PARIS ART DÉCO (extrait)

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© Somogy éditions d’art, Paris, 2016 www.somogy.fr © Laurent Thion pour l’ensemble des photographies www.ecliptique.com

© Adagp, Paris 2016 pour : Léon Azéma, Henri Bouchard, Louis Bouquet, Edgar Brandt, Jacques Carlu, Raymond Delamarre, Alfred Janniot, Paul Landowski, Albert Laprade, Jean Prouvé, Michel Roux-Spitz, Carlo Sarrabezolles, Georges Saupique, Jean Souverbie, Raymond Subes, Louis Süe © SAIF, 2016, pour Auguste Perret © Succession et ayants droit pour : Charles Sarazin, Louis Barillet, Bruno Elkouken, Pierre Patout, Charles Abella, Xavier Haas, Joseph BassompierreSewrin, Paul Sirvin, Marcel Hennequet, Joseph Marrast, Paul Tounon, Georges Feray, André Leconte, Jean-Baptiste Mathon, Roger-Henri Expert, Pierre Sardou, Henri Navarre, Willem Marinus Dudok, Julien Polti, Charles Miltgen, Maurice Picaud, Auguste Bluysen, André Granet, Jean-Baptiste Mathon, Georges-Henri Pingusson, Auguste Labouret, Louis Barillet, Raymond Couvègnes, Pierre Vigoureux, Anne-Marie Roux-Colas, Georges Muguet, Gustave Perret, Tony Selmersheim, Edgar Brandt, André Lemaître, Eugène Printz, Jules Reboul, Paul Viard, Marcel Dastugue, Roger-Henri Expert, André Aubert, Jean-Claude Dondel © Palais d’Iéna, architecte Auguste Perret, UFSE, SAIF Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coordination et suivi éditorial : Anna Bertaccini Tadini Conception graphique : Nelly Riedel Contribution éditoriale : Gaëlle Vidal Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros ISBN Somogy éditions d’art : 978-2-7572-1172-4 Dépôt légal : novembre 2016 Imprimé en Union européenne

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PARIS ART DÉCO EMMANUEL¤BRÉON¤et¤HUBERT¤CAVANIOL Photographies de¤LAURENT¤THION

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6 Paris, un manifeste pour l’Art déco par Emmanuel Bréon

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CE¤N’EST¤PAS¤UN¤DÉTAIL Ferronnerie, mosaïque, vitrail & décor sculpté

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PARIS¤CLASSIQUE¤&¤MODERNE L'habitat chic ou populaire

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PARIS¤S’ÉQUIPE Ministères, mairies, postes, lycées, écoles, casernes de pompiers…

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PARIS¤COMMERCE Banques, entreprises, boutiques & grands magasins

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PARIS¤EST¤UNE¤FÊTE Restaurants, cabarets, théâtres, music-halls & cinémas

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PARIS¤SE¤DÉTEND Fontaines & jardins, piscines & zoo

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PARIS¤MÉDITE

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PARIS¤DES¤ARTISTES¤ET¤ARTISANS Ateliers & fabriques

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LES¤GRANDS¤DÉCORS

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LIRE¤POUR¤REGARDER¤ par Hubert Cavaniol

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Bibliographie

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Index

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Remerciements

Immeuble d’habitation (détail) 7, rue Méchain

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PARIS

Quand l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris ferme ses portes, en octobre 1925, après un réel succès populaire, nul ne se doute qu’elle va laisser son nom à un style emblématique du e siècle et au retentissement mondial. Aujourd’hui toute ville à travers le monde possédant un patrimoine Art déco a une association de défense, de protection et de mise en valeur des édifices, des ensembles mobiliers et des objets en relevant. Elles relatent sur leurs sites Internet respectifs la genèse des prémices de ce style vraiment international, citant, dès les premières lignes de leurs introductions, la France et Paris comme source initiale d’inspiration. C’est très honnête de leur part et justifié. L’Art déco, conçu peu avant la Première Guerre mondiale et consacré à Paris en 1925, parle à tout le monde et est populaire. On pourrait presque dire qu’il est devenu un langage universel aux accents heureux qui rassemblent. Un premier espéranto architectural et décoratif ? Or notre pays, si prompt à célébrer son universalisme au risque d’irriter, semble toujours l’ignorer. Ceºe reconnaissance par les autres nations qui aurait dû nous flaºer ou nous émouvoir, ce moment de grâce de la production artistique française furent oubliés, voire refoulés. Quelle en est la cause ? Nous n’en retenons qu’une seule : la propagation d’une pensée exclusive, celle d’un purisme militant se pensant plus moderne et qui souhaite, au moment même de l’éclosion de l’Art déco, la disparition des décors et du beau métier. Aujourd’hui, après des années d’errance qui ont vu surgir des villes sans âmes, peuplées d’immeubles standardisés aux fenêtres en bandeau n’inspirant que l’ennui, il semble que le vent ait tourné. Les plus anciens comme les plus jeunes redécouvrent l’Art déco, ce style à la fois charmant, moderne et efficace quoi qu’en disent ses détracteurs. Paris, au risque de faire grincer les dents des jacobins, n’est pas la première ville Art déco de France. Les cités meurtries de la première reconstruction, telles Saint-Quentin, Reims ou Lens, devancent la capitale en adoptant dans l’urgence le nouveau style qui s’offre à elles pour renaître de leurs cendres à peine éteintes. Mais, Capitale oblige !, le Paris des Années folles, peu touché par la guerre mais figé dans son habit haussmannien, a cependant besoin d’un renouveau salutaire. L’époque qui désormais roule, vole, photographie, filme, voyage et communique à grande échelle se doit d’entrer dans la modernité. Les architectes construisent alors des bâtiments qu’ils n’ont jamais imaginés auparavant : cinémas et music-halls pour se distraire, garages pour empiler les automobiles, aérogares pour préparer l’envol, centraux téléphoniques pour échanger, banques rutilantes et grands magasins pour commercer ou bien encore, piscines, stades et nouveaux jardins pour se détendre.

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UN MANIFESTE

POUR L’ART DÉCO La capitale, qui doit faire face à une explosion démographique sans précédent, voit surgir des immeubles, chics ou populaires, car l’Art déco n’oublie personne. Ils sont plus lumineux qu’autrefois et préparés pour une nouvelle hygiène. Tout cela se fait en tentant de rester aºractif et accueillant. Le discret vice-président de la Société des architectes modernes, Adolphe Dervaux, veille au grain : « Des constructeurs au cœur sec ne tentent-ils pas de fixer leurs conceptions des logis individuels et des casernes dans l’utilisation de l’unique ciment destiné à l’unique machine à habiter ? Ce sont les ennemis du tourisme de demain. Heureusement, les hommes sensibles se refuseront toujours à considérer comme leur foyer, l’abri uniforme dépourvu de ceºe âme exprimée à l’extérieur par un décor. » C’est ainsi que la Ville lumière regorge de beaux exemples publics ou privés d’architectures et de grands décors Art déco : palais nationaux, ministères, mairies, musées, collèges et lycées, cité universitaire, cinémas, théâtres, music-halls, banques, grands magasins, boutiques et restaurants, piscines, parcs et jardins, immeubles de rapport et logements sociaux. Les champions de l’Art déco, Robert Mallet-Stevens, Michel Roux-Spitz, Albert Laprade, Roger-Henri Expert, Jacques Carlu, Louis-Hippolyte Boileau, Jacques-Émile Ruhlmann, pour n’en citer que quelques-uns, sont tous de la partie et ont réalisé des chefs-d’œuvre dans la capitale. Célèbres ou moins connues, leurs créations sont cependant toujours à défendre. Il n’y a pas si longtemps, des ensembles aussi prestigieux que le Théâtre de Chaillot, le Palais de Tokyo ou bien encore le stupéfiant Palais de la Porte dorée se voyaient menacés de dommages irréparables. Ce livre est là pour les magnifier. On comprendra la qualité de ceºe période, ce qu’elle peut enseigner pour l’avenir, grâce aux belles photographies sensibles d’un reportage patient et aºentif commandé à notre ami Laurent Thion. Après Reims, Bordeaux, Pau, Saint-Quentin, Paris méritait que l’on meºe en avant ses joyaux. C’est à leur redécouverte que nous convie donc cet ouvrage dans une tentative d’inventaire d’un sujet trop riche pour être épuisé. EMMANUEL¤BRÉON Président d’Art déco de France

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CE N’EST PAS

UN DÉTAIL FERRONNERIE, MOSA�QUE, VITRAIL & DÉCOR SCULPTÉ

Ce qui fait l’intĂŠrĂŞt et la beautĂŠ des rĂŠalisations Art dĂŠco, c’est ce souci du dĂŠtail qui n’en est pas un et qui fait corps avec l’ensemble et le magnifie. Ă€ la diffĂŠrence des ÂŤÂ nudistes , les architectes Art dĂŠco recherchent des collaborations parmi les ferronniers, les mosaĂŻstes, les maĂŽtres verriers, les fresquistes et les sculpteurs. ÂŤÂ Nous ne pensons pas que le dĂŠtail soit vain ni que l’architecture puisse chanter sans lui , dĂŠclare Louis Brachet de la SociĂŠtĂŠ des architectes modernes qui a rĂŠalisĂŠ Le Village français Ă l’exposition de 1925. C’est une constance du style, on est heureux de travailler ensemble et de concert, que ce soit Ă l’agence du classique Roger-Henri Expert ou du moderniste Robert Mallet-Stevens. ÂŤÂ L’Architecture, clef de voĂťte de tous les Arts  est un leitmotiv que l’on retrouve scandĂŠ Ă la fresque ou sur les bas-reliefs de certains immeubles de la pĂŠriode comme celui de Janniot pour l’architecte Pierre Patout. Dans le domaine des mĂŠtiers de la dĂŠcoration intĂŠrieure, on inventa le terme d’ ÂŤÂ ensemblier , comme pour confirmer cet ĂŠtat d’esprit.

Pour embellir les ensembles, il ne s’agit pas de faire du placage sans fondement rĂŠel ou d’empiler les styles comme Ă la Belle Époque, mais de souligner les structures, de manière plutĂ´t sobre et discrète, et de concourir ainsi Ă l’harmonie de la construction. Adieu donc les contorsions de l’Art nouveau et ses fleurs exubĂŠrantes aux tiges enlacĂŠes. La ligne en coup de fouet fait place dĂŠsormais Ă la droite parallèle. Les motifs de corbeilles de fruits ou de fleurs, stylisĂŠs et gĂŠomĂŠtrisĂŠs, sont sagement introduits dans des cadres bien dĂŠlimitĂŠs. Ces derniers sont carrĂŠs, rectangulaires, circulaires, losangĂŠs ou bien encore – la plus utilisĂŠe des expressions â€“ octogonaux. Du soupirail Ă l’oculus, de la grille de la porte d’entrĂŠe d’immeuble au grand miroir du hall, l’octogone remporte la palme de ce concours des formes. Parmi les fleurs qui dominent l’emploi des autres, il y a la rose bien sĂťr ! Celle que Paul Iribe inventa pour les couturiers Jacques Doucet et Paul Poiret. Elle est simplifiĂŠe Ă l’extrĂŞme et devient l’Êtendard de l’Art dĂŠco. Elle va s’imposer aux

frontons imaginĂŠs par les sculpteurs ou pour le dessin des balcons et garde-corps produits par les maĂŽtres des forges.

PAGE DE GAUCHE CinÊma Rex (dÊtail) 1, boulevard poissonnière

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CI-CONTRE Immeuble d’habitation (dÊtail) 72, avenue de Versailles

PAGE DE DROITE LycÊe HÊlène-Boucher (dÊtail) 75, cours de Vincennes

LA FERRONNERIE La ferronnerie, plus que toute autre manifestation artistique, est le marqueur d’un style. En 1925, Henri Clouzot dĂŠclare que : ÂŤÂ Le fer forgĂŠ est le roi de l’exposition qui vient de fermer ses portes.  Il fut, en effet, portĂŠ Ă un niveau jamais aÂşeint dans notre pays. Son usage sera sans limites, ĂŠgayant les façades des immeubles, des boutiques ou grands magasins par des gardecorps, balustrades et grilles d’entrĂŠe ; ĂŠquipant les escaliers de somptueuses rampes ; pĂŠnĂŠtrant les intĂŠrieurs : porte-parapluies, pare-feu, consoles et luminaires. Le fer forgĂŠ est l’instrument d’une ambition nationale qui doit ĂŞtre la preuve du renouveau français en matière d’arts dĂŠcoratifs. Les champions du genre sont Brandt, Subes, Poillerat, Desvallières, Szabo, ProuvĂŠ, Schenck ou Nic frères. Certains vont conquĂŠrir toute l’Europe, puis les États-Unis, l’AmĂŠrique du Sud, la Chine, le Japon ou l’Australie. Ă€ Paris, la ferronnerie est omniprĂŠsente et compte de nombreuses rĂŠussites : les sièges des Banques Transatlantique et nationale de Paris, les palais nationaux, les ĂŠquipements publics et les ĂŠglises. Les Habitations Ă Bon MarchĂŠ ne sont pas oubliĂŠes et les ĂŽlots de ÂŤÂ la ceinture rouge , sur les boulevards des MarĂŠchaux, reçoivent des motifs dĂŠcoratifs tous diffĂŠrents. Ils viennent animer ces surfaces de briques, dont le calepinage recherchĂŠ joue aussi son rĂ´le de dĂŠcor. On peut encore admirer, boulevard Murat, le siège de l’entreprise d’Edgar Brandt, le maĂŽtre incontestĂŠ de la discipline. La porte de son ÂŤÂ show-room  – à ses initiales â€“ et les balustrades du grand balcon tĂŠmoignent toujours aujourd’hui de son talent et de sa maĂŽtrise. Après avoir travaillĂŠ pour JacquesÉmile Ruhlmann, notamment au Pavillon du Collectionneur de 1925, Edgar Brandt part ouvrir une succursale Ă New York pour satisfaire le marchĂŠ amĂŠricain très demandeur. Ă‡Ăˆ

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PARIS

CLASSIQUE

& MODERNE L’HABITAT CHIC OU POPULAIRE

S’il ĂŠtait sans doute difficile de se faire une place dans un Paris intra-muros que le public, dans sa grande majoritĂŠ, perçoit avant tout comme haussmannien, les architectes Art dĂŠco rĂŠpondirent prĂŠsents. La capitale leur a fourni un cadre original et unique pour la diffusion de leurs idĂŠes neuves, parfois radicales, mais toujours respectueuses, exprimĂŠes lorsqu’ils se confrontèrent au problème du logement. En 1925, la SociĂŠtĂŠ des architectes modernes, fondĂŠe par Henri Sauvage, Hector Guimard, Pierre SĂŠzille, Tony Selmersheim, Frantz Jourdain et Louis Brachet, a encore la main et de l’influence. Sa volontĂŠ est de se mĂŠfier des ingĂŠnieurs qui veulent prendre le pas sur l’architecte. On ne veut pas de squeleÂşes gĂŠomĂŠtriques, mais pas davantage des boursouflures acadĂŠmiques d’antan. L’Exposition internationale de Paris a ĂŠtĂŠ en cela un succès. Pour Mallet-Stevens : ÂŤÂ En 25, nouveautĂŠ, surprise pour le public qui, jamais en France, n’avait vu, en si grand, des constructions modernes‌  Ă€ Paris, dans la dĂŠcennie qui suit, on va donc pouvoir construire moderne. Si, malgrĂŠ leurs esthĂŠtiques diverses, les bâtiments peuvent cohabiter dans un ensemble harmonieux et cohĂŠrent, c’est que sans doute, Ă la diffĂŠrence de notre architecture contemporaine – ni belle, ni laide, mais qui veut ĂŞtre remarquĂŠe â€“, les architectes classiques ou modernistes proposent ÂŤÂ une architecture bien ĂŠlevĂŠe . Une solide tradition de qualitĂŠ ainsi que le respect d’un cadre foncier et rĂŠglementaire prĂŠcis les guident. Ces contraintes de hauteurs, d’alignements, de gabarits et de prospects les poussent Ă se surpasser pour que Paris puisse continuer d’être Paris, une ville oĂš il fait bon vivre.

Se faire une place dans le Paris d’Haussmann n’est donc pas aisĂŠ et les immeubles de rapport ne peuvent se dĂŠvelopper, dans leur grande majoritĂŠ, que vers le sud et l’ouest de la capitale. La petitesse des parcelles, frĂŠquemment de forme irrĂŠgulière, très souvent en angle, complique la tâche des architectes, mais est indĂŠniablement un puissant stimulant de leur imagination. On parlera d’architecture paquebot pour qualifier les Ĺ“uvres de certains tels Laprade, Mallet-Stevens et Debat-Ponsan qui font filer les ouvertures de leurs façades et les ponctuent souvent par des hublots. Pierre Patout avec son immeuble du boulevard Victor en est la plus belle des illustrations. Il a trouvĂŠ la solution pour tirer parti au maximum du terrain, rentabilitĂŠ oblige, tout en prĂŠservant les règles de composition qui doivent continuer Ă rĂŠgir son projet, telles que la symĂŠtrie ou le traitement d’angle. D’un point de vue stylistique, les contraintes du contexte parisien gomment les diffĂŠrences entre les tendances architecturales et les gĂŠnĂŠrations d’architectes. Les modernistes se plient volontiers Ă une composition classique, faite de symĂŠtrie, tandis que certains classiques – ĂŠlèves de l’École des beaux-arts et prix de Rome – adoptent un vocabulaire moderne tout en continuant de faire appel Ă la sculpture dĂŠcorative comme Joseph Marrast ou LĂŠon AzĂŠma. Le mĂŞme architecte peut parfois surprendre tel Roger-Henri Expert, auteur des villas nĂŠoclassiques d’Arcachon et de l’ambassade de France Ă Belgrade. Ă€ Paris, il a rĂŠalisĂŠ l’Êcole du groupe scolaire de la rue KĂźss (13e arrondissement) et les ateliers de l’École nationale des beaux-arts, rue Jacques-Callot, bâtiments Ă´ combien novateurs, avec leurs courbes ĂŠlĂŠgantes comme une politesse faite Ă leur environnement immĂŠdiat.

La plus grande prĂŠsence de l’habitat Art dĂŠco se situe sur la ceinture de Paris. La sociĂŠtĂŠ des Habitations Ă Bon MarchĂŠ, les fameuses HBM, lance pour une vingtaine d’annĂŠes un programme colossal de constructions sur les anciennes fortifications de la capitale. Tous les architectes de la pĂŠriode en seront les contributeurs. Pour Henri Sellier, l’un des grands artisans du logement social, il faut ÂŤÂ assurer Ă la classe des travailleurs un logement prĂŠsentant le maximum de confort matĂŠriel et de conditions d’hygiène . La ÂŤÂ zone , oĂš jouent les enfants immortalisĂŠs par Robert Doisneau, se voit ainsi remplacĂŠe par des ĂŽlots d’immeubles de six ĂŠtages qui ne sont pas sans charme, prĂŠsentant tous un dĂŠcor diffĂŠrenciĂŠ d’un astucieux calepinage de briques et de garde-corps ouvragĂŠs. L’effort est immense et Louis-Ferdinand CĂŠline en fera le constat dans Mort Ă crĂŠdit en 1936 : ÂŤÂ BientĂ´t ça ne sera plus partout que des demi-graÂşe-ciel terre cuite.  En 1950, Louis HautecĹ“ur, historien de l’art classique s’il en est, pouvait remarquer dans son panorama de l’architecture française : ÂŤÂ Le nudisme de 1920, quelque exagĂŠrĂŠ et systĂŠmatique qu’il fĂťt, n’aura pas ĂŠtĂŠ inutile. Il a imposĂŠ une cure de dĂŠsintoxication Ă une architecture envahie par le dĂŠcor et le dĂŠtail inutile ; il a tuĂŠ le pastiche ; il a permis au vĂŠritable esprit classique de se contenter de belles proportions, des lignes et des volumes simples, d’utiliser les matĂŠriaux nouveaux, de rĂŠpondre aux programmes posĂŠs par les conditions de notre existence.  PAGE DE GAUCHE Immeuble d’habitation (dĂŠtail) 80-78, avenue de Versailles

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PARIS

S’ÉQUIPE

MINISTĂˆRES, MAIRIES, POSTES, LYCÉES, ÉCOLES, CASERNES DE POMPIERS‌

La guerre terminĂŠe, la France entreprend prioritairement la reconstruction des rĂŠgions libĂŠrĂŠes, mais poursuit ĂŠgalement la construction de nombreux programmes publics interrompus par le conflit. Ă€ Paris, il s’agira avant tout de l’Êducation, de la santĂŠ, de la voirie et de tout ce qui concerne les dernières inventions. Les avancĂŠes techniques ont produit de multiples besoins. Les architectes doivent inventer des garages pour prĂŠsenter les nouveaux modèles, des stations-service pour alimenter l’automobile qui n’effraie pas seulement le piĂŠton parisien, mais ĂŠgalement les hippomobiles toujours en circulation. La voirie se modernise et le percement de tunnels pour amĂŠliorer les sorties de la capitale est dĂŠjĂ Ă l’Êtude. Le premier sera celui de la colline de Saint-Cloud. S’il n’y a pas d’aĂŠroport Ă Paris – une piste de dĂŠcollage sur l’Île aux cygnes non loin de la tour Eiffel avait cependant ĂŠtĂŠ imaginĂŠe â€“, on installe, boulevard Victor, l’École nationale supĂŠrieure de l’aĂŠronautique dĂŠcorĂŠe de bas-reliefs d’Henri Bouchard, l’auteur du grand Apollon et ses muses du Palais de Chaillot. Pour se dĂŠplacer Ă Paris, le mĂŠtro s’Êtend. Si les cĂŠlèbres ĂŠdicules Art nouveau d’Hector Guimard sont davantage connus, Charles Plumet, architecte en chef de l’Exposition de 1925, en signe d’ÊlĂŠgants Ă chapeaux cloches et dĂŠcor de mosaĂŻque comme celui de la porte des Lilas. Son ami Adolphe Dervaux de la SociĂŠtĂŠ des architectes modernes, auteur des gares de Rouen et Biarritz, quant Ă lui, rĂŠalise la station de mĂŠtro Vaneau. Il l’a ĂŠquipĂŠe de son fameux candĂŠlabre, en ferronnerie surmontĂŠe d’une boule blanche, enseigne aux leÂşres blanches sur fond rouge du mot ÂŤÂ MĂŠtro . ÉclairĂŠs la nuit, ces candĂŠlabres qui portent le nom de leur crĂŠateur marquent toujours le paysage parisien. Ils

ont inspirĂŠ des artistes, tel Augustin Rouart qui en fit le sujet unique de l’un de ses tableaux. Pour les ĂŠcoles ĂŠlĂŠmentaires, les collèges et les lycĂŠes, les ĂŠdiles demandent de ÂŤÂ l’air et de la lumière , car la tuberculose fait des ravages. Les architectes percent alors leurs ĂŠlĂŠgants bâtiments de briques de très grandes baies filantes et de toits-terrasses pour favoriser la gymnastique de plein air. Trois rĂŠussites en ce domaine sont Ă citer : le groupe scolaire de la rue des Morillons de Pierre Sardou, agrĂŠmentĂŠ de frises d’enfants polychromes du sculpteur Henri Navarre ; le lycĂŠe HĂŠlène-Boucher de Lucien Sallez qui arbore fièrement, sur le cours de Vincennes, la verrière moderniste conçue par Louis Barillet ; l’Êcole de la rue KĂźss de Roger-Henri Expert dessinĂŠe comme un paquebot transatlantique. Ce n’est pas ĂŠtonnant, car il est l’une des signatures majeures du Normandie pour lequel il exĂŠcuta la magnifique descente du grand escalier menant au fumoir et vers les somptueux salons et salles Ă manger. La CitĂŠ universitaire, dans un parc paysagĂŠ de trente-quatre hectares, regroupe des chefsd’œuvre d’architecture Art dĂŠco, d’esthĂŠtiques totalement diffĂŠrentes. Ses fondateurs, porteurs d’un idĂŠal humaniste issu de la Première Guerre mondiale, souhaitaient contribuer Ă l’entente entre les peuples, en faisant se rencontrer les jeunes ĂŠlites de plus de cent trente nationalitĂŠs. Le collège nĂŠerlandais de Willem-Marinus Dudok, nouvellement restaurĂŠ, est un jeu de masses claires articulĂŠes, dominĂŠ par un beffroi spectaculaire qui se rapproche des rĂŠalisations de Mallet-Stevens. Son grand salon, dĂŠcorĂŠ d’immenses cartes stylisĂŠes par Doeve, est meublĂŠ par l’architecte selon les conceptions de Frank Lloyd Wright. Dans un tout autre genre, le talen-

tueux Albert Laprade exĂŠcute la splendide Maison de Cuba en revisitant avec brio le style colonial espagnol courant Ă La Havane. C’est un morceau de bravoure qui surclasse avec panache d’autres pavillons, bien ternes et pauvres de composition du style international prĂŠsents sur les lieux. L’automatisation du tĂŠlĂŠphone amène Ă confirmer officiellement, par une loi de 1925, l’appellation des PTT qui recouvre postes, tĂŠlĂŠgraphes et tĂŠlĂŠphones. En 1929, la crĂŠation d’un ministère leur est dĂŠdiĂŠe et c’est Ă Jacques Debat-Ponsan que l’on confie la construction du siège de la toute nouvelle Direction des Services tĂŠlĂŠphoniques de Paris, rue de Vaugirard. Il s’agit du chef-d’œuvre de sa carrière, avec son collège lumineux du pont de Sèvres. L’administration des Postes a ses propres architectes qui, depuis 1923, sont rĂŠpartis dans chacun des quinze chefs-lieux de rĂŠgions postales. Ă€ Paris, chaque quartier voit surgir un bureau de poste Art dĂŠco. Ils ont malheureusement presque tous disparu comme celui du boulevard Haussmann ornĂŠ par Marthe Flandrin et Élisabeth Faure ou celui de l’avenue Daumesnil dĂŠcorĂŠ par Louis Rigal, auteur du plafond du Salon de L’HĂ´tel du Collectionneur de Ruhlmann, pavillon emblĂŠmatique de l’exposition de 1925. Pour ĂŠviter que le 16e arrondissement ne flambe, une caserne de pompiers a ĂŠtĂŠ construite, rue Mesnil, par Robert Mallet-Stevens. C’est une première pour l’architecte dans le domaine des services publics. Lui qui affectionne les beffrois a sans doute eu plaisir Ă concevoir ceÂşe tour de guet qui domine sa composition Ă rĂŠsonance cubiste. PAGE DE GAUCHE Bureau de poste (dĂŠtail) 22, rue de Provence

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PARIS

COMMERCE BANQUES, ENTREPRISES, BOUTIQUES & GRANDS MAGASINS

Dans son film L’Argent, Marcel L’Herbier est le premier Ă prĂŠsenter une architecture Art dĂŠco au cinĂŠma. AdaptĂŠ du roman d’Émile Zola, il met en scène l’actrice BrigiÂşe Helm dans un hĂ´tel particulier moderniste en carton-pâte imaginĂŠ par Mallet-Stevens. Les symboles de la modernitĂŠ, tĂŠlĂŠphone, automobile, ĂŠclairage, meubles chics sont tous rĂŠunis autour de ceÂşe garçonne, blonde et fĂŠline. Encore muet, le film fascina les spectateurs de l’Êpoque et la scène de panique Ă la Bourse est un morceau d’anthologie. Avant le krach boursier de Wall Street de 1929, qui n’aÂşeint la France qu’en 1931, il est raisonnable de confier son argent Ă une banque. L’Art dĂŠco s’empare de ce sujet sĂŠrieux et le pays, outre le renouveau des maisons mères, se couvre de succursales et d’agences modernistes. FondĂŠe en 1881 par Eugène Pereire, prĂŠsident de la Compagnie gĂŠnĂŠrale transatlantique Ă l’origine du renouvellement d’une floÂşe de paquebots de lĂŠgende comme le Normandie, la Banque Transatlantique s’installe en 2000 dans les locaux de l’ancienne Banque Scalbert-Dupont. Son prĂŠsident, avec l’adhĂŠsion de ceux qui y travaillent, en garde jalousement et soigneusement les dĂŠcors, Ă ce jour inĂŠdits et parmi les plus beaux conservĂŠs de Paris. Conçu par l’architecte Joseph Marrast, l’une des grandes signatures de l’Art dĂŠco, l’immeuble prĂŠsente une façade sobre en pierre de taille de six ĂŠtages surmontĂŠe d’un fronton du sculpteur Jules Sylvestre, ĂŠlève et praticien de Paul Landowski. L’ossature de l’Êdifice est en bĂŠton armĂŠ Hennebique qui, sur la cour intĂŠrieure autour de laquelle se rĂŠpartissent les bureaux, est revĂŞtu d’un habile et harmonieux parement de briques qui confère un air ÂŤÂ hollandais  Ă ceÂşe partie cachĂŠe de l’Êdifice. Les fenĂŞtres Ă petits carreaux accentuent ceÂşe impression. L’ensemble des verrières et de la miroiterie a ĂŠtĂŠ rĂŠalisĂŠ, comme nous le confirment

les archives, par la Maison des glaces de Saint-Gobain. Une grande porte magistrale dessinĂŠe par le ferronnier Raymond Subes permet d’entrer dans la banque. La salle des guichets, conservĂŠe presque intacte, de marbre noir et d’or, est un chef-d’œuvre du genre comme la salle des coffres, en sous-sol, qui possède, comme il se doit, une porte blindĂŠe monumentale, spectaculaire et inviolable. On accède Ă ceÂşe dernière par un escalier qui rĂŠvèle encore l’immense talent de Raymond Subes. Dans les ĂŠtages supĂŠrieurs sont rĂŠpartis les espaces accueillant les bureaux du personnel et de la direction de l’Êtablissement. Deux grandes pièces forcent l’admiration, car elles ont conservĂŠ, avec le bureau du prĂŠsident, leur dĂŠcor intact : la salle du conseil d’administration, avec ses boiseries, divans-canapĂŠs surmontĂŠs d’immenses cartes gĂŠographiques peintes – l’une prĂŠsentant les Hauts-de-France, l’autre, les grandes parties du monde –, le magnifique tapis-moqueÂşe d’Ivan da Silva-Bruhns et les luminaires de Jean Perzel, crĂŠateur d’Êclairage d’exception depuis 1923 ; une salle Ă manger ĂŠlĂŠgante, avec ses boiseries de sycomore blond, tables et chaises Art dĂŠco en accord de tons, et, aux extrĂŠmitĂŠs de la pièce, deux grands panneaux marquetĂŠs Ă dĂŠcor d’oiseaux blancs, cacatoès et perruches. En 1926, la Banque nationale de crĂŠdit fait appel pour son siège Ă l’architecte Charles Letrosne qui s’est associĂŠ Ă Joseph Marrast. ÉdifiĂŠ sur un ĂŽlot complet des grands boulevards avec ÂŤÂ tous les perfectionnements de l’industrie moderne , bâti sur cinq ĂŠtages plus trois conçus en gradins, ce qui lui donne une allure de paquebot, le nouveau bâtiment illustre la puissance des institutions bancaires dans le quartier de la ChaussĂŠe d’Antin. La lĂŠgende veut qu’un orchestre soit venu de New York pour jouer sur le toit le jour de son inauguration en 1932. Les grands magasins jouent un rĂ´le dĂŠterminant dans la diffusion de l’Art dĂŠco.

Ă€ Paris, Henri Sauvage est choisi pour l’agrandissement du magasin La Samaritaine. Il lui est demandĂŠ d’assurer la modernisation de la façade sur Seine, conçue par Frantz Jourdain, dont le style Art nouveau ne plaĂŽt plus. Ă€ Louis-Hippolyte Boileau est confiĂŠe l’extension du Bon-MarchĂŠ. Ă€ l’angle de la rue de Sèvres et de la rue du Bac, l’architecte dĂŠveloppe une belle façade arrondie sur l’angle qui reçoit un ĂŠlĂŠgant auvent Art dĂŠco de mĂŠtal et de verre. Ă€ l’intĂŠrieur, Paul Follot, le directeur de la ligne de dĂŠcoration de la maison Pomone, y expose ses crĂŠations. L’aventure est un succès et il est invitĂŠ par les Britanniques, en retard d’une mode, Ă moderniser les crĂŠations de leur firme d’ameublement Warren & Gillow. Quand on n’a plus d’argent, on se met parfois Ă fumer ! Le tabac de monsieur Nicot est un palliatif Ă l’ennui. Le Service d’exploitation industrielle des tabacs, plus connu sous ses initiales de SEITA, est donc crĂŠĂŠ en 1926 par Raymond PoincarĂŠ. Le nouveau monopole a besoin d’un siège flambant neuf. S’Êrige alors un immeuble de bureaux cossus en pierre de taille, dĂŠcorĂŠ de ferronneries aux armes de l’entreprise. Ă€ l’intĂŠrieur, Max Ingrand et Pierre Bobot proposent une belle verrière gravĂŠe et un immense panneau de laque dorĂŠ ĂŠvoquant l’histoire du tabac. La lecture d’un journal accompagne souvent la cigareÂşe ! En 1920, L’Intransigeant se veut le plus grand quotidien du soir avec un tirage qui avoisine les 400 000 exemplaires. En 1929, son nouveau siège est dĂŠcidĂŠ et confiĂŠ Ă Pierre Sardou qui signe, sur la rue RĂŠaumur, une façade nĂŠoclassique d’envergure. Ses frontons, sculptĂŠs par Henri Navarre, ĂŠvoquent les mĂŠtiers de la presse tandis que le grand portail d’entrĂŠe par Edgar Brandt, illustre les nouveaux transports. PAGE DE GAUCHE Banque L. Dupont & Cie (dĂŠtail) Banque Transatlantique 26, avenue Franklin-D.-Roosevelt Ă‡ĂˆĂ?

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EST UNE FÊTE RESTAURANTS, CABARETS, THÉÂTRES, MUSIC-HALLS & CINÉMAS

En aoĂťt 1925, le journaliste new-yorkais du Decorative furnisher parle de Paris et de son Exposition internationale comme d’une ÂŤÂ fĂŠerie scintillante  ! Les cascades lumineuses qui tombent du pont Alexandre-III, les quatre tours de Charles Plumet aux restaurants panoramiques, les promenades en Électrocar Renault, la mise en lumière de la tour Eiffel par CitroĂŤn, la première de la Revue nègre au ThÊâtre des Champs-ÉlysĂŠes, tout contribue Ă faire de Paris la capitale des plaisirs et de la fĂŞte dont Ernest Hemingway vantera les mĂŠrites dans un livre Ă venir. Avec le ThÊâtre des Champs-ÉlysĂŠes, Auguste Perret a ouvert le bal de l’Art dĂŠco le premier. En 1913, par cet ouvrage novateur de bĂŠton, il accède Ă une simple modernitĂŠ. La façade exprime la logique structurelle de l’Êdifice, sans fioritures. Seuls des ĂŠlĂŠments architectoniques, comme les fenĂŞtres, sont soulignĂŠs d’or. L’architecte l’affirme : ÂŤÂ Pour aÂşeindre au style, il faut d’abord supprimer tout ce qui est superflu.  Le music-hall connaĂŽt un nouveau succès et les Folies-Bergère figurent parmi les très belles rĂŠussites avec une façade devenue un symbole de l’Art dĂŠco, un bas-relief immense de Maurice Picaud figurant la danseuse Anita Barka sur un fond gĂŠomĂŠtrique dorĂŠ. Paul Derval y imagine des revues proposant aux spectateurs une dĂŠbauche de costumes, de dĂŠcors, d’effets spĂŠciaux meÂşant en valeur sa troupe de girls anglaises. JosĂŠphine Baker y danse son cĂŠlèbre charleston endiablĂŠ pour la Revue nègre de 1926. Près des grands boulevards, une modeste façade percĂŠe de petites fenĂŞtres octogonales cache l’une des plus grandes salles de Paris. Le thÊâtre de La Michodière, du nom de la rue, est construit en 1925 par Auguste Bluysen. Son dĂŠcor intĂŠrieur, rouge et or, rĂŠalisĂŠ Ă l’origine par Jacques-Émile

Ruhlmann a conquis un public venu applaudir nombre de cĂŠlĂŠbritĂŠs : Harry Baur, Denise Grey, Yvonne Printemps et Pierre Fresnay. De façon plus modeste, le thÊâtre des MenusPlaisirs, aujourd’hui ComĂŠdie de Paris, est modernisĂŠ en 1929 par Georges-Henri Pingusson pour accueillir un cabaret de 300 places. Sa façade presque aveugle, couronnĂŠe d’une imposante corniche, est percĂŠe de hublots alignĂŠs, confĂŠrant Ă l’ensemble une allure de paquebot voulue par l’architecte. Depuis les frères Lumière, le cinĂŠma a fait de grands progrès. DĂŠjĂ colorisĂŠ, bientĂ´t parlant, il devient pendant l’entre-deux-guerres le spectacle populaire par excellence. Mais quel cadre donner Ă ces salles obscures ? Au dĂŠpart, au mieux, elles ont pris place dans des thÊâtres ou salles des fĂŞtes amĂŠnagĂŠes pour les sĂŠances. Mais bientĂ´t, Paris et chaque commune de France disposent de salles signalĂŠes par une façade Art dĂŠco. Dès 1920, deux cinĂŠmas se font ainsi remarquer : le Gambe‚a Palace d’Henri Sauvage et le Louxor d’Henri Ripey, de style nĂŠo-ĂŠgyptien. Si les façades dĂŠfraient la chronique, la salle ellemĂŞme va participer au spectacle. Les AmĂŠricains inventent les salles ÂŤÂ atmosphĂŠriques , oĂš les dĂŠcors, issus d’un imaginaire Ă l’historicisme fantaisiste, accompagnent le spectateur pendant les entractes. Le Rex d’Auguste Bluysen tĂŠmoigne de ceÂşe approche oĂš la spectatrice dĂŠpose d’abord son pĂŠkinois au chenil, rafraĂŽchit son carrĂŠ au salon de coiffure de l’Êtablissement avant d’aÂşendre son quidam devant un Dubonnet au bar musical dĂŠcorĂŠ par Maurice DufrĂŞne et d’entrer finalement en salle. En 1932, c’est une nouvelle rĂŠvolution. Henri Belloc, l’architecte du Gaumont Palace, cinĂŠma de 6 000 places annoncĂŠ comme le plus grand du monde, utilise tous les artifices de l’ÊlectricitĂŠ

et abandonne les dĂŠcors : lignes continues des gorges superposĂŠes de nĂŠons et ĂŠclairage indirect dont les couleurs changeantes font l’atmosphère. La signalĂŠtique s’empare de la façade qui prend une dimension nocturne photographiĂŠe magnifiquement par BrassaĂŻ dans Paris de nuit. Pour ĂŠcouter de la musique, il faut aller Salle Pleyel construite en 1926. L’acoustique y est exceptionnelle et le Tout-Paris s’y presse pour assister Ă des concerts mĂŠmorables. Après le spectacle, on se restaure. Temple de l’Art dĂŠco, La Coupole aux mosaĂŻques cubistes, aux piliers peints par les artistes eux-mĂŞmes, aux boiseries ĂŠlĂŠgantes, aux lustres modernistes de Perzel, accueille tous les soirs, artistes et grandes figures des arts du spectacle : Kiki et Foujita, JosĂŠphine Baker et Georges Simenon, Soutine et Chagall, Lipchitz ou Arbit Blatas. Les Montparnos frĂŠquentent aussi La Rotonde, Le Select ou Le DĂ´me. Le quartier de Montparnasse, grâce Ă eux, devient une lĂŠgende. En 1925, Émile Prunier inaugure son restaurant de fruits de mer, autre chef-d’œuvre. L’architecte Louis-Hippolyte Boileau a convoquĂŠ toute une ĂŠquipe de talents : le mosaĂŻste Labouret, le sculpteur Le Bourgeois et le verrier Binet. Le peintre Mathurin MĂŠheut apporte sa touche en crĂŠant un service de table. Preuve de la grande rĂŠputation du restaurant, les aviateurs Nungesser et Coli, en 1927, pour leur première traversĂŠe transatlantique, tiennent Ă emporter avec eux une boĂŽte de caviar de la maison. PAGE DE GAUCHE ThÊâtre des Folies-Bergère (dĂŠtail) 32, rue Richer

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SE DÉTEND FONTAINES & JARDINS,

Mais oĂš donc se rafraĂŽchir dans la capitale en ceÂşe pĂŠriode trĂŠpidante des AnnĂŠes folles ? Ă€ la magnifique piscine en brique rouge de la BuÂşeaux-Cailles, achevĂŠe en 1924 par Louis Bonnier ? Les annĂŠes 1920-1930 voient l’Êclosion d’une quinzaine de piscines dans les quartiers de la capitale. Il faut dire que le retard en la matière par rapport aux voisins europĂŠens est très important. C’est dans le complexe nautique d’Auteuil, Ă proximitĂŠ du bois de Boulogne, dans le 16e arrondissement de Paris, que les habituĂŠs de la natation et des bains de soleil se retrouvent en toute convivialitĂŠ. L’architecte Lucien Pollet s’inspire pour la construction de la piscine Molitor du travail de Robert Mallet-Stevens. Il fait appel aux plus grands artisans de l’Êpoque, dont le maĂŽtre verrier Louis Barillet, entre autres, qui sera chargĂŠ des vitraux et de la grande verrière, Ă motifs de baigneuses. Un bassin couvert de trente-trois mètres et un bassin extĂŠrieur de cinquante mètres accueillent une foule de nageurs. Trois ĂŠtages de cabines bleues et de balustrades blanches, avec une dĂŠcoration dans le pur style Art dĂŠco, donnent Ă l’Êdifice un aspect moderniste, oĂš il fait bon s’exercer au crawl, nouvelle nage Ă la mode. ArrivĂŠ l’hiver, le bassin extĂŠrieur est transformĂŠ en patinoire gĂŠante. SurnommĂŠe le ÂŤÂ Paquebot blanc , en rĂŠfĂŠrence notamment Ă ses fenĂŞtres en forme de hublots, la piscine Molitor est inaugurĂŠe en 1929 par les mĂŠdaillĂŠs olympiques amĂŠricains parmi lesquels Johnny

PISCINES & ZOO

Weissmuller. Ce dernier est demeurĂŠ cĂŠlèbre dans le monde du cinĂŠma pour avoir interprĂŠtĂŠ, puis incarnĂŠ le fameux Tarzan des annĂŠes trente. Si l’on ne sait pas nager, on peut se rafraĂŽchir auprès des fontaines de la capitale. La fontaine est un motif, qui, stylisĂŠ, est l’un des plus reprĂŠsentatifs de l’Art dĂŠco : la fontaine de Lalique en pâte de verre Ă l’Exposition de 1925 en est sans doute un exemple caractĂŠristique ou celle jaillissante d’Edgar Brandt, en bronze, qui orne la porte de la Silk Cheney Company de New York. En 1929, le concours pour l’amĂŠnagement de la porte de Saint-Cloud est remportĂŠ par les architectes Billard et Pommier qui sollicitent le sculpteur Paul Landowski pour la dĂŠcoration de deux fontaines monumentales initialement prĂŠvues en verre. Les deux grands cylindres de dix mètres de hauteur reçoivent un beau dĂŠcor de bas-reliefs ĂŠvoquant Le Travail Ă la ville et Le Travail Ă la campagne. Malheureusement aujourd’hui, par manque d’entretien, l’eau n’y coule plus. En 1931, l’ensemble des fontaines lumineuses conçues Ă l’occasion de l’Exposition coloniale de Paris par les architectes AndrĂŠ Granet et Roger-Henri Expert, sert de support aux Nuits coloniales, qui marquent l’ouverture nocturne de l’exposition au public. En 1937, les mĂŞmes architectes rĂŠalisent l’amĂŠnagement des jardins du Palais de Chaillot et installent sur le grand bassin central un canon Ă eau qui fait toujours aujourd’hui l’admiration et la joie des touristes.

Ă€ l’Exposition des arts dĂŠcoratifs de 1925, le jardin est mis Ă l’honneur. Des architectes comme Albert Laprade ou Joseph Marrast proposent d’agrĂŠables rĂŠalisations qui seront parfois vendues aux AmĂŠricains. Aujourd’hui, pour se promener et s’immerger dans un parc Art dĂŠco, il faut aller dans le 19e arrondissement de Paris pour admirer celui composĂŠ par l’architecte LĂŠon AzĂŠma sur la BuÂşe du Chapeau rouge. Une sculpture de 1937 qui ornait l’une des entrĂŠes de l’Exposition (un joli nu fĂŠminin de Raymond Couvègnes) veille dĂŠsormais sur les fontaines en cascade de cet ĂŠlĂŠgant jardin. En 1924, les jeux Olympiques de Paris se sont surtout dĂŠroulĂŠs au nouveau stade de Colombes. C’est en effet Ă sa pĂŠriphĂŠrie et Ă la banlieue que les ĂŠdiles parisiens confient et confinent la pratique des sports. Si les Jeux qui sont un grand succès ont accĂŠlĂŠrĂŠ la crĂŠation de nouveaux ĂŠquipements, il ne reste plus grand-chose des stades mythiques de l’Êpoque : CharlĂŠty, JeanBouin, Coubertin, Parc des Princes, VĂŠlodrome ou bien encore Roland-Garros oĂš s’illustrèrent les ÂŤÂ Mousquetaires  et la talentueuse Suzanne Lenglen qui joue son tennis en ÂŤÂ sportwear  de chez Jean Patou. PAGE DE GAUCHE Palais de Tokyo - Palais des musĂŠes d’Art moderne (dĂŠtail)

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MÉDITE

Pour l’Église de l’entre-deux-guerres, sĂŠparĂŠe depuis 1905 de l’État, il faut faire face Ă deux problèmes essentiels : reconstruire Ă tout prix les ĂŠglises dĂŠvastĂŠes par la Première Guerre mondiale et ĂŠvangĂŠliser les banlieues des grandes villes de France oĂš la classe ouvrière est livrĂŠe Ă elle-mĂŞme. Ă€ l’œuvre des ÂŤÂ Chapelles de secours  qui ne suffit plus vont succĂŠder ÂŤÂ Les Chantiers du Cardinal . En 1931, Jean Verdier a promis la construction de cent ĂŠglises dont le pavillon pontifical de l’Exposition internationale de 1937 doit ĂŞtre l’aboutissement. On l’appellera le ÂŤÂ cardinal aux cent clochers . Ses chantiers sont devancĂŠs souvent par des initiatives particulières de ÂŤÂ curĂŠs de choc  qui vont prendre de court leur propre hiĂŠrarchie. Le père Lhande avec son Christ dans la banlieue a suscitĂŠ bien des vocations de bâtisseurs. L’abbĂŠ David se retrousse les manches Ă Sainte-Agnès de Maisons-Alfort, l’abbĂŠ Lieubray, Ă Sainte-ThĂŠrèse de Boulogne-Billancourt, Monseigneur Loutil dit Pierre l’ermite Ă Sainte-Odile de la porte de Champerret.

De l’autre cĂ´tĂŠ des fortifications de la capitale, de nouvelles paroisses sont implantĂŠes. Le dialogue parfois difficile est cependant amorcĂŠ. Le père TouzĂŠ, administrateur des ÂŤÂ Chantiers du Cardinal , en noue un fructueux avec Henri Sellier, maire de Suresnes, promoteur des citĂŠs-jardins et des Habitations Ă Bon MarchĂŠ. En quelque sorte, c’est la rencontre de Don Camillo et de Peppone, en version originale. Paris verra fleurir ainsi un très grand nombre d’Êglises Art dĂŠco qui ne sont pas sans qualitĂŠÂ : l’originale Saint-Christophe de Javel, l’historisante Saint-Ferdinand des Ternes, la spectaculaire et austère Saint-Pierre de Chaillot, la modeste Saint-Antoine de Padoue ou l’Êtonnante et toute de briques vĂŞtue Sainte-Odile dont le clocher est le plus haut de la capitale. L’Êglise du Saint-Esprit, avenue Daumesnil, construite par Paul Tournon, en 1934, est un sommet du genre. Une Sainte-Sophie de Constantinople parisienne, dont la coupole culmine Ă trente-trois mètres, rĂŠunissant les plus grands fresquistes du moment :

Maurice Denis, Jean Dupas, Marthe Flandrin ou Georges Desvallières, Henri Marret, Henri de Maistre, Louis Bouquet, Nicolas Untersteller, Eugène-Robert PoughĂŠon, Valentine Reyre ; les sculpteurs Jan et JoĂŤl Martel, Roger de Villiers, Carlo Sarrabezolles. S’il est une ĂŠglise Ă visiter dans Paris, c’est bien celle-lĂ Â ! En effet, elle est le rĂŠsumĂŠ magistral et vivant de la ferveur artistique d’une ĂŠpoque. Il faut se convaincre de cela, car l’Église a aussi ses modes et en oublie parfois ses enfants.

PAGE DE GAUCHE Église du Saint-Esprit (dÊtail) 186, avenue Daumesnil

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DES ARTISTES

ET ARTISANS ATELIERS & FABRIQUES

La venue en France d’artistes ĂŠtrangers – jeunes ou moins jeunes – aÂşirĂŠs par Paris ÂŤÂ capitale des arts  est un phĂŠnomène ancien, mais qui prendra, au tout dĂŠbut du ď?¸ď?¸e siècle, une ampleur considĂŠrable. Peintres et sculpteurs se regroupent Ă Montmartre au Bateau-Lavoir ou dans le haut-Vaugirard, notamment Ă la Ruche, mythique regroupement d’ateliers dont Soutine ou Modigliani furent locataires. Les artistes venaient pour la plupart d’Europe centrale et orientale, fuyant des conditions sociales ĂŠpouvantables et, plus encore peut-ĂŞtre, un milieu culturel ancestral hostile aux images. On aurait pu croire que la guerre de 1914-1918 et l’ambiance cocardière qui suivit eurent provoquĂŠ un reflux. Il n’en est rien. Paris se montre toujours aÂşirant et accueillant pour ces artistes ĂŠtrangers qui formeront ce que l’on a appelĂŠ l’Êcole de Paris et qui frĂŠquentent dĂŠsormais Montparnasse. Sentant brĂťler leur gangue, les Roumains, Yougoslaves, Russes, Hongrois, Polonais, Lituaniens, rares Italiens et Espagnols prirent conscience, au contact de leurs

confrères parisiens, de leurs qualitĂŠs naturelles. On pourrait dire, comme Jacques Lassaigne l’Êcrira en 1946, qu’ils apportèrent ÂŤÂ un levain neuf dans la vieille pâte de nos couleurs . Pour les accueillir, des immeubles-ateliers fleurissent un peu partout, rue Campagne-première, rue Cassini, rue Delambre, rue Froidevaux ou bien encore rue de la CitĂŠ-universitaire. Ils furent habitĂŠs par les plus chanceux, voire mĂŞme ÂŤÂ les people  de l’Êpoque tels Ernest Hemingway, Francis ScoÂş Fitzgerald, Isadora Duncan, ou les aviateurs Jean Mermoz et Maryse BastiĂŠ. Pour les moins fortunĂŠs, ce sera la dĂŠbrouille dans les cabanes d’artisans ou les ateliers proposĂŠs nouvellement par les HBM qui en concentrèrent quelques-uns dans leurs toits, sur la ceinture rouge de la capitale. Ceux qui avaient vraiment rĂŠussi purent construire par des amis architectes : les frères jumeaux Jan et JoĂŤl Martel choisissent Robert Mallet-Stevens tandis que la sculptrice Chana Orloff jeÂşe son dĂŠvolu sur Auguste Perret dont elle fit un portrait très convaincant.

Les dĂŠcorateurs et artisans avaient besoin de place et certains de leurs ateliers serviront de ÂŤÂ show-room . Si Louis SĂźe se construit le sien, Paul Follot, le dĂŠcorateur de Pomone, se fait conseiller par Tony Selmersheim ; Louis Barillet demande un ambitieux hĂ´tel particulier Ă Robert Mallet-Stevens ; RenĂŠ Prou installe son agence dans l’immeuble Studio-building d’Henri Sauvage tandis qu’Edgar Brandt fait bâtir la sienne pour regrouper, tout Ă la fois, ses ateliers de ferronnerie et son magasin de prĂŠsentation.

PAGE DE GAUCHE Immeuble  Studio Hôtel  (dÊtail) 9, rue Delambre

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LES

GRANDS DECORS

Les grands dĂŠcors sont ces lieux oĂš une ĂŠpoque a donnĂŠ le meilleur d’elle-mĂŞme. Ils sont des sommets d’excellence. Ils sont incontestables et pourtant ils sont contestĂŠs. On les pense immuables et pourtant ils sont fragiles. Le musĂŠe permanent des Colonies est construit pour l’Exposition internationale de 1931. ConfiĂŠ Ă l’origine Ă LĂŠon Jaussely, auquel est bientĂ´t adjoint Albert Laprade, c’est surtout Ă ce dernier, assistĂŠ de LĂŠon Bazin, que l’on doit l’architecture du Palais. C’est aujourd’hui le plus bel ensemble Art dĂŠco français, auquel ont naturellement participĂŠ de nombreux artistes : pour ne citer que les plus importants, Alfred Janniot pour la tapisserie de pierre situĂŠe derrière la colonnade, Roger Ducos de La Haille pour les fresques du grand hall, Jacques-Émile Ruhlmann et Eugène Printz pour les ensembles mobiliers des deux salons d’angle, Jean ProuvĂŠ, Edgar Brandt, Raymond Subes pour les ferronneries, Gentil et Bourdet pour les carrelages et les mosaĂŻques. La vocation première de cet ĂŠdifice, l’emplacement Ă l’Êcart des circuits musĂŠaux de la capitale sont sans doute Ă l’origine de l’absence de reconnaissance de la qualitĂŠ artistique et historique du Palais, et du sommeil dans lequel est tombĂŠe ceÂşe Belle au bois dormant. La transformation ou le remplacement du vieux palais du TrocadĂŠro, construit pour l’Exposition universelle de 1878 par l’architecte Davioud, a fait l’objet de plusieurs propositions dont la plus connue est celle d’Auguste Perret. C’est finalement l’Êquipe de Jacques Carlu, LĂŠon AzĂŠma et Louis-Hippolyte Boileau qui est choisie.

Compte tenu des dĂŠlais, Ă l’approche de l’Exposition de 1937, Jacques Carlu a la bonne idĂŠe – une proposition de 1934 ĂŠmise avec son confrère Mallet-Stevens â€“ de dĂŠmolir la grande salle centrale de concert et de doubler les ailes du palais de Davioud. La salle de concert est remplacĂŠe par un amphithÊâtre enterrĂŠ sous la terrasse, qui, ainsi dĂŠgagĂŠe entre les deux ailes, s’ouvre vers la tour Eiffel. CeÂşe grande terrasse urbaine offre toujours aujourd’hui aux touristes un extraordinaire panorama sur les jardins du TrocadĂŠro, dont les bassins et les fontaines ont ĂŠtĂŠ dessinĂŠs par les architectes Roger-Henri Expert et AndrĂŠ Granet. Le Palais de Chaillot est une architecture d’inspiration ÂŤÂ amĂŠricaine  ou ÂŤÂ Washingtonienne . Au moment de sa conception, Jacques Carlu revenait des États-Unis oĂš il avait conçu les amĂŠnagements des grands magasins Eaton Ă New York, Toronto et MontrĂŠal. Il donnera donc Ă son chefd’œuvre des proportions jamais vues en France. Le programme dĂŠcoratif du Palais et de ses jardins, confiĂŠ Ă de nombreux artistes, peintres, sculpteurs et ferronniers, est exceptionnel, et correspond aux objectifs dĂŠmonstratifs que souhaite donner la RĂŠpublique Ă un palais Ă vocation culturelle. Au-delĂ du ThÊâtre national populaire, somptueusement dĂŠcorĂŠ de fresques et de sculptures, le bâtiment abrite plusieurs musĂŠes, celui des Monuments français, celui de la Marine et le musĂŠe de l’Homme, qui propose une approche nouvelle de l’ethnographie. Le Palais de Chaillot apparaĂŽt ainsi tout Ă la fois tenir de l’Art dĂŠco et du nĂŠoclassicisme, dans une expression architec-

turale mesurĂŠe, hiĂŠratique, mais populaire, pĂŠdagogique, ouvrant ses bras vers la Seine et Paris, Ă l’opposĂŠ de la conception des ĂŠdifices dits fascistes, auquel il est souvent comparĂŠ. Dans une mĂŞme veine et au mĂŞme moment, le musĂŠe d’Art moderne, appelĂŠ Palais de Tokyo, voit le jour en contrebas de la colline de Chaillot. Un concours lancĂŠ en 1935 retiendra l’Êquipe formĂŠe par les architectes Aubert, Dastugue, Dondel et Viard. Ses deux ailes qui abritent les collections s’organisent autour d’un patio central entourĂŠ d’une double colonnade. Les grandes portes curvilignes de l’Êdifice, ouvrant sur l’avenue du PrĂŠsident-Wilson, sont en bronze et rĂŠalisĂŠs par le ferronnier Szabo. Une terrasse orientĂŠe vers la Seine reçoit un abondant programme dĂŠcoratif sculptĂŠ dont un splendide bas-relief par Auguste Janniot.

PAGE DE GAUCHE Palais de Chaillot (dĂŠtail) Place du TrocadĂŠro

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LIRE POUR REGARDER

par Hubert Cavaniol

AVERTISSEMENT

DATE La date indiquée correspond généralement au début de la construction de l’immeuble. MH Nous indiquons la seule protection au titre des Monuments historiques, sans préciser s’il s’agit d’un classement ou d’une inscription, sans distinguer si l’immeuble est protégé en totalité ou seulement en partie. La consultation de la base Architecture-Mérimée offrira les précisions complémentaires. LABEL XXe Créé par le ministère de la Culture et de la Communication en 1999, le label « Patrimoine du XXe siècle » identifie les constructions et ensembles urbains – qu’ils soient protégés ou non au titre des Monuments historiques – ou des espaces protégés (ZPPAUP, Secteurs sauvegardés), dont l’intérêt architectural et urbain en fait des éléments significatifs du patrimoine du e siècle.

PARIS CLASSIQUE & MODERNE PAGES - IMMEUBLE D’HABITATION 26, rue Vavin – 6 e arrondissement 1912 Architectes : Henri Sauvage et Charles Sarazin MH, Label XXe Au début du siècle, les architectes Henri Sauvage et Charles Sarazin imaginent, théorisent et déposent le brevet d’un « immeuble à gradins ». Composés d’étages en retrait dans la partie supérieure de la façade, ces bâtiments devaient assurer une « hygiène » meilleure et une luminosité accrue aux occupants. En 1912, rue Vavin, Sauvage et Sarazin vont passer de la théorie à la pratique en édifiant le premier immeuble à gradins de Paris. La série s’arrêtera à deux, l’idée étant moins lumineuse que prévu. La renommée de l’immeuble sera cependant assurée grâce à sa façade couverte de carreaux de grès émaillé blanc fabriqués par la faïencerie Boulenger à Choisy-le-Roi, du même type que ceux utilisés pour le métro. PAGES - DÉTAIL PAGE IMMEUBLE D’HABITATION ET ATELIERS D’ARTISTES 7, rue Méchain – 14e arrondissement 1929 Architecte : Robert Mallet-Stevens MH, Label XXe

« Immeuble construit sur cour » : le pire se cache souvent derrière ceºe ingrate appellation. Mais pour l’immeuble de la rue Méchain, édifié « sur cour », le mieux est à découvrir. La façade du bâtiment sur rue est une invitation à entrer : la porte d’entrée est de Jean Prouvé, les deux vitraux de forme ronde l’encadrant sont du maître verrier Louis Barillet ; à l’intérieur, le grand hall a été redessiné par Robert Mallet-Stevens. On découvre ensuite l’immeuble construit en 1929 par Mallet-Stevens, qui n’est pas sur cour, mais sur jardin. Au fond, le bâtiment de huit étages est réalisé en béton armé et comprend des ateliers d’artistes, dont celui de Tamara de Lempicka, et des appartements. L’immeuble reprend les grands principes qui forment la doctrine de l’architecte : formes cubiques, décrochements, fenêtres d’angles ou filantes, épiderme lisse et blanc. La tour de l’escalier intègre sur toute la hauteur un vitrail du maître, verrier Louis Barillet. La cage d’escalier en spirale est un chef-d’œuvre du genre, maintes fois reproduit dans les ouvrages. PAGES - IMMEUBLE D’ATELIERS ET CINÉMA 216, boulevard Raspail – 14e arrondissement 1932 Architecte : Bruno Elkouken MH, Label XXe Sur une parcelle de terrain à la géométrie compliquée, Bruno Elkounen, architecte d’origine polonaise, réussit le tour de force de réaliser un programme chargé, comprenant deux immeubles d’ateliers, l’un sur rue, l’autre sur cour, et une salle de cinéma qui sera habilement construite entre les deux bâtiments en demi-sous-sol. Les bow-windows forment de grandes

verrières, hautes et allongées, qui donnent son style à l’édifice. En contrepoint à ceºe rigueur du dessin, l’entrée de l’immeuble est surmontée d’une large casqueºe aux formes arrondies et est entourée de deux vitrines courbes. Le cinéma Studio Raspail a fermé ses portes en 1982. PAGES - IMMEUBLE D’HABITATION 3, boulevard Victor – 15e arrondissement 1929 Architecte : Pierre Patout MH, Label XXe Sur une fine parcelle de terrain en forme de lame de couteau, Pierre Patout réussit l’exploit de construire un immeuble de rapport qui deviendra l’étendard de l’architecture de style paquebot. Avec sa longue façade recouverte de pierre blanche en forme de coque de bateau, ses lignes tendues, sa proue dirigée vers l’ouest, ses volumes dessinant une timonerie, des cheminées et des coursives, Patout a rêvé un transatlantique et l’a amarré à quai. L’architecte fait appel au sculpteur Alfred Janniot, auteur d’une fresque monumentale sur le paquebot Normandie, pour réaliser en façade un unique bas-relief. Des trois véritables paquebots de la Compagnie générale transatlantique décorés par Patout (L’Île-deFrance 1927, L’Atlantique 1930, et Normandie 1934), il ne reste rien. Seul subsiste le bâtiment du boulevard Victor, chef-d’œuvre de l’Art déco français de l’entredeux-guerres.

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Archieri Jean-François, Nebout Cécile et Poullain Yves et al. Atelier Louis Barillet, maître verrier, Paris, Éditions 15, square de Vergennes, 2005. Bréon Emmanuel « Alfred Janniot, ambassadeur de la sculpture française », dans Alfred Auguste Janniot (1889-1969), Edwige Anne Demeurisse (sous la dir. de), Paris, Somogy Éditions d’art, 2003. Bréon Emmanuel Jacques-Émile Ruhlmann, les archives, Paris, Éditions Flammarion, 2004. Bréon Emmanuel et al. L’Art sacré au e siècle, Paris, Éditions de l’Albaron, 1992. Bréon Emmanuel et Pepall Rosalind (sous la dir. de) Ruhlmann, un génie de l’Art Déco, cat. exp. [Musée des Années 30, Boulogne-Billancourt, 15 novembre 2001 – 17 mars 2002 ; Metropolitan Museum of Art, New York, 10 juin – 5 septembre 2004 ; musée des Beaux-Arts, Pavillon Jean-Noël Desmarais, Montréal, 30 septembre – 12 décembre 2004], Paris, Somogy Éditions d’art, 2001. Bréon Emmanuel et Rivoirard Philippe (sous la dir. de) 1925. Quand l’Art déco séduit le monde, cat. exp. [Cité de l’architecture et du patrimoine, Paris, 16 octobre 2013 – 17 février 2014], Paris, Éditions Norma, 2013. Cabanne Pierre Encyclopédie Art déco, Paris, Somogy Éditions d’art, 1986. Collectif Le Patrimoine de la Poste, Charenton-le-Pont, Éditions Flohic, coll. « Le patrimoine des institutions économiques », 1996. Humbert Jean-Marcel et Pumain Philippe (sous la dir. de) Le Louxor, palais du cinéma, Bruxelles, AAM éditions, 2013. Lapierre Éric Guide d’Architecture Paris 1900-2008, Paris, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, 2008. Lefranc-Cervo Léa Le Village français à l’Exposition de 1925, Paris, Mémoire de l’École du Louvre, 2016. Lemoine Bertrand et Rivoirard Philippe L’Architecture des Années 30, Paris, Éditions de la Manufacture, 1987. Lyonnet Jean-Pierre (sous la dir. de) Robert Mallet-Stevens, architecte, Paris, Éditions 15, square de Vergennes, 2005. Offrey Charles Chronique Transatlantique du e siècle, Le Touvet, Éditions Marcel-Didier Vrac, 2001.

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