La construction du Louvre-Lens a été financée par l’Union Européenne, par les collectivités territoriales et en premier lieu par le Conseil Régional Nord – Pas-de-Calais. Le musée du Louvre-Lens atteste des volontés convergentes de placer au cœur d’une dynamique du territoire, une action culturelle forte, ambitieuse.
Le Louvre-Lens est cofinancé par l’Union Européenne. L’Europe s’engage en Nord – Pas-de-Calais avec le Fonds européen de développement régional.
Cet ouvrage accompagne l’inauguration du musée du Louvre-Lens et l’exposition « Galerie du temps », présentée au musée du Louvre-Lens à partir du 12 décembre 2012. L’exposition « Galerie du temps » est organisée par le musée du Louvre, Paris, et le musée du Louvre-Lens. La Grande galerie a été réalisée grâce au mécénat du Crédit Agricole Nord de France.
En application de la loi du 11 mars 1957 [art. 41] et du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre. © Musée du Louvre-Lens, Lens, 2012 © Somogy éditions d’art, Paris, 2012 www.louvrelens.fr www.somogy.fr ISBN Musée du Louvre-Lens : 978-2-36838-002-4 ISBN Somogy éditions d’art : 978-2-7572-0605-8 Dépôt légal : mai 2013 Imprimé en Italie (Union européenne)
LOUVRE LENS LE GUIDE 2013 Xavier Dectot Jean-Luc Martinez Vincent Pomarède
Les mécènes et partenaires du musée du Louvre-Lens Mécènes Bâtisseurs Exceptionnels Crédit Agricole Nord de France Veolia Environnement Grands Mécènes Bâtisseurs Auchan Nexans Caisse d’Épargne Nord France Europe Grands Partenaires Orange Caisse des Dépôts SNCF Mécènes Bâtisseurs Trend Française de Mécanique AG2R La Mondiale Fondation d’entreprise Total Vitra Groupe Sia Crédit du Nord CCI de région Nord de France Dupont Restauration Maisons et Cités Avec la participation des Compagnons du Devoir et du Tour de France pour la fabrication du mobilier de l’espace pique-nique
Exposition Commissaires de la Galerie du temps : Jean-Luc Martinez et Vincent Pomarède Muséographie : Studio Adrien Gardère Musée du Louvre-Lens Président : Henri Loyrette Directeur : Xavier Dectot Administratrice générale : Catherine Ferrar Chargée de recherche et d’exposition : Anne-Sophie Haegeman Médiation : Juliette Guépratte Multimédia : Guilaine Legeay Organisation et régie : Raphaëlle Baume, Caroline Tsagouris, Marie-Clélie Dubois et Florent Varupenne Musée du Louvre Président-directeur : Henri Loyrette Administrateur général : Hervé Barbaret Administratrice générale adjointe : Claudia Ferrazzi Chargée de mission à la direction du musée : Katia Lamy Directrice du projet Louvre-Lens : Valérie Forey Médiation : Catherine Guillou, Amine Kharchach, Frédérique Leseur, Marina-Pia Vitali Organisation et régie : Audrey Bodéré-Clergeau, Anne-Élisabeth Lusset Prêteurs de l’exposition Les œuvres présentées dans la Galerie du temps proviennent toutes des huit départements du musée du Louvre. Muséographie Muséographe : Studio Adrien Gardère (chef de projet : Lucie Dorel / Mathieu Muin) Lumières : ACL. Conception lumière Vitrines : Goppion Graphisme : Norm Soclage : Version bronze Installation : André Chenue S.A.
Édition Musée du Louvre-Lens Coordination et suivi éditorial : Lucie Streiff-Rivail, assistée d’Isabelle Pelletier Iconographie : Charles-Hilaire Valentin Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Conception graphique et réalisation : Loïc Levêque Coordination et suivi éditorial : Lydia Labadi, assistée d’Astrid Bargeton Contribution éditoriale : Sarah Zhiri Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros
remerciements
Ce projet a été voulu et porté par la région Nord – Pas-de-Calais et le musée du Louvre, et, le nombre des personnels intervenants rendant impossible un traitement individualisé, toutes les équipes sans exception de ces deux institutions doivent être ici chaleureusement remerciées pour leur implication constante. Il convient également d’adresser un remerciement tout particulier aux premiers responsables ayant travaillé à la conception de la Galerie du temps : Élisabeth Taburet-Delahaye, Jean-Marc Legrand, Olivier Meslay, Marielle Pic et Danièle Brochu. Une gratitude toute particulière doit être exprimée envers Valérie Forey, Audrey Bodéré-Clergeau, Anne-élisabeth Lusset et Amine Kharchach, ainsi qu’envers Violaine BouvetLanselle, qui a accompagné de ses conseils la mise en place des éditions du Louvre-Lens. À partir de 2011, les équipes du Louvre-Lens ont été constituées, et leur effort permanent et constructif doit être particulièrement signalé et remercié. Le Centre de recherche et de restauration des musées de France a été un partenaire indispensable dans le cadre de ce projet, et nous voulons adresser toute notre gratitude à l’ensemble de ses personnels. Enfin, le musée du Louvre souhaite adresser un remerciement tout particulier aux descendants d’Étienne Moreau-Nélaton, donateur du musée.
Sommaire
7 10
Préface, Daniel Percheron Avant-propos, Henri Loyrette
13 14 20
Le musée, Xavier Dectot
27 29
La Galerie du temps
31 32 33 34 43 48 55 56 66 74 80 84 90 93 94 99 106 125 126 128 134 144 154 162 170 177 183 184 185 211 224 232 242 252 267 279 286
Un territoire à nul autre pareil Semblable et différent, le Louvre-Lens
Introduction, Xavier Dectot
L’Antiquité , Jean-Luc Martinez L’Antiquité dans les collections du musée du Louvre Aux origines des civilisations antiques (4 E ET 3E MILLÉnaires avant j.-c.) L’Orient ancien au temps de la naissance de l’écriture Aux origines de la civilisation égyptienne Aux origines des civilisations méditerranéennes Le temps des grands empires orientaux (2000-500 avant j.-c.) L’Orient ancien au temps de Babylone L’Égypte des grands temples La Méditerranée des cités L’Empire assyrien L’Égypte du crépuscule L’Empire perse Un monde grec et romain (500 avant j.-c. – 476 après j.-c.) La Grèce classique Le monde d’Alexandre le Grand L’Empire romain
Le Moyen Âge , Jean-Luc Martinez et Vincent Pomarède Le Moyen Âge dans les collections du musée du Louvre Aux origines de l’Empire byzantin : naissance d’un art chrétien d’Orient Aux origines de l’art chrétien de l’Occident médiéval : décor et mobilier des premières églises Aux origines de la civilisation de l’Islam Rencontres autour de l’an Mil : l’Italie et Byzance L’Europe gothique Un apogée de l’Orient islamique Rencontres entre Orient et Occident
Les temps modernes, Vincent Pomarède Les temps modernes dans les collections du musée du Louvre La Renaissance Trois empires modernes de l’Islam Arts de cour L’Europe baroque Le classicisme français Le temps des Lumières Néoclassicismes L’islam et l’art occidental au 19e siècle Autour de la révolution de 1830 : art et pouvoir en France
296 Crédits photographiques
préface
Daniel Percheron Sénateur du Pas-de-Calais Président du Conseil régional Nord – Pas-de-Calais
Pages suivantes : Le musée du Louvre à Paris, vue aérienne Le musée du Louvre-Lens, vue aérienne sud-nord (image de synthèse)
Avec l’ouverture du musée du Louvre-Lens, posé sur un ancien carreau de mine, c’est un rêve qui se réalise pour le territoire du Nord – Pas-de-Calais et pour son Président de Région. Un rêve pour les habitants de la Région, qui ont accepté le travail acharné des mines, puis ont affronté les difficultés, la reconversion avec un immense courage et une dignité sans égal. Un rêve pour le Conseil régional, ses élus et son administration, qui acceptent des paris hors du commun pour aider ce territoire à relever la tête, à fixer l’horizon, à montrer le chemin. Un rêve pour le Bassin minier, qui voit, avec les projets paysagers et urbains, la requalification des cités minières et de leurs jardins. Un espoir un peu fou d’une greffe réussie pour le développement économique de la douzième agglomération de France, dont l’ensemble de la Région pourrait profiter avec le projet d’Euralens et sa dynamique que nous espérons irréversible. Pour incarner ce rêve, il a fallu une opération de décentralisation tout à fait exceptionnelle, voulue par le Président Chirac puis relayée par un Conseil régional décidé à la mettre en œuvre et à la porter avec passion et ambition. Ce soutien ne se traduit pas seulement par l’apport financier que le Conseil régional, avec les autres collectivités partenaires, a assuré pour la construction et le fonctionnement du Louvre-Lens, il se retrouve aussi dans l’engagement de cette institution à jouer le rôle d’acteur à part entière du projet, dès son lancement en 2005 et bien au-delà de l’ouverture du musée. C’est avec la volonté d’accompagner le Louvre-Lens dans tous ses développements culturels, sociaux, économiques que les élus régionaux espèrent faire vivre ce rêve, l’offrir aux 4 millions d’habitants du Nord – Pas-de-Calais et le faire partager à leurs concitoyens européens.
avant-propos
Henri Loyrette Président-directeur du musée du Louvre Louvre-Lens… Deux noms reliés par un trait d’union. D’un côté, le Louvre, un palais qui depuis le Moyen Âge accompagne étroitement l’histoire de France. Le Louvre, devenu musée au cœur de la Révolution française, s’imposant vite comme un modèle, le « musée des musées », comme on l’a souvent qualifié depuis le 19e siècle. Et Lens, au cœur du bassin minier, ville qui a souffert de toutes les crises et de toutes les guerres, ville située dans la région aujourd’hui la plus jeune de France, le Nord – Pas-de-Calais, une région réputée pour son exceptionnel dynamisme culturel et la densité de son réseau muséal. Lens, idéalement située au carrefour de l’Europe, à proximité de la Belgique, de l’Angleterre, de l’Allemagne. Lens, une ville résolument tournée vers l’avenir. Lens, le Louvre : deux noms désormais liés, presque fusionnés et appelés à partager un destin commun, au service des publics, de l’art, de la beauté. C’est en 2003 qu’a germé cette belle idée, ce rêve aujourd’hui devenu réalité. Ce rêve, il prend ses racines dans la vocation même du Louvre, conçu dès son origine, durant la Révolution, comme un musée national dont les collections et le savoir-faire sont au service de l’ensemble de la nation. Au début du 19 e siècle, déjà, Chaptal évoquait cette « part sacrée » que le Louvre devait réserver aux régions. C’est pour renouveler et revivifier cette tradition bicentenaire que nous avons voulu imaginer ce musée nouveau, qui renforce la vocation nationale du Louvre en présentant par rotations des chefsd’œuvre venus du palais parisien. Le ministère de la Culture a lancé un appel à projets à travers toute la France ; la région Nord – Pas-deCalais s’est seule portée candidate, proposant cinq villes ; et c’est le site de Lens qui a finalement été retenu par le président de la République. Plus de 120 candidats, venus des quatre coins du monde, ont participé au concours d’architecture. Le projet retenu en septembre 2005 a été celui de l’agence japonaise SANAA, qui proposait un bâtiment de verre et de lumière résolument contemporain, facilement accessible, proche du terrain, en continuité avec ce paysage ravissant mais fragile.
Et le résultat est là, au-delà même de nos espérances initiales. Le Louvre-Lens est un lieu de beauté, mais aussi de fierté. Pour l’avoir tant rêvé et vu sur le papier, avec Daniel Percheron, président du conseil régional du Nord – Pas-de-Calais, je n’hésite pas à le dire, maintenant qu’il s’incarne enfin, il est à mes yeux l’un des chefs-d’œuvre architecturaux de ce nouveau millénaire. C’est un Louvre contemporain qui s’articule autour d’un pavillon central, sur lequel se greffent des ailes, comme dans le palais parisien. Un Louvre contemporain qui s’intègre de façon très subtile et délicate dans le site, ce magnifique écrin paysager pensé et réalisé par Catherine Mosbach. La création du Louvre-Lens est l’occasion pour le Louvre de reconsidérer ses missions, d’interroger ses collections, de sortir de ses murs et de se regarder d’un peu plus loin. L’occasion d’expérimenter ce qui ne peut l’être dans l’enveloppe et l’organisation contraintes du palais parisien. L’occasion, aussi, d’éprouver sur un terrain neuf notre vocation sociale et notre mission d’éducation artistique, en soulignant notamment l’importance de la médiation. C’est pour cela que les collections sont présentées de façon temporaire et transversale, réunissant ce qui, à Paris, est séparé en départements, en écoles, en techniques. Bref, le Louvre-Lens est un musée du 21e siècle, un musée dans tous ses rôles, artistique, social, éducatif, un musée qui rend visible ce qui est d’ordinaire dissimulé, et fait appel aux techniques les plus modernes d’information. Cet « autre Louvre », ce musée de verre et de lumière, délicatement posé sur un ancien carreau de mine, la fosse 9-9 bis de Lens, n’est pas une simple annexe du Louvre, mais le Louvre même. Le Louvre dans toutes ses dimensions et toutes ses composantes, dans son amplitude géographique et chronologique de musée universel. Une synthèse harmonieuse qui offre des possibilités nouvelles pour les visiteurs : ils peuvent en effet accéder aux coulisses et découvrir toutes les facettes et métiers d’un musée, suivre la restauration d’une œuvre, accéder aux réserves, comprendre les grands principes de la conservation et de la muséographie. Le mode de présentation des œuvres est lui aussi totalement inédit. La Galerie du temps, épine dorsale
du Louvre-Lens, montre ce « long et visible cheminement de l’humanité », qui pour Charles Péguy caractérise le Louvre, en offrant aux visiteurs de nouvelles clefs de compréhension. C’est une autre façon de découvrir les œuvres, qui, rapprochées, confrontées, nous ouvrent les registres du monde. Le Louvre-Lens, c’est une nouvelle aile du Louvre où tout devient possible. C’est une chance pour Lens, mais aussi pour le Louvre. Une occasion de rayonnement et de renouveau. Un musée dans la cité, un lieu de délectation au cœur de l’Europe qui expose et explique les chefs-d’œuvre du passé pour nous aider à comprendre le présent et à envisager l’avenir. Quand je suis entré dans le monde des musées, il y a trente-cinq ans, on ouvrait le matin et on fermait le soir, avec un souci bien limité des visiteurs. Depuis, les musées ont connu une mutation considérable, dans leur architecture, dans leur muséographie, mais surtout par l’élargissement de leur vocation. Certes la conservation et l’enrichissement des collections restent leurs missions fondamentales, mais des questions naguère peu ou pas considérées, comme l’accessibilité (physique, intellectuelle), sont désormais au cœur de leurs préoccupations. Le musée doit aujourd’hui non seulement recevoir les visiteurs qui y viennent naturellement, mais aussi prendre par la main ceux qui, éloignés des pratiques culturelles, le perçoivent comme lointain, et inaccessible. Il doit se pencher sur le passé, mais aussi susciter la création et le regard contemporains, intégrer les dernières évolutions de la connaissance, s’adapter à l’émergence de nouveaux publics, à l’apparition et à la diffusion de nouvelles technologies. En cela, les musées jouent un rôle social et éducatif, et leur propos doit à la fois toucher le connaisseur et le néophyte, l’enfant et le savant, l’étranger et le voisin. Les musées ne constituent plus un monde à part, intemporel ou seulement tourné vers un jadis révolu : ils participent à la vie de la cité, au développement économique, au tourisme, au développement durable, jouent pleinement leur rôle artistique, social et éducatif. Toutes ces considérations, toutes ces ambitions, tous ces rêves, aussi, nous ont guidés en créant le LouvreLens. L’avenir du Louvre passe désormais par Lens.
LE MUSée
Un territoire à nul autre pareil Xavier Dectot
Le Louvre-Lens est un musée dans toutes ses dimensions, avec toute l’universalité du Louvre, mais aussi toute la richesse du territoire qui l’accueille. Ce dernier est fortement marqué par son histoire, consubstantielle à son identité. Tout commence il y a près de trois siècles, dans la partie du Hainaut annexée par la France après les traités de Nimègue. En 1716, le vicomte Jacques Désandrouin obtient du roi l’autorisation de vérifier si la veine de charbon connue au nord de la frontière se poursuit de l’autre côté, et finit par la trouver à Fresnes-sur-Escaut. De là naît la première exploitation charbonnière, dont la compagnie des mines d’Anzin est le principal acteur. La révolution industrielle rend la demande de charbon toujours plus forte, mais ce n’est qu’au milieu du 19e siècle que l’on découvre que, dans le Pas-deCalais, la veine s’infléchit sur un axe est-ouest. À ce moment, le destin de la Gohelle bascule. Jusqu’alors, la plaine de Lens est un territoire peu peuplé, à vocation essentiellement agricole, malgré des terres au rendement médiocre. Entièrement traversée par la veine, la Gohelle est transfigurée. Fosse après fosse s’ouvrent, et la plaine se tourne tout entière vers l’exploitation du charbon. La première conséquence de cette transformation, bien davantage que l’évolution toponymique (ainsi Bully-en-Gohelle devient Bully-les-Mines), est l’explosion démographique : de moins de 3 000 habitants en 1850, la seule ville de Lens passe à plus de 30 000 en 1913 et dépasse les 40 000 dans les années 1960. Ce développement s’appuie sur de forts apports de populations exogènes, venues de France et de Wallonie d’abord, puis de bien plus loin : les Polonais et les Marocains sont les principaux contributeurs à l’exploitation des mines.
L a structure même des compagnies minières marque le territoire. Elles mettent en place un système original, où toute l’organisation sociale découle d’elles. Les habitants sont regroupés en cités, liées à la fosse où ils travaillent, vivant en quasi-autarcie. Ils disposent d’un petit lopin de jardin chacun, d’organismes de santé, d’une église et d’écoles. Tout le système fonctionne, de la naissance au décès, pour et par la mine. La grande profondeur des mines rend l’extraction du charbon moins rentable que dans d’autres régions, surtout à mesure que d’autres sources d’énergie se développent. Les fosses vont fermer petit à petit au cours des années 1960 et 1970, les toutes dernières survivant dans les années 1980. Mais les houillères ont durablement marqué le paysage, créant des reliefs étonnants, les terrils, et, surtout, donnant à l’agglomération qui s’étend tout le long de la veine de charbon son visage particulier, succession de cités minières d’époques très différentes. L’exploitation minière n’est pas la seule forme de violence humaine ayant eu un impact sur le territoire. Les collines de l’Artois, à l’élévation fort modeste, constituent le seul relief entre le bassin parisien et la plaine de Flandre. Elles sont un enjeu stratégique majeur notamment pendant la Première Guerre mondiale. Après les trois batailles de l’Artois en 19141915, le front s’arrête au pied de la crête de Vimy jusqu’à sa prise en 1917. Les villes qui se situent au pied, dont Lens et Liévin, sont presque entièrement rasées, destructions renouvelées pendant la Seconde Guerre mondiale et qui façonnent le visage de ces villes où un riche patrimoine Arts déco voisine avec de l’architecture plus moderne, parfois très utilitariste, comme les « Camus » qui composent les cités minières de la reconstruction.
La prise de conscience de l’intérêt, sur le plan du patrimoine industriel, des anciens sites d’exploitation minière a été lente. Si elle a aujourd’hui abouti, avec le classement au patrimoine mondial de l’Unesco du bassin minier, pendant longtemps, à la fermeture d’une fosse, on a fait table rase des installations. C’est le sort de celles de l’ancienne fosse 9-9 bis de Lens, où l’extraction s’arrête en 1960 et dont les bâtiments sont détruits en 1983, laissant la place à une zone d’activité légère. C’est sur cette grande friche de 22 hectares qu’il est décidé, en 2004, d’implanter l’autre Louvre. Grande région commerçante depuis la période médiévale, l’actuel Nord – Pas-de-Calais, entre Flandre, Hainaut et Artois, a ensuite bâti sa prospérité sur la richesse industrielle. Dans toute la région, au-delà du seul bassin minier, ces structures de production ont fortement modelé le paysage, mais aussi le panorama culturel. Dans la foulée du musée de Lille, fondé dès la fin du 18 e siècle, un réseau de musées de beaux-arts particulièrement dense s’est créé au 19 e siècle, bénéficiant de la générosité de grands collectionneurs locaux et d’importants dépôts de l’État. Les deux guerres mondiales ont prélevé un lourd tribut de pillages et de destructions, mais une politique d’acquisition dynamique combinée, à nouveau, à de nombreux dépôts de l’État ont permis à ces musées de retrouver tout leur prestige et leur richesse. Plus récemment, le paysage muséal s’est étendu à l’art moderne et contemporain sous l’impulsion de grands collectionneurs devenus de généreux donateurs, le plus bel exemple en étant probablement le LaM, à Villeneuve-d’Ascq, issu du don de la collection de Geneviève et Jean Masurel, qui compte aussi parmi les plus grands ensembles d’art brut. Par-delà cette dynamique de création de musées, il faut aussi citer les nombreux réaménagements : à côté du LaM, il est un autre grand chantier qui a marqué la décennie précédant l’ouverture du LouvreLens, celui du musée d’Art et d’Industrie de Roubaix, qui a rouvert ses portes en 2002 dans l’ancienne piscine municipale, une histoire singulière qui a facilité son appropriation par les populations locales. Dans cet horizon muséal dense, le bassin minier du Pas-de-Calais peut apparaître particulièrement isolé. Pour autant, le paysage culturel de ce territoire est loin d’être désertique, l’autre richesse en la matière se trouvant dans le spectacle vivant. Là
aussi, la région hérite du 19e siècle une grande quantité de structures. Surtout, ce domaine est de façon très volontaire l’un des grands champs d’action du conseil régional dès sa création, car il y voit à raison un levier d’action pour empêcher la déréliction du tissu économique et social en un temps où mines et usines textiles semblent condamnées. Il en résulte un réseau dense de structures de production et de scènes. Parmi celles-ci, Culture Commune, installée à Loos-en-Gohelle sur le site du 11/19, à proximité immédiate du Louvre-Lens, est très représentative. Fondée en 1990, alors que, la dernière gaillette remontée, se termine l’histoire minière du Nord – Pas-de-Calais, elle sait aller patiemment mais avec détermination vers des publics ayant souvent peu d’appétit pour la culture, avec un souci d’accessibilité permanent, sans jamais sacrifier la qualité. Mais plus encore peut-être que l’abondance des équipements que l’on y trouve, ce qui fait la force et la richesse de la culture en Nord – Pas-de-Calais, c’est la vigueur des réseaux qui les relient et qui étendent l’offre disponible pour les publics sur ce territoire si dense à des propositions très diverses. D’aucuns pourraient trouver l’implantation d’un nouveau Louvre au cœur d’un bassin minier à l’histoire essentiellement industrielle et ouvrière improbable. Pourtant, c’est cette singularité même qui a rendu possible cette naissance. Car cet autre Louvre, dès l’origine, doit être un musée proche de ses visiteurs et profondément enraciné dans son secteur. Or l’histoire du bassin minier, faite de violence industrielle et militaire, a aussi façonné une population particulière, dont la culture est faite de solidarité, de chaleur et d’une vraie tradition d’accueil. Et lorsqu’il faut choisir l’emplacement de ce qui va devenir le Louvre-Lens, c’est le territoire tout entier qui s’engage dans l’entreprise, les institutions territoriales, bien sûr, au premier rang desquelles le conseil régional, qui porte le projet avec le soutien du conseil général, de la communauté d’agglomération et de la Ville de Lens, mais aussi de la société civile. L’implication de la population est très forte, dès la phase de candidature, et ne s’est jamais démentie depuis. Quant aux milieux économiques, ils participent largement à la vie du musée, par le mécénat tout d’abord, essentiel dès la phase de construction, mais aussi par l’investissement des acteurs locaux dans la transformation du territoire qui accompagne l’arrivée du nouvel établissement.
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1 Aquarelle de Peltier des fosses 11-11 bis, 16-16 bis, 3-3 bis, 9-9 bis et de leurs citĂŠs, Centre historique minier, Lewarde.
2 Photographie des installations de surface de la fosse 9, Centre historique minier, Lewarde, avant 1914 (22425).
3 Chevalement de la fosse 9 de Lens, Centre historique minier, Lewarde, 1972 (22423).
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4 Cité minière Saint-Théodore, Lens, archives municipales de Lens, 1976 (4Fi258).
5 Pignon d’une façade lensoise avec motifs art déco.
6 Façade lensoise avec un décor de mosaïque art déco.
7 Vue aérienne de la fosse 9 de Lens en 1969.
8 Terrils jumeaux du 11/19, à Loos-en-Gohelle, Nord – Pas-de-Calais.
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Semblable et différent, le Louvre-Lens Xavier Dectot
9 Face nord : Hall d’accueil (au centre). 10 Vue est du Hall d’accueil. 11 Intérieur du Hall d’accueil
Le projet architectural Le Louvre-Lens est étroitement lié au territoire dans lequel il s’insère, et ce tout d’abord par le terrain sur lequel il vient s’implanter. Il s’agit, en effet, d’un ancien carreau de fosse, celui des puits 9 et 9 bis des mines de Lens, surélevé de quelques mètres par rapport à son environnement par l’accumulation des schistes. À l’est, il est dominé par un monument de l’histoire minière et sportive, le stade Bollaert, construit en 1932-1933 par la compagnie minière. Au nord et au sud se trouvent deux cités minières très différentes. D’un côté, la cité Saint-Théodore est une cité-jardin de l’entre-deux-guerres (tout comme sa voisine, la cité Jeanne-d’Arc), faite d’un alignement de maisons mitoyennes bordées de petits jardins individuels, qui se développe le long de rues et surtout de mails qui lui assurent un certain espace. Au cœur de la cité se trouvent les deux écoles, l’une de filles et l’autre de garçons, juste à côté de l’église. La régularité des constructions n’est brisée que face à l’entrée de la fosse, dominée par les imposantes maisons de la haute hiérarchie de la mine (ingénieur, sous-ingénieur, médecin et pharmacien), ceintes de murs et de plus vastes jardins. Et du côté de la fosse 9 bis, en revanche, la cité a été détruite lors de la Seconde Guerre mondiale et reconstruite par la suite en utilisant des bâtiments préfabriqués, rapides à mettre en place, appelés « Camus », du nom de l’ingénieur qui conçoit leur système. Eux aussi sont regroupés par deux et ceints d’un jardin, mais avec une approche urbanistique encore plus rationnelle peut-être. De la fosse elle-même il ne reste plus, au début des années 2000, que la salle des pendus, très endommagée, et l’écurie, transformée en habitation.
Autour s’est développée une petite zone d’activité légère, mais l’essentiel des 22 hectares de terrain ont été rendus à la végétation. C’est cet espace extraordinaire, en centre d’agglomération, à proximité immédiate de la gare, que le Louvre et la région Nord – Pas-de-Calais offrent à l’imagination des architectes candidats au concours. En 2005, à l’issue de celui-ci, c’est l’équipe japonaise, l’agence SANAA, créée par Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa et future lauréate, en 2010, du prix Pritzker, qui se voit confier la maîtrise d’œuvre, en partenariat avec Catherine Mosbach, et Celia Imrey et Tim Culbert. L’une des particularités les plus remarquables du projet retenu est l’utilisation maximale de l’espace disponible par la création d’un véritable musée-parc, et non pas simplement d’un musée posé dans un parc. À ce titre, le visiteur du Louvre-Lens ne rentre pas brutalement dans un musée, mais s’en approche doucement par une étendue de verdure, qui, en même temps, souligne l’histoire du site et facilite l’appropriation du lieu. La mine est présente, mais de façon délicate et subtile. Les anciens cavaliers, ces voies ferrées qui servent à transporter le charbon extrait vers la gare, et les schistes vers les terrils, sont transformés en cheminements à travers le parc et vers le musée. Certaines essences, les pins notamment, rappellent les bois de soutènement utilisés au fond. D’autres témoignent de la reconquête du site par la nature. Ainsi, l’ouest est occupé par un bois de bouleaux dit pionnier justement parce que ces arbres sont les premiers à s’être réimplantés. Plus discrète, l’astragale à feuilles de réglisse, une plante protégée, est la preuve, elle aussi, de la place
reprise par la nature sur ce terrain. Pour le visiteur, le souvenir de la mine est également présent à travers les panoramas qu’il découvre, les cités et le stade, certes, mais aussi les chevalements, notamment celui de la fosse 3 de Lens, à Liévin, témoin de la catastrophe de 1974, et, un peu plus loin, dominant le terrain de haut, ceux, l’un de métal, l’autre de béton, du 11/19 de Lens, à Loos-en-Gohelle, juste au pied des terrils jumeaux, les deux plus hauts d’Europe. Dans le parc, le bâtiment lui-même ne s’impose que très peu. Au contraire des grands ensembles verticaux souvent favorisés par les architectes contemporains pour les musées, SANAA a choisi de répondre à l’architecture très linéaire et horizontale héritée des mines par un bâtiment tout en longueur, qui s’étend doucement au long du parc, sur un seul niveau et qui, de l’extérieur, disparaît presque à la vue, les différents modules qui le composent ayant soit des parois de verre, soit des parois d’aluminium anodisé dans lesquelles l’environnement se reflète délicatement. De plus, les murs gouttereaux ne sont pas tout à fait droits, mais discrètement courbes, accompagnant ainsi le regard du visiteur plutôt que de lui faire front. L’édifice est constitué de cinq modules, tous destinés, en rez-de-jardin, à la réception du public. Au centre se trouve le large espace d’accueil, aux hautes parois vitrées, où l’on peut pénétrer par tous les côtés, suivant l’endroit du parc par lequel on arrive. De part et d’autre se déploient deux vastes ailes d’exposition. L’un des grands traits de génie de SANAA a été de les concevoir comme de longues galeries, sans partitions pérennes à l’intérieur, ce qui permet au musée d’évoluer et de se transformer 9
avec le temps. Ces deux galeries sont bordées de murs aveugles, mais disposent d’une lumière zénithale, dont l’intensité peut être contrôlée par un ingénieux système de volets mobiles. À l’est, sur 120 mètres de longueur s’étire la Grande galerie, où la première exposition, sur laquelle cet ouvrage revient plus avant, conçue pour cinq ans, se déroule entièrement sous les yeux du visiteur, sans qu’aucun mur ne vienne interrompre le regard. Pari ambitieux, les murs intérieurs, ici aussi, ont été recouverts d’aluminium, ce qui fait vibrer les œuvres d’une manière particulière. Au terme de ce parcours, on atteint un nouvel espace vitré, le Pavillon de verre, où l’on peut à la fois se détendre en contemplant le paysage environnant et approfondir les thématiques de la Grande galerie à travers des expositions-dossiers dont la particularité est de faire dialoguer les œuvres du Louvre avec celles des musées de la région. À l’ouest, légèrement plus courte, puisqu’elle ne mesure que 90 mètres, se trouve la galerie d’expositions temporaires, destinée à accueillir des grandes expositions internationales d’une durée d’environ trois mois. D’un seul volume, elle aussi, elle peut aisément être divisée en fonction du propos de l’exposition. Au bout de cette galerie se trouve la Scène, grand auditorium sur lequel nous reviendrons. La grande originalité du projet est que la Scène et la galerie d’expositions temporaires communiquent, ce qui permet aussi bien à la programmation de l’auditorium de s’inviter dans les expositions que, au contraire, aux expositions de se prolonger sur la Scène. Le sol du foyer accueille l’une des œuvres contemporaines du musée, une mosaïque de l’artiste Yayoi Kusama.
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12 Intérieur du Hall d’accueil 13 Les Réserves visibles et visitables
Accueillir le public autrement L’une des grandes qualités du bâtiment conçu par SANAA est, on l’a dit, que le rez-de-jardin est entièrement consacré au public, les parties techniques du bâtiment étant rejetées sous le niveau du sol. Mais l’une des grandes ambitions du Louvre-Lens est d’amener les visiteurs à découvrir la vie d’un musée et à passer de l’autre côté du miroir. Pour ce faire, tout un espace leur est ouvert sous le hall d’accueil. Là, ils peuvent voir et découvrir les réserves du musée. Ce sont de véritables réserves qui sont ainsi offertes aux regards, avec leurs différents espaces, meubles pour le rangement des petits objets, grands portants pour les objets lourds, et grilles pour les tableaux, mais aussi leurs climats différents, en fonction des matériaux constitutifs des œuvres. C’est l’occasion pour le visiteur de comprendre que les œuvres ne sont jamais en réserve sans raison, mais qu’elles s’y trouvent soit parce que leur fragilité ne permet pas de les exposer en permanence (ainsi, par exemple, des tissus et des dessins), soit parce que leur nature ou leur état font qu’il n’est pas envisageable de les montrer (qu’il s’agisse de faux ou d’œuvres en attente de restauration). Plus largement, dans les espaces entourant les réserves, ce sont tous les métiers du musée qui sont dévoilés. À côté des réserves, d’autres baies vitrées donnent sur les ateliers du musée. À travers elles, le public pourra se rendre compte du travail de ceux qui sont au plus près des œuvres, restaurateurs et installateurs. Une autre ouverture laisse apercevoir la grande rue souterraine du musée et toute l’activité qui s’y déploie pour accueillir œuvres et visiteurs dans les meilleures conditions possibles. Mais il est d’autres éléments de la vie d’un musée qu’il est plus difficile de donner à voir. Pour ceuxlà, des dispositifs multimédias sont mis en place. Des témoignages vidéos sont diffusés, illustrant les différents métiers du musée, qu’ils relèvent de la conservation, de la médiation, de la communication ou de la gestion de la vie quotidienne et de la sécurité d’un établissement destiné à recevoir largement le public. Un musée étant d’abord et avant tout des œuvres, un espace est consacré à l’expli-
cation de ce qu’est leur vie, de leur création ou de leur découverte jusqu’à leur arrivée dans les salles d’exposition. Comme tout musée moderne, le Louvre-Lens est équipé d’un vaste auditorium. Il s’agit d’un grand espace aux fonctions multiples pouvant aussi bien accueillir des conférences que du théâtre, des concerts ou d’autres formes de spectacle vivant. Son ambition est forte : offrir au public un autre éclairage sur les œuvres et les périodes auxquelles elles appartiennent, mais aussi sur l’histoire du regard que l’on a porté sur elles, à travers des présentations scientifiques, bien sûr, mais aussi en les confrontant aux pratiques de leur temps dans le domaine des arts du spectacle ou en invitant auteurs, comédiens ou musiciens de notre temps à partager leur vision de ces œuvres. Contrepoint nécessaire aux salles d’expositions, ce lieu vient apporter un peu de fugace et d’éphémère dans un monde de permanence. Sa programmation tisse donc un lien étroit avec les collections du musée, lien qui peut parfois se manifester jusque dans les espaces d’expositions, notamment lors des nocturnes organisées mensuellement. Au cœur du hall d’accueil se trouve un autre endroit spécifique du musée et représentatif du rapport qu’il entretient avec le public : le centre de ressources. Espace d’étude, mais lieu convivial, il permet au visiteur de préparer ou d’approfondir son parcours. En son cœur se trouve une médiathèque, et pourtant, il est aussi plus que cela. C’est un lieu d’expérimentation, immersif, dans lequel le visiteur est amené à remettre les œuvres dans leur contexte large ou, au contraire, à pénétrer dans leur matérialité la plus fine. C’est là aussi qu’il peut accéder à son espace personnel sur le site web du musée, espace qu’il pourra retrouver chez lui, pour y consigner ses souvenirs de visites, ses envies, ses découvertes. Surtout, le centre de ressources se veut un lieu de partage et d’interaction, aussi son offre estelle conçue pour pouvoir être utilisée par le visiteur seul ou par des groupes ou des familles, auxquelles une zone est d’ailleurs réservée.
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la galerie du temps
INTRODUCTION Xavier Dectot
La Grande galerie est le cœur du Louvre-Lens. Elle accueille des expositions conçues pour cinq ans à partir des œuvres confiées à la garde du Louvre et forme, en quelque sorte, la collection permanente du musée lensois. Comme toute exposition permanente, cependant, elle n’est pas immobile : à Lens, les respirations seront notamment marquées par des rotations annuelles, qui verront quelques œuvres partir pour être remplacées par d’autres. Ce qui fait surtout l’originalité de la première exposition qui s’y tient, la Galerie du temps, c’est le choix de présentation. Tirant tout le parti de la longue galerie conçue par SANAA, la muséographie élégante et astucieuse du Studio Adrien Gardère présente les œuvres dans un seul espace, selon une logique chronologique. Ainsi se trouveront confrontées des œuvres qui, dans tous les musées encyclopédiques du monde, se trouvent séparées parce qu’appartenant à des civilisations ou à des techniques différentes. Et pourtant le monde mésopotamien et perse est en contact permanent avec le monde hellénique et l’Égypte, et, au Moyen Âge comme au 16 e ou au 17e siècle, bien des artistes interviennent à la fois comme peintres, sculpteurs ou spécialistes d’autres techniques. La Galerie du temps offre donc aux visiteurs un aperçu unique de l’histoire de l’art, dans les limites qui sont celles des collections du Louvre, s’ouvrant avec l’invention de l’écriture en Mésopotamie au 4e millénaire avant notre ère et se terminant avec la révolution industrielle au milieu du 19 e siècle, au moment où commence l’exploitation charbonnière à Lens.
l’antiquité
Jean-Luc Martinez
L’antiquité dans les collections du musée du Louvre
De la longue période que l’on a pris l’habitude d’appeler Antiquité, qui s’ouvre par la naissance de l’écriture (vers 3500 avant J.-C.) et se clôt en Occident par la fin de l’Empire romain, en 476 après J.-C., les collections du musée du Louvre permettent de montrer l’essor de trois foyers distincts de civilisation aux développements plus ou moins contemporains : le Proche-Orient, l’Égypte et le bassin méditerranéen. La Galerie du temps du Louvre-Lens réunit 70 œuvres produites sur plus de quatre millénaires dans cette vaste aire géographique allant de l’Algérie à l’Afghanistan. La mise en scène retenue permet de mettre en valeur les relations et les échanges entre ces trois foyers ainsi que les moments d’unification. Au centre de la galerie, les œuvres rassemblées appartiennent à la région souvent appelée du Croissant fertile, qui, de la Mésopotamie (Iraq actuel), région traversée par les fleuves Tigre et Euphrate, diffuse écritures et modèles d’organisation étatique vers l’est (plateaux iraniens) et vers l’ouest (côtes du Levant – Syrie et Liban actuels), entrant ainsi en contact avec les deux autres continents où se développent deux autres foyers que sont, présentée dans la galerie à main droite, l’Égypte, civilisation africaine toute centrée sur la vallée du Nil, et, présenté à main gauche, le bassin méditerranéen. Cette répartition géographique dans la largeur de la galerie rencontre une structuration chronologique dans la longueur, qui vient scander le parcours par des grands moments d’unification et rend perceptible toute la complexité de la géographie historique :
ainsi, après le temps des premières civilisations (4 e et 3 e millénaire avant J.-C.) sont mis en valeur les grands empires des 2e et 1er millénaires – Babylone, l’Empire assyrien puis l’Empire perse –, qui progressivement unifièrent le Proche-Orient et intégrèrent l’Égypte et une partie du monde grec, avant que les conquêtes d’Alexandre le Grand (336323 avant J.-C.) n’entérinent une forme d’hellénisation de l’Orient par l’Occident, prélude à l’Empire romain. On peut donc vouloir visiter la galerie en appréciant des œuvres créées à une même époque, en cheminant dans la largeur de l’espace ; c’est la structure que nous proposons dans ces pages. On peut aussi vouloir suivre l’évolution d’une production artistique d’une même aire géographique – par exemple en Égypte, des origines de l’écriture, vers 3200 avant J-C., à l’Islam –, il faut alors dérouler le temps dans le sens de la longueur, d’une présentation à l’autre. On peut enfin se laisser guider bien sûr par la seule qualité des œuvres exposées, car, au-delà de ces regroupements, plusieurs parcours traversent cette chronologie : celui de l’écriture et des langues de communication ; celui du portrait royal et impérial, du décor des temples et palais ; celui du mobilier funéraire, de l’évolution de la figure humaine, des dieux et héros de la mythologie. Le visiteur est ainsi invité à une longue remontée dans le temps à la rencontre des œuvres produites par les grandes civilisations antiques aux noms aussi exotiques qu’évocateurs, comme autant d’échos d’un passé lointain : Sumer, Babylone, l’Égypte, l’Assyrie, la Perse, la Grèce, l’Étrurie, Rome…
Aux origines des civilisations antiques (4E et 3E millénaires avant J.-C.)
À l’entrée de la Galerie du temps, trois ensembles évoquent la naissance des civilisations antiques, marquées par l’apparition de l’écriture, phénomène lui-même lié à l’essor d’un pouvoir centralisé et à l’émergence des premières villes et d’une architecture monumentale. Cette période qui embrasse deux millénaires voit, pour les foyers de civilisation représentés dans les collections du Louvre, une certaine prépondérance du Proche-Orient ancien, placé pour cette raison au centre de la galerie. C’est dans cette région du monde que naissent en effet, avec les civilisations de Sumer (Iraq actuel), de l’Élam (Iran actuel) et de la Syrie, les premières cités-États. L’Égypte contemporaine de l’époque archaïque (3100-2700 avant J.-C.) et de l’Ancien Empire (2700-2200 avant J.-C.) développe un modèle de civilisation qui, au-delà de ses particularismes (du pouvoir de pharaon à la création des pyramides), n’est d’ailleurs pas sans rappeler les civilisations orientales contemporaines. En Méditerranée orientale, à la même époque, la civilisation préhistorique cycladique (2700-2300 avant J.-C.) – nommée ainsi car elle se forme en Grèce dans l’archipel des Cyclades –, ne connaît pas l’écriture, qui n’apparaît que plus tardivement dans cette zone géographique, au 2e millénaire avant J.-C. avec les civilisations nées en Crète et en Grèce continentale.
L’Orient ancien au temps de la naissance de l’écriture
C’est donc en Mésopotamie, cette région située « entre les fleuves » (telle est la signification de ce mot d’origine grecque), dans la vallée du Tigre et de l’Euphrate, qui relie le plateau anatolien (Turquie) à la mer, que l’homme trouve dès le 6 e millénaire avant J.-C. les conditions favorables à sa sédentarisation. En Basse Mésopotamie (Iraq actuel) sont fondées les premières villes, telle Uruk (aujourd’hui Warka). Dans ce contexte naît l’écriture, qui est d’abord une réponse à la complexité des transactions. L’objet le plus ancien exposé dans la Galerie du temps évoque cette invention fonda mentale qui fait entrer la région dans l’histoire. Ces premiers documents écrits sont toujours des documents de comptabilité. La Tablette en écriture précunéiforme (fig. 1) provenant de l’Éanna – le temple du dieu du Ciel –, à Uruk, et datée d’environ 3300 avant J.-C. note des rations alimentaires : imprimés dans l’argile par une tige de roseau (le calame), les signes transcrivent des chiffres par des trous ronds ou encoches et des denrées par des dessins. Cette tablette porte donc des mots, non pas des phrases, et servit d’aide-mémoire pour tenir des comptes. Cet émouvant et fragile témoignage
de l’activité des hommes révèle une organisation centralisée de l’économie et suppose un pourvoir fortement hiérarchisé. Les sceaux utilisés pour signer les documents officiels comme la sculpture de pierre attestent en effet l’existence d’un pouvoir central et d’une religion constituée autour de grands temples construits en brique. Contemporaine de la tablette d’argile, la statuette taillée dans le calcaire d’un Homme barbu, nu (fig. 2) pourrait être une figure de roi-prêtre : on retrouve ce personnage sur les sceaux, parfois représenté vêtu d’une longue jupe et d’un turban, qui semble jouer un rôle de premier plan dans la cité et est accompagné d’un autre personnage, nourrissant le troupeau de la grande déesse Innana. Les fouilles conduites à partir de 1877 par Ernest de Sarzec sur le site de Tello, l’ancienne Girsu, dans le sud de la Mésopotamie, révélèrent la civilisation dite de Sumer qui avait complètement disparue des mémoires. Appelée le « pays des roseaux » par des populations désignées sous le vocable de « têtes noires », Sumer correspond de fait à la basse vallée du Tigre et de l’Euphrate. Dès le 3 e millénaire avant J.-C. et dans une zone qui
s’étend vers le nord et va jusqu’en Syrie se forment des petits États dirigés par un prince qui cumule toutes les fonctions : chef de guerre, de la justice, des constructions publiques, il est aussi l’intermédiaire entre le monde divin et celui des hommes. Les listes royales sumériennes donnent les noms de ces souverains mythiques, tel le héros Gilgamesh, roi d’Uruk, qui auraient régné après le Déluge. Plusieurs dynasties ont dirigé l’État de Lagash, plus au sud. Gudéa (fig. 3), qui régna vers 2120 avant J.-C. en est le prince le plus connu, car les fouilles de Tello ont révélé une vingtaine de statues le représentant, découvertes dans les sanctuaires qu’elles ornaient. Taillée dans une pierre dure, la diorite, importée de Magan (péninsule d’Oman), la statuette montre le roi coiffé d’un bonnet (de fourrure ?), les mains jointes, dans un style académique qui veut évoquer la force et la piété du prince. Cette dynastie de l’État de Lagash nous a laissé les plus longs poèmes religieux écrits en sumérien, langue officielle de l’administration. Vers 2000 avant J.-C., la Tablette en écriture cunéiforme (fig. 4) porte les signes, tracés à l’aide d’un stylet à tête en forme de coin (du latin cuneus), d’un long texte littéraire, une lettre d’une mère adressée à son fils. C’est donc l’époque où se forment, aux côtés des documents juridiques et diplomatiques, la littérature orientale et la culture savante que développent les scribes des grands sanctuaires. À cette époque, Suse, cité principale du royaume d’Élam (Iran actuel), à l’est de la Mésopotamie, est pleinement rattachée au monde sumérien. La Plaque d’albâtre perforée avec scène de banquet et de combat (fig. 5) qui y a été découverte lors des fouilles conduites par Jacques de Morgan en 1908 appartient à la série des reliefs perforés sumériens qui décoraient sans doute les fermetures des portes des temples. On y voit la représentation d’un ban-
quet avec un musicien et un personnage assis vêtu de la jupe de laine appelée kaunakès, et, au registre inférieur, un combat. Des contacts avec l’Asie centrale par voie terrestre et avec l’Inde par le Golfe sont attestés. Au nord de l’Iran actuel, à la frontière de l’Afghanistan et du Tadjikistan d’aujourd’hui, la région traversée par le fleuve Oxus (de nos jours Amu Darya) et appelée plus tardivement Bactriane développe une civilisation en contact avec l’Élam et la Mésopotamie, mais en utilisant des matériaux plus précieux et un répertoire décoratif qu’on a pu juger plus exubérant. Les statuettes découvertes montrent des génies masculins au corps recouvert d’écailles de serpent ou des « princesses » aux amples crinolines à mèches laineuses inspirées du kaunakès sumérien. La Femme vêtue de cette robe-manteau de laine (fig. 6) taillée dans du calcaire et de la chlorite verte doit figurer une protectrice des vivants et des morts. À l’autre extrémité du Proche-Orient ancien, à l’ouest, la Syrie forme un véritable carrefour avec l’Égypte, le monde méditerranéen et la Mésopotamie. La Syrie intérieure est naturellement encore davantage tournée vers la vallée de l’Euphrate, qui la traverse et la met en relation avec la plaine mésopotamienne, plus au sud. Le site de Tell Halaf a donné son nom à une civilisation qui s’y constitue au 4 e millénaire avant J.-C. au contact de la Mésopotamie, adoptant l’usage du métal, les villes et l’écriture. Après les déesses-mères aux formes amples, on y voit apparaître des images stylisées aux formes presque abstraites. L’Idole aux yeux (fig. 7), de taille exceptionnelle, soulève bien des interrogations : estce un objet consacré à une divinité ? un instrument de filage ? De telles représentations se retrouvent jusqu’à Suse, signe d’une certaine culture commune dans cette vaste zone qui s’étend de la Méditerranée aux plateaux iraniens.
2. Mésopotamie (Iraq actuel) Vers 3300 avant J.-C. Calcaire Homme barbu, nu : roi-prêtre ? H. 30,5 ; l. 10,4 cm AO 5718
1. Uruk (aujourd’hui Warka), Mésopotamie (Iraq actuel) Vers 3300 avant J.-C. Argile Tablette en écriture précunéiforme indiquant des rations alimentaires, archives de l’Éanna, temple du dieu du Ciel H. 5,2 ; l. 7,8 cm AO 29561 Achat, 1988
3. Girsu (aujourd’hui Tello), Mésopotamie (Iraq actuel) Vers 2120 avant J.-C. Diorite Gudéa, prince de l’État de Lagash H. 70,5 ; l. 22,4 cm AO 29155 Achat, 1987
4. Mésopotamie (Iraq actuel) Vers 2000 avant J.-C. Argile Tablette en écriture cunéiforme portant un texte littéraire en langue sumérienne : lettre d’une mère à son fils H. 10, 4 ; l. 5, 4 ; ép. 2,9 cm AO 6330 Achat, 1912
5. Suse, royaume d’Élam (Iran actuel) Vers 2650-2550 avant J.-C. Albâtre Plaque perforée avec scène de banquet et de combat : élément de fermeture de porte de temple ? H. 30 ; l. 30 cm Sb 41 Fouilles de J. de Morgan, acropole de Suse (Iran actuel), 1908
6. Civilisation de l’Oxus, Asie centrale (Afghanistan actuel) Vers 2300-1700 avant J.-C. Chlorite verte et calcaire Femme vêtue d’une robe-manteau de laine (« kaunakès ») : figure protectrice des vivants et des morts ? H. 17,3 ; l. 16,1 cm AO 22918 Achat, 1969
7. Civilisation de Halaf, Syrie Vers 3300-3000 avant J.-C. Terre cuite Idole aux yeux H. 27 cm AO 30002 Don de la Société des amis du Louvre, 1991
Aux origines de la civilisation égyptienne
La civilisation qui naît en Égypte dans la vallée du Nil présente de nombreuses analogies avec ses voisines contemporaines du Proche-Orient. Certes les crues du « fleuve roi » qu’est le Nil conditionnent la vie des anciens Égyptiens et créent une limite entre la terre noire alors fertilisée par le limon qu’elles déposent et l’immense désert. Cependant on observe les mêmes développements qu’en Mésopotamie : au 4 e millénaire avant J.-C. apparaît l’écriture, au service d’un pouvoir centralisé qui s’exprime notamment par une monumentalisation de l’art avec la naissance d’une sculpture de pierre et d’une grande architecture. Les plus anciens textes connus sont un peu plus récents qu’en Orient – ils datent d’environ 3200 avant J.-C. –, ce qui ne signifie pas que l’écriture égyptienne, que les Grecs ont qualifiée de « sacrée » (c’est le sens du terme « hiéroglyphe »), dérive de celle de Mésopotamie. Vers 3000 avant J.-C., la Stèle funéraire (fig. 8) provenant d’Abydos, au cœur de la Moyenne-Égypte, site célèbre pour son sanctuaire consacré à Osiris, montre des premiers hiéroglyphes qui semblent donner le nom de Horus (dessin du faucon) et un nom propre (Setchnoum) [dessin d’un bélier]. C’est là que furent enterrés les premiers pharaons, dont le mythique Narmer qui vers 3100 avant J.-C. aurait unifié la Haute- et la Basse-Égypte, même si l’on sait désormais que l’unification des deux territoires est antérieure à cette date. De cette période prédynastique qui précède l’unité politique de l’Égypte nous connaissons des villes, la production céramique et de nombreuses palettes à fard caractéristiques de cette culture. Le Fragment décoré d’une scène de chasse (fig. 9) est taillé dans une pierre dure (le Grauwacke) et a sans doute été utilisé dans
un sanctuaire. Il présente une cavité circulaire – en partie conservée –, où était broyé le fard. Mais c’est avec la période que l’on a qualifiée d’Ancien Empire (vers 2700 – vers 2200 avant J.-C.) que s’organise le pays autour de la capitale, Memphis, et autour d’un roi tout-puissant, le pharaon, au service duquel évolue une noblesse de fonctionnaires. Les souverains de la 4 e dynastie, dont les fameux Chéops, Chéphren et Mykérinos, choisissent alors, vers 2600 avant J.-C., le plateau de Giza, au nord de Memphis, pour y bâtir leur pyramide à l’origine du rassemblement d’une véritable ville des morts. S’y développe un artisanat de la pierre (sculpture, architecture) où se mettent en place les conventions de l’art égyptien. La statue d’Homme debout (fig. 10) est sans doute une sculpture funéraire placée dans la tombe de l’un de ces fonctionnaires au service du roi, malheureusement devenu anonyme par la perte de l’inscription que portait l’objet. Elle montre plusieurs des conventions de représentation de ce temps : appuyé sur un pilier dorsal, l’homme portant une perruque est en marche apparente, les deux bras le long du corps, la jambe gauche avancée. Le relief exposé au revers appartient au Décor d’une chapelle funéraire (fig. 11), la partie publique de la tombe, où la famille dépose des offrandes. Les éléments figurés ne sont pas simplement ornementaux, car ils évoquent des moments censés se reproduire dans l’autre monde pour le défunt : ici une scène de brasserie. On y relève d’autres conventions de l’art égyptien : la carnation rouge des hommes ou la juxtaposition de profils et de faces font revivre le peuple des artisans servant une grande maison noble.
8. Abydos, Égypte Vers 3000 avant J.-C. Calcaire Stèle funéraire portant des inscriptions hiéroglyphiques H. 73,5 ; l. 55 ; ép. 21,5 cm E 21710 Fouilles d’É. Amélineau, Abydos (Égypte), 1895-1898
9. Abydos ? Égypte Vers 3300-3100 avant J.-C. Grauwacke (pierre dure) Fragment d’une palette à fard décorée d’une scène de chasse H. 14,6 ; l. 41 ; ép. 2 cm E 11254
10. Égypte Vers 2350 avant J.-C. Calcaire peint Homme debout, statue funéraire d’un inconnu H. 85 ; l. 28 ; pr. 36 cm A 46 Achat, 1826
11. Égypte Vers 2500-2350 avant J.-C. Calcaire peint Décor d’une chapelle funéraire : scène de brasserie H. 31 ; l. 32 ; ép. 2,5 cm E 32880 Achat, 2006