MODES ! À LA VILLE, À LA SCÈNE (extrait)

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À LA VILLE À LA SCÈNE

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© Somogy éditions d’art, Paris, 2017 © Centre national du costume de scène, Moulins, 2017 Visuel de couverture : © Tailleur Chanel pour l’opéra Vol de nuit (L. Dallapiccola, Opéra-Comique 1960 et robe Bianchini pour l’opéra Roméo et Juliette (C. Gounod), Opéra Garnier 1888. Photo © CNCS/Florent Giffard – conception Atalante-Paris Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coordination et suivi éditorial : Sarah Houssin-Dreyfuss Conception graphique : Marie Gastaut Contribution éditoriale : Françoise Cordaro Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros Coéditions et développement : Véronique Balmelle ISBN 978-2-7572-1189-2 Dépôt légal : avril 2017 Imprimé en République tchèque (Union européenne)

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À LA VILLE À LA SCÈNE

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Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition « Modes ! À la ville, à la scène » présentée au Centre national du costume de scène et de la scénographie à Moulins du 8 avril au 17 septembre 2017

Exposition Commissariat Catherine Join-Diéterle, conservatrice générale Sylvie Richoux, responsable du département des Collections, CNCS Scénographie et graphisme Simon de Tovar et Alain Batifoulier Les costumes et accessoires présentés ont été préparés et mannequinés par le département des Collections du CNCS : Sylvie Richoux, Fabienne Sabarros-Helly, Pierre-Jean Colacicco, Sophie de Saint-Martin, Marie-Charlotte Figère, Katia Mallay, avec la participation du stagiaire Pierre Choisnet. Recherche iconographique : Petra Vlad La réalisation technique a été préparée par Stéphane Berthelot, Jordan Philippe, Vincent Viotty, avec l’aide des Services techniques de la Ville de Moulins Graphisme du visuel et des documents de communication Atalante, Paris Service de presse Pierre Laporte Communication, Paris Photographies des costumes Florent Giffard

Remerciements Le Centre national du costume de scène et les commissaires remercient les prêteurs et institutions qui ont rendu cette exposition possible grâce à leurs prêts et à leur aide : Archives Balenciaga, Paris Gaspard de Massé Bibliothèque nationale de France Laurence Engel, présidente Mathias Auclair, directeur du département Musique et de la Bibliothèque-musée de l’Opéra, Benoît Calmail, adjoint au directeur Joël Huthwohl, directeur du département des Arts du spectacle Véronique Meunier, adjointe au directeur Laurence Rey, chargée de conservation Patricia Morel, régisseur d’œuvres Franck Bougamont, département de la Reproduction Comédie-Française Éric Ruf, administrateur général Agathe Sanjuan, conservatrice archiviste ainsi que Mélanie Pétetin, Florence Thomas, Bénédicte Rouvière Les Arts décoratifs, Paris Olivier Gabet, directeur Marie-Sophie Carron de la Carrière, conservatrice en chef Pamela Golbin, conservatrice générale Denis Bruna, conservateur ainsi que Jérôme Recours, Éric Pujalet Plaa, Joséphine Pellas, Emmanuelle Beuvin Maison Lanvin, Paris Laure Harivel, chargée du patrimoine Musée des Arts décoratifs, Bordeaux Constance Rubini, directrice Valérie de Raignac, régisseur des œuvres Antoine Macé de Lépinay, attaché de conservation

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Musée de Château-Chinon François Martin, conservateur Laurent Marceau, assistant de conservation Musée du Petit Palais, Paris Christophe Leribault, directeur Gaëlle Rio, conservatrice du Patrimoine Musée des Tissus – Musée des Arts décoratifs, Lyon Maximilien Durand, directeur Isabel Bretones, responsable du service de l’inventaire et régie des œuvres Pascale Steimetz-Le Cacheux, responsable du centre de documentation et de la photothèque Opéra national de Paris Stéphane Lissner, directeur Christine Neumeister, directrice des costumes Christine Vargas, chef du Service patrimoine des costumes Palais Galliera – Musée de la Mode de la Ville de Paris Olivier Saillard, directeur Sophie Grossiord, conservatrice générale Véronique Belloir, conservatrice Alexandra Bosc, conservatrice du Patrimoine Pascale Gorguet-Ballesteros, conservatrice en chef Laurent Cotta, chargé du Cabinet des estampes Sylvie Lecallier, chargée du fonds photographique ainsi que Dominique Revellino, chargée d’études documentaires, responsable de la bibliothèque, Sylvie Roy, chargée du fonds documentaire et du fonds d’archives privées Théâtre de l’Odéon Stéphane Braunschweig, directeur Agnès Ravaud, directrice adjointe de la production

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Françoise Blanchet Prince de Chimay Isabelle Huppert Gilles Labrosse Marquise de Luppé Nous adressons nos plus vifs remerciements à Mickaël Bouffard, Marie-Anne Dupuy-Vachey, Noëlle Guibert, Martine Kahane, Jacqueline Laufer, Hubert Nicanor, Fabien Noble, MarieCatherine Sahut, Françoise Tétart-Vittu Auteurs du catalogue Mathias Auclair, directeur du département Musique et de la Bibliothèque-musée de l’Opéra, Bibliothèque nationale de France Alexandra Bosc, conservatrice du Patrimoine, Palais Galliera – Musée de la Mode de la Ville de Paris Mickaël Bouffard, chercheur invité à la Bibliothèque nationale de France Pascale Gorguet-Ballesteros, conservatrice en chef, Palais Galliera – Musée de la Mode de la Ville de Paris Joël Huthwohl, directeur du département des Arts du spectacle, Bibliothèque nationale de France Catherine Join-Diéterle, conservatrice générale Sylvie Richoux, responsable du département des Collections du CNCS Hadrien Volle, doctorant contractuel en histoire de l’art à l’université Paris 1 PanthéonSorbonne

Le Centre national du costume de scène et de la scénographie Le CNCS est un établissement public de coopération culturelle réunissant l’État, la Ville de Moulins, le Conseil départemental de l’Allier, la Bibliothèque nationale de France, la Comédie-Française et l’Opéra national de Paris. Président d’honneur Christian Lacroix Président du conseil d’administration Thierry Le Roy, conseiller d’État

Géraldine Schoenher, Lionel Olivier (professeurs correspondants culturels détachés du ministère de l’Éducation nationale), l’équipe des intervenants des ateliers Laura Boutonnet, marketing et action commerciale Amandine Lombard, Julie Gonnard, Céline Guichon, Emmanuelle Marotin, Selvyra Kham, Félix Lacroix, accueil, librairie-boutique et surveillance Stéphanie Laporte, Pascale Vassy, Marie-Lise Johnson, guides-conférenciers Geneviève Gardette, réservations

Delphine Pinasa, directrice Vincent Foray, administrateur Administration Laura Cauchy-Puravet, Brigitte Lacalmontie, Sabrina Harrault Marie Dubreuil, agent comptable Communication Loriane Pobelle Technique et sécurité Stéphane Berthelot, Vincent Viotty, Jordan Philippe Département des Collections Sylvie Richoux, responsable Fabienne Sabarros-Helly, régie des œuvres Pierre-Jean Colacicco, Alice Derrien, MarieCharlotte Figère, Aurore Prézeau, Katia Mallay, Sophie de Saint-Martin Petra Vlad, centre de documentation Département des Publics Jean-Sébastien Judais, responsable Stéphanie Laporte, coordination Sandra Julien, action pédagogique public scolaire Carole Combaret, médiation

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Sommaire Propos de Christian Lacroix

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Delphine Pinasa

Prologue

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Catherine Join-Diéterle

THÉÂTRE ET MODES : JEUX DE MIROIR xviiie siècle Les dessinateurs de théâtre et la mode au xviiie siècle

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Catherine Join-Diéterle

« Andrienne et paniers » ou l’argument de la scène dans la circulation des modes féminines au début du xviiie siècle

25

Pascale Gorguet-Ballesteros et Hadrien Volle

De la robe à la française à la robe à l’antique

29

Catherine Join-Diéterle

Rêveries exotiques

37

Catherine Join-Diéterle

Les nouveautés théâtrales, un argument commercial

46

Catherine Join-Diéterle

LA PASSION DE L’HISTORICISME xixe siècle Théâtre et mode à l’époque romantique, une affaire de manches

51

Catherine Join-Diéterle

Sous le signe de l’authenticité

59

Mathias Auclair et Catherine Join-Diéterle

L’éternel retour des modes du xviiie siècle

65

Alexandra Bosc

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THÉÂTRE ET MODES : JEUX DE POUVOIR De la Belle Époque aux années 1940 Sarah Bernhardt, créatrice de mode ?

71

Catherine Join-Diéterle

Chic for ever !

85

Joël Huthwohl

Actrices, couturiers et presse de mode et de théâtre

91

Catherine Join-Diéterle

Quand les couturiers se font costumiers 1875-1940

99

Catherine Join-Diéterle

HAUTE COUTURE, THÉÂTRE ET MODE xxe-xxie siècles Opéras, Ballets russes et la mode

107

Catherine Join-Diéterle

L’appel de la mode : les costumiers et la couture

118

Catherine Join-Diéterle

Bal, scène et ville : aller-retour

121

Catherine Join-Diéterle

Mode en scène dans les collections du CNCS

129

Sylvie Richoux

Les costumes de Françoise Tournafond pour le Théâtre du Campagnol

142

Sylvie Richoux

Bibliographie

145

Œuvres exposées

149

Les numéros d’images renvoient à la liste des œuvres exposées (p. 149). Dans les notes, les références aux catalogues d’exposition sont classées par ville.

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Propos de Christian Lacroix

S

ur la thématique des relations croisées entre l’histoire de la mode et celle du théâtre, quel meilleur interlocuteur que Christian Lacroix, Président d’honneur du Centre national du costume de scène, pour introduire cette exposition ? Celui qui incarne depuis le début de sa carrière le rôle de couturier de haute couture et de costumier de scène, partage ici ses propos, extraits de longues conversations menées sur ces sujets avec le CNCS.

Christian Lacroix, votre parcours de couturier costumier vous place au cœur de ces questions d’influences entre le vêtement de ville et celui de la scène. Comment s’articule aujourd’hui votre création pour le théâtre ? Je me sens définitivement plus costumier que couturier. Cela peut paraître paradoxal après plus de vingt ans à la tête d’une maison de couture ! Mon rêve d’enfant était de créer des costumes de théâtre. Je le réalise maintenant depuis plus de trente ans. Couturier de haute couture et costumier de théâtre sont deux métiers différents, presque opposés. Dessiner pour la couture signifie créer un vêtement fait pour être vu de près, isolé. Le costume de théâtre, lui, doit parler de loin et participer à l’harmonie d’un spectacle. Mon métier est avant tout d’être dessinateur ; je ne suis pas un technicien de la couture. Pour moi, le vrai couturier est celui qui fait tout, du dessin jusqu’à la robe. Balenciaga était cela. Au théâtre, c’est rarement le costumier qui réalise ses propres costumes. Il dessine, les ateliers fabriquent et sont davantage dans une démarche d’interprétation et de recherche, devant souvent répondre à des demandes improbables liées à la mise en scène, comme donner l’illusion que le costume est agité par le vent ou que le personnage qui le porte sort de l’eau, sans parler de tous les costumes à transformation 1. Aujourd’hui, dans la continuité de mon travail pour la scène, je suis également décorateur. J’avais toujours imaginé dessiner non seulement les costumes mais aussi les décors, ce qui arrive maintenant. Je conçois en effet cette année les décors de L’Hôtel du libre-échange de Feydeau à la Comédie-Française et du Songe d’une nuit d’été de Balanchine à l’Opéra Bastille. Comme pour les costumes, je fais plusieurs propositions à partir de dizaines ou centaines d’images, photos, esquisses et documents rassemblés d’après les premières notes d’intention ou de longues conversations à propos de la dramaturgie, que ce soit au metteur en scène, Isabelle Nanty, pour la pièce, ou au Trust Balanchine pour le ballet.

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Maquette de Christian Lacroix pour le rôle de Dorimène dans Le Bourgeois Gentilhomme (Comédie-ballet de Molière,1670), mise en scène Denis Podalydès, scénographie Éric Ruf, théâtre des Bouffes du Nord 2012

1. Entretien avec Christian Lacroix, réalisé par Delphine Pinasa, « Christian Lacroix et les arts de la scène », INHA CNCS 2012.

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Prologue

Q

uelles relations entretiennent les costumes de scène et les costumes de ville du XVIIIe siècle à nos jours ? À cette question, cette exposition tente d’apporter des réponses. Rappelons que ces deux types de tenues ne servent pas les mêmes buts. Au théâtre, l’approche du costume est triple 1. Il souligne les caractéristiques du personnage et en désigne le rôle, il s’insère dans l’atmosphère de l’ouvrage, tout en étant un code chargé de signification 2. À la ville, il habille avec ou sans ostentation son propriétaire, signifiant plus ou moins son appartenance sociale. Est-ce à dire qu’on ne peut rapprocher les modes de scène de celles de ville ? Au-delà de la commune mise en valeur de celui qui les porte, il apparaît pourtant qu’une étude comparative témoigne de complexes jeux d’influence, phénomène souvent évoqué, par exemple dans les monographies d’actrices 3 et de couturiers devenus temporairement costumiers 4. Cette exposition, qui ne cherche pas à comparer pas à pas l’histoire de ces deux modes d’expression pendant trois siècles, met en valeur les moments où leur articulation fait sens et où naissent de nouveaux processus. Pour éviter des répétitions, ont été laissées volontairement de côté certaines comparaisons 5, qu’on ne s’en étonne pas ! Dans une exposition reposant sur le dévoilement d’objets, le visiteur s’attend à découvrir des costumes anciens mais une énorme difficulté surgit : si les costumes de ville sont peu nombreux, que dire alors de ceux de scène, ils sont rarissimes ! Restent des témoignages, dessins, gravures, peintures, « traduction » du vêtement, base de nos comparaisons. Situation paradoxale mais que des images devraient aider le visiteur à surmonter. Si, à chaque siècle, les échanges entre modes de ville et de scène sont légion, leur articulation diffère, justifiant une approche chronologique. Pourtant, il est des domaines et des habitudes qui transcendent le temps, ainsi l’écho de l’actualité théâtrale dans le commerce de la mode, le rôle des grands couturiers ou encore l’emploi des actrices comme mannequins. Le danger de cette recherche au sujet inédit serait de voir dans le théâtre l’origine de tous les changements de mode. Pourtant, comment ne pas être frappé par les emprunts faits par la mode aux costumes de scène alors que l’inverse l’est dans une bien moindre mesure. Depuis les années 1930, le théâtre trouve dans le cinéma un sérieux concurrent. Nous ne sous-estimons pas les limites de ce travail dont les conclusions pourront être remises en cause par des recherches complémentaires.

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Ci-contre 16. La Petite Loge ou La Présentation d’une actrice à un personnage fortuné, gravure d’après Moreau le Jeune, 1783. Cabinet des Est. BnF Rés. EF-59 (A, 7)

1. Guibert, Razgonnikoff 1985, p. 59. 2. Chaque époque a sa vision du costume de scène. Cela mériterait une étude détaillée qui n’est pas abordée dans cet ouvrage. 3. Pour Sarah Bernhardt, voir Paris 2000. 4. Par exemple, Christian Lacroix costumier, 2007 ; Jean Paul Gaultier – Chopinot : le défilé, 2007 ; Lanvin, 2014. 5. Telle l’évolution des manches dans les années 1890-1900.

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THÉÂTRE ET MODES : JEUX DE MIROIR xviiie siècle

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Les dessinateurs de costumes de théâtre et la mode au xviiie siècle

Q

u’elles fussent anciennes ou modernes, les modes ont servi de matériaux expressifs aux « compositeurs d’habits » de théâtre du XVIIIe siècle. Hautement connotées, ces références à la culture vestimentaire avaient le pouvoir d’orienter le regard du public sur les personnages d’un ballet, d’un opéra ou d’une pièce de théâtre. Pour la création de Proserpine de Lully en 1680, Jean Berain chercha à rendre son Pluton plus aimable que celui des peintres en lui faisant quitter sa canonique barbe grise, en ornant sa tête d’une élégante perruque frisée et son cou, d’un nœud de cravate dernier cri 1. Au siècle suivant, cette tendance ne fit que s’affirmer, la vraisemblance théâtrale ne pouvant admettre la noblesse d’un dieu ou d’un héros sans les attributs qui la définissaient dans la vie civile. Pour un spectateur de cette époque, Mademoiselle Dumesnil dans le rôle de Phèdre n’aurait pas figuré une reine crédible sans sa robe à paniers, ses gants blancs et sa perruque grise au goût du jour (cat. 18b). Il faut dire que vers 1725, Adrienne Lecouvreur avait marqué un point de non-retour en introduisant les robes de cour dans la tragédie 2. Le divorce entre les conventions scéniques et picturales s’accentua jusqu’aux premières tentatives de la réforme du costume 3. Autant la nudité héroïque de la peinture aurait été inimaginable sur scène, autant les modes anachroniques de l’habit de théâtre auraient paru absurdes dans un tableau d’histoire. Comme le soulignait Roger de Piles, « si un peintre s’imaginait qu’Alexandre fût vêtu comme nous le sommes aujourd’hui, et qu’il représentât ce conquérant avec un chapeau et une perruque comme font les comédiens, il ferait sans doute une chose très ridicule… » 4. Que le personnage vienne de l’Antiquité ou du Moyen Âge, de la Turquie ou de la Chine, des concessions à la mode contemporaine n’en demeuraient pas moins nécessaires. En plus de quelques détails dans l’ajustement ici et là, c’étaient surtout la coiffure et la silhouette qui causaient l’anachronisme et l’incohérence du costume, comme si l’absence de l’un de ces deux éléments eût rendu l’héroïne (et l’actrice qui l’incarnait) moins séduisante, voire ridicule. Ce n’est pas chose innocente si Louise Gaillard, en republiant les modèles inventés par Jean-Baptiste Martin dans les années 1750, décida d’en rafraîchir les coiffures (cat. 14 et fig. 2, p. 23). Ainsi, les perruques des princesses et déesses antiques évoluèrent au gré des modes, tout comme les paniers, allant du conique jupon à cerceaux aux plus latéraux paniers à coudes. Il en alla de même pour les rôles masculins nécessitant « l’habit à la romaine » (cat. 18). Le tonnelet 5 n’étant autre chose qu’une jupe, il subira à peu près toutes les variations

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18. Fesch et Whirsker, scènes représentant des interprètes dans leur rôle, Théâtre-Français, Coll. CF : c) Lekain en Pompée et Ponteuil ou Dauberval en Perpenna dans Sertorius (Corneille). FW2-34 Ci-contre b) Mlle Dumesnil en Phèdre (Racine), robe de cour revisitée sur un jupon en indienne. FW2-9

1. La Gorce 1997, p. 116-117. 2. Mercure de France, mars 1730, p. 579 ; Maupoint, 1733, p. 302. 3. Voir dans ce catalogue : « De la robe à la française à la robe à l’antique », p. 29. 4. Piles 1993, p. 43. 5. Partie basse de l’habit à la romaine sur laquelle reposent les lambrequins de la cuirasse.

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22  MODES ! À LA VILLE, À LA SCÈNE

53. Mlle Clairon en Idame (L’Orphelin de la Chine, Voltaire, 1755), 1775, gravée par Dupin, Galerie des Modes, t. 3, pl. 106. BMO BnF Fig. 1. L.-R. Boquet, Habit de vieille ridicule, deuxième moitié du XVIIIe siècle, dessin, Paris, BnF, Cab. Est. Photo., TB-20 (B, 4)-PET FOL, R112073

6. La Gorce 1997, p. 23. 7. Noverre, Boquet vers 1791, t. II, p. 2, manuscrit conservé à la Bibliothèque royale de Stockholm (manuscrit S254.2, 143). Sur ce manuscrit, voir Karin Modigh et Irène Ginger, « Une dernière tentative d’emploi de Noverre : le dossier de candidature au roi de Suède en 1791 », in Musicorum, no 10, 2011, p. 212-228. 8. Inventaire après-décès de Jean Berain, 5 mars 1711, Paris, Archives nationales, Minutier central, LIII, liasse 144, cité dans Weigert 1937, t. II, p. 324.

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volumiques de la toilette féminine, particulièrement chez les chanteurs et danseurs de l’Opéra. Vers 1720, il commença à s’enfler en forme de cloche avec Jean II Bérain ou de bulbe avec Claude Gillot. Au milieu du siècle, il s’élargit dramatiquement sur les côtés avec François Boucher et Jean-Baptiste Martin. Un peu plus tard, Louis-René Boquet allait ramener le tonnelet à des proportions plus raisonnables (cat. 22, p. 149) jusqu’à le rendre complètement plat à la fin de l’Ancien Régime, sous l’influence de Jean-Georges Noverre 6 qui voulait chasser l’invraisemblance de l’habit de théâtre, « arracher les masques aux danseurs, leur enlever leurs énormes perruques de crin noires et blondes, les délivrer d’un panache uniforme composé de vingt-cinq plumes, les débarrasser des hanches ou paniers de baleine, déganter les démons ou les faunes… » 7. Les dessinateurs de costumes avaient aussi compris le potentiel poétique et parfois comique que représentait l’habit démodé. L’inventaire après-décès de Berain en 1711 mentionne un « porte-feuille en veau contenant des vieilles modes et autres estampes » 8 que l’artiste avait regroupées pour s’en inspirer au besoin. Ce type de recueil comprenait souvent des images produites au XVIe siècle qui servaient autant à habiller le Moyen Âge le plus lointain que l’Espagne contemporaine, nation réputée austère dans ses mœurs comme dans sa mode. L’auteur du Mercure galant de février 1705 s’étonnait que l’ajustement de la duchesse d’Albe, vêtue d’une authentique robe de cour madrilène, fût si « différent de ceux qui ont

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« Andrienne et paniers » ou l’argument de la scène dans la circulation des modes féminines au début du xviiie siècle

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out au long des XVIIe et XVIIIe siècles, la salle de spectacle est un lieu de rencontre : les gens aisés décident d’« y courir avant d’avoir lu l’affiche » 1. À l’Hôtel de Bourgogne – résidence des Comédiens-Italiens sous la Régence – comme à la ComédieFrançaise, le spectacle qui se déroule dans la salle prend le pas sur la scène. Si une abondante littérature fait référence aux troubles causés par les spectateurs du parterre dès le XVIIe siècle 2, l’agencement des salles contribue à rendre ces espaces propices à l’observation des toilettes des spectatrices comme des actrices. En effet, ces lieux de loisirs urbains restent éclairés durant toute la représentation. La plupart des loges – où sont installées les femmes puisqu’elles n’ont presque pas le droit de prendre place ailleurs 3 – sont placées sur les parois latérales 4 de la salle. Leurs occupants doivent ainsi faire des efforts pour regarder la scène. Néanmoins, la jouissance du spectacle est une activité annexe 5 car il est plaisant pour les spectatrices que leur rayon visuel se porte naturellement sur les femmes installées en face d’elles, puisque ces dernières sont, par convention, conduites à occuper le devant des loges. Ainsi, l’espace de la salle de spectacle est particulièrement favorable à la diffusion d’une culture visuelle vestimentaire. Cela peut être amplifié par le regard que portent les dames de la haute société sur les actrices dès le XVIIe siècle. À Paris, les femmes apparaissent sur scène seulement au Grand Siècle 6 : autour de 1630, elles sont parfois l’objet de tant de fascination que des voix s’élèvent pour le dénoncer 7. Cependant, au début du XVIIIe siècle, les gens de théâtre – au moins des scènes officielles – sont considérés comme des personnes fréquentables et donc, peut-être, comme pouvant inspirer des choix vestimentaires. Un document concernant l’Opéra et daté de 1730 indique que ce crédit accru, autorisant nobles et comédiens à se mêler sans se compromettre, existe dès la fin du XVIIe siècle 8. Allant de pair avec la mode du travestissement 9, il semblerait qu’une grande actrice puisse créer un costume qu’une noble voudra porter 10. Des témoignages attribuent au théâtre la mode d’une robe nommée « andrienne » créée par Mademoiselle Dancourt sur la scène de la Comédie-Française en 1703 11. Michel de Leiris comme l’Abbé Raynal qualifient ce vêtement de « robe abattue » quand, en 1709,

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Ci-contre 10. Robe volante, vers 1730, damas de soie vert. Galliera 1987.2.20

1. Le Journal de Paris, 30 mars 1788. 2. Aubignac 1657. 3. Rabreau 2008, p. 101. 4. Cela reste le cas jusqu’à la fin du XVIIIe siècle et ensuite, malgré d’importants changements dans les salles de spectacle à partir des années 1750. Voir Rabreau 2008. 5. Lever 2001. 6. Évain 2001. 7. Ibid. 8. Extrait du registre ou Conseil d’État : « Sa Majesté […] veut et entend que tous les gentilshommes et demoiselles puissent chanter et danser à l’opéra sans que pour ce ils soient censés déroger à leurs titres de noblesse […] conformément aux lettres patentes du mois de mars 1672 confirmées par celles des 30 décembre 1698, 7 octobre 1704, et 15 janvier 1713 qui seront à ces égard exécutées selon leur forme et teneur. » AJ/13/2 : 1er juin 1730. 9. Lens 2015, p. 143. 10. Chourlin 1958, t. 2, p. 8. 11. Raynal 1750, p. 403 ; Girard 1756 ; Leiris 1763.

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De la robe à la française à la robe à l’antique

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La robe à la française

lors que triomphe la robe à la française, jamais les costumes de scène ne se sont autant rapprochés des vêtements de ville, et jamais ils ne se sont autant éloignés de leur rôle. Ce changement débute à partir de 1723 avec la reprise du Comte d’Essex de T. Corneille puis avec Tiridate de J. Galbert de Campistron 1 au Théâtre-Français. Adrienne Lecouvreur apparaît, comme les dames de la cour (cat. 11), vêtue d’un corps et d’une robe à traîne. Elle est bientôt imitée par toutes les comédiennes et les chanteuses (cat. 12). Les messieurs ne sont pas en reste, tous suivent au plus près la mode et portent des vêtements de cour. Quelques détails propres à l’Opéra, tels les baguettes ou les mouchoirs tenus par les cantatrices, permettent d’identifier immédiatement les premiers rôles. La robe à la française, en recréant le corps avec les paniers, confère un maintien noble en parfaite adéquation avec le théâtre. De plus, Adrienne Lecouvreur modernise les costumes de la tragédie de la même manière qu’avec Michel Baron elle modernise la déclamation des vers, troquant le style languissant pour un ton plus proche de celui de la ville 2. La discordance entre les rôles et les costumes est bien documentée par de célèbres anecdotes. Ainsi, Mademoiselle Pélissier, chanteuse à l’Opéra, après avoir acheté après la mort d’Adrienne Lecouvreur tous les costumes de la comédienne, en revêt un différent par ouvrage, quels que soient ses rôles. C’est « Fifine Desaigle, une des célébrités galantes de l’Opéra » qui porte « religieusement le grand et le petit deuil du maréchal de Saxe en scène au milieu des dryades, bacchantes et néréides… » 3. Sous Louis XVI, la robe à la française, réservée aux cérémonies, au théâtre, au bal et à la cour, trouve encore un écho chez Mademoiselle Dumesnil qui perpétue une tradition abandonnée par ses consœurs. Faite de plumets, d’agréments, de diamants et de rubans, l’ornementation de ces robes de cour n’a rien à envier à celle des tenues exhibées à Versailles. En raison de la vive concurrence entre les interprètes, les suivantes et même les paysannes, oubliant leur rôle, sont aussi richement vêtues que les princesses. Ne nous étonnons pas de cette munificence qui est la norme, et que, à sa disparition dans les années 1780, bien des habitués de l’Académie de musique regretteront. Les interprètes sont habillées par leurs protecteurs ou par des membres de la cour 4. Le luxe des costumes qui atteignent des sommes exorbitantes 5 est attendu par les spectateurs et permet de souligner la position des protecteurs. Il en est de même des acteurs et chanteurs (cat. 24) dont les tenues montrent néanmoins l’influence des modes urbaines (cat. 23). Il arrive qu’un tragédien 6

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11. Robe de cour à paniers, vers 1750, Lyon. Dauphine à effet losangé et cannelé simpleté, rayée, liserée. Soie. Parements à pompons de cour à sourcils de hanneton. MTMAD, Lyon 29831. 1913 Ci-contre 12. L.-R. Boquet, Homme déposant son sceptre aux pieds d’une femme (détail), plume, encre et aquarelle. BMO BnF D216 04 fo 29

1. Ouvrage créé en 1691 au Théâtre-Français. 2. Sabine Chaouche, http://www.thefrenchmag.com/Ladeclamation-au-XVIIIe-siecle-de-l-effet-vocal-a-l-effet-dereel-Sabine-Chaouche_a605.html 3. À la mort de son amant, Julien, A., p. 63. 4. En 1770, Mlle Dumesnil reçoit de Mme Dubarry une magnifique robe pour jouer dans Sémiramis, Mlle Raucourt en reçoit une de Louis XV en 1772, et en 1774 des costumes portés par la famille royale lors des fêtes du mariage du dauphin. 5. 3 à 4 000 livres, dépenses bien supérieures à celles des décors. 6. L’argument des livrets des tragédies lyriques se situe souvent dans l’Antiquité.

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Rêveries exotiques

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u XVIIIe siècle, en Europe et plus encore en France, tous les domaines de l’art sont marqués par trois exotismes. Le premier, géographique, exploite la turquerie ; le second, temporel, cultive la nostalgie du « bon vieux temps » ; le troisième, par des jeux de rôle, renverse les statuts sociaux. Mis en scène au théâtre, ces exotismes inspirent parfois la mode vestimentaire selon le même processus, le bal en est l’intermédiaire tandis que des portraits de fantaisie en constituent une expression fantasmée.

La turquerie, un rêve d’Orient Au XVIIIe siècle, les Européens sont fascinés par le mode de vie oriental, rêvent d’un Orient de fantaisie, où seule règne l’imagination. Après les victoires de Lépante en 1571 puis de Vienne en 1683, la Sublime Porte n’inspire aucune peur à l’Occident sûr de lui. C’est alors que naît l’exotisme oriental, la turquerie 1 lui succédant au siècle des Lumières. Après Le Bourgeois gentilhomme se multiplient ballets et ouvrages destinés au théâtre parlé et chanté et dont l’intrigue se déroule en Orient. D’une pièce à l’autre, on croise sultan et sultane, vizir et aga des janissaires ainsi qu’esclaves occidentales. La mise en scène de ces ouvrages nécessite des costumes appropriés 2 dont les modèles sont tirés durant tout le siècle du Recueil de cent estampes représentant différentes nations du Levant de Charles de Ferriol 3. Orné d’estampes colorées réalisées par divers graveurs d’après des toiles de Jean-Baptiste van Mour qui a séjourné en Turquie à partir de 1699, ce recueil rencontre un très vif succès avec trois éditions entre 1712 et 1715. On y voit des hommes porter turban et parfois aigrette, moustache, caftan et kurdi, manteau doublé de fourrure apparaissant en bordure. Quant aux femmes, elles ont un caftan à manches courtes, une chemise décolletée et par-dessus un kurdi. Sur un large pantalon, le caftan a une ceinture ornée d’un fermoir-bijou. Un turban ou une écharpe couvre en partie les cheveux. Pour les dessinateurs de costume, le kurdi, appelé « doliman » au théâtre, signale le caractère turc des rôles. Vers le milieu du siècle, Louis-René Boquet, dessinateur des Menus Plaisirs et de l’Académie de musique, en revêt les héros de Zaïre 4 (cat. 49), tandis qu’Henri-Louis Lekain ainsi vêtu est peint en 1767 dans le rôle d’Orosmane (Zaïre) par Simon-Bernard Lenoir. Plus inattendue est la sorte de doliman arboré par Mademoiselle Dumesnil (cat. 51) incarnant Agrippine (Britannicus) pour son portrait par Donatien Nonnotte en 1754, et qu’elle a préféré à l’habituel manteau de cour. Mais pour s’adapter au volume de sa grande robe à panier, le kurdi, coupé à la taille, présente une série de gros plis. En 1775, la passion de la turquerie conduit Mademoiselle Clairon, dans le rôle d’Idame dans L’Orphelin de la Chine, à choisir doliman et culotte et non la robe chinoise voulue pourtant par Voltaire ! Annonçant l’obsession du XIXe siècle pour l’authenticité,

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49. L.-R. Boquet, Zaïre et Orosmane (Zaïre, Voltaire, 1732), plume, encre et aquarelle. BMO BnF D2160-1(19) Ci-contre 51. D. Nonnotte (1708-1785), Mlle Dumesnil en Agrippine (Britannicus, Racine, 1669) dans une curieuse interprétation du manteau turc. Huile sur toile. Coll. CF

1. Sur la turquerie voir Peyraube 2008 et Williams 2015. 2. Cf. Paris 2009b. 3. Charles de Ferriol (1700-1788), comte d’Argental, ambassadeur de France auprès de l’Empire ottoman de 1699 à 1711. Cet ouvrage est signalé en 1726 ; l’inventaire après décès de Jean II Berain mentionne cet ouvrage. Communication de Mickaël Bouffard. 4. Célèbre tragédie de Voltaire créée en 1732.

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LA PASSION DE L’HISTORICISME xixe siècle

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Théâtre et mode à l’époque romantique, une affaire de manches

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ous l’Empire, un événement, le sacre de Napoléon, spectacle politique et social dont la mise en scène est pérennisée par le tableau de J.-L. David, rivalise avec le théâtre, tout en révélant l’évolution historicisante des vestiaires masculin et féminin. Pour les hommes, l’historicisme se cantonne aux uniformes civils de la cour impériale. Ces tenues, correspondant à des charges spécifiques, complètent celles imaginées par le Directoire. Mais avec Napoléon Ier la situation évolue profondément. Lors des grandes soirées aux Tuileries, l’empereur exige le port de ces uniformes dont la conception, confiée à Eugène Isabey, entre autres décorateur de théâtre, mêle diverses sources : médiévale avec la tunique, Renaissance avec la toque à plumet, baroque avec la cape courte en vogue sous Henri IV. Au même moment – est-ce par flagornerie ? –, des acteurs revêtent ces mêmes vêtements. Ainsi les costumes de l’acteur Philippe dans Ramire ou le Fils naturel en 1805, de Madame Desmares en page dans Agnès Sorel en 1806, de Rosambeau dans Les Amours de Bayard en 1808, sont autant de clins d’œil aux uniformes des princes français, frères de l’Empereur et de quelques hauts dignitaires. De son côté, l’habillement de l’impératrice Joséphine pour le sacre reprend un modèle de manches utilisé par Louis-René Boquet au XVIIIe siècle, manche ballon prolongée par une manche longue en mitaines en vogue sous le Consulat. Théâtre et ville s’en font l’écho. Les actrices, en particulier pendant la première partie du règne de Napoléon, portent des chérusques 1 et des manches à crevés, comme Madame Belmont dans Agnès Sorel en 1806, tandis que les acteurs exhibent aussi ce même type de manches comme Seveste dans Le Fond du sac en 1807, Dufrêne dans Clara en 1810. À l’inverse des femmes, ces caractéristiques ne franchissent jamais la barrière de la mode masculine. Comme le montrent les gravures du Journal des dames et des modes, les références au règne d’Henri IV se développent de façon spectaculaire au théâtre et dans les garderobes, avec la collerette à la Médicis, la fraise et la chérusque appelée alors Gabrielle gaufrée. Avant la Révolution, comme on l’a vu, leur présence était bien timide sur les vêtements féminins. Présent dans les théâtres secondaires à la fin du XVIIIe siècle, l’historicisme conquiert sous la Restauration les grands théâtres, phénomène encore accentué par l’arrivée de nouvelles personnalités à leur tête comme en 1825 le baron Taylor à la Comédie-Française, puis six ans plus tard celle du Docteur Véron à l’Académie de musique. La passion pour le Moyen Âge et la Renaissance 2 détrônant celle pour l’Antiquité, les dessinateurs de costumes, les

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95. Personnage pour Robert le Diable (G. Meyerbeer, 1831), E. Du Faget, maquettes de Costumes, t. II. BMO BnF D2160-2(52) Ci-contre 94. Robe, v. 1825-1826, satin céladon, ornée de rouleaux sur le buste, manches en gigot recouvrant des manches en ballon. Coll. G. Labrosse

1. Petits volants situés à l’emmanchure du côté du cou. 2. À cette époque on ne différencie pas ces deux périodes.

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52  MODES ! À LA VILLE, À LA SCÈNE

107. Joly en Robert le Diable (J.-N. Bouilly, T.-M. Dumersan, 1812), gravure colorée, H. et M., pl. 394. Coll. CF 89. Mlle Mars en Célimène (Le Misanthrope), 1812. Manches à crevés portées précédemment par les hommes au théâtre. H. et M., pl. 540. Coll. CF Ci-contre 90. Spencer, v. 1820, bourrette de soie absinthe, crevés en taffetas sur robe en coton blanc brodée et ornée de dentelle. Coll. G. Labrosse

3. Auguste Vacquerie, Profils et grimaces, cité dans Allevy 1938, p. 23. 4. Ces comparaisons fondées sur les images présentent un défaut : tous les costumes des acteurs n’ont pas été reproduits dans Hautecœur et Martinet ; les dates retenues ne sont peut-être pas toujours exactes. 5. Les dessinateurs de costumes romantiques connaissaient-ils les travaux de leurs prédécesseurs ? C’est probable pour ceux qui sont appointés régulièrement par l’Opéra ou la Comédie-Française, mais cela paraît plus douteux pour les peintres extérieurs. S’en sont-ils inspirés ? C’est moins sûr, mais tous travaillent à partir des mêmes documents, portraits, dessins et gravures souvent conservés à la Bibliothèque royale. Ces maquettes s’inscrivent dans une continuité esthétique qui mérite d’être soulignée. 6. Termes employés dans la mode sous le Premier Empire.

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peintres comme Garneray, Delacroix, Boulanger, les frères Devéria, les frères Johannot ou costumiers comme Hippolyte Lecomte, Eugène Giraud ou Paul Lormier, doivent fournir de nouveaux modèles empreints de vérité et d’exactitude loin des « défroques anachroniques »3. La couleur locale se déploie dans les manches dont on distingue pas moins de huit types différents et dont l’origine est à porter au crédit tantôt du théâtre, tantôt de la mode, en une intrication souvent difficile à démêler 4. Mais la comparaison de ces manches avec celles des costumes dessinés par Louis-René Boquet au XVIIIe siècle, montre d’importantes similitudes 5. Les manches les plus traditionnelles sont dites « à la mameluk » 6. Apparues à la Renaissance et inspirées des tenues ottomanes, elles sont ornées de bracelets d’étoffe superposés resserrant le volume de haut en bas comme celles de la robe de Mademoiselle Vanhove dans Abufar ou La Famille arabe en 1795 au Théâtre de la République. Au XIXe siècle, on relève aussi une variante, un seul lien s’enroule de l’épaule au poignet. Fréquentes à la ville à partir de 1809 puis sous la Restauration, elles perdent alors leur caractère exotique au profit de l’évocation de la Renaissance. Les manches à crevés (cat. 89), prisées à la scène et à la ville au début de l’Empire et des années 1820, ornent spencers (cat. 90) et robes élégantes. Parfois ce sont de faux crevés obtenus par l’application de petites coques bouillonnées ou par une suite de rubans détachés laissant deviner la couleur du dessous. Inspirée de la Renaissance et faite d’un ballon pincé en son milieu, la manche en béret, aplatie comme la coiffure, apparaît en 1823 à la scène et à la ville (cat. 110) à la fin de l’année précédente. C’est peut-être l’acteur Lafon (cat. 109) qui l’a portée pour la première fois au Théâtre-Français dans Jeanne d’Arc à Rouen. Apprécié jusqu’en 1832 environ par les élégantes, le « béret » devient gigantesque au théâtre, comme en témoigne Mademoiselle Mars en princesse Éléonore dans Le Tasse en 1826, avant de disparaître au début de la décennie suivante.

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Sous le signe de l’authenticité Les théâtres et leurs collections de costumes anciens

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L’OPÉRA

a Bibliothèque-musée de l’Opéra, qui est rattachée au département de la Musique de la Bibliothèque nationale de France, conserve une dizaine d’habits civils de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, qui lui ont été donnés par l’Opéra de Paris 1. La splendeur des matériaux avec lesquels certains ont été réalisés et la finesse de leurs broderies ont permis toutes les supputations quant à une origine des plus prestigieuses et il a suffi de trouver une couronne imprimée sur la doublure de la plupart d’entre eux pour conclure qu’ils provenaient « vraisemblablement du château de Versailles » 2. Le cachet d’inventaire couronné qui étayait cette affirmation (prudente il est vrai) n’était pas celui des collections royales, mais celui de l’Opéra de Paris qui, en 1854, au moment où son régime d’exploitation changea, fit un inventaire complet de son patrimoine et apposa sur tous les objets décrits à cette occasion la date de 1854 surmontée, comme le lui permettait son statut d’« Académie impériale de Musique », de la couronne fermée des empereurs 3. L’examen plus attentif encore des doublures de ces costumes permet de relever un cachet de récolement plus tardif – celui de 1866 (la date au centre d’un rectangle) – motivé, comme celui de 1854, par un changement de régime d’exploitation du théâtre 4 et un autre plus ancien, circulaire, comportant trois fleurs de lys et la légende : ACAD. R. D. M. (pour Académie royale de musique) 5. Les inventaires conservés dans les collections de la Bibliothèque-musée de l’Opéra confirment qu’il y eut plusieurs entreprises de récolement des collections du théâtre pendant la Restauration et la monarchie de Juillet, mais il est probable que ce cachet fut apposé lors du grand récolement de 1831 qui accompagna, une fois de plus, un changement de système d’exploitation et la première tentative d’administration du théâtre par un « directeur-entrepreneur ». Le théâtre a-t-il donc acquis massivement ces habits civils de l’Ancien Régime et du Premier Empire dès avant 1830 ou bien alors, tout au long du XIXe siècle, comme le laisserait supposer l’état actuel des doublures, qui présentent un nombre d’estampilles assez variable ? La confrontation avec ce qui se passe au même moment à la ComédieFrançaise conduirait à penser que le théâtre fit de telles acquisitions de manière plus ou moins régulière et que l’un des responsables de celles-ci fut le même homme pour les deux théâtres, Émile Perrin, qui dirigea successivement l’Opéra de Paris (1862-1870) et la Comédie-Française (1871-1885) 6. Le regain de faveur de la mode du XVIIIe siècle sous le

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Ci-contre 125. Gilet de femme taillé dans un gilet d’homme du XVIIIe siècle, v. 1885. Taffetas ivoire brodé au passé de fleurs roses et vertes. Col taillé dans les bordures des poches. Coll. part.

1. Je remercie ma collègue Véronique Minot qui, lorsqu’elle dirigeait le service Conservation et communication du département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France, a travaillé avec moi à l’établissement d’un inventaire des collections de costume de la Bibliothèquemusée de l’Opéra. Je lui dois une partie des conclusions que j’expose ci-dessous. 2. Kahane 1995a, p. 18. Il convient de signaler néanmoins un habit (inv. 2009-0060) portant sur le col « 1866 – musée de Versailles ». 3. Voir par exemple les habits, ou parties d’habits, portant les numéros d’inventaire 2009-0003 (ancienne cote SJ 1512), 2009-0021 (ancienne cote SJ 1492), 2009-0073 et 20090084. Les inventaires correspondants sont conservés à la Bibliothèque-musée de l’Opéra sous les cotes INV-36 à 45. 4. Voir par exemple les habits, ou parties d’habits, portant les numéros d’inventaire 2009-0003 (ancienne cote SJ 1512), 2009-0004, 2009-0007 (ancienne cote SJ 1509), 2009-0021 (ancienne cote SJ 1492), 2009-0073 et 20090084. Les inventaires correspondants sont conservés à la Bibliothèque-musée de l’Opéra sous les cotes INV-46 à 51. 5. Voir par exemple les habits, ou parties d’habits 2009-0004 et 2009-0084. 6. Moulins 2011, p. 138-145.

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L’éternel retour des modes du xviiie siècle

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clectisme et historicisme ont triomphé tout au long du XIXe siècle. Parmi les influences qui ont inspiré les créateurs de mode depuis la période romantique jusqu’à la Belle Époque, le XVIIIe siècle occupe sans conteste une place de choix. Les modes dites « de style » 1, et plus particulièrement Louis XV, Louis XVI, Pompadour ou Marie-Antoinette, comme on les dénommait alors, ont constitué des références primordiales. « Tissus Pompadour », « robes Watteau », « décolletés Louis XV », « fichus Marie-Antoinette » ou encore « chapeaux Trianon », émaillent les journaux de mode de toute la période 2. Comment expliquer cette omniprésence ? À la suite notamment des Goncourt, le XVIIIe siècle a fait figure de siècle essentiellement féminin, sentimental et délicat – celui des boudoirs et des salons mondains raffinés. Et surtout, cette période a été perçue par les hommes et les femmes du siècle suivant comme connotée d’une ambiguïté charmante : cette mode d’avant-hier, qui avait été celle de leurs grands et arrière-grands-parents, leur semblait exotique ou amusante, donc intéressante, mais aussi familière, donc adaptable et portable. Car le ressort principal du succès de cette mode depuis la monarchie de Juillet jusqu’à la fin du siècle est bien que, régulièrement, elle a pu entrer en résonance avec les formes de la mode contemporaine. Un chroniqueur s’exclame ainsi, dès 1830 : « Les modes de 1750 ont moins vieilli que celles de 1815 3. » Et en effet, les jupes qui s’enflent en cette période romantique rappellent bien davantage les paniers du siècle de la Pompadour que les robes à la silhouette en colonne de Marie-Louise. Les prémices de ce revival se situent en 1830, au moment où un ballet de Scribe, Aumer et Halévy, Manon Lescaut, mit en scène des costumes de travestis historiques. Or, loin de railler ces accoutrements qui jusque-là ne soulevaient que dédain, les chroniqueurs en firent l’éloge. Une mode était née, et elle passa bien vite de la scène à la ville 4. Dès lors, cette inspiration nouvelle constituera une référence régulière (cat. 104) : des années 1830 jusqu’à 1866 environ, l’importance des jupes, qui donna naissance aux crinolines, ne pouvait que rappeler les paniers du siècle précédent – influence qui n’était pas pour déplaire à l’impératrice Eugénie dont la passion pour Marie-Antoinette est bien connue. De 1868 à la fin des années 1880, avec des moments d’alternance, les robes rejetées en arrière et relevées en poufs rappelèrent quant à elles la polonaise 5 du dernier tiers du XVIIIe siècle. De même, les manches évasées des robes des années 1850 reprenaient le nom et l’aspect des pagodes 6 garnies d’engageantes du siècle précédent. Lorsque, autour de 1877-1882, triompha le corsage dit « cuirasse », très ajusté, qui sculptait une silhouette longiligne, les recherches historicistes se tournèrent vers un vocabulaire

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104. Mlle Dejazet en Marquise de Prétintaille (J.-F. Bayard et F. Dumanoir, 1836), gravure colorée, H. et M., 1046. ADS BnF 4-ICO-Cos. 1 (11, 1046) Ci-contre 128. Robe du soir, v. 1900, corsage et jupe à traîne en soie ivoire brochée d’iris, décolleté orné d’un bouquet de roses, manches en mousseline, jupon en mousseline et tulle, dentelle et bouquet de roses. Griffe : Pacher, Boston. Coll. G. Labrosse

1. On trouve cette expression dans les journaux de mode de la Belle Époque, à l’imitation du « mobilier de style ». 2. Sur le retour de ces modes au XIXe siècle, voir New York 1998, même si cette exposition n’a pas pris en compte la période antérieure au Second Empire, ainsi que Versailles 2011. Sur ce phénomène à la Belle Époque, voir Paris/ Versailles 2003 et Paris 2013. 3. La Mode, [mai ?] 1830, p. 158-159. 4. On retrouve trace de ces modes néo-XVIIIe à partir des années 1832-1835. Voir Versailles 2011. 5. Jupe de dessus retroussée formant un drapé. 6. Manches en entonnoir terminées au coude et garnies de dentelles (les engageantes).

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THÉÂTRE ET MODES : JEUX DE POUVOIR De la Belle Époque aux années 1940

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Sarah Bernhardt, créatrice de mode ?

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es historiens ont souvent souligné la diversité et la richesse des relations que Sarah Bernhardt a entretenues avec la mode 1 ; son rôle dans ce domaine est en effet majeur car elle a influencé tout autant les costumiers, les actrices que les couturiers. À la scène, pour son rôle de Dona Sol (cat. 139) dans Hernani en 1877 2, probablement à son initiative, l’actrice, qui aimait tant les glissements d’un genre à l’autre, apparaît vêtue d’une cape et d’une toque à plume en vogue chez les hommes au XVIIe siècle 3. Mieux encore, elle impose sa vision du personnage de sorte que le costumier Théophile Thomas la reprend pour Madame Segond Weber dans ce même rôle en 1887. Deux ans plus tard, Charles Bianchini utilise cette cape mais en version courte pour le rôle masculin de Joyeuse dans Henri III et sa cour, drame de Dumas père. C’est ainsi qu’est lancée la mode du collet (cat. 140). En 1891, la cape de Dona Sol et de Joyeuse, adaptée pour la ville sous le nom de « pèlerine Henri II » par la maison Décot 4, est incluse dans la garde-robe de ville de l’actrice pour sa tournée en Amérique. Raccourcie progressivement à partir de 1892, cette pèlerine dont le col Renaissance qui lui donne fière allure 5 se transforme en collet (cat. 147), est caractéristique de la Parisienne entre 1895 et 1902. Avec Théodora de Victorien Sardou en 1884, Sarah Bernhardt s’inspire des fameuses mosaïques de San Vitale à Ravenne, ouvrant la voie à l’emprunt de formes et d’ornementations des vêtements liturgiques par les costumiers. Les plus fréquents sont l’orfroi, bande verticale richement brodée, cousue sur le devant des robes et les gros cercles inscrivant une croix, rapidement transformés en motifs quadrilobés. Dès lors qu’une intrigue se déroule au Moyen Âge, les arts byzantin et religieux deviennent sources d’inspiration. Cette passion pour les vêtements liturgiques a des applications pour le moins cocasses, ainsi au Théâtre des Variétés en 1903, Jupiter, dans Orphée aux enfers, apparaît vêtu d’une chape d’esprit ecclésiastique 6, tendance singulière que l’on retrouvera très fréquemment jusque dans les années 1930. C’est très probablement sous cette influence que dans les années 1920, le terme religieux de dalmatique – manteau sans manches assorti à la robe – entre dans le vocabulaire de la mode. Sans faire de ses costumes la source de tous les nouveaux motifs utilisés au cours des années 1890, Sarah Bernhardt contribue par sa notoriété à en lancer certains. Signalons les broderies en rinceaux du type « jardin à la française » 7 ornant la robe de Dona Sol en 1883, puis la cuirasse de Jeanne d’Arc 8 en 1890, traités cette fois dans le style Art nouveau. Peu après, ces broderies sont employées dans la mode en particulier sur les tenues griffées Callot Sœurs.

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140. Studio Reutlinger, Sarah Bernhardt. 1889. Coll. CF Ci-contre 139. Nadar, Sarah Bernhardt en Dona Sol (Hernani, V. Hugo), 1876, vêtue d’une cape à col Médicis. Don Simon. ADS BnF 4-ICO PER-2369 (8)

1. Cf. Paris 2000. 2. Guibert, Razgonnikoff 1985, p. 119-121. Maquettes d’Albert. 3. Les costumiers se sont fortement inspirés des maquettes de Louis Boulanger réalisées en 1830. 4. Installée 12 rue de la Paix, Paris. 5. Une photographie datée de 1892 conservée à la ComédieFrançaise, montre l’actrice vêtue d’un collet court et pose problème : la date est-elle erronée ? À moins que l’actrice, toujours prête à innover, n’eût déjà porté ce type de vêtement. 6. Reproduit dans Le Théâtre en 1903. 7. Comme le font les architectes Duchêne à partir de 1875 pour la réfection des jardins à la française à Vaux-leVicomte. 8. Jeanne d’Arc, J. Barbier, 1890.

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147. Collet à col Médicis, v. 1900, satin noir orné de passementerie de perles de jais, brodé de jais, bouillonné au col. M. du C. Château-Chinon CH3160

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Chic for ever ! Exemples de théâtre sur la mode et le vêtement 1850-1900

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« … PRENEZ-LUI BIEN LES HANCHES… »

étamorphoses d’un corset, La Course aux corsets, La Jolie Parfumeuse, Les Coups d’épingle, De fil en aiguille, La Toilette de ma femme, Le Diable couturier, Les Plumassières de la rue Rochechouart, autant de titres de pièces qui dans le théâtre de la seconde moitié du XIXe siècle font référence au vêtement et à la mode. Dans ce répertoire, la figure de la modiste inspire particulièrement les auteurs et éveille des fantasmes. Les modistes ont leur heure de gloire à Mardi gras : Les Modistes du Mardi gras, Le Bal des modistes, Le Carnaval des modistes, et à d’autres périodes avec Modeste et modiste ou Le Roman d’une modiste. Cette énumération n’épuise pas le sujet si l’on pense au deuxième acte du Chapeau de paille d’Italie de Labiche où le héros entre dans le salon d’une modiste à la recherche du couvre-chef indispensable au bon déroulement de son mariage ! Les boutiques, les métiers de la couture et les vêtements eux-mêmes font donc partie du quotidien et de l’imaginaire des auteurs et du public de l’époque. On le retrouve chez Feydeau dont plusieurs pièces intègrent le sujet du vêtement féminin et de la couture, voire de la mode. On pense à Tailleur pour dames. Le deuxième acte se déroule dans un entresol loué par Moulineaux pour y recevoir sa maîtresse Suzanne. Le lieu est un atelier de couture. Au premier plan, un établi de couturière « sur lequel se trouvent pêle-mêle, cartons, pièces d’étoffe, gravures de mode, ciseaux, etc. ». La scène 3 met en scène le lieu : les deux amants sont soudain rejoints par le mari qui croit sa femme chez son tailleur et, dans sa confusion, n’est donc pas surpris de trouver Moulineaux avec elle : « Vous étiez en train de prendre les mesures à ma femme… J’ai vu ça ! » Et Suzanne de répondre : « Parfaitement ! Monsieur en était au tour de taille. » Naturellement Moulineaux s’enferre en cherchant à s’en sortir. L’acte continue avec l’arrivée des clientes : à l’une Moulineaux fait des remises extravagantes, à l’autre il commence à couper sur le champ le corsage soi-disant trop large. Les pratiques habituelles de la visite chez le couturier, le choix du modèle, les mesures, les retouches, la négociation sur la facture, sont ainsi mises en scène dans un joyeux désordre. Au-delà de ce contexte social et professionnel, c’est aussi le fantasme du tailleur et de sa proximité avec le corps de la femme avec lequel joue Feydeau. Le tailleur comme l’amant est celui qui vous prend par la taille. À la scène 4, le mari qui sort lance à Moulineaux : « Je vous laisse ma femme, occupez-vous d’elle. Faites quelque chose de distingué ! Et puis, moulez bien… prenez-lui bien les hanches… la poitrine… »

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Fig. 1. Guy, Melle de Pouzol (de l’Odéon) portant un modèle de Lewis, Le Figaro Modes, novembre 1904. CNCS

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Actrices, couturiers et presse de mode et de théâtre

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Le théâtre au service des maisons de couture ou les maisons de couture au service du théâtre ?

partir des années 1870, alors que la mode se démocratise, se met en place un nouveau système qui perdure pendant plus d’un siècle : la presse devient l’intermédiaire entre les modes de scène et celles de ville. Les journalistes soulignent le rôle joué par le théâtre dans la diffusion de la mode. Ainsi Camille Duguet écrit dans Femina en janvier 1908 : « Presque toutes les toilettes des spectatrices sont inspirées de celles de la scène. C’est de la scène que partent toujours les modes. On ne peut s’imaginer l’action du théâtre sur le public, et même sur la vie. Si les actrices séduisent généralement les hommes par leur beauté, elles séduisent aussi les femmes par leurs chiffons… » Femina ajoute un mois plus tard : « Certains couturiers sont arrivés à se créer une véritable et légitime notoriété dans le genre théâtral. » De son côté, Le Théâtre précise la même année : « Les premières toilettes et les premiers chapeaux que nous voyons sur scène nous permettent de prévoir dans quel sens s’orientera la mode 1. » Mais un théâtre résiste à cet engouement pour la couture, c’est l’Opéra. Ses costumiers gardent la haute main sur les toilettes des interprètes et pour se renouveler, il se tourne bientôt vers les artistes plasticiens. Il faut attendre 1965 pour qu’il fasse appel à un grand couturier, Yves Saint Laurent. Alors qu’au début du XIXe siècle, le rôle d’intermédiaire revenait aux bals costumés ; soixante ans plus tard, ils ont perdu cette fonction 2 au bénéfice de la presse aidée des stylistes de mode, ces derniers modulant le passage des costumes de la scène à la ville. Une nouvelle organisation se met en place, dont les couturiers sont le pivot, d’autant qu’ils deviennent — officiellement pourrait-on dire –, à partir de 1881, costumiers pour des actrices de la Comédie-Française 3. En effet, en définissant le costume moderne, l’administrateur Émile Perrin décide alors d’allouer 4 aux comédiennes une somme leur permettant de s’habiller chez les couturiers pour les pièces contemporaines. En un mouvement comparable à celui du XVIIIe siècle, où mimant l’aristocratie, les actrices avaient décidé de jouer en robes de cour, à partir de 1881, elles veulent être vêtues sur scène par des couturiers. Cependant les actrices dépassent souvent et largement la somme octroyée et la Comédie-Française, après avoir morigéné ces dames, finit par régler la dette… S’habillant à la scène et à la ville chez les mêmes couturiers, les actrices,

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Fig. 1. Cléo de Mérode faisant la publicité des produits capillaires Lenthéric, Le Théâtre I, mai 1898. CNCS

1. Le Théâtre II, septembre 1908, « La Mode au théâtre ». 2. Les bals costumés rencontrent toujours un franc succès dans toutes les catégories de la société. 3. Pour les relations entre la mode et la haute couture, voir Guibert, Razgonnigoff 1985-1987. 4. Ibid. 1985, p. 59.

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Quand les couturiers se font costumiers 1875-1940

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près une période de conquête durant la Belle Époque, la couture règne sans partage dans l’entre-deux-guerres. Il y a à Paris environ soixante-quinze grands couturiers, sans compter ceux de moindre importance. Mais à partir des années 1930, le théâtre voit son rôle de prescripteur de modes diminuer au profit du cinéma qui devient un concurrent sérieux. Dans le même temps, le pouvoir du metteur en scène s’affirme, parfois au détriment de celui des actrices. Le théâtre reste néanmoins pour les fournisseurs le moyen d’augmenter leur chiffre d’affaires.

L’organisation du travail des couturiers au théâtre Quand Émile Perrin, administrateur de la Comédie-Française, donne aux actrices, en 1881, le droit de s’habiller sur scène en haute couture pour les costumes modernes, il entérine une pratique déjà rôdée par bien des théâtres parisiens. De 1860 à la fin des années 1930, différents couturiers peuvent travailler sur le même ouvrage comme le font depuis 1830 les équipes de décorateurs. Cette multiplicité est exigée par les actrices. Chaque grande interprète a son couturier attitré et en change selon son bon vouloir. Certaines, comme Marie-Thérèse Piérat et Annie Ducaux de la Comédie-Française, restent fidèles tout au long de leur carrière à Redfern pour la première, à Maggy Rouff pour la seconde, tandis que d’autres, comme les élégantes, suivent l’évolution de la mode avec l’apparition de nouvelles griffes qui démodent les précédentes. Cécile Sorel s’habille successivement chez Poiret, Lanvin puis chez Vionnet en 1928. C’est dire que les exigences des comédiennes passent avant l’homogénéité de la mise en scène. Citons deux exemples. Pour Fédora, créée au théâtre du Vaudeville en 1881, les cinq costumes de Sarah Bernhardt viennent de trois maisons différentes, Madame Morin-Blossier, Worth et Félix. En 1936, pour L’Âne de Buridan de R. de Flers et G. Arman de Caillavet à la Comédie-Française, les six actrices font appel à cinq stylistes différents : Molyneux habille Irène Briffaut, Dupouy-Magnin Lise Delamare, Wanda Henriette Barreau, Robert Caro Madeleine Renaud et Marcelle Gabana. Les seconds rôles sont vêtus par le costumier de la Comédie-Française. Cependant, il arrive – mais c’est rare – qu’un même créateur réalise la totalité des costumes d’une même pièce. Très vite les couturiers, ne se cantonnant plus au répertoire contemporain, signent des tenues historiques, tel Jacques Doucet en 1898 pour Pamela, marchande de frivolités 1 et bien plus tard Jeanne Lanvin pour La Marche nuptiale 2 d’Henri Bataille en 1937, et

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Ci-contre et détail ci-dessus 194. J. Doucet, robe de J. Bartet en Y. de Chambreuil dans Pépa (H. Meilhac et L. Ganderax), Comédie-Française 1888, portée ensuite par M. Roch en Roxane dans Bajazet (Racine, 1672), Comédie-Française 1905. En satin entièrement brodé de soie, de lames d’or, et de pierres serties. CNCS/D-CF-4281A21

1. Comédie de Victorien Sardou au théâtre du Vaudeville. 2. La Marche nuptiale, pièce créée au théâtre du Vaudeville en 1905.

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HAUTE COUTURE, THÉÂTRE ET MODE xxe-xxie siècles

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Opéras, Ballets russes et la mode

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Paul Poiret et les Opéras et Ballets russes

n 1907-1908 à Paris, deux événements culturels font entrer le théâtre et la mode dans le XXe siècle : les créations vestimentaires de Paul Poiret et la saison russe 1 (cat. 207). Des convergences apparues immédiatement aux yeux des contemporains les conduisent à avancer qu’opéras et Ballets russes ont nourri la révolution de Paul Poiret bien que le couturier s’en soit toujours défendu 2. Reposer la question et l’étendre à d’autres couturiers n’est pas inutile. Premier opéra russe monté à Paris en 1908 à l’Opéra-Comique, Snégourotchka 3 est bientôt suivi par une série d’opéras et de ballets présentés à l’initiative de Serge Diaghilev jusqu’en 1927 au Palais Garnier et dans les théâtres du Châtelet et des Champs-Élysées. Tout est nouveau, musique, mise en scène, chorégraphie, décors, costumes, révolution qui démode les productions parisiennes antérieures. Dans un mouvement équivalent, Paul Poiret propose une autre silhouette, une approche différente du corps, des coupes et des coloris inhabituels. Le premier point commun est la similitude de la démarche des Russes et de Paul Poiret. Fondée en partie sur le retour à une esthétique ancienne, elle contribue paradoxalement au renouvellement du théâtre et de la mode. Ainsi le peintre et décorateur russe Alexandre Benois, s’appuyant sur sa grande connaissance de l’art français du XVIIIe siècle, conçoit pour divers ballets comme Le Pavillon d’Armide 4 en 1909, des maquettes de costumes proches de celles de Louis-René Boquet (cat. 205), dessinateur de costumes du XVIIIe siècle. Quant à Paul Poiret, il s’inspire du néoclassicisme, mais aussi des modes théâtrales. En effet, de nombreuses pièces de théâtre montées à Paris depuis la fin des années 1890 présentent des costumes Directoire et Empire. Aussi Poiret imagine-t-il en 1907 des robes droites à taille haute et sans chichis. Tandis que les coloris vifs et tranchés des ouvrages russes reprennent ceux des costumes régionaux traditionnels, les peintures fauves et futuristes inspirent Poiret 5. Les danseurs russes oublient parfois les chaussons pour se produire en mules ou en sandales, Poiret redonne au corps toute sa gracieuse souplesse en refusant la ligne comprimée Art nouveau. Au-delà de ces analogies, la culotte sarouel et les motifs folkloriques russes relèvent de jeux d’influences. Bien connue des costumiers, la culotte de harem employée au XVIIIe siècle par les danseuses qui la glissaient sous leur robe, fait partie depuis la fin de la Renaissance des tenues orientales au théâtre 6. Cependant elle apparaît sous un nouveau jour quand, le 4 juin 1910, cette culotte est portée par un danseur, Vaslav Nijinski, qui la dévoile entièrement dans Shéhérazade 7. Dessinée par Léon Bakst, elle

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205. L.-R. Boquet, danseur en tonnelet, plume, encre et aquarelle. BMO BnF 112 D216 I 46 Ci-contre 207. Photographe anonyme, Nijinski dansant Le Dieu bleu (J. Cocteau, R. Hahn), 1912. BMO BnF, ALB Kochno Le Dieu bleu, 10

1. Cf. Moulins 2009. 2. Poiret 1930, p. 132-134. Poiret écrit : « Je fus frappé par les Ballets russes et je ne serais pas surpris qu’ils aient eu sur moi une certaine influence », tout en ajoutant quelques lignes plus bas que ce n’était absolument pas le cas… 3. Snégourocthka, ou la Fille de neige de Rimsky-Korsakov créé à l’Opéra-Comique le 22 mai 1908. 4. Le Pavillon d’Armide, musique de Tcherepnine, décors et costumes d’A. Benois, chorégraphie de M. Fokine. Théâtre du Châtelet, 19 mai 1909. 5. Poiret 2009, note 2 : « … je jetais dans cette bergerie quelques loups solides : les rouges, les verts, les violets, les bleu roi firent chanter tout le reste », p. 65. 6. Voir dans ce catalogue, le chapitre « Rêveries exotiques ». 7. Shéhérazade, drame chorégraphique de L. Bakst et M. Fokine, musique de Rimsky-Korsakov, danses de M. Fokine, décors et costumes de Bakst. Opéra de Paris, 4 juin 1910.

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219. Costume de paysanne pour Ivan le Terrible (M. Moussorski), théâtre du Châtelet 1909, costumier L. Bakst. Coton orné d’une bande tissée. Manches en coton brodé de motifs folkloriques. CNCS/D-ONP-49BG126 220. P. Poiret, Honfleur, v. 1921, robe taillée dans une nappe de coton brodée rapportée de Russie par P. Poiret en 1911. Galliera 2005.8.18 Ci-contre 204. V. Nijinski et A. Pavlova pour Le Pavillon d’Armide (M. Fokine, N. Tcherepnine, décors et costumes, A. Benois, 1909). Le Théâtre, avril 1909. CNCS

8. Un exemplaire est conservé au Palais Galliera, inv. 1991.182.X. 9. Point de vue nuancé par Mathias Auclair et Manon Lavergne, « Le théâtre de la mode », in Paris 2016, p. 126. 10. Sibéria, opéra d’Umberto Giordano, joué pour la première fois au Palais Garnier le 9 juin 1911, costumes de Pinchon, avec réutilisation en partie de ceux d’Alexandre Golovine pour Ivan le Terrible.

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enchante par ses motifs inspirés de l’art persan. Un an plus tard, le 24 juin 1911, Paul et Denise Poiret s’en emparent pour leur bal costumé, « La Mille et Deuxième Nuit », organisé dans leur résidence de l’avenue d’Antin. Le couturier et sa femme déguisés en princes orientaux reçoivent leurs invités en culotte sarouel. Cumulant une seconde influence, Denise ajoute à la culotte sarouel une jupe abat-jour proche du « tonnelet » des protagonistes du Pavillon d’Armide, annonçant le style que l’on retrouvera dans Le Minaret de Richepin. En septembre 1911, Poiret la reprend pour ses collections d’hiver. Deux ans plus tard, franchissant une nouvelle étape, Poiret décline le sarouel en robeculotte d’intérieur 8. Comment ne pas y voir l’influence du théâtre 9 tandis que le souvenir de Shéhérazade se manifeste aussi sur quelques maisons de couture comme Worth et Paquin avec l’apparition d’une vague orientalisante ? Seconde influence, les broderies ethniques russes. Le 9 juin 1911 est représenté à Paris Sibéria 10, opéra de Giordano. Les costumes, signés par Pinchon, proviennent en partie d’une production d’Ivan le Terrible (cat. 219) créée à Moscou dix ans plus tôt et présentée par Diaghilev à Paris en 1909. Venus directement de Moscou, dessinés par Alexandre Golovine, les costumes très originaux ont des formes simples, géométriques, de très gros motifs de couleurs vives en aplat mais aussi de fines broderies. Il est évident que Poiret a vu cet opéra car à l’automne de la même année, le couturier, en tournée avec ses mannequins en Europe centrale et en Russie, rapporte des nappes russes ornées du même type de broderies que celles des costumes de Sibéria. Bientôt il les transforme en robes de ville d’une grande fraîcheur (cat. 220).

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Bal, scène et ville : aller-retour

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l arrive que des couturiers reproduisent pour leurs collections des modèles conçus pour la scène, parfois à la demande de leurs clientes. Parmi les nombreux exemples, nous étudierons deux d’entre eux 1, Poiret et Lanvin. De même, certaines comédiennes, très marquées par leurs rôles, comme Julia Bartet, choisissent pour tenues de ville des vêtements dans la continuité de leurs costumes de scène. S’inspirant du déguisement de Denise Poiret lors de la fête de « La Mille et Deuxième Nuit », la robe « Abat-jour » entre dans les collections du couturier en septembre 1911. Poiret, avant même l’ouverture de sa maison de couture, a travaillé pour le théâtre 2. Il se voit confier en 1913 les costumes de Minaret (cat. 235), comédie de Jacques Richepin au théâtre de la Renaissance. Il remanie une fois de plus ce déguisement, inspiré de Shéhérazade 3. Est-ce à cette occasion ou après la fête de « La Mille et Deuxième Nuit » que la marquise de Luppé lui commande le même déguisement (cat. 234), heureusement conservé par la famille ? On l’ignore, mais cette tenue à la ville connaît un grand succès comme l’évoque La Gazette du Bon Ton : « Des tuniques à cerceaux ballottant autour du corps surplombent les culottes fendues, des jupes à trois paliers et qui semblent faites d’abat-jour superposés s’évasent au-dessous de corselets serrant le torse comme des bandelettes, de petits casques de perles emboîtent la tête en cachant les cheveux et les oreilles. » Et d’ajouter : « Pour compléter l’illusion, Mme P 4… dans la salle semble habillée pour entrer en scène avec son lourd casque d’argent voilant les cheveux au centre duquel viennent se ficher d’invraisemblables plumes noires 5. » La tunique de Denise Poiret est en mousseline violette, sa culotte est rouge et son casque violet est brodé d’une frange de perles. Poiret décline cet ensemble (cat. 236) en 1913 dans ses collections avec la robe « Sorbet » tandis que les couturiers l’élargissent au niveau des hanches dès 1912. L’année suivante Redfern, Dœuillet et Paquin déclinent à leur tour ce nouvel effet. La Gazette du Bon Ton écrit : « Nous exigeons que les draperies s’éloignent du corps, soit qu’un bord de fourrure ou une cerclette les en tiennent éloignés 6. » Ainsi théâtre et bals costumés ont bien été à l’origine d’une nouvelle tendance à la ville. Ces allers et retours entre scène et ville sont encore illustrés par un autre modèle de Poiret, « Tolède » (cat. 239a et 239b). Ornée d’une belle broderie sur le buste, cette robe de ville de la collection d’automne-hiver 1921-1922, est acquise par Madame de SaintAffrique. Elle est ensuite proposée à Mademoiselle Spinelly dans une autre version pour la scène. Cliente de Poiret à la ville et au théâtre, celle-ci 7 se produit avec Raimu à partir du 19 novembre 1921 dans Kiki, pièce d’André Picard. Elle y porte le même modèle mais en

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236. G. Lepape, Le Collier nouveau, gravure, La Gazette du Bon Ton, juillet 1914. Galliera Ci-contre 235. Actrice habillée par P. Poiret pour Minaret (J. Richepin), théâtre de la Renaissance, 1913. Le Théâtre I, mai 1913

1. N. Guibert a étudié le cas de Molyneux, Guibert, Razgonnikoff 1987, p. 53. 2. Chez Doucet en 1898, il réalise pour Réjane un manteau de scène en tulle noir et taffetas peint d’iris mauve et blanc pour Zaza ; chez Worth, en 1900, le costume d’officier pour Sarah Bernhardt dans L’ Aiglon. Le catalogue de l’exposition consacrée à Poiret contient une chronologie répertoriant les ouvrages dont Poiret a réalisé les costumes de théâtre (voir Paris 1986). 3. Voir note 7, p. 107. 4. Il est évident qu’il s’agit de Denise Poiret. 5. Gazette du Bon Ton, avril 1913, p. 188. 6. La Gazette du Bon Ton, février 1914, p. 66. 7. Sur les créations de Poiret pour Mlle Spinelly, voir Paris 1986, p. 229-230.

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Mode en scène dans les collections du CNCS Le théâtre à la mode Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la Chambre syndicale de la couture française organise une exposition présentée au Pavillon de Marsan – actuellement musée des Arts décoratifs, au Louvre – pour célébrer le savoir-faire des maisons de couture et redonner à Paris sa place de capitale de la mode (cat. 257, p. 156). La direction artistique est de Christian Bérard, peintre, décorateur, illustrateur de mode pour Vogue et Harper’s Bazaar. Proche de Diaghilev, Coco Chanel, Balanchine, Louis Jouvet, Bérard est une grande figure de la mode et du théâtre. Il crée aussi pour le cinéma (pour Jean Cocteau) et conçoit des tenues de bal pour les dernières grandes fêtes costumées du Tout-Paris. Le Théâtre de la mode est le titre donné à cette présentation des créations de toutes les maisons de mode parisiennes, en modèles réduits, avec des mannequins poupées. Orchestrée, illustrée par Bérard, accompagnée par les grands créateurs, elle deviendra itinérante et aura un succès mondial, signant ainsi le renouveau de la couture parisienne et inaugurant l’« exception culturelle » française, en réunissant tous les acteurs des arts, des lettres et de l’artisanat d’art, dont les poupées de mode deviennent les ambassadrices. Dans les années 1950, le public se réfère moins au théâtre pour découvrir les couturiers à la mode, préférant rêver au cinéma devant les stars de Hollywood, à la frontière de la vie réelle et de la vie idéale. Dans l’industrie textile, le Tergal, les indéplissables, le nylon, participent à la démocratisation de la mode avec le développement de la confection. Ces progrès sont une aubaine pour les ateliers de costumes de scène qui s’en emparent pour créer des effets visuels efficaces, moins coûteux que les ennoblissements traditionnels – brillances, collages, matières synthétiques imitant la soie, le cuir ou la fourrure –, assurant confort et aisance pour les interprètes et facilité d’entretien. Les signatures existent toujours, et chaque création à la scène apporte son risque, entre clin d’œil à la standardisation et nouveauté culturelle. Les références à cet air du temps sont diverses : à l’Opéra de Paris, les tutus créés pour le ballet Le Clochard reprennent fidèlement la ligne du New Look lancé par Christian Dior avec le célèbre « tailleur Bar » de 1947 (cat. 285). Le décorateur Bernard Daydé, lui, fait référence à l’art cinétique appliquant des aplats de couleur sur une robe à danser pour La Nuit est une sorcière (cat. 286). À l’Opéra-Comique en 1960, Denise Duval est vêtue d’un tailleur Chanel pour son rôle dans Vol de nuit (cat. 246). En 1965, l’Opéra de Paris fait appel à Yves Saint Laurent pour créer les costumes de Notre-Dame de Paris chorégraphié par Roland Petit. Le chorégraphe et son épouse Zizi Jeanmaire lui resteront toujours fidèles. Dans ces productions, la signature des couturiers est encore privilégiée, revendiquée. Les costumes ou les accessoires

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Fig. 1. Inauguration du Théâtre de la mode, devant le décor de Geoffroy. De gauche à droite : Lucien Lelong, président de la Chambre syndicale de couture, Robert Ricci, chef de la commission des relations publiques, Madame Lanvin, Robert Lacoste, ministre de la Publication industrielle, et Georges Geoffroy. Photographie Frères Seeberger. Coll. BnF Ci-contre 285. D’après A. Delfau, costume pour le rôle d’une biche porté par Lyna Garden dans Le Clochard (ballet Michel Descombey), Opéra-Comique 1959. Veste courte à basque en faille, bordée de velours et brodée de paillettes noires. Tutu mi-long en tulle, jupe de dessus en plissé soleil, brodée de paillettes noires. CNCS/D-ONP-59CL008

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165. Callot sœurs, veste de tailleur, v. 1900, velours bleu foncé orné de soutaches et cordons de passementerie, rubans de satin crème, griffé. Les Arts décoratifs UF 66.40.17

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291. Christian Lacroix, costume pour le rôle de la deuxième sœur porté par un danseur dans Cendrillon (d’après C. Perrault), Opéra-Comique 1986. Blouson et slip en cuir, un collant en nylon rayé et une armature à panier garnie de volants en cristal. CNCS/D-ONP-86CD010

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ŒUVRES EXPOSÉES  155

294. N. Géraud, costume pour le rôle de Maria dans Simon Boccanegra (G. Verdi), Opéra Bastille 1997 et 2002. Robe courte sans manches, composée de rubans marron sur un fond de robe en satin. CNCS/D-ONP-07SB005.1

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295. C. Obolensky, pour le lancement du parfum C’est la vie ! de C. Lacroix, revue d’A. Arias, OpéraComique, 1990. Robe courte « boule » en chenille tricotée. CNCS/CL-90-CV003

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158  MODES ! À LA VILLE, À LA SCÈNE

289. Ted Lapidus, robe de récital de la cantatrice Jane Rhodes, vers 1975. Robe longue en satin broché et lamé et dentelle or. CNCS/BENZI-2013.5.7

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