Cet ouvrage accompagne l’exposition Le Scalp et le Calumet. Imaginer et représenter l’Indien du XVIe siècle à nos jours présentée au musée du Nouveau-Monde et au musée des Beaux-Arts, La Rochelle, du 30 juin au 23 octobre 2017.
Commissariat général et scientifique : Annick Notter, conservatrice générale des musées d’art et d’histoire de La Rochelle Camille Faucourt, conservatrice stagiaire à l’Institut national du Patrimoine Commissariat scientifique : Agathe Cabau, docteure en histoire de l’art Peggy Davis, professeure d’histoire de l’art à l’université du Québec à Montréal
Avec le soutien d’
© Somogy éditions d’art, Paris, 2017 © musée du Nouveau-Monde, La Rochelle, 2017 © Guy Arnoux, p. 4 © Michel Blanc-Dumont, p. 74 © Paul Coze, p. 221 © Peter M. Fillerup, p. 233 © Georges Garreau, p. 238 © Just Jeackin, p. 8 © Jijé, p. 73
© Olivier Kermit, p. 191 © ADAGP, Paris, 2017 pour Jean Le Gac, p. 238 © ADAGP, Paris, 2017 pour Richard Lindner, p. 238 © ADAGP, Paris, 2017 pour Ivan Messac, p. 134, 224-225, 238 © Léon Renimel, p. 48 © Christopher Stoll, p. 82 © ADAGP, Paris, 2017 pour Andy Warhol, p. 135
Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coordination et suivi éditorial : Sarah Houssin-Dreyfuss et Lore Gauterie Conception graphique : Élise Julienne Grosberg Contribution éditoriale : Renaud Bezombes Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros ISBN 978-2-7572-1252-3 Dépôt légal : juin 2017 Imprimé en Union européenne
LE SCALP ET LE CALUMET Imaginer et représenter l’Indien en Occident du XVIe siècle à nos jours
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REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier en premier lieu les collectionneurs privés qui m’ont aidée à réaliser cette exposition, par leurs prêts, par leur savoir et leur généreuse disponibilité, en particulier Isabelle et Hervé Poulain qui ont été les premiers protagonistes, déclencheurs de cette exposition ainsi que Didier Lévêque. Ma gratitude va ensuite à Camille Faucourt qui lors de son stage professionnel a embrassé ce projet avec efficacité et clairvoyance et a largement contribué à sa réalisation. Je dois également saluer tous les auteurs qui ont accepté de soutenir ce projet et tout particulièrement Agathe Cabau et Peggy Davis dont l’aide et l’engagement ont été déterminants. Les prêteurs publics qui ont contribué à son enrichissement ont droit également à notre profonde gratitude : Angoulême, musée de la Bande dessinée et son directeur Pierre Lungheretti, Blérancourt, musée franco-américain et son directeur Emmanuel Starcky, Bordeaux, le musée Goupil et sa directrice Régine Bigorne, Châtenay-Malabry, domaine départemental de la Vallée-aux-Loups, maison de Chateaubriand et son directeur Bernard Degout, Chaumont, musée de La Crèche et sa directrice Raphaële Carreau, Dieppe, musée-château et son directeur Pierre Ickowicz, La Rochelle, archives municipales et sa directrice Sylvie Denis, La Rochelle, médiathèque Michel-Crépeau et sa directrice Anne Courcoux, Paris, Bibliothèque nationale de France et sa présidente Laurence Engel Paris, musée de la Comédie-Française, son administrateur Éric Ruf et sa responsable Agathe Sanjuan, Rouen, bibliothèque municipale et sa directrice Christelle di Pietro, Rouen, musée des Beaux-Arts et son directeur Sylvain Amic, Rouen, musée départemental des Antiquités de la Seine-Maritime et sa directrice Caroline Dorion-Peyronnet, Saint-Calais, musée-bibliothèque et sa directrice Pauline Pillet, Saint-Lô, musée des Beaux-Arts et son directeur Robert Blaizeau, Saint-Malo, musée d’Histoire et son directeur Philippe Petout, Saint-Quentin, musée Antoine Lécuyer et son directeur Hervé Cabezas Versailles, musée national du château et des Trianons et son directeur Laurent Salomé. Nous remercions vivement pour leur aide, prêts et collaboration Catherine Assous, Agnès Bertola, Stéphanie Brivois, Gisèle Caumont, Anne-Laure Charrier, Paul Couailhac, Corinne Coutanceau, Diana Cox, Geneviève Crevelier, Jean-Baptiste Duquesne, Monique Faulhaber, Annick Foucrier, Chantal Georgel, Nicolas Hatot, Françoise Hautreux, Liselle Heuzard-Hureau, Muriel Hoareau, Caroline Janvier, Larry Kaufman, Frédéric Lacaille, Nelly Lavaure, Noëlig Le Roux, Anne-Bénédicte Levollant, Antonin Macé de Lépinay, Jean-Louis Mahé, Hélène Meyer-Roudet, Catherine Millour, Michael Monnier, Jean-Jacques Perrault, Mélanie Petetin, Jean-Michel Rieupeyrout, Bénédicte Rouvière, Max Roy, Mathilde Schneider, Arlette Serullaz, Nathalie Sitko, Brigitte Tarrats, Catherine Ternaux, Emmanuelle Toulet, Romain Voisin.
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L’exposition n’aurait pu voir le jour sans la collaboration active de toute l’équipe des musées d’Art et d’Histoire et en particulier de Fabienne Jean-Danto, Violetta Giraldos, Mélanie Moreau, Henri Lamade et Yvon Robert ainsi que celle des services techniques municipaux et de Barbara Joussaume au service communication.
Guy Arnoux, Le Général Lafayette et les chefs de la confédération des six tribus, 1930.
Le musée tient enfin à exprimer sa gratitude à la Ville de La Rochelle, à Jean-François Fountaine, son maire, et à Arnaud Jaulin, maire-adjoint chargé de la Culture, ainsi qu’à Emmanuel de Fontainieu, conseiller municipal chargé des musées, pour leur soutien financier.
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AUTEURS
Mathias Auclair Conservateur des bibliothèques, Mathias Auclair est le directeur du département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France. Claire Barel-Moisan Agrégée de lettres modernes et chargée de cours à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, Claire Barel-Moisan poursuit des recherches sur les textes balzaciens et la poétique du roman au XIXe siècle. Elle est l’auteur d’un article consacré à la représentation de l’Amérindien dans les romans de Fenimore Cooper, paru en 2005, « Les Indiens de Fenimore Cooper : lecture du Dernier des Mohicans » (Romantisme). Robert Blaizeau Directeur des musées de Saint-Lo. Emily Burns Professeur assistant au sein du département d’arts et d’histoire de l’art d’Auburn University (Alabama), Emily Burns enseigne l’art européen et nord-américain du XIXe siècle et l’histoire des arts de l’Asie. Les problématiques des échanges transnationaux, des relations entre art et culture populaire et de nationalisme culturel constituent les fondamentaux de ses recherches. Son prochain ouvrage, Transnational Frontiers: The Visual Culture of the American West in the French Imagination, 1867-1914, portera ainsi sur la culture visuelle de l’Ouest américain dans l’imaginaire français. Agathe Cabau Docteur en histoire de l’art, Agathe Cabau a soutenu en 2014 sa thèse intitulée L’Iconographie amérindienne aux Salons parisiens et aux Expositions universelles françaises (1781-1914). Elle continue aujourd’hui à étudier la figure de l’Indien dans les beaux-arts français et s’intéresse tout particulièrement aux échanges artistiques transatlantiques au XIXe siècle et à leur influence sur la construction d’un imaginaire français autour des peuples autochtones d’Amérique du Nord. Raphaële Carreau Raphaële Carreau est directrice et conservatrice du musée d’Art et d’Histoire de Chaumont. Elle a été la commissaire d’une exposition dédiée à La Piste de guerre de Jules-Émile Saintin en 2013. Gisèle Caumont Chef de l’unité conservation au domaine départemental de la Vallée-aux-Loups – Maison de Chateaubriand. Mélissa Coutausse Étudiante à l’université Toulouse 2, Mélissa Coutausse consacre son mémoire de master 1 à la présence amérindienne dans les ballets baroques en France (XVIIe-XVIIIe siècle).
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Peggy Davis Professeure au département d’histoire de l’art de l’UQAM depuis 2004, Peggy Davis y enseigne l’art et la culture visuelle des XVIIIe et XIXe siècles. Les interactions entre culture visuelle et histoire (sociale, culturelle, intellectuelle, politique, coloniale), ainsi que les discours théoriques et esthétiques développés à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, étaient au cœur de sa thèse soutenue en 2003, Perception et invention du Nouveau Monde. L’américanisme étudié à travers les estampes françaises (1750-1850). Luca di Gregorio Doctorant à l’université de Liège, Luca di Gregorio prépare une thèse consacrée à l’écriture aventureuse de l’Ouest américain par les auteurs et romanciers européens, entre 1850 et 1914. Son précédent mémoire de master consistait en une étude comparative des écrits de Gustave Aimard et d’Emilio Salgari, publié en 2014 sous le titre Wilderness et Western. L’Ouest fictionnel chez Gustave Aimard et Emilio Salgari (Presses universitaires de Liège). Jean-Paul Duviols Professeur émérite de littérature et civilisation latino-américaine à Paris-IV, Jean-Paul Duviols est spécialiste de la période préhispanique et a abondamment étudié les images produites autour des premières rencontres entre Occidentaux et Amérindiens, de la Découverte jusqu’au siècle des Lumières. Il a dirigé de nombreux ouvrages sur le sujet dont Le Miroir du Nouveau Monde, Images primitives de l’Amérique, paru en 2006 (Presses universitaires de Paris Sorbonne). Camille Faucourt Conservatrice stagiaire du patrimoine, Camille Faucourt a consacré une importante part de ses recherches à l’étude du regard occidental porté sur les arts autochtones des Amériques, à travers l’examen des pratiques de collecte et de mise en exposition de ces collections. Son mémoire à paraître, À la conquête de l’Ouest. Collectes amérindiennes de la Smithsonian Institution actuellement conservées au musée du quai Branly, associe ainsi histoire des collections, histoire des sciences et histoire du goût. Éliane Foulquié Éliane Foulquié est présidente de l’association Les Amis de Rosa Bonheur créée en 2005 et qui a pour mission de promouvoir auprès du public les œuvres, la vie et les lieux de résidence et d’activité de l’artiste peintre. Elle organise et anime des conférences sur Rosa Bonheur et collabore à des expositions de peinture et sculpture animalières en remettant un prix à un artiste.
Éloïse Galliard Doctorante en histoire de l’art, Éloïse Galliard exerce actuellement les fonctions d’assistante administrative au sein du service des archives et de la documentation du musée des Arts forains. Américaniste spécialiste de l’aire géo-culturelle du Sud-Ouest, elle consacre ses recherches à l’histoire des collections et aux relations entretenues entre les Occidentaux et les peuples autochtones d’Amérique du Nord. Elle est l’auteur d’une thèse soutenue en 2014, Le Far-West dans les bagages. Voyageurs scientifiques français dans le sud-ouest des États-Unis : une histoire des collections. Florian Gredig Florian Gredig est membre de l’équipe scientifique du Nordamerika Native Museum de Zurich et commissaire de l’exposition Faszination Indianer (2012). Lionel Larré Professeur à l’université Bordeaux Montaigne (CLIMAS) en civilisation américaine, Lionel Larré étudie l’histoire de la relation entre Amérindiens et États-Unis et s’intéresse aux représentations actuelles de l’Indien dans l’imaginaire occidental. Il a notamment consacré plusieurs écrits à la question de l’Amérindien comme modèle écologique idéalisé, dont l’article « William Bartram a-t-il inventé l’Indien écologiste ? » paru en 2013 dans la revue en ligne Elohi. Didier Lévêque Didier Lévêque est diplômé de l’École des hautes études commerciales (HEC). Il est spécialiste de la culture, de l’histoire et des représentations des Indiens d’Amérique du Nord et collectionneur. Michel Manson Michel Manson est professeur émérite en histoire de l’éducation de l’université Paris Nord 13. Il est spécialiste de l’histoire des objets culturels de l’enfance et de la culture d’enfance dans la longue durée (Antiquité-XXe siècle). Il est notamment l’auteur d’un Dictionnaire du livre de jeunesse. La littérature d’enfance et de jeunesse en France paru en 2013 (Electre-Éditions). Ivan Messac Peintre et sculpteur, il a notamment appartenu au mouvement Figuration narrative dans les années 1970. Annick Notter Conservatrice générale du patrimoine, Annick Notter dirige les musées d’Art et d’Histoire de La Rochelle depuis 2008. Elle a été commissaire d’expositions consacrées aux civilisations amérindiennes des Woodlands, du Sud-Ouest et du Nord-Ouest.
Carine Peltier-Caroff Carine Peltier est responsable de l’iconothèque du musée du quai Branly – Jacques Chirac. Auteur de plusieurs articles sur l’histoire des collections photographiques et archivistiques de l’établissement, elle focalise actuellement ses recherches sur le mouvement indianiste en France et sur l’une de ses figures majeures, Paul Coze. Vivianne Perret Auteur d’ouvrages historiques et de séries policières historiques, chercheuse subventionnée par le Fonds Garlow auprès du musée Buffalo Bill Center of the West (États-Unis), elle a contribué au catalogue Exhibitions, l’invention du sauvage et au projet Lectura + avec un texte littéraire inédit, Lettre en écho à History of the Indian Tribes of North America, de Thomas McKenney (2017). Hervé Poulain Président d’honneur d’Artcurial, le commissaire-priseur Hervé Poulain s’est pris de passion pour les PeauxRouges en rassemblant des œuvres qui les représentent afin de créer, à la campagne, un environnement original et un lieu de méditation sur leur histoire et leur civilisation fracassée. Laurent Véray Historien du cinéma, Laurent Véray est professeur d’études cinématographiques et audiovisuelles à l’université Sorbonne NouvelleParis 3. Ses recherches portent sur les représentations de la Première Guerre mondiale et plus largement sur les écritures filmiques de l’histoire au cinéma. Il est l’auteur du récent ouvrage Les Images d’archives face à l’histoire. De la conservation à la création, paru en 2011 (Scérén/ CNDP). Tangi Villerbu Tangi Villerbu est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de La Rochelle, CRHIA (EA 1163). Ses recherches portent sur l’histoire catholique et l’histoire des migrations françaises au XIXe siècle dans l’Ouest américain et sur la place de cette région d’Amérique du Nord dans l’imaginaire français. Il est notamment l’auteur de La Conquête de l’Ouest : le récit français de la nation américaine au XIXe siècle paru en 2007 (Presses universitaires de Rennes) et de BD western : histoire d’un genre, paru en 2015 aux éditions Karthala.
SOMMAIRE
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Hommes rouges : une fascination sans réserve, Isabelle et Hervé Poulain
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La construction d’une image
Images du sauvage au XVIe siècle, Jean-Paul Duviols L’Indien-miroir, ou le discours primitiviste dans la représentation de l’autre, Peggy Davis L’héroïsme moral au féminin, Peggy Davis L’indien des Lumières, Annick Notter Représenter le conflit : le devenir « Peau-Rouge », Agathe Cabau L’homme préhistorique amérindien, ancêtre ou primitif ?, Agathe Cabau Images de scalp, Didier Lévêque Gustave Aimard ou l’imagerie indienne dans le roman d’aventures, Luca Di Gregorio La bande dessinée francophone et les Indiens, Tangi Villerbu Les évolutions récentes de la représentation de l'Indien, Lionel Larré 84
87 96 101 104 107 118 120 122 125 134
L’Indien dans l’art
L’Indien d’Amérique, figure d’exotisme littéraire et de pacotille, Peggy Davis Atala au Salon des Beaux-Arts, Agathe Cabau Les Indiens de Fenimore Cooper : la réception du Dernier des Mohicans en France, Claire Barel-Moisan D’un regard vrai à un rêve romantique : l’influence de Karl Bodmer, Florian Gredig Les artistes français et les Amérindiens à la fin du XIXe siècle, Emily C. Burns Émile Saintin, Raphaële Carreau Rosa Bonheur et Buffalo Bill : la rencontre, Éliane Foulquié Les artistes français voyageurs dans l'Ouest, Annick Notter Revendiquer un sujet d’art américain dans les expositions françaises au XIXe siècle, Agathe Cabau L’Indien engagé, Ivan Messac 136 Face à face
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Les visites indiennes à Paris avant 1850, Peggy Davis Les Osages, la mode du jour et la satire de l’exotisme, Peggy Davis George Catlin, artiste ethnographe et peintre moderne, Camille Faucourt L’invention du Far West : le Wild West Show de Buffalo Bill, Vivianne Perret Perturber les stéréotypes : les Amérindiens en France, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, Emily C. Burns 170 Se prendre pour un Indien
173 181 188 192 195 203 211 220 222
Sauvagerie à la cour, Mélissa Coutausse La figure de l’Indien dans la publicité, Didier Lévêque Objets décoratifs et goût d’exotisme, Éloïse Galliard Tabac et objets du tabac, Annick Notter Quand les enfants français jouaient aux Indiens (XIXe-XXe siècles), Michel Manson L’image des Indiens dans les films d’avant 1914 : transferts culturels France-Amérique, Laurent Véray Se déguiser en Indien. Travestissement et indianisme en France, Didier Lévêque Paul Coze, un scout ethnographe au musée d’Ethnographie du Trocadéro, Carine Peltier-Caroff Noble sauvage de notre temps, Florian Gredig 224 Annexes
226 250
Catalogue des œuvres exposées Bibliographie thématique
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CAT. 111 BIS
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HOMMES ROUGES
UNE FASCINATION SANS RÉSERVE ISABELLE ET HERVÉ POULAIN
« Elle [une Esquimaude capturée] nous raconta qu’il y avait parmi ceux de sa bande un homme qui savait écrire et marié depuis longtemps. Je lui ai demandé si c’était un homme de leur nation. Elle m’a dit que c’était un sauvage, ce qui m’a fait connaître qu’ils nous appelaient tant français que d’Europe “sauvages”. » François Martel de Brouague Commandant du Roi pour le Labrador, 8 septembre 1719.
« Les Indiens ont survécu à notre projet assumé de les exterminer et, depuis que les vents ont tourné, ils se sont même mis à supporter les bonnes intentions que nous leur témoignons, ce qui peut être beaucoup plus fatal. » John Steinbeck, Un artiste engagé, traduit par Christine Rucklin, Paris, Gallimard, 2003.
Cat. 111 bis Just Jaeckin, Isabelle Poulain coiffée d’une parure indienne, 2008.
B
alzac fait dire au cousin Pons : « Moi, je crois à l’intelligence des objets d’art, ils connaissent les amateurs, ils les appellent, ils leur font : Chit ! chit !… »
Il y a une quinzaine d’années, alors que je patrouillais en famille dans les travées du marché aux puces de Saint-Ouen, mon aînée Camille repéra une aquarelle représentant un couple de Peaux-Rouges. L’homme portait une majestueuse parure de chef dont je savais que chaque plume d’aigle signifiait une « touche » sur un ennemi. Le profil de la squaw soulignait une grâce délicieusement naturelle. La signature m’était inconnue mais la facture stylisée emporta notre consentement sans que nous en soupçonnions les conséquences. Regagnant notre maison de campagne et posant le tableautin sur le linteau de la cheminée inspirée de celle imaginée par Frank Lloyd Wright pour la Nathan G. Moore House, m’apparut ainsi qu’à Isabelle, mon épouse, initiée à la civilisation américaine par ses études d’histoire à la New York University, l’évidence d’un thème fantasmagorique, pittoresque et historique : les Indiens d’Amérique du Nord ! Les relations des premiers explorateurs, relève Yves Berger, avaient comblé le besoin humain de rêver un monde paradisiaque, immense et vierge, peuplé de bons sauvages adaptés à cette nature généreuse donnée en partage par le Créateur aux évangélisateurs, « un regard faussement fabriqué ». Pour ma génération, les représentations de cette civilisation singulière étaient importées par les récits de voyages et les livres à l’usage de la jeunesse, les bandes dessinées et les westerns. Les hommes-médecine et le Grand Manitou, les tipis, les chevaux pie, les bisons, les plumes d’apparat, les vêtements à décors perlés, les mocassins, les tomahawks, les pipes en catlinite, la pratique du scalp peuplaient mon imaginaire. Mes cow-boys de plomb repoussaient avec vaillance ces guerriers terrifiants et criards au visage peint et au torse nu qui attaquaient ma diligence… Cependant, on nous racontait des bobards. Ces peuples étaient décrits d’une manière caricaturale, manichéenne et erronée. Or, c’est bien la vertu des collections thématiques d’inciter leurs inventeurs à piocher le sujet. La décision prise, nous devions trouver une « entrée » qui nous fût propre et tiendrait compte d’un budget contenu. Le choix entre une réunion à caractère ethnographique ou bien iconographique fit long feu. Les masques et totems haïdas et tlingits de ColombieBritannique et les fameuses katsinas des Zuñis du Nouveau-Mexique et des Hopis d’Arizona sont convoités depuis longtemps et s’arrachent en ventes publiques à très grand prix. De même, les Américains payent les paysages peuplés d’Indiens des peintres de la Frontière au niveau des enchères impressionnistes : George Catlin, N. C. Wyeth, Alfred Miller, Frederic Remington, Paul Kane, Charles Russell et tant d’autres. Du reste pas seulement les Américains : l’appartement new-yorkais d’Yves Saint Laurent et de Pierre Bergé était embelli de nombreux Catlin et d’un tableau exceptionnel de George de Forest Brush : The Indian and the Lily.
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Nous envisageâmes une autre approche possible, soit comment l’Europe a vu les Indiens. Au Canada et en Louisiane, du temps de Jacques Cartier, Champlain et des coureurs des bois, jusqu’à celui de Lafayette et encore du roi Louis-Philippe, notre pays eut des racines au Nouveau Monde qui nécessairement suscitèrent des échos littéraires et picturaux. Là encore, il fallut déchanter. Les œuvres des pionniers comme le dessinateur-cartographe Jacques Le Moyne de Morgues au XVIe siècle, ou bien au XIXe celles de Karl Bodmer répertoriant les peuples amérindiens en compagnie de son mécène le prince allemand naturaliste Maximilien de Wied-Neuwied, ou encore les dessins de Jean-François Millet – oui, l’auteur de L’Angélus ! – et ceux de Delacroix croquant les danseurs ioways et ojibways qu’avait connus Louis-Philippe en exil avant qu’il ne les invitât et logeât aux Tuileries en 1845, étaient introuvables autant qu’inestimables. C’est pourquoi, au milieu d’une forêt solognote relativement préservée, notre quête s’est limitée à un objectif décoratif, c’est-à-dire une « collection d’ameublement » comme Erik Satie se plaisait à qualifier certaines pièces pour piano de son répertoire… Cependant, sur le sentier de la chine, le Grand Esprit, sensible à ma ténacité de pisteur apache, me mit en présence de quelques pépites. En priorité, Le Guerrier du couple grandeur nature en bois polychrome de la fin du XVIIIe-début du XIXe siècle. Parmi les représentations d’Amérindiens, je ne connais pas d’équivalent, même dans les musées, à son anatomie classique et sa posture romantique, si bien que par comparaison les œuvres en marbre du célèbre Ferdinand Pettrich conservées au musée du Vatican ainsi que la Mexican Girl Dying par Thomas Crawford du Metropolitan Museum of Art paraissent molles et inexpressives. Quel statuaire maîtrisant la ronde-bosse à la gouge est l’auteur de cet Apollon des Plaines ? Quelle nécessité a contraint ce maître à exécuter la commande d’une sculpture utilitaire ? Une énigme d’attribution parmi d’autres dans la collection que l’exposition peut aider à déchiffrer. Quoi qu’il en soit, mon érudition s’enrichit au fur et à mesure qu’enflaient les rayons de ma bibliothèque. De la rencontre de Massasoit avec les Pères pèlerins (1621) aux massacres du Minnesota (1862), de Sand Creek (1864) et Wounded Knee (1890), en passant par le « grand dérangement » des Cherokees (1830) et par Little Big Horn (1876), j’ai rempli peu à peu les intervalles, découvrant non sans fierté les publications d’indianistes français éminents comme Yves Berger, Paul Coze, Maurice Desrumeaux, Joë Hamman, Serge Holtz, Philippe Jacquin, Jacques Nissou et les catalogues d’expositions du musée du Nouveau Monde de La Rochelle et celui des Musées nationaux au Grand Palais en 1976 pour le bicentenaire des États-Unis. Encore révolté par les exactions épouvantables des conquistadors, puis des puritains, j’appris la face sombre de la conquête de l’Ouest. Le public a retenu le nom de ces héros magnifiques qui défendirent leur terre ancestrale : Tecumseh, Massasoit et Philippe son fils et ensuite Pontiac, John Ridge et John Ross, Crazy Horse, Sitting Bull, Cochise, Geronimo, Red Cloud… En face, du côté des « civilisateurs », deux noms mémorables, un général déchu, Custer, et un faux colonel revendiquant 4 863 bisons tués en une saison, avec un record journalier de 69, vrai saltimbanque dont le cirque termine à l’encan, Buffalo Bill.
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L’Histoire a tranché et choisi parmi ses perdants ! Durant les années 1970, l’étude de commissaires-priseurs Loudmer-Poulain dirigea les premières vacations d’art primitif et particulièrement celle de la collection de René Rasmussen. Les objets amérindiens n’intéressaient que peu de curieux à l’époque et moi-même, je n’imaginais pas qu’ils me deviendraient source de connaissances et d’émotions. Les experts qui nous assistaient, André Schoeller, Daniel Dubois et Charles Ratton, m’ont peut-être inoculé un virus en devenir. Car enfin pourquoi les Peaux-Rouges ? Nostalgie de l’enfance, héroïsation du brave à cheval incarnant le génie des prairies infinies et la liberté, « meaculpisme » de Blanc, hommage à une civilisation fracassée ou bien réminiscence des fameux vers du Bateau ivre d’Arthur Rimbaud ? Pline l’Ancien témoigne que le premier marché de l’art constitué à Rome était alimenté par les œuvres confisquées aux Grecs vaincus. Les patriciens accueillaient dans leurs villas des « effigies d’étrangers » et des « dieux inconnus », produits par les peuples ennemis. Le psychanalyste Gérard Wajcman en tire la révélation d’un constituant de la collection : ce n’est pas seulement l’extérieur que l’amateur fait entrer chez lui, c’est l’Autre qu’il invite dans son intimité. C’est en cela que le collectionneur n’est pas que narcissique puisqu’il accueille l’étranger – l’étrange ? – ce qui l’incite parfois, d’une manière subversive, à détourner les œuvres de leur signification première. On raconte qu’un homme aurait demandé à Andy Warhol pourquoi il avait toujours un petit magnétophone sur lui et enregistrait tout, des bribes de conversations, ses propres observations. Warhol a regardé son interlocuteur et lui a répondu « Et vous, pourquoi fumez-vous ? ». La répartie inspire notre propre réplique : parce que les Indiens fument le calumet de la paix ! Les expositions consacrées aux arts premiers sont fréquentes et médiatisées et les créations des Amérindiens répertoriées et montrées. La conservatrice Annick Notter juge plus original de présenter ces images d’Indiens qui nous éclairent sur eux « les sauvages » autant que sur nos fantasmes d’Occidentaux civilisés. En d’autres termes, en représentant le Peau-Rouge sur la toile, le Visage pâle se dévoile ! Et comme le choix d’un thème de collection n’est jamais innocent, c’est aussi le couple qui a réuni les éléments de ce monde éparpillé pour leur donner une cohérence et un sens, qui s’expose : que ce rassemblement sans prétention soit perçu comme un geste fraternel envers ces peuples, leurs pratiques et leurs espérances.
Hervé Poulain Président d’honneur d’Artcurial
Cat. 182 Guillaume Laplagne, Mascotte de capot d’automobile Renault : Sioux à l’affût,1920-1930.
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LA CONSTRUCTION D’UNE IMAGE
FIG. 1
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IMAGES DU SAUVAGE AU XVIe SIÈCLE JEAN-PAUL DUVIOLS
Fig. 1 Brésiliens, tiré d’une édition allemande du Mundus Novus d’Amerigo Vespucci, Augsbourg, 1505, gravure sur bois. Londres, British Library.
A
la fois innocent et barbare, primitif et imprévisible, le Nouveau Monde, celui des Taïnos et des Caraïbes décrit par Christophe Colomb, Michele da Cuneo1, Guillermo Coma2 et le docteur Diego Álvarez Chanca3 comme celui des Tupis du Brésil et des Guyanes, évoqué par Amerigo Vespucci et Pero Vaz de Caminha4, a été à la fois un sujet de curiosité, de réflexion et à l’origine d’un modèle esthétique original. L’apparition du « sauvage »5, personnage idéalisé ou méprisé, coïncide avec la révolution culturelle de la Renaissance. Malgré la diffusion croissante de l’imprimé, les représentations iconographiques du Nouveau Monde n’ont pas été très nombreuses en Europe au cours du XVIe siècle. Dans les premiers textes, les sauvages, considérés indistinctement quelles qu’aient été leurs origines ethniques, furent décrits et appréciés d’une manière ambivalente, soit comme des innocents soit comme des barbares. Leur nudité naturelle rappelait le paradis perdu mais elle était aussi aux yeux des Européens le signe d’une bestialité dangereuse. Les corps nus, beaux et jeunes, vantés par Christophe Colomb, les manières douces, l’innocence apparente, le pacifisme des Taïnos ont projeté une image idyllique, renforcée par les témoignages de Vaz de Caminha et de Vespucci. Cependant, les pratiques rituelles des Tupis et des Caraïbes ont aussi suscité des images bien différentes.
Le sauvage nu 1 Michele da Cuneo (Savone, 1448-id., 1503), navigateur italien qui prit part au deuxième voyage de Colomb, écrivit une Lettre à Gerolamo Aimari en 1495. Ms à l’université de Bologne (Code 4075). 2 Guillermo Coma (?-?, 1515 ?), Sobre las islas recientemente descubiertas del mar Meridiano e Indico, trad. du latin par Marisa Vannini de Gerulewicz, El mar de los conquistadores, Caracas, Biblioteca Ayacucho,1974. 3 Diego Álvarez Chanca (?, 1450-?, 1515), chirurgien du deuxième voyage de Colomb, est l’auteur d’une lettre écrite à Hispaniola en 1494 (publiée dans Martin Fernandez de Navarrete, Coleccion de los viajes y descubrimientos que hicieron por mar los españoles, Madrid, Imprenta real, 1825). 4 Pero Vaz de Caminha (Porto, vers 1450-Calicut, 1500), membre de l’expédition de Pedro Álvares Cabral, envoya une lettre au roi de Portugal pour lui annoncer la découverte du Brésil. 5 Sauvage et civilisé seront à entendre dans tout le texte avec des guillemets.
Si les témoignages étaient riches en détails, les premières images restaient élémentaires. Il n’est pas inutile de rappeler qu’aucun voyageur, pendant au moins un demisiècle, n’a cru bon de rapporter le moindre croquis pris sur le vif et que les dessinateurs européens ne se sont guère souciés d’authenticité, alors que les descriptions étaient souvent très précises. Les navigateurs et les conquistadors n’avaient pas la fibre artistique. Les éditeurs mirent du temps à considérer que le sauvage du Nouveau Monde méritait une attention particulière et les premières gravures sur bois sont très éloignées d’une volonté de représentation réaliste. La première image « américaine » est un bois gravé de 1493 (fig. 3) illustrant la Lettre de Christophe Colomb à Luis de Santangel. Il s’agit d’une représentation imaginaire de la rencontre des Espagnols et des sauvages Taïnos à Hispaniola. Le graveur n’a pas cru devoir suivre à la lettre les indications du texte qui évoque la nudité des habitants et leur frayeur : « Ils n’ont pas de fer ni d’acier, ni d’armes et ne sont pas faits pour celles-ci, non qu’ils ne soient gens bien faits et de belle taille, mais parce qu’ils sont si craintifs que c’en est merveille » (p. 2). Il a réalisé une sorte de collage de gravures sur bois préexistantes (en particulier celles des Peregrinationes in Terram Sanctam de Bernard Breydenbach, Mayence, 1486), ce qui explique la présence d’une galère à la place d’une caravelle et d’Espagnols enturbannés qui rappellent des Turcs ! Quant au paysage, c’est un décor de théâtre. Les seuls éléments à retenir, ce sont la nudité et l’attitude fuyante des insulaires dont l’apparence physique ne diffère en rien de celle des Européens : « Ils ont la peau cuivrée tirant sur le rouge, de beaux visages, des nez beaux et bien faits. Ils sont nus sans rien pour se couvrir ; ils ne se soucient nullement de cacher ou de
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CAT. 13
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L’INDIEN-MIROIR OU LE DISCOURS PRIMITIVISTE DANS LA REPRÉSENTATION DE L’AUTRE PEGGY DAVIS
Cat. 13 Grégoire Huret, Portrait d’Amérindien, 1664.
L
es balbutiements ethnographiques des Lumières et du début du XIXe siècle expriment la volonté de comprendre le monde d’une manière anthropologique mais aussi de le comprendre à l’aune des savoirs hérités de l’Antiquité. L’image d’une Antiquité vivante, à la fois sauvage et naturelle, sur le territoire des Amériques apparaît comme le remède à l’insatiabilité de la civilisation et à la déshumanisation des sociétés modernes. Ce monde qui semble voué à disparaître sous l’effet civilisateur, colonisateur et corrupteur des Européens et qui propose le mirage d’une Antiquité primordiale, encore vivante dans le monde indigène des Amériques, stimule les débats sur l’identité civilisée et l’altérité sauvage en plus de nourrir la réflexion anthropologique sur l’humanité commune et la barbarie relative du sauvage et du civilisé. Dans cet assortiment d’idées qui traduit une insatisfaction face à la civilisation corrompue et un désir de retourner à une vie simple et naturelle, comme aux origines de la Création, dans cette quête d’un ailleurs, géographique ou temporel, l’Européen a cru trouver chez l’indigène d’Amérique l’incarnation vivante de l’exemplum virtutis antique, lui permettant de s’inventer une Amérique idéale. Cette pensée primitiviste met en cause non seulement les effets corrupteurs de la civilisation sur les peuples sauvages mais interroge le mythe du progrès historique. Le primitivisme exprime donc un besoin d’évasion loin d’une époque corrompue et des contraintes imposées par la civilisation, afin de retrouver la liberté et le bonheur des peuples ancestraux. L’Antiquité et l’Amérique, par leur distance à la fois temporelle et géographique avec l’Europe moderne, incarnent cet idéal perdu.
L’Amérique sauvage dans le discours primitiviste
1 LOPEZ 1990, p. 74.
Le primitivisme américain s’inscrit dans les débats sur le développement historique de l’humanité et de la civilisation. Ainsi, la figure de l’Amérindien sert tout autant les thèses opposées de Voltaire, Cornelius De Pauw ou Georges-Louis de Buffon, pour qui elle incarne la dégénérescence de l’espèce humaine, que celles de Jean-Jacques Rousseau, pour qui l’Amérique désigne l’enfance de l’humanité ou son âge d’or, qu’il faut préserver de la décrépitude. Sa figure du « bon sauvage » devient d’ailleurs un thème de prédilection au temps des Lumières. Rousseau valorise en effet l’indigène d’Amérique, notamment pour son appartenance à une société patriarcale et communautaire, qui semble antérieure à la découverte du fer et au développement de l’agriculture et qu’il estime être la plus heureuse et la meilleure pour l’homme. Rousseau, en somme, expose la supériorité morale de l’Amérique qu’il oppose à la civilisation européenne corrompue, de la même manière que Benjamin Franklin, cet Américain éclairé, constate que « le bonheur se trouve plus généralement et est distribué avec plus d’égalité parmi les Sauvages que dans nos Sociétés1 ». La nudité antique des sauvages vivant dans une nature immense, leur amour de l’indépendance et de la liberté, de même que leur insouciance primitive exercent leurs attraits sur les Européens, à qui les qualités de l’âme primitive paraissent inaccessibles.
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CAT. 59
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REPRÉSENTER LE CONFLIT : LE DEVENIR « PEAU-ROUGE » AGATHE CABAU
Cat. 59 Léon Renimel, dit Reni-Mel, L’Attaque d’un convoi par les Indiens,1876, 1947.
1 Julien Girard de Rialle, « Les Peaux-Rouges au Jardin d’acclimatation de Paris », La Nature. Revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l’industrie, premier semestre 1884, p. 4-7. 2 Carl von Linné parle dès 1758, dans sa classification des espèces humaines, de « l’homme rouge américain ». 3 Nous empruntons l’expression à DERAIL-IMBERT 2005/3, p. 31. 4 TRUETTNER 2010, p. 12.
A
l’occasion de la venue d’un groupe d’Omahas à Paris, en 1883, Julien Girard de Rialle, ethnographe et membre de la commission diligentée par la Société d’anthropologie au Jardin d’acclimatation, explique que le terme de « Peau-Rouge1» peut-être employé pour qualifier les peuples d’Amérique du Nord qui partagent selon lui « une espèce d’unité dans le type physique ». Il insiste sur la « couleur fondamentale » rouge de la peau des individus faisant de la carnation un critère de reconnaissance2. Il ajoute que la « physionomie générale » grave et impassible la plupart du temps, « devient féroce sous l’influence de la passion ». L’opinion du savant éclaire la perception que ses contemporains se font de l’indigène amérindien où l’incarnat du Peau-Rouge se charge d’une double valeur symbolique à l’œuvre dans les représentations du conflit. Sous ce vocable s’opère alors une assimilation entre la couleur de peau, discriminante, et la figure représentée. Le Peau-Rouge se substitue littéralement au « bon sauvage », dont la beauté marmoréenne laissait admiratifs les critiques d’art du début du XIXe siècle. Dans le champ de la représentation, l’Indien revêt les artifices du « Peau-Rouge » lorsque ses humeurs sont régies par la soif du sang. La description picturale des hommes, leur visage recouvert de peintures de guerre rouges, peut s’interpréter comme le souhait de réaffirmer l’identité des personnages. Ainsi les artistes mettent en scène un « rapport de contiguïté3 » entre l’identité et la chair au profit de la narration. Ils détournent jusqu’à la pratique guerrière des peintures corporelles, la réduisant à un archétype de la représentation des Indiens. Au fil du XIXe siècle, les œuvres d’art rendent compte d’une aggravation du conflit, liée à l’avancée de la colonisation du territoire nord-américain et due à la reconstitution imagée de son histoire. Elles façonnent le profil de l’Indien en opposition à la figure du colon, loyale et pieuse. Les œuvres ont tendance à représenter les colons blancs comme les victimes d’un adversaire redoutable, maître de son milieu naturel. La barbarie de ce dernier se mesure aux supplices infligés aux migrants (cat. 48). Le mauvais sauvage défait ainsi les liens tissés par le bon sauvage avec les nouveaux arrivants. Le dévouement, qui le conduisait à sauver de jeunes enfants américains en détresse, est démenti par un impétueux désir de traquer, attaquer les convois de vivres ou de personnes, enlever, tuer, scalper des colons et menacer ainsi leur existence. Le corpus iconographique insiste sur les différentes attitudes des protagonistes et exploite la démultiplication, en séquence, des représentations du conflit.
Confrontation entre colons et Indiens De 1830 à 1848, la figure du colon rappelle le temps des grandes vagues d’expansion coloniale en Amérique du Nord et les conflits issus de la dépossession territoriale des peuples amérindiens. Parallèlement à l’annexion des territoires anciennement conquis par la France, l’Angleterre, l’Espagne et le Mexique, a lieu celle, progressive, des territoires indiens. De nombreuses guerres sont nées de la signature forcée de traités avec les colons euro-américains puis sous la pression du gouvernement fédéral. Les représentations figurent un Indien assoiffé de sang, en lutte contre l’idée de civilisation militarisée, agricole et chrétienne4.
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CAT. 60
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LA BANDE DESSINÉE FRANCOPHONE ET LES INDIENS TANGI VILLERBU
Cat. 60 A. Nadal, La Pirogue avalée, début du XXe siècle.
L
a bande dessinée est depuis quelques décennies le vecteur majeur de la diffusion du récit de l’Ouest américain en France, avec cette grande inconnue des sciences sociales qu’est la culture country, mais avec ses clubs de danse et festivals de musique, elle est porteuse d’un Ouest sans Indiens. Dès le début du XXe siècle, la bande dessinée s’empare de l’Ouest, comme tous les médias français de l’époque. Ses auteurs s’inscrivent dans un continuum, celui de la conquête héroïque déployée dans le récit venu d’outre-Atlantique ou celui de la petite musique critique portée par exemple par les romans de Gustave Aimard. Ils pensent aussi leur production en relation forte avec le western dont l’histoire débute également à l’aube du XXe siècle. Cinéma et bande dessinée fonctionnent dans une relation fortement articulée mais complexe et souvent asymétrique : la deuxième travaille plus souvent le matériau du premier que l’inverse. Néanmoins, il y a autant de continuité du genre sur une durée séculaire que d’éminentes variations dans le récit que fait la bande dessinée western des Indiens. Je tenterai de le montrer de manière synthétique en singularisant quatre albums, comme quatre jalons qui ne résument pas leur époque mais en donnent la saveur. Il s’agit de Bécassine voyage, de Caumery et Pichon, paru en 1921 ; de La Passe des Indiens, une aventure de Jerry Spring réalisée par Jijé et publiée d’abord en 19551956 ; de Celui qui est né deux fois, œuvre de Derib en trois volumes datés de 1983, 1984 et 1985 ; et de Étunwan : Celui-Qui-Regarde, publié par Thierry Murat en 20161.
Bécassine voyage
1 J’utilise ici les éditions suivantes : Caumery et Pinchon, Bécassine voyage, Paris, Gauthier-Languerau, 1993 ; Jijé, La Passe des Indiens, dans L’Intégrale Jerry Spring en noir et blanc, tome 2, Marcinelle, Dupuis, 2010 ; Derib, Celui qui est né deux fois, Bruxelles, Éditions du Lombard, 1983-1985 ; Thierry Murat, Étunwan : Celui-QuiRegarde, Paris, Futuropolis, 2016.
La huitième aventure de Bécassine paraît en 1921, dessinée par Joseph Porphyre Pichon et scénarisée par Maurice Languereau, sous le pseudonyme de Caumery (il en est également l’éditeur avec Gauthier). Le voyage mène la jeune Bretonne et son maître Pierre Kiroul dans une gare isolée de la Prairie. Bécassine y fantasme sa propre culture western, issue du roman populaire comme du cinéma ; elle s’attend donc au poteau de torture car les Indiens sont nécessairement des sauvages assoiffés du sang des Blancs. Pourtant la découverte très rapide d’Indiens en chair et en os modifie la donne car ils n’ont rien d’agressifs, même si Bécassine se méprend, au début, sur leurs intentions. Ils sont tout d’abord introduits par un Breton, Charles Fennick, qui après des mois d’errance a choisi de vivre chez les Comanches : les auteurs jouent là avec deux mythologies de longue durée, celle de l’intégration d’étrangers dans les tribus indiennes et celle de la relation privilégiée entre Français et Indiens. Le personnage de Fennick/ La Claire Antilope sert de truchement pour rencontrer des Indiens inoffensifs puisque mis en réserve et dépendants des Blancs pour leur approvisionnement en tabac. La visite au village révèle un monde indien archétypal : des tipis, des grandes coiffes de plumes, des danses et un sorcier (fig. 1). Il est devenu alors presque impossible de proposer autre chose que ces Indiens des Plaines caricaturaux dès lors que l’on veut représenter des Indiens, en oubliant la diversité des mondes amérindiens et leur profondeur historique. Ce qui importe ici, ce sont deux éléments fondamentaux. D’abord les Indiens sont justement pensés au présent, ce qui est encore possible jusqu’au Tintin en Amérique d’Hergé, publié dix ans plus tard. Et s’ils le sont, c’est pour mieux mettre
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CAT. 69
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LES ÉVOLUTIONS RÉCENTES DE LA REPRÉSENTATION DE L’INDIEN LIONEL LARRÉ
Cat. 69 Breiz Amerika : 500 ans de résistance, 1968.
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n septembre 2016, la nation sioux de Standing Rock, dont la réserve se situe à cheval entre le Dakota du Sud et le Dakota du Nord, s’est organisée dans un mouvement de protestation contre la construction de l’oléoduc connu sous le nom de Dakota Access oil Pipeline, ou DAPL. L’occupation du terrain et le blocage du chantier ont duré plusieurs mois durant l’automne et l’hiver glacial du Dakota du Nord. L’écrivain et cinéaste de la tribu Cœur d’Alène Sherman Alexie a tweeté : « On se croirait en 1875 parce que les Amérindiens se battent toujours pour notre terre. » Les opposants au DAPL, qui préfèrent se faire appeler les « protecteurs » de la terre et de l’eau, soutiennent que l’oléoduc, s’il était mené à son terme, polluerait l’eau du Missouri, rivière sous laquelle il doit passer et qui alimente des milliers d’Américains. En outre, il profanerait des terres sacrées où sont enterrés les ancêtres des Sioux de Standing Rock1. La crise de Standing Rock a réactivé, en les fusionnant, deux représentations de l’Indien qui occupent une place prépondérante dans l’imagerie populaire depuis au moins la fin des années 1960 et le début des années 1970 : « l’Indien résistant » et « l’Indien écologiste », que l’on met entre guillemets car il s’agit de représentations, c’est-à-dire d’images archétypales qui, bien que fondées sur certaines réalités, sont des créations, des inventions qui peuplent l’imaginaire collectif occidental, ce que l’historien Robert Berkhofer a appelé « l’Indien de l’Homme blanc ».
Résistance
1 https://www.outsideonline. com/2111206/whats-happeningstanding-rock. Consulté le 12 février 2017. 2 http://www.history.com/news/ native-american-activistsoccupy-alcatraz-island-45-yearsago. Consulté le 12 février 2017. 3 Wounded Knee avait été le site d’un massacre en décembre 1890, pendant lequel l’armée étatsunienne avait décimé quelque trois cents Lakotas, hommes, femmes et enfants. L’événement devint pour beaucoup le symbole de la fin de la résistance armée des Amérindiens.
Au tournant des années 1970, les mouvements amérindiens pour les droits civiques organisèrent des actions de protestation qui connurent un retentissement international. Le 20 novembre 1969, un groupe de quatre-vingt-neuf militants, qui se faisaient appeler « Indiens de toutes tribus », débarquèrent sur l’île d’Alcatraz, dans la baie de San Francisco, et la déclarèrent territoire indien « par le droit de la découverte ». Ils proposèrent tout de même de l’acheter au prix de « $24 en perles de verre et étoffe rouge », c’est-àdire le prix que les Amérindiens étaient censés avoir reçu pour l’île de Manhattan. Les occupants réclamaient la transformation de l’ancienne prison abandonnée en une école et un centre culturel. L’occupation des lieux prit fin plus de dix-neuf mois plus tard, en juin 1971, lorsque les autorités délogèrent les derniers militants2. En novembre 1972, des membres de l’American Indian Movement (AIM) se rendirent à Washington et occupèrent le Bureau des affaires indiennes, l’agence du ministère de l’Intérieur en charge des relations entre le gouvernement fédéral et les Amérindiens. Ils protestaient contre des programmes gouvernementaux dont ils jugeaient qu’ils étaient un frein au développement des réserves. Début 1973, l’AIM occupa le site de Wounded Knee3, dans la réserve de Pine Ridge, située dans le Dakota du Sud. Outre sa valeur symbolique, Wounded Knee était également habité à l’époque par l’une des communautés les plus pauvres des États-Unis.
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L’INDIEN DANS L’ART
CAT. 86
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L’INDIEN D’AMÉRIQUE, FIGURE D’EXOTISME LITTÉRAIRE ET DE PACOTILLE PEGGY DAVIS
Cat. 86 Achille Devéria, Canadiens, premier quart du XIXe siècle.
D
epuis le XVIIe siècle, le Nouveau Monde est le sujet et le décor d’une abondante littérature fictionnelle aux consonances exotiques. Empruntant d’abord la forme du récit de voyage, cette littérature se développe aux XVIIIe e et XIX siècles en autant de contes, romans, comédies, tragédies et opéras qui cherchent moins à restituer l’indigène d’Amérique comme créature anthropologique que comme créature de spectacles et de divertissement, voire de fantaisie. Cette vogue de l’exotisme américain dans la littérature française du XVIIIe siècle est en particulier marquée du thème péruvien, qui se joue à l’opéra et au théâtre et qui se trouve dans les livres à gravures. Mais elle englobe aussi l’ensemble du continent américain où se déroule l’épopée des Européens, notamment le Mexique et la Louisiane.
Deux récits épiques liés à la conquête de l’Amérique : Les Incas de Marmontel et Atala de Chateaubriand Dans la littérature fictionnelle sur le thème de l’exotisme américain, Les Incas de Marmontel (1777) et Atala de Chateaubriand (1801) sont de proches parents, puisant aux sources d’un même climat intellectuel marqué par l’influence relative du rousseauisme et son concept du bon sauvage, par le foisonnement des connaissances tirées de la littérature ethnographique et viatique et par l’attrait du Nouveau Monde dans l’imaginaire populaire. Ces deux récits établissent, chacun à sa façon, les fondements de l’exotisme américain, septentrional ou méridional. Leurs auteurs livrent un ouvrage faisant l’apologie de l’altérité américaine, nourri d’une sentimentalité chrétienne primitiviste et enraciné dans une trame historique distinctive. Les Incas constitue une dénonciation du fanatisme religieux dans le contexte de la conquête espagnole et profite de l’engouement du temps pour les Incas et le Pérou, tandis qu’Atala raconte la perte de l’empire français en Amérique au début du XVIIIe siècle. Si leurs contextes diffèrent, les ressemblances formelles et thématiques entre les deux ouvrages sont nombreuses. Marmontel et Chateaubriand campent leur récit dans une Amérique fabuleuse, prétexte à l’intrigue amoureuse mais aussi à la critique des mœurs et des institutions européennes. Et dans les deux cas, la confrontation entre la sauvagerie et la civilisation est vive, au cœur du récit : les Mexicains, dans Les Incas de Marmontel, subissent un sort semblable à celui des Natchez de Chateaubriand, exterminés et condamnés à l’exil. Les héros amérindiens de ces romans évoluent dans des situations héroïques ou sentimentales fort semblables et dépeignent une Amérique fantasmatique qui consolide le grand mythe américain. Les ouvrages de Marmontel et de Chateaubriand font l’objet de nombreuses rééditions jusqu’au milieu du XIXe siècle. La raison de ce succès tient en partie au fait que les deux auteurs concèdent au goût populaire en introduisant une histoire d’amour dans leur plaidoyer politique et religieux. L’idylle amoureuse de Cora et Alonzo chez Marmontel et les amours tristes d’Atala et Chactas chez Chateaubriand plaisent au public. Preuve en est l’iconographie abondante que leurs récits suscitent jusqu’au milieu du XIXe siècle et qui est diffusée par l’estampe, la peinture et une variété d’objets de culture populaire.
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CAT. 90
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LES INDIENS DE FENIMORE COOPER : LA RÉCEPTION DU DERNIER DES MOHICANS EN FRANCE CLAIRE BAREL-MOISAN
Cat. 90 Nicanor Plaza, Le Dernier des Mohicans, 1869.
1 The Last of the Mohicans. A Narrative of 1757 est paru en 1826 à Philadelphie ; il est traduit en français par Auguste-JeanBaptiste Defauconpret et paraît la même année à Paris chez Charles Gosselin. Le roman connaît immédiatement un immense succès européen. 2 George Sand, « Fenimore Cooper », article paru en octobre 1856 dans Le Journal pour tous, repris dans Autour de la table, Paris, Lévy, 1875, p. 271. Deux grands articles du Globe des 19 juin et 2 juillet 1827, signés F.A.S., traduisent la même sensibilité aux enjeux idéologiques des romans de Cooper sur les Indiens.
A
uteur du cycle de Bas-de-Cuir et notamment du célèbre Dernier des Mohicans1, James Fenimore Cooper (Burlington, 1789-Cooperstown, 1851) est le premier romancier américain qui introduit l’histoire nationale dans la fiction et qui donne à des personnages d’Indiens une place centrale au cœur de ses romans, créant ainsi avec son cycle un des mythes de la nation américaine. Pour le monde anglo-saxon, Cooper apparaît comme le Walter Scott de la Frontière américaine. Il invente un modèle romanesque, immédiatement repris et décliné par de très nombreux imitateurs, qui retiennent comme éléments de son succès populaire le goût des aventures, des embuscades et des poursuites, et les constants rebondissements de l’intrigue. Mais cette lecture de l’œuvre de Cooper, en ne conservant que la dimension pittoresque et exotique de son tableau de la Frontière, occulte le caractère profondément mélancolique du cycle de Bas-de-Cuir, annonçant comme inéluctable la disparition des tribus indiennes. La fiction retrace les origines de cette destruction des Amérindiens dans la naissance de la nation américaine, durant les affrontements de la guerre de Sept Ans (1756-1763), et Cooper considère qu’au moment de l’écriture de ses œuvres, cet anéantissement est quasiment accompli. Il n’est sans doute pas étonnant que cette voix de la mauvaise conscience d’une toute jeune nation, cette dénonciation de la faute originelle de la société américaine naissante n’aient pas été mises en avant par la critique anglo-saxonne du XIXe siècle. Les accents élégiaques de déploration des effets de la colonisation américaine et de l’avancée de la conquête des terres sauvages ont, en revanche, été perçus avec acuité par la critique française et tout particulièrement par George Sand qui donne voix à Cooper en résumant en une phrase l’« élan d’admiration et de regret » qui a dicté au romancier, selon elle, ses plus belles pages : « Pour être ce que nous sommes, il nous a fallu tuer une grande race et ravager une grande nature2. » La complexité de la réflexion du romancier sur les rapports entre Indiens et colons américains passe par une dialectique entre civilisation et barbarie dans laquelle aucun pôle n’est finalement stable. La description des Mohicans, des Hurons et des Delawares fait de ces guerriers des Spartiates du Nouveau Monde, cultivant des valeurs proches de celles de la Grèce antique : droit sacré de l’hospitalité, fidélité à la parole donnée, sens de l’honneur (d’où l’importance de la vengeance), protection et vénération des faibles d’esprit, respect des anciens… Significativement, le narrateur souligne régulièrement le « stoïcisme » des Indiens et leur caractère « chevaleresque ». La beauté du jeune Mohican, Uncas, sa noblesse, son élégance et sa grâce naturelles sont comparées à celle d’un Apollon indien. Loin du déchaînement des passions qui serait le propre de la barbarie, l’univers ritualisé et codifié de ces tribus est ainsi rapproché du modèle grec, présenté comme la quintessence de la civilisation. Le personnage central du cycle, Natty Bumppo, incarne les ambiguïtés de cette valorisation de certaines tribus indiennes, qui s’accompagne de la dévalorisation symétrique
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CAT. 98
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LES ARTISTES FRANÇAIS ET LES AMÉRINDIENS À LA FIN DU XIXe SIÈCLE EMILY C. BURNS
TRADUCTION DE GÉRALDINE BRETAULT
Cat. 98 Fernand-Anne Piestre, dit Cormon, Indien se préparant au combat en invoquant le soleil, 1880.
A
la fin du XIXe et au début du XXe siècle, des dizaines d’artistes français prirent pour sujet l’Indien d’Amérique, en peinture comme en sculpture. Leurs représentations trahissent la perception de la culture amérindienne en France, considérée comme primitive et proche de la nature. Différentes raisons motivaient leur intérêt : retracer l’histoire de la civilisation humaine, imaginer un Autre « exotique » ou encore affirmer l’existence d’une authenticité parallèle fondée sur la présomption d’une affinité des Indiens d’Amérique avec la nature. En France, l’intérêt pour l’Indien d’Amérique en tant que « noble sauvage » dérivait des écrits de JeanJacques Rousseau. Observant une fracture entre les sociétés naturelles et civiles, Rousseau glorifiait les caractéristiques primitives de l’humanité, à savoir « l’instinct pur1 », la vision et les sensations authentiques. Différents moyens s’offraient aux artistes français désireux d’entrer en relation avec les Amérindiens, que ce soient la venue en France d’artistes indigènes à partir des années 1820, le voyage aux États-Unis ou encore les illustrations qui circulaient dans la presse et les objets présentés dans des lieux d’exposition parisiens par des artistes de toutes nationalités. De nombreuses mouvances artistiques s’intéressèrent à la représentation des Indiens d’Amérique en France, aussi bien académiques qu’avant-gardistes, sur les cimaises du Salon officiel comme dans la presse populaire. Cet essai s’intéresse à la diversité des points de vue artistiques autour de cette iconographie, à travers l’œuvre de trois grands peintres ayant traité ce sujet : Fernand-Anne Piestre, dit Cormon (1854-1924), Rosa Bonheur (1822-1899) et Maximilien Luce (1858-1941). En dépit de leurs disparités stylistiques, chacun des trois s’est emparé de la figure de l’Amérindien pour en faire une icône forte, prétexte à un renouveau artistique.
L’Indien académique
1 ROUSSEAU 1967, p. 188. 2 FINK 1991, p. 187-188 ; CABAU 2014 a, p. 236-237. 3 GINDHARDT 2008, p. 10.
Le peintre d’histoire et orientaliste Cormon réalisa au moins une esquisse décrivant un Indien, intitulée Indien se préparant au combat en invoquant le soleil (cat. 98), à la fin du XIXe siècle. L’intérêt de Cormon pour l’homme primitif était connu à travers ses grands tableaux d’histoire, comme Caïn (musée d’Orsay), qu’il exposa au Salon de 18802. Si l’on considère ses projets artistiques les plus ambitieux, cette esquisse suggère que, à l’instar de nombre de ses contemporains, il percevait l’Amérindien comme le représentant d’une population primitive. L’historienne de l’art Maria Gindhardt a montré que les tableaux réalisés par Cormon à partir des années 1890 pour le Muséum national d’histoire naturelle trahissent toute l’ambiguïté qui régnait au sujet de l’évolution humaine, puisqu’ils incluent « des éléments qui satisfont les partisans comme les opposants du transformisme3 ». Sans qu’il soit possible d’affirmer que Cormon considérait l’Amérindien comme une relique d’un moment passé de l’évolution de l’homme, cette figure relève de son intérêt plus vaste pour l’histoire de la civilisation humaine. Une figure d’Amérindien s’incline vers l’arrière, les bras levés vers le soleil. Il a beau avoir les pieds ancrés dans le sol, son geste ainsi que ses genoux fléchis lui confèrent
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CAT. 101
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REVENDIQUER UN SUJET D’ART AMÉRICAIN DANS LES EXPOSITIONS FRANÇAISES AU XIXe SIÈCLE AGATHE CABAU
Cat. 101 J.-B. Paw (?) d’après DeCost Smith, Guerrier Peau-Rouge à la carabine, vers 1903.
L
’étude poussée de l’iconographie amérindienne dans le cadre compétitif des Expositions universelles permet de mettre au jour les attentes, communes aux comités organisateurs des sections des Beaux-Arts et à la critique d’art, de voir émerger un art proprement américain. Elle montre, toutefois, les stratégies de promotion des artistes américains exposant – au gré des opportunités et dans un souci de visibilité recherchée – à la fois dans les Salons parisiens, puis répartis dans leurs sections nationales. La fréquence des sujets indiens varie en fonction des époques et des choix des comités de sélection. Absente des sections américaines des Beaux-Arts en 1855 et 1878, l’iconographie amérindienne accède à une certaine reconnaissance en 1889 et 1900. La critique d’art française qui négligeait, en 1867, la contribution artistique de la section américaine se montre alors plus réceptive aux œuvres présentées lors des deux dernières Expositions universelles du XIXe siècle. La sculpture, en particulier, joue un rôle clé dans la construction d’un discours critique sur l’émergence d’une école nationale américaine au contact de l’art européen.
La vision rousseauiste de l’Exposition universelle de 1867
1 Concernant les titres des œuvres d’artistes américains, nous avons conservé la traduction française donnée par les catalogues officiels d’époque. Quand la traduction des titres des œuvres américaines n’existe pas en français, nous avons choisi de conserver le titre original. 2 TROYEN 1984, p. 3. 3 Les traductions de l’américain au français et inversement sont le fait de l’auteur, sauf mention contraire. Cf. Anonyme, « The Indian in American Art », The Crayon, 3 janvier 1856, p. 28 : « Nous devrions nous réjouir de voir plus souvent la silhouette indienne sur nos toiles et moins le costume européen. » 4 ROGERS 1987, p. 224-225. 5 Albert Bierstadt, Art & Enterprise, Brooklyn Museum / Hudson Hills Press, 1990, p. 25.
La représentation des Amérindiens est assurée en 1867 par les contributions de deux artistes américains : Albert Bierstadt, avec sa toile Les Montagnes Rocheuses1 (fig. 2), et le sculpteur John Quincy Adams Ward, avec le Chasseur indien et son chien (fig. 1). Les deux œuvres, dont l’exécution précède de plusieurs années l’Exposition universelle de 1867, sont alors très appréciées de l’élite artistique américaine. Pour cette raison, elles comptent parmi les œuvres d’artistes vivants sélectionnées au préalable sur le sol américain. Elles concordent avec la vision contemporaine de l’Amérique, aujourd’hui analysée comme « une terre rousseauiste d’innocence et de promesse2 ». À l’époque, les œuvres répondent surtout à l’injonction lancée dès 1856 aux artistes par la revue culturelle américaine The Crayon, les incitant à préférer des sujets indiens dans le but de se distinguer de l’art européen3. Le succès des œuvres doit autant au sujet qu’à sa postérité supposée. Dans l’esprit des contemporains, comme des deux artistes, il est question, à travers la représentation de l’Indien, de sauvegarde picturale. Les deux hommes ont toutefois des démarches différentes. Pour Ward, il s’agit de trouver un sujet ayant un caractère national. Il voyage dans ce but à la rencontre des Indiens Dakotas, afin de sculpter un portrait qu’il veut représentatif4. Quant à Bierstadt, son cycle d’œuvres réalisées dans les années 1860 plébiscite le concept de Destinée manifeste. Dans la notice des Montagnes Rocheuses, il s’attarde à rêver, espérant voir croître un jour, au premier plan de l’œuvre, une ville habitée par les descendants de ses contemporains, l’œuvre en tant que telle trouvant alors une place dans une galerie d’art5. En France, le Chasseur indien et son chien, malgré la liberté de son traitement réaliste, son thème en vogue et son emplacement au cœur de la section américaine des BeauxArts, ne retient pas l’attention des critiques français. À l’inverse, l’œuvre de Bierstadt est
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FACE À FACE
CAT. 119
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LES VISITES INDIENNES À PARIS AVANT 1850 PEGGY DAVIS
Cat. 119 Anonyme, Les Osages, 1827.
Cat. 117 Lacroix et Cie éditeur, Les Six Indiens osages arrivés du Missouri au Havre le 27 juillet 1827 et à Paris le 13 août même année, 1827.
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epuis la visite des premiers indigènes d’Amérique amenés à la cour d’Espagne par Christophe Colomb à la fin du XVe siècle, ceux-ci n’ont cessé de fasciner les esprits des Européens. Au fil des siècles, la figure de l’Indien est demeurée vivace dans l’imaginaire européen, notamment grâce au développement de l’imprimé et en particulier du livre illustré. S’inscrivant dans le prolongement de l’intérêt des Lumières pour les sciences de l’homme, c’est-à-dire l’anthropologie et l’ethnographie naissantes, l’engouement pour l’Amérindien atteignit son point culminant au XIXe siècle. Cet intérêt fut avivé par le contact direct avec des « spécimens vivants », représentants de diverses populations autochtones d’Amérique du Nord qui étaient donnés à voir dans certaines grandes villes d’Europe. À ce chapitre, la venue de six représentantes et représentants de la tribu Osage du Missouri en France lors de l’été de 1827 constitue un épisode, sinon inaugural du moins prégnant, de l’histoire de ces visites amérindiennes à Paris, qui marquèrent le siècle et excitèrent la curiosité du public.
Les Osages Le séjour des Osages en France avait été organisé par un dénommé Paul Delaunay, ancien militaire français établi aux États-Unis depuis vingt-cinq ans, qui avait pris en charge la traversée des six membres de la tribu et qui, s’appuyant sur une campagne promotionnelle bien orchestrée et destinée à susciter la curiosité du public, entendait les exhiber dans diverses villes d’Europe.
CAT. 117
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CAT. 136
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L’INVENTION DU FAR WEST : LE WILD WEST SHOW DE BUFFALO BILL VIVIANNE PERRET
Cat. 136 J. Weiner Ltd., Red Eagle, 1905.
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endant trente ans, le Buffalo Bill’s Wild West parcourut les États-Unis et l’Europe, attirant des foules immenses et imposant une vision du western qu’il avait largement contribué à inventer. Par deux fois, en 1889 et en 1905, Paris et de nombreuses villes françaises se transformèrent en plaine du Far West, accueillant les tipis d’un village sioux, façonnant durablement l’imaginaire sur l’Ouest américain et les nations indiennes.
Guillaume Bison et ses Peaux-Rouges Le 10 mai 1889, la presse parisienne avait fait le déplacement au Havre afin d’être parmi les premiers à accueillir les représentants mythiques du Nouveau Monde. Fernand Xau, à l’époque journaliste célèbre pour ses interviews, avait emporté ses jumelles afin de scruter la mer et détecter le premier la silhouette du paquebot Persian Monarch, parti plusieurs jours auparavant de New York. Le service de presse du Buffalo Bill’s Wild West avait, selon son habitude, bien fait les choses. Les journalistes étaient choyés, les murs de Paris couverts d’affiches annonçant la venue du colonel William Frederick Cody, plus connu sous le nom de Buffalo Bill, et de sa troupe. Mais la présence programmée dans la capitale de bisons, de gauchos, de cow-boys et d’as de la gâchette excitait moins la presse et le public que l’annonce qu’un village entier de Peaux-Rouges – comme on disait alors – dont hommes, femmes et enfants s’installeraient aux portes de Paris. Lorsque le paquebot fut enfin à portée de voix, l’attente des journalistes fut récompensée par les chants et les cris poussés par les Indiens depuis le pont. La France avait perdu le Canada plus d’un siècle auparavant et seuls les romans, à travers Le Dernier des Mohicans de James Fenimore Cooper ou les récits d’aventure sur l’Ouest américain de Gustave Aymard, perpétuaient encore le souvenir de ces nobles sauvages. Les journalistes ne furent pas déçus par la prestation. Ils télégraphièrent immédiatement à leurs rédactions que les Peaux-Rouges de Guillaume Bison, ainsi qu’ils traduisirent maladroitement le nom de Buffalo Bill, étaient majestueux et fiers, aux longs cheveux noirs, habillés de peaux et grands amateurs de tabac. Le service de presse se garda d’avouer que Buffalo Bill n’engageait principalement que des Sioux Lakotas pour ses spectacles, Oglalas et Brûlés originaires des réserves de Pine Ridge et Rosebud. Il affirmait au contraire avec aplomb que la troupe rassemblait plusieurs nations indiennes1. Étant donné le succès phénoménal que le Buffalo Bill’s Wild West rencontra lors de ses tournées, cette vision tronquée des nations indiennes, réduite aux seuls Indiens des Plaines, influença considérablement la représentation de l’indianité en Europe. Le lendemain de leur arrivée en France, un train spécial emmena toute la troupe du Buffalo Bill’s Wild West à Paris, soit plus de six cents personnes, sans compter les bisons, chevaux et autres animaux.
Qui était Buffalo Bill ? 1 Pawnees, Wichitas, Comanches, Crows, Sioux, Arapahos, Oglalas, Brûlés selon le programme.
Né en 1846 dans l’État de l’Iowa, de parents descendants de pionniers de la colonie de William Penn et de huguenots fuyant les persécutions religieuses, la vie aventureuse de
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FIG. 1
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PERTURBER LES STÉRÉOTYPES : LES AMÉRINDIENS EN FRANCE, À LA FIN DU XIXe ET AU DÉBUT DU XXe SIÈCLE EMILY C. BURNS
TRADUCTION DE GÉRALDINE BRETAULT
Fig. 1 American Indian Encampment in Neuilly, photographie, 1889. Cody, McCracken Research Library, Buffalo Bill Center of the West.
U
n homme et une femme portant une ombrelle à carreaux se tiennent sur la gauche, tandis que les membres d’une famille sur la droite se retournent pour regarder derrière eux (fig. 1). Tous ces individus tournent le dos au photographe, leurs corps encadrant les objets de leur attention : des tipis peints au loin, une hampe à drapeau et la figure de William F. Cody (1846-1914). Coiffé d’un chapeau de cow-boy, celui-ci s’avance vers le centre de la composition. La forme circulaire de la photographie évoque celle d’un objectif ou d’un judas, révélant qu’il s’agit d’un cliché réalisé avec un des premiers appareils Kodak à mise au point fixe, par un photographe amateur. Ce format incite le spectateur à regarder dans la même direction que ces individus curieux pour tenter d’apercevoir, au-delà de Cody, les artistes amérindiens installés dans le campement. Prise en 1889, pendant les sept mois que la troupe de Buffalo passa installée dans un campement à Neuilly, à la périphérie de Paris, cette photographie souligne le gouffre qui sépare le visiteur parisien à la mode du destinataire, prétendument « primitif », de ce regard. En France, et dans toute l’Europe, les stéréotypes sur les Amérindiens reposaient largement sur les représentations visuelles et textuelles trouvées dans la littérature, les illustrations populaires et les œuvres d’art ou les objets souvenirs comme cette assiette, sans doute éditée à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, (cat. 147, ill. p. 242) où deux Indiens, dont la parure de plumes, le calumet et l’arc soulignent le côté primitif, s’ébahissent devant des bretelles dont ils n’ont guère l’usage ! Au même moment, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, des centaines d’Amérindiens faisaient le voyage jusqu’en France, pour participer aux spectacles itinérants du Wild West Show, et pour figurer dans des exhibitions ethnographiques. En 1883 et en 1911, des tribus amérindiennes vécurent dans un campement public au Jardin d’acclimatation, dans le bois de Boulogne. Le Wild West Show de Buffalo Bill, qui se produisit à Paris et à Marseille en 1889, avant une tournée dans le pays en 1905 et 1906, interprétait ce que l’on considérait comme l’histoire de la colonisation de l’Ouest américain. Au tournant du siècle, ces infrastructures – le campement à des fins d’exhibition et le spectacle – étaient pratiquement le seul moyen pour des observateurs français de rencontrer des Amérindiens. À une époque où le gouvernement américain multipliait les tentatives d’acculturation des autochtones au sein de la société des colons blancs, ces spectacles hauts en couleur, interprétés par des Amérindiens de surcroît, occupaient une position ambiguë. Un système de réserves confinait les Amérindiens sur des territoires délimités, tandis que des agences supervisaient les dispositifs d’allocation des terres et leur mise en culture. Dans ce contexte, le Bureau des affaires indiennes, administration du gouvernement fédéral américain chargée de mettre en place les dispositifs d’assimilation des communautés indigènes, voyait d’un mauvais œil les spectacles du Wild West Show car ceux-ci encourageaient et fétichisaient des pratiques tribales traditionnelles désormais hors-la-loi. De plus, ces spectacles renforçaient les stéréotypes qui faisaient de l’Indien
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SE PRENDRE POUR UN INDIEN
CAT. 149
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SAUVAGERIE À LA COUR MÉLISSA COUTAUSSE
Cat. 149 Fête des Brisilians, 1551.
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epuis l’entrée solennelle d’Henri II à Rouen en 1550, le sauvage américain apparaît régulièrement dans les spectacles et représentations (cat. 149). Mais si, en 1550, une partie des protagonistes étaient de véritables Tupis, jusqu’au début du XIXe siècle, ce sont désormais des Français qui se déguisent en Indiens, investissant ces figures exotiques de valeurs souvent positives, mais qui évoluent avec les siècles. Dès la seconde moitié du XVIe siècle, les premiers ballets et carrousels font leur apparition pour un public d’aristocrates et de courtisans. L’iconographie de ces spectacles est alors très riche puisqu’elle puise autant dans l’histoire contemporaine que dans l’héritage d’une Antiquité omniprésente. Ce goût des spectacles s’accroît au XVIIIe siècle chez une aristocratie de cour coutumière des pratiques de loisir et dont les principaux desseins sont les plaisirs et le divertissement. Cependant, ces réjouissances, moments forts de la vie courtisane, ont également une portée politique et visent à renforcer l’image régalienne. C’est à ce titre que les différentes parties du monde explorées par des Français sont régulièrement représentées et en particulier l’Amérique, par le biais de personnages censés représenter les « sauvages » du Nouveau Monde.
Le carrousel des 5 et 6 juin 1662
1 Course de testes et de bague, faites par le Roy, et par les princes et seigneurs de sa cour, en l’année M.DC.LXII., Paris, Imprimerie royale, 1670. Paris, Bibliothèque nationale de France, réserve des livres rares, V-689.
Alors que les carrousels, ou défilés de cavalerie, étaient à l’origine des événements réservés à la cour, Louis XIV les rend publics pendant quelques années, en les faisant parader dans Paris. C’est avec le carrousel des 5 et 6 juin 1662 que cette tendance prend le pas sur la tradition, avec un défilé dans les rues de la capitale qui s’achève dans la cour des Tuileries. Il s’agit alors d’un événement festif à forte résonance politique et sociale puisqu’il est organisé afin de célébrer la naissance du Dauphin (1661). Ces festivités fastueuses, sur deux jours, ne sont pas uniquement constituées de défilés puisque le 5 juin est consacré aux jeux : course de têtes et course de bague. La première consiste à planter une lance dans une tête de mannequin représentant un Turc, un Maure ou la gorgone Méduse, la seule qui soit mortelle, après avoir lancé son cheval au galop. Le second jeu consiste, selon le même procédé, à attraper un anneau avec une lance. Ces divertissements sont précédés de défilés de cavalerie – auxquels participe presque toute la cour –, constitués de cinq quadrilles représentant cinq peuples différents : les Romains, les Perses, les Turcs, les Indiens (Inde) et les Américains, qui convergent vers les jeux. Le cortège américain, le premier du genre, formé de cent soixante participants, quatre-vingt-dix chevaux et douze singes, mêle, sans distinction culturelle ou géographique, les différentes parties de l’Amérique et se différencie par sa singularité et sa richesse. Le compte-rendu de ces deux journées, publié par Charles Perrault, donne de précieuses informations et en constitue la principale source iconographique et textuelle1. Paru en 1670, l’ouvrage est illustré de nombreuses gravures coloriées, dont onze planches représentant le carrousel en lui-même, œuvres d’Israël Silvestre (Nancy, 1621-Paris, 1691), dessinateur et graveur du roi. François Chauveau (Paris, 1613-id., 1676), peintre et graveur, réalise, lui, celles des costumes de chaque quadrille en s’inspirant des dessins d’Henry de Gissey (Paris, 1621-id., 1673), créateur de décors et de costumes pour la cour et réalisateur initial des dessins, malheureusement non conservés, de ces parures. La description de Perrault apporte des éléments clés dans l’interprétation des costumes. Les protagonistes américains, si richement habillés de fourrure, de feuilles de
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LA FIGURE DE L’INDIEN DANS LA PUBLICITÉ DIDIER LÉVÊQUE
Cat. 192 Guy Fraikin, Ce Michelin est indéchirable, vers 1908.
Cat. 191 Pas de bonne cuisine, sans les fourneaux Briffault, vers 1900.
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i la publicité ne crée pas les stéréotypes, elle contribue à les perpétuer. Pour le Noir américain, le stéréotype dominant fut longtemps celui d’un personnage indolent, rieur, mal vêtu, confiné dans la maison au service d’une famille blanche. En simplifiant, on peut dire que l’Indien en est le contrepoint parfait : énergique, fier, couronné de sa coiffe, libre dans la nature où il s’oppose au Blanc. Oncle Ben sert du riz à ses maîtres, Pontiac sert d’enseigne à une magnifique automobile ! (cat. 185). Mais Noir et Indien sont parfois englobés dans un mépris commun, comme lorsque des marques de savon affirment pouvoir ôter leur couleur originelle.
Stéréotypes : identification et signification Toute publicité ethnique repose sur une vision caricaturale, déformant et réduisant la réalité, à partir d’une typologie limitée de personnages aux caractéristiques anatomiques et psychologiques exagérées. Le public doit les reconnaître immédiatement et y prendre plaisir, grâce à une présentation séduisante ou humoristique. L’Indien est le plus souvent un « Brave », mélange de noble sauvage et de guerrier à la musculature impressionnante, admirablement ceint d’une coiffe d’aigle, ou au contraire un « démon rouge » malfaisant ou bouffon, au nez crochu, aux pommettes larges, au regard noir qui étincelle (cat. 192). Sa femme est presque toujours une chaste princesse aux yeux de biche, « l’Indian Maiden », fine et gracieuse, soumise et désirable (cat. 187). Les seuls Indiens qui apparaissent dans les publicités sont ceux des Plaines et des Woodlands. Les autres aires culturelles ne sont pas assez évocatrices, sauf dans le domaine du tourisme où les Pueblos, réputés réfractaires au progrès, peuvent être utilisés pour vanter l’exotisme du Sud-Ouest. Réduit à sa plus simple expression, l’Indien est suffisamment identifié par son profil aquilin et sa coiffe de plumes (cat. 186). Sa psychologie est sommaire : il est stoïque, fier et rusé. Son jargon est limité : « Me eatum Post Toasties… heap full energy ! » (« Moi manger Post Toasties… très beaucoup plein énergie ! »), s’exclament des petits Indiens en 1951 en dévorant des corn-flakes. Son environnement paraît irréel : il est à peine esquissé ou au contraire luxuriant. On se situe dans le temps mythique d’un passé romantique. Les Indiens contemporains et leurs problèmes ne sont pas évoqués. Au XIXe siècle, les allusions à l’ethnocide en cours sont rares ou quand elles existent, elles emploient un ton humoristique et sarcastique qui en dénie la réalité. Ces stéréotypes existent bien avant la création d’un produit auquel leur association donne du sens. Le plus répandu est celui de la pureté originelle. Présenté par l’enfant de la nature, il apparaît, comme lui, sain et authentique. Sur une publicité de 1915 une princesse atteste que le jus de raisin Red Wing est « non modifié, non altéré, non fermenté ». Sur un chromo vers 1880, un Brave se tient devant deux plants de maïs dont le plus vigoureux a bénéficié du phosphate CAT. 191
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FIG. 1
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QUAND LES ENFANTS FRANÇAIS JOUAIENT AUX INDIENS (XIXe-XXe SIÈCLES) MICHEL MANSON
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Fig. 1
e la mémoire à l’histoire
L’auteur de ces lignes se souvient d’avoir joué, enfant, aux Indiens, au début des années 1950. Des amis, des relations ont aussi dans leur mémoire des bribes de souvenirs, la sensation de ramper dans l’herbe, le plaisir de fabriquer son arc et ses flèches, les panoplies d’Indien, les cris de guerre, etc. Pour transformer ces souvenirs, cette mémoire, en histoire, il faudrait mener une enquête orale, dépouiller les autobiographies et les souvenirs d’enfance. Une telle recherche reste à faire, de même que le catalogage des jouets ad hoc. Notre ambition est plus modeste et si nous mentionnons un certain nombre de jouets dont nous avons eu connaissance par les catalogues d’étrennes des grands magasins depuis la fin du XIXe siècle et par des ouvrages de collectionneurs, ce sera sans prétention à l’exhaustivité des types et fabrications. Nous tenterons de replacer cette histoire des jeux et des jouets utilisant les Indiens d’Amérique dans une histoire culturelle de l’enfance française. Nous distinguerons jouer avec des Indiens qui implique de manipuler des jeux illustrés, des figurines, des poupées, des accessoires, et jouer aux Indiens, en se déguisant, en couchant sous la tente ou en tirant à l’arc et à la carabine.
Couverture du catalogue de Noël 1938-étrennes 1939 de La Samaritaine. Imprimé, 1938. La Rochelle, musée du Nouveau Monde.
Fig. 2 D’après John White, Nobilis Matrona Pomeioocensis (détail), planche VIII de Admiranda narratio fida tamen, de commodis et incolarum ritibus Virginiae…, Francfort, Théodore de Bry, Americae pars I, 1590, gravure au burin. Paris, coll. D. L.
Prélude littéraire et iconographique : avant 1889
FIG. 2
Une gravure de 1590 (fig. 2) montrant un enfant indien tenant un jouet européen offre le renversement complet de notre thème « jouer aux Indiens ». Mais il est possible aussi que certains enfants français aient joué aux Indiens dès le XVIe siècle, puisque de très nombreux Amérindiens sont alors venus en Europe, pour être exhibés comme des curiosités ou des preuves de voyage, comme lors de la grande fête de Rouen de 1550, qui en présenta plusieurs dizaines. En effet, l’imaginaire ludique des enfants se nourrit des récits et des images et l’Ancien Régime diffusa par ce biais tout un savoir et des représentations. Mais cette diffusion resta sans doute marginale, alors que le XIXe siècle connut plusieurs étapes d’une pénétration sans cesse plus approfondie du monde des Indiens, ce qui ne put manquer de gagner la culture enfantine. Certains enfants ont vu les Osages en visite à Paris en 1827 ou les Charruas venus en 1833. Les adolescents ont lu Fenimore Cooper, Gustave Aimard et Gabriel Ferry. Ainsi, Edmond de Goncourt se souvient de sa lecture en 1834, à l’âge de douze ans, du Dernier des Mohicans durant un voyage en diligence : « Non, jamais je ne fus aussi absent de la vie réelle pour appartenir si complètement à la fiction. » De quoi construire ensuite des scénarios de jeu ! Des adaptations pour la jeunesse de ce livre – qui donne une image fouillée de la société indienne – paraissent en 1849 (Bry aîné), en 1853 (Barba), en 1868 (Ardant et Thibaut), en 1884 (Mame, rééditions jusqu’en 1923) ou encore en 1888 (Librairie Hachette, « Bibliothèque des écoles et des familles »). D’autres livres ont pu nourrir l’imaginaire des jeunes Français sur les Indiens, comme les souvenirs du peintre George Catlin dans la « Bibliothèque rose » d’Hachette en 1863. Ces ouvrages sont souvent illustrés mais d’autres images d’Indiens se retrouvent dans des jeux. Ainsi, un Jeu des travestissements (1851) présente un meunier, un Indien, un gendarme, collés sur des morceaux de bois, chaque figure étant divisée en parties
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CAT. 203
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L’IMAGE DES INDIENS DANS LES FILMS D’AVANT 1914 : TRANSFERTS CULTURELS FRANCE-AMÉRIQUE LAURENT VÉRAY
Cat. 203 Riffle-Bill, le roi de la Prairie, 1908.
1 Voir MENEGALDO, GUILLAUD 2015. 2 Voir entre autres LEUTRAT 1987. 3 Les historiens du cinéma citent souvent The Great Train Robbery (1903) d’Edwin S. Porter comme le premier western, tout en insistant sur son apport décisif au langage cinématographique naissant. Mais c’est une histoire de gangsters sans Indiens. 4 RIEUPEYROUT 1953. 5 Il faut attendre les années 1970, avec des films comme Little Big Man d’Arthur Penn et Le Soldat bleu de Ralph Nelson, pour assister à un changement radical de la figure de l’Indien et de l’indianité dans les westerns américains.
uand le cinématographe voit le jour en 1895, la conquête de l’Ouest par les pionniers vient à peine de s’achever. Sa légende devient alors un des thèmes favoris de la culture américaine. Les romans populaires, la peinture, la photographie, la chanson, le théâtre et le cirque s’en emparent1. Le Wild West Show, qui tourne dans toute l’Amérique du Nord et l’Europe, de 1882 à 1912, joue un rôle essentiel dans le renforcement du mythe du Far West. Le cinéma va aussi s’y intéresser2. Ce nouveau média de masse, en même temps qu’un loisir peu coûteux, s’adresse à toutes les classes sociales et s’impose comme la forme de spectacle la plus influente aux États-Unis. À ce titre, le western, qui apparaît sur les écrans vers 19033, est en prise directe avec la société américaine. Ses caractéristiques thématiques et esthétiques, qui se développent de film en film, participent à la construction identitaire du pays, à l’édification d’un imaginaire collectif et d’une histoire fantasmée. En mettant en images et en récit les origines de la nation et sa politique expansionniste, il revêt une importance idéologique déterminante. Comme l’énonce André Bazin, en 1953, dans la préface du livre de Jean-Louis Rieupeyrout4, le western est le seul genre dont les origines se confondent presque avec celles du cinéma, et c’est le cinéma américain par excellence. L’émergence du western, émanation du rêve américain, se traduit par la déformation de la réalité des événements historiques représentés. Au sein de cette mystification, la cause des Indiens est dévalorisée, leur extermination ignorée. Ils incarnent l’Ouest sauvage qu’il faut civiliser. Pour les Blancs, les Indiens sont synonymes de peurs et de dangers. Ce sont des obstacles face au territoire à conquérir et à valoriser. Dans cette étude, nous tenterons de mettre en évidence les différentes représentations de l’Indien et de l’Indienne véhiculées par une série de films français et américains ayant circulé des deux côtés de l’Atlantique entre 1907 et 1914 ou, en d’autres termes, avant le triomphe d’un genre célèbre, le western classique, qui s’est constitué en grande partie, à quelques nuances près, sur la négation de l’existence des Indiens et de leur destruction5. C’est-à-dire aussi, bien avant l’hégémonie hollywoodienne, à une époque où la France était encore le principal pays producteur de films. Nous appuierons nos analyses sur des copies retrouvées dans les archives de la Cinémathèque française, du Centre national du cinéma et de l’image animée et des sociétés Pathé et Gaumont.
Les premières images animées des Indiens La mise en scène grandiose et hagiographique de la conquête de l’Ouest dans le Wild West Show, gigantesque spectacle vivant, rencontre un triomphe à Chicago lors de l’Exposition universelle de 1893. Son créateur, Buffalo Bill Cody, est lui-même une figure mythique du western tel qu’il est en train de se construire. En 1894, ce divertissement populaire retient l’attention de Thomas Edison, l’inventeur, entre autres, du kinetograph, la première caméra de l’histoire du cinéma. Chaque vue, d’une minute environ, est enregistrée sur une bande celluloïd perforée de 35 mm. Edison demande alors à son assistant William Kennedy Laurie Dickson de filmer des danses d’Indiens.
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SE DÉGUISER EN INDIEN TRAVESTISSEMENT ET INDIANISME EN FRANCE DIDIER LÉVÊQUE
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e déguiser en sauvage pour faire la fête
Cat. 207 C. Portier, photographe à Alger, Le marquis de Mornay-Soult en Indien, vers 1865.
Cat. 205 Saint-Amand-les-Eaux, Le Dernier des Mohicans est né à Pantin, vers 1860.
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1 JACQUIN 1987, p. 48.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle en France, on parle moins d’Indiens que de sauvages, ce qui nous renvoie au mythe médiéval de l’Homo sylvestris. Comme lors du bal des Ardents en 1393, le sauvage est un acteur familier des fêtes, où le travestissement permet d’enfreindre temporairement les règles sociales et morales. L’Indien se confond tout naturellement avec ces anciennes figures de la transgression. Quand le père Le Jeune rencontre ses premiers Indiens à Tadoussac en 1632, il croit d’ailleurs « voir ces masques qui courent en France à Carême-prenant1 ». En 1685, le gouverneur Denonville témoigne lui aussi que les jeunes colons de la Nouvelle-France se travestissent en Indiens, criant et imitant leurs danses au moment de carnaval. Au cours du XIXe siècle, les représentations du sauvage sylvestre évoluent et prennent les traits du sauvage d’Amérique : les plumes remplacent les couronnes de feuilles, le poil disparaît – mais la barbe subsiste –, le gourdin tient lieu de tomahawk, comme l’illustre la transformation graduelle des sauvages médiévaux en Peaux-Rouges qui accompagnent le Bœuf gras lors du cortège de carnaval. C’est le prétexte pour le Journal du rire du 26 février 1870 de caricaturer en Indiens les députés de Paris, dont Jules Ferry, entourant Thiers sur son bœuf gras. Ce sauvage barbu et emplumé est l’un des travestissements proposés dans les mascarades, comme le montre une planche de costumes d’époque Restauration (cat. 204). Il est toutefois moins raffiné que les ducs ou les Pierrots qu’on lui préfère dans la bonne société. Lorsque Charles Bertall croque, en 1864, les invités au bal costumé de la baronne de Saint-Kétoel, il y place un Ioway, qui se permet des commentaires de mauvais goût sur les marquises. Paul d’Aigremont, dans son roman Monté-Léone en 1896, fait bien paraître une splendide indigène à une fête costumée du Tout-Paris mais c’est parce que la belle emplumée, avec son carquois de flèches et ses petits pieds chaussés de peaux de bête incrustées d’or, n’est pas une sauvageonne mais une authentique princesse descendant de Moctezuma ! Si le comte Pierre de Mornay-Soult pose en chef indien hirsute en 1865 (cat. 207), c’est à l’occasion d’un divertissement pour la bonne société coloniale où l’on s’amuse à rejouer Janot chez les sauvages, une simple « folie de carnaval », écrite pour le théâtre des Variétés de Paris en 1856. Sans le livret qui précise que les « costumes sauvages doivent être ceux des Osages, aussi exacts que possible », on aurait du mal à reconnaître de vrais Indiens dans les personnages cocasses de Missoucloche et Rococotte, habitants de l’île des Cocos. L’utilisation festive du déguisement de l’Indien se généralise après les tournées de Buffalo Bill. Les groupes grimés en Peaux-Rouges défilent dans les mi-carêmes, les festivals de la moisson, les fêtes des fleurs. Les jeunes diplômés de Saint-Cyr, qui avaient été les premiers en 1889 à parodier les danses des Indiens de Buffalo Bill lors du triomphe de leur promotion, se déguisent à nouveau en Sioux pour le centenaire de l’école. C’est un thème prisé dans les fêtes de régiment de 1900 à 1925. En se déguisant en Indiens, les militaires conservent une identité martiale. En la déplaçant sur un terrain comique, la troupe peut démontrer au public son adresse avec des exercices équestres inspirés du Wild West Show et rompre un instant avec la discipline sévère (cat. 210).
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ANNEXES
CATALOGUE DES ŒUVRES EXPOSÉES Les premières images Cat. 1 | ill. p. 24
Cat. 6 | ill. p. 18
Theodor Barendsz (d’après) (Amsterdam, XVIe s. – Angleterre, ?) Gravé par Jean Sadeler le Vieux America Gravure au burin, 1531 H. 20 ; L. 23 cm La Rochelle, musée du Nouveau Monde
Jan Van Kessel le Vieux (?, 1626 – ?, 1679) Scène de cannibalisme Huile sur cuivre, premier quart du XVIIe siècle H.18 ; L. 24,5 cm La Rochelle, musée du Nouveau Monde
Il faut noter, dans l’arrière-plan de cette allégorie, des chercheurs d’or dans la rivière, motif trahissant l’obsession des premiers explorateurs de l’Amérique.
CAT. 2
Cat. 2 Nacolabsou, roi du promontoire des cannibales et Quoniambec Tirés de Les Vrais Pourtraits et vies des hommes illustres grecz, latins et payens, recueilliz de leurs tableaux, livres, médalles antiques et modernes, d’André Thévet, Paris, Vve J. Kerver et G. Chaudière, 1584, t. II, p. 650 et 661 Gravures au burin, 1584 H. 38 ; L. 25 cm Paris, coll. D. L.
CAT. 3
Cat. 3 Comment les sauvages boivent et mangent Tiré de La Cosmographie universelle… d’André Thévet, Paris, P. Lhuillier et G. Chaudière, 1575, p. 930 Gravure sur bois, 1575 H. 34,5 ; L. 23,5 cm Paris, coll. D. L. CAT. 4
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Cat. 4 Couple de Tupinambas et Couple d’Indiens offrant l’hospitalité à un vieillard ou La salutation larmoyante Tirés de Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil autrement dite Amérique, de Jean de Léry, [Genève ?], Antoine Chuppin, 1585, p. 263 et 374 Gravures sur bois, 1585 H. 25 ; L. 15 cm La Rochelle, médiathèque Michel-Crépeau Cat. 5 | ill. p. 18 Scène d’anthropophagie Tiré de Brasilia, de Hans Staden, Francfort, Théodore de Bry, Americae pars III, 1593, p. 86 Gravure au burin, 1593 H. 16,5 ; L. 20 cm La Rochelle, musée du Nouveau Monde
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Depuis les premières années du XVIe siècle jusqu’au début du XVIIe siècle, la représentation des scènes de boucherie et de manducation de corps humains est récurrente dans l’iconographie des Indiens Tupinambas du Brésil. D’abord figurée au second plan dans l’illustration de la Lettre d’Amerigo Vespucci, la scène de cannibalisme occupe bientôt toute la place, voire se démultiplie entre préparation culinaire, cuisson et repas dans une sorte de fascination horrifiée et racoleuse. Le tableau de Van Kessel amalgame plusieurs sources. À droite, l’Indien éventrant le corps décapité reprend partiellement un des cuivres de Théodore de Bry illustrant les aventures de Hans Staden (Americae tertia pars, 1593, p. 48), de même que l’enfant exhibant la tête décapitée d’un Européen (blanc et barbu). Le hamac à l’arrière-plan peut également en être tiré. Le boucan, au centre du second plan, avec l’homme attisant le feu – et sa tonsure tupinamba caractéristique –, peut s’inspirer aussi d’une planche du même ouvrage relatant le voyage de Jean de Léry (édition de 1592, chap. IX, p. 179). Le motif de la tête et de la jambe accrochées en haut à gauche paraît, lui, provenir de la Lettre de Vespucci tandis que les ornements de plumes peuvent provenir d’une troisième planche de de Bry (édition de 1592, chap. VIII, p. 174). Il est à noter que le peintre situe la scène à l’intérieur d’une habitation ce qui, en revanche, est un élément iconographique nouveau dans ce type de représentations qui tendent à disparaître dans les années 1625-1630. (A. N.) Cat. 7 | ill. p. 23 Jacques Le Moyne de Morgues (d’après) Les tâches des hermaphrodites Les Floridiens vont dans une île pour implorer une divinité Planches XVII et XXVII de Brevis narratio eorum quae in Florida Americae provincia gallis acciderunt…, Francfort, Théodore de Bry, Americae pars II, 1591 Gravures au burin, 1591 H. 34,5 ; L. 24,2 cm La Rochelle, musée du Nouveau Monde Le reportage de J. Le Moyne de Morgues, même transformé par les graveurs de l’officine de Théodore de Bry, reste une base essentielle de la connaissance du monde des Timucuas, tribu dont le dernier membre disparut au cours du XVIIIe siècle. Sans préjugé, l’artiste a représenté ici les tâches confiées aux « hommes qui souhaitaient devenir des femmes » et qui assurent donc des missions
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qui leur sont propres puisqu’ils refusent de porter les armes. La planche 28 exalte leur douceur de vivre tout en signalant la flèche plantée dans le chignon de l’homme et prête à l’usage en cas de danger. (A. N.) Cat. 8 | ill. p. 23 John White (d’après) Prince et roi de Virginie Planche III de Admiranda narratio fida tamen, de commodis et incolarum ritibus Virginiae…, Francfort, Théodore de Bry, Americae pars I, 1590 Gravure au burin, 1590 H. 34 ; L. 23,5 cm Paris, coll. D. L. Cat. 9 Brésiliens abattant et transportant le bois-de-brésil Chêne, vers 1550 L. 221 et 170 ; l. 52 et 53 cm Rouen, musée départemental des Antiquités de Seine-Maritime Ces deux panneaux proviennent d’une maison située au 17, rue Malpalu à Rouen d’où ils ont été déposés en 1837. À cette époque la ville était une des plus actives dans le commerce de ce bois utilisé en teinture qui a donné son nom au Brésil. Les Tupinambas sont ici conformes aux canons maniéristes en vogue en Europe au milieu du XVIe siècle et ne sont caractérisés que par leur nudité harmonieuse. Cat. 10 | ill. p. 226 Reliure à décor d’Indiens Veau, dorure et polychromie, milieu du XVIe siècle H. 17,3 ; L. 11,5 cm Paris, coll. D. L. Cette reliure rare est une des premières représentations d'Indien après le retour de Jacques Cartier. Cat. 11 | ill. p. 226 Plaque de cheminée à décor d’Indiens Fonte, XVIe siècle H. 50 ; L ; 69,5 cm Paris, coll. D. L. Cat. 12 | ill. p. 25 Cariatide (élément de meuble) Noyer, milieu du XVIe siècle H. 60 ; L. 12 cm La Rochelle, musée du Nouveau Monde
L’Indien des XVIIe-XVIIIe siècles Cat. 13 | ill. p. 26
Cat. 14 | non ill.
Grégoire Huret (Lyon, 1606 – Paris, 1670) Portrait d’Amérindien D’après le texte de François Du Creux (Saintes, 1596 – Bordeaux, 1666) Historiae Canadensis, pl. I, p. 70 Gravure au burin, 1664 Paris, coll. D. L.
Grégoire Huret (Lyon, 1606 – Paris, 1670) Le Martyre des missionnaires jésuites Eau-forte, XIXe siècle (présente édition), 1664 (gravure originale) H.11,1 ; L. 15,2 cm Dieppe, musée du Château
En 1643, la Compagnie des Cent-Associés commande un ouvrage historique dédié à la christianisation de la Nouvelle-France au père François Du Creux (1596-1666), historien officiel de l’ordre jésuite. La Compagnie est alors en difficulté financière et compte sur cette publication pour revaloriser son action outre-Atlantique. Du Creux, qui ne s’est jamais rendu au Canada, retrace l’histoire de la colonie en s’appuyant sur un corpus de sources littéraires variées : Histoire de la Nouvelle-France de Marc Lescarbot (1609), Les Voyages de Samuel de Champlain (1613), Relations des jésuites (1632-1673), et Le Grand Voyage au pays des Hurons de Gabriel Sagard (1632). L’auteur s’emploie à tirer des conclusions morales des événements qu’il relate et à souligner la grandeur et la vertu des personnages cités, qu’ils soient des missionnaires (et martyrs) français ou des alliés amérindiens. Un corpus de treize gravures illustre le texte, dont cinq sont des portraits d’Amérindiens en pied. La planche I représente un homme, casse-tête à la main, simplement vêtu d’un brayet, un habit d’été abondamment décrit par les auteurs français des XVIIe et XVIIIe siècles. Son crâne est entièrement rasé, à l’exception d’une mèche au sommet, tandis que son corps est recouvert de tatouages aux motifs ici fantaisistes mais qui illustrent une pratique attestée et répandue dans la région des Grands Lacs au XVIIe siècle. Le graveur Grégoire Huret a vraisemblablement souhaité produire une image fidèle aux descriptions ethnographiques existantes. Il l’idéalise toutefois : la musculature éclatante de l’Amérindien et sa posture héritée du contrapposto antique le transforment en « bon sauvage » naturel, raisonné et donc favorable à la conversion catholique, ce que renforce son regard méditatif tourné vers la terre. (C. F.)
Cette gravure est originellement publiée en 1664, dans la première édition des Historiae Canadensis du père jésuite François Du Creux qui retrace l’histoire de la christianisation en Nouvelle-France. Du Creux s’y emploie à rendre hommage aux héros martyrs de la colonisation, dont la mors preciosa, illustrée ici, doit édifier le lecteur. Le graveur parisien, qui semble s’inspirer d’un tableau alors présent dans la capitale et dont une copie est aujourd’hui conservée à Québec, a rassemblé dans une même composition les martyres distincts de huit jésuites, répartis entre le premier et l’arrière-plan. Huret a choisi d’isoler le père Isaac Jogues au premier plan. Décapité d’un coup de tomahawk en 1646, l’ecclésiastique en prière attend sereinement le coup mortel. Au centre et à droite du second plan, les figures du père Lallemant (au centre) et du père Brébeuf (à droite), chacun attaché à un poteau de torture, constituent une reprise iconographique évidente de la flagellation du Christ. L’attitude de prière et l’expression paisible de chacun des martyrs sont autant de signes de la grâce future de leur âme qui contrastent violemment avec l’agressivité des Iroquois et les monstrueux sévices qu’ils infligent aux missionnaires. Brébeuf est ainsi affublé d’un collier de haches passées au feu tandis que l’un des Amérindiens s’apprête à le « baptiser » d’une marmite d’eau bouillante, deux tortures rapportées par le père Ragueneau dans la Relation de 1649. Ces « mauvais sauvages », figures d’un Autre sans foi ni humanité, exaltent ainsi en tout point les qualités morales et religieuses des saints martyrs, modèles de vertu pour le lecteur. (C. F.)
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