LES PIONNIÈRES DANS LES ATELIERS DE FEMMES ARTISTES DU XXE SIÈCLE (extrait)

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La publication de cet ouvrage a donné lieu à plusieurs expositions réunissant les œuvres de ces pionnières. À la Galerie Pierre-Alain Challier, à Paris, du 10 mars au 7 avril 2018. À la Galerie Martel Greiner, à Paris, au printemps 2018

Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial Nicolas Neumann Coéditions Véronique Balmelle Responsable éditoriale Stéphanie Méséguer Suivi éditorial Lore Gauterie Conception graphique Nelly Riedel Contribution éditoriale Gaëlle Vidal Fabrication Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros

Cet ouvrage est publié avec le soutien de Raja

www.raja.fr www.villadatris.com

© Somogy éditions d’art, Paris, 2018 © Connaissance des Arts, 2018 © Galerie Hélène Greiner, 2018 ISBN 978-2-7572-1305-6 Dépôt légal : février 2018 Imprimé en Union européenne

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LES PIONNIERES e

DANS LES ATELIERS DE FEMMES ARTISTES DU XX SIÈCLE

Photographies de Catherine Panchout

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Textes d’Élisabeth Védrenne et de Valérie de Maulmin

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REMERCIEMENTS Les éditions Somogy et les auteurs tiennent à remercier chaleureusement Danièle Kapel-Marcovici, P.-D.G. du groupe Raja et présidente-fondatrice de la Villa Datris, dont l’élan et la générosité ont permis la publication de ce livre. Les auteurs souhaitent exprimer leurs remerciements à Nicolas Neumann, directeur éditorial des éditions Somogy, à Véronique Balmelle, chargée des coéditions ainsi qu’à Guy Boyer, directeur de Connaissance des Arts, de son soutien en ayant donné une visibilité à ces artistes avec des publications dans la rubrique « Visite d’atelier ». Je remercie les artistes réunies dans ce livre de m’avoir laissée les photographier dans leurs lieux de vie et de travail. Ma quête a été de préserver une certaine mémoire de leurs belles présences, de voler au temps et à l’espace des étincelles de vie, celles de cette subtile énergie circulant dans leurs ateliers. Le galeriste Pierre-Alain Challier de participer avec enthousiasme à chaque nouvelle aventure éditoriale, cette fois-ci avec une exposition réunissant les œuvres de ces pionnières. CATHERINE PANCHOUT

Je remercie chaleureusement James Caritey, assistant de Pierrette Bloch, et la peintre Ode Bertrand, amie d’Aurélie Nemours, pour l’aide qu’ils ont bien voulu lui apporter. Ainsi que l’historien d’art Giovanni Careri de l’EHESS pour ses encouragements et ses précieux conseils. ÉLISABETH VÉDRENNE

Je souhaiterais remercier ceux qui se sont passionnés pour ce beau projet et en ont partagé l’aventure : Pierre-Alain Challier, et en particulier Danièle Kapel-Marcovici, sans qui ce livre n’aurait pas vu le jour. Je remercie tout particulièrement Véra Molnar et Judit Reigl pour leur accueil et leur disponibilité, et pour ces merveilleux moments d’échanges et de découvertes dans le secret de leur atelier. VALÉRIE DE MAULMIN

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SOMMAIRE Introduction

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ÉLISABETH VÉDRENNE

Geneviève Claisse

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ÉLISABETH VÉDRENNE

Sheila Hicks

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ÉLISABETH VÉDRENNE

Marta Pan

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ÉLISABETH VÉDRENNE

Véra Molnar

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VALÉRIE DE MAULMIN

Pierrette Bloch

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ÉLISABETH VÉDRENNE

Aurélie Nemours

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ÉLISABETH VÉDRENNE

Geneviève Asse

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ÉLISABETH VÉDRENNE

Shirley Jaffe

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ÉLISABETH VÉDRENNE

Etel Adnan

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ÉLISABETH VÉDRENNE

Parvine Curie

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ÉLISABETH VÉDRENNE

Judit Reigl

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VALÉRIE DE MAULMIN

Les auteurs

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Cet ouvrage est avant tout un hommage. Le désir de mettre en lumière onze femmes artistes en faisant leur portrait, immergées dans leur travail quotidien au cœur de leur lieu de prédilection : l’atelier. Etel Adnan, Geneviève Asse, Pierrette Bloch, Geneviève Claisse, Parvine Curie, Sheila Hicks, Shirley Jaffe, Véra Molnar, Aurélie Nemours, Marta Pan, Judit Reigl, sont toutes de la même génération, celle qui les a fait naître avant la Seconde Guerre mondiale, celle qui les a fait atteindre leur maturité artistique dans les années 1950 et 1960, celle qui les fait resurgir après l’an deux mille dans les musées et les galeries, à la fin de leur vie. L’autre lien qui les rassemble est celui de l’abstraction, de toutes les sortes d’abstractions, car sous cette étiquette se cachent autant d’approches artistiques et de possibilités d’expression qu’il y a d’artistes. Parmi elles, nombreuses sont celles qui se sont affirmées, pour ou contre, alors que régnait à Paris la « seconde » école de Paris. Aucune n’est cependant une « figurative » ou, comme le sera majoritairement la génération suivante, aucune n’exprime le quotidien, le ressenti, la révolte, le constat du monde, ou la réinvention du « je » et du corps de la femme. Toutes les femmes de cet ouvrage ont plutôt tenté de s’extraire du réalisme, de fuir toute manifestation d’introspection personnelle, de pathos ou de désordre sociétal. C’est aussi un clin d’œil amical, une sorte de reconnaissance au moment où partout dans le monde et en France spécialement, leurs noms et leurs œuvres émergent enfin et attisent la curiosité. Car l’époque et les préjugés ont longuement laissé ces créatrices dans la pénombre, dans une demiinvisibilité qu’elles ne méritaient certainement pas. Comme toutes les femmes artistes de leur génération, elles ont souvent été éclipsées plus ou moins longtemps, marginalisées, voire parfois occultées par l’histoire de l’art alors encore très patriarcale. Les revoilà dans la lumière, même si certaines d’entre elles nous ont quittés il y a peu. Il ne faudrait pas omettre de citer l’exposition parisienne en deux temps intitulée « Elles@centrepompidou » en 2000 et 2010 qui agit comme un révélateur. On y avait redécouvert comme un continent oublié ! Elles sont aujourd’hui terriblement à l’honneur les artistes femmes, pour ne pas dire convoitées, et de plus en plus fêtées parce que le regard porté sur la créativité des femmes a changé. Mais ne nous voilons pas la face, si le marché de l’art met sur le devant de la scène un tel nombre d’exclues, d’inconnues ou du troisième âge, c’est aussi un bel alibi financier. Non seulement une mode, mais aussi une aubaine. Quelles qu’en soient les raisons, il semble opportun de profiter de ce contexte favorable pour mettre les pendules à l’heure et pouvoir enfin montrer sereinement toutes ces œuvres toujours pleines de fraîcheur et peu étudiées. En outre, ces onze femmes ne se sont jamais définies en tant que féministes, ainsi qu’on l‘entend de nos jours. Mai 68 n’était pas encore passé par là ! Leurs luttes, forcément souterraines et sans doute plus ardues que si elles avaient été des hommes, leur semblaient normales. Leurs préoccupations n’avaient rien de commun avec la génération d’après, celle des femmes artistes œuvrant à partir des années 1970. Aujourd’hui, il ne viendrait plus à l’idée de personne de considérer leur art comme synonyme « d’art féminin » ou « d’art féministe ». Ce livre n’est en effet ni un manifeste ni une prise de position sur un quelconque art « de genre » du type des « Gender Studies » américains. Il est bien plus modeste. Il se veut le témoignage léger et attrayant de quelques instants volés, bribes de conversations, moments de détente, souvenirs émus, imprégnés d’odeurs, de lumières changeantes, de couleurs, de rires et de silences. Il cherche à travers textes et photographies à restituer ce sentiment si étrange et particulier que tout un chacun ressent dans ces « ailleurs » magiques, car la création reste un mystère. Il se déroule comme des promenades au cœur de lieux intimes puisque souvent, cette « chambre à soi » chère à Virginia Woolf, fut patiemment et difficilement conquise. Parfois ce n’est qu’un endroit jouxtant la cuisine ou faisant office d’appendice dans la bibliothèque. Au fil du temps, certaines d’entre elles gagnèrent de beaux espaces, agencés selon leur volonté. Remarquons que la plupart ont en commun des ateliers soignés, rangés, pensés et organisés pour être efficients et ouverts à leur quête de l’abstrait ou de la méditation, avec souvent une pointe de mysticisme. À mille lieues de l’atelier pittoresque et violent d’un Francis Bacon ! Pas de fanfreluches non plus, ces dames ne s’encombrent pas de potiches. L’air que l’on y respire est celui d’une liberté farouchement acquise. Joyeux ou mélancoliques, ils sont le miroir de l’artiste qui les habite. Quant à la nécessité viscérale de l’existence de l’atelier, il est exactement celui propre à tout artiste, qu’il soit homme ou femme. Élisabeth Védrenne

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GENEVIÈVE CLAISSE 01-P10_200_Pionnières.indd 11

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Geneviève Claisse est une femme de conviction. Tout paraît simple à l’entendre. Sa vocation d’artiste semble être une prédestination et le choix de l’abstraction géométrique, un destin. Elle-même le souligne : « Écolière, j’étais déjà abstraite. » Surgie d’un territoire rural du nord de la France, elle est parente du grand peintre Herbin, tous deux nés d’un milieu populaire dans le même village, Quiévy. Dès son enfance, elle se sent différente. Son père est un commerçant qui court les foires alentour pour acheter les bêtes sur pied comme l’on le pratiquait alors. Elle ne sort pas, elle ne parle pas. Ne s’active pas comme toute sa famille. Elle prend en horreur l’odeur de l’herbe et de la terre. Une taiseuse qui ne sait que crayonner et lire. Un ovni que l’on surnomme « La Muette ». Pourtant, il est impossible qu’elle n’ait pas été bercée par l’immensité des espaces qui l’entourent. Lorsque à quinze ans elle découvre au collège la revue Art d’aujourd’hui, elle a comme une révélation... « Il n’y a pas eu chez moi de recherche d’une voie dans la mesure où l’abstraction est apparue comme la seule voie possible. » Un sentiment qui se confirme lorsqu’elle rencontre son aîné l’artiste Auguste Herbin, un parent revenu au village pour un film. Tout devient alors, en effet, d’une simplicité biblique. Elle sait intuitivement que la peinture est sa vie, mais surtout pas la peinture figurative qui représente la réalité des d’objets nés du quotidien, reconnaissables. Elle refuse la figure, rejette la nature, abhorre le naturel. Le réel ne l’intéresse absolument pas. Elle aime l’espace construit artificiellement, l’ordonnance, la géométrie, la forme née de la couleur même et cohabitant avec elle, le rythme menant à l’équilibre, l’invention provenant de l’intellect. L’abstraction géométrique, purement mentale et éloignée de tout sentiment et pathos que théorise et professe Auguste Herbin, en s’appuyant sur de nombreuses théories ésotériques, lui offre tout cela avec son alphabet plastique et ses codes chromatiques. « Je suis née ce jour-là. J’ai trouvé d’un coup, un sens à la vie. En regardant les formes, les couleurs, l’esprit, j’ai su ce que je voulais faire. » La suite est donc prévisible. Elle part à Paris dotée d’une volonté de fer et accourt lorsque Herbin qui vient d’avoir une attaque le laissant à demi-hémiplégique a besoin d’une assistante pour continuer à travailler. Pendant toute l’année 1959, jusqu’à la mort du grand artiste, elle l’aide : « Je préparais les toiles, les couleurs, je dessinais et mettais au propre les grilles. » En hommage, elle publiera même, bien plus tard, son Catalogue raisonné. Elle apprend avec lui les trames et les quadrillages qui organisent le tableau, elle expérimente son système, mais se veut tout de même indépendante, et se sentira toujours libre. Dès ses débuts, elle n’eut donc pas à passer par le figuratif pour aboutir à l’abstrait comme tous ces aînés des avant-gardes modernistes, à l’instar de Mondrian. Elle est d’une autre génération, elle a sauté une case et a plongé directement dans l’esprit de l’abstrait. C’est dire si l’atelier est important ! Un vrai laboratoire où elle produit, avec le soin de l’enfant qui colorie à l’intérieur de ses dessins préétablis sans vouloir « dépasser » les limites tracées, ses visions combinatoires à la fois conceptuelles et sensitives. Dans ses deux ateliers immaculés, l’un dans sa maison à la campagne, l’autre à Paris, et qui se ressemblent comme des jumeaux aussi blancs et neutres que possible au point qu’il est difficile de les distinguer parfois, elle trace ses lignes, ses grilles, ses cases, elle combine et imbrique, elle joue avec les triangles plus ou moins aigus, pointus ou syncopés. Avec les carrés qui se meuvent comme des notes de musique sur des portées de lignes droites. De plus en plus souvent avec des cercles, des cercles parfaits qui, collés et placés les uns dans les autres, se découpent en lunes et donnent l’illusion de tanguer, de se mouvoir tel l’iris d’un œil. C’est la densité et le voisinage des couleurs qui apportent cette sensibilisation, ce rythme qui les fait vibrer entre elles, cette intensité qui les magnétise et leur confère un tel pouvoir d’attraction. Les couleurs presque violentes tant elles sont basiques, même le vert acidulé ou émeraude, le rouge coquelicot, les oranges, les roses ou les jaunes safranés flirtent entre eux, mais sans jamais se toucher. Les noirs oublient de n’être que des cernes et jouent leur partie. Quelques frissons, quelques danses, quelques halos, de brefs baisers instables en cascades... On peut penser aux papiers découpés de Matisse, mais chez Geneviève Claisse on ne trouve jamais un soupçon d’évocation figurative. On peut songer aux théories de 16

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SHEILA HICKS

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GENEVIEVE CLAISSE elle cherche simplement à comprendre comment se comporte et réagit une fibre afin de la plier au mieux à ses désirs. Toute jeune, sortie de son Nebraska natal, elle étudie la peinture avec Josef Albers à la Yale School of Art and Architecture, et découvre les tissus amérindiens avec l’historien d’Amérique latine George Kubler. Confortée dans son attirance par une rencontre avec Anni Albers, elle part à la conquête du Mexique, avec des va-et-vient incessants avec le Pérou, la Colombie, l’Équateur pour faire une thèse sur les anciens tissages préincaïques. À Taxco au Mexique auprès de son premier mari qui est apiculteur, elle travaille avec les Indiens, utilisant les cadres des ruches comme petit métier à tisser rudimentaire. Elle apprend près d’eux la technique des « fentes », et de ce qu’elle appellera le « wrapping », la façon de torsader des fils autour d’une tige, qu’elle sera la première à introduire en Occident. Elle prend conscience plus tard de la puissance de la couleur en Inde. Au Maroc, elle se penche sur les traditionnelles teintures et réalise des tapis muraux. Aux côtés de son second mari avec lequel elle vit à Zurich un temps, l’artiste chilien Cristobal Zanartu, elle découvre le surréalisme dont elle se souviendra à Paris, écumant les marchés aux puces à la recherche d’objets populaires qu’elle intègre dans ses petites trames : des lacets, des boutons, des cols, des étiquettes, des morceaux d’ardoise... ; ou en réalisant de petites tapisseries miniatures avec des papiers imprimés froissés et même des élastiques. À Ouessant, elle insère des coquillages, les couteaux. Ces pièces toutes petites sont très rares, précieuses comme des bijoux. Mais bientôt, c’est l’art minimal et l’architecture qui vont la passionner et lui faire changer de taille et de proportions. Déjà à Mexico au début des années 1960, elle s’était liée d’amitié avec l’architecte Luis Barragàn et avec le sculpteur Mathias Goeritz. Sheila Hicks a plusieurs cordes à son arc et même si elle ne cesse de voyager de continent en continent, elle ne perd jamais le nord, toujours très organisée. Elle devient une excellente designer textile pendant de nombreuses années pour la maison Knoll dès 1964 ainsi que pour Georg Jensen. Bien qu’installée à Paris dans son atelier du passage Dauphine en 1965, elle continue à travailler pour son pays, ouvrant même un studio quai des Grands-Augustins avec l’architecte Henri Tronquoy pour répondre à toutes ces commandes américaines, dont celle du superbe panneau de l’auditorium de la Ford Foundation de New York (1967) qu’elle vient d’ailleurs de restaurer. Le Japon, bien évidemment, n’est pas en reste et lui permet de réaliser des œuvres de très grande envergure, telles l’immense tapisserie en lin Four Seasons of Mount Fuji en 1993, ou l’étonnant rideau en patchwork de polyester pour le Centre Culturel Kiryu de Gunma. Mais la caractéristique de Sheila Hicks est aussi d’être capable de créer la surprise, comme en 1977 avec une installation de torchons, œuvre en complète résonance alors, volontairement ou non, avec les recherches du mouvement Supports-Surfaces ; et en exposant en Suède en 1986 un patchwork fait de blouses blanches d’infirmières. Impossible de la cerner totalement, de réduire son imagination créative à des classifications, ni d’énumérer le nombre incroyable de ses expositions de par le monde. Sauf, après les États-Unis, où elle est présente dans les plus grands musées, celle de sa consécration en France avec sa rétrospective et sa donation en 2018 au musée du Centre Pompidou de Paris. Non seulement sa longue vie a été un roman, mais son inventivité lui a fait atteindre le rang des plus prestigieux artistes d’art total. Sheila Hicks fait feu de tous fils et ne cesse de les interroger, d’en découvrir de nouveaux, naturels et artificiels, pour faire vibrer ses éternelles créations textiles. ÉLISABETH VÉDRENNE

Les photographies ont été réalisées entre 2014 et 2017. 37

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MARTA PAN

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MARTA PAN

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PIERRETTE BLOCH

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Se faufiler dans le travail de Pierrette Bloch c’est entamer un long voyage et musarder dans notre propre mémoire visuelle si riche d’images évanouies. Face à son œuvre, à ses fils sans fin, ses lignes embrouillées et ses boucles nouées, à ses points qui ponctuent l’espace, à ses traits hachurés, serrés en d’étranges écritures, à ses hiéroglyphes inconnus ondulant sur des feuilles telles des miniatures d’un autre temps, notre imagination s’emballe. Devant ces palimpsestes arachnéens ou ces grosses taches rondes et noires alignées, on entrevoit un art du presque rien, du très peu mais à l’échelle du beaucoup, du presque, du trop. Le rien devenant tout. Comme lorsqu’on tricote, on commence par une boucle et on finit avec un vêtement entier, carapace aérienne couleur du temps comme dans Peau d’âne. Et dès que l’on entre dans cette logique du faire-en-train-de-sefaire en partant du presque rien, on a mis le doigt dans l’engrenage, on s’est avancé sans s’en rendre compte vers l’embarquement pour l’île de la Méditation. Il ne reste plus qu’à s’y abandonner. À recevoir la ronde d’images qui vont s’égrenant derrière nos pupilles, attendre que l’écoulement du temps se fraye un passage jusqu’à notre cerveau. Pas besoin de se mettre à la méditation transcendantale. Juste s’abstraire tout en gardant ses antennes éveillées, et, avec simplicité, se laisser entraîner vers l’univers poétique et la sorte de léthargie muette que Pierrette Bloch réveille en nous. Pendant cette promenade, des bribes d’imageries personnelles naissent tel un collage d’impressions pointillistes, une sismographie intime qui défile sans discontinuer, avec un tempo en perpétuel devenir, dans une sérialité répétitive jamais mécanique. Proust écrivait quelque part : « J’ai cru trouvé un fil, j’ai trouvé des mémoires. » Surgit alors un herbier improbable, les pas d’une chaconne bien scandée, la laine des moutons entortillée dans les ronces. Apparaissent des hirondelles sur un fil électrique, des cailloux ricochant sur un lac, des étourneaux envahissant le ciel, les notes accidentées d’une leçon de piano, les arabesques du lierre aux feuilles en forme de cœur comme chez Matisse ou Ellsworth Kelly, des flocons de neige obstruant une nuit noire, des pommes mises à sécher sur le rebord de la cheminée, le roucoulement entêtant d’une palombe, des perles de jais à enfiler, les ronds de fumée d’une cigarette, les points de suture d’un jeune blessé, des osselets en l’air, une cotte de mailles rapiécée, un collier de dents de lait, la vitre embuée d’une dentelle humide à l’instant de disparaître, une page d’écriture en braille, des petits pois dans leur gousse, les boucles de l’eau dessinées par Léonard de Vinci, celles de Cy Twombly... Mieux vaut arrêter la comptine de ce paysage mental, de ce puzzle d’associations se transformant à volonté. La liste de tout ce que l’on peut grappiller est sans bornes, clopin-clopant à la lisière des chemins de traverse de Pierrette Bloch, à la poursuite de ces tracés de bouclettes, de frisures, de brindilles, et autres bouts de ficelles. Des grains s’envolent, des herbes folles s’emberlificotent selon leur fantaisie ou au contraire s’étirent sans limites. Des rhizomes, des radicelles de mousses... Pierrette Bloch voit cela comme « un grand pré où l’on s’avance ». Elle ajoute : « Je n’avance pas dans ce que je fais d’une manière linéaire. Ce sont des retours, des à-côtés, des envies de textes, le souvenir d’un dessin que je voudrais poursuivre dans un autre format, un pinceau que j’aimerais retrouver, qui finissent par s’insinuer dans le cours de ce que je fais », s’explique-t-elle encore dans ce merveilleux livre de notes Discours & Circonstances. Alors, elle couvre des feuilles de points alignés, de traits miniaturisés, qu’elle agglutine ou aère. Si l’on définit la ligne comme une succession de points, ses lignes sont tout sauf rectilignes et mathématiques. Chaque trace de son pinceau naît de son prédécesseur, lequel engendre à son tour son héritier et ainsi de suite. C’est la philosophie du glissement et de la dérive. Dans son atelier parisien comme sous les combles de sa maison de Bages, ancienne demeure d’un marchand de vin qu’elle avait acquise en 1981 sur les conseils de son ami le peintre JeanMichel Meurice qui habitait là, où elle passa ses étés, elle travaillait par terre pour peindre, à genoux. Ou assise sur une chaise face au mur pour tricoter ses fils de crin. Cette Pénélope moderne avait dû persévérer longtemps avant de se faire connaître, pourtant fidèlement soutenue par Soulages qui ne cessa de l’encourager. Les tables et divers tréteaux des ateliers ne servaient qu’à 80

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AURÉLIE NEMOURS 01-P10_200_Pionnières.indd 97

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AURÉLIE NEMOURS

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SHIRLEY JAFFE

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groupe, de rester à part. Des contradictions que l’on retrouve dans son travail, basé sur des dissonances... Cette force de caractère éclate à Berlin en 1963 où elle vit grâce à une coquette bourse de la Fondation Ford et où elle s’initie à la musique contemporaine atonale d’Elliott Carter et de Jannis Xenakis, tous deux boursiers avec elle cette année-là. Tout bascule dans sa vie. Mécontente de ce qu’elle faisait jusqu’alors, elle décide d’abandonner cette gestualité qu’elle partageait avec les peintres américains de sa génération, pour se vouer corps et âme à la rigueur d’une abstraction ordonnée selon sa propre invention. Elle recherche non sans une certaine rigidité au début, à maîtriser l’hétérogène, en agençant sur une même surface plane des formes colorées comme les éléments d’un puzzle. Dès lors elle expérimente toutes les possibilités pour installer de facto une sorte de jeu pervers dont elle seule connaît les règles. Elle fait naître un tohu-bohu géométrique bien serré dans les limites de son tableau uniquement grâce à d’infinies combinaisons entre formes et couleurs. Un work in progress bien clos à l’intérieur du cadre du tableau où la couleur se déchaîne en sarabandes. Une aventure, une « expérience abstraite » perçue comme une évidence. Le tableau se présente frontal tel un rideau de scène d’un seul tenant dont le vocabulaire de formes non figuratives s’offre aux interrogations du regardeur en une seule vision, calme et syncopée à la fois, sans bavures ni ratures, sans arrière-plans ni arrière-pensées. On ne doit pas avoir le loisir d’imaginer quoi que ce soit, tout est montré d’un seul coup, tout-en-un, d’une seule pièce, d’un seul remplissage bien organisé, sans que l’on ne puisse se raccrocher à la moindre coulure ou tache comme on a l’habitude de le faire dans une abstraction plus lyrique. Un monde péremptoire, presque autoritaire, sans rébus énigmatiques ni sentiments, où les emboîtements, même apparemment fous, ne servent qu’à mieux apaiser l’éventuelle petite montée de fièvre. Le calme parfait après une grosse tempête. Le carambolage, car il y a bien carambolage, est absolument sous contrôle. Le tableau est tellement indéchiffrable que le mystère naît, non pas de ce qu’il pourrait oblitérer, mais du silence impénétrable qu’il met en avant comme un masque. Peinture-énigme, canevas irréductible et à chaque nouveau tableau, immuable. Une sorte de précurseur du pattern. Une « image » plate, fixe, cohérente, comme atomisée à partir d’éléments désagrégés et hétérogènes qui, une fois juxtaposés ou emboîtés, surgissent comme apparaissant aléatoires. Un piège. Un dispositif pour attirer, retenir, et contenir presque avec violence, comme on enferme dans une boîte, ce qu’elle appelle elle-même le « chaos ». Elle a à maintes reprises dit avoir été abstraite d’emblée, sans jamais avoir songé à quoi que ce soit de figuratif. Qu’a-t-elle donc voulu fuir ou apaiser pour souhaiter à ce point peindre obsessionnellement, à la manière d’un architecte-constructeur, d’un horloger-mathématicien, d’un tapissier-coloriste, un espace aussi riche abstraitement ? Elle a souvent répété que la peinture devait se tenir droite devant le regardeur, tel un mur. Prenons donc l’exemple du mur : soit il est régulier, composé de pierres toutes égales, uniformes ; soit il a été monté avec des pierres toutes dissemblables, biscornues, de couleurs et de matériaux divers, et pourtant il se tient devant vous, parfait, magnifique, aussi solide et hiératique que l’autre, véritable chef-d’œuvre d’ingéniosité. Des deux manières opposées de construire un mur, Shirley Jaffe a choisi la seconde solution, la plus difficile, tortueuse, imaginative pour que l’ouvrage ne s’effondre pas. Serait-ce cette frontalité, à la fois immobile et mouvante, obstruant grâce à des éléments disparates habilement figés comme on « fixe » les miroitements d’un papillon, qui fait l’originalité de sa peinture ? Son tour de force est d’exprimer l’équilibre à partir de dislocations et de discordances. La vitalité joyeuse que dégage toute son œuvre naît de ce défi et sa force surgit d’expérimentations incessantes et toujours renouvelées pour faire vibrer, grâce à de savantes imbrications géométriques très colorées, un canevas rigide. ÉLISABETH VÉDRENNE Les photographies ont été réalisées entre 2006 et 2011.

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PARVINE CURIE Lorsqu’on lui rend visite à Meudon et que l’on traverse son petit jardin de curé, on comprend immédiatement que la sculpture de Parvine Curie est tout sauf abstraite. Quelques-unes de ses pierres levées surgissent des herbes hautes tels des campaniles. Les toits en gradins de quelques Mères émergent des marguerites et immortelles odorantes jaunes, quelques carapaces luisantes se chauffent entre de frêles pavots rouges et un portique ouvre la voie entre les feuillages japonais vers l’appentis et l’atelier. Le foisonnement végétal respire une liberté calculée. On pense à Giverny tel que Monet l’avait pensé et conceptualisé en fonction d’une palette désirée et d’une passion à peindre le passage du temps. Ici les sculptures sont ensevelies comme une cité perdue et inconnue. Un air de ruines d’Angkor miniaturisé mêlé à des temples aztèques vus du ciel, noyés dans la touffeur de la végétation. Art et nature sont poétiquement entremêlés selon le désir de l’artiste de vouloir intégrer la sculpture à la nature, jusqu’à en faire un paysage en soi, une seconde nature. Parvine Curie vous y accueille avec son élégance naturelle et son magnifique visage sculpté dont les pommettes hautes rappellent ses origines iraniennes. Vêtue comme toujours de ses longues chemises grèges de nonne qui font plus penser, avec leurs manches bouffantes, à des robes qu’aux chemises de sculpteurs rêches et traditionnelles comme en portait Camille Claudel. Sa silhouette dégage un mélange attachant de force et de fragilité. Elle vous entraîne sous le hangar ouvert, l’appentis où la sensation de découvrir des restes de demeures mystérieuses se précise. Elles sont donc là, noires et luisantes, prenant, selon le moment, des teintes lustrées d’ailes de corbeau ou d’ardoises mouillées et nocturnes. Hautes, massives, sans fioriture, lisses, leurs bronzes sont patinés en harmonie avec les teintes moussues alentour. La plupart sont noires, de ce noir dont elle teint aussi bien le teck ou l’orme, le tilleul, l’acajou préférant l’intensité de ses reflets à la couleur naturelle du bois qui donne une connotation trop artisanale, mais dont on soupçonne les veinures. D’autres sont blanches, toujours en bois teinté de blanc, ou en plâtre, en marbre, en matériau composite recouvert de poudre de marbre. Elles sont accueillantes, aspirant à être caressées malgré leurs arêtes polies. Elles sont entrouvertes, laissant filtrer la lumière. Entreposées là, elles exposent leurs structures d’où s’étagent des marches, s’interposent des fentes, naissent des couloirs, s’entrouvrent des portes, s’épaulent divers angles et arcs-boutants... révélant un labyrinthe lorsqu’on se penche vers ces béances, ces trouées, ces échappées qui facilitent l’entrée des flux lumineux. Jusqu’à ce que notre regard s’étonne parfois devant les impasses, les escaliers qui ne mènent nulle part sauf vers le ciel. Les volumes s’articulent autour d’un rythme ascendant. Une respiration pour ne pas rester fermées sur elles-mêmes, éviter la lourdeur d’une masse compacte, pour inviter à découvrir d’autres formes cachées. La lumière se faufile entre les arcs de cette architecture comme calcinée (certains bois auront même été brûlés), et se coule avec fluidité dans ce qui ressemble à un assemblage de poutres géantes juxtaposées, enchevêtrées, imbriquées les unes dans les autres. De grandes cabanes sombres et mystérieuses. Des arbres protecteurs comme l’on en rêve enfant. Si on les serrait les unes contre les autres, ces sculptures pourraient former une vraie casbah digne d’un film contemporain de science-fiction. La magie de cette œuvre tient beaucoup à cet appel permanent au voyage vers un temps immémorial. À une invitation à la méditation, de celle que produit toute demeure sacrée archéologique et en ruine, miraculeusement découverte. À une aventure romantique et spirituelle. On pressent combien ses multiples voyages ont façonné ses formes et sa manière de sculpter. Parvine Curie est autodidacte. Elle a appris la sculpture en s’exerçant au jour le jour dans une grande liberté et dans une quête acharnée, au contact de pygmalions qui l’ont guidée un temps, ainsi qu’en s’imprégnant des architectures qui l’ont impressionnée littéralement lors de ses très nombreux voyages lointains. Rien ne la prédisposait à l’art si ce n’est une curiosité passionnée et dévorante pour 175

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JUDIT REIGL Il y a chez Judit Reigl une soif farouche de liberté – que jamais rien n’a pu venir entraver, dans sa vie ni dans son œuvre. Cet indomptable désir d’indépendance, nécessité vitale, a marqué en profondeur la singularité de son parcours. « Ma destinée est liée avec les grands mouvements sociaux de la politique mondiale. Toujours il y avait la guerre et les frontières1. » Née en 1923 dans la petite ville thermale de Kapuvar en Hongrie, Judit Reigl décide d’échapper à l’étau stalinien, et parvient à franchir le rideau de fer en 1950 après huit tentatives, avec le rêve d’arriver à Paris et de devenir peintre. Après avoir réalisé deux commandes d’art officiel hongrois, elle se voit proposer la carte du parti communiste, mais refusant de se plier au système, elle décide de quitter la Hongrie. Le 10 mars 1950, avec l’aide d’un paysan, elle rampe pour traverser le rideau « d’enfer » sur une étroite échelle posée horizontalement au-dessus des champs de mines bordés de barbelés... Une coupure radicale, qui la mène après embûches et prison, en trois mois à pied sur le chemin de Paris, où elle arrive le 25 juin 1950 – laissant sa mère à Budapest. « Je voulais être libre », insiste Judit Reigl qui évoque volontiers Dante et sa Vita Nova, la Vie nouvelle. Cet esprit de dissidence ne la quittera plus jamais, et forgera son identité inclassable : « Je ne suis pas d’Europe centrale, je suis de partout. » Menant aujourd’hui une vie simple et recluse à Marcoussis, elle y a reconstitué son univers méditatif de grande lettrée amoureuse de poésie et de musique. Souvent son regard pensif s’évade, et son visage immobile s’empreint de gravité. Dès l’enfance, elle lit beaucoup, se passionne pour Jules Verne. Du côté paternel, elle est issue d’une famille d’ascendance noble de France, réfugiée de la Révolution française. Son père, après avoir été prisonnier en Sibérie durant six ans, décède la veille de Noël 1926, alors qu’elle n’a que 3 ans. Elle déménage quarante fois au cours de son enfance, et en 1931, sa mère se remarie. Son beau-père, attentionné, lui offre des couleurs pour peindre, et à 8 ans, elle a un véritable choc esthétique devant une image religieuse de la Trinité. Plus tard, son oncle, musicologue, l’initie à la pensée des philosophes grecs présocratiques tels Empédocle ou Héraclite. En 1941, elle entre à École des beaux-arts de Budapest, reçue à l’unanimité, où elle étudie avec Simon Hantaï, et se passionne pour les œuvres du Greco, Goya, Raphaël, Brueghel, Véronèse, Giorgione, Van Gogh, Gauguin. Grâce à une bourse, elle participe à un voyage d’études en Italie dont elle découvre les merveilles. À son arrivée à Paris en 1950, elle est rapidement intégrée dans les cercles d’artistes hongrois, et accueillie par son ami Simon Hantaï et sa femme, puis le peintre Antal Biro qui l’installe à la Ruche. Elle rencontre également le sculpteur Pierre Szekely et sa femme céramiste Véra – parents du designer contemporain Martin Szekely – et s’établira plus tard en 1963 près de chez eux, à quelques kilomètres de Paris, à Marcoussis. Mais la rencontre la plus déterminante est indéniablement celle d’André Breton, que Simon Hantaï amène un jour à son atelier en 1954. Judit Reigl se souvient des « larmes sur le visage » de Breton, totalement bouleversé par son saisissant tableau Ils ont soif insatiable de l’infini. « Vous me donnez un des grands émerveillements de ma vie : vous ne pouvez imaginer la joie grave et profonde qui m’envahit ce matin », lui écrit André Breton dans une lettre datée du 5 juillet 1954 au sujet de cette œuvre inspirée des quatre chevaliers de l’Apocalypse, qui selon lui participe « du grand sacré ». « Je ne sais, Judit Reigl, comment vous dire le don que vous me faites. Vous êtes en possession de moyens qui me stupéfient de la part d’une femme et je vous crois en mesure d’accomplir des choses immenses. » André Breton lui propose immédiatement une exposition, et Judit Reigl, toujours inattendue, ne donne pas suite et s’accorde un temps de réflexion, ne se sentant pas prête. Généreuse, elle décide pourtant de lui offrir spontanément cette œuvre étrange et fascinante, aujourd’hui conservée au 188

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LES AUTEURS CATHERINE PANCHOUT, photographe Après avoir été l’assistante de Peter Knapp, Catherine Panchout est photographe de mode pendant une quinzaine d’années, travaillant pour les magazines féminins et la publicité. Depuis 1995, elle consacre ses reportages aux univers d’artistes, à l’art de vivre et à l’architecture, publiés dans la presse et l’édition. Elle a notamment publié Ateliers au féminin aux éditions Au même Titre avec Yves Michaud en 1999, L’Atelier de Carole Benzaken aux éditions Thalia en 2009 et Hydra. Vues privées–Private views aux éditions Gourcuff-Gradenigo en 2015. Ses portraits d’ateliers paraissent dans Connaissance des Arts et sont édités par la galerie Pierre-Alain Challier. ÉLISABETH VÉDRENNE, auteur Critique d’art spécialisée en design et en art contemporain, Élisabeth Védrenne a été rédactrice en chef adjointe à Beaux-Arts Magazine, puis à L’Œil. Elle travaille depuis 2002 à Connaissance des Arts. Productrice à France Culture en 2001 de l’émission « Modes de vie », elle a enseigné à l’École des arts décoratifs de Nancy. Elle est l’auteur de nombreux catalogues et ouvrages dont Demeures secrètes de Venise (Albin Michel) ; Le Corbusier, Pierre Paulin et Charlotte Perriand aux éditions Assouline, Paris ; Kristin Mc Kirdy aux éditions Norma et Jean-François Lacalmontie. Matière à doutes (Bernard Chauveau Édition, 2017). Élisabeth Védrenne est membre de l’AICA (Association Internationale des Critiques d’Art). VALÉRIE DE MAULMIN, auteur De formation universitaire en littérature comparée et en histoire de l’art, Valérie de Maulmin se spécialise dans la période « Fin de Siècle » et le Symbolisme. Elle collabore ensuite au Catalogue raisonné de l’œuvre de Serge Poliakoff, avant de rejoindre Marc Blondeau, expert et conseil auprès de grands collectionneurs. Contribuant de longue date à divers supports de presse en tant que critique d’art (Le Monde, Décoration Internationale, Le Journal des Arts, Connaissance des Arts...), elle écrit sur l’art moderne et contemporain ainsi que sur l’art ancien et le patrimoine. Auteur de nombreux textes de catalogues pour des galeries et des fondations, elle effectue régulièrement des visites d’atelier d’artistes.

Crédits photographiques Catherine Panchout pour l’ensemble des images.

La photogravure a été réalisée par Quat’Coul, Toulouse. Cet ouvrage a été achevé d’imprimer sur les presses de PBTisk (République tchèque) en février 2018.

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