Mary Cassatt. Une Americaine chez les Impressionnistes - Biographie (extrait)

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Cet ouvrage a été réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial Nicolas Neumann Responsable éditoriale Stéphanie Méséguer Contribution éditoriale Gaëlle Vidal Fabrication Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros

En couverture Mary Cassatt Dans la loge, 1879 Philadelphia, Museum of Art © Somogy éditions d’art, Paris, 2018 www.somogy.fr 978-2-7572-1372-8 Dépôt légal : février 2018 Cet ouvrage a été achevé d'imprimer en février 2018 sur les presses de PBTisk en République tchèque (Union européenne).

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Isabelle Enaud-Lechien

MARY CASSATT une AmĂŠricaine chez les impressionnistes

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Sauf mention contraire, les traductions (articles, lettres, etc.) sont de l’auteur.

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SOMMAIRE Introduction

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Des ambitions artistiques précoces

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Du Nouveau Monde au Vieux Continent : itinéraire d’une « apprentie » en quête de références (1865-1874) 18 Une voie hors des conventions : l’entrée effective sur l’avant-scène artistique parisienne (1875-1881)

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L’affirmation d’une carrière singulière : artiste, femme et agent artistique… (1882-1886)

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Vers un style très personnel : une artiste en pleine maturité (1887-1900)

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La reconnaissance officielle d’une « grande dame » du monde artistique (1900-1926)

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Indications bibliographiques

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Listes des illustrations

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Arbre généalogique

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Index

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à Yves, Baptiste, Aude, Amélie, Hugo et mes proches

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INTRODUCTION « Je suis américaine, nettement et franchement américaine. Cependant ma famille est d’origine française. Bien avant la révocation de l’édit de Nantes – exactement en 1662 – un Français appelé Cossart émigra de France en Hollande1. » Cette lointaine filiation, revendiquée par Mary Cassatt auprès de son biographe à la fin de sa vie, dit tout l’amour que l’artiste américaine, fervente de la culture française, voue à sa patrie d’adoption. En effet, c’est en France qu’elle entreprend sa véritable carrière artistique, à vingt-deux ans. Alors que « Réalistes », « Naturalistes » puis « Indépendants » accaparent l’attention des cénacles artistiques de l’avant-garde parisienne de la seconde moitié du e siècle, les peintures de Cassatt, ses pastels et ses gravures en couleurs trouvent une place singulière. L’artiste d’outre-Atlantique parvient à concilier des aspirations et des réalités diverses : femme, peintre, impressionniste, américaine, agent des artistes. Faisant fi du peu de soutien de ses parents alors qu’elle commence sa carrière, elle brave les difficultés inhérentes à sa personnalité marginale. Elle a su transformer ses spécificités en atouts et gagner l’admiration et la reconnaissance des personnalités éminentes du monde de l’art des deux 1. SEGARD (Achille), Mary Cassatt, un peintre, des enfants et des mères, p. 2-3.

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côtés de l’Atlantique ; des artistes, d’Edgar Degas, son plus fervent admirateur à Camille Pissarro, en passant par John Singer Sargent ; des marchands d’art comme Durand-Ruel dont elle a contribué à accroître le prestige ; des collectionneurs qui, à l’image des célèbres Havemeyer ont accordé une entière confiance à la clairvoyance de Cassatt dans le choix d’œuvres dont la qualité n’a jamais été contestée ; des critiques comme Émile Zola ou Joris-Karl Huysmans, connu pour ses flèches acerbes contre la peinture officielle. Pourtant, rien apparemment ne destine Mary Cassatt à mener avec passion, ténacité et audace la carrière d’artiste professionnelle qui lui vaudra l’estime et la reconnaissance de ses contemporains.

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DES AMBITIONS ARTISTIQUES PRÉCOCES Née le 22 mai 1844 à Allegheny City – aujourd’hui Pittsburgh – en Pennsylvanie, elle est le quatrième enfant survivant de Katherine Kelso Johnston et Robert Simpson Cassatt2. Sa mère, d’origine irlando-écossaise, a suivi à Pittsburgh les enseignements de Mme Campan, qui eut en charge l’éducation de plusieurs jeunes filles de l’aristocratie impériale française. On raconte qu’à douze ans son français était pratiquement irréprochable et qu’elle avait le plus pur accent de Touraine. Il faut remonter cinq générations du côté de son père, pour trouver l’origine française (huguenote) que Mary revendique. Banquier et courtier prospère, il fait partie des notables de la ville natale de Mary, dont il fut maire. Alors qu’elle n’a que sept ans, Mary part avec sa famille pour un long voyage en Europe. À l’abri de soucis financiers, ses parents concilient ainsi leur goût du voyage, le souhait que leur aîné, Alexander, entreprenne une formation d’ingénieur et enfin, le conseil des médecins américains de faire suivre une cure à leur second fils, Robert, dont la santé est fragile. Après avoir passé quelques mois à Paris à l’automne 1851, ils s’installent en Allemagne pour qu’Alexander suive une école d’ingénieur à Heidelberg, puis à Darmstadt. C’est là que Robert meurt, alors que Mary vient de fêter ses onze ans. 2. Voir arbre généalogique p. 171.

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Avant de retourner aux États-Unis, la famille s’installe de nouveau quelque temps à Paris. À cette époque, la capitale est dans la plus grande effervescence : l’Exposition universelle de 1855 a ouvert ses portes au printemps : 12 hectares y sont consacrés. Le palais de l’Industrie, installé aux Champs-Élysées, couvre 45 000 mètres carrés et les Beaux-Arts sont accueillis avenue Montaigne. Les polémiques vont bon train sur la valeur respective d’Eugène Delacroix, et de JeanDominique Ingres. Romantisme et classicisme s’opposent dans des débats enflammés dont Gustave Courbet, qui a installé le « Pavillon du Réalisme » aux portes de l’Exposition, se sent probablement fort éloigné. Peut-être Mary est-elle encore bien jeune pour mesurer l’ampleur de l’évolution des tendances artistiques qui sont en train de se jouer, mais elle est certainement marquée par cette manifestation grandiose, vitrine de la culture et de la technique internationale. La famille endeuillée repart pour Philadelphie à la fin de l’année 1855. Des quelques années qui suivent, on ne sait que peu de choses si ce n’est que Mary continue son apprentissage du français avec sa mère et qu’elle suit l’enseignement classique à laquelle une jeune fille de son milieu peut prétendre. La ville où elle passe son adolescence est la seconde en importance des États-Unis. Son industrie et sa finance sont de taille à se mesurer avec celles de New York. La vie culturelle y est intense. On y trouve de nombreux marchands d’art, des salles de vente et des collections privées majeures. Dès 1786, le peintre de portraits Charles Willson Peale (1741-1827) y a fondé l’un des premiers musées américains, consacré tant aux peintures qu’à des spécimens d’histoire naturelle. Quelques années plus tard, il contribue à la fondation de l’Académie Columbianum de Philadelphie – constituant alors la première société pour la promotion des 10

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Beaux-Arts – d’où est née en 1807, l’Académie des BeauxArts de Pennsylvanie. À l’automne 1860, Mary a tout juste seize ans, l’âge minimum requis pour entrer à l’Académie : « Miss Mary Stevenson Cassatt » signe en larges lettres les registres de la classe de dessin d’après antiques. Mary confie à son biographe Segard3 : « À l’École académique de Philadelphie, on dessinait tant bien que mal d’après les copies anciennes ou des plâtres antiques. Je crois d’ailleurs que la peinture ne s’enseigne pas et qu’on n’a pas besoin de suivre les leçons d’un maître. L’enseignement des musées suffit4. » Le regard critique sur ses premières années de formation ne rend pas compte de l’attitude progressiste pour l’époque de la direction de l’Académie vis-à-vis des femmes qui représentent près d’un tiers du corps étudiant. Tous les cours leur sont ouverts à l’exception de ceux de modèles nus (cette restriction sera levée en 1868). De plus, des enseignants aussi établis que Schussele5 et Rothermel6 acceptent les filles en cours privés. La plupart, 3. Achille Segard (1872-1936) a déjà écrit plusieurs livres d’art quand, en 1913, il lui consacre une monographie de 207 pages ; celle-ci atteste la notoriété de l’artiste, en France, de son vivant, alors que peu d’artistes de sa génération pouvaient se prévaloir d’un tel honneur. 4. SEGARD (Achille), Mary Cassatt, un peintre, des enfants et des mères, p. 6. 5. Christian Schussele (1824-1879), né à Guebwiller, en Alsace, a seize ans quand il part étudier l’art à l’École de dessin de Strasbourg et apprend la gravure. À vingt ans, après avoir poursuivi sa formation dans les ateliers parisiens du fameux peintre d’histoire Paul Delaroche (17971856) et de son élève Adolphe Yvon (1817-1893), il part s’installer aux États-Unis au moment de la Révolution de 1848 ; dès lors il a à cœur de commémorer la vie et les évènements marquants de sa patrie d’adoption. 6. Peter Frederick Rothermel (1817-1895), connu pour ses portraits et ses grandes peintures d’histoire, fut directeur de la Pennsylvania Academy of Fine Arts (1847-1855) avant de partir faire son Tour d’Europe dont il reviendra en 1859.

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conscientes des nouvelles normes sociales en train de s’établir, sont fières de s’inscrire dans une tradition pionnière. Certes, le contenu de l’instruction est classique. Après le dessin d’après les plâtres de statues antiques célèbres, on apprend l’anatomie en suivant des conférences assurées par des enseignants d’écoles médicales et en étudiant des corps humains disséqués. Enfin, on dessine d’après modèles vivants. Les étudiants sont à pied d’œuvre pour suivre de près les expositions d’art contemporain organisées par l’École ; souvent consacrées à l’art européen7, elles drainent chaque année 13 000 visiteurs en moyenne. Mary, rapidement reconnue comme l’une des plus douées de sa promotion, montre vite des signes d’impatience à se lancer dans la peinture à l’huile qui ne fait pas partie de l’enseignement réservé aux débutants. Elle est méfiante vis-à-vis de ce qu’elle considère comme la routine académique et après dixhuit mois d’études, elle décide de son propre chef de copier des têtes du tableau de La Libération de Leyden du siège espagnol sous Valdez en 1574 (1848) par Johann B. Wittkamp (1820-1885). L’artiste hollandais jouissait d’un grand succès en Europe et en Amérique, notamment à Philadelphie où plusieurs collectionneurs possédaient ses œuvres. Mary apprécie probablement la maîtrise de la palette, l’expression et la technique de cette toile monumentale souvent copiée par les étudiants avancés de l’Académie qui l’avait acquise en 1851.

7. « American Exhibition of British Art » (1858), « Paul Weber’s Madonna Monastery dell’Sasso on Lago Maggiore » (18601862), etc. Une liste complète des expositions depuis la création du musée est disponible en ligne : <http://pafaarchives.omeka.net/ specialexhibitionlist>.

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Mary n’a rien d’une dilettante et dédaigne les « amateurs » ; la passion qui l’anime la rend confiante dans son succès à venir auquel elle est prête à associer ceux qui partagent son ambition. Âgée de dix-neuf ans, elle écrit à Eliza Haldeman8, son amie et condisciple de l’Académie de Pennsylvanie, à propos d’une visite imminente : « Vous voyez, j’arrive plus tôt que prévu parce que je veux si possible avoir mon tableau assez sec pour être verni avant que je l’envoie au “malotru” [l’un de ses professeurs ?]. Maintenant s’il vous plaît, ne laissez pas votre ambition s’endormir mais finissez votre portrait d’Alice de telle sorte que je puisse l’emmener avec moi et le faire encadrer avec le mien, l’envoyer à l’Exposition avec le mien, accroché à côté du mien, qu’il soit célébré, critiqué avec le mien et finalement qu’un admirateur de l’art et de la beauté, enthousiaste, nous offre mille dollars pour chacun d’eux9. » Souhaitant plus que tout devenir artiste professionnelle, Mary supplie son père pendant des années de la laisser étudier à Paris. Plusieurs raisons la motivent à aspirer à retourner dans la capitale où elle a déjà séjourné. Certains des professeurs à l’Académie ont eux-mêmes été formés en France. Ainsi, son maître Schussele – qui en est originaire10 – apprend aux étudiants à contempler l’art des 8. Eliza Haldeman (1843-1910) rencontre Mary alors qu’elle étudie à l’Académie des Beaux-Arts de Philadelphie en 1860. Fille de Samuel Haldeman (1812-1880), un enseignant de philologie réputé à l’université de Pennsylvanie, elle semble avoir abandonné ses velléités de carrière artistique après son retour d’Europe, en décembre 1868. 9. Cassatt à Eliza Haldeman, 18 mars [1864], traduit d’après MOWLL MATTHEWS (Nancy), Cassatt and her circle : selected letters, p. 34. Cet ouvrage sera ensuite désigné par l’acronyme MMCL. 10. Voir note 5 supra.

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maîtres et les encourage à visiter les musées européens, comme complément indispensable à leur formation. Il s’inscrit par là même dans la tradition déjà ancienne du « grand Tour » ; les apprentis artistes ou les artistes plus confirmés découvrent avec ravissement des villes aussi prestigieuses sur le plan artistique que Paris, Amsterdam, Rome ou Venise. Il faut dire qu’à l’époque, le manque d’une identité culturelle américaine bien spécifiée incite les individus à tenter de se définir par rapport aux normes établies sur le Vieux Continent. Si la ville de Philadelphie est connue pour ses collections privées, elles ne sont en aucun cas comparables à celles qui sont constituées de longue date outre-Atlantique. Philadelphie a accueilli, à plusieurs reprises, des œuvres d’artistes aussi reconnus en France à l’époque que celles du très académique Jean-Léon Gérôme (1824-1904), son futur professeur à Paris, dont des huiles sont présentées dans la ville américaine de 1860 à 1862. Si l’artiste est connu comme l’un des ennemis les plus farouches du futur courant impressionniste, en tant qu’enseignant, il laisse à ses élèves une certaine liberté. Paradoxalement, c’est de sa famille qui l’a pourtant sensibilisée à la culture française que vient l’opposition la plus ferme à ce projet : « J’aimerais presque mieux te voir morte », lui aurait dit son père11. Il faut rappeler qu’à l’époque, il est certes de bon ton pour les jeunes filles de bonne famille de pratiquer des arts dits d’agréments tels que la musique, la couture, la broderie, éventuellement l’aquarelle… ; de là à déclarer de véritables ambitions professionnelles… Son père s’inquiète certainement sincèrement 11. SEGARD (Achille), Mary Cassatt, un peintre, des enfants et des mères, p. 5.

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de la voir poursuivre une voie difficile, qui sera encore jugée par beaucoup, inconvenante pendant de longues décennies12. En France, les arguments fallacieux mis en avant pour refuser l’accès des personnes « du sexe féminin » à une carrière professionnelle sont encore de mise ainsi que le met en évidence un article intitulé « Du rang des Femmes dans les Arts » : « Osez-vous bien faire luire aux yeux des familles ce décevant mirage de la carrière des beaux-arts ? Compter autour de vous les jeunes gens qui luttent sans succès contre les privations et les déboires de la vie d’artiste. Même avec l’aide du gouvernement, combien végètent dans les bas-fonds d’une profession illusoire, qui ne devient jamais pour eux un gagne-pain ! Et vous voudriez ouvrir aux jeunes filles cet abîme de misère ! N’y a-t-il pas déjà des femmes peintres, et n’y en a-t-il pas déjà trop ? Allez au Louvre un jour d’étude ; ce ne sont que des jupons perchés sur les échelles, ce ne sont que13 des mains féminines brossant avec ardeur d’immenses toiles, dont le 12. Octave Uzanne écrira encore en 1910 (!) : « La femme sait se donner des jouissances variées et d’un ordre supérieur : le dessin, la peinture, la musique […] qu’importe, je vous prie, qu’elle ait du talent ou non ? – Elle peut faire des “machinettes”, des “petites horreurs”, en sûreté de conscience, nul n’a le droit de les lui reprocher. » Concernant l’artiste professionnelle, il écrit encore : « À la campagne, il n’y a plus d’idylle possible avec elle, car ce ne sont plus des sensations mais des “motifs” qu’elle recherche ; parlez-lui sentiments, elle répondra valeurs, tonalités, et plans successifs. Chez elle, à son atelier, on la trouve encore plus insaisissable, elle ne se préoccupera que de ses toiles, de ses pochades, de ses futures expositions, des cadres à trouver, des démarches pour obtenir la cimaise, de la presse à préparer ; c’est une terrible raseuse pour qui la courtise, car elle oublie son sexe et ses qualités innées ; elle évolue vers l’affreuse androgyne ; et elle affecte des airs de supériorité intolérables qui ne justifient pas toujours ni son esprit naturel, ni son talent acquis. » (Parisiennes de ce temps, p. 273.) 13. LAGRANGE (Léon), « Du rang des Femmes dans les Arts », Gazette des Beaux-Arts, 1er octobre 1860, p. 39.

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moindre inconvénient est de populariser les fadeurs du Guide et de Mignard, aux dépens des saines beautés de Raphaël et de Poussin14 […]. » Sans que ce soit la panacée15, dans le Nouveau Monde, au milieu du siècle, la femme artiste professionnelle est plutôt perçue comme une pionnière, en particulier grâce à la publication d’Elizabeth Ellet16, Women Artists in All Ages and Countries (Les Femmes artistes de tous les temps et de tous les pays) (1859) ; le support de l’histoire inscrit la jeune artiste dans une filiation qui doit également être confortée dans son ambition par The Marble Faun (Le Faune de Marbre)17, le roman de Nathaniel Hawthorne, publié en 1860, dans lequel l’auteur écrit avec discernement : « Les habitudes de la vie d’artiste accordent une telle liberté au sexe, qui, ailleurs, se voit circonscrit par des frontières ô combien plus étroites ; et c’est peut-être une indication que, quand nous offrons aux femmes 14. Ibid., p. 40. 15. En 1911, on peut encore lire dans un article du New York Times, faisant écho à un physicien et neurologiste de Boston : « Les femmes ne peuvent être artistes […] la Nature les a dépourvues de sens artistique […]. Pas une femme sur cent n’a de véritable sens artistique ou même un semblant d’intérêt esthétique sous quelque forme que ce soit […]. Elle ne montre pas de constance d’esprit, pas de sens de la discrimination et comme artiste ou critique d’art est totalement incompétente », [AAA], Sartain Family Papers, Roll 4565. 16. Quand l’auteur américaine Elizabeth Ellet (1818-1877) entreprend cet ouvrage, elle bénéficie déjà d’une notoriété certaine pour The Women of the American Revolution (1845), un livre en trois volumes dans lequel elle met en exergue les personnalités féminines ayant œuvré à la cause de l’indépendance des États-Unis. 17. Le dernier des quatre romans qui ont fait d’Hawthorne (1804-1864) un auteur très populaire, a pour toile de fond l’Italie où l’écrivain vient de passer deux ans avec sa famille. Deux des quatre protagonistes sont des femmes peintres (Miriam et Hilda) mêlées à une intrigue amoureuse dramatique.

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un plus large éventail d’ambitions et de professions, nous devons aussi repenser les entraves de nos conventions établies, qui seraient alors un frein insupportable que ce soit pour la servante ou l’épouse18 […]. » Quoi qu’il en soit, durant l’automne 1865 – quelques mois après la fin de la guerre de Sécession19 – , conscient de la détermination de sa fille, et peut-être sensible à la juste évolution des mentalités et de la société aux États-Unis, le père de Mary accepte finalement qu’elle parte, chaperonnée par sa mère, ainsi qu’il convient à une jeune fille de son milieu. C’est ainsi qu’en décembre, elle est enfin installée à Paris avec Eliza Haldeman, sa condisciple et amie de l’Académie, avec laquelle elle a décidé de poursuivre sa formation. La correspondance avec cette dernière comme les lettres échangées avec sa famille ou ses amis révèlent l’ardeur, la détermination, la constance avec lesquelles Mary s’applique à mériter l’admiration qu’elle est certaine de recevoir à Paris. 18. Traduit d’après « The customs of artist life bestow such liberty upon the sex, which is elsewhere restricted within so much narrower limits; and it is perhaps an indication that, whenever we admit women to a wider scope of pursuits and professions, we must also remove the shackles of our present conventional rules, which would then become an insufferable restraint on either maid or wife », The Marble Faun, chapitre 6. 19. Pendant la guerre de Sécession (12 avril 1861-9 mai 1865), ayant opposé les États-Unis d’Amérique dirigés par Abraham Lincoln (« l’Union ») aux onze États du Sud ayant fait sécession (« la Confédération »), les usines de Philadelphie avaient fourni les armées de l’Union en matériel militaire et en ressources diverses. À l’issue du conflit, la société d’investissement de son père bénéficiant d’accointances dans les milieux de notables depuis qu’il s’y était installé, avait certainement acquis une nouvelle stabilité lui permettant d’envisager plus sereinement l’avenir de sa famille.

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