Le Pouvoir en Actes. Fonder, dire, montrer, contrefaire l'autorité (extrait)

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LE POUVOIR EN ACTES Fonder, dire, montrer, contrefaire l’autorité


Ouvrage publié sous la direction d’Elsa Marguin-Hamon à l’occasion de l’exposition présentée aux Archives nationales, du 27 mars au 24 juin 2013. Coordination éditoriale : Régis Lapasin assisté de Brigitte Lozza, Stéphanie Maillet et Raphaële Skupien sous la direction de Claire Béchu et Pierre Fournié

Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Coordination éditoriale Christine Dodos-Ungerer Conception graphique Éric Blanchard Fabrication Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros

Conception graphique couverture Agence Point de Fuite Image réalisée à partir de photographies d’un buste de Marianne (© Sénat/S. Benromdhane) et d’un document ancien (© Archives nationales, Département de la conservation, pôle image)

ISBN Somogy : 978-2-7572-0657-7 ISBN Archives nationales : 978-2-86000-359-9 Dépôt légal : mars 2013 Imprimé en Italie (Union européenne)


LE POUVOIR EN ACTES Fonder, dire, montrer, contrefaire l’autorité


LISTE DES AUT EUR S

OLIVIER BEAUD professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris II) JEAN-CHARLES BÉDAGUE conservateur aux Archives nationales CLÉMENT BLANC-RIEHL chargé d’études documentaires aux Archives nationales JEAN-PIERRE BRUNTERC’H conservateur général aux Archives nationales, responsable du département du Moyen Âge et de l’Ancien Régime PHILIPPE CHARLIER maître de conférences en médecine légale et anthropologue NICOLE EVEN conservateur aux Archives nationales NADINE GASTALDI conservateur en chef aux Archives nationales PATRICIA GILLET conservateur en chef aux Archives nationales OLIVIER GUYOTJEANNIN professeur à l’École nationale des chartes CYPRIEN HENRY conservateur aux Archives nationales MARIE LAPERDRIX conservateur aux Archives nationales MARIE-NOËLLE LEBLANC chargée d’études documentaires aux Archives nationales AGNÈS MAGNIEN directrice des Archives nationales ELSA MARGUIN-HAMON conservateur aux Archives nationales CLAIRE MARTIN conservateur au Service interministériel des Archives de France, chef de la Mission des archives auprès du Premier ministre MONIQUE MORGAT-BONNET ingénieur d’études au Centre d’étude d’histoire juridique

L IST E D ES P R ÊT EUR S

HERVÉ MOYSAN docteur en droit, directeur de la rédaction Législation de LexisNexis Jurisclasseur

ROBERT BADINTER

Paris, Musée du Louvre

PIERRE D’A. D’OILLIAMSON

HENRI LOYRETTE, président-directeur

Angers, Bibliothèque municipale JEAN-CHARLES NICLAS, directeur

MARIE-ADÉLAÏDE NIELEN conservateur en chef aux Archives nationales

MARC-ÉDOUARD GAUTIER, directeur-adjoint

JÉRÔME PIGEON docteur en histoire du droit

Aix-en-Provence, Archives nationales d’outre-mer

YANN POTIN chargé d’études documentaires aux Archives nationales

MARTINE CORNÈDE, directrice

AGNÈS PRÉVOST chef de travaux d’art, responsable de l’atelier de restauration de sceaux des Archives nationales

HUBERT BRIGAND, président de la Communauté de communes du Pays Châtillonnais

MYRIAM REVAULT D’ALLONNES philosophe, professeur des universités à l’École pratique des hautes études ISABELLE ROUGE-DUCOS conservateur au Service interministériel des Archives de France, chef de la mission pour les archives privées EMMANUEL ROUSSEAU conservateur en chef aux Archives nationales, directeur des fonds FRANÇOIS SAINT-BONNET professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris II)

Châtillon-sur-Seine, Musée du Châtillonnais – Trésor de Vix

FÉLICIE FOUGÈRE, conservateur du patrimoine Dainville, Archives départementales du Pas-de-Calais LIONEL GALLOIS, directeur Dijon, Bibliothèque municipale

LAURENT DELRIEU, Administrateur adjoint Rouen, Archives départementales de la Seine-Maritime VINCENT MAROTEAUX, directeur Soissons, Bibliothèque municipale

Toulouse, Archives municipales

JEAN-JACQUES REGNAULT, directeur

FRANÇOIS BORDES, directeur

Paris, Archives historiques de l’archevêché de Paris

Troyes, Archives départementales de l’Aube

Abbé PHILIPPE PLOIX

NICOLAS DOHRMANN, directeur

Paris, Bibliothèque Mazarine

Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

YANN SORDET, directeur

THIERRY GRILLET, délégué à la diffusion culturelle

MICHEL TROPER professeur à l’université Paris Ouest-Nanterre (Paris X)

XAVIER CANCHON, directeur de l’Architecture, du Patrimoine et des Jardins

Jossigny, Société Signascript

YVES SASSIER professeur à l’université Paris-Sorbonne (Paris IV)

ABOLALA SOUDAVAR membre de la Commission des collections du Harvard University Museum

Paris, Sénat

ANNE-MARIE NATANSON, conservateur en chef

Paris, Bibliothèque nationale de France

RAPHAËLE SKUPIEN vacataire aux Archives nationales

NATHALIE BRAC DE LA PERRIÈRE, régisseuse au département des antiquités grecques, étrusques et romaines

MARIE-PAULE ROLIN, directrice

ROSELINE SALMON conservateur aux Archives nationales

NELLY SCHMIDT directrice de recherche au CNRS (UMR 8596), université Paris-Sorbonne (Paris IV, Centre Roland Mousnier - Histoire et Civilisations)

ÉLISABETH FONTAN, conservateur en chef au département des antiquités orientales

BRUNO RACINE, président

ARIANE JAMES-SARAZIN, chef du service des expositions Paris, ministère de la Justice CHRISTIANE TAUBIRA, garde des Sceaux, ministre de la Justice BORIS DUBOUIS, chef du pôle archives de l’administration centrale (PAAC), chargé du pôle patrimoine mobilier (PPM) JULIETTE NUNEZ, conservateur en chef, responsable du département des archives, de la documentation et du patrimoine

CATHERINE PÉGARD, présidente de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles BÉATRIX SAULE, directeur du Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon FRÉDÉRIC LACAILLE, conservateur en chef chargé des peintures du XIXe siècle, des prêts aux expositions et des dépôts Archives nationales Direction des fonds NADINE GASTALDI, conservateur en chef, chargée de mission pour les cartes et plans Département des archives privées ISABELLE ARISTIDE, conservateur en chef, chef du service


R EM ER C IEM ENT S

Département de l’Éducation, de la Culture et des Affaires sociales CATHERINE MÉROT, conservateur général, chef du service Département de L’exécutif et du Législatif ISABELLE CHAVE, conservateur en chef, chef du service Département de la Justice et de l’Intérieur MARION VEYSSIÈRE, conservateur, chef du service Département du Minutier central des notaires de Paris MARIE-FRANÇOISE LIMON-BONNET, conservateur général, chef du service Département du Moyen Âge et de l’Ancien Régime JEAN-PIERRE BRUNTERC’H, conservateur général, chef du service

Archives nationales Michèle Arigot, Nora Absalon, Carole Bauer, Claire BéchuBénazet, Philippe Béchu, Guy Bernard, Édouard Bierry, Sandrine Bula, Anthony Burban, Ghislain Brunel, Jean-Charles Cappronnier, Corinne Charbonnier, Isabelle Chave, Françoise Cochard et l’équipe de surveillance du musée, Vincent Doom, Isabelle Foucher, Pierre Fournié, Bruno Galland, Isabelle GalletMénager, Delphine Hervé, Françoise Hildesheimer, Jessica Huyghe, Éric Laforest et toute l’équipe de l’atelier de restauration, Marie-Thérèse Lalaguë-Guilhemsans, Régis Lapasin, Marie-Françoise LimonBonnet, Alice Marsal, Henri Massenet, Catherine Mérot, Céline Moreau-Bertsch, Philippe Nieto, Denise Ogilvie, Michel Ollion, Christian Oppetit, Marc Paturange et toute l’équipe de l’atelier de photographie, Christian Pedebidou, Mathieu Pétrignani et toute l’équipe du service intérieur, Jean-François Quemin, Serge Reby, Pascal Riviale, Virginie Roland, MarieOdile Royer, Magalie Schickele, Brigitte Schmauch, Michel Thibault, Marion Veyssière Autres institutions Robert Badinter, Karine Blondel (Archives départementales de la Seine-Maritime), François Bordes (Archives municipales de Toulouse), Nathalie Brac de la Perrière (Musée du Louvre), Évelyne Bret (Archives municipales de Nîmes), Hubert Brigand (Communauté de communes du Pays Châtillonnais), Carmine Carleo (Bibliotheca Statale del Monumento Nazionale Badia di Cava), Xavier Canchon (Sénat), Bernard Candiard (conseiller spécial auprès du Premier ministre), Didier Carreras (Gras Savoye assurances), Raphaëlle Cartier (RMN Agence photographique), Pauline Chapelain (Parisienne de Photographie), Annick Chalvignac

(Bibliothèque municipale de Dijon), Cyril Chazal (Bibliothèque nationale de France), Martine Cornède (Archives nationales d’outre-mer), Olivier Descamps (Paris II-CEHJ), Chantal Delepouve (Archives départementales du Pas-deCalais), Laurent Delrieu (Sénat), Charlotte Denoël (Bibliothèque nationale de France), Jacques Dion (Archives nationales d’outre-mer), Nicolas Dohrmann (Archives départementales de l’Aube), Ariane James-Sarazin (Bibliothèque nationale de France), Madame Janeux (Musée du Pays Châtillonnais – Trésor de Vix), Étienne Faisant, Isabelle Fichet-Boyle, Élisabeth Fontan (Musée du Louvre), Félicie Fougère (Musée du Pays Châtillonnais – Trésor de Vix), Lionel Gallois (Archives départementales du Pas-deCalais), Marc-Édouard Gautier (Bibliothèque municipale d’Angers), Thierry Grillet (Bibliothèque nationale de France), Yves Grimaud (Archives municipales de Nîmes), Marie Groult (Archives départementales de la SeineMaritime), Émeline Gruat (Ministère de la Justice), Isabelle Guégan (La Documentation française), Isabelle Guerreau (Niederstächsisches Landesarchives-Staadtarchives, Wolfenbüttel), Nadia Harabasz (Bibliothèque municipale de Dijon), Paul Johnson (The National Archives, Kew), Frédéric Lacaille (Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon), Madame Lagodat (Archives municipales de Toulouse), Géraud de Lavedan (Archives municipales de Toulouse), Sylvie Lefèbvre (Archives départementales du Pas-de-Calais), Henri Loyrette (Musée du Louvre), Annie Madec (RMN Agence photographique), Vincent Maroteaux (Archives départementales de la SeineMaritime), Noël Mazières (Archives départementales de l’Aube), Leone Morinelli

(Bibliotheca Statale del Monumento Nazionale Badia di Cava), Oliver Morley (The National Archives, Kew), Hervé Moysan (LexisNexis France), Anne-Marie Natanson (Bibliothèque municipale de Soissons), Suzanne NagyKirchhofer, Jean-Charles Niclas (Bibliothèque municipale d’Angers), Christine Nougaret (École nationale des chartes), Juliette Nunez (Ministère de la Justice), Pierre-A. d’Oilliamson, Catherine Pégard (Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon), Marion Perceval (Parisienne de Photographie), François Perrodin, Abbé Philippe Ploix (Archives historiques de l’archevêché de Paris), Joëlle Poncet (Archives départementales de l’Aube), Olivier Poncet (École nationale des chartes), Caroline Poulain (Bibliothèque municipale de Dijon), Bruno Racine (Bibliothèque nationale de France), Jean-Jacques Regnault (Société Signascript), Marie-Paule Rolin (Bibliothèque municipale de Dijon), Béatrix Saule (Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon), Marc Smith (École nationale des chartes), Yann Sordet (Bibliothèque Mazarine), Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, Christophe Velet (Bibliothèque Mazarine), Paul-Henri Viala (Archives municipales de Narbonne)


SOMMAIRE

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Liste des auteurs

126 II. Montrer l’autorité

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Liste des prêteurs

128 L’autorité de la forme

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Remerciements

130 Changement de souverain, changement de formes

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Avant-propos

133 L’univers des signes

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Préface

135 Sceller 137 La découverte de poils ou cheveux humains dans les sceaux

12 Introduction : fonder l’autorité 14 Autorité, pouvoir, souveraineté : des notions et des actes

139 Buller d’or. Idée impériale, corps immortel

25 Prendre conseil 29 Le « procès de trois siècles ». Le roi, les parlements et l’autorité dans l’État

141 La sigillographie des empereurs latins de Constantinople, une synthèse des usages, entre Orient et Occident 144 Les bulles pontificales, la production d’un écrit universel

34 Enjeux de souveraineté, théâtre du pouvoir : le lit de justice, l’autorité et ses représentations

147 Liturgies

37 La période révolutionnaire. L’ère des constitutions

159 Sceaux et emblématique à partir de 1789

42 Quelle constitutionnalité ?

165 Réincarner l’autorité

46 Un parlementarisme représidentialisé 52 I. Dire l’autorité

169 La charte graphique de 1999 : une actualisation des notions et des symboles

54 Le style de l’orateur

171 La signature

56 Essai sur l’acte souverain comme acte de langage 65 La « marque » présidentielle de la V République e

155 À rebours…

176 Processus de signature des textes législatifs et réglementaires

67 Volonté et conseil

179 L’authenticité des archives électroniques, un concept spécifique ?

73 Enregistrer pour appliquer. L’Édit du Bois de Vincennes (Charles V, 1374)

184 III. Contrefaire, subvertir l’autorité

75 Les intendants, véritables relais des actes du pouvoir royal ? Le cas de Rouen

186 Histoire d’une imposture ou naissance d’un mythe : « Tamerlan »

79 Comprendre les actes

192 Les faux de Robert d’Artois : un procès exemplaire

86 (Ré) inventer la loi

194 Crime et châtiment

90 Circuit parallèle. Le décret d’abolition de l’esclavage (1848)

196 Droit et science. Genèse de la critique d’authenticité des actes

99 Les grandes étapes de la procédure législative : l’exemple de la préparation de la loi du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort (« loi Badinter »)

200 Querelles d’experts : l’Affaire Bertillon

103 Le Conseil d’État comme atelier d’écriture législative

204 Portrait du diplomatiste en détective, ou comment débusquer un « faux autorisé ». Manipulations et usages d’un précepte de Charles le Chauve à l’abbaye de Saint-Denis

105 De l’inachèvement de la loi 206 Le faux en Résistance 109 La manifestation de l’autorité publique à l’heure de l’Internet 115 « Locus credibilis » : les archives comme fabrique d’authenticité

210 Bibliographie sélective 216 Crédits photographiques

116 Les archives, sanctuaire de l’autorité 120 Le lieu de l’archive électronique

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AVANT-PROPOS

AGNÈS MAGNIEN, directrice des Archives nationales Fruit d’une collaboration entre les Archives nationales et de nombreux spécialistes extérieurs à l’institution, ce livre accompagne l’exposition Pouvoir en actes. Fonder, dire, montrer, contrefaire l’autorité, qui se tient à l’hôtel de Soubise du 27 mars au 24 juin 2013. Au-delà d’une manifestation temporaire qui vise à présenter au grand public les actes produits par l’autorité souveraine et conservés dans les Archives, au prisme d’approches plurielles – juridiques, historiques, linguistiques, sémiotiques et diplomatiques –, cet ouvrage collectif fait le pari résolu et durable de l’ouverture disciplinaire, pour un matériau toujours à informer ou ré-informer, à découvrir ou redécouvrir : les archives. Merci à toutes et tous, auteurs, acteurs, contributeurs, membres du comité scientifique et de l’équipe réunie autour du commissaire de l’exposition, Elsa Marguin-Hamon, d’avoir relevé ce défi. À l’heure où la partie contemporaine des fonds des Archives nationales s’installe et s’ouvre aux lecteurs à Pierrefitte-sur-Seine, il importe en effet de montrer à quel point ces gisements documentaires, pour beaucoup d’entre eux encore à explorer, éclairent la relation de chacun d’entre nous au politique, aux institutions, au corps social. Et en tout premier lieu, c’est aux archives comme traces ultimes de l’autorité en exercice, du pouvoir en actes précisément, qu’il convenait de consacrer une réflexion propre à embrasser tout l’éventail chronologique des fonds que nous conservons. La re-fondation matérielle, géographique, scientifique, culturelle et éducative des Archives nationales constitue l’occasion privilégiée de rappeler à quel point, et c’est particulièrement vrai depuis la Révolution, l’autorité inscrit son « pouvoir de commencer », pour citer presque littéralement notre préfacière, Myriam Revault d’Allonnes, dans un acte transmissible à tous, présents et à venir. La puissance de cet acte et, conséquemment, le pouvoir de garantie qu’offrent les archives contribuent à assurer et pérenniser cette transmission. Et c’est à quoi œuvre l’institution que j’ai l’honneur de diriger. Au théâtre de Shakespeare, que l’exposition et son catalogue nous invitent à relire, revient, ce me semble, le mot décisif, la conclusion de cet avant-propos. Je pense à cette scène de Richard III au cours de laquelle, au jeune prince qu’il tente de convaincre d’entrer dans la tour où il s’apprête à l’assassiner, le cruel Richard de Gloucester affirme que les bases de l’édifice en furent jetées par Jules César lui-même. Non seulement la tradition orale, mais aussi les archives l’attestent, précise ensuite Richard, interrogé par le prince. Shakespeare place alors dans la bouche du fourbe, du criminel, du menteur, cette maxime que la noirceur du personnage nous invite à comprendre comme une antiphrase : « sans qu’il soit besoin de caractères, la renommée vit longtemps ». Que nous dit alors l’auteur, sinon que, contre l’iniquité, les abus sans frein du pouvoir qu’incarne le menteur Richard, armé de la violence et non plus de l’autorité, les archives, records, et l’écrit, characters, sont peut-être le dernier rempart qui demeure, le socle sur lequel fonder, ou refonder, le contrat social.

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PRÉFACE

LE POUVOIR EN ACTES. LES ACTES DU POUVOIR MYRIAM REVAULT D’ALLONNES, philosophe, professeur des universités à l’École pratique des hautes études (EPHE), chercheur associé au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF)

Le pouvoir existe-t-il ? Cette question, en dépit des apparences, n’est pas une provocation. Elle est sans doute la meilleure façon d’engager une réflexion sur une notion bien plus énigmatique que ne le suggèrent les mots du vocabulaire courant. « Conquérir », « posséder », « perdre » le pouvoir : voilà qui laisse entendre que le pouvoir est une chose, une substance, un objet que certains détiennent, maîtrisent ou manipulent alors que la plupart des autres en sont privés ou dépossédés. En réalité, il n’en est rien car le pouvoir met toujours en jeu un ensemble de relations. Plus encore : un ensemble d’actes qui se répondent les uns les autres. Certes, le pouvoir s’exerce mais comment ? À partir d’où ? Dans quelles directions ? Par quelles voies ? Le pouvoir est en actes, il se donne à voir en actes. Autrement dit, son effectuation engage toujours le rapport à l’autre : le pouvoir s’exerce en s’adressant à un destinataire et la relation de pouvoir se réalise dans une forme qui n’est pas seulement la dualité d’une présence ou d’une absence, d’une possession ou d’une privation. Aucun pouvoir n’est purement et simplement force nue : il ne peut être conçu indépendamment de la soumission ou de la résistance des sujets ou des citoyens qui, d’une manière ou d’une autre, y consentent ou le refusent. Aussi le pouvoir est-il indissociable de l’autorité à chaque instant revendiquée par ses tenants et avec laquelle, pourtant, il ne se confond pas. Nous tenons des Romains la distinction fondamentale entre la potestas et l’auctoritas : la première désigne le pouvoir en tant qu’il implique la capacité à imposer sa volonté. La seconde est une « confirmation » voire une « augmentation » qui n’est pas un « commandement » au sens strict mais un conseil qui oblige sans contraindre. La célèbre formule de Cicéron – « cum potestas in populo, auctoritas in senatu sit » – énonce la distinction entre le pouvoir de « guidage » ou de « direction » du Sénat romain qui invitait les magistrats à suivre son avis « obligatoire » et le pouvoir d’exécution qui résidait dans le peuple et ses magistrats. Or, on ne comprend ce caractère paradoxal de l’auctoritas que si l’on introduit la dimension temporelle qui la situe à la fois en amont, comme force de proposition, et en aval, comme élément de rectification ou de validation. C’est en vertu de cette dimension temporelle que les actes du pouvoir acquièrent leur validité : la chose publique se constitue et s’augmente par l’épreuve du temps. Le politique est indissociable du souci de la durée et l’institution politique d’un monde commun n’est pas seulement liée à l’espace (par l’édification d’un espace public) mais au temps : elle demande à être inscrite dans la durée, pérennisée. Non qu’il s’agisse de perpétuer ce qui a toujours été mais parce que le changement lui-même, pour être perçu et analysé, doit s’enraciner dans un certain continuum temporel.

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Pour appréhender la nature des actes du pouvoir, il faut comprendre que c’est d’abord l’augmentation temporelle qui produit la légitimité. Et ce n’est pas un hasard si le Moyen Âge chrétien reprend et se réapproprie, en l’infléchissant, la distinction romaine entre potestas et auctoritas : au prêtre et au pontife est dévolue l’autorité spirituelle, au roi et à l’empereur revient le pouvoir temporel. Mais c’est parce que l’autorité est investie d’une dimension sacrale qu’elle opère une sorte de complémentarité avec le pouvoir. En ce sens, dans la mesure où l’auctoritas assure la validité du monde commun et garantit l’être-ensemble dans le temps, elle peut être considérée – beaucoup plus que comme un attribut ou une propriété du pouvoir – comme le fondement du lien social et politique. De même que le pouvoir ne se peut être confondu avec la violence et qu’il ne se réduit pas au seul pouvoir de contraindre, de même l’autorité n’est pas le pur et simple instrument de sa légitimation. Les actes du pouvoir revêtent de ce fait un caractère éminemment symbolique : le pouvoir ne se limite pas à une définition purement sociale. Il ne se matérialise pas davantage dans la personne de ses détenteurs. Car ce n’est pas seulement dans le réel que le pouvoir exerce son emprise sur le réel. L’une de ses composantes essentielles, c’est son caractère épiphanique. Le pouvoir est donc en représentation(s) et, à ce titre, sa puissance n’est pas moins grande que celle des procédures strictement matérielles. C’est ainsi que, dans la tragédie grecque, la cité se faisait théâtre : à travers la fiction ou le mythe, le monde de la cité se voyait mis en question et ses valeurs fondamentales soumises au débat. De même, la royauté d’Ancien Régime était travaillée en permanence par une logique de l’identification amoureuse : fêtes, cérémonies, rituels divers, produisaient et réactualisaient en permanence les signes d’une affectivité politique, d’un investissement émotionnel des sujets captés par la figure du pouvoir. Dans cette perspective, la théâtralité de l’exécution de Louis XVI, celle du régicide public, a répondu elle aussi à la volonté de faire face au mystère de l’incarnation monarchique, de représenter l’abolition de l’ordre ancien et l’institution de la République naissante. Si la fonction de la fiction est de produire un monde, l’illusion institutionnelle n’est pas seulement énigme : elle peut aussi être mensonge. À dire « fiction », on court certes le risque de la tromperie et de la falsification. Mais on ne comprend sa signification véritable qu’à restituer la nécessité, pour une communauté politique, de se donner une image de soi, de constituer son identité. La réalité de l’action politique est inséparable de sa représentation car elle s’inscrit dans un espace investi par l’apparaître, dans la visibilité de l’espace public. Les hommes parlent et agissent en étant vus et entendus par d’autres. La « vérité » de la politique et du pouvoir tient à cet apparaître, à cette modalité première de l’apparition à autrui sur laquelle peuvent toujours venir se greffer l’artifice, le mensonge ou la manipulation. À condition de ne pas oublier que l’artifice du semblant présuppose la vérité du paraître. À cet égard, il importe de relever que cette dimension de la visibilité, liée aux conditions phénoménales de la politique, déconstruit aussi bien le fantasme de la toute-puissance des gouvernants que celui de la radicale

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PRÉFACE

impuissance des gouvernés. La relation de pouvoir institue plutôt une entre-appartenance, une maîtrise instable qui requiert l’assentiment, la reconnaissance, le jugement porté sur l’image que le pouvoir choisit de présenter. Ni « pur fait » ni « droit absolu », jamais « absolument fondé », il ne contraint pas, il ne persuade pas non plus : il « circonvient » écrivait Merleau-Ponty1. Une telle vérité est irréductible à la morale : c’est face aux sujets que le pouvoir se constitue comme tel, c’est face au pouvoir que les sujets ou les citoyens se donnent pour ce qu’ils sont. La démocratie moderne s’est inaugurée en faisant l’épreuve de la désincorporation. Plus de pouvoir lié à un corps incarnateur comme l’exprimait la symbolique du double corps du roi : à la fois corps immortel et impérissable en lequel se signifiait et s’incarnait la communauté du royaume, et corps charnel, périssable, assujetti à la finitude et à la mort. « Le Roi est mort, vive le Roi ». Privé de cette unité substantielle, le pouvoir démocratique se révèle infigurable, inlocalisable, irreprésentable : ne s’y donnent à voir que ses mécanismes de fonctionnement et les individus qui, momentanément, assurent son exercice. Le pouvoir n’appartient à personne : ceux qui l’exercent ne l’incarnent pas, ils ne sont que les dépositaires temporaires de l’autorité publique et en eux ne s’investit ni la Loi de Dieu ni celle de la Nature. Le pouvoir s’efface dans sa matérialité, il est constamment « en attente » d’une figuration qui se dérobe. Cette mutation symbolique affecte profondément la détermination de la souveraineté. En démocratie, c’est au nom du peuple souverain que s’effectuent et se transmettent les actes du pouvoir. Le peuple est le pôle d’identité au nom duquel s’affirme la légitimité mais cette identité elle-même demeure latente car son contenu ne peut jamais entièrement s’incarner. Assez défini pour être mis en position de Sujet, le peuple échappe néanmoins à toute réalisation, à toute « pétrification » substantielle, comme l’atteste l’article 3 de la Déclaration des droits de 1791 : si le principe de toute souveraineté réside dans la Nation, « nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». Autant dire que la souveraineté démocratique – source de la légitimité – ne peut être l’objet d’aucune appropriation et qu’elle n’est représentable dans un aucun corps, même si elle se manifeste à travers la présence visible de quelqu’un ou de quelques-uns. Mais les actes du pouvoir démocratique n’en manifestent pas moins, sur un autre mode, leur efficace symbolique. Plus que toute autre, la souveraineté démocratique nous confronte au paradoxe qui habite les actes du pouvoir : à la fois concrétisation d’un « faire » et évanescence d’un « agir » qui ne se pérennise que par son inscription dans la durée. Ou, pour le dire autrement, actualisation incessante d’un pouvoir qui n’est jamais donné une fois pour toutes et qui se rejoue en permanence au-delà de sa sédimentation dans les textes et les pratiques. Car la puissance qui assure l’existence du domaine public n’est « actualisée » que « lorsque les actes ne servent pas à violer et à détruire mais à établir des relations et créer des réalités nouvelles »2.

1. Merleau-Ponty, « Note sur Machiavel », Signes, Paris, Gallimard, 1980, p. 267. 2. Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, 1983, p. 225.

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Ill. 1 L’autorité refondée dans le Prince Statue de l’empereur Auguste, type « Prima Porta ». Musée du Louvre, AGER, MR 99 (n° usuel Ma 1278).

INTRODUCTION

FONDER L’AUTORITÉ

D

éplaçant les outils de la réflexion aristotélicienne dans le champ du politique, Hannah Arendt écrit dans la Condition de l’homme moderne : « On ne peut emmagasiner la puissance et la conserver en cas d’urgence, comme les instruments de la violence : elle n’existe qu’en acte. Le pouvoir qui n’est pas actualisé disparaît. » (ARENDT 1961, p. 259) Acte est chez Arendt à entendre au sens de fondation, c’est-à-dire à la fois geste qui fait naître et croître et ce qui en résulte. Il nécessite pour ce faire l’intervention d’un auteur, apte à fonder, à augmenter et à garantir ce qu’il fonde (MAGDELAIN 1947, p. 52-53, REVAULT D’ALLONNES 2005, p. 21, 28). Acte est aussi le nom donné à ce que l’autorité doit assurer pour garantir l’authenticité de son expression, la diffuser, la pérenniser. Il est l’aboutissement d’un processus et la condition comme le point de départ d’une réalité nouvelle, qu’il crée : multiplicité de fonctions contenues dans l’ambivalence morphologique et lexicale du terme, acte, en français, pouvant provenir du participe passé passif latin, actum, signifiant « fait » (« acté », « agi ») ou du substantif « actus » désignant l’action de faire dans son déroulement. L’acte est ce qui permet à l’autorité de s’inscrire dans la durée. Il est aussi le lieu d’une équation, que favorise la paronymie médiévale, entre autorité et authenticité. Ainsi surchargé sémantiquement, le rapport entre le pouvoir, l’autorité qui le fonde et l’acte que celle-ci produit et authentifie, qu’elle autorise, est consubstantiel aux manifestations de ce même pouvoir, de cette même autorité. L’acte en effet, plus que n’importe quel objet, n’importe quel écrit, parle du pouvoir et, surtout, parle le pouvoir. Au-delà, il l’incarne, et son dévoiement constitue invariablement une atteinte à l’autorité.



INTRODUCTION : FONDER L’AUTORITÉ

AUTORITÉ, POUVOIR, SOUVERAINETÉ : DES NOTIONS ET DES ACTES YVES SASSIER

Définir l’autorité

Ill. 2 Le roi dictant la loi Décret de(s) Gratien. Fin XIIIe siècle. Dijon, Bibl. mun., Ms. 341.

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Les mots latins auctor, auctoritas ont le même étymon (auc-aug) que le verbe augere (accroître, renforcer), ou que les substantifs augur, augurium (augure, interprétation des signes, présage), enfin que l’adjectif-surnom augustus. « On qualifie de auctor, dans tous les domaines, celui qui “ promeut ”, qui prend une initiative, qui est le premier à produire quelque activité, celui qui fonde, celui qui garantit, et finalement l’auteur »1 Le détenteur de l’auctoritas, dans la tradition politique antique, est celui qui est à la source, qui est inspiré par les dieux et inspire et guide lui-même par ses conseils, celui qui « fait agir » ; c’est aussi celui qui valide un acte et lui donne sa force. Dans la Rome républicaine, l’auctoritas est essentiellement attachée, en raison du prestige de ses membres, au Sénat dont tout avis (consultum), sans être une décision au sens juridique du terme, est accepté par tous comme devant fonder, orienter, guider ou valider l’action des magistrats détenteurs de la prérogative de la décision à valeur exécutoire (pouvoir d’ordonner, de juger, de contraindre) qu’est la potestas. Ce qui, en revanche, marque le passage au principat ou à l’Empire, c’est la prétention d’Octave, dans les années qui suivent la bataille d’Actium, à se faire reconnaître comme fondateur (auctor) inspiré par les dieux, comme étant, ainsi qu’il le dit lui-même dans ses Res gestae, « supérieur à tous par l’auctoritas » et à revêtir le surnom d’Auguste2 (ill. 1). On assiste alors au passage d’une auctoritas collégiale à une auctoritas concentrée dans un personnage et dans la fonction – le principat – qu’incarne ce dernier. L’oratio du prince, discours par lequel celui-ci soumet ses propositions à la ratification du Sénat, devient bientôt décision du prince, et l’ancienne procédure du sénatus-consulte évolue pour tenir compte du caractère impératif de cette oratio : elle tendra à se réduire à la lecture de cette dernière3. Cette concentration de l’autorité, qui rompt avec la tradition républicaine, fonde en Occident, pour des siècles, une autre tradition dont les actes écrits sont

un témoignage majeur, comme le sont aussi statuaire et monnaie investies d’une fonction de transmission de codes iconographiques identifiant l’image de ce nouvel auctor qu’est le prince. La figure du prince est en effet destinée, bien au-delà de l’Empire romain et durant les deux millénaires qui suivront l’avènement d’Octave, à demeurer le siège de l’auctoritas ; une prérogative dont le vecteur premier demeure une oratio, une parole proférée par le monarque qui s’appropriera très vite, dès l’époque mérovingienne, le titre de princeps – d’où la nécessité pour le prince, maintes fois rappelée par les théoriciens médiévaux du pouvoir, d’exceller dans l’eloquentia4. La parole du prince conservera aussi cette caractéristique d’être consignée par écrit, cette consignation ouvrant indéfiniment le champ des destinataires, donc de ceux qui sont soumis à l’autorité de l’acte (ill. 2).

L’autorité, c’est l’acte Un lien puissant existe entre l’acte comme trace écrite et l’autorité elle-même, ainsi que le montre l’emploi métonymique du mot auctoritas pour désigner,


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dès le début de la dynastie mérovingienne, l’acte législatif lui-même. Il s’agit, pour cette race fraichement arrivée au pouvoir, d’affirmer ce faisant une légitimité, une stature, des prérogatives égales à celles du princeps romain. Dans un précepte promulgué vers 560, le roi Clotaire Ier, dernier fils de Clovis, évoque la vertu princière par excellence qu’est la « clémence » et qu’il revendique comme étant à la source de son action (usus est clementiae princepalis…)5 ; il utilise à diverses reprises le mot auctoritas pour désigner son précepte, acte à portée générale, ou tout acte royal : « Nous ordonnons en prescrivant par cette auctoritas générale qu’en toutes ces causes la norme du droit antique soit observée et qu’aucune sentence judiciaire n’ait de force si elle excède la mesure de la loi et de l’équité ». « Si quelqu’un a obtenu de nous, par subreption, une auctoritas contraire à la loi en trompant le princeps, elle sera sans valeur juridique ». « Que nul n’ait la présomption, du fait d’une auctoritas reçue de nous, de rechercher une veuve ou une jeune femme en mariage sans qu’elle-même le veuille », etc. Comme le suggèrent les deux derniers extraits du

précepte de Clotaire Ier, et comme le montrent certaines formules de corroboration de diplômes royaux (ill. 3), c’est à tout acte royal, quelle que soit sa portée, qu’il s’agisse d’un don, d’un arbitrage, d’un jugement, d’une ratification de testament ou de partage, que s’applique le mot auctoritas. Car la parole d’autorité que consigne l’écrit royal concerne l’ensemble des affaires dont se saisit le prince, qu’elles regardent la collectivité en son entier ou tel particulier. La systématisation de ce type de mention, dans un contexte rédactionnel codifié, est une garantie de recevabilité de l’acte et d’affirmation de l’auctor qui n’échappe pas aux évolutions politiques. Il est remarquable qu’à la veille du changement dynastique, le maire du palais Pépin, qui se dit dux et princeps Francorum (duc et prince des Francs) et s’apprête à renverser le dernier Mérovingien, se soit emparé de la formule consacrée de l’acte royal. Par la suite, les formules de corroboration où, et de manière non exclusive, est nommée l’autorité, sont amenées à évoluer, à se développer, à la faveur notamment du changement linguistique et de l’aban-

Ill. 3 L’acte comme autorité. Diplôme du roi mérovingien Dagobert Ier ratifiant un partage de terre [628]. Papyrus. Arch. nat., K 1, n° 9 (AE II 3). et ut haec auctoretas perpetuis temporebus… « et pour que cette autorité <dure> à perpétuité… » (corroboration).

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Ill. 4 L’autorité omniprésente. Exemption accordée par Louis le Pieux à l’abbaye de Saint-Maur-des-Fossés, de tous droits de péage et de circulation, 20 juin 816. Arch. nat., K 8 n° 3/3 (AE II 47). Et ut haec auctoritas firmior habeatur, et a fidelibus s<anc>tae D<e>i Ecclesiae et nostris diligentius conservetur, de anulo n<ost>ro subter jussimus sigillari. « Et pour que cette autorité soit rendue plus ferme et soit conservée avec plus de zèle par les fidèles de la sainte Eglise de Dieu et les nôtres, nous avons ordonné qu’elle soit scellée plus bas de notre anneau. » (corroboration).

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In nomine D<omi>ni D<e>i et Salvatoris nostri Jh<es>u Xpi <Christi>, Hludovicus, divina ordinante providentia, imperator augustus. « Au nom de Dieu le Seigneur et de notre Sauveur Jésus Christ, Louis, sur ordre de la divine providence, empereur auguste. »

per praesentem nostram auctoritatem « par notre présente autorité »


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don progressif du latin. Notons cependant que le terme même, auctoritas, ou autorité, y conserve une place centrale. Si l’acte se veut, durant toute la période médiévale et au-delà, l’expression littérale de l’autorité, en même temps que sa manifestation, il en révèle aussi le fondement, qui n’est autre que l’inspiration divine. L’évocation, dans les actes royaux, de l’origine divine de la fonction est une nouveauté du règne de Charlemagne ; elle se précise et se codifie à mesure que le souverain affirme son autorité impériale, par l’adoption en tête des diplômes de ce qui constituera une de leurs principales caractéristiques pour les siècles à venir, à savoir l’invocation trinitaire, bientôt fixée sous la forme « In nomine sanctae et individuae Trinitatis. Amen », mais qui au départ admet des variantes de type « In nomine Patris et Filii et Spiritus sancti. Amen ». Le couronnement par le pape, qui fonde la légitimité impériale de Charles, l’autorise de La Trinité face à la puissance rivale en la matière, à savoir le souverain byzantin, dont les actes rappellent précisément l’essence divine du pouvoir. La formule impose Charles comme héritier des Augustes et couronné de Dieu tout à la fois. Sous Louis le Pieux, les modes rédactionnels se systématisent, de même que se multiplie l’occurrence du nom auctoritas, qui en vient à figurer non plus seulement à la fin, mais aussi dans le dispositif de l’acte (ill. 4). Si l’autorité du monarque souverain émane de Dieu, des ajustements seront à opérer sous la monarchie constitutionnelle, à partir de 1789, d’où l’évolution des préambules au sein desquels l’invocation se présente dorénavant dans ces termes : « Par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l’État ». L’autorisation divine n’est plus seule à fonder l’autorité. Celle-ci procède encore de Dieu, mais également de l’action humaine que représente la loi constitutionnelle, phase intermédiaire au terme de laquelle, avec l’abolition de la monarchie, la souveraineté tirera son origine exclusive de la communauté des hommes et de leurs institutions6.

Conflits d’autorités Cette auctoritas du prince, d’un prince qui prétend agir au nom de la sainte et indivisible Trinité et tenir sa fonction de Dieu, n’a-t-elle pas été concurrencée par celle d’autres fonctions ou institutions ? L’anti-

quité a vu naître, en même temps que la reconnaissance du christianisme par les empereurs du IVe siècle, la difficile question des relations entre le prince romain, naguère réputé représenter le dieu suprême, Jupiter, dont il était le pontifex maximus (le grand prêtre), et un épiscopat soucieux de revendiquer pour lui l’exclusivité de la médiation entre Dieu et les hommes. Dès la mort du premier empereur chrétien, Constantin, de grands évêques comme Ossius de Cordoue, Hilaire de Poitiers, Ambroise de Milan, n’ont cessé de dénoncer l’ingérence de ses successeurs dans les affaires religieuses, de refuser aussi tout caractère religieux et sacré à la fonction impériale et toute identification possible de l’empereur à un prêtre. Le dernier d’entre eux, Ambroise, exprima très clairement l’idée que l’empereur, personne laïque, se devait d’agir, dans le gouvernement des peuples, en « fils de l’Église », en ayant toujours en vue l’intérêt de la vraie religion, et qu’il n’existait pas de séparation entre responsabilités politiques et responsabilité morale, entre devoirs politiques et devoirs religieux. L’affaire du massacre des habitants de Thessalonique sur l’ordre de Théodose Ier le Grand, en 390, témoigne de cette exigence fondamentale. Dans une lettre adressée à Théodose peu après le massacre, Ambroise exhorte l’empereur à confesser publiquement sa faute – comme l’avait fait le roi David après le meurtre d’Urie – et l’avertit qu’il suspend la célébration de l’office divin tant que n’a pas eu lieu cette confession publique7. Cette pénitence de Théodose restera célèbre, car elle témoigne d’un droit d’intervention que revendique le prêtre, en raison du péché commis, sur les actes des princes dans l’exercice de leur fonction, et d’une responsabilité bien précise reconnue à l’évêque à l’égard de l’empereur. De façon plus générale, ce que requièrent du prince les chefs d’une religion qui aspire à l’universalisme, se veut exclusive de toute autre vérité et dicte à tout chrétien une conduite précise dans ses relations à autrui, c’est que ses lois contribuent à faire du monde romain une société chrétienne, qu’elles définissent des normes de comportement qui soient en adéquation avec les préceptes évangéliques, avec la loi divine. Mais qui, du prince ou du prêtre, s’imposera comme porte-parole de la divinité ? Dans la partie orientale de l’Empire, apparaît très tôt la prétention du premier à se poser en chef de l’épiscopat et de l’Église

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INTRODUCTION : FONDER L’AUTORITÉ

d’Orient, à faire de son pouvoir une théocratie dans le vrai sens du terme : celui d’un gouvernement de Dieu [l’empereur Martianus s’intitulant au Ve siècle « empereur et pontife » ; l’empereur Justinien affirmant au VIe siècle que Dieu guide sa pensée lorsqu’il légifère (novelle 85, 3), ou proclamant, sur un mode christique, que le prince est la « loi animée, envoyée par Dieu aux hommes » (novelle 105)]. En Occident, peut-être en relation avec l’effondrement progressif du pouvoir impérial, probablement aussi en raison d’une attitude traditionnellement plus réservée des élites à l’égard de toute idée de sacralité du pouvoir, une telle conception ne prévaudra pas, sinon de façon très fugitive. Il est très significatif de voir, autour de 450, l’empereur d’Occident Valentinien III appliquer le mot auctoritas à la prérogative du pape romain en matière de religion et de discipline du clergé, reconnaissant que toute décision pontificale avait valeur de loi et devait avoir le concours de la puissance étatique (ce que l’on appellera par la suite le bras séculier). Mais cette reconnaissance vaut-elle celle d’une préséance ecclésiastique sur les autorités laïques ? Et vaut-elle droit de juridiction des prêtres à l’égard des rois ? C’est autour d’une lettre adressée en 494 à l’empereur d’Orient Anastase par le pape Gélase que sur ces deux questions se cristallisera, des siècles durant, le débat parfois vif qui opposera les deux autorités laïque et religieuse. Cette lettre a recours aux deux concepts-clés du droit romain classique que sont l’auctoritas et la potestas : « Il y a deux choses, écrit le pape, par lesquelles ce monde est principalement gouverné: l’auctoritas consacrée des pontifes et la potestas royale »8. L’on vient de constater que, dans le vocabulaire du droit public romain, le titulaire de l’auctoritas a nécessairement prépondérance sur celui de la potestas, et c’est bien, liée à l’attribution exclusive de la fonction sacrée aux pontifes (auctoritas sacrata), la prépondérance de ceux-ci sur les rois qu’affirme ici Gélase en la justifiant aussitôt : au Jugement dernier, les pontifes auront à répondre pour les rois eux-mêmes. « Tu sais », ajoute le pape à l’adresse de l’empereur, « que ton devoir est plus d’être soumis à l’ordre de la religion que de le commander ». En retour, le pape reconnaît que, « pour tout ce qui appartient à l’ordre de la discipline publique, tu sais que les pontifes de la religion, reconnaissant l’empire qui t’a été donné par une disposition d’En Haut, obéissent eux-mêmes à tes lois… ». La thèse pontificale est donc dualiste en ce sens qu’aucun des deux pouvoirs n’est fondé à assumer des responsabi-

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lités ayant trait au domaine d’action de l’autre. Cependant, le recours aux deux notions d’auctoritas et de potestas donne à ce dualisme, et à la réciprocité de dépendance entre les deux fonctions, une connotation inégalitaire. Le concept d’auctoritas doit sans doute garantir à l’Église le soutien actif de l’empereur et de son administration pour l’application de ses décisions d’ordre religieux, et c’est bien ainsi, on l’a vu, que l’avait compris l’empereur Valentinien III. Mais la déclaration de Gélase ne rappelle-t-elle pas aussi que les évêques, responsables devant Dieu pour les rois eux-mêmes, ont à exercer sur les princes chrétiens, sur leur action, sur leur comportement, une prérogative d’influence, et qu’ils peuvent dénoncer – ainsi que l’avait fait Ambroise de Milan dans l’affaire de Thessalonique – les actes du détenteur de la potestas qu’ils jugent en violation manifeste avec les préceptes divins ? Évoquons deux époques-clés de l’histoire du Moyen Âge au cours desquelles la lettre du pape Gélase fut invoquée par la hiérarchie ecclésiastique en vue d’affirmer sa prérogative de contrôle, voire une juridiction sur les princes eux-mêmes. La première est le règne de Louis le Pieux, fils et successeur de Charlemagne. Au temps du grand Carolingien, il ne fait aucun doute que celui-ci détient une auctoritas incomparable qui fait de lui l’admonitor, c’est-à-dire celui qui indique la voie à suivre et rappelle à tous, et aux évêques eux-mêmes, leur devoir. La personnalité de Louis le Pieux, sa volonté d’abandon du choix de l’unité impériale, qu’avait souhaitée et obtenue en 817 la haute hiérarchie religieuse, au profit de la pratique des partages (829), les difficultés qui s’amoncèlent dans le courant du règne suscitent l’exhumation de la lettre de Gélase. Lors d’un concile réuni à Paris en juin 829, les évêques citent la phrase du pape attribuant l’auctoritas sacrata aux évêques et la potestas au prince, et ils revendiquent pour eux une auctoritas qui dépasse le simple poids moral : « Puisque le ministère des évêques est d’une telle auctoritas […] qu’ils devront rendre compte à Dieu des rois eux-mêmes, il est nécessaire », écrit au prince l’un de ces évêques, Jonas d’Orléans, « que nous […] vous admonestions avec vigilance afin que vous n’erriez pas hors de la volonté de Dieu et du ministère qu’il vous a confié. Et si vous vous en écartiez de quelque manière, nous devrions proposer collégialement une mesure opportune pour votre salut »9. Il est net qu’est ici envisagée la perspective globale d’un contrôle des


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évêques sur l’action du prince, et sur sa fonction (ministère). Deux ans plus tard, un diplôme de Louis le Pieux semble comme répondre à cette revendication épiscopale. Ce diplôme par lequel l’empereur décide la réforme de l’abbaye de Saint-Denis, montre le prince affichant son auctoritas pour admonester les évêques, les inciter à sortir de leur « torpeur » dans un domaine qui relève tout particulièrement de leur compétence : mettre systématiquement en œuvre la réforme de la vie religieuse dans les monastères de l’Empire. Puis, le diplôme impérial nous montre les évêques, après instruction de l’affaire de Saint-Denis, admonestant le prince. Ils l’exhortent à agir, laisse écrire en son nom Louis le Pieux, afin que la discipline monastique y soit rétablie « par notre très pieuse potestas agissant en vertu de leur auctoritas (per eorum auctoritatem) » – le pouvoir du prince se mettant ici au service de l’auctoritas des évêques. L’on voit donc alterner, dans ce diplôme, les mentions de l’auctoritas du prince rappelant les évêques au devoir de leur fonction et de sa potestas respectueuse de l’autorité collégiale des évêques en matière de vie religieuse, et l’on voit la volonté de mise en œuvre alternative de l’auctoritas de chaque partie. Voilà qui témoigne du refus du prince de figer, comme ont pu le faire en 829 les évêques en citant Gélase, le vocabulaire à leur profit, et qui témoigne aussi que l’empereur entend bien, lorsqu’il le juge nécessaire, affirmer son auctoritas, c’est-à-dire sa force d’impulsion et de rappel à l’ordre, à l’égard des évêques eux-mêmes, tout en acceptant de placer sa potestas au service de l’auctoritas, c’est-àdire de la force d’impulsion des mêmes évêques dans tel ou tel secteur de leur domaine de compétence. Dans les mois qui suivent ce diplôme, Louis le Pieux, vaincu par une coalition de ses fils alliés à quelques grands prélats de l’Empire, sera jugé indigne de régner par un concile d’évêques : l’empereur, écrivent alors ceux-ci, « a été privé de la puissance terrestre conformément à la décision divine et à l’auctoritas ecclésiastique »10. Cette dramatique déposition sera sans lendemain, mais elle témoigne de l’acuité du conflit entre un prince refusant une mise en tutelle de sa fonction et une partie de l’épiscopat qui a poussé jusqu’à la solution extrême sa logique d’emprise du théologique sur le politique et d’étroit contrôle de la fonction royale. La deuxième époque-clé de retour en force de la lettre du pape Gélase est celle de la réforme grégo-

rienne (seconde moitié du XIe siècle), prélude à une phase capitale de l’histoire médiévale (XIIe-fin XIIIe siècle) au cours de laquelle la papauté affirme, à la faveur d’un long affrontement avec les titulaires successifs de la fonction impériale, ce que les canonistes du temps appelleront une summa auctoritas, une auctoritas superlativa11 : une primauté, en même temps qu’un rôle fédérateur, un rôle d’arbitre des conflits entre princes, sur l’ensemble de la chrétienté. Aux premières décennies du XIIe siècle on trouve des traces de cette primauté de l’auctoritas pontificalis sur les actes des rois jusque dans les préambules de certains diplômes de Louis VI le Gros : « Lorsque l’auctoritas pontificale ne prévaut pas par la parole, la potestas royale doit être à son service (le verbe utilisé est subministret et il marque une dépendance hiérarchique) en vue de corriger cela » (actes de Louis VI, n° 67, t. 1, p. 145). Sans marquer de façon aussi nette cette dépendance, une ordonnance de Philippe Auguste, promulguée un siècle plus tard, en 1214, et visant à réglementer une croisade, précise que la disposition qu’elle contient est prise en conformité « au droit et aux coutumes du royaume de France et à l’auctoritas de la Sainte Église Romaine ». L’on résumera le plus brièvement possible les thèses des partisans de la subordination des princes au sacerdoce en citant l’un des grands auteurs du XIIe siècle, l’Anglais Jean de Salisbury. Au livre IV, chap. 3 de son Policraticus écrit vers 1158, Jean souligne que c’est de l’Église que le prince reçoit le glaive par lequel il punit les criminels. L’Église détient le glaive du sang, mais, ajoute-t-il en reprenant certains éléments de la théorie des deux glaives exprimée dix ans plus tôt par saint Bernard, « elle l’utilise par la main du prince à qui elle a conféré le pouvoir (potestas) de contraindre les corps, s’étant réservé en la personne de ses pontifes l’auctoritas dans les affaires spirituelles ». « Le prince, ajoute-t-il, est le serviteur (minister) de la fonction sacerdotale, exerçant cette partie des fonctions sacrées qui paraît indigne du sacerdoce ». Plus loin, Jean de Salisbury évoque l’empereur Théodose le Grand, « suspendu de l’usage des attributs royaux et des insignes de l’Empire » par Ambroise de Milan et, parlant de l’auctoritas de conférer la dignité royale que détient le sacerdoce (allusion au rôle du clergé dans les sacres royaux), il rappelle une règle romaine extraite du Digeste : « C’est à celui qui détient le droit de conférer que revient celui de démettre »12. Ces citations ne tiennent pas compte de toutes les

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INTRODUCTION : FONDER L’AUTORITÉ

Ill. 5 Souveraineté de l’empereur. Donation de Frédéric II, empereur et roi des Romains, à Raymond VII, comte de Toulouse, du Comtat Venaissin, 8 septembre 1234. Arch. nat., J 419, n° 2 (AE I 1, 1).

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subtilités et nuances que Jean de Salisbury lui-même et de nombreux auteurs favorables à la papauté peuvent introduire dans leurs discours. Beaucoup d’entre eux ont pris conscience que l’essor des sociétés urbaines et d’une économie ouverte qui marque cette période, celui des monarchies et des appareils d’État qui s’accentue à partir du milieu du XIIe siècle, rendent inéluctable un processus d’autonomisation du pouvoir laïque amorcé longtemps avant la réforme grégorienne. La remarquable description du corps politique que donne Jean au livre V de son Policraticus témoigne d’un certain réalisme de son auteur, contraint de reconnaître que dans le corpus rei publicae, le siège du principat, la représentation organique du prince réside dans la tête, lieu de la pensée, lieu moteur de toute action, et que tous les organes représentatifs des autres fonctions lui sont étroitement subordonnés. Mais d’un réalisme soucieux tout de même de sauvegarder l’essentiel des fondamentaux de l’héritage grégorien : dans la métaphore organique de la res publica, le clergé ne représente nul organe et nulle matière, car il en est l’âme, une âme que le corps « reçoit par le bienfait d’une grâce divine ». C’est dire qu’à ses yeux, le principe de vie du corps social se doit d’intégrer le modèle classique, philosophique et chrétien – souvent évoqué par les grégoriens –, de la relation âme-corps: « De même que l’âme exerce le principat sur tout le corps, de même les administrateurs de la religion dirigent le corps de la république », écrit ainsi Jean, ajoutant plus loin que « le prince qui tient lieu de la tête au sein de la res publica doit être soumis à Dieu et à ceux qui agissent en son nom sur terre de la même manière que dans le corps humain la tête est vivifiée et régie par l’âme »13. On sait qu’au XIIIe siècle, une lutte féroce opposera encore la papauté et l’empire sur le thème de la primauté. Avec l’empereur Frédéric II, dans un contexte de rivalité déjà ancienne entre les deux fonctions qui revendiquent le dominium mundi, cette concurrence avec le pape prend un tour paroxystique (ill. 5). L’affirmation de l’autorité supérieure de l’empereur passe par des actes à portée symbolique forte, comme la reconnaissance de Raymond VII, comte de Toulouse excommunié, comme lieutenant de l’empereur en Comtat Venaissin (1234) : un moyen pour ce dernier d’affirmer sa souveraineté sur une région intégrée depuis quelques décennies aux états toulousains, mais remise à la garde du pape quelques années plus tôt (1229).

Ce conflit, on le sait, s’acheva à la mort de Frédéric II (1250) par la victoire de l’Église et l’abaissement durable de l’Empire. La royauté française fit preuve de réserve, voire d’une stricte neutralité dans cette dernière lutte dont l’issue fit de la France capétienne la plus puissante monarchie d’Occident. Au temps de Philippe IV le Bel, le conflit se déplace vers le royaume de France dont le chef entend établir avec fermeté sa totale indépendance en même temps que son autorité temporelle sur l’Église de France: c’est la fameuse lutte entre Philippe IV le Bel et Boniface VIII (1296-1303) qui s’achève par le triomphe du roi de France et déclenche une contestation sans précédent, dans toute l’Europe, de la prétention du pape à exercer sur les princes de la chrétienté une auctoritas superlativa, et sur l’Église une puissance sans frein. C’est notamment à la faveur de telles luttes et de telles évolutions qui marquent l’avènement des États nationaux, qu’en France les juristes attachés aux monarques font appel à des notions jusqu’alors peu usitées qui, comme celles de plenitudo potestatis et de certa scientia (plénitude de puissance, certaine science), viendront rapidement compléter, dans les actes, la mention plus ancienne et plus classique de l’auctoritas pour témoigner de la pleine capacité d’agir et puissance souveraine du roi.

Plenitudo potestatis : expression du pouvoir souverain Les expressions plena potestas, plenitudo potestatis sont issues des milieux pontificaux14 et ont servi depuis la seconde moitié du XIIe siècle à situer le pape supra jus, au-dessus du droit, à faire de lui à la fois un legibus solutus (délié des lois) et une autorité dont la volonté crée la loi à l’image du princeps romain et selon les termes de deux passages du jurisconsulte Ulpien situés au Digeste (le prince est absous des lois : princeps legibus solutus est ; Ce qu’a voulu (trouvé bon, sens de placuit) le prince a la vigueur de la loi : quod principi placuit legis habet vigorem). La formule traduisait la volonté des milieux pontificaux de légitimer toute décision judiciaire ou législative prise par le pape en contradiction avec les règles antérieures. La plena potestas est donc bien l’expression d’un absolutisme de type impérial. En France, le premier texte royal où figure l’expression « plénitude de puissance » est l’ordonnance de réformation de 125415 au terme de laquelle Saint Louis, après avoir détaillé les mesures prises, se réserve le pouvoir de les modifier : « retenta


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INTRODUCTION : FONDER L’AUTORITÉ

Ill. 6 Le trinôme des Valois. Registre du Trésor des chartes, règne de Charles V, 8 mai 1370. Arch. nat., JJ 102, f. 68.

Et ex certa scie<n>tia gr<ati>a sp<eci>ali et n<ost>ra auct<oritat>e regia « Et de certaine science, grâce spéciale et autorité royale »

De n<ost>re grace esp<eci>al, c<er>tainne science et auct<orit>é royal

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AUT OR IT É, P OUVOIR , SOUVER AINETÉ : DES NOTIONS ET DES ACTES

nobis plenitudine regie potestatis declarandi, mutandi vel etiam corrigendi, addendi vel minuendi ». Cette mention demeure pendant près d’un demisiècle isolée, et c’est le règne de son petit-fils, Philippe IV le Bel, qui marque un important tournant dans la justification de la puissance législative du roi, d’abord avec, en 1297, une nouvelle utilisation de l’expression plenitudo potestatis16, puis avec l’apparition, dans l’ordonnance de 1303 interdisant les guerres privées, d’une formule ternaire associant, dans un ordre qui se fixera un peu plus tard, trois expressions appelées à se pérenniser : ex certa scientia (de certaine science), auctoritate (autorité), et plenitudine regiae potestatis (et plénitude de la puissance royale) : « […] de certaine science autorité et plénitude de la puissance royale, nous abrogeons complètement, cassons, invalidons […] ». Trois expressions auxquelles s’en ajoute une quatrième lorsqu’il s’agit pour le roi de déroger aux lois et coutumes du royaume pour accorder à un particulier ou une communauté un privilège ou une « grâce spéciale » : gracia speciali. J. Krynen, qui a recensé une quinzaine de mentions du trinôme durant le XIVe siècle, observe que sa mise en place est allée de pair avec la tendance au redoublement des verbes du dispositif : « nous avons voulu, ordonné et déclaré, voulons, ordonnons et déclarons… »17. Toutes formulations nouvelles qui, avec quelques autres se référant au Quod principi placuit du droit romain (« car ainsi nous plaît-il être fait » que l’on trouve dès 1381 dans une ordonnance de Charles VI, « voulons et nous plaît », « car tel est notre plaisir », plus tardif), renforcent la déclaration de volonté et affirment déjà un absolutisme de principe. Outre les notions de plenitudo potestatis et d’auctoritas, intervient, on vient de le voir, une troisième notion qu’il convient d’expliquer en quelques mots : celle de la certa scientia. La certaine science, c’est la pleine conscience que l’on a du caractère dérogatoire ou contraire à la loi ou à la coutume de la règle que l’on entend se donner ou donner aux autres. Au XIIe siècle, les commentateurs du droit romain (glossateurs) s’étaient posé la question de la hiérarchie normative existant entre coutume, considérée comme émanant du peuple, et loi émanant du prince. Une population locale, avaient jugé certains glossateurs, peut valablement se donner une coutume particulière contraire à la loi, ou contraire à une coutume antérieure, à condition qu’elle le fasse, non par ignorance

de la règle abandonnée, mais sciemment : ex certa scientia, en toute connaissance de cause18. Cette réflexion sur le droit du peuple à se donner ex certa scientia des coutumes contraires à la loi, les romanistes (et les canonistes s’agissant de l’autorité pontificale) l’ont poursuivie à la fin du XIIe et au XIIIe siècle en la transposant dans la personne du prince qui, depuis toujours, est en charge de la lutte contre les « mauvaises coutumes ». Lorsqu’il repère une coutume injuste, contraire aux mœurs du moment, contraire à la raison, le roi est fondé à légiférer contra jus (contre le droit existant), et il l’a fait en France au XIIIe siècle (abolition du duel judiciaire par Louis IX, tentatives d’interdiction des guerres privées considérées par la noblesse comme relevant d’une coutume ancienne et légitime) en arguant du caractère non raisonnable de telle ou telle règle coutumière. Transposer la certa scientia vers la personne du prince, c’est suggérer qu’il lui est désormais possible, sur le seul fondement de sa scientia (qui doit être manifeste et faire l’objet d’une clause expresse : d’où l’expression « De notre certaine science ») et sans nulle autre justification, de légiférer contra jus : c’est en somme reconnaître la supériorité de la loi du prince sur le droit existant, et c’est par conséquent reconnaître au prince une plena potestas (ill. 6). En somme, au début du XIVe siècle, les légistes qui entourent le Capétien tendent à appliquer au roi les maximes d’Ulpien : ils sont tentés d’en faire un princeps legibus solutus, un prince dont la volonté, dont le placitum fonde la règle (quod principi placuit) : « Contenez votre langue », s’exclame ainsi, en 1296, un partisan de Philippe IV le Bel dans un écrit pamphlétaire contre des thèses de la papauté, « et retenez que le roi par sa puissance royale préside aux lois, aux coutumes, aux privilèges et aux libertés concédées »19. « La volonté du roi crée le droit » (voluntas domini regis facit jus) peut-on lire vers le même temps sous la plume d’un commentateur. Au temps de Charles V, un aristotélicien et théologien hostile aux légistes, Nicole Oresme, s’insurge contre la « fausse opinion et mauvaise suggestion » des juristes qui brandissent les maximes d’Ulpien et attribuent au roi « plenitude de posté »20. Et cette critique, comme celle de bien d’autres, témoigne a contrario de la vigueur du courant absolutiste dans l’entourage des premiers Valois, et témoigne aussi du malaise de ceux que les hommes du temps appellent les « artiens », aristotéliciens et théologiens,

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Ill. 7 La gloire du souverain. Évrart de Trémaugon, Le Songe du Vergier, 1376. Nîmes, Bibl. mun., Ms. 228, § 251.

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souvent l’un et l’autre à la fois : d’un Gerson qui rejette très clairement, dans un sermon prononcé en 1415, le princeps legibus solutus ; d’un Jean Juvenal des Ursins qui, un peu plus tard, considère le prince comme moralement tenu de respecter les lois, de ne pas changer une loi « quant elle est pourfitable », et de ne le faire que pour une juste et raisonnable cause21. On le voit, les mots et formules d’une ordonnance ne sont pas anodins et peuvent remarquablement traduire la conception qu’un prince et son entourage se sont forgée de la puissance royale et de son usage. C’est enfin au temps des premiers Valois, et du plus grand d’entre eux, Charles V le Sage, que se diffusent dans les actes royaux, comme dans les écrits des partisans de l’autorité royale (le Songe du Vergier d’Évrard de Trémaugon22), les deux mots français « souverain », « souveraineté », qui ne sont certes pas nouveaux (ill. 7). Ils viennent du latin supernus (supérieur), supernitas (supériorité), et le plus ancien emploi connu du premier en langue romane date du

XIIe siècle et sert à désigner la divinité (« li souvereins

reis », le suprême roi23) ; l’on trouve « souverain », plus rarement « souveraineté » dans divers textes du XIIIe siècle tels que les Coutumes de Beauvaisis de Philippe de Beaumanoir, bailli de Clermont (en Beauvaisis) à la fin du règne de Philippe III. Évoquons un instant ce qu’écrit Beaumanoir au paragraphe 1043 de cette œuvre. Il y déclare que « chaque baron (chaque grand seigneur vassal du roi) est souverain en sa baronnie », et prend ainsi acte de ce que les seigneurs du royaume exercent des droits régaliens et sont, relativement à d’autres, et dans les limites de leurs seigneuries, supérieurs ; ils sont souverains dans la mesure où chacun d’eux peut, « dans sa sphère de domination, décider indépendamment d’autrui » (H. Quaritsch). Mais Beaumanoir poursuit : « le roi est souverain par dessus tous et a de son droit la générale garde de tout son royaume, par quoi il peut faire tous établissements comme il lui plaît pour le commun profit, et ce qu’il établit doit être


PRENDRE CONSEIL

tenu. Et il n’y a nul si grand au-dessous de lui qui ne peut être attrait en sa cour pour défaut de droit ou pour faux jugement et pour tous les cas qui touchent le roi » (version modernisée). Le roi est donc, aux yeux de Beaumanoir, le souverain suprême, situé au sommet, et il exerce une autorité qui lui est propre et que d’autres juristes du temps (par exemple Jean de Blanot) qui utilisent le vocabulaire du droit romain identifient à celle du princeps romain : énoncer en effet que le roi détient la « garde générale » de tout son royaume, c’est rappeler un devoir classique de la royauté, qu’elle seule est en mesure de mettre en œuvre à l’échelle de tout le royaume : protéger son peuple, lui assurer la paix et la sécurité, agir en somme pour ce « commun profit » dont parlent tant les intellectuels du XIIIe siècle. Et c’est aussi ériger ce devoir en droit, porteur d’une prérogative de contrôle des autres puissances qui coexistent au sein du royaume. Cette « garde générale » justifie ainsi, aux yeux de Beaumanoir, que le roi soit législateur, puisse faire « tous établissements comme il lui plaît » – on retrouve ici le quod principi placuit du droit romain – et qu’il soit justicier suprême, habilité à contrôler la justice exercée par ses « barons ». Tel est en somme, alors, le sens du mot « souverain » lorsqu’il s’applique au roi. C’est au XIVe siècle, en particulier au temps de Charles V, que le mot « souveraineté » prendra son essor dans les actes royaux. Le mot est alors utilisé, au singulier ou au pluriel, pour désigner les prérogatives que détient le roi en tant que roi, celles qu’il est le seul à exercer et qu’il se réserve expressément lorsqu’il lui advient de céder, en échange, don ou apanage, un duché, comté ou seigneurie. Si, au XIVe siècle, les légistes royaux ne sont pas encore parvenus à cette définition unitaire et principielle de la souveraineté que donnera deux siècles plus tard Jean Bodin (« la puissance absolue et perpétuelle d’une république »24), ils s’efforcent d’en décrire les attributs avec toute la précision possible et posent comme principe que ces attributs – ce que Bodin appellera « les vrayes marques de la souveraineté »25 – sont imprescriptibles et inaliénables et ne peuvent jamais sortir de la main du roi. L’affirmation de toutes ces notions accompagne ainsi la construction de l’État moderne, l’autorité royale se munissant d’un pouvoir administratif toujours plus étendu, et le dominus superior de l’ère féodale cédant progressivement la place au souverain absolu, délégant les divers attributs de sa puissance.

PRENDRE CONSEIL YVES SASSIER

Il ne faut sans doute pas sous-estimer la tension existant entre le caractère absolu, car issu de Dieu seul, de l’autorité, et le principe selon lequel la source et la condition du pouvoir du prince résident dans un consensus réputé général du peuple : dans l’Empire romain l’on conservera toujours l’idée ou la fiction selon laquelle c’est du peuple, et d’une lex regia émanant des comices, que vient la toute-puissance législative du prince : le peuple a transmis au prince tout son imperium et toute sa potestas, dit en substance Ulpien dans l’explication qui suit son « quod principi placuit legis habet vigorem ». Retenue de façon plus ou moins confuse selon les temps, cette idée d’une transmission du peuple au prince et d’un contrat liant ce dernier à son peuple, symbolisés dès l’époque romaine par les procédures d’acclamation, implique une éthique de la gouvernance dont l’une des caractéristiques majeures est l’absence d’abus de pouvoir, dont la principale garantie réside dans le gouvernement par conseil : conseils restreints ou conseils élargis à des assemblées de notables. Dans une constitution reprise au Code de Justinien, la constitution Humanum esse promulguée en 442 (C. 1, 14, 8), les empereurs Théodose II et Valentinien III reconnaissent la règle – une règle que n’ont sans doute pas toujours suivie leurs prédécesseurs, mais que Justinien considère comme fondamentale puisqu’il l’a fait inscrire au Code – selon laquelle le prince ne saurait légiférer seul et doit agir du consentement de ses palatins et du Sénat. La constitution décrit une procédure assez complexe destinée à garantir l’expression du consensus réuni des membres du Consistoire sacré (le conseil impérial) et du Sénat. Cette procédure comprend deux phases: une première est une phase de discussion collégiale avant rédaction d’un projet, une deuxième phase voit le consistoire et le Sénat consentir au texte définitif, avant lecture publique de la nouvelle loi en présence de tous ceux qui ont contribué à sa confection, lecture publique préalable à la promulgation par l’auctoritas du prince. Le « placuit » de l’empereur est nécessaire à la promulgation (on rejoint ici Ulpien), mais il n’est pas seul, et ces phases de discussion sur le contenu de la nouvelle loi, tout comme la phase d’oralité qui clôt la procédure, le montrent bien.

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L’époque mérovingienne connaîtra des règles assez proches. D’un côté, le roi mérovingien ne peut légiférer, en principe sans le concours assez fictif de son peuple rassemblé, dans la réalité sans le concours de ses grands, de ses proceres ; le cadre de ce rassemblement est le placitum, mot traduisant bien l’idée de convergence entre volonté du prince et volonté des Grands ; de l’autre, le peuple (en réalité les grands) ne pourra non plus rien faire sans le roi, et la procédure s’achèvera par une lecture solennelle du texte – le verbum regis – devant le peuple réuni, lequel approuvera par acclamation. Il y a là un élément essentiel de la procédure législative, assez caractéristique de cette notion de conseil aperçue dans la constitution Humanum esse, très caractéristique, aussi, d’un esprit de concertation propre à la tradition germanique : celleci, nous le savons grâce notamment à Tacite (De Germania), donnait un rôle essentiel à l’assemblée générale des hommes libres, des guerriers de la tribu, alors qu’aux temps mérovingiens, même au sein des fameux champs de Mars où le roi faisait acclamer ses décisions par son armée, c’est en réalité, souvent, une élite (religieuse et sociale) qui s’exprime. Enfin, l’esprit de concertation est vu, depuis toujours, dans sa dimension éthique. Il en est ainsi aux temps mérovingiens où des lettres d’exhortation adressées à des rois – celle de Remi de Reims à Clovis, celle d’un évêque inconnu à un jeune roi, probablement Clotaire II – insistent sur la nécessité du conseil, gage de perfection royale et de bonne gouvernance. Aux temps carolingiens, comme plus tard aux temps capétiens, la fonction de consilium que sont appelés à jouer les Grands du royaume repose ainsi sur tout un socle de traditions, qui est aussi une tradition d’équilibre entre le roi et ceux-ci. Au IXe siècle, temps où se trouvent affirmés avec une force particulière le principe électif – ou tout au moins un rôle actif des Grands dans l’élévation à la royauté – et la nature contractuelle de la royauté (pacte de Coulaines de 843, assemblée de Quierzy de 858, sacre de Charles le Chauve comme roi de Lotharingie en 869, tractations autour de l’avènement de Louis le Bègue en 877), il n’est évidemment pas concevable que le monarque puisse bénéficier d’une totale liberté de décision. Vers 845, l’abbé Loup de Ferrières, dans une lettre au jeune Charles le Chauve, engage le roi à s’entourer de larges conseils et donne en exemple le rôle déterminant, dans la réussite de l’ancienne Rome, du

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Sénat, « citadelle ferme et haute de la république », dont les membres, dit-il, préféraient la dilectio publica (c’est-à-dire du peuple entier), renonçant à leur intérêt particulier26. Au temps du même roi, l’aide – l’auxilium – des Grands dans l’application de la décision prise sera à la mesure de leur consilium, de leur implication dans la décision elle-même : une règle qui n’est pas reçue, c’est-à-dire acceptée par les Grands du royaume dans leur fonction de consilium ne peut que tomber en désuétude faute d’appui – d’auxilium – de leur part. Hincmar, un grand archevêque de Reims du temps de Charles le Chauve, le sait bien puisqu’il27 est probablement le principal promoteur de la formule consilium et auxilium appliquée par lui au gouvernement royal, bien qu’appelée par la suite (XeXIIIe siècles), en liaison avec la dispersion de la prérogative royale, à connaître une remarquable diffusion vers tous les niveaux de la société nobiliaire et de la hiérarchie féodo-vassalique. Ce qu’Hincmar de Reims entend aussi promouvoir, c’est – au-delà de la pratique institutionnelle du conseil qui est pour lui source de stabilité pour l’action royale – un authentique « esprit de conseil », une constante volonté, de la part du roi, de rechercher la présence de bons conseillers. Dans son traité De regis persona et regio ministerio [De la personne du roi et du ministère royal] qu’il écrit au début des années 870 à l’intention de Charles le Chauve, il reproduit le passage d’un traité d’origine irlandaise (Les douze abus du siècle) relatif à la justice du roi où figure la nécessité pour le roi d’avoir des « conseillers âgés, sages et sobres ». Hincmar traite longuement du choix de bons conseillers comme de l’excellence vertueuse que doit rechercher le prince chez les conseillers dont il s’entoure. Aux lendemains de la mort de Charles le Chauve, face à un roi dépourvu d’envergure (Louis le Bègue) ou à des rois trop jeunes (Louis III et Carloman), Hincmar fait du gouvernement par conseil l’un des thèmes centraux de son discours. Dès 877, il reproche vivement à Louis le Bègue de ne pas être utile à son peuple et, notamment, de ne pas gouverner en s’entourant de bons conseillers : « Les conseillers qui connaissent ce qui est bon et utile n’osent le dire, ou n’ont pas l’occasion de le dire. » Le roi doit s’entourer des conseils les plus larges, dit-il en des termes particulièrement choisis, insistant sur le nécessaire parallélisme entre l’ampleur des fins poursuivies et l’ampleur du consilium requis : « on ne peut traiter de l’utilité commune


PRENDRE CONSEIL

(de communi necessitate et utilitate) sans recourir au “commun conseil” (communi consilio) ». En 881, l’archevêque de Reims s’adresse aux deux successeurs de Louis le Bègue, Louis III et Carloman, pour leur proposer l’exemple de leur ancêtre Charlemagne. En toutes circonstances, souligne-t-il, Charles entendait ne jamais se séparer d’au moins trois parmi ses plus sages conseillers. Toute pensée lui venant, de jour comme de nuit, sur l’utilité de la Sainte Église et du royaume, il la notait aussitôt sur des tablettes, en discutait longuement avec ces trois conseillers avant d’en faire part, au sein des plaids généraux28 à l’ensemble de ses autres conseillers par le « commun conseil » desquels la décision était prise. « Fais tout par conseil, et tu ne te repentiras pas de ce que tu as fait » (Eccl. 32) ; « Le sage qui écoute sera plus sage encore » (Prov. 1) : Charlemagne, qui fut sage, constate Hincmar après avoir cité ces deux versets, fit siennes ces phrases de l’Écriture. Il faut donc que Louis III et Carloman suivent l’exemple de leur ancêtre : qu’ils choisissent, avec le conseil et l’aide de leurs fidèles, des conseillers relevant des deux ordres (laïque et ecclésiastique) qui resteront en permanence auprès d’eux et leur enseigneront à gouverner le royaume selon la volonté de Dieu. Soulignons ici que, pour Hincmar, les deux niveaux du gouvernement par conseil – conseil restreint à une poignée de conseillers et conseil élargi aux Grands du royaume – sont complémentaires et nécessaires, mais l’un, celui qui opère journellement dans l’intimité du monarque, est à l’évidence, à ses yeux, la seule véritable garantie du meilleur gouvernement dès lors que ses acteurs sont sélectionnés sur le seul critère des vertus intellectuelles et morales. Il faut souligner la permanence de cette exigence, par-delà l’évolution chaotique que connaîtra trois siècles durant la puissance royale, qu’est le gouvernement par conseil. Un texte bien connu, la constitution du 10 juin 115529 par laquelle le roi Louis VII proclame une paix de dix ans pour tout le royaume – la première ordonnance royale applicable hors de la région que contrôle directement le roi depuis deux siècles et demi – témoigne d’un tel impératif qui pèse d’un double point de vue sur l’institution royale : d’abord parce que l’on n’a jamais perdu de vue l’idée, remarquablement exprimée par Hincmar de Reims, qu’une décision intéressant l’utilitas communis, l’intérêt commun, ne peut être prise que du commun conseil des fidèles du

roi : la forme de la décision ne peut qu’être collégiale. Ensuite parce que l’autonomie des plus Grands du royaume sera plus de trois siècles durant (XeXIIIe siècles) une réalité juridico-politique dont le roi devra tenir compte. Dans ce texte de 1155, le roi s’exprime sans doute à la première personne : il « constitue » et « ordonne », il proclame ex verbo regio, « par le verbe royal » ; il est donc celui sans l’auctoritas duquel une mesure générale applicable à l’ensemble du royaume ne saurait voir le jour ; mais de leur côté, les Grands du royaume qui sont présents agissent « de leur bon plaisir », ex eorum beneplacito, dit le texte, ce qui signifie qu’ils adhèrent à la décision en princes pleinement autonomes, ce qui signifie aussi que l’acte d’édiction du roi ne vaut, dans sa portée territoriale, que par le pacte – un pacte établi sous serment – préalablement conclu entre le roi et les princes. Considération de l’intérêt commun et autonomie des plus Grands sont donc ici les deux raisons justifiant le recours au conseil des Grands du royaume. La deuxième raison sera illustrée, au milieu du XIIIe siècle, par un auteur coutumier, le rédacteur des coutumes de Touraine et d’Anjou qui écrira la phrase suivante : « si un baron a pleine justice sur sa terre, le roi ne peut mettre ban [publier un ordre, légiférer] en la terre de ce baron sans son assentiment ». Soulignons toutefois qu’au temps de la rédaction de ce coutumier, la prérogative du roi de France a déjà évolué, en liaison étroite avec la modification du rapport de force entre la royauté et les grands princes qu’ont consacrée ces deux événements majeurs que furent la conquête par Philippe Auguste d’une grande partie de l’empire Plantagenêt, puis la croisade albigeoise. Dès le temps de Louis VIII, en effet, une ordonnance royale promulguée en 1223 laisse entendre que le roi se contente déjà de l’adhésion d’une partie de son baronnage : il est précisé que la mesure s’appliquera tant à ceux qui l’ont jurée qu’à ceux qui ne l’ont pas jurée. En 1230, époque où la dynastie capétienne consolide son implantation dans le sud du royaume, le dispositif de l’ordonnance contre l’usure promulguée par le jeune roi Louis IX souligne que la mesure a été arrêtée « pour l’utilité de tout le royaume » et « du commun conseil des barons », et il est précisé qu’au cas où un quelconque baron refuserait de l’observer, le roi et les autres barons « l’y contraindront ». En somme, au XIIIe siècle, le roi, tout en continuant de demander l’assentiment de ses

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grands vassaux, se contente de plus en plus de requérir celui des principaux et sait que cela suffit, si bien d’ailleurs que la chancellerie royale finit par ne plus mentionner les noms des barons présents, se contentant d’une vague formule signalant la présence et l’adhésion de la majorité. Le changement dans l’équilibre des forces entre le roi et ses Grands a donc permis une telle évolution qui montre bien qu’est en marche, au cours du XIIIe siècle, un processus d’atténuation de l’autonomie de ces grands, de leur « souveraineté », dirait Beaumanoir, dans leur propre sphère de puissance. Mais revenons vers l’approche doctrinale de cette collégialité qui s’impose au roi dans la prise de décision. Une première remarque à faire concerne l’apport des romanistes, lié à la redécouverte, dans l’œuvre de Justinien, de la fameuse constitution Humanum esse des empereurs Théodose II et Valentinien III évoquée plus haut. Dès le XIIe siècle, on exploite cette constitution, et c’est à un jurisconsulte de la première moitié du XIIe siècle, Géraud le Provençal, que nous devons le premier commentaire du texte. Dans une Somme sur le Code de Justinien (Summa codicis Trecensis)30, Géraud analyse la constitution Humanum esse comme définissant trois exigences toujours valables, selon lui, à son époque (hodie) ; deux exigences de fond : constater l’existence d’un état de nécessité imposant une règle nouvelle et s’enquérir d’abord d’une disposition des lois anciennes adaptable à la situation. La troisième exigence est celle de la discussion collégiale : « la loi doit être faite, écrit Géraud, par une discussion de son objet par les grands réunis en auditoire, et principalement par les sénateurs, et par une prise de décision sur leur conseil. Et cela est conforme au droit parce que la loi est une constitution du peuple promulguée du conseil d’hommes sages ». L’on voit ici Géraud escamoter tout rôle actif du prince dans la fabrication de la loi, la justification qu’il donne de cette procédure de consultum insistant sur l’idée – qui est, pour une large part, fiction – que le peuple législateur se fie au consultum de quelques hommes sages. Géraud tire ainsi une conclusion forte du principe (issu notamment des développements d’Ulpien) selon lequel la multitude avait eu le pouvoir originel de prescrire et donc l’autoritas legis condendae, et que la faculté de faire la loi, de la part d’une ou de plusieurs personnes, ne pouvait qu’avoir fait l’objet d’une permission du peuple.

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Le point de vue de Géraud est quelque peu marginal, comparé à celui des autres commentateurs de son temps qui, interprétant humanum esse, s’en tiennent à une position tendant à situer l’empereur à la source de l’activité législative, avec toutefois deux interprétations divergentes de la portée de la constitution : pour certains (Rogerius, Azon, Odofredus), Humanum esse lie les empereurs et leur impose une procédure consultative qu’ils sont tenus de respecter. Pour d’autres, (Bulgarus, Jean Bassien, Placentin), la constitution Humanum esse ne saurait avoir de force obligatoire : d’ailleurs, cette constitution ne fait que dire : « il est humain que » (humanum esse), argumentera Balde, l’un des plus grands romanistes du XIVe siècle ; elle ne dit pas : « il est obligatoire que » (dicit humanum, non autem dicit necessarium) ; et Balde ajoutera : cette loi humanum esse pose un modèle de convenance et d’honnêteté, non de nécessité, ce qui signifie que le prince peut, ex voluntate (s’il le veut), se dispenser d’une procédure collégiale, et ex voluntate, s’y soumettre ; et c’est bien ce qu’avait déjà, de son côté, constaté l’un des plus grands jurisconsultes français du XIIIe siècle, Jacques de Revigny : « je ne veux pas que vous soyez abusés, dit-il à ses lecteurs ou auditeurs, mais je vous dis que si l’empereur le veut, il peut créer la loi d’un simple mouvement de tête ; mais il est vrai que la tradition qu’il suit est qu’il statue (qu’il fait loi) du conseil des Grands qu’il a fait appeler ». Et d’autres grands juristes du XIVe siècle, comme Cynus de Pistoia, considèrent, de même, que la loi faite proprio motu (de son propre mouvement) par le prince n’en est pas moins parfaitement valide. En somme, pour nombre de ceux qui raisonnent en juristes et ne considèrent comme obligatoire que la norme assortie d’une sanction (ce que n’est pas la constitution Humanum esse qui ne prévoit pas de sanction contre le prince qui ne la respecterait pas), écouter le conseil de personnes sages relève de l’éthique du pouvoir, non de la necessitas, non d’une obligation assortie de sanction. Il n’empêche : les hommes du XIIIe siècle n’en considèrent pas moins que décider en s’entourant de conseillers est l’un des grands critères de la bonne gouvernance et du bon gouvernant. Beaumanoir l’exprime de façon laconique lorsqu’il souhaite que le roi légifère « par très grand conseil » et ce thème du consilium est aussi très présent chez les moralistes : dans son De regimine principum (v. 1280), Gilles de Rome


L E « P R OC ÈS D E T R OIS SIÈC L ES » . L E R OI, L ES P AR L EM ENTS ET L’AUTORITÉ DANS L’ÉTAT

souligne que « le roi doit s’associer beaucoup de conseillers sages et vertueux qui seront, dit-il, comme ses yeux, ses mains et ses pieds […] C’est, poursuit-il, le rôle des conseillers que de suggérer au roi de bonnes lois ». Au temps de Charles V, un autre grand lettré, Nicole Oresme, écrit dans sa traduction commentée des Politiques d’Aristote qu’un prince qui légifère seul, « à sa pleine volonté », est un tyran. Oresme va infiniment plus loin qu’un Beaumanoir ou un Gilles de Rome, puisque, dans le sillage de Marsile de Padoue, il affirme la nécessité de « l’autorité et consentement de toute la communauté ou de sa plus vaillante partie » pour faire ou modifier les lois. Oresme est peut-être, dans la France du XIVe siècle, le représentant le plus extrême d’un courant de pensée qui, non seulement, fait la promotion de l’idée de conseil, mais encore, se fait l’écho des inquiétudes d’Aristote à l’égard des changements trop fréquents de la loi, et souligne que le seul moyen de limiter la volonté du législateur est de tenir compte de celle du peuple, notamment dans le cadre des assemblées des trois états du royaume31. Aux XIVe et XVe siècles, les légistes, spécialistes du droit romain, sont omniprésents dans les entourages royaux et il n’est pas surprenant qu’au temps des redressements monarchiques qui ponctuent cette période difficile (Charles V, Charles VII, Louis XI), la tendance absolutiste s’inspirant de l’interprétation des textes romains la plus favorable au prince tende à l’emporter. Son triomphe, aux siècles suivants, sur d’autres thèses défendues notamment par les monarchomaques au XVIe siècle, par les milieux parlementaires aux XVIIe et XVIIIe siècles (le parlement de Paris depuis le XIVe siècle, et par la suite les autres parlements se considèrent volontiers comme le Sénat du royaume, fondé à jouer un rôle de premier plan dans l’élaboration de la législation royale)32, ne supprimera pas l’institution du conseil. Celle-ci tendra même à se diversifier, donnant naissance à diverses instances du conseil spécialisées dans des tâches précises ; mais la marche vers l’absolutisme, qui enfouira toute idée de contrat, voire de dialogue, entre le roi et son peuple sous la chape du droit divin, tendra à faire d’instances restreintes et dépourvues de membres statutaires (Conseil d’en haut, Conseil des dépêches) où l’on traite des grandes affaires, de simples instances de consultation, d’aide à la décision, et non, malgré certaines apparences, des instances où la décision est collégiale : la décision est, et demeurera jusqu’à la fin

de l’Ancien Régime, celle, souveraine, émanant du placitum, du « bon plaisir », de la volonté du roi. Retenons de cet aperçu historique qu’à toutes les époques, et même, sous une forme il est vrai singulièrement amoindrie, au temps de l’absolutisme monarchique, le bon usage de la parole autoritaire suppose un consilium préalable que le détenteur ou le représentant de l’autorité prend auprès d’instances qu’il investit de ce rôle spécifique : la Cour du roi, les institutions qui en émanent à partir du XIIIe siècle (Parlement, chambre des comptes), le Conseil et ses ramifications modernes. C’est ce même vocable, « Conseil », qu’utiliseront les régimes qui suivront la monarchie renversée.

LE « PROCÈS DE TROIS SIÈCLES ». LE ROI, LES PARLEMENTS ET L’AUTORITÉ DANS L’ÉTAT FRANÇOIS SAINT-BONNET

« Sire, vous ne devez pas vouloir tout ce que vous pouvez, mais seulement ce qui est en raison bon et équitable, qui n’est autre que justice ». Cette sentence célèbre du président Guillart, lors d’une séance solennelle du parlement de Paris en présence du roi – un « lit de justice » – en 1527, traduit admirablement l’ambiguïté des relations entre les cours souveraines et les parlements, spécialement celui de Paris, et le roi. Au point que le Chancelier de Maupeou parlera d’un « procès de trois siècles » pour évoquer la mise au pas de la magistrature parlementaire à laquelle Louis XVI renoncera dès son accession au trône. C’est dire que la question des rapports entre la monarchie et les cours souveraines est absolument décisive pour comprendre cette période dite de l’absolutisme. Le président Guillart ne dit rien qui ne soit inaudible pour le monarque. Il rappelle que le roi peut tout, ce qui est le principal axiome constitutionnel de la monarchie absolue : ab-solutus signifie « qui n’a pas de lien », « qui n’est pas lié », « qui n’est pas limité ». Il ajoute que le roi a des devoirs, et en particulier ceux de se montrer juste et équitable, ce qui est en tous points conforme avec la doxa de la monarchie chrétienne depuis le Moyen Âge : le monarque prête serment, au moment de son sacre, de servir la justice et l’équité.

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INTRODUCTION : FONDER L’AUTORITÉ

Si cette sentence est parfaitement adéquate à l’idéologie constitutionnelle de la monarchie française au XVIe siècle, pourquoi a-t-elle été perçue quasiment comme une insolence parlementaire nécessitant une mise au point très ferme d’un François Ier rentrant de captivité et conduisant à cette cinglante réplique, en forme d’édit : « Le roi vous défend que vous ne vous entremettiez en quelque façon que ce soit de l’estat, ni d’autre chose que de la justice ». Toute la question est de savoir qui, du roi seul ou du roi et de son parlement, détient l’autorité, l’auctoritas, cette capacité à faire que les ordres qu’il donne soient non seulement obligatoires mais également revêtus de cette forme de perfection substantielle qui les font approuver et aimer. Auctoritas dérive d’augere (augmenter), et c’est le Sénat romain qui revêtait de cette auctoritas les décisions des consuls, qui soudain donnait à l’exercice de la force la légitimité de la sagesse, de la raison, de la justice, etc. On l’aura compris : les parlements et cours souveraines estiment que, sans leur onction, les actes du roi traduisent une force brutale et tyrannique, fatalement précaire et incertaine, tandis qu’avec, ils sont sincèrement approuvés des sujets au plus grand bénéfice d’une véritable monarchie qui en ressort consolidée ; la monarchie, quant à elle, soutient qu’elle n’a nul besoin d’un quelconque assentiment parlementaire pour que ses actes soient non seulement pleinement exécutoires (ce que ne contestent pas les parlementaires), mais encore qu’ils soient auréolés d’une véritable autorité, laquelle ne peut être attribuée que par la volonté royale. Bref, quand bien même le parlement désapprouverait profondément un acte royal, celui-ci aurait pleine autorité et celui-là devrait l’appliquer sans sourciller. Laquelle de ces deux thèses doit-elle être considérée comme exacte ? Il n’y a évidemment pas de réponse catégorique. Et il est particulièrement difficile de trancher car, précisément, l’Ancien Régime ne dispose pas d’une sorte de constitution dans laquelle on pourrait recueillir la solution. Donc, pour faire pencher le fléau de la balance pour l’une ou l’autre thèse, il faut se référer aux faits (quelles sont les habitudes, les usages, les pratiques : qui peut se prévaloir de la tradition ?) et aux opinions des grands jurisconsultes sans méconnaître un aspect fondamental dans ce dossier, à savoir l’évolution des rapports de force entre les protagonistes.

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Les faits Au Moyen Âge, la chancellerie royale doit faire face à deux obstacles : la difficile publicité de ses actes et l’exigence de leur conservation. S’agissant de la publicité, il n’existe pas de moyen simple de diffuser largement et de porter à la connaissance des juges mais aussi de tous les sujets les volontés royales. Lorsque ces actes sont individuels, comme une concession de privilège, cela ne pose pas de problème majeur, car il suffit que le ou les intéressés soient tenus informés par lettres. Mais lorsqu’il s’agit d’une mesure plus générale, qui potentiellement concerne un grand nombre de sujets du royaume, il importe qu’ils connaissent la loi qui les concerne ou qu’au moins ils puissent en avoir connaissance. C’est pour répondre à ce double défi que la monarchie demande à son parlement, devenu une véritable juridiction sous le règne de Saint Louis, d’enregistrer les lettres dont la portée est générale : non seulement cette mise dans des registres permet de conserver une copie en sus de celle de la chancellerie, mais encore le processus d’enregistrement est l’occasion d’une première publicité auprès des juges car il est donné lecture de l’acte de manière assez solennelle. À l’occasion de cette lecture, les magistrats prennent l’habitude de faire des observations techniques : ce nouveau texte porte-t-il atteinte à des droits de tiers, ce nouveau texte est-il tout simplement applicable, etc. ? Et la monarchie encourage ses magistrats qui sont aussi ses conseillers à faire des remontrances ou représentations (re-montrer ou re-présenter, c’est-à-dire montrer ou présenter à nouveau) afin d’améliorer la qualité des actes royaux. Et au XIVe siècle, c’est le roi qui demande lui-même au parlement de ne pas enregistrer des ordonnances qui seraient « injustes » ou « faites au préjudice d’autrui » (déc. 134433) ou de ne pas « vérifier » (verum facere, rendre vraies) des lettres dépourvues de « juste cause et raisonnable, ou contre bien de justice » (19 mars 136034). D’une simple pratique des remontrances, le parlement finit par revendiquer un droit de remontrances. Et, en pratique, il arrive au début de l’époque moderne que des remontrances soient réitérées de telle sorte que si le roi ne prend pas en considération les avis des parlementaires, les ordonnances ne sont tout simplement pas enregistrées (laissées « en souffrance ») et par conséquent pas appliquées. Ce qui revient, sinon à priver de jure, du moins à empêcher


L E « P R OC ÈS D E T R OIS SIÈC L ES » . L E R OI, L ES P AR L EM ENTS ET L’AUTORITÉ DANS L’ÉTAT

de facto l’exercice du pouvoir législatif royal qui est la marque même de sa souveraineté. Cela conduit la monarchie à réagir pour imposer ses vues : par des lettres de jussion (jubere = ordonner) par lesquelles le roi intime aux parlementaires l’ordre d’enregistrer les ordonnances et autres édits, et, si cela est insuffisant, en se rendant lui-même en son parlement – qui n’est autre qu’un démembrement de sa cour (curia regis in parlamento) – pour présider la séance d’enregistrement dans le silence des magistrats, c’est la fameuse cérémonie du « lit de justice ». Le pouvoir de dernier mot du roi est sauf. Les remontrances ne cessent pas pour autant au début du XVIIe siècle alors que désormais l’absolutisme et le droit divin s’imposent en doctrine. La monarchie prend alors une série de mesures tendant à restreindre le droit de remontrance afin de recouvrer la plénitude réelle de son pouvoir législatif. L’ordonnance de Moulins en février 1566 dispose dans son article 2 que les parlements et autres cours souveraines doivent enregistrer, toutes affaires cessantes, les édits et ordonnances lorsque la monarchie les lui adresse, et leur interdit toutes remontrances itératives35. Le préambule de l’édit de février 1641 enregistré en lit de justice se fonde sur des textes anciens (du roi Jean, de François Ier et de Charles IX) pour défendre aux cours souveraines de prendre connaissance des affaires concernant « l’État, administration et gouvernement »36, sauf si le roi juge à propos de l’y inviter. Non seulement, le parlement n’obtempère pas mais il va se montrer volontiers « frondeur » en mai et juin 1648 jusqu’à déclarer Mazarin, le 8 janvier 1649, « perturbateur du repos public, ennemi du roi et de son État »37. Après la fin de la Fronde, il faudra à Louis XIV toute sa vigueur pour réglementer l’exercice du droit de remontrance de manière très stricte (Ordonnance civile de 1667), puis prohiber purement et simplement les remontrances préalables à l’enregistrement (lettres patentes du 24 février 167338), ce qui revient à les priver de tout poids face à la monarchie. Le parlement de Paris l’a très bien compris et s’abstiendra de toute remontrance jusqu’à la fin du règne. Après l’ultime échec de la mise au pas du parlement de Paris en 1788 et peu avant son départ, le garde des Sceaux Lamoignon aurait dit : « les parlements, la noblesse et le clergé ont osé résister au roi ; avant deux années, il n’y aura ni parlements, ni noblesse, ni clergé ». Apocryphe ou non, la formule

traduit exactement l’épuisement provoqué par ce conflit tricentenaire pour lequel des argumentaires extrêmement profonds ont été déployés.

L’accusation Au Moyen Âge, la loi n’est pas encore conçue comme un acte de volonté, un commandement du roi adressé à un groupe ou à la totalité des sujets. Autrement dit, entre la reddition d’une sentence (Saint Louis sous son chêne à Vincennes), le jugement d’un seigneur entouré des Grands du royaume, une concession de privilège à l’un d’eux, et une mesure générale pour lutter contre une épidémie ou une épizootie, c’est toujours la fonction de justicier du roi qui se déploie. Mais avec l’affirmation de la souveraineté au XVIe siècle (recueillie spécialement chez Bodin), on identifie plus exactement ce qu’est la loi moderne, et la distinction entre les activités législative et judiciaire. Cette dernière consistant à juger des particuliers en application de la loi et non à juger des qualités de la loi elle-même. Dès lors, le parlement n’a pas à faire de remarques sur les lois du roi, il doit se contenter de les appliquer en s’abstenant de les interpréter à l’excès. Quant à l’enregistrement de ces lois, ce ne doit être qu’une simple formalité, obligatoire certes, afin que la loi soit connue de ceux qui doivent l’appliquer. En réalité, cette distinction des fonctions (juger et légiférer) s’accompagne aussi d’un phénomène de spécialisation des organes. Au XIIIe siècle, à l’époque de sa naissance, le parlement n’est qu’une section spéciale de la curia regis, mais il reste un organe de conseil à la fois politique et judiciaire qui entoure un roi avant tout justicier. Au fur et à mesure que se spécialisent le Conseil du roi (organe politique) et le parlement (organe juridictionnel), les mœurs et les manières de vivre et de penser diffèrent. Les conseillers politiques sont imprégnés de l’exaltation du temps rapide, de l’efficacité, de l’action d’éclat, mais aussi de la nécessaire souplesse, de l’esprit de transaction et de la raison d’État qui conviennent au monde de la politique. Les juges sont pénétrés au contraire de la retenue du temps lent, de la sagesse ascétique (janséniste au XVIIIe siècle), de la discrétion quasi claustrale, mais aussi de la beauté de la justice parfaite tempérée par l’équité. Ces deux mondes s’éloignent comme les continents dérivent, inexorablement. Ce faisant, pour le roi, les deux organes ne sauraient se situer sur un pied d’égalité.

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INTRODUCTION : FONDER L’AUTORITÉ

Dans l’esprit des défenseurs de la cause absolutiste, les magistrats sont et doivent être subordonnés et dépendants par rapport au roi. C’est pourquoi la dénomination de « cour souveraine » pour désigner les parlements et autres cours qui tranchent en dernière instance a semblé parfaitement inappropriée à Louis XIV qui souhaitait qu’elles fussent désignées comme « cours supérieures ». En effet, quand bien même le roi n’interviendrait pas dans le processus judiciaire – ce qu’il peut néanmoins faire en vertu de son pouvoir de justice retenue (en retenant à lui une affaire, c’est-à-dire en la soustrayant au juge normalement compétent et en la tranchant luimême) – l’activité qui consiste à appliquer la loi au cas est par définition subordonnée à celle de confectionner la loi elle-même. Bref, parce que la fonction législative est plus haute que la fonction judiciaire, l’organe législatif (le roi et son conseil) est plus haut que l’organe judiciaire (les parlements et cours souveraines). D’où l’incongruité de vouloir participer à l’activité législative par les remontrances.

Hiérarchie, antériorité et autorité La suprématie du roi sur ses juges implique, selon les absolutistes, une plus grande autorité du premier sur les seconds. Or l’idée que l’autorité va avec la puissance ne va pas de soi. Que l’on se souvienne de Rome où l’autorité était apportée par le Sénat sur les actes qui ne jouissaient sans elle que de la puissance consulaire. En réalité, l’autorité du roi repose sur plusieurs fondements tels que l’argument du droit divin, l’idée que Dieu lui-même a choisi la race (dynastie) des rois de France et que cette légitimité, dont elle seule jouit, resplendit sur les actes euxmêmes. Et le choix de la dynastie est premier à la fois hiérarchiquement et chronologiquement. Les juges du parlement ont été créés par le roi au XIIIe siècle. Ils ne sont donc que des créatures, et ils ne peuvent à ce titre prétendre à la même autorité que leur créateur. Le roi n’a pas pu s’en déposséder. La monarchie affirme que les juges n’ont pas à s’entremettre d’affaires politiques et de questions qui concernent l’intérêt général. Dès lors, ils doivent s’abstenir de juger ou de se prononcer sur les lois – en formulant des remontrances sur les ordonnances et les édits royaux – qui, par définition, concernent l’intérêt général et qui, évidemment, sont des questions politiques.

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Tous ces arguments sont développés par une littérature absolutiste qui est très vigoureuse, de Cardin Le Bret à Bossuet, au cours du Grand Siècle. Elle est cependant en perte de vitesse au XVIIIe siècle, un siècle de défense farouche des libertés. Mais, contrairement à une vision rétrospective héritée de la Révolution, il faut souligner que les libertés ne sont pas défendues d’abord par les « philosophes » et les patriotes, mais par les parlementaires qui sont à la fois libéraux et conservateurs voire réactionnaires. C’est à eux que doit être laissée la parole à présent.

La défense Les parlementaires n’entendent pas dire que leur propre autorité est supérieure à celle du roi (le régime serait alors une oligarchie ou une aristocratie, non une monarchie). Mais ils estiment que les actes qui ont été enregistrés de force – ce qu’ils désignent parfois par ce bel oxymore de « coups d’autorité » – sont dépourvus d’autorité véritable. S’ils ne sont pas vérifiés par les parlements, les actes du roi seront reçus comme ceux qui émanent d’un despote à qui, précisément, l’autorité faisant défaut, doit recourir à la force brutale pour se maintenir. Leur argumentation consiste à justifier juridiquement leur fonction et à légitimer historiquement leur existence. Pour comprendre la justification juridique de leur fonction, il faut se placer dans la conception classique (ou scolastique) de la loi. La loi doit s’inscrire à l’intérieur d’un ordo qui précède et dépasse l’auteur de la norme. Et en particulier, il doit respecter un certain nombre de droits et de libertés, des droits et des libertés qui ne s’analysent pas de manière moderne (comme les droits de l’homme ou du citoyen), mais comme des droits attachés à des groupes (des privilèges, des coutumes, des franchises, etc.) qui sont considérés comme des libertés. En outre, la loi doit pourvoir à la justice et au bien commun, ce qui signifie qu’une loi qui ne le ferait pas, quand bien même elle émanerait de l’autorité royale, ne serait pas une loi, mais l’œuvre d’un despote. La satisfaction du bien commun, aujourd’hui plus volontiers désigné sous la qualification d’intérêt général, est un élément de validité juridique substantiel de la loi tandis qu’on le considère aujourd’hui comme un choix politique qui n’affecte pas la qualité juridique de la loi. Satisfaction du bien commun et respect des droits et libertés sont deux critères de la validité substantielle


L E « P R OC ÈS D E T R OIS SIÈC L ES » . L E R OI, L ES P AR L EM ENTS ET L’AUTORITÉ DANS L’ÉTAT

de la loi qui permettent que la volonté royale soit une volonté juste : on retrouve cette idée du président Guillart affirmant que le roi ne doit pas vouloir tout ce qu’il peut. Or, l’activité de vérification de la satisfaction de ces deux critères est largement accomplie à la fin du Moyen Âge par le parlement. Et cela dans un climat le plus souvent consensuel, car c’est le roi lui-même qui souhaite que ses lois soient justes, équitables, soucieuses des doits et libertés et conformes au bien commun. Mais lorsque le parlement souhaite encore accomplir ces fonctions de vérification à l’occasion de l’enregistrement alors que la conception de la loi change au XVIe siècle, les difficultés apparaissent. Au XVIe siècle en effet, la loi moderne est conceptualisée avec la souveraineté comme un acte de commandement unilatéral et inconditionnel. Toute activité de vérification de la loi est donc regardée comme un contre-pouvoir (une contre-volonté) et, dès lors, comme une contestation de la souveraineté (laquelle suppose un pouvoir sans contre-pouvoir ou une absence d’hétéro-limitation). Le roi peut tolérer et accueillir avec bienveillance les conseils de ses parlements sous la forme de remontrances mais lorsqu’il a jugé qu’il importait de ne pas en tenir compte, la volonté royale doit prévaloir absolument. Tel n’est pas le point de vue des juges qui considèrent comme étant de leur devoir d’empêcher toute dérive despotique ou tyrannique de la monarchie. « Nous ne devons ni ne pouvons » opposent-ils au roi qui, d’ailleurs, agacé, leur interdit cette mention sur les actes officiels en 1641. Cette « clause de conscience », que le roi conteste, est regardée comme un comportement d’insubordination, mais aussi comme une intrusion inacceptable des juges dans le domaine politique. Mais qui reste du domaine juridique pour les juges. Historiquement, les parlementaires ont raison : le respect des droits acquis et la satisfaction du bien commun sont des critères substantiels de validité de la loi. Politiquement, la monarchie a raison : à partir du XVIe siècle, la loi est de plus en plus regardée comme un acte de volonté émanant du souverain. Reste à contester le souverain – et à lui préférer la souveraineté des États généraux (monarchomaques, ligueurs au XVIe siècle), du peuple ou de la nation (philosophes des Lumières au XVIIIe siècle) – si l’on ne partage pas le point de vue monarchique. En ce sens, les Révolutionnaires héritent de la conception moderne de la loi défendue par la monarchie contre la conception traditionnelle soute-

Ill. 8 Les cours, incarnation du royaume ? Matrice du sceau du parlement de Rennes et son coffret. B.n.F., Inv. 55, nos 354 et 679.

nue par les parlements, qui pourtant sont d’ardents défenseurs des libertés au XVIIIe siècle. L’on voit que les parlements défendent vigoureusement leur fonction en matière législative et que pour cela ils disposent d’un argument historique, ce qui est très important dans un régime qui repose sur l’hérédité et la tradition. Pourtant, la monarchie est en mesure de contester fortement cet argument historique. Si le parlement est une créature du roi, détaché par Saint Louis de sa Cour, non seulement il est subordonné au monarque, mais encore il est venu après lui. Et les parlementaires ne vont avoir de cesse de défendre l’idée que « le parlement est né avec la monarchie », à l’époque franque, et que la forme qu’il

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INTRODUCTION : FONDER L’AUTORITÉ

a prise au XIIIe siècle n’est qu’une forme nouvelle et non une naissance. Le roi était entouré de l’assemblée de ses conseillers féodaux et ecclésiastiques aux temps mérovingiens, carolingiens et des premiers capétiens, et c’est pour cette raison que ce régime était une monarchie et non un despotisme, qui se caractérise par l’absence de conseil et par le mépris des lois fondamentales. À l’époque moderne, héritier de ces anciennes assemblées, le parlement est le gardien des droits et des libertés. Il a le « dépôt des lois fondamentales ». Lois fondamentales qui ne s’épuisent pas dans les lois de dévolution de la couronne mais qui viennent protéger les sujets contre les offensives des entourages des monarques peu soucieux des droits et des libertés, contre ceux qui ont la puissance mais ignorent tout de l’autorité (ill. 8).

Le verdict Les arguments de l’accusation et ceux de la défense ne sont pas dépourvus de valeur. Au XVIIIe siècle, le conflit est constant, et parfois d’une particulière âpreté. Mais personne n’a quoi que ce soit à gagner de ce conflit. La monarchie ne peut agir et se réformer car les parlementaires pratiquent l’obstruction dans un esprit profondément conservateur, voire réactionnaire quoique libéral. De son côté, le parlement apparaît comme une institution contestataire voire hostile à la monarchie alors qu’il prétend être une part du corps du roi (pars corporis regis). Ce conflit juridico-politique aurait dû être tranché, comme il se doit sous cet Ancien Régime fondamentalement traditionnel, en se fondant sur l’histoire et sur la raison. Tel n’a pas été le cas. Et puisqu’il a fallu un arbitre pour le faire, a germé l’idée que les États généraux, et à travers eux la nation, étaient en mesure de le faire. Puisque l’on débat sur ce que doit être la constitution du royaume et que personne n’a de certitude, l’idée de confier à une assemblée, bientôt qualifiée de constituante, le soin de déterminer le rôle respectif, les fonctions de chaque organe dans l’État. En 1789, la Constituante le fera, mais, ce faisant, elle privera le roi de son pouvoir de statuer en matière législative (non de celui d’empêcher car il conserve un droit de veto), elle privera les parlements et cours souveraines de leur existence même. Quant à l’autorité, elle appartiendra à une assemblée dite nationale.

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ENJEUX DE SOUVERAINETÉ, THÉÂTRE DU POUVOIR : LE LIT DE JUSTICE, L’AUTORITÉ ET SES REPRÉSENTATIONS ELSA MARGUIN-HAMON

Les lits de justice, séances solennelles où le roi vient prendre place en la Grand’chambre du parlement, sous un dais et sur une chaire tendue de tissus fleurdelysés, constituent l’une des principales cérémonies du pouvoir souverain sous l’Ancien Régime. Les registres du parlement de Paris, tout comme ceux des autres cours souveraines, qui consignent les propos échangés en ces occasions, sont une source précieuse et très précisément étudiée par Sarah Hanley. Le lit de justice apparaît ainsi comme le théâtre du pouvoir monarchique, où s’expriment et parfois s’affrontent des visions contradictoires qui, de la part des juristes proches du roi comme des parlementaires, contribuent à éclairer les théories de la souveraineté telles qu’elles se font jour dans les derniers siècles du Moyen Âge, pour trouver une formalisation aboutie au XVIe siècle. Sous les derniers Valois se trouvent réaffirmés le rôle et la fonction du roi, seul habilité à changer la loi quand les circonstances l’exigent, au nom de la clause de nécessité (« nécessité fait loi », dit l’adage, autrement formulé « nécessité ne connaît pas de loi ») que Bodin et plus tard Hobbes vont ériger en principe de souveraineté. Depuis Charles V et la promulgation des grandes ordonnances qui règlent pour une grande part les modalités d’exercice du pouvoir, le roi se manifeste en personne, avec sa cour, auprès de son parlement, pour présider lui-même à l’enregistrement de ces types de textes. L’importance de la séance justifie un apparat tout particulier, matérialisé par une composition textile et la présence d’un dais, dont l’agencement prend le nom de lit de justice. Par la force de l’usage, cet apparat, qui évolue vers plus de pompe et de solennité au cours de la période moderne, est associé à l’exercice législatif que se réserve le roi. Pour autant, l’association du lit de justice à l’exercice du pouvoir législatif et constitutionnel du monarque fait très tôt l’objet de controverses entre conseillers du roi et parlementaires, qui refusent de


ENJEUX D E SOUVER AINET É, T HÉÂT R E D U P OUVOIR : L E L IT D E JUST IC E, L ’ AUT ORITÉ ET SES REPRÉSENTATIONS

le distinguer des autres séances royales. Ce faisant, le parlement cherche à investir de ce rôle la totalité de ses instances, de se faire le siège permanent de l’exercice législatif, à outrepasser ainsi les simples prérogatives judiciaires auxquelles l’entourage royal cherche à le cantonner. De part et d’autre, les juristes rivalisent d’érudition, plus ou moins fantaisiste, pour établir ou réfuter la thèse des origines quasi antiques de la cour. Un juriste, Jean du Tillet, quoique greffier du parlement, se voit mandaté par Henri II pour compulser les archives des principales institutions dans l’optique de réhistoriciser le débat. Il rappelle que le parlement ne se fixe à Paris qu’au début du XIVe siècle et promeut la figure du roi législateur unique. Ses travaux et son ouvrage Pour l’entière majorité des rois fournissent au chancelier Michel de L’Hôpital l’ossature juridico-politique des conceptions qu’il ne laisse d’exposer, devant les État généraux en 1560

et à diverses reprises auprès du parlement. L’Hôpital contribue ainsi à faire du lit de justice, de préférence aux rituels des funérailles et du sacre, le seul lieu véritable de renouvellement de la fonction royale, le lieu où le roi se rappelle à son rôle primordial : fonder et dire la loi. Lieu de transmission et de continuité, permettant de vérifier l’adage alors largement diffusé au nom duquel « le roi ne meurt jamais », cette forme particulière de séance va, à la faveur d’un événement traumatique et inattendu, l’assassinat d’Henri IV, se muer en véritable cérémonie d’intronisation. Le lit de justice qui suit d’un jour la mort du roi et qui se tient au parlement, le 15 mai 1610, donne en effet l’occasion au chancelier Sillery de prononcer la déclaration royale qui attribue la régence à Marie de Médicis, rendant au jeune roi le rôle législatif que la Cour avait entrepris la veille de s’attribuer par un arrêt au

Ill. 9 Théâtre du pouvoir. Lit de justice du 6 août 1787 dessiné par Girardet et gravé par Duparc. Arch., nat., AE II 3395.

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INTRODUCTION : FONDER L’AUTORITÉ

Ill. 10 Le discours du roi au Parlement. Procès-verbal copié dans les minutes du Conseil secret, 3 mars 1766. Arch. nat., X1b 8951.

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contenu semblable. Le coup de force de Sillery, feignant d’ignorer les manœuvres du parlement, se fonde nommément sur le pouvoir du sang perpétuant au-delà de sa mort la volonté d’Henri IV, qui de son vivant s’était clairement exprimé sur les modalités d’une telle régence. Sillery, comme le président Harlay, sont unanimes pour établir la perpétuité dynastique, au détriment du principe de transmission de la dignité royale. Au lit de justice de 1610 se joue donc le passage d’une conception fondée dans le droit – c’est la dignité royale qui reste vivante, au prix de transitions et de rites de passage obligés – à une vision « biogénétique », pour reprendre le mot de Sarah Hanley, de la monarchie française. Le parlement de Paris, principale cour supérieure du royaume, n’a pas pour autant entièrement et définitivement renoncé à ses prétentions législatives, à l’idée d’incarner la continuité des institutions monarchiques d’un règne à l’autre – continuité qu’il affirme en dispensant ses magistrats du deuil après la mort et avant les funérailles d’un souverain. Privé du droit de remontrance, sous le règne de Louis XIV, c’est-à-dire du droit de s’opposer à l’enregistrement, donc à la diffusion d’un édit royal, le parlement recouvre ce pouvoir de blocage à la mort du roi, en 1715. Il en use dès lors pour s’opposer à l’enregistrement de nombreuses mesures fiscales, de conserve avec d’autres cours en province. Unissant leurs intérêts, ces cours prétendent constituer un organe souverain, représentant l’autorité de la nation. À leur pouvoir de remontrance le roi oppose des lettres de jussion et prend souvent la peine de siéger en lit de justice afin de rappeler le parlement à son devoir d’enregistrer (ill. 9). En 1766, les parlements de Pau et de Rennes refusent d’enregistrer l’édit royal établissant la réforme fiscale du vingtième. Le parlement de Paris marque sa solidarité avec les autres cours supérieures et s’associe aux remontrances présentées au roi. La réaction de celui-ci est immédiate. Un lit de justice est tenu le 3 mars 1766 au cours duquel le roi, en personne, s’impose comme seul détenteur de l’autorité et seul législateur. Le discours qu’il prononce lors de cette séance dite de la « flagellation » se fonde, précisément, sur les lois fondamentales qui constituent le socle constitutionnel du royaume : en le roi seul réside la puissance souveraine ; la plénitude de l’autorité demeure en lui et n’est exercée que par délégation


L A P ÉR IOD E R ÉVOL UT IONNAIRE. L’ÈRE DES CONSTITUTIONS

royale par les cours ; le pouvoir législatif est une prérogative exclusive du souverain. Dans ces conditions, l’enregistrement seul appartient aux cours, qui doivent y procéder sous l’autorité du roi39. Ces principes et notions sont très explicitement convoqués dans l’allocution qu’enregistre le greffier : « […] que c’est à moi seul qu’appartient le pouvoir législatif, sans dépendance et sans partage ; que c’est par ma seule autorité que les officiers de mes cours procèdent, non à la formation, mais à l’enregistrement, à la publication, à l’exécution de la loi, et qu’il leur est permis de me remontrer ce qui est du devoir de bons et utiles conseillers ; que l’ordre public tout entier émane de moi et que les droits et les intérêts de la nation, dont on ose faire un corps séparé du monarque, sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu’en mes mains. »40 (ill. 10). Ce discours autoritaire, prononcé à la première personne, révèle les menaces qui pèsent sur l’exercice absolu de l’autorité royale et la gravité des revendications portées par les cours qui se veulent elles aussi « souveraines ». Si le parlement doit ravaler ses ambitions à incarner avec les autres cours cet « organe de la nation » qu’il prétend être, l’existence même d’un corps indépendant de celui du roi, légitime à exprimer ses revendications, est là et trouve à s’exprimer sous la plume des philosophes. En prononçant un discours conçu pour pétrifier l’assistance, Louis XV révèle aussi son impuissance à s’affirmer et admet ainsi l’existence d’une contestation41. Doutes et pluralité des conceptions sont exposés et publiés au grand jour. Où est l’autorité, lorsqu’un souverain se trouve contesté dans ses fonctions législatives comme thaumaturgiques, comme en témoigne le changement de mode au sein la formule « le roi te touche, Dieu te guérit » qui devient : « le roi te touche, Dieu te guérisse » ? Le déplacement de la notion de souveraineté, du monarque à la nation, est bien alors en gestation, comme l’est l’idée d’un partage – équilibré ? – des pouvoirs et de l’autorité.

LA PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE. L’ÈRE DES CONSTITUTIONS MICHEL TROPER

La Révolution française est une révolution constitutionnelle dans tous les sens de l’expression. Il ne s’agit pas d’un simple changement, même très radical, avec la forme de gouvernement de l’Ancien Régime, d’un passage de la monarchie absolue à la monarchie constitutionnelle, puis à la république. Cette révolution porte sur la conception même que l’on se fait du pouvoir politique, de sa légitimité, de sa forme juridique et de son rapport à la société. C’est ce qui ressort du débat qui s’est déroulé à la veille et dans les premiers temps de la Révolution sur le point de savoir si la France avait une constitution. De la réponse dépendait évidemment la nécessité ou non de lui en donner une. Les partisans de l’Ancien Régime estimaient évidemment qu’elle en avait une, puisqu’il y avait un roi, des ministres, un certain nombre de lois fondamentales, des parlements, ce que d’autres, et non des moindres, contestaient absolument. C’est ainsi que Turgot pouvait déclarer au roi : « La cause du mal, sire, vient de ce que votre nation n’a point de constitution ». Naturellement, c’était une question de définition. Si l’on entendait par « constitution » un document écrit, regroupant un ensemble de règles ayant pour l’objet l’organisation des pouvoirs publics, leurs relations mutuelles et leurs compétences respectives et qui ne peuvent être modifiées aussi facilement que des lois ordinaires, la France n’avait évidemment pas de constitution, mais l’Angleterre n’en avait pas non plus et pourtant l’on parlait couramment de la constitution de l’Angleterre. C’était même le titre donné par Montesquieu au chapitre le plus célèbre de L’Esprit des Lois. Au contraire, si l’on renonçait à réserver le terme à un document écrit intitulé « constitution », alors on pouvait soutenir que la France avait bien une constitution, puisqu’il y avait évidemment des règles, quoique non écrites, sur l’organisation du pouvoir, mais tous les pays et toutes les sociétés en ont nécessairement une. Entre les deux, on pouvait appeler « constitution » non pas seulement les règles sur l’organisation du pouvoir, mais des règles ayant pour objet délimiter le pouvoir. En ce sens, l’Angleterre

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Ill. 11 La nation, la liberté, le roi, la loi. Drapeau de la section du Contrat social pour la fête de la Fédération, 1790 Paris, Musée Carnavalet, OM558 / CAROMO558

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avait bien une constitution et certains pouvaient même soutenir que la France en avait une également pourvu qu’on considérât les parlements comme un frein au pouvoir royal. Pourtant, si l’on s’en tient à ce seul point de vue, la Révolution pourrait apparaître comme marquant un changement certes très important dans l’organisation politique, mais non dans la conception que l’on se faisait du pouvoir et de la constitution. De même, on a pu penser que les hommes de 89 ou de 93 s’étaient bornés à mettre en œuvre les grandes idées de la philosophie des Lumières. En réalité, c’est le travail des assemblées révolutionnaires qui les a conduites à dépasser les idées des Lumières et à inventer la constitution, telle qu’on la pense et qu’on la pratique dans le monde contemporain, de façon plus profonde que les constituants de Philadelphie, car elle ne se limite pas à organiser le pouvoir, mais construit et énonce les concepts théoriques qui le fondent. L’un des ouvrages les plus importants de la littérature juridique du XXe siècle, la Contribution à la Théorie générale de l’État de Raymond Carré de Malberg, a un sous-titre éloquent: « spécialement d’après les données

fournies par le droit constitutionnel français ». On pourrait s’étonner qu’on puisse construire une théorie « générale » d’après les données du seul droit français, mais ce que veut dire Carré de Malberg, c’est que, de même que, aux yeux des juristes allemands du XIXe siècle, il existait une science du droit privé dont les principes se trouvaient dans le droit romain, de même il existait une science ou théorie générale de l’État dont les principes avaient été découverts par la Révolution française, mais qui présentent des caractères de permanence et d’universalité. Ces principes sont naturellement au fondement des diverses constitutions révolutionnaires, mais aussi de toutes celles qui ont suivi, si diverses qu’elles aient pu être. Carré de Malberg voit la preuve de la validité générale des principes dans le fait qu’ils faisaient encore partie, un siècle plus tard, du droit positif de la IIIe République, bien qu’ils n’aient pas été repris dans les textes constitutionnels de 1875. On peut d’ailleurs ajouter qu’ils font encore partie du droit positif de la Ve République, comme de celui de nombreux autre pays. Quels sont ces principes ? Limitons-nous aux deux plus importants, qui sont d’ailleurs intimement liés, la séparation des pouvoirs et la souveraineté nationale. La séparation des pouvoirs doit être comprise non pas seulement comme une technique parmi d’autres de distribution des compétences, mais comme l’un des droits naturels de l’homme. C’est la raison pour laquelle il est énoncé dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen à l’article 16, « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». On remarque d’abord que cette disposition ne vise pas à recommander que l’on sépare les pouvoirs et que, faute de séparation, il n’y aurait pas de constitution « digne de ce nom ». Elle va beaucoup plus loin et proclame cette vérité d’évidence que, à défaut de séparation, il n’y a littéralement pas de constitution du tout. C’est que, en effet, il s’agit d’un principe négatif, qui ne prescrit pas tel ou tel mode de distribution (le pouvoir législatif à celui-ci, le pouvoir exécutif à celui-là), mais interdit de laisser tous les pouvoirs entre les mains d’un seul, parce qu’il pourrait en user dans son seul intérêt et changer les règles au gré des circonstances ou de ses caprices. Il n’y aurait plus de liberté, car la liberté est la capacité d’agir en connaissant les conséquences de nos actions. En effet, si les hommes sont soumis à des règles fixes, même


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si ces règles sont injustes, ils peuvent au moins décider de leurs actes en toute connaissance de cause. Voilà pourquoi l’un des droits naturels de l’homme est de vivre dans une société où les pouvoirs sont séparés, c’est-à-dire dans laquelle il existe une constitution. Voilà aussi ce qui explique que le principe formulé à l’article 16 ait pu être adopté à l’unanimité de l’Assemblée constituante, alors même qu’elle était profondément divisée sur la meilleure distribution des pouvoirs et qu’il ait pu être repris ensuite par les constitutions les plus diverses. C’est qu’il s’agit simplement d’une définition d’une constitution quelle qu’elle soit. À quel point il s’agit d’un changement irrésistible et irréversible est révélé par le fait que, à son retour d’exil, Louis XVIII ne peut pas revenir à l’Ancien Régime et qu’il est contraint lui aussi d’adopter une Charte, qui n’est pas autre chose qu’une constitution. On remarque aussi que, aux termes de l’article 16, ce n’est pas dans l’État que la séparation des pouvoirs doit être déterminée, mais dans la société. La constitution est donc la Constitution de la société. Cette idée est assez différente de celles des pères fondateurs de Philadelphie, mais c’est celle de Turgot quand il déclarait que « la nation n’a point de constitution ». C’est, ajoutait-il, « une société composée de différens ordres mal unis, d’un peuple dont les membres n’ont entre eux que très peu de liens sociaux ». C’est que, en effet, la société n’existe pas indépendamment ou à côté de l’État, mais seulement parce qu’elle est « constituée ». C’est pourquoi la Déclaration des droits porte sur les buts de l’association politique, sur la propriété ou la légitimité des distinctions sociales ou que les constitutions organisent la division du territoire. Du principe de la séparation des pouvoirs découlent quelques conséquences. Il s’agit d’abord de la subordination de la fonction exécutive. Puisque la liberté n’est préservée que si les hommes sont exclusivement soumis à des règles fixes, les actes qui ne sont pas des lois ne peuvent être que des actes d’exécution. Le pouvoir exécutif ne doit donc pas pouvoir refaire les lois et la conformité de son action à la loi doit être soumise à des contrôles, qui peuvent d’ailleurs prendre plusieurs formes, responsabilité des membres du pouvoir exécutif ou plus tard contrôles juridictionnels. Ainsi, en obéissant au pouvoir exécutif, on obéira indirectement à la loi, c’est-à-dire à la volonté du souverain, ce qu’exprime parfaitement la devise « la nation, la loi, le roi » (ill. 11).

De la même manière, il ne saurait y avoir de véritable pouvoir judiciaire. Montesquieu l’avait déjà dit « Des trois puissances dont nous avons parlé, celle de juger est en quelque façon nulle ». En effet, les juges ne doivent pas produire des règles, mais seulement les appliquer à la solution des litiges. Idéalement cette application doit être une simple opération logique, un syllogisme qui ne laisse aucune marge d’appréciation. Ils ne sauraient davantage interpréter les lois, ce qui serait une usurpation du pouvoir législatif, car le pouvoir d’interpréter est le pouvoir de refaire. Robespierre exprime bien l’idée de l’époque : « le mot de jurisprudence doit être rayé de notre langue ». C’est ce qui explique la création « auprès du corps législatif » d’un « tribunal de Cassation » (et non pas d’une cour) pour tenter d’empêcher l’interprétation juridictionnelle des lois et en contrôler l’application par les tribunaux. Cela explique aussi qu’ultérieurement le Code civil soit demeuré muet sur l’interprétation des lois et que les tribunaux judiciaires se soient vu interdire de contrôler l’administration – ce qui a abouti à la dualité des juridictions administratives et judiciaires, qui est aujourd’hui l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. C’est aussi l’une des explications de l’extrême difficulté d’instituer en France un contrôle de la constitutionnalité des lois. Une seconde conséquence du principe de la séparation des pouvoirs est le refus d’autoriser l’une quelconque des autorités constituées de modifier seule la répartition des compétences, parce qu’il est évident qu’elle les modifierait à son seul profit et qu’elle finirait par réunir tous les pouvoirs. La constitution ne doit donc être modifiable qu’au terme d’une procédure spécifique, différente par exemple de la procédure législative ordinaire. C’est le principe appelé « séparation du pouvoir constituant et des pouvoirs constitués ». Mais ce principe serait insuffisant si les autorités constituées, séparément ou de concert, pouvaient par la seule mise en œuvre de leurs compétences ordinaires bouleverser la répartition prévue initialement. Faute de pouvoir instituer un contrôle de constitutionnalité, il fallait rechercher des garanties internes du maintien de la constitution, c’est-à-dire une répartition dont il résulte des équilibres tels que « le pouvoir arrête le pouvoir ». Une troisième conséquence du principe de la séparation des pouvoirs, compris comme un principe négatif, se trouve dans la nécessité de la compléter

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par une règle de répartition. Deux modes de répartition principaux sont concevables. Le plus simple consiste à spécialiser les autorités par fonction, à l’une la fonction législative, à l’autre la fonction exécutive. Cette solution a la faveur des démocrates dès lors que la fonction législative est exercée par le peuple ou ses élus. Ainsi, en obéissant au pouvoir exécutif, subordonné à la loi, c’est à la loi que le peuple obéira, c’està-dire qu’il n’obéira qu’à lui-même. Mais il y a un risque, c’est que le pouvoir législatif s’empare de la fonction exécutive et cumule les pouvoirs, de sorte que la constitution sera détruite. C’est pourquoi d’autres préconisent un système, inspiré de l’Angleterre, dans lequel les autorités se feront équilibre. Comme la fonction exécutive est par nature subordonnée, son titulaire ne peut faire équilibre à une assemblée législative que s’il se voit confier, outre son pouvoir exécutif, une participation au pouvoir législatif, par exemple par un droit de veto, de sorte que la loi ne puisse être adoptée que par le concours de l’assemblée et du pouvoir exécutif. La séparation des pouvoirs sera alors garantie. Si une ou Ill. 12 Le serment du Jeu de paume. Tableau préparatoire attribué à Jacques-Louis David. Paris, musée Carnavalet, P 67/CARP 0067.

Ill. 13 Le serment du Jeu de paume. Registre contenant le procèsverbal de la séance de l’Assemblée tenue dans la salle du Jeu de paume le 20 juin 1789, suivi du serment dit du Jeu de paume. À la suite figurent dix pages de signatures des adhérents. Arch. nat., C* I 3 (AE I 5, 3bis).

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deux assemblées législatives tentaient de s’emparer de la fonction exécutive, le titulaire du pouvoir exécutif s’y opposerait évidemment. Mais, avec ou sans veto, le pouvoir exécutif doit être à la fois subordonné à la loi et indépendant du législateur, sans quoi celui-ci cumulerait tous les pouvoirs. On ne peut sortir de la contradiction qu’en donnant au pouvoir exécutif une structure dualiste : à côté d’un pouvoir exécutif suprême irresponsable, on institue des ministres responsables. Cette structure dualiste s’est maintenue à travers tous les régimes et a conduit à l’établissement du régime parlementaire. Les deux modes de répartition ont été tous deux mis en œuvre dans les constitutions de l’époque révolutionnaire, le système de l’équilibre en 1791 (une assemblée unique et un roi, autorité exécutive suprême, mais aussi, grâce au veto, autorité législative partielle), la spécialisation en 93 (une assemblée unique et un conseil exécutif sans veto), spécialisation encore en l’an III (un corps législatif divisé en deux conseils et un directoire exécutif sans veto), mais on les retrouve dans les constitutions ultérieures, l’équilibre sous la Charte, la spécialisation en 1848. L’autre grande révolution constitutionnelle est l’avènement de la souveraineté nationale. Le premier acte révolutionnaire est celui par lequel les députés du Tiers-État se proclament le 17 juin 1789 « assemblée nationale » et entreprennent de donner une constitution à la France (ill. 12 et 13). La théorie de la souveraineté n’est pas nouvelle. Elle a été formulée et mise en œuvre depuis la fin du XVIe siècle, mais le 17 juin marque une double rupture avec l’Ancien Régime. La plus claire et la plus évidente est la substitution d’un souverain à un autre. Jusquelà, le souverain était le roi. Désormais, c’est la nation. Mais ce changement du titulaire de la souveraineté s’accompagne nécessairement d’un changement radical dans la conception que l’on s’en fait. Que le roi était souverain signifiait qu’il possédait un certain nombre d’attributs : il n’était soumis à aucune autre puissance extérieure ou intérieure, à aucune loi (legibus solutus), il disposait de tous les pouvoirs sans aucune limite, qu’il pouvait à son gré déléguer ou exercer lui-même. Il en va différemment si le souverain n’est pas une personne physique mais une entité abstraite. Elle ne peut plus que déléguer. Il s’introduit donc une distinction radicale entre le principe ou essence de la souveraineté, qui appartient à la nation,

et son exercice qui ne peut être assuré que par des représentants, distinction énoncée à l’article 3 de la Déclaration des droits « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément » et qu’on retrouve à l’article 3 de la Constitution de 1958 « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». La théorie de la souveraineté remplit désormais autrement sa fonction de donner au pouvoir sa légitimité. Le pouvoir du roi d’Ancien Régime se fondait sur ce qu’il était souverain, celui du législateur depuis la Révolution sur ce qu’il ne l’est pas, mais qu’il parle au nom du souverain, parce qu’il le représente. La formule centrale de la Déclaration des droits de l’homme « la loi est l’expression de la volonté générale » ne correspond nullement à une volonté démocratique : elle signifie non pas que la loi doit être l’expression de la volonté générale, mais qu’elle est présumée l’être. Autrement dit, celui qui fait la loi exprime nécessairement la volonté générale et il doit être considéré comme un représentant du souverain, quelle que soit la manière dont il a été désigné, par l’élection ou

Ill. 14 Triomphe des droits de l’homme. Gravure à la manière noire, vers 1800. Arch. nat., AE II 3602.

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autrement. Ce n’est pas parce qu’il est représentant qu’il peut faire la loi, mais parce qu’il peut la faire qu’il est représentant. La théorie de la souveraineté nationale est donc le produit d’une contrainte argumentative, c’est-à-dire de la nécessité de faire apparaître les gouvernants comme des représentants. C’est ce que confirment les incertitudes sur la dénomination du titulaire de la souveraineté, tantôt nation, tantôt peuple, jusqu’à l’ambiguïté de la formulation de 1958, qui indique que ce titulaire est le peuple, mais que ce peuple exerce la souveraineté nationale. La vérité est qu’en 1791, en raison du veto qui fait du roi un colégislateur à côté du Corps législatif, il fallait le désigner comme représentant, mais on pouvait difficilement faire de lui un représentant du peuple. La solution était d’affirmer que le titulaire de la souveraineté était la nation, une nation composée de deux éléments, le peuple et le roi, et donc représentée par les deux colégislateurs. Avec la chute de la monarchie en 1792, la nation ne comporte plus qu’un seul élément, le peuple, et les deux termes deviennent synonymes (ill. 14 et 15).

QUELLE CONSTITUTIONNALITÉ ? OLIVIER BEAUD

Ill. 15 La souveraineté du peuple. Copie authentique de l’Acte constitutionnel précédé de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen présenté au peuple français par la Convention nationale le 24 juin 1793. Arch. nat., AE I 10, n° 6.

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La défaite militaire de la France en juin 1940 a provoqué la chute de la Troisième République dont le sort fut scellé par la funeste loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 qui, formellement, apparut comme une loi révisant les lois constitutionnelles de 1875, mais qui, sur le fond, équivalut à une révolution juridique (ill. 16). Cette loi consista en réalité à déléguer à un seul homme, le maréchal Pétain, dernier président du Conseil de la IIIe République, le droit d’exercer le pouvoir constituant. Aucune limite n’est ici fixée à l’exercice de ce pouvoir, mais la nature autoritaire du futur régime de Vichy se laisse aisément discerner dans la formule selon laquelle la nouvelle constitution « devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie ». Ce nouveau triptyque est censé remplacer la devise républicaine : « Liberté, Égalité, Fraternité ». En outre, aucune garantie effective n’est donnée à la promesse, qui ne sera pas tenue, selon laquelle la nouvelle constitution sera ratifiée par la nation.


QUELLE CONSTITUTIONNALITÉ ?

Les circonstances extrêmement troublées et troubles de l’adoption de la loi du 10 juillet 1940 méritent d’être brièvement rappelées. Le territoire français était occupé par la puissance allemande ; une partie importante des députés et des sénateurs était absente (233), et, parmi eux, certains hommes politiques influents (Mandel, Mendès France) ayant rejoint le Maroc à bord du paquebot Massilia n’étaient pas présents, la réunion de l’Assemblée nationale aurait dû se faire à Versailles et non à Vichy ; les parlementaires ont délibéré sous la pression du public. Toutefois, il importe surtout de relever les effets majeurs de cette loi du 10 juillet 1940 qui a délégué à un seul homme, le maréchal Pétain, le pouvoir de refaire une constitution, contrairement à ce que prévoyait la constitution. À coup d’actes constitutionnels successifs et rapprochés, ce dernier établit un régime dictatorial. Il se proclame tout seul chef de l’État français (acte n° 1 du 11 juillet 1940) et abroge unilatéralement l’article 2 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 prévoyant l’élection du président de la République par l’Assemblée nationale ; il cumule la plupart des pouvoirs, car non seulement il a la « plénitude du pouvoir gouvernemental » (acte constitutionnel n° 2 du 10 juillet 1940), mais il exerce le pouvoir législatif tant que le Parlement n’est pas convoqué. Or, les deux chambres sont ajournées (acte n° 3 de la loi 10 juillet 1940). Bref, en quelques jours, tout l’édifice constitutionnel de la IIIe République est aboli par le nouveau chef de l’État français qui prendra par la suite une série de mesures destinées à réaliser la « Révolution nationale » tant attendue par Maurras et les ennemis de la République qui ont vécu la défaite de juin 1940 et l’avènement de Pétain comme une « divine surprise ». C’est cette prétention de Vichy à représenter le nouveau gouvernement légitime de la France que le général de Gaulle conteste frontalement. On connaît évidemment son fameux appel du 18 juin 1940, mais on connaît moins le versant juridique de l’opposition de la France libre à la France de Vichy, dont l’un des témoignages marquants figure dans le Manifeste de Brazzaville du 27 octobre 1940 (ill. 17). Le général de Gaulle obtint le précieux appui de René Cassin, professeur de droit privé à la faculté de droit de Paris, qui mit sa science à son service pour contester non seulement la légitimité de Vichy, mais aussi sa légalité42. Dans ce Manifeste, de Gaulle refuse d’admettre qu’il existerait un « gouvernement propre-

ment français » et, en qualifiant l’institution gouvernementale d’« organisme sis à Vichy », il laisse entendre qu’il ne s’agit ni d’un État, ni d’un gouvernement. L’argumentation juridique, largement empruntée à Cassin43, se trouve dans la « Déclaration organique complétant le manifeste du 27 octobre 1940 ». Le contenu du Manifeste révèle néanmoins le point central de l’opposition entre Vichy et Londres, c’est-à-dire entre Pétain et de Gaulle. Celui-ci reproche à celui-là d’avoir trahi la France en se soumettant à l’Allemagne victorieuse par la signature de l’armistice de Rethondes. N’étant plus souveraine, mais soumise au IIIe Reich,

Ill. 16 Une révolution juridique. Loi constitutionnelle de l’État français du 10 juillet 1940, n° 1. Arch. nat., A 1847.

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Ill. 17 Une constitutionalité contre l’autre. Manifeste de la France libre, signé du général de Gaulle, Brazzaville, 27 octobre 1940. Arch. nat., A 1896 (3 et 4).

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la France de Vichy ne peut plus être considérée comme un État. Dans le Manifeste, la prétention du général de Gaulle est de revendiquer à son profit le fait qu’il existe désormais, concurremment à Vichy, un autre pouvoir qui a, lui, le droit de se considérer comme représentant l’État. La querelle de constitutionnalité est ici, comme souvent, une querelle de légitimité. Elle ne s’arrêtera pas avant la fin de la guerre ; une fois le triomphe de la France libre assurée, de Gaulle pourra codifier en quelque sorte sa prétention à la légitimité en déniant à l’État de Vichy toute existence juridique par l’ordonnance du 9 août 1944 du Gouvernement provisoire de la République française qui affirme, au premier alinéa de son arti-

cle 2, le principe de la nullité ab initio des « actes dits lois du gouvernement dit de l’État français ». Certes, le spectre de la loi du 10 juillet 1940 réapparaîtra, invoqué par les opposants à de Gaulle, lorsque ce dernier reviendra au pouvoir en 1958. La Constitution du 4 octobre 1958 fut en effet préparée par la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 (citée dans le préambule de la constitution) qui revêt quelques similitudes étonnantes avec la loi du 10 juillet 1940. Elle introduit en effet une rupture constituante en marquant la fin de la IVe République, régime avec lequel le général de Gaulle entendait rompre (ill. 18). Mais la comparaison ne doit pas être poussée trop loin. D’abord parce que les cinq principes fixés au


QUELLE CONSTITUTIONNALITÉ ?

constituant par la loi du 3 juin 1958 furent respectés par ce dernier. Ensuite et surtout parce que la Constitution de 1958, si elle ne fut pas l’œuvre d’une assemblée constituante, fut l’œuvre de légistes qui surent recueillir l’avis du Comité consultatif constitutionnel, en partie composé d’hommes politiques, et fut adoptée par le peuple français par un référendum dont l’objet était tout autant d’approuver un texte que de ratifier le retour au pouvoir du général de Gaulle dont on espérait qu’il mettrait fin à la guerre d’Algérie sans provoquer une guerre civile. Il n’y a pas eu, en 1958, de transfert du pouvoir constituant à un seul homme, comme cela fut le cas le 10 juillet 1940 et les circonstances de l’adoption de la loi du 3 juin 1958 n’ont pas eu le caractère dramatique de celles du 10 juillet 1940, dans une France dévastée par la défaite militaire. La Constitution de 1958 rappelle incidemment cet événement douloureux en interdisant une révision de la Constitution lorsqu’est « porté atteinte à l’intégrité du territoire » (art. 89, al. 4 C.)

Ill. 18 La Constitution de la Ve République. Original imprimé scellé du grand sceau de la République en cire jaune pendant sur un ruban tricolore, 4 octobre 1958. Détail des articles 13 à 16. Arch. nat., AE I 29bis, n° 19.

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UN PARLEMENTARISME REPRÉSIDENTIALISÉ OLIVIER BEAUD

Hypostase de l’autorité Les constituants de 1958, c’est-à-dire essentiellement de Gaulle en tête, solidement secondé par Michel Debré, ont entendu refaire une Constitution pour « refaire » un pouvoir et une République. Une telle ambition s’appuie sur un diagnostic critique à l’égard du parlementarisme français dont la tendance serait anarchisante au sens où un tel régime, le « parlementarisme absolu », incarné tant par la IIIe que par la IVe République, serait incapable de gouverner. Michel Debré a, rétrospectivement, parfaitement identifié l’objectif du nouveau texte constitutionnel : « S’il est vrai – écrit-il – que la séparation des institutions, et notamment l’existence d’un Parlement avec liberté de parole pour chacun, doublée d’une indépendance de la justice et de la liberté de la presse, garantissent les libertés essentielles et le respect de la personne humaine, il est indispensable que la décision, c’est-à-dire le gouvernement, soit établie dans des conditions qui assurent la marche des affaires et la destinée de la nation »44. Ainsi les fondateurs de la Ve République voulaient, en « donnant » une nouvelle constitution à la France, « donner à la France des institutions, et […] par là des institutions efficaces lui permettant de sortir des épreuves auxquelles elle était confrontée »45. Autrement dit, ils ont conçu l’État comme « une puissance armée pour l’action »46. Le corollaire de cette vision d’un État fort est propre à la rhétorique gaullienne : cet État a besoin d’un pouvoir exécutif au sein duquel, malgré la dyarchie formellement prévue par le texte constitutionnel (d’un côté, le président de la République et, d’un autre, le Premier ministre), le chef de l’État domine. C’est la pratique gaullienne du pouvoir qui apprendra aux professeurs de droit et aux citoyens que l’un « des caractères essentiels de la Constitution de la Ve République, c’est qu’elle donne une tête à l’État » (conférence de presse du 20 septembre 1962) et cette tête n’est autre que le président de la République. Pour ceux qui ne l’auraient pas compris en 1962, le général de Gaulle mettra les points sur les « i » le 31 janvier 1964 dans sa fameuse conférence de presse où il proclame, de façon juridiquement très osée, que « s’il

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doit être évidemment entendu que l’autorité indivisible de l’État est confiée tout entière au président par le peuple qui l’a élu, qu’il n’en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui, enfin qu’il lui appartient d’ajuster le domaine suprême qui lui est propre avec ceux dont il attribue la gestion à d’autres, tout commande, dans les temps ordinaires, de maintenir la distinction entre la fonction et le champ d’action du chef de l’État et ceux du Premier Ministre. » Cette survalorisation de l’autorité présidentielle va de pair avec une dévalorisation constante du Parlement et des parlementaires. Bien que ce fait soit parfois passé sous silence, il est clair que de Gaulle a gardé de son éducation et de sa jeunesse un virulent antiparlementarisme. Selon la critique majeure qu’il adresse constamment à la IVe République, ce régime aurait institué « une nouvelle forme de gouvernement représentatif […] : la représentation de la nation par les partis »47 et ainsi déformé la nature du gouvernement représentatif. Le pari des fondateurs de la Ve République serait de redonner à l’État son autonomie par rapport aux partis, ce qui veut dire conférer son autonomie à l’Exécutif. La traduction institutionnelle de cette idée est la conception du chef de l’État comme celui « en qui la nation puisse voir, au-dessus des fluctuations, l’homme en charge de l’essentiel et le garant de ses destinées »48. Un tel chef se veut, initialement, « au-dessus des partis » et il est censé représenter la nation entière selon la mystique du rassemblement de tous autour d’un seul homme. L’idée qui préside à son agencement institutionnel de la Cinquième est celle de tenter « un gouvernement par arbitrage extra partis »49. On sait qu’une telle vision est antiparlementaire car elle fait du Parlement le lieu de la division, du pluralisme destructeur, alors que le chef de l’État serait le lieu de cristallisation de l’unité nationale ; de ce point de vue, la réminiscence monarchique est transparente. Une telle conception apparaît dans les détails les plus concrets de la vie politique que les documents conservés aux Archives nationales – et c’est leur charme indéniable – révèlent parfois. On y découvre ainsi certaine « pépite », comme cette note manuscrite du 4 juillet 1963 dans laquelle le général de Gaulle reproche vertement au garde des Sceaux de l’époque, Jean Foyer – pourtant un très fidèle gaulliste –, d’avoir donné une instruction sans en avoir référé préalable-


UN P AR L EM ENTARISME REPRÉSIDENTIALISÉ

ment au chef de l’État sur une affaire relevant certes de son ressort, mais touchant aussi à « la souveraineté nationale », domaine dans lequel de Gaulle revendiquait un pouvoir d’évocation. Il est surtout reproché au garde des Sceaux d’avoir succombé au « copinage politicien et parlementaire » en ayant été vraisemblablement sensible aux interventions d’autres hommes politiques (ill. 19). Cet épisode ne saurait mieux illustrer la conception gaullienne de la séparation des pouvoirs telle qu’elle a été magistralement expliquée par Léo Hamon comme signifiant la volonté de séparer le pouvoir du parti politique, et plus limitativement le pouvoir exécutif du pouvoir parlementaire : « Comme le militaire ou le religieux doivent quitter la maison familiale pour mieux appartenir à leur service ou à leur sacerdoce, les membres de l’Exécutif quitteront la maison des partis pour n’habiter que la demeure de l’État »50. Toutefois, avec cette obsession de « déparlementariser » la vie politique et de prétendre à une cloison étanche entre l’État et les partis politiques, le régime gaullien perd la possibilité d’avoir un dialogue entre la société civile et l’État qui est la condition de développement harmonieux à une époque moderne et industrielle où il est illusoire de vouloir isoler l’État de la société civile. Il tombera également dans une grave contradiction le jour où l’élection présidentielle au suffrage universel direct remettra les partis politiques en selle car la révision de 1962 a transformé, qu’on le veuille ou non, le président de la République en chef d’une majorité (dite majorité présidentielle). Dès lors, la question se pose de savoir « comment obtenir que le président devienne, une fois élu, tout autre chose que l’homme d’un parti et sache oublier qui l’a fait roi ? Comment faire pour que les partis servent et ne puissent ensuite être servis ? »51. La revendication d’une autorité présidentielle au-dessus des partis est donc impossible à satisfaire et constitue le talon d’Achille de la conception gaullienne du pouvoir.

« Est souverain celui qui décide de l’état d’exception » La formule qui donne le titre à cette section est tirée d’une célèbre définition de la souveraineté donnée par le juriste allemand Carl Schmitt : « Souverän ist wer über den Ausnahmezustand entscheidet »52. Or, une telle définition semble s’appliquer parfaitement à la Constitution française de 1958, ou plus exac-

tement à son article 16 (ill. 18). Si ce dernier a pu parfois être qualifié de « constitution de réserve », c’est parce qu’il organise un régime constitutionnel d’exception qui déroge au régime juridique ordinaire. La mise en application de l’article 16 a pour effet de suspendre une partie de la constitution qui ne peut plus alors être appliquée comme elle l’est normalement. Cette suspension de tel ou tel article peut parfois être explicite lorsqu’elle prévue par l’article 16, comme c’est le cas de l’impossibilité de dissoudre l’Assemblée nationale (al. 4), mais elle peut aussi être implicite, c’est-à-dire résulter de l’interprétation des textes, comme le prouvera la décision du 19 septembre 1961 du président de l’Assemblée nationale selon laquelle les députés ne peuvent pas déposer une motion de

Ill. 19 « Souveraineté nationale » versus « copinage parlementaire ». Copie d’une note manuscrite du général de Gaulle portée sur le télégramme de Nouméa du 4 juillet 1963 n° 192. Arch. nat., AG 5 (1), 1943.

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Ill. 20 Le Président aux commandes. Décision du général de Gaulle se réservant « directement toutes les décisions concernant l’affaire algérienne », le 24 avril 1961. Arch. nat., AG 5 (1), 1712, n° 4.

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censure pendant la période d’application de l’article 16 (suspension implicite de l’art. 49 C). Si cet article 16 a suscité dès le début un certain émoi chez les juristes et chez les opposants à de Gaulle (voir F. Mitterrand dans Le coup d’État permanent), c’est qu’il instituait une sorte de dictature au sein de la Constitution de 1958. En effet, il confère au président de la République un pouvoir considérable dans la mesure où il lui donne, d’une part, toute latitude pour décider s’il y a lieu d’appliquer cet article 16 et, d’autre part, toute latitude pour décider des mesures à prendre dans le cadre de ces circonstances exceptionnelles. D’abord, le pouvoir exceptionnel du président de la République se manifeste ici par la décision qu’il prend, seul, et uniquement après un avis du Conseil constitutionnel qui ne le lie pas (avis obligatoire et

non conforme, disent les juristes), de décider qu’il y a lieu d’appliquer l’article 16, c’est-à-dire de déclarer ouverte la situation d’exception. Certes, le texte constitutionnel impose deux conditions cumulatives qui sont, d’une part, l’existence d’une menace grave et immédiate portant notamment sur les « institutions de la République » et, d’autre part, l’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics53. Mais le président de la République n’a pas besoin de motiver sa décision et de démontrer que les deux conditions sont bien remplies. Certains juristes avaient objecté que la seconde condition n’était pas remplie, mais personne ne peut contrôler la décision présidentielle puisque le Conseil d’État a estimé qu’il s’agissait d’un « acte de gouvernement » (CE 2 mars 1961, Rubin de Servens), donc un acte insusceptible de contrôle juridictionnel. De ce point, l’étude de la mise en application in concreto de l’article 16 est exemplaire. Rappelons les faits dans leur brutale simplicité : le samedi 22 avril 1961, quatre généraux (Salan, Challe, Zeller et Jouhaud) fomentent un putsch à Alger renversant localement l’autorité des pouvoirs publics dans le but de modifier la politique algérienne de la France, autrement dit de sauver l’Algérie française. Le lendemain, le général de Gaulle annonce au peuple français dans un discours télévisé, au ton dramatique, qu’il a décidé de recourir à l’utilisation de l’article 16. Après avoir obtenu un avis favorable du Conseil constitutionnel, il a pris une décision dont on admirera le laconisme : « Il est fait application de l’article 16 de la Constitution »54. Le pouvoir présidentiel se manifeste par cette décision qui consiste à interpréter les événements comment étant suffisamment dangereux pour la survie de la République pour qu’il soit nécessaire d’appliquer l’article 16 et de conférer ainsi des pouvoirs exceptionnels au chef de l’État. On peut donc interpréter une telle décision comme instaurant une dictature républicaine, au sens romain du terme. Dictature parce que, comme on le verra, elle aboutit à conférer la plupart des pouvoirs étatiques au seul président de la République. Mais dictature républicaine parce que cette dictature est censée être provisoire, c’est-à-dire durer aussi longtemps que les dangers qu’elle entend combattre – ceux résultant de la situation en Algérie. Mais celui qui voudrait trouver des garanties dans le texte de l’article 16 serait bien en peine d’en trouver : aucune disposition ne prévoit


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la sortie de crise et donc la durée de la crise. Autrement dit, le pouvoir souverain du président se manifeste par le pouvoir symétrique, tout aussi discrétionnaire, de mettre fin à l’application de l’article 16. Tout dépend de la bonne volonté du président. Le 29 septembre 1961, de Gaulle mettra fin à « l’état de nécessité » – autre mot fréquent employé par les juristes pour décrire la situation résultant de la mise en jeu de l’article 16 – par une décision dont le laconisme égale celui de la première décision du 23 avril 1961 : « il cesse d’être fait application de l’article 16 de la constitution »55. Il fut en réalité soumis à la pression des parlementaires qui entendaient déposer une motion de censure contre son gouvernement au début du mois d’octobre. La seconde particularité de la théorie des pouvoirs exceptionnels de l’article 16 tient aussi au fait que, une fois déclarée leur existence, le président de la République concentre tous les pouvoirs. Il prend, dit le texte, « les mesures exigées par ces circonstances » après une consultation des autorités compétentes (Premier ministre, présidents des chambres et Conseil constitutionnel) qui ne le lie toujours pas. La seule limite de ses pouvoirs réside dans la finalité poursuivie : tout doit être conditionné par l’objectif de mettre fin au danger ayant provoqué l’application de l’article 16. En l’occurrence, en avril 1961, le but des mesures présidentielles était d’enrayer le putsch d’Alger et de mettre fin donc à cette insurrection, ce « pronunciamento militaire » comme l’a appelé de Gaulle dans sa communication à la télévision du 23 avril 1961. C’est la raison pour laquelle ce dernier prendra, au total, dix-huit décisions dont l’objectif était de donner les moyens à l’État de lutter contre la subversion, ce qui revenait à introduire toute une série de mesures plus rigoureuses à l’encontre de ceux qui avaient ainsi défié le pouvoir ou – et la nuance est d’importance – de ceux qui étaient suspectés de le faire. On s’accorde à reconnaître que, en ce qui concerne leur contenu (le domaine matériel disent les juristes), le général de Gaulle a interprété de façon stricte le domaine d’application de l’article 16 en prenant des mesures jugées indispensables pour juguler l’insurrection en Algérie. Ainsi s’explique la création d’une juridiction d’exception, le Haut Tribunal militaire (28 avril), puis le Tribunal militaire (3 mai) pour châtier les principaux responsables du putsch et les diverses dispositions destinées à arrêter des suspects sans intervention de

l’autorité judiciaire, ou sanctionner les militaires ou fonctionnaires qui auraient désobéi. Parmi ces dixhuit mesures figure la décision du 24 avril 1961 relative aux internements administratifs sur laquelle on reviendra car elle a donné lieu à une divergence d’interprétation entre le président de la République et les autorités gouvernementales. Mais il convient surtout de retenir que la mise en œuvre de l’article 16 confère au président de la République un pouvoir très considérable ; autrement dit, le président se donne à lui-même de grands pouvoirs en recourant à l’article 16. La consultation de la liste de toutes les décisions prises en application de l’instauration de l’article 16 indique que de Gaulle a pu faire office de législateur, confondant à son profit les deux pouvoirs législatif et exécutif, au mépris de la séparation des pouvoirs. Or, une telle confusion est, exceptionnellement, avalisée par le juge. En effet, le Conseil d’État a refusé d’examiner la légalité de la décision du 3 mai 1961 créant le Tribunal militaire spécial au motif que celle-ci, bien que prise par une autorité exécutive (le président de la République), était en réalité un « acte législatif » dont il ne lui appartenait pas de connaître (CE 2 mars 1961, Rubin de Servens). Le président de la République n’est donc contrôlé par aucune autorité juridictionnelle quand il prend, en application de l’article 16, des mesures qui relèvent du domaine de la loi. Il n’est pas davantage contrôlé par le Parlement à qui l’on a même refusé de mettre indirectement la responsabilité du président de la République en cause en déposant une motion de censure contre le gouvernement56. Il s’agit donc bien d’un pouvoir absolu au sens où ce pouvoir n’est pas contrôlé par un tiers, le contrôle de l’opinion étant bien aléatoire. Mais la lecture des archives nous en apprend encore davantage sur le fonctionnement effectif du pouvoir. C’est ce qui ressort de la très intéressante – on a envie d’écrire « fascinante » – « décision » du 24 avril 1961 non publiée au Journal officiel, par laquelle de Gaulle déclare, sans même se référer aux circonstances exceptionnelles qu’il entend se réserver « directement toutes décisions concernant l’affaire algérienne et ce qui s’y rapporte » (ill. 20). Ainsi, les règles qui régissent désormais le fonctionnement interne au sein de l’Exécutif ne proviennent plus de la constitution, mais d’une décision unilatérale du président de la République modifiant la répartition des compétences. Pour ce qui concerne

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INTRODUCTION : FONDER L’AUTORITÉ

Ill. 21 L’article 16 et son application. Note dactylographiée du général de Gaulle à Michel Debré, Premier ministre, s’indignant du non-respect d’une décision prise le 24 avril 1961 au titre de l’article 16 de la Constitution, 4 août 1961. Arch. nat., AG 5 (1), 1712, n° 6.

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l’affaire algérienne, le Premier ministre n’est plus le chef du gouvernement, mais il est seulement son « adjoint dans ces domaines » et les ministres « intéressés » (tout comme le chef d’état-major général de la Défense nationale) ne doivent plus s’adresser non plus au Premier ministre, mais à de Gaulle. On a ici une traduction juridique de la déclaration qu’il aurait faite lors de sa première visite à Alger le 4 juin 1958 : « le ministre de l’Algérie, c’est moi » ajoutant : « Je délègue mes pouvoirs au général Salan en tant que commandant en chef civil et militaire »57. En prenant cette décision le 24 avril, de Gaulle revient donc sur la délégation des pouvoirs qu’il avait faite à celui qui deviendra le leader des putschistes. Il revendique donc l’exercice de tous les pouvoirs concernant l’affaire algérienne. D’une certaine manière, la lecture de ces docu-

ments d’archives permet de confirmer ce que les juristes les plus perspicaces avaient deviné avant même la mise en application des circonstances exceptionnelles, sur le rôle prépondérant joué par le chef de l’État, le général de Gaulle qui a transformé le Premier ministre en simple exécutant et les deux chambres du Parlement en « magistratures morales » pour reprendre une expression caustique de Georges Vedel58. Tout aussi instructif est le document portant sur l’interprétation à donner à la décision du 24 avril étendant l’application de l’ordonnance n° 58-196 du 7 octobre 195859. Celle-ci autorisait l’État à prendre des mesures de police administrative (assignation à résidence, internement administratif, etc.) à l’égard des personnes suspectées d’apporter de l’aide aux rebelles des départements algériens. La décision présidentielle du 24 avril 1961 en étend l’application aux personnes suspectes d’êtres membres ou complices du putsch d’Alger, désigné dans ce texte comme une « entreprise de subversion ». Quelques mois après la mise en application de l’article 16, et alors même que le danger du putsch a été écarté depuis longtemps, de Gaulle s’émeut, dans une note, de ce que tous les suspects arrêtés dans le cadre de cette opération ont été libérés. Il juge « anormal » qu’une telle décision ait été prise car elle irait à l’encontre du but poursuivi par la décision du 24 avril 1961 qui visait une répression administrative (ill. 21). Il y a donc une divergence d’appréciation entre le président de la République et les autorités administratives chargées de statuer sur l’internement administratif. Une telle divergence repose sur l’appréciation du danger. De Gaulle considère ici que « rien ne permet aux pouvoirs publics de relâcher leur vigilance », ce qui veut dire que l’internement administratif, mesure de police administrative, donc mesure préventive, devrait selon lui continuer à être prise à l’égard des « suspects ». Mais le président de la République a beau concentrer tous les pouvoirs étatiques, il a beau « légiférer » en vue de réprimer plus durement les acteurs de « l’entreprise de subversion », il se heurte pourtant à une résistance du pouvoir administratif. Les autorités compétentes n’ont pas la même appréciation que le chef de l’État ; elles considèrent que, plusieurs mois après l’échec du putsch d’Alger, il n’est plus nécessaire de prendre les mesures coercitives que prévoient pourtant les textes. Le président de la République ne peut manifester que


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son courroux, mais sans pouvoir remettre en cause les décisions individuelles prises par les autorités administratives. Son pouvoir normatif s’est en quelque sorte épuisé dans la décision générale du 24 avril 1961 dont il ne peut maîtriser lui-même la mise en application. La leçon de cette affaire n’est pas mince pour les constitutionnalistes étudiant la Ve République. Ils énoncent, pour le regretter aussitôt, que l’application de l’article 16 a duré bien audelà de ce qu’elle aurait dû, puisqu’elle s’est étendue jusqu’à la fin du mois de septembre 1961, alors que le grave péril était écarté depuis longtemps. Mais, heureusement, l’application a été en quelque sorte adoucie par le pouvoir administratif et par une sorte de résistance, ouverte ou non – on ne sait – des autorités subordonnées au chef de l’État. NOTES 1. BENVENISTE 1969, p. 150. 2. Res gestae. § 34, 3 (éd. J. Gagé, Paris, 1935). 3. Sur tout cela : MAGDELAIN 1947 ; CORIAT 1997. 4. Évoquant dans son De republica le stratège athénien Péricles, Cicéron dit de lui qu’il fut le « premier (princeps, prince) de sa cité par son autorité, son éloquence et son conseil (et auctoritate et eloquentia et consilio) ». Sur l’éloquence du roi et des anciens (principes) des tribus germaniques : Tacite, De Germania, 11 : « Le roi et le princeps, chacun selon son âge, sa noblesse, ses exploits guerriers et son éloquence, sont écoutés davantage parce qu’ils ont l’auctoritas pour persuader (auctoritate suadendi) que parce qu’ils ont la potestas d’ordonner (potestate jubendi). Si l’avis a déplu, des murmures le repoussent ; mais s’il a plu, ils (les hommes de la tribu assemblés en armes) agitent leurs framées : le genre le plus honorable d’assentiment est l’approbation par les armes ». L’éloquence est bien le vecteur de l’auctoritas, celleci n’existant que parce qu’elle est reconnue par autrui, donc exprimée (KOJÈVE 2004, p. 60-61). 5. M.G.H., I, n° 8, p. 18-19 : précepte du roi Clotaire (Ier) où cet acte est attribué à Clotaire II et daté de 584-628, d’après le ms. lat. 12097, f° 169-170, B.n.F, Paris. Autre édition, avec corrections : GUILLOT 2003. Les historiens (O. Guillot en particulier) ont démontré de façon très convaincante que ce précepte est de Clotaire 1er, et non de Clotaire II comme on l’affirmait depuis Montesquieu. 6. REVAULT D’ALLONNES 2005, p. 97 : « Lorsque s’effondrent les théories du droit divin qui assignaient à la souveraineté une origine (non est potestas nisi a Deo), la société politique rompt avec cette forme de transcendance et se réfléchit comme un établissement humain ne reposant sur aucun ordre extérieur à l’homme. » 7. Ambroise, Lettre 51, dans Patrologie latine, 16, col. 1160 et s. 8. Epistolae Romanorum Pontificum, p. 350-351, lettre 12. Il existe toute une littérature (avec des analyses divergentes) sur la distinction auctoritas/potestas appliquée à la relation entre hiérarchie ecclésiastique et puissance laïque ; dernier état dans SASSIER 2005. 9. De institutione regia. 10. Relatio compendiensis, oct. 833 dans Capitularia regum, p. 51-55. 11. DAVID 1954, p. 35, 36. 12. Policraticus, IV, 3, p. 240 et s. 13. Policraticus, V, 2, p. 282. 14. Sur l’origine de cette expression : BENSON 1967, p. 195-217 ; WATT 1964, p. 179-317. 15. Anciennes lois, I, p. 274. 16.Anciennes lois, II, p. 710 (1297). 17. KRYNEN 1988, p. 254 ; KRYNEN 1993, p. 395 et s.

18. GOURON 1988. 19. Disputatio. Voir aussi KRYNEN 1993, p. 85-101. 20.KRYNEN 1993, p. 391. 21. Sur tout cela : PETIT-RENAUD 2001, p. 141 et s. 22. Songe du verger, I, p. 410-411 ; CARBASSE et LEYTE 2004, p. 107-109. 23. Voyage de saint Brendan, XVII, v. 566. 24.BODIN, Livre I, chap.VIII. 25. BODIN, Livre I, chap. X. 26.Correspondance de Loup de Ferrières, 1, l. 37, p. 162 ; DAVY 2005, notamment p. 67. 27. DEVISSE 1968. 28.Dans son traité sur L’organisation du Palais (883), Hincmar évoque les Grands réunis en curia – l’autre appellation de l’ancien Sénat romain destinée, aux temps capétiens, à remplacer définitivement celle de placitum (plaid) – pour assister le prince dans ses décisions, et qualifie ces Grands de senatores regni. Résumé de la pensée d’Hincmar sur l’exigence du conseil, avec références aux textes dans SASSIER 2012, p. 172-175. 29.Anciennes lois, 1, p. 152-153 : texte latin ; Actes de Louis VII, n° 342. 30. Sur ce personnage et son œuvre : GOURON 1984 et 1987, III. Summa Codicis : Hermann Fitting l’a attribué à tort au premier grand glossateur, Irnerius, p. 15-16. 31. KRYNEN 1993, p. 424 et s. 32. LA ROCHE-FLAVIN 1617, Livre XIII, chap. 17, n° 34 : son argumentaire sur la constitution Humanum esse. Extrait dans CARBASSE et LEYTE 2004. 33. Anciennes lois, IV, p. 484. 34. Anciennes lois, V, p. 74. 35. Anciennes lois, XIV, p. 191. 36. Anciennes lois, XVI, p. 529. 37. Anciennes lois, XVII, p. 115. 38. Anciennes lois, XIX, p. 70-72. 39. TEYSSEIRE 1995. 40.Procès-verbal de la séance du parlement de Paris, 3 mars 1766, Arch. nat., X1B 8951. 41. MAGDELAIN 1947, p. 68. 42.Sur ce point : PROST et WINTER 2011. 43. CASSIN 1940. 44.DEBRÉ 1990, p. XIII. 45. DENQUIN 2001, p. 44. 46.BURDEAU 2011, p. 272. 47. HAMON 1958, p. 39. 48.Mémoires de De Gaulle, p. 240. 49.HAMON 1958, p. 130. 50. HAMON 1958, p. 115-116. 51. HAMON 1991, p. 364-365. 52. SCHMITT 1979, p. 11. Traduit par J.-L. Schlegel par : « Est souverain celui qui décide de la situation d’exception », dans SCHMITT 1988, p. 15. 53. « Lorsque les Institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des Pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier Ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil Constitutionnel » (art .16, al.1). 54. « Décision du 23 avril 1961 portant application de l’art. 16 », Art. 1, Journal officiel, p. 3875. 55. « Décision du 29 septembre 1961 mettant fin à l’application de l’article 16 de la Constitution », Article unique, Journal officiel, 30 septembre 1961, p. 8963. 56. Pour les détails : SAINT-BONNET 2008, p. 537 et s. 57. COINTET 2012, p. 43. 58. VEDEL 1960, p. 21. 59. Journal officiel, 24 avril 1961, p. 3876.

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