Pour d’autres, les Na étaient patrilinéaires à l’époque de leur migration et ne devinrent matrilinéaires qu’en s’établissant dans la région, sous la pression des chefs locaux (tusi). Cette quête de vérité concernant l’ethnogenèse du groupe semble vaine tant les groupes humains sont marqués par le mouvement, l’incertitude, le désordre15, la contradiction, la pluralité. L’intérêt anthropologique suscité par les débats qui entourent la manière d’être au monde des Na et la mise en relief de la coutume du séssé ont sans doute plus à voir avec les poncifs exotiques et pittoresques repris dans les médias sous diverses formes (documentaires, romans, essais anthropologiques, etc.). Ceux-ci ont conduit à une surreprésentation de la coutume du séssé au détriment des nombreuses autres coutumes qui forment un ensemble cohérent aux yeux des Na16. De la littérature grise et touristique à la littérature anthropologique, les qualificatifs les plus communs à leur propos sont : mystérieux (shenmi), naturel (ziran/tianran), matrilinéaire (muxi), primitif (yuánshĭ), et la coutume locale (zouhun)17. L’épopée chinoise du XVIe siècle Pérégrination vers l’ouest présente la société na comme le « pays des filles » ou le « royaume

de la femme » (Nu’er guo). Si ces qualificatifs semblent caricaturer les Na, ils ont renforcé l’imaginaire produit en retour, menant Chinois comme Occidentaux à s’extasier devant une société aussi particulière. Cette singularité est pour beaucoup dans le développement fulgurant d’un tourisme de masse attiré par tant d’exotisme. À tel point que la région est devenue une destination touristique parmi d’autres en Chine. Les paysages et les traits culturels particuliers des Na ont ainsi été abondamment mis en scène, soit par le secteur patrimonial (l’administration touristique), soit par les locaux eux-mêmes, parfois guides ou simple entrepreneurs, afin de satisfaire une demande des Chinois pour qui « voyager jusqu’au domaine des minoritaires, c’est retrouver un Soi simple et ancien18 ». Les Na subissent une forte acculturation, même si le changement social que l’on peut observer est aussi imputable à d’autres dynamiques telles que l’éducation scolaire, le travail salarié, les médias, l’exode rural, etc. Les nombreuses interactions liées à cet essor du tourisme ont amené les locaux à user de tactiques infrapolitiques afin de préserver une scène privée19. J’ai ainsi pu constater que, si les processus de résistance culturelle, d’indigénisation et de résilience parsèment le quotidien, les interactions touristiques, sporadiques mais intenses, ont engendré un certain nombre de reconfigurations des espaces sociaux et territoriaux de la région. Dans le cadre de ma recherche doctorale, je m’étais donnée pour feuille de route de visiter quelques villages na excentrés de la très médiatique région du lac Lugu. Mon but était d’y mener des recherches sur les dynamiques sociales et la mémoire locale, et aussi de recueillir divers chants, contes et mythes qui constituent la richesse de l’héritage culturel na. Cette idée


Introduction

m’était venue de la stimulante lecture de Ways of Being Ethnic in Southwest China, de Stevan Harrell, que j’avais rencontré à la fin de l’année 2011. Dans ce livre, il décrit l’identité ethnique des Nazé de Guabieka avec un souci constant de contextualisation des relations ethniques locales20. Je me suis rendue dans la région de Muli, et plus précisément du côté de Guabieka, Dapo mengguxiang et de Xiangjiaoxiang. Quelques semaines dans cette zone m’ont permis de comprendre que des changements extrêmes étaient survenus au XXe siècle. Hormis les personnes âgées, la plupart des habitants avaient oublié leur langue natale et ne parlaient plus le na. Le chef du regroupement de villages de Xiangjiaoxiang m’a confirmé qu’il y avait eu beaucoup de changements (bianhua) et que la sinisation (hanhua) avait trop affecté cette mémoire collective pour que mes recherches aient une chance d’aboutir. Ces changements sont sans doute dus aux événements historiques qui ont affecté la ville de Muli, voisine de quelques kilomètres. Cette dernière a, en effet, été prise entre différentes influences (tibétaines, mongoles et chinoises), a été engagée dans plusieurs guerres locales et régionales, et a été soumise à diverses formes de taxes21 et allégeances. Ma recherche impliquait donc de trouver un lieu beaucoup plus stable et moins soumis à ces influences. Ou du moins un lieu où celles-ci n’avaient pas altéré la vie locale par différentes pressions, au point qu’il était impossible de récolter ces matériaux qui m’apparaissaient d’une grande richesse pour la compréhension du peuple na22. Les interlocuteurs avec qui je menais des recherches au lac Lugu m’ont alors suggéré d’aller dans des villages où la culture na leur paraissait

plus « traditionnelle ». C’est ainsi qu’en mai 2012, accompagnée d’un de mes interlocuteurs na du lac Lugu, je me suis rendue pour la première fois à Lijiazui, un village enclavé dans les montagnes froides (Liangshan) du comté autonome tibétain de Muli. Durant les quatre mois que j’ai passés sur place, Lihui Chen (Lidy) m’a accompagnée. Elle m’a servi d’interprète lorsque les mots venaient à manquer ou pour me traduire les interviews menées avec les Na dont l’accent était si prononcé que je ne pouvais les comprendre entièrement. Bien sûr, cet ouvrage basé sur une expérience anthropologique singulière, se veut un travail situé, c’est-à-dire tributaire d’une position où la place qui m’a été attribuée a été négociée. Le savoir anthropologique qui en découle témoigne de la manière dont j’ai été prise dans les interactions comme du temps auquel appartient l’étude ethnographique qui à été menée. En aucun cas ce travail ne peut se prévaloir d’une exhaustivité en ce qui concerne cette complexité sociale qui fait sens pour les locaux. Dans cet ouvrage, j’ai consacré une attention particulière aux institutions comme la coutume sexuelle du séssé, avec le souci constant de montrer les différentes facettes de la vie sociale qui la soustendent. À partir de l’ethnographie menée dans ce village enclavé, documentée et analysée à la lumière d’un éventail de mythes, de chants, de rites et de narrations qui entourent la vie sociale et symbolique, j’espère avoir restitué les réalités politiques, économiques, religieuses et culturelles locales. L’intérêt particulier que j’ai porté à la coutume locale du séssé, qui régit la vie en société, ainsi qu’à l’organisation sociale singulière des Na, apporte également un éclairage sur l’ensemble de cette société. En mettant l’emphase sur les nuances découvertes dans ce village

21


22

na, je me suis attachée à montrer les formes de savoir vernaculaire et les pratiques langagières singulières. Notamment dans la forme que prennent les chants, les croyances religieuses et les rituels qui les accompagnent, afin de contribuer à la « sauvegarde » d’un héritage que les Na eux-mêmes avouent oublier. Parfois, le lecteur averti sera surpris par le passage d’un régime d’historicité à l’autre. Ou encore de l’inclusion des histoires na dans la chronologie linéaire que les annales chinoises fournissent à propos de ces derniers. Mais il me semble que leur histoire a déjà été amplement traitée, au travers de thèses plus prolixes les unes que les autres. Une enquête ethnographique doit avant tout restituer la parole aux locaux. Ce travail vise à affiner notre compréhension des éléments qui rythment la vie quotidienne na, et à enrichir la documentation fine et détaillée de cette société à laquelle des anthropologues comme Cai Hua, Chuan-Kang Shih, Suzann Knödel ou Christine Mathieu ont déjà contribué de façon significative23.


Introduction

Notes 1. Concept chinois « ayant servi, au cours du dernier siècle, à désigner des réalités aussi diverses que la race, l’ethnie, la nationalité ou la nation moderne » ; Thoraval 2002. 2. On prête souvent aux Na une migration depuis les hauts plateaux du Qinghai. Hormis les travaux d’ethnologues chinois, peu de données existent sur la question. 3. Michaud 2008, 2011 ; Lidz 2010. 4. Alexis Michaud a consigné certaines histoires orales na sur le site du Lacito dans le cadre du projet Pangloss. 5. Variation de la langue en fonction des contextes géographiques. 6. La négation peut par exemple s’exprimer « mo », « ma » ou « me », en fonction de la consonance du mot qui lui succède. 7. Bensa 2008. 8. Du 1997 ; Yan et Song 1983 ; Zhan et al. 1980. 9. Les cinq stades théorisés par Engels dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État sur la base des travaux de Lewis H. Morgan. Le monde minoritaire chinois est alors devenu un véritable conservatoire du développement social. 10. Les principaux auteurs expriment la résidence soit de manière duolocale (Hsu 1998 ; Shih 1993 ; Knödel 1998), matrilocale (Guo1996), duolocale ou natalocale (Wu et al. 2013). Charles McKhann parle quant à lui de résidence natale (McKhann 1998). La plupart des anthropologues ayant repris à leur compte ces recherches afin de théoriser les sociétés matrilinéaires parlent de matrilocalité. Dans l’absolu, les auteurs sont souvent imprécis quant à la forme de résidence. 11. Terme conceptualisé par les anthropologues comme la matrilignée. 12. Knödel 1998 ; Weng 2007. 13. L’ouvrage reviendra en détail sur ces éléments. Il est à noter que, si Cai Hua a été critiqué autant sur la forme que sur le fond pour plagiat et pour avoir mis en évidence certaines données plutôt que d’autres, son travail reste l’un des fondements des études sur les Na. 14. Voir les travaux de l’anthropologue Jackson. 15. Balandier 1988.

16. La littérature basée sur des ethnographies de première main à propos des Na s’est essentiellement focalisée sur la région du lac Lugu et sur la coutume sexuelle du séssé, en l’analysant de manière plus ou moins isolée des faits sociaux qui s’y rapportent directement ou indirectement. Pour certains ouvrages, cela a conduit à la cristallisation d’aspects de la coutume éminemment dépendants de contextes ou de circonstances familiales. 17. Zouhun veut littéralement dire « aller se marier ». En français, beaucoup de voyageurs et d’auteurs ont choisi de parler de « mariage ambulant ». Cai Hua, le premier à avoir écrit en français, a choisi de parler de « visite furtive » (1997). 18. McKhann 2001, p. 36. 19. Voir deux articles sur ces dynamiques : Milan 2013 et Milan 2012. 20. Son ouvrage et la synthèse qu’il fait des dynamiques historiques et contemporaines autour de l’identité ethnique na, malgré de très courts séjours au sein des communautés, témoignent d’une grande connaissance de la région et des enjeux liés à l’ethnicité et à l’identité des groupes minoritaires peuplant les monts Liangshan. C’est, à ce jour, le travail le plus stimulant et le plus proche des dynamiques que j’ai pu percevoir sur le terrain qu’il m’a été donné de lire. 21. Pour un panorama relativement complet de ces agitations, voir K. Wellens 2010. Des informations en anglais sont également disponibles dans le livre de J. Rock 1948. 22. Je souhaiterais toutefois y mener des recherches dans un avenir proche afin de pouvoir comparer les différentes dynamiques des peuples na de la région. 23. Bien sûr, d’autres anthropologues ont travaillé dans la région : Lamu Gatusa, Yan Ruxian, pour les principaux Chinois ; et, pour les anthropologues formés en Occident, Guo Xiaolin et Stevan Harrell (spécialiste des Yi/Nuosu, et dont la connaissance de la région l’a mené à pouvoir restituer finement les relations interethniques et identitaires auxquelles font face les Na), ainsi qu’Eileen R. Walsh, Siobhán M. Mattison et Tami Blumenfield – c’est à elles que je dois cet intérêt particulier pour l’étude du changement social à l’aune du tourisme comme sujet de thèse (je ne cite ici que les travaux les plus significatifs).

23


24

Panorama du village de Lijiazui en hiver, enclavĂŠ dans les montagnes, 2013.


25

Chapitre I Djiname hing : les gens de la montagne


26

Des Mosuo, des Naxi et des Na : traces historiques et géographiques Un jour de juin 2012, dans le bus me conduisant de Lijiang au lac Lugu, un guide touristique racontait au micro toutes sortes de « fausses vérités » sur les Na, destinées à attiser et satisfaire la demande d’exotisme des touristes venus rencontrer l’altérité chinoise. Ces dernières années, les Na ont été propulsés au centre des attentions populaires et scientifiques, au point d’être fantasmés comme représentant le dernier groupe « matriarcal ». Des milliers de Chinois se pressent chaque jour au lac Lugu pour admirer les beaux paysages d’eau et de montagne (shanshui) associés dans l’imaginaire touristique à ceux dépeints avec finesse par les poètes chinois et la tradition picturale. Stupéfaite des élucubrations du guide, je lui ai demandé en chinois : « Ni shi bu shi Mosuo ren ? » (Es-tu mosuo ?). Il m’a répondu : «Shide, wo shi Mosuoren » (Exact ! Je suis mosuo). De manière générale, les Na sont en effet connus en Chine sous le nom de Mosuo, terme générique que l’on retrouve sous d’autres orthographes (Moso, Moxie ou Mosha) dans les sources chinoises qui évoquent un groupe ethnique aux mœurs singulières1. Habituée à voir des guides se faire passer pour des locaux, j’ai commencé à lui parler en langue locale. Le chauffeur du bus s’est esclaffé et a dit au guide que je l’avais bien piégé, s’étonnant de voir que je pouvais converser en langue na. Il a continué dans cette langue : « Nia Na nié, Nia bu ama hlidi inié » (moi je suis na, ma mère vient de Yongning), « tsé Naxi nié, Naxi ! » (Il est naxi, naxi.). Il m’a alors expliqué que les Na et les Naxi avaient des origines communes et, qu’entre eux, ils se comprenaient un peu.

À partir des écrits de linguistes, de sinologues et d’historiens, ainsi que de quelques émissaires chinois amenés à voyager jusqu’aux confins de la Chine, il est possible de retracer de manière hypothétique la provenance des Na. Un certain recul sur ces textes est cependant nécessaire pour ne pas tomber dans les travers herméneutiques de l’ethnogenèse. Les travaux les plus convaincants sont le fruit de recherches ethnolinguistiques à propos du protolangage na. Les locuteurs de la langue locale parlent en effet un idiome qui appartiendrait aux sous-groupes Qiangic et Ngwi-Birman (Lolo-birman). Cela a conduit un certain nombre d’ethnolinguistes et d’anthropologues à prêter aux Na une migration depuis les hauts plateaux du Qinghai2. Les écrits que l’on retrouve dans certaines annales chinoises permettent une approche historique du groupe et de ses migrations. Cependant, toute tentative d’ethnogenèse exacte serait sans doute vaine, étant donné le florilège d’hypothèses prolixes qui s’opposent aux histoires locales. Pour de nombreux chercheurs chinois, les indications linguistiques suggèrent toutefois que les Na seraient descendants des tribus nomades Qiangzu (羌族), qui regroupent un éventail de populations hétérogènes de la famille tibéto-birmane. Si cette explication est sujette à caution puisque la linguistique ne permet en rien d’affirmer ou de reconstruire un processus historique, ils seraient cependant répertoriés sous les ethnonymes « Maoniu Yi » (牦牛 夷) (Qiang) sous la dynastie Han (206 av. J.C.-220 apr. J.-C.), ou sous le nom d’autres tribus (Zuo, Yuexi Qiang, Zuodo Yi) qui ont peuplé la région du sud du Sichuan, « Mosha Yi » (麽 沙夷) sous la dynastie Jin (265- 420 apr. J.-C.) et « Moxie Yi3 » (麽些夷) sous la dynastie des Tang (618-907 apr. J.-C.4). Ils auraient alors


Chapitre I Djiname hing : les gens de la montagne

migré, par le fleuve Dadu, dans la région située entre le fleuve Min (岷江), à l’est, et le fleuve Jinsha (金沙江), au nord – la partie haute du fleuve Yangzi (长江) – pour venir s’installer dans la région du lac Lugu (voir carte 5 p. 31). Quoi qu’il en soit, pour la plupart des chercheurs, il est certain que les Na peuplaient déjà cette zone sous la dynastie mongole des Yuan. Niyuewu, un ancêtre des Na, aurait ainsi envahi la région en 630 après J.-C.5. S’ensuivit une période où le royaume « Mo-so » fut incorporé au royaume du Sud (Nanzhao), avant que les Mongols ne conquièrent la région. L’administration centrale s’implanta ensuite dans le royaume « Moso » en 1276 à Lijiang et en 1277 à Yongning. Dans les années 1950, une enquête linguistique menée par deux chercheurs chinois, He Jiren et Jiang Zhuyi, a permis d’identifier deux régions dialectales qui correspondent historiquement à une division des Na – en deux groupes plus ou moins distincts – qui se serait opérée sous la dynastie Ming6 : les Na de Yongning, établis au nord du Yangzi dans les hautes terres difficilement accessibles de la région, et les Naxi des terres un peu plus basses et surtout plus accessibles du sud du Yangzi. Ces deux chercheurs ont développé l’idée que les Na et les Naxi constitueraient un même groupe originel ou, du moins, un groupe aux ancêtres communs. À l’entre-deux des influences tibétaines et des populations sinisées, le parler des Na de Yongning s’est différencié sensiblement de celui de leurs voisins naxi de Lijiang. La relative inaccessibilité du territoire qui, jusque dans les années 1980, n’était atteignable que par des routes caravanières de montagnes, a mené les ethnologues chinois, influencés par l’ethnologie soviétique, à créer une frontière sociale officielle entre les deux groupes. Les Naxi, qui

auraient été matrilinéaires avec une résidence duolocale, seraient devenus patrilinéaires sous l’influence chinoise, qui s’exerça de manière plus forte à Lijiang, plus facilement accessible. Les travaux de Friedrich Engels sur l’évolution historique des sociétés, qui ont repris les travaux schématiques de l’anthropologue Lewis Morgan à propos de l’évolution de l’humanité (sauvagerie, barbarie, civilisation), ont participé a construire ce phénomène comme une évolution sociale. Sous l’influence de cet auteur et du modèle politique russe à l’endroit des groupes minoritaires, l’organisation sociale na a alors été présentée sous les traits du matriarcat. Dans l’idéologie chinoise, il s’agit d’un stade de l’évolution humaine considéré comme antérieur. D’ailleurs, aujourd’hui, les Na sont couramment désignés comme une « société fossile » ou un « reliquat du passé ». Même si, d’un point de vue historique, les annales traitent des Na de Yongning ou de Lijiang indifféremment par le même appellatif chinois de « Moso » (Moxie ou Mosha), c’est l’ethnonyme « Naxi » – pourtant d’invention récente suite à la vulgarisation qu’en fit le botaniste Joseph Rock dans la première moitié du XXe siècle – qui a été préféré lors de l’identification ethnique de 1956. Les Na ont été catégorisés comme une branche du minzu7 Naxi par le gouvernement du Yunnan. Le groupe minoritaire Naxi était alors pensé, dans cet ordre social, comme le plus évolué socialement. Dès l’officialisation de cette classification ethnique, les Na ont déclaré ne pas se reconnaître dans cette assignation. La méconnaissance de l’histoire du groupe s’explique sans doute par une géographie locale difficile qui l’a longtemps tenu à l’écart du pouvoir central chinois. Caractérisée par des couloirs creusés par les grands fleuves puisant

27


28

Carte 1 Situation générale de la région étudiée.


Chapitre I Djiname hing : les gens de la montagne

29


30

Carte 2 Région historiquement habitée par les Na à la frontière du Yunnan et du Sichuan.

Carte 3 Quatre suo historiques dirigés par les Na.


Chapitre I Djiname hing : les gens de la montagne Carte 4 Tibet historique avec, à sa marge sud-est, la région na.

Carte 5 Affluents du fleuve Jinsha (partie supérieure du Yangzi) qui constituent les routes historiques de migration des Na (en particulier les rivières Dadu et Min).

31


150

Jeune garçon allant faire paître les vaches (hrgele biezé), 2013.


151

Bibliographie


152

ABU-LUGHOD, Lula, 2005, Dramas of Nationhood: The Politics of Television in Egypt. Chicago : The University of Chicago Press. ANAGNOST, Ann, 2004, « The Corporeal Politics of Quality (Suzhi) », Public Culture, 16, pp. 189208. ARIS, Michael, 1995, ’Jigs-med-glingpa’s “Discourse on India” of 1789. Tokyo : International Institute for Buddhist Studies. ARIS, Michael, BOOZ, Patrick, WAGNER, Jeffrey et SUTTON, S. B., 1992, Lamas, Princes, and Brigands: Joseph Rock’s Photographs of the Tibetan Borderlands of China. New York : China House Gallery, China Institute in America. AZIZ, Barbara Nimri, 1978, Tibetan Frontier Families. Reflections of Three Generations from Dʻing-ri. Durham, NC : Carolina Academic Press. BACOT, Jacques, 1913, Les Mo-so – Ethnographie des Mo-so, leurs religions, leur langue et leur écriture. Leide : E. J. Brill. BENSA, Alban, 2008, « De l’autre côté du mythe entretien avec Alban Bensa », Vacarme, 44, été 2008. BLUMENFIELD, Tami, 2010, Scenes from Yongning: Media Creation in China’s Na Villages. Thèse de doctorat, Seattle : University of Washington. CAI, Hua, 1997, Une société sans père ni mari : les Na de Chine. Paris : Presses universitaires de France. CASTORIADIS, Cornelius, 1975, L’institution imaginaire de la société. Paris : Le Seuil. CHIRKOVA, Katia, 2009, « Shixing, A SinoTibetan Language of South-West China: A Grammatical Sketch with Two Appended Texts », Linguistics of the Tibeto-Burman Area, vol. 32.1, pp. 1-90. CORDIER, Henri, 1908, « Les Mo-sos Mo-sié

麽些 », T’oung Pao, 9(5), pp. 663-688. DU, Yuting, 1997, « Formes de sociétés précapitalistes parmi les nationalités minoritaires du Yunnan, et la loi du développement historique », Péninsule, 35(2), pp. 23-44. DURKHEIM, Émile, 1968 [1912], Les formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie. Paris : Presses universitaires de France. DURKHEIM, Émile, 2013 [1893], De la division du travail. Paris : Presses universitaires de France. FASSIN, Didier, EIDELIMAN, Jean-Sébastien, 2012, Economies morales contemporaines. Paris : La Découverte. FRIEDMAN, Sara L., 2005, « The Intimacy of State Power, Marriage, Liberation, and Socialist Subjects in Southeastern China », American Ethnologist, Vol. 32 (2), pp. 312-327. GATUSA, Lamu, 29/30 septembre-1/2 octobre 2005, « Matriarchal Marriage Patterns of the Mosuo People of China », Societies of Peace, 2nd World Congress on Matriarchal Studies, San Marcos and Austin: http://www.secondcongress-matriarchal-studies.com/gatusa.html. GIERSCH, C. Patterson, 2010, « Across Zomia with Merchants, Monks, and Musk: Process Geographies, Trade Networks, and the InnerEast–Southeast Asian Borderlands », Journal of Global History 5(02), pp. 215-239. GODELIER, Maurice, 2008, Communauté, société, culture. Paris : CNRS éd. GOODENOUGH, Ward H., 1970, Description and Comparison in Cultural Anthropology. Chicago : Aldine. GORÉ, Francis, 2012, écrits sur le Thibet (recueil d’articles), www.Chineancienne.fr. GOUGH, E. Kathleen, 1959, « The Nayars and the Definition of Marriage », The Journal of the Royal Anthropological Institute of Great Britain


Bibliographie

and Ireland, 89(1), pp. 23-34. GROS, Stéphane, 1996, « Terres de confins, terre de colonisation. Essai sur les Marches sinotibétaines du Yunnan à travers l’implantation de la mission du Tibet », Péninsule, 33(2), pp. 147210. GROS, Stéphane, 1997, « Centralisation et intégration du système égalitaire Drung sous l’influence des pouvoirs voisins (YunnanChine) », Péninsule, 35 (2), pp. 95-115. GUO, Dalie et HE, Zhiwu, 1999 [1992], Histoire du peuple naxi, Sichuan Minzu Chubanshe, Chongqing 郭大烈; 和志武: 纳西族史, 四 川民族出版社, 重庆. GUO, Xiaolin, 2008, State and Ethnicity in China’s Southwest. Leide, Boston : E. J. Brill. HAMAYON, Roberte, 2003, Chamanismes. Paris : Presses universitaires de France/Diogène. HARRELL, Stevan, 1995, Cultural Encounters on China’s Ethnic Frontiers. Seattle : University of Washington Press. HARRELL, Stevan, 2001, Ways of Being Ethnic in Southwest China. Seattle, Londres : University of Washington Press. HÉRITIER, Françoise, 2005, « Quel sens donner aux notions de couple et de mariage ? À la lumière de l’anthropologie », CNAF/ Information sociales, 122(2), pp. 6-15. HOUSEMAN, Michael, 2002, « Qu’est-ce qu’un rituel ? », L’autre. Cliniques, cultures et sociétés, 3(3), pp. 533-538. HSU, Elizabeth, 1998, « Moso and Naxi House », in Oppitz, M. et Hsu, E. (éd.), Naxi and Moso Ethnography. Kin, Rites, Pictographs. Zurich: Völkerkundemuseum. JACKSON, Anthony, 1979, Na-khi Religion: An Analytical Appraisal of Na-khi Ritual Texts. La Haye : Mouton. JACQUES, Guillaume et MICHAUD, Alexis

2011, « Approaching the Historical Phonology of Three Highly Eroded Sino-Tibetan Languages: Naxi, Na and Laze », Diachronica, 28:4, pp. 468498. KNÖDEL, Susanne, 1998, « Yongning Moso Kinship and Chinese State Power », in Oppitz, M. et Hsu, E. (éd.), Naxi and Moso Ethnography. Kin, Rites, Pictographs. Zurich : Völkerkundemuseum. LEACH, Edmund, 1972, Les Systèmes politiques des hautes terres de Birmanie. Paris : Maspero. LEVINE, Nancy E., 1981, « The Theory of Rü: Kinship, Descent and Status in a Tibetan Society », in von Fürer-Haimendorf, C. (éd.), Asian Highland Societies in Anthropological Perspective. Delhi : Sterling Publishers. LIDZ, Liberty A., 2010, A Descriptive Grammar of Yongning Na (Mosuo). Thèse de doctorat, Austin : University of Texas. MALINOWSKI, Bronislaw, 1930, La vie sexuelle des sauvages du Nord-Ouest de la Mélanésie. Paris : Payot. MALINOWSKI, Bronislaw, 1989 [1922], Les Argonautes du Pacifique Occidental. Paris : Gallimard. MATHIEU, Christine, 1998, « Moso Religious Specialists », in Oppitz, M. et Hsu, E. (éd.), Naxi and Moso ethnography. Kin, Rites, Pictographs. Zurich: Völkerkundemuseum. MATHIEU, Christine, 2003, A History and Anthropological Study of the Ancient Kingdoms of Southwest China: Naxi and Mosuo. Lewiston : Edwin Mellen Press. MATTISON, Siobhán M., 2010, « Economic Impacts of Tourism and Erosion of the Visiting System Among the Mosuo of Lugu Lake », The Asia Pacific Journal of Anthropology, 11(2), pp. 159-176. MATTISON Siobhán M., SCELZA, Brooke

153


156

Homme na de 36 ans et enfant du village devant une ĂŠchoppe de Lijiazui. 2014.


Remerciements

REMERCIEMENTS Ce livre n’aurait pu exister sans l’aide précieuse de tous les Na dont j’ai pu faire la connaissance au cours de mes enquêtes sur le terrain. Parfois, les chemins les plus inattendus nous mènent jusqu’aux rencontres les plus marquantes de notre existence. Je remercie particulièrement les deux maisonnées qui m’ont accueillie durant mes séjours dans la région et qui ont partagé avec moi bien plus que des informations. Leur hospitalité et leur sens du partage resteront à jamais gravés dans ma mémoire. J’ai beaucoup appris à leur contact et je m’attacherai à transmettre ces enseignements. Je tiens à les remercier chaleureusement ici – ils se reconnaîtront car je souhaite préserver leur anonymat, comme j’ai préservé celui de mes interlocuteurs en modifiant leurs noms lorsque je les citais dans cet ouvrage. Je souhaite également remercier tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à ce travail. Notamment Lihui Chen (Lidy), qui m’a accompagnée pendant un temps sur le terrain et qui m’a servi d’interprète lorsque je ne comprenais pas l’accent prononcé de la langue chinoise de Lijiazui ; et Emilie Porry, qui, avec son affabilité coutumière, a eu la gentillesse de partager quelques-unes de ses photos prises lorsque nous étions ensemble à Lijiazui. Emilie a su mettre des images sur les réalités vécues par les Na. Elle leur a donné la parole dans un fabuleux documentaire, Erchema par-delà les montagnes. Un grand merci aussi à Youxi Binma, qui m’a été d’une grande aide pour clarifier certains faits et éléments de langage. Je tiens également à saluer Nicolas Natalini, photographe talentueux qui m’a aidée pour mettre en valeur mes photographies. Ma reconnaissance va aussi

à Julien Gautran, Vanessa Cholez, Jenny Cholez, Timour Claquin Chambugong, Kevin Behar, Nicolas Faynot et Olivia Legrip, qui ont relu ce manuscrit à plusieurs reprises – merci les amis ! Les remarques de Lionel Obadia et de Stéphane Gros, qui ont eu la gentillesse de me relire, m’ont aussi permis de clarifier nombre de démonstrations. Même s’il me revient l’entière responsabilité de tout ce qui est écrit dans cet ouvrage, ils ont grandement contribué à l’améliorer. Les conseils et le soutien de Jean Michaud m’ont également toujours permis de maintenir le cap, je l’en remercie. Tous mes remerciements, enfin, à Laurence Mattet, AnneJoëlle Nardin et Audrey Jouany, qui font vivre cette collection de la Fondation Barbier-Mueller avec beaucoup de cœur, et Antoine Marcé pour son travail d’édition.

157


158

Publication de la

Directrice d’édition Laurence Mattet Assistante d’édition Anne-Joëlle Nardin Secrétaire de rédaction Antoine Marcé Relecture Caroline Kaspar-Nebel Audrey Jouany Conception graphique, cartes et production Helder Da Silva Photolithogravure et impression Musumeci SpA, Quart (Aosta), Italie (Union européenne)

Cet ouvrage a été achevé d’imprimer en octobre 2015. Dépôt légal : octobre 2015. ISBN 9782757210475




Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.