Décors, mobilier et objets d’art du musée du Louvre (extrait)

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L’ALBUM

Décors, mobilier et objets d’art du musée du Louvre

de LOUIS XIV à M ARIE-A NTOINETTE







Décors, mobilier et objets d’art du musée du Louvre DE

LOUIS XIV À MARIE-ANTOINETTE

L’ALBUM



L’

ouverture au Louvre des nouvelles salles consacrées au mobilier des xviie et xviiie siècles constitue un moment privilégié de l’histoire du musée. Déployées sur plus de deux mille mètres carrés, plus de deux mille œuvres qui forment l’une des plus belles collections au monde de meubles et d’objets d’art du règne de Louis XIV et du xviiie siècle sont de nouveau présentées au public. Fermées depuis une dizaine d’années, ces salles ont bénéficié d’une restructuration complète pour répondre aux exigences d’une muséographie renouvelée, destinée à un nombre sans cesse croissant de visiteurs venus des horizons les plus divers. Cette rénovation s’inscrit également comme un prolongement naturel de la métamorphose générale de l’établissement, entreprise avec la dévolution au musée des anciens espaces du ministère des Finances, suivie de l’inauguration de la Pyramide en 1989 et de celle des salles de l’aile Richelieu en 1993. Près de dix années ont été nécessaires pour mener cette opération à son terme, depuis les grandes lignes du programme jusqu’au projet muséographique de Marc Bascou et Jacques Garcia, mis en œuvre par les équipes du musée avec l’assistance de Michel Goutal, architecte en chef des Monuments historiques.

La formation de la collection et l’histoire du département Dès son ouverture au public, sous la Révolution, le Muséum des arts installé au Louvre abritait de grands vases d’ornement modernes en marbre et des vases de pierres dures à monture de bronze doré, mais aussi des pendules et des bronzes d’ornement. Un certain nombre de ces objets avaient été achetés par le roi Louis XVI pour le futur musée que le souverain avait souhaité établir au Louvre. Dès 1796, la majeure partie des vases en pierres dures et des bronzes des collections de la Couronne, abrités au GardeMeuble, étaient attribués au musée. Les premiers, aujourd’hui présentés dans la galerie d’Apollon, avaient pour l’essentiel été réunis sous Louis XIV. Quant aux seconds, qui forment le noyau initial des collections de bronzes Renaissance du musée, ils abritaient en leur sein quelques œuvres des xviie et xviiie siècles. Cependant, le mobilier qui, de provenance royale ou saisi chez les émigrés, avait été destiné au Muséum entre 1793 et 1796, était rapidement reparti meubler les palais de l’État sous le Consulat et l’Empire. En 1870, avec le premier versement du Garde-Meuble, le mobilier fit son entrée au musée. Quelques jours seulement après la chute du Second Empire, étaient en effet attribués au Louvre des meubles et des objets issus des palais des Tuileries et de Saint-Cloud, lesquels devaient peu après être ruinés par les flammes. En 1901, ceux qui furent présentés à l’Exposition rétrospective de l’art français (1901), provenant du musée du Garde-Meuble, entrèrent au Louvre, ce qui entraîna la création de nouvelles salles dans la partie nord des anciennes salles du Conseil d’État au premier étage de l’aile ouest de la cour Carrée. L’ouverture de ces nouvelles salles encouragea les libéralités, comme celles du comte Isaac de Camondo (1911), du baron Basile de Schlichting (1914) ou encore de Georges

Coffre d’or exécuté pour Louis XIV, détail (voir p. 21) 11


Heine (1929). Enfin, de nouveaux dépôts du Mobilier national et des achats, tels les chenets de François-Thomas Germain en 1935, entraient à leur tour au musée. Le réaménagement du parcours des salles par Henri Verne, à partir de 1927, prévoyait d’installer les collections dans l’aile nord de la cour Carrée. Le projet, interrompu par la guerre, fut mené à bien de 1962 à 1966 par Pierre Verlet, qui dirigeait alors le département. Ce sont ces salles, que beaucoup d’entre nous ont connues, qui furent fermées en 2005. D’autres dons insignes vinrent également rehausser l’éclat des collections ; citons notamment la donation David-Weill, qui, en 1946, apporta au Louvre les bases d’une collection d’orfèvrerie du xviiie siècle, un domaine, encore quasiment absent à l’époque, à propos duquel il faut souligner la contribution essentielle de la Société des Amis du Louvre, toujours généreuse à l’endroit du département, et ce dès sa création, et pour toutes les périodes. Ainsi les collections s’étaient-elles considérablement accrues depuis les années 1960, et des domaines entiers, comme l’orfèvrerie ou la porcelaine, constituaient-ils désormais des ensembles exceptionnels. En conséquence, les œuvres s’étaient peu à peu accumulées dans les anciennes salles, lesquelles n’avaient pas été conçues en fonction d’un semblable accroissement ni d’une semblable diversification.

Les nouveaux espaces Les trente-trois salles réaménagées correspondent à celles qui occupaient jusqu’en 2005 le premier étage de l’aile nord de la cour Carrée. Elles incluent également les anciennes salles du Conseil d’État et du pavillon de Beauvais, fermées à leur tour dès 2009 et où s’était réfugiée en 2005 une petite partie des collections. Enfin, la salle dévolue en 1993 à la tenture de Déborah et au coffre d’or de Louis XIV, qui assure la jonction entre les salles du premier étage de l’ancien ministère des Finances et celles de la cour Carrée, a été englobée dans le projet pour offrir au visiteur venant des salles de l’aile Richelieu, avec ses boiseries, ses meubles Boulle et la tenture des Attributs de la Marine, une introduction majestueuse aux salles Louis XIV et Régence. Les grandes salles du Conseil d’État, dans l’aile ouest de la cour Carrée, avec leurs plafonds peints du xixe siècle et leurs amples volumes, abritent désormais un ensemble homogène composé des chefs-d’œuvre des grandes manufactures royales et des ateliers de la Couronne sous le règne de Louis XIV, placés sous l’autorité de Le Brun dès 1667, des meubles d’André-Charles Boulle puis de ceux de Charles Cressent sous la Régence. De son côté, la grande salle du pavillon de Beauvais, sous l’imposant plafond peint du Triomphe de Marie de Médicis, est consacrée à une présentation d’œuvres en vitrines : ces dernières regroupent faïences et pièces d’orfèvrerie de la seconde moitié du xviie siècle et de la Régence, jusqu’à l’épanouissement de l’art « rocaille » vers 1750, et les plus significatives d’entre elles sont présentées sous forme de grands buffets dressés. Quant à l’aile nord de la cour Carrée, elle s’ouvre maintenant sur une première salle qui

Commode de la chambre bleue de Madame de Mailly au château de Choisy, détail (voir p. 40) 12




rassemble les élégantes peintures d’Oudry provenant du château de Voré. La spectaculaire coupole peinte d’Antoine-François Callet provenant d’un pavillon détruit du palais Bourbon est remontée pour la première fois et placée au centre du pavillon Marengo, où elle incarne un néoclassicisme à la française qui va de pair avec celui diversement exprimé dans les meubles et les objets d’art, tels ceux du prince de Condé, de la marquise de Pompadour ou de la comtesse du Barry. Les deux corps qui se déploient de part et d’autre du pavillon Marengo abritent chacun deux enfilades. La première, au sud, qui ouvre sur la cour Carrée, est réservée à une succession de period rooms. La seconde, au nord, sur la rue de Rivoli, abrite une série de vitrines thématiques. Dans l’ensemble des salles, c’est un parti chronologique qui a été privilégié, afin de replacer les œuvres dans un cadre historique en suivant l’enchaînement naturel des courants stylistiques : du classicisme à la Régence, de l’art « rocaille » au goût à l’antique et au néoclassicisme. Le parcours a également été construit autour de plusieurs ensembles de boiseries dont une partie seulement était présentée jusqu’alors. Un heureux hasard permet en effet au musée de disposer d’ensembles cohérents depuis les environs de 1700 jusque vers 1780. Aucun de ces décors n’étant bien sûr parvenu jusqu’à nous parfaitement complet, le parti retenu a consisté à retrouver la logique fonctionnelle et spatiale des œuvres, en créant des volumes adaptés, avec leurs circulations et leurs ouvertures, et en restituant partout un cadre décoratif cohérent, qu’il s’agisse des sols, des lambris bas, des ouvertures, des plafonds ou des corniches. Parallèlement, un certain nombre de vitrines regroupent meubles et objets dans la galerie nord-ouest, en complément des salles rocaille, ainsi qu’une galerie « Louis XV », dévolue à l’orfèvrerie royale et princière, aux boîtes, montres et tabatières des années 1720 à 1760. D’autres vitrines permettent d’offrir une vue rapprochée sur des œuvres particulièrement fragiles, de disposer sur les meubles de menus objets, d’ouvrir les petits meubles mécaniques pour révéler leur structure et expliquer leur usage. D’autres encore évoquent le commerce de luxe parisien et le rôle essentiel joué par les marchands merciers, les arts de la table, sous la forme de tables dressées reflétant la pratique du service à la française, ou les meubles et objets les plus précieux des collections de la reine Marie-Antoinette. Afin de replacer les œuvres dans leur contexte historique et de souligner les liens étroits qui unissent les collections d’origine souvent royale au mécénat de la Couronne et aux grandes commandes des souverains et des princes de la famille royale, le parcours accueille en outre plusieurs œuvres généreusement prêtées par les départements des Peintures, des Sculptures, des Arts graphiques, et des Antiquités grecques, étrusques et romaines. Sort paradoxal que celui des œuvres d’arts décoratifs : originellement conçues pour s’ordonner en un cadre cohérent et constituer un environnement susceptible d’accueillir, en lui donnant tout son lustre, la diversité des pratiques sociales, elles appellent aujourd’hui, plus que d’autres formes d’art, une restitution à la fois matérielle et intellectuelle de leur contexte passé qui révèle toute leur beauté et leur donne tout leur sens.

Commode de Madame du Barry, détail du panneau latéral (voir p. 54) 15


DU RÈGNE PERSONNEL DE LOUIS XIV À LA RÉGENCE (DE 1661 À 1723)

Les premières années du règne personnel de Louis XIV, particulièrement brillantes, voient les initiatives artistiques se concentrer autour de la Couronne. Elles y sont animées par le roi, son ministre Jean-Baptiste Colbert et le peintre Charles Le Brun, qui suscitent la création d’académies et de manufactures travaillant à célébrer et à mettre en œuvre la gloire du roi. La décoration des résidences royales, Versailles en tête, joue là un rôle essentiel. Au service de l’exaltation de la personne royale et de la monarchie, elle témoigne de l’excellence de la production française. Les polychromies éclatantes, les effets scénographiques, la surabondance des matériaux précieux contrebalancent le supposé classicisme du règne de Louis XIV. Cet art est fait pour impressionner plus que pour séduire. Il n’a de classique que sa référence fondamentale, la Rome antique, dont il cherche à égaler la splendeur. C’est à elle qu’il doit les bustes et statues qui peuplent galeries et salons, les récits mythologiques et le travestissement héroïque sous lesquels est transposée la geste royale. Dès les années 1680, des inflexions nouvelles touchent à la fois la conception générale du décor et le détail du vocabulaire ornemental, sous l’influence grandissante de l’architecte Jules Hardouin-Mansart. C’est à cette époque que se multiplient les harmonies en blanc et or, tandis que les bases stylistiques du décor sculpté et du vocabulaire architectural sont profondément renouvelées. Les lignes gagnent en souplesse et en légèreté. Le décor sculpté, plus tapissant, plus délicat, se répand sur les cadres des lambris, qui s’incurvent et s’échancrent. Le répertoire iconographique traditionnel, allégorique ou mythologique, tend à s’effacer au profit des nouveaux thèmes à la mode – singeries, chinoiseries, musiciens, comédiens italiens, animaux fantastiques… –, qui annoncent déjà l’art de la Régence. Avec la Régence (1715-1723) naît véritablement le XVIIIe siècle. La période est celle d’une rupture politique profonde, mais aussi artistique. La mort de Louis XIV marque l’arrêt des grands chantiers royaux, en particulier Versailles, que la Cour délaisse au profit de Paris, dans une recherche d’intimité et de raffinement nouvelle.

Lambris de l’hôtel Le Bas de Montargis Paris, 1705-1707, compléments modernes Artisans de la Société pour les bâtiments du roi (Jules Degoullons et associés) Bois sculpté, peint et doré, glace Versement des Domaines, 1898. OA 12300-12307

L’hôtel de Claude Le Bas de Montargis fut édifié par Jules Hardouin-Mansart sur l’actuelle place Vendôme, en 1707. Le Louvre conserve plusieurs fragments 16

de ses décors intérieurs : un trumeau de cheminée, la partie supérieure d’un encadrement de niches, un second trumeau de miroir, deux parcloses. Exécutés par les artisans qui travaillaient habituellement pour le roi, les décors constituent l’un des premiers exemples de la reprise sur des chantiers privés des formules novatrices mises au point au tournant du siècle à l’intention

de la Cour : le haut miroir placé en dessus-de-cheminée – dispositif connu sous le nom de « cheminée à la royale », qui devait remporter un immense succès –, les fonds à croisillons, les fines parcloses à rosaces ou les mascarons à coquilles d’où s’échappent des guirlandes de fleurs témoignent de l’émergence d’un répertoire ornemental nouveau, qui va donner le ton pour la décennie à venir.



Coffre d’or exécuté pour Louis XIV Paris, 1675 Jacob Blanck, orfèvre ; Jean Pitan, marchand Bois, satin de soie bleu, or et bronze doré H. 25,2 cm ; L. 47,5 cm ; P. 36,2 cm Ancienne collection royale. MS 159

Entièrement revêtu d’une dentelle d’or dessinant des rinceaux et des fleurs, cet objet unique émerveille par sa richesse, la complexité de sa composition et la virtuosité de son exécution. L’or a été fondu et ciselé, puis amati ou poli afin de rendre perceptibles la rugosité des feuilles d’acanthe ou la douceur des pétales de fleurs, tandis que d’infimes filigranes traduisent la légèreté et la sinuosité des rameaux et des vrilles. Posé sur un satin de soie bleu sombre, cet habillage somptueux signale une œuvre d’exception.

Le coffre fut commandé par Louis XIV au marchand Jean Pitan en 1675 « pour enfermer toutes les parures ». C’était là que Louis XIV entreposait ses propres pierreries, celles qu’il prêtait souvent aux princesses de la famille royale. Judicieusement placé au sein du parcours réservé aux visiteurs de marque, le coffre constituait une étape propice à l’émerveillement des hôtes, à la munificence royale et à la gratitude de l’obligé.

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Armoire à décor de marqueterie de fleurs Paris, vers 1680-1700 André-Charles Boulle Bois, écaille, laiton, étain et corne teintée, bronze doré H. 255,5 cm ; L. 157,7 cm ; P. 58,8 cm Versement du Mobilier national, 1872. OA 5516

Après la disparition du mobilier d’argent de Louis XIV, englouti dans les fontes destinées à fournir des fonds pour les guerres conduites par le roi, l’ébénisterie et la marqueterie de luxe connurent un développement rapide. André-Charles Boulle se rendit célèbre par la virtuosité de ses marqueteries. La beauté de cette armoire repose sur la juxtaposition de deux somptueuses marqueteries de bois polychromes montrant des vases fleuris sur de hauts piédestaux à volutes. La marqueterie de métal (découpe de couches superposées de matériaux de nature différente, ici l’écaille de tortue, le laiton et l’étain), beaucoup plus discrète, est limitée aux panneaux rectangulaires placés à la base et au sommet des vantaux. Cette prédominance de la marqueterie de fleurs est considérée comme un indice d’ancienneté dans la production de Boulle.

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Cabinet avec la figure de Louis XIV vêtu à la romaine Paris, vers 1690-1710 André-Charles Boulle Bois, écaille, laiton, étain, bronze doré H. 187 cm ; L. 99 cm ; P. 51 cm Versement du Mobilier national, 1870. OA 5468

Le Louvre abrite les deux seuls exemplaires connus de cabinets de Boulle ornés d’un bas-relief représentant Louis XIV vêtu à la romaine. On retrouve ici de nombreux motifs fréquents dans l’œuvre de Boulle : encadrement de la porte centrale avec ses pattes de chien et son trophée, têtes de béliers placées au sommet des pieds carrés des piétements, compositions de marqueterie agrémentant les fonds verticaux des piétements. Le rejet des tiroirs sur les côtés a pour effet d’accorder la primauté au motif central, d’où s’échappent, comme en arrière-plan, deux élégantes volutes de marqueterie qui se déploient sur les parties latérales. Les bronzes sont spectaculairement présents, qu’il s’agisse de l’entourage de la porte reposant sur des pattes de chien, qui forme un cadre complet, du riche tablier ajouré qui orne le tiroir ménagé en façade du piétement, ou surtout du grand bas-relief représentant Louis XIV.

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LES ANNÉES ROCAILLE (DE 1720 AUX ANNÉES 1760) Les plus belles années du règne de Louis XV (1715-1774), dès la fin de la Régence, sont des années de stabilité. Les réalisations significatives, qui émanent toujours principalement de la commande privée, perpétuent l’esprit de la Régence. Art de salon plus qu’art de cour, de sociabilité plus que de représentation, de fantaisie plus que d’érudition, la rocaille est un moment de triomphe des valeurs propres à la délectation sensible, au détriment de celles de l’appréciation intellectuelle. L’esthétique rocaille proclame également la reconnaissance du savoir-faire des exécutants face à la suprématie des concepteurs. Elle échappe aux tutelles académiques et institutionnelles parce qu’elle échappe en grande partie aux circuits de la commande officielle : cet aspect est frappant en ce qui concerne les objets manufacturés, dans lesquels l’invention formelle se déploie en une démonstration de virtuosité technique éblouissante. Art tout de plasticité, la rocaille est avant tout un art de modeleur et d’inventeur de lignes ; aussi est-ce dans la ductilité du bois sculpté, de la céramique et de l’orfèvrerie qu’elle donne le meilleur d’elle-même. Cette quête du luxe accompagne la progression de l’activité économique et l’extension des réseaux commerciaux. La recherche de commodité, le goût pour les espaces intérieurs et l’intimité se combinent avec l’ingéniosité reconnue des architectes français, qui conçoivent les détails de la distribution des pièces de façon à donner à la demeure française un caractère exemplaire. L’intérieur rocaille, lieu d’excellence et point d’aboutissement de l’esthétique du temps, se peuple d’objets précieux, colorés et fragiles, jouant avec les reflets des miroirs, la délicatesse des dorures, la splendeur des étoffes, la fantaisie des décors sculptés, dans lesquels l’inventivité des ornemanistes déploie toute sa verve. De la commodité au confort et du confort au luxe, c’est toute la passion du temps pour le bonheur de la jouissance matérielle qui s’exprime et connaît, en l’espace de quelques années, un envol spectaculaire.

Lambris du salon d’assemblée et du cabinet de l’appartement sur cour de l’hôtel Villemaré-Dangé Paris, vers 1750, compléments modernes Bois sculpté, peint et doré, glace, huiles sur panneau de bois, huiles sur toile H. sous corniche 465,3 et 470 cm Versement des Domaines, 1898. OA 12447 et OA 12449

Ayant acquis en 1750 l’hôtel voisin de l’hôtel Le Bas de Montargis, place Vendôme, construit à partir de 1709 pour le fermier général Jean-Bonaventure Lelay de Villemaré, 32

François-Balthazar Dangé, également fermier général, y entreprit d’importants travaux. Le Louvre en conserve plusieurs décors, présentés en conformité avec leur disposition au xviiie siècle, et caractéristiques de cette époque : portes en enfilade, axes marqués par trois miroirs dont l’un surmonte la cheminée, hautes parcloses qui s’élèvent depuis le lambris bas jusqu’à la corniche et scandent les parois. Le cabinet était la pièce la plus richement

décorée, avec ses lambris à fond bleu rehaussés d’un décor sculpté et doré d’ors de plusieurs couleurs, et agrémentés de scènes peintes de jeux d’enfants dans des cadres chantournés. De belle qualité, ces lambris ont pu être entièrement dégagés des repeints du xixe siècle. Ils constituent l’un des rares témoignages des décors de lambris à fonds colorés, qui eurent du succès au milieu du xviiie siècle avant que la mode ne passe aux décors à fond blanc.



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Décor d’arabesques du grand salon du château de Voré : Les Divertissements champêtres Vers 1720-1723 Jean-Baptiste Oudry Toile Panneaux : H. de 363 à 365 cm ; L. de 78 à 144 cm Trésor national acquis en 2002 par l’État pour le musée du Louvre grâce au mécénat de PGA Holding en application des dispositions fiscales de la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, et à un don de Nicole et Pierre Guénant. Paris, musée du Louvre, département des Peintures. RF 2002-19 à 27. Ici : 2002-26 (La Promenade), 2002-19 (La Musique), 2002-27 (Le Repos)

Il reste peu d’exemples en France de ces peintures d’arabesques qui furent à la mode dans la décoration intérieure du début du xviiie siècle. Les neuf toiles de Jean-Baptiste Oudry, qui forment une série complète, proviennent du château de Voré, dans le Perche, où elles ornaient un grand salon à l’italienne. L’effet d’ensemble devait être éblouissant. Peintes sur un fond blanc uni, bordées de rose et d’or, parsemées d’éléments naturels, les compositions se déploient

selon un principe décoratif mis au point par Claude III Audran au début du xviiie siècle. La partie haute, plus stylisée, laisse progressivement la place à un jardin boisé qui finit par occuper tout le bas de la toile ; des figures issues de la commedia dell’arte sont disposées dans les bosquets, sous l’égide d’une figure à l’antique esquissée au centre d’un médaillon. On est là en présence de scènes de genre façon Antoine Watteau dont le charme est indéniable.

Tabatière au portrait de Louis XV Paris, 1726-1727 Daniel Govers, orfèvre ; Jean-Baptiste du Canel, peintre Or ciselé, diamants, émeraudes H. 2,8 cm ; L. 8,2 cm ; P. 6,2 cm Don de M. J. Paul Getty, 1962. OA 10196

À Daniel Govers furent commandés une bonne partie des bijoux et des tabatières constituant la corbeille de mariage de Louis XV et Marie Leczinska. L’orfèvre fut aussi l’un des principaux pourvoyeurs

de ce que l’on appelait alors les « présents du roi » (présents diplomatiques ou simples dons accordés pour services rendus), avant de devenir bijoutier du roi en 1727. Il subsiste une trentaine de tabatières signées de son poinçon, de garnitures de pierreries ou d’épées illustrant les différentes facettes de la munificence de cour en pleine époque rocaille. L’iconographie de cette tabatière est royale : elle présente un soleil enrichi de cinquante-six diamants taillés en roses et de vingt-six émeraudes. La bâte est ciselée d’une frise de pampres, fleurs et rubans réservés sur un fond sablé, avec au-devant une coquille sertie d’un gros diamant. Lorsqu’il est ouvert, le couvercle révèle un beau portrait en miniature du jeune Louis XV cuirassé, peut-être peint par Jean-Baptiste du Canel, qui travaillait alors pour Govers. De façon inhabituelle, la miniature se trouve à l’intérieur de la boîte, et ce sont les pierres précieuses du couvercle qui sont privilégiées.

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Commode de la chambre bleue de Madame de Mailly au château de Choisy Paris, 1742 Mathieu Criaerd Bois, laque occidentale dite « vernis Martin », bronze argenté, dessus de marbre bleu turquin H. 85 cm ; L. 132 cm ; P. 63,5 cm Dation en paiement de droits de mutation, 1990. OA 11292

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Cette commode fut livrée en 1742 pour la chambre bleue du château de Choisy que Louis XV avait fait aménager pour sa maîtresse, Madame de Mailly ; mais cette dernière fut disgraciée dès la fin de l’année et ne put donc jouir de ce précieux ensemble. Conçu comme une commode à cartel sans traverse, ce meuble se remarque surtout par son prodigieux décor en camaïeu bleu sur fond blanc peint à l’huile, verni et poli, parfaite illustration de la virtuosité technique que les peintres-vernisseurs parisiens avaient atteinte dans l’imitation

des vernis extrême-orientaux. Rappelant en réalité plutôt les tissus dits « indiennes » qu’un décor chinois, les panneaux à grands motifs végétaux animés de paons et d’oiseaux en vol évoquent l’ambiance exotique d’un Extrême-Orient de fantaisie, mis au goût du jour par les peintres Christophe Huet ou François Boucher. C’est au marchand Hébert que l’on doit attribuer la conception générale de la commode, et surtout celle de son extraordinaire garniture de bronzes argentés, en parfait accord avec les couleurs du meuble.


LE RETOUR AU CLASSICISME (DES ANNÉES 1760 À 1792) Après la guerre de Sept Ans (1756-1763), une vague antiquisante nouvelle déferle sur l’Europe, où elle donne naissance au courant néoclassique. Elle est marquée par la quête des normes originelles de la beauté à travers l’étude des monuments du passé, et par le retour aux formes canoniques les plus pures, hiérarchies qui définissent le néoclassicisme. Une période d’intense activité favorise l’affermissement des nouvelles recherches stylistiques et l’apparition d’une génération d’artistes novateurs, en particulier dans les domaines de l’architecture et surtout du décor, avec l’émergence puis le triomphe d’un goût « à la grecque ». La production des objets, soumise aux exigences d’une clientèle souvent avide d’innovations mais qui se heurte aux pratiques conservatrices des ateliers, met rapidement au point des formules de compromis, entre tradition et rigueur classique. Jusqu’à la fin du règne de Louis XV, les commandes royales et particulières perpétuent les références formelles de l’art rocaille : pieds cambrés et formes galbées continuent de régner dans toute une gamme de productions dont le détail ornemental est, en revanche, largement converti au vocabulaire à l’antique. À la mort de Louis XV, en 1774, le néoclassicisme international s’est néanmoins durablement installé, indépendamment de nuances tantôt champêtres, tantôt martiales, agrémentées, à l’occasion, de variantes à l’étrusque ou à l’égyptienne. Les années 1780 montrent une reprise d’activité dans les résidences royales, en particulier avec les commandes personnelles de la reine Marie-Antoinette qui, dans le domaine des arts décoratifs, suscite d’éblouissantes créations. Jusqu’à la fin de la monarchie, en 1792, l’administration royale pourvoit à l’ameublement luxueux des châteaux de Compiègne, de Versailles, de Fontainebleau, de Saint-Cloud ou encore des Tuileries. Mesdames, tantes du roi, à Bellevue, les frères du roi, les princes, l’aristocratie et la bourgeoisie éclairée contribuent à cette effervescence artistique jusqu’à la veille de la Révolution.

Panneaux de porte du second cabinet turc du comte d’Artois à Versailles Versailles, 1781 Attribués à Jean-Siméon Rousseau et Jules-Hughes Rousseau, peintres et sculpteurs Chêne peint à l’huile H. 81 cm (panneaux supérieurs) et 70 cm (panneaux inférieurs) ; L. 60 cm Dépôt du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, 2011. SSN 350-355, V 3071, V 3072 et V 3073

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À Versailles, le comte d’Artois (frère de Louis XVI et futur Charles X), dont le goût était proche de celui de l’aristocratie parisienne à la mode, fit aménager deux cabinets turcs aujourd’hui disparus. C’est pour les portes de ce second cabinet que l’on exécuta ces panneaux. Ceux des parties supérieures sont les plus riches : leur centre figure un décor peint de scènes à sujet turc (odalisques, sultans, chameaux…) en grisaille sur fond bleu entouré d’un décor de style arabesque,

tandis que les panneaux inférieurs, plus simples, sont ornés d’arabesques et de figures hybrides sur des fonds unis. Ces portes témoignent d’une inventivité et d’une fantaisie peu communes au sein des Bâtiments du roi et laissent penser qu’un architecte ornemaniste est intervenu. Deux des panneaux de porte de cet ensemble, conservés au Metropolitan Museum of Art à New York, ont été très généreusement prêtés à long terme par cette institution.


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Commode de l’appartement de Madame du Barry au château de Versailles, puis au château de Louveciennes Paris, 1772 Martin Carlin Bâti de chêne, placage de poirier, de bois de rose et d’amarante, dessus de marbre blanc, garniture de bronze doré Plaques de porcelaine : porcelaine tendre, manufacture royale de porcelaine de Sèvres, 1765, Charles-Nicolas Dodin, peintre H. 82,5 cm ; L. 119 cm ; P. 48 cm Dation en paiement de droits de mutation, 1990. OA 11293

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Cette commode, d’un luxe extraordinaire, fut livrée en 1772 à Madame du Barry par le marchand mercier Simon-Philippe Poirier. Sa structure, avec le vantail central en ressaut qui dépasse dans la partie inférieure, est caractéristique des créations de Carlin ; elle est plaquée de poirier et présente un opulent décor de bronze doré qui met en valeur les cinq plaques de porcelaine auxquelles elle doit sa célébrité. Sur la façade, les trois plaques à sujet galant sont peintes d’après des tableaux relativement anciens à cette date de Pater

et de Lancret. Celles des côtés, à sujets allégoriques, d’inspiration plus récente, le sont d’après deux dessus-de-porte exécutés en 1752 par Carle van Loo pour le château de Bellevue. Elles portent la marque « k » du peintre CharlesNicolas Dodin. Elles ont été agrandies en haut et en bas par deux petites plaques de porcelaine dont les raccords sont dissimulés par des reliefs en bronze doré : elles n’étaient donc pas, à l’origine, destinées à orner un meuble en particulier.


Décors, mobilier et objets d’art du musée du Louvre De Louis XIV à Marie-Antoinette Sous la direction de Jannic Durand, Michèle Bimbenet-Privat, Frédéric Dassas Avec la collaboration de Catherine Voiriot 552 pages, 500 illustrations Prix TTC France 45 euros Disponible en français et en anglais Une coédition musée du Louvre / Somogy éditions d’art

Portfolio, illustrations P. 1. Salle 52. Coupole du salon de compagnie des « Petits Appartements » du palais Bourbon : La Toilette deVénus, peinte par Antoine-François Callet et Pierre-Hyacinthe Deleuze (détail, voir p. 55) P. 2-3. Salle 38. Décor de l’hôtel Le Bas de Montargis (voir p. 17) P. 4. Salle 40. Lambris du cabinet de l’appartement sur cour de l’hôtel Villemaré-Dangé (détail, voir p. 33) P. 5. Salle 55. Décor de lambris de la grande chambre de l’hôtel de Chevreuse, ancien hôtel de Luynes P. 6. Salle 39. Décor d’arabesques du grand salon du château de Voré, peint par Jean-Baptiste Oudry : Les Divertissements champêtres (voir p. 34-35) P. 7. Salle 39. Décor d’arabesques du grand salon du château de Voré, peint par Jean-Baptiste Oudry : La Chasse (détail) P. 8. Salle 47. Décor du grand salon du château d’Abondant Crédits photographiques © Musée du Louvre / Anne Chauvet : p. 1 (portfolio), 55 (et 3e de couv.). © Musée du Louvre, dist. RMN-GP / Martine Beck-Coppola : p. 44 (et 3e de couv.), 57. Harry Bréjat : p. 52. Raphaël Chipault : p. 20. Thierry Ollivier : p. 13, 19, 23, 27, 28, 30, 31 (et 3e de couv.), 37, 40 (et 3e de couv.), 43, 46 (et 3e de couv.), 49, 51, 61. Olivier Ouadah : p. 2-6, 8 (portfolio), 17 (et 3e de couv.), 33 (et 3e de couv.). Studio Sébert : p. 26, 39. © RMN-GP (musée du Louvre) / Daniel Arnaudet : p. 14, 18, 24, 29, 45, 53 (et 3e de couv.), 54 (et 3e de couv.), 56 (et 3e de couv.), 62 (et 3e de couv.). Martine Beck-Coppola : p. 36, 38, 50, 58 (et 3e de couv.), 59, 60. Jean-Gilles Berizzi : p. 25 (et 3e de couv.), 35, 41, 63. Pierre et Maurice Chuzeville : p. 22. Stéphane Maréchalle : p. 10, 21 (et 3e de couv.), 47. René-Gabriel Ojéda : p. 7 (portfolio), 34, 42. © Musée du Louvre (DMPC) et Nelly Riedel : plan (et 3e de couv.).

La photogravure a été réalisée par Quat’Coul Cet ouvrage a été achevé d’imprimer sur les presses de ReBus en mai 2014.


Les salles consacrées au mobilier des

et XVIIIe siècles au musée du Louvre sont organisées selon un parcours chronologique rythmé par de spectaculaires period rooms, où de somptueux décors de boiseries provenant d’hôtels particuliers et de palais princiers parisiens du XVIIIe siècle ont été remontés. Reconstitution d’une époque révolue, évocation d’une ambiance disparue, elles mettent en scène quelque deux mille œuvres du département des Objets d’art, formant l’une des plus belles collections au monde de meubles et d’objets d’art allant du règne de Louis XIV à celui de Louis XVI. Les arts de la table, les somptueux meubles d’André-Charles Boulle et ceux de Charles Cressent sous la Régence, les plus belles porcelaines et tapisseries issues des manufactures royales, offrent un large panorama des décors intérieurs, de l’artisanat du luxe et du commerce d’art qui incarnent un « moment de perfection de l’art français » jusqu’à la veille de la Révolution.

978-2-7572-0705-5 9,5 €

XVIIe


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