Le Parc ZOOlogique de Paris. Des origines à la rénovation Extrait

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À tous ceux qui, avec attachement et respect, ont été au service du parc zoologique et de ses pensionnaires depuis sa création

Muséum national d’Histoire naturelle Comité de lecture : Mmes : Claude-Anne Gauthier, directrice du département des galeries Michelle Lenoir, directrice des bibliothèques et de la documentation MM. : Jean-Luc Berthier, responsable scientifique des collections animales Jean-Marie Sani, directeur de projet, diffusion des connaissances.

© Muséum national d’Histoire naturelle © Somogy éditions d’art, Paris, 2014 ISBN MNHN 978-2-85653-748-0 ISBN 978-2-7572-0655-3 Dépôt légal : mars 2014 Imprimé en Italie (Union européenne)


LE PARC

ZOOLOGIQUE DE PARIS des origines à la rénovation Maryvonne Leclerc-Cassan Dominique Pinon Isabelle Warmoes


SOMMAIRE Coordination des auteurs : Dominique Pinon [M.L.-C.] Maryvonne Leclerc-Cassan [D.P.] Dominique Pinon [I.W.] Isabelle Warmoes

PRÉFACE 6 AVANT-PROPOS [D.P.] 8 INTRODUCTION [D.P.] 10 I. LES ORIGINES DU ZOO DE VINCENNES LE RÊVE DE GEOFFROY SAINT-HILAIRE [D.P.] 15 Les projets d’extension de la ménagerie du Jardin des Plantes au bois de Vincennes La ménagerie du Jardin des Plantes au début du xxe siècle : « l’enfer des bêtes » ?

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II. LE ZOO DE CHARLES LETROSNE DU PETIT ZOO DE LA COLONIALE AU PARC ZOOLOGIQUE DE PARIS [I.W.] 53 Les projets en concurrence

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Les conditions d’aménagement du parc zoologique de Paris

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Le programme du zoo élaboré par Édouard Bourdelle 57 LES ALÉAS DE LA CONCEPTION DU ZOO : 1932-1934 [D.P.] 60 Les deux architectes : chronique d’une collaboration impossible

60

Premières esquisses 64 À L’ORIGINE DU ZOO MODERNE : CARL HAGENBECK, UNE ILLUSION DE LIBERTÉ [D.P.]

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Du commerce animal au zoo de Stellingen

Les différents types de constructions

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UN CHANTIER COLOSSAL : OCTOBRE 1932-JUIN 1934 [I.W.]

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Hagenbeck et son équipe

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L’organisation du chantier

88

Quel modèle pour Vincennes ?

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Une mise en œuvre complexe

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LE ZOO DE L’EXPOSITION COLONIALE DE 1931, UN SUCCÈS RETENTISSANT [I.W.] 38 La position complexe du Muséum : entre intérêt, méfiance et désengagement La création du « petit zoo » de la Coloniale par la société Hagenbeck

38

Le Grand Rocher 92 La fierté des entreprises LE ZOO VU PAR LES ARCHITECTES ET LES SCIENTIFIQUES [I.W.]

95

100

Les architectes 100 43

Les scientifiques 104


III. UN ZOO POPULAIRE

V. VERS LA RÉNOVATION DU ZOO

UN SUCCÈS IMMÉDIAT [D.P.]

107

L’ÉVOLUTION DU FONCTIONNEMENT ET DE LA VIE AU SEIN DU ZOO [M.L.-C.] 195

DE L’ATTRACTION À L’ÉDUCATION DU PUBLIC [D.P.] 110

Les publics 195

LE ZOO ET SES PUBLICS À TRAVERS LES IMAGES [D.P.]

Les personnels 199

116

L’ART ANIMALIER À VINCENNES [I.W., M.L.-C.] 132 Un héritage ancien 132 Un renouveau artistique fécond

134

Photographie et courts métrages

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Entre science et art

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IV. UN ZOO DU MUSÉUM

[M.L.-C.]

LA COLLECTION ANIMALE

147

Évolution numérique des effectifs de la collection de l’ouverture du zoo à nos jours

148

La constitution zoologique de la collection : des prélèvements intensifs aux échanges encadrés

161

LA RECHERCHE 172 Interactions et conflits des objectifs

172

Des recherches appliquées indispensables

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LA CONSERVATION 179 Conservation in situ 181 Conservation ex situ 184 Les réintroductions 186 LA PÉDAGOGIE ET LA DIFFUSION DES CONNAISSANCES 188 La pédagogie 188 La diffusion des connaissances

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AU SERVICE DES MISSIONS : LA TAXIDERMIE 192

Le fonctionnement 198 La vie des animaux et la médecine vétérinaire

205

L’ÉVOLUTION DES AMÉNAGEMENTS DE 1934 À 1994 [I.W.] 214 L’achèvement du parc zoologique de Paris (1935-1945) 214 Une politique de réfection au coup par coup (1950-1992)

218

La réfection du Grand Rocher (1992-1997)

220

LE PARC ZOOLOGIQUE EN DANGER ET LES PROGRAMMES DE RÉNOVATION [D.P.] 223 LE NOUVEAU ZOO 231 Le projet de rénovation retenu

231

Une nouvelle identité pour le parc zoologique de Paris ? 248

CONCLUSION 252 ANNEXES Programme relatif à l’établissement du parc zoologique de Vincennes

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Liste des entrepreneurs et plan

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Les directeurs du parc zoologique de Paris

263

Principales constructions du zoo

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Plans des différents zoos

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Le nouveau zoo : chiffres-clefs

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Sources et bibliographie 276 Index 288 Remerciements 294


PRÉFACE

Il y a quatre-vingts ans, dans la lignée de l’Exposition coloniale, naissait au cœur du bois de Vincennes un zoo dont l’audacieuse ligne architecturale, toute de rochers, serait bientôt emblématique de ce qui allait devenir l’un des hauts lieux populaires de l’Est parisien. L’esthétique du rocher qui règne alors au zoo de Vincennes, œuvre de l’architecte Charles Letrosne, est déjà en usage dans d’autres zoos européens, et s’avère à ce titre largement représentative des conceptions zoologiques des années 1930. Ces conceptions et leur évolution, la vie des hommes et des animaux au zoo au cours de ces huit décennies sont retracées dans cette histoire du Parc zoologique de Paris, nom qui est le sien depuis l’origine, même si le public se l’est approprié comme « zoo de Vincennes ». À son ouverture, il se distinguait déjà par le soin très grand apporté aux conditions de vie offertes aux animaux – approche avant-gardiste à l’époque –, mais ces derniers, prélevés dans la nature non sans de terribles pertes, étaient surtout perçus comme objets de curiosité, évocateurs d’étrangeté et d’exotisme. Or, en près d’un siècle, les zoos se sont profondément renouvelés, intégrant les progrès de la médecine vétérinaire, les connaissances en éthologie, mais surtout la transformation du rapport de nos sociétés à la nature et en particulier à l’animal sauvage : autrefois exhibé, il est désormais l’ambassadeur de son milieu. Dès les années 1970, ce mouvement en faveur de la préservation des espèces est largement soutenu par les travaux des scientifiques qui décrivent leur disparition si rapide et celle de leurs milieux. Il est relayé et médiatisé par de nombreuses associations de préservation de la nature. Les parcs zoologiques amorcent alors leur mutation. Ils s’organisent à l’échelle nationale et

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PRÉFACE

internationale, et les captures dans le milieu naturel diminuent. Les réglementations sur le commerce de la flore et de la faune sauvage, sur les conditions de détention de celle-ci finissent de cadrer les activités des parcs zoologiques, qui deviennent alors des centres de conservation de la faune sauvage. C’est dans ce contexte qu’intervient la rénovation du Parc zoologique de Paris, indispensable pour remplacer des installations vieillissantes et créer un lieu entièrement neuf où les missions de conservation et de sensibilisation qui sont déjà les siennes pourront enfin s’exprimer grâce à des équipements à la hauteur de leur ambition. En 2014, le Grand Rocher se dresse toujours au-dessus du parc dont il est devenu l’emblème, le phare que devinent les visiteurs en approchant. Mais les fossés et les grilles ont laissé la place à des vitres, favorisant une immersion totale des visiteurs au cœur de la biodiversité, et les rochers se sont effacés derrière les paysages et la reconstitution des biotopes d’origine des animaux. Le Parc zoologique de Paris, représentant en cela la vision du Muséum national d’Histoire naturelle, est devenu un véritable centre de conservation des espèces, respectueux de l’animal, un lieu de science et de recherche dont la vocation première est de sensibiliser le public en l’éveillant à la connaissance et à l’amour de la nature. Quatre-vingts ans après, une nouvelle page se tourne, à l’ombre du Grand Rocher ! Thomas Grenon Directeur général du Muséum national d’Histoire naturelle

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AVANT-PROPOS En 2005, la rénovation du zoo de Vincennes est décidée et le Muséum d’Histoire naturelle confie une étude historique, architecturale et paysagère du parc zoologique de Paris à l’agence Cardo1. Il s’agissait ainsi, pour Isabelle Warmoes et moi-même, de participer à l’élaboration du programme de rénovation du parc zoologique de Paris et de retracer l’histoire du lieu et de ses transformations principales jusqu’à nos jours, en les replaçant dans le contexte culturel de l’époque. À la suite de notre rencontre avec Claude-Anne Gauthier, alors directrice du zoo, et devant l’abondance d’archives inédites sur le site, l’idée a germé d’en conserver la mémoire sous forme d’un ouvrage et d’associer à ce projet Maryvonne Leclerc-Cassan, ancienne directrice du même établissement. Ce livre est issu de ces travaux et de ces rencontres. L’objet « zoo2 » s’est en effet révélé un oublié de la recherche historique. Aucune monographie n’existe en France et rares sont celles des pays voisins, si bien qu’après le monumental travail de Gustave Loisel de 1912 3, la synthèse d’Éric Baratay4, publiée en 1998, précieuse pour quiconque aborde le sujet, est vite apparue insuffisante et approximative sur certains points. Quinze ans plus tard, si les lacunes constatées ont été en partie comblées par un certain nombre de publications, force est de reconnaître que l’accès aux archives (quand elles existent et qu’elles sont considérées comme telles) reste difficile et que la lecture de « l’œuvre-zoo » n’est toujours pas faite. Les architectes et historiens de l’art méconnaissent le sujet ou reviennent toujours aux mêmes sites, comme la ménagerie de Versailles ou les travaux de l’architecte Berthold Lubetkin (1901-1990) pour le zoo de Londres [voir p. 102]. Les approches les plus intéressantes sont le fait de géographes comme

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1. Étude historique et paysagère du parc zoologique de Paris, Muséum d’Histoire naturelle – Mission de la rénovation, Isabelle Warmoes, Dominique Pinon, 2 vol. , 262 p., mars 2005. 2. Le terme de « zoo », abréviation de zoological garden, est accepté par le dictionnaire d’Oxford en 1847 et popularisé dans une chanson célèbre, Walking in the Zoo on Sunday, en 1867. En France, ce n’est qu’en 1895 que l’abréviation est avérée et son emploi ne se diffuse réellement qu’en 1931, après l’ouverture du zoo de l’Exposition coloniale. Le terme de « jardins zoologiques », parfois celui de « jardins animés », continuera d’être employé. 3. Gustave Loisel, Histoire des ménageries de l’Antiquité à nos jours, 3 vol., Paris, Laurens, 1912. 4. Éric Baratay et Élisabeth HardouinFugier, Zoos. Histoire des jardins zoologiques en Occident (xviie-xxe siècle), Paris, La Découverte, 1998 (Zoo : a History of Zoological Gardens in the West, Londres, Reaktion Books, rééd. angl. illustrée, 2002, 400 p.).


AVANT-PROPOS

5. Jean-François Staszak, La Nature des jardins zoologiques, Bailly (éd.), Actes du colloque du Festival international de géographie, 1999 ; « À quoi servent les zoos ? », Sciences humaines n° 108, aout-septembre 2000 ; « Présentation » et « L’animal au zoo, enjeu de géographie politique : le zoo de Mexico, de Moctezuma à l’écologie », Espaces et sociétés, n° 110-111, 2003. 6. Nigel Rothfels, Savages and Beasts. The Birth of Modern Zoo, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2002.

Jean-François Staszak5, pour qui les zoos constituent un lieu privilégié d’étude des rapports entre les humains et les animaux, ou d’historiens, comme Nigel Rothfels6, historien américain des « spectacles ethnozoologiques », dans la lignée des colonial studies. Mais la lecture de l’historien de l’art reste curieusement lacunaire. La « matière première » des œuvres, à savoir les dessins et les plans des architectes, sculpteurs ou peintres, est très rarement présentée ou utilisée – sans doute est-elle d’ailleurs rarement conservée. Ainsi, à Vincennes, pour le cinquantenaire du parc zoologique en 1984, Jean Rousseau exploite abondamment les coupures de presse, mais pas un seul plan de l’architecte n’est commenté ni même reproduit. Pendant notre étude de 2005, les plans originaux étaient considérés comme disparus pendant la guerre. Pourtant, peu à peu, plus de trois cents plans ont été retrouvés dans des caves ou dans des locaux, au fond de la singerie du zoo. Ils sont aujourd’hui versés à la bibliothèque centrale du Muséum et une partie d’entre-eux est publiée ici pour la première fois. En complément de l’étude architecturale des lieux, Maryvonne Leclerc-Cassan apporte sa connaissance précise et vivante de l’évolution de la vie au sein du zoo, de la constitution des collections animales, de leur présentation et de leur entretien. Enfin, elle expose la façon dont les missions du Muséum se développent dans le contexte très particulier du zoo. Le présent ouvrage souhaite ainsi restituer de manière complète quatre-vingts ans d’histoire du zoo de Vincennes, de sa naissance en 1934 à son renouveau en 2014. Dominique Pinon

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UNE NOUVELLE

SCÉNOGRAPHIE DU SAUVAGE Créé en 1934, après le succès de celui de l’exposition coloniale de 1931, le parc zoologique de Paris, ou « zoo de Vincennes », présente pour la première fois en France des animaux en apparente liberté grâce à la création de larges fossés qui laissent voir les animaux évoluer sans barreaux entre eux et le spectateur. Ce nouveau mode de présentation est pourtant utilisé depuis près de trente ans ans, après l’ouverture retentissante du zoo de Stellingen, près de Hambourg, ancêtre du « zoo moderne ». Vincennes fait partie des derniers-nés de ce modèle et s’inscrit dans une longue descendance de zoos urbains. Cette création « tardive » a cependant plusieurs avantages. Tout d’abord, le site va bénéficier du courant hygiéniste, qui traverse toute l’architecture et l’urbanisme de l’époque pour porter une attention inédite à cette période aux conditions d’éclairage, d’alimentation en eau, de chauffage, de propreté des enclos et des abris, et indirectement au bien-être, certes encore élémentaire, de l’animal. Ensuite, son créateur, l’architecte Charles Letrosne, va parachever l’abri-rocher initié à Stellingen, pour en faire l’unique mode de présentation des animaux – non sans faire réagir certains scientifiques du Muséum, dénonçant cette « mystique du rocher » qui fait vivre dans d’arides rochers des animaux de steppe,

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Crue du Nil, IIe s. avant J.-C, mosaïque, Préneste (Italie). Les images liées à l’animal sauvage captif sont ancestrales et traversent toutes les civilisations. Ainsi la célèbre mosaïque du sanctuaire de la Fortuna Primigeria à Préneste, représentant une vue chorographique d’une crue du Nil, « chante » la diversité du vivant, recense et nomme les espèces animales en présence. Curieusement, comme le zoo de Vincennes le mettra en scène vingt siècles plus tard, la montagne constitue le point focal ascendant de la composition, où chaque espèce s’est réfugiée sur son morceau de territoire, son enclos, son « rocher », décerné, désigné en quelque sorte, par l’eau. Un zoo « moderne » 2 000 ans avant son invention.


PARC ZOOLOGIQUE DE PARIS

de jungle ou de forêt. Si la zootechnie n’y a pas gagné en pertinence, l’effet d’ensemble y a indiscutablement trouvé une cohérence. Et la création du Grand Rocher, devenu emblème de l’Est parisien, s’il constitue une aberration zootechnique, n’en demeure pas moins une création architecturale qui mériterait d’acquérir une reconnaissance des services des monuments historiques. Également vitrine de la puissance coloniale, en tout cas à ses débuts, le zoo constitue très vite un succès populaire qui va assurer à l’opération une rentabilité inespérée. Ses publics sont variés, de tous âges, de tous milieux, et la sortie dominicale au zoo se poursuivra jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les attractions, souvent liées directement au monde du cirque, comme les numéros de dressage ou d’équilibre, vont peu à peu évoluer sous l’effet des changements de mentalités. Les grandes lois de protection de la faune sauvage apparaissent, la quête de la « ressource » en animaux, qui donne lieu à de véritables épopées de la part du directeur du zoo et de ses assistants, devient problématique et les progrès de l’éthologie amènent un regard nouveau sur l’animal captif. Avec la « crise des zoos », la création des grandes réserves naturelles et la démocratisation du documentaire animalier donnant à voir l’animal sauvage dans son milieu, Vincennes évolue, comme tous les zoos, vers des missions de conservation, d’éducation et de sensibilisation à l’environnement affirmée et imposée par la directive européenne de 1999 et transposée en droit français par l’arrêté « zoo » de 2004. Ses engagements envers la faune malgache en particulier vont en faire un pionnier sur le sujet. Mais la dégradation des bétons, entamée dès les années 1950, va accélérer un vieillissement des structures et aboutir à la nécessité d’une lourde rénovation qui ne sera engagée qu’en 2006. C’est aujourd’hui un zoo tout neuf qui s’offre aux visiteurs, quatre-vingts ans après l’ouverture de son aîné, grâce à la ténacité du Muséum d’Histoire naturelle, dont il dépend. Profitons-en pour rendre hommage à un savant oublié de l’illustre maison, Étienne de Lacépède (1756-1825), qui, alors que la ménagerie du Jardin des Plantes est en construction, propose une présentation des animaux vivants radicalement différente et qui ne verra jamais le jour : « Le jardin s’étend sur une surface à peu près rectangulaire d’environ trentesix hectares et qui offre quelques élévations. Deux petites rivières artificielles parcourent le terrain en toute sa longueur et se terminent en une série d’étangs aux contours irréguliers. Entre les deux cours sinueux est aménagé un chemin surhaussé, destiné aux visiteurs. Des deux côtés du lit de la double rivière, le sol s’élève en pente douce et irrégulière, pourvue de petites collines et de roches. Le parc est planté d’arbres et de buissons appropriés. Quelques parties

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UNE NOUVELLE SCÉNOGRAPHIE DU SAUVAGE

sont couvertes de sable. Ces pentes sont divisées en plusieurs enclos de dimensions inégales par des treillages continués jusqu’à l’eau et cachés par de la verdure. La rivière est élargie devant les enclos des animaux qui aiment se baigner et le bord en est peu incliné pour faciliter l’accès à l’eau. Les loges de nuit des carnassiers sont cachées par des amoncellements de rocs. Pour la plupart des espèces, des abris sont prévus. Les volières sont spacieuses et contiennent des arbustes et des roches artificielles. Il y a des étangs pour les poissons, les tortues aquatiques, les phoques et surtout les oiseaux aquatiques, qui sont aussi admis sur certaines parties des “rivières”. Une place est même réservée à l’élevage des vers et des mollusques. » « Le parc zoologique ainsi conçu n’est point une accumulation de bâtisses et de cages à barreaux, mais il constitue un véritable paysage. Les plantations offrent une image de l’habitat naturel des animaux exposés. Autant que possible, on emploie comme barrières des obstacles naturels, notamment la combinaison d’une surface d’eau et d’une différence de niveau (le chemin surhaussé). Grâce au terrain aménagé en pente, les animaux ne se trouvent pas dans des fosses, mais au même niveau, ou légèrement au-dessus des spectateurs. » Sommes-nous en 2014 ? Non : en 1801 ! Dominique Pinon

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LES

ORIGINES DU ZOO DE

VINCENNES Jardin zoologique Paris, d’après Zoologischer Garten München, Ludwig Hohlwein (1874-1949), 1912. Cette affiche est adpatée de celle réalisée pour le zoo de Munich.

« Zoo de Vincennes », « parc zoologique de Paris » ? L’ambiguïté dans la dénomination de cette parcelle fait apparaître ce lieu comme détaché d’un centre qui se trouve ailleurs. Son origine se situe pourtant au cœur de Paris, au Jardin des Plantes du Muséum national d’Histoire naturelle. Nombreux sont les visiteurs qui ignorent d’ailleurs le lien entre les deux établissements, comme ils ignorent l’appartenance du bois de Vincennes au douzième arrondissement de Paris.

LE RÊVE DE GEOFFROY SAINT-HILAIRE

Les projets d’extension de la ménagerie du Jardin des Plantes au bois de Vincennes

1. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, Note sur la ménagerie et sur l’utilité d’une succursale ou annexe aux environs de Paris, Paris, L. Martinet, 14 mai 1860.

Créée en 1793 sur quatre hectares, la ménagerie du Jardin des Plantes est l’une des premières réalisées au monde. Son évolution à partir du milieu du XIXe siècle va rendre nécessaire son extension hors de Paris. Dans une note1 sur la ménagerie adressée au ministre de l’Instruction publique en mai 1860, Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, qui vient de prendre la direction du Muséum après y avoir été professeur de zoologie, rappelle que son père Étienne avait émis l’idée, dès 1842, de consacrer à l’acclimatation des animaux

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Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, portrait dessiné d’après nature en 1823 et gravé par Ambroise Tardieu (17881841), estampe.



Projet d’amélioration du bois de Vincennes : plan général dressé par l’ingénieur en chef soussigné, 1860, éch. 0,0002 pour 1 mètre, plan à compléter et à rectifier le 12 juin 1862.


LE PARC ZOOLOGIQUE DE PARIS

un établissement spécialisé situé à l’est de Paris, dans le bois de Vincennes, un emplacement particulièrement favorable car proche de la capitale tout en offrant un cadre naturel2. L’établissement demeurait alors une succursale de la ménagerie du Jardin des Plantes de Paris. Le projet avait été présenté au duc d’Orléans, fils aîné du roi Louis-Philippe, mais s’était brutalement arrêté à son décès, cette même année 1842. Dans la convention du 20 juin 1860 faisant passer le bois de Vincennes de la Couronne à la Ville de Paris, une parcelle d’environ seize hectares sera finalement réservée à cet effet au Muséum, à l’emplacement du futur Jardin colonial, côté Nogent. Elle ne sera jamais utilisée, si ce n’est comme terrain d’échange. C’est pourtant l’acte décisif qui permettra au Muséum de disposer de vastes terrains bien placés sur lesquels s’installera le zoo. Dans sa note au ministre, Geoffroy Saint-Hilaire expose trois arguments : il faut une grande ménagerie au Muséum, il est nécessaire d’étendre la ménagerie actuelle et il est utile de lui adjoindre une « succursale » ou « annexe ». L’établissement du Jardin des Plantes a trop de succès et les animaux y sont à l’étroit : les dons affluent et les reproductions trop nombreuses provoquent un encombrement néfaste pour les animaux et l’aspect de l’institution. Il faut l’étendre pour la désencombrer et lui donner l’allure d’un lieu de promenade, d’un jardin. L’annexe de Vincennes, quant à elle, serait destinée à accueillir les animaux en excédent mais nécessaires à la reproduction : il faut en effet des « doubles » pour assurer à la ménagerie son statut de « musée vivant », selon l’expression de Geoffroy Saint-Hilaire. Diminuer le nombre d’individus mais augmenter le nombre d’espèces, voilà ce dont elle a besoin. Le nouvel établissement est pensé comme une « succursale » de la ménagerie du Jardin des Plantes, qui resterait le siège de la science pure, le jardin zoologique étant celui de la science appliquée. Il ne serait donc pas une simple extension : les buts sont différents et complémentaires. On y élèverait des animaux en groupe, on les placerait dans des conditions plus favorables à leur reproduction et on tenterait de les acclimater en vue de les présenter au public de la manière la plus attractive possible. Geoffroy Saint-Hilaire rappelle qu’il a été envisagé d’installer le zoo à Meudon ou à Versailles. Mais les deux bois parisiens, à Boulogne et à Vincennes, sont des endroits privilégiés. Il en profite pour évoquer la création du Jardin d’Acclimatation, dans le bois de Boulogne, et le retard pris sur cet établissement privé : « L’administration à laquelle ont été dus ces embellissements [ceux des deux bois], si appréciés du public parisien ou plutôt européen, et qui un peu plus tard a favorisé la création d’un vaste jardin zoologique d’acclimatation

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2. Il n’était pas le seul à préconiser cela, comme nous l’avons vu dans l’introduction avec le projet de Lacépède.


Copie du plan annexé à la loi de 1860. La partie affectée à une succursale du Jardin des Plantes est en bleu ; elle sera en fait occupée par le Jardin colonial. L’emplacement du futur zoo de Vincennes est la partie cernée en noir.


LE PARC ZOOLOGIQUE DE PARIS

voudra sans nul doute faire pour son second ce qu’elle a fait pour le premier ; et dès lors n’est-on pas conduit à penser qu’elle consentirait à donner place dans le bois de Vincennes à l’annexe de la ménagerie ? » Il entre alors dans une étrange arithmétique, avec ces trois collections d’animaux d’un grand intérêt : celles de la ménagerie du Muséum, de son annexe et du jardin zoologique du bois de Boulogne. Trois collections, trois centres, et cependant deux établissements : d’un côté la science dans son ensemble, de l’autre la science appliquée. Il termine alors en citant les mots de l’empereur Napoléon III, dont l’ambiguïté explique sans doute les efforts du suppliant : « La ménagerie est bien où elle est et il n’en faut pas une seconde. » Enfin, il ajoute une note du botaniste Joseph Decaisne concernant les cultures végétales qui pourraient être installées au sein du zoo. Outre les classiques collections d’arbres forestiers et fruitiers, de céréales et de plantes industrielles, qui viendraient cohabiter – on ne sait comment – avec les animaux, « les arbres forestiers isolés pourraient border les enclos destinés aux animaux, affectant à l’intérieur des parcs des espèces ligneuses d’ornement », brève évocation d’une harmonie entre l’animal et le végétal. Des chiffres sont même avancés : 30 000 francs ont été nécessaires à l’ouverture du jardin zoologique de Londres, 700 000 francs à celle du Jardin d’Acclimatation du bois de Boulogne. Geoffroy Saint-Hilaire avance prudemment la somme de près d’un million de francs, soit… deux fois le budget de tout le Muséum. Avec sa mort en 1861, l’enthousiasme pour un tel projet retombe pour longtemps. Il faudra attendre soixante-dix ans et le petit zoo de l’Exposition coloniale de 1931 pour relancer ce projet nécessaire qui faillit bien échapper au Muséum.

La ménagerie du Jardin des Plantes au début du XXe siècle : « l’enfer des bêtes » ? À la fin du XIXe siècle, après plus de cent ans d’existence, la ménagerie du Jardin des Plantes se trouve dans un état de délabrement inquiétant. En 1891, trentedeux mammifères et soixante-six oiseaux meurent pendant les deux mois d’un hiver très vif. Alphonse Milne-Edwards, tout nouveau directeur du Muséum et professeur de zoologie en charge de la ménagerie depuis 1876, signale dans un rapport au ministre de l’Instruction publique les conditions déplorables dans lesquelles se trouve l’établissement. Les animaux de la rotonde, notamment, sont mal en point : « L’éléphant d’Afrique souffre d’une affection de la bouche ayant quelques-uns des caractères du scorbut ; le rhinocéros du Soudan, qui vit

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LES ORIGINES DU ZOO DE VINCENNES

au Muséum depuis 1880, a beaucoup maigri et sa peau est couverte de boutons purulents ; l’hippopotame, donné au gouvernement français en 1855 et qui depuis trente-six ans était en excellente santé, a maintenant la peau entamée par des fissures profondes et des excoriations rappelant celles qui se produisent sur les engelures. » Le zoologiste Gustave Loisel, dans son Histoire des ménageries de l’Antiquité à nos jours, célèbre ouvrage publié en 1912, reconnaît que l’établissement a rendu bien des services à la science pendant les deux premiers tiers du XIXe siècle, mais qu’il est désormais entré dans un « repos scientifique » – doux euphémisme. Il attribue ce mauvais état général à trois causes : la vétusté des bâtiments, le manque de formation d’une partie du personnel et surtout un nombre trop important d’animaux pour l’espace disponible. Au début de 1910, la ménagerie compte en effet près de 1 700 individus répartis en 407 mammifères, 636 oiseaux, 216 reptiles, 237 batraciens et 197 poissons ; les espèces rares sont fréquentes. Loisel signale avec un zèle de collectionneur la longévité remarquable de certains sujets : trente-deux animaux ont vécu là dix ou vingt ans, parmi lesquels beaucoup d’oiseaux, deux hippopotames (quatorze et dix-huit ans de présence) et une otarie (treize ans) ; vingt-trois ont même largement dépassé ce cap, qu’il

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Les loges des animaux féroces, E. Aubert d’après un dessin de C. Marville, 1823, gravure.


LE PARC ZOOLOGIQUE DE PARIS

Ci-dessus : Jardin des Plantes – Le gros éléphant, vers 1900, carte postale. Ci-dessous : Au Jardin des Plantes – Desta, lion d’Abyssinie (don du président Carnot), vers 1900, carte postale.

s’agisse de mammifères, tels ces deux hémiones – des ânes sauvages d’Asie – présents depuis vingt et un et vingt-six ans, d’oiseaux comme ce condor de trente-deux ans ou de reptiles, avec un record de soixante ans pour trois alligators. Mais dans quelles conditions ces animaux sont-ils conservés ? Combien de morts derrière ces chiffres ? L’amélioration de la ménagerie passe par une redéfinition de ses buts. En 1907, Loisel a déjà formulé certaines propositions, comme la suppression de la plupart des grands animaux exotiques et le retour à la faune de France, tout en faisant des efforts de présentation à l’intention du grand public et des artistes. L’objectif serait avant tout scientifique et expérimental, laissant le caractère spectaculaire aux jardins zoologiques. La Première Guerre mondiale va de toute façon contraindre à une réduction drastique des individus : en 1918, on ne compte plus que 124 mammifères et 205 oiseaux. Les collections seront cependant vite reconstituées du fait de la précieuse ressource des colonies françaises et grâce à des soins de mieux en mieux adaptés. Mais les idées vont faire leur chemin.

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LES ORIGINES DU ZOO DE VINCENNES

À L’ORIGINE DU ZOO MODERNE : CARL HAGENBECK, UNE ILLUSION DE LIBERTÉ

Du commerce animal au zoo de Stellingen Le commerce animal et le cirque Par un jour de mars 1848, Carl Hagenbeck senior (1810-1887), pêcheur à Hambourg, revient avec six phoques qui se sont pris dans ses filets. Il a alors l’idée de laisser les curieux regarder ces animaux sous réserve qu’ils s’acquittent d’un droit d’entrée. Ce sera le début d’une grande entreprise familiale. C’est son plus jeune fils, Carl Hagenbeck junior (1844-1913), qui va devenir l’homme de la légende. À dix-huit ans, grâce à ses contacts avec les directeurs des jardins zoologiques de Cologne et de Dresde, il passe rapidement des accords avec les ménageries de Paris, de Rotterdam et d’Amsterdam. Alors que les bénéfices de la jeune entreprise deviennent de plus en plus importants, il parvient à arracher à ses concurrents de nombreux marchés – même à sa principale rivale, la firme britannique Jamrach, laquelle, comme de nombreuses sociétés de GrandeBretagne, contrôle alors la plus grande partie du commerce des grands animaux exotiques en Europe. À partir du milieu des années 1860, l’approvisionnement, issu désormais de sources contrôlées, devient plus régulier. Le jeune homme dépêche des contacts en Grande-Bretagne, en France, aux Pays-Bas et en Belgique. En 1864 – vingt ans avant que l’Allemagne ne se mette à jouer un rôle majeur parmi les puissances colonisatrices –, il élimine les intermédiaires et acquiert ses propres sources d’approvisionnement, qui par la suite lui tiendront lieu de postes avancés partout dans le monde. Il possède à la fois le meilleur stock d’animaux et les acheteurs les plus respectables. Si, dans les années 1880, il vend peut-être une vingtaine de grands fauves par an, il atteint la centaine dix ans plus tard, et il y aura à un moment dans son établissement jusqu’à vingt éléphants ! Carl Hagenbeck, qui crée son cirque vers 1870, s’intéresse également au dressage des fauves. Ses méthodes sont plus douces que celles de ses confrères – même si l’exhibition d’indigènes qui accompagnent ses spectacles choque aujourd’hui les consciences. Il cherche surtout à obtenir ce qu’il souhaite des animaux en leur évitant la contrainte. Il observe et note leurs capacités de saut et les mélange en groupes spectaculaires. Son cirque parcourra le monde entier et le rendra plus célèbre encore que son activité de marchand d’animaux. Dans les années 1900, l’entreprise reçoit des commandes de jardins zoologiques du monde entier, y compris d’Afrique, du Japon, de Chine. Pendant ce temps, le marché des animaux exotiques à destination des particuliers ne cesse de croître.

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Carl Hagenbeck, vers 1909, in Von Tieren und Menschen, Carl Hagenbeck, Berlin, 1909.


Page de droite : Brevet d’invention du panorama de sciences naturelles, n° 254077, 1896, INPI, Paris. Le texte de son brevet se termine par ce résumé significatif : « Revendications : 1. Panorama des sciences naturelles présentant à volonté, au public, sur un terrain approprié dans ce but, une partie du monde et les créatures (hommes et animaux) y habitant avec les plantes qui croissent dans la même région. 2. Une forme d’exécution du dit Panorama sans grilles, barrières ou autres obstacles pouvant gêner la liberté des mouvements des animaux et, en même temps, la vue du spectateur ; de plus, un perfectionnement du panorama au moyen d’une peinture artistique et plastique correspondant à l’objet. 3. La disposition du terrain pour l’exécution du Panorama caractérisée par la construction des obstacles, des courants d’eau, des fosses, des tranchées et des élévations pour empêcher la rencontre des animaux et, en même temps, pour protéger les spectateurs sans déranger l’impression totale. »

« Hagenbeck arrive ! », Adolf Oberländer, Fliegenden Blättern, 1893, in Von Tieren und Menschen, Carl Hagenbeck, Berlin, 1909.

Quelques-unes de ces collections privées rivalisent même avec les plus grands zoos publics. En outre, certains parcs de chasse sont peuplés d’animaux fournis par Hagenbeck, lequel, prévoyant ce qui adviendra un peu partout dans le monde un siècle plus tard, conseille aux investisseurs d’ouvrir de grands parcs d’attractions en Europe et aux États-Unis où l’on puisse chasser des ours, des élans, des wapitis et des daims aussi bien que des lions, des tigres et des éléphants. Le « panorama de sciences naturelles » Carl Hagenbeck est un homme de spectacle qui cherche à instruire tout en distrayant grâce à des panoramas. Si ces compositions nous paraissent aujourd’hui, avec leur absence d’action et de son, une forme d’amusement populaire naïve et désuète, ce n’est pas le cas au XIXe siècle, où elles flattent l’imagination du public.

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Ci-dessus : panorama des mers de glace, Wilhelm Kuhnert, 1898, gravure, in Über Land und Meer – Deutsche Illustrierte Zeitung, n° 42. Ci-dessous : panorama polaire, zoo de Stellingen, vers 1910, carte postale.

Hagenbeck ajoute à ces panoramas un élément inédit et révolutionnaire : il y introduit des animaux sauvages vivants, ainsi que des groupes d’hommes en relation avec eux. En 1896, il dépose dans les principaux pays européens un brevet d’invention pour son « panorama de sciences naturelles », accompagné d’une illustration qui peut être considérée comme la toute première représentation du zoo moderne. Hagenbeck présente un « panorama arctique », ou « panorama des mers de glace », en compagnie de Lapons. Le dispositif scénique est habile, avec un espace divisé en trois parties : celle des spectateurs sur le devant, séparés par un fossé des phoques et des manchots, à côté desquels se tiennent les Lapons, et enfin, tout en haut, la partie des ours. Le décor permet de se représenter la région évoquée, assure la séparation entre les groupes d’animaux et contribue à dissimuler les artifices du montage. Les premières représentations de cette énorme machinerie, à Berlin en 1897, font fuir le public et les pertes en animaux sont considérables. Ce qui rend le spectacle si extraordinairement fascinant, c’est « l’apparente absence d’une quelconque barrière séparant les spectateurs des redoutables animaux ». Un « panorama de la steppe africaine » est également monté, qui évoque non seulement la faune mais aussi la flore. Dans ces deux spectacles, Hagenbeck fait cohabiter dans

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un même espace les prédateurs et les proies – les ours et les phoques, les lions et les zèbres –, figure du paradis tel qu’il se le représente, et qui constitue l’une des particularités de sa scénographie. Il ne lui reste plus qu’à passer du panorama au terrain : la voie du zoo moderne est ouverte. 1907 : le parc de Stellingen L’ouverture du zoo de Stellingen le 7 mai 1907 constitue un moment charnière dans l’histoire de la présentation d’espèces en captivité. Le parc, situé en banlieue de Hambourg sur un terrain de vingt-quatre hectares, met en scène des animaux qui semblent se mouvoir en toute liberté dans un éden rocheux habité par des créatures se jouant de la pesanteur : c’est une révolution, pour le spectateur tout au moins. Il concrétise la continuité des réflexions menées depuis la deuxième moitié du XIXe siècle pour améliorer les conditions de vie de l’animal captif et présente en même temps une rupture radicale avec l’architecture des parcs zoologiques. Deux attractions majeures sont montées pour l’ouverture : le « panorama de la steppe africaine » et le « panorama polaire » ; fait significatif, le terme de « panorama » est conservé pour désigner la scène à voir dans ce nouveau décor où les faux rochers sont indispensables. Construits en ciment sur une structure en bois, ceuxci permettent d’évoquer les territoires sauvages des animaux, créant d’importants Rocher des fauves, zoo de Stellingen, vers 1920, carte postale colorisée.

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Coupe sur les enclos du panorama de la steppe africaine, A. Rousselin pour l’agence Cardo, 2006.


Plan-guide du zoo de Stellingen, 1909. 1. Grande pièce d’eau des oiseaux 2. Enclos des ruminants 3. Faisanderie 4. Gouffre des fauves 5. Enclos des antilopes 6. Rocher des chamois 7. Montagne des moutons à crinière 8. Montagne des boucs sauvages 9. Grotte des tigres 10. Maison des porcs-épics 11. Enclos des oiseaux coureurs 12. Montagne élevée 13. Enclos des échassiers 14. Boutique de souvenirs 15. Enclos des antilopes 16. Maison des girafes

17-18. Enclos des gnous et des antilopes 19. Enclos des kangourous 20. Restaurant principal et place des concerts 21. Wurstelprater [attraction viennoise] 22. Plateau des rennes 23. Plateau d’en haut 24. Bassin des oiseaux du pôle Nord 25. Bassin des phoques et des morses 26. Gouffre des ours polaires 27. Bisons 28. Panorama du pôle Sud 29. Volière 30. Enclos des bœufs sauvages 31. Enclos des chevaux sauvages 32. Arrière-cour des animaux arrivants 33. Maison des reptiles 34. Volière des perroquets 35. Cage des singes

36. Grande volière 37. Cabaret des montagnes 38. Enclos des oiseaux aquatiques 39. Étang des oiseaux 40. Bâtiment principal 41. Maison des ongulés 42. Maison des éléphants 43. Pavillon de dressage d’hiver et nursery des jeunes animaux sauvages 44. Galerie des petits animaux sauvages 45. Cages de transport pour les grands fauves 46. Singerie 47. Galerie des petits animaux 48. Galerie des singes 49. Pâture des tortues 50. Fontaine japonaise en bronze 51. Île japonaise 52. Boutique de souvenirs japonais

53. Bazar pour curiosités ethnologiques et zoologiques 54. Place du village 55. Arène pour présentations ethnologiques 56. Bâtiment de dressage 57. Ruines du temple birman 58. Paysage des origines 59. Aquarium et terrarium 60. Maison des insectes 61. Aire de jeux 62. Maison des élans 63. Enclos des cerfs 64. Colonie de castors 65. Colonie de rats musqués 66-68. Enclos des cerfs 69. Train miniature 70. Restaurant d’été, ferme d’autruches


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Vue générale du zoo de Stellingen, vers 1910, carte postale. On remarquera que les rochers ne constituent pas le seul mode d’abri des animaux : divers chalets et constructions traditionnelles se mélangent aux faux rochers.

reliefs tout en camouflant les cages et les constructions annexes nécessaires au bon fonctionnement de l’établissement. Les compositions rocheuses sont très naturalistes, reproduisant failles et strates, mais de nombreux pavillons, bâtiments et clôtures parsèment toujours le site : ces ambiances inédites restent très cadrées, obligeant le visiteur à s’arrêter selon des points de vue bien définis. Les fossés sont indissociables des abris-rochers. Ils constituent l’autre avancée majeure de ce dispositif, utilisés pour séparer les animaux à la fois les uns des autres mais aussi du public. Leurs dimensions et leur profil sont calculés en fonction de leurs capacités de saut, qu’Hagenbeck a étudiées dans ses exercices de domptage. Ces fossés sont souvent remplis d’eau pour amortir la chute des animaux quand ils y tombent parfois ou pour les dissuader de les franchir – pour les singes, par exemple, réfractaires à cet élément. Leurs parois sont en ciment et leurs bords simulent de faux rochers : ils forment le premier plan du panorama. Dans une même volonté naturaliste, les enclos de plein air sont développés pour permettre aux animaux d’évoluer dans un cadre de semi-liberté, ou plutôt dans une illusion de liberté. En application des expérimentations de l’époque en matière d’acclimatation des espèces – qui montreront vite leurs limites –, ils sont dans la mesure du possible maintenus en extérieur l’hiver plutôt que présentés dans des cages étroites et surchauffées. Il faut reconnaître à Hagenbeck d’avoir développé cette idée contre l’avis de tous les savants et directeurs de parcs. Des grottes sont aménagées dans les faux rochers de manière à ce que les animaux

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puissent s’y réfugier, se soustraire au regard du public – idée neuve également, même si on les incite à se livrer à des exercices physiques par le dressage : l’animal reste sous le contrôle de l’homme, le monde du cirque n’est jamais loin. Cette association de rochers, fossés et enclos de plein air permet à Hagenbeck de créer une nouvelle mise en scène : dans un même champ de vision, il rapproche les prédateurs et leurs proies, laissant au spectateur une sensation inédite et spectaculaire. Les animaux peuvent ainsi être exposés non plus par espèces, comme il était alors d’usage dans les parcs zoologiques, mais par ensembles géographiques. Le classement systématique est abandonné au profit d’une mise en scène visant à recréer, par des artifices qui peuvent apparaître aujourd’hui dépassés, le cadre de la nature. Le modèle du zoo de Stellingen va faire école dans le monde entier pendant toute la première moitié du XXe siècle malgré le silence massif qui va peser, en France, sur cette réalisation allemande, plusieurs fois ravagée par les deux guerres mondiales et chaque fois reconstruite fidèlement.

Hagenbeck et son équipe

3. Hermann Langenbach, «Urs Eggenschwyler», Carl Hagenbecks Illustrierte Tier und Menschenwelt, 1926-1927, p. 251.

Dans la large production littéraire mi-publicitaire, mi-éducative réalisée autour de Carl Hagenbeck, la création du parc de Stellingen tient de la légende : « Une petite troupe d’artistes, d’ingénieurs, d’architectes, de paysagistes et d’ouvriers se mit au travail et l’endroit ressembla à une scène d’Aladin dans un conte des Mille et Une Nuits. À la pensée grandiose succéda l’action énergique3. » Si l’histoire n’a retenu qu’Hagenbeck comme figure emblématique de la création du zoo Urs Eggenschwyler, archives de la Ville de Zurich, in Zoo Zürich. Chronik eines Tiergartens, Othmar Röthlin, Kurt Müller, Zurich, NZZ Verlag, 2000.


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Ci-dessous : Urs Eggenschwyler posant devant les rochers de Stellingen, in Carl Hagenbecks illustrierte Tier- und Menschenwelt, Jahrgang 1926-1927, collectif, Hambourg, Köhler & Krüger, 1927. En bas à droite : Josef Pallenberg dans son atelier, L. Langguth, Düsseldorf, in Carl Hagenbecks illustrierte Tier- und Menschenwelt, Jahrgang 1926-1927, collectif, Hambourg, Köhler & Krüger, 1927.

moderne, cette innovation est le résultat de toute une équipe : les peintres de décors de théâtre Moritz Lehmann et Wilhelm Kuhnert, le zoologiste Alexander Sokolowsky, le paysagiste J. Hinsch, les peintres et sculpteurs Josef Pallenberg et surtout Urs Eggenschwyler. Ce peintre et sculpteur suisse (1849-1923), propriétaire d’une ménagerie, est un personnage hors du commun. À cinq ans, il attrape une scarlatine qui le plonge peu à peu dans une forte surdité. Enfant timide, il se plaît alors au contact des animaux. Il suit les cours de sculpture à l’Académie des beaux-arts de Soleure, qu’il quitte du fait de son handicap en 1870. Le jeune artiste reçoit sa première commande privée importante en 1879 : un groupe de lions en marbre qui sera achevé au bout de six années. À partir de là, les commandes de sculptures animalières affluent. Dès 1893, il construit ses premiers enrochements en béton pour chamois et bouquetins dans le parc Saint-Pierre-et-Paul de Saint-Gall, en Suisse, réalisant une maquette avec pics et gorges selon des formes et des couleurs géologiques conformes à la réalité. C’est en 1905 que Carl Hagenbeck l’appelle à Stellingen. Échafaudages et poutrelles en fer et en bois s’élèvent et reçoivent les énormes masses de béton que le sculpteur travaille, la truelle à la main, pour leur donner l’apparence naturelle

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Porte du zoo de Stellingen, vers 1910, carte postale.

4. Othmar Röthlin, Kurt Müller, Zoo Zürich. Chronik eines Tiergartens, Zurich, NZZ Verlag, 2000, p. 25.

souhaitée, non sans se délasser de temps en temps avec sa panthère… Autour du personnage, le mythe prend souvent le pas sur la réalité. Dans la légende de Stellingen, Eggenschwyler fait figure de Noé sauvant l’animal face à la figure du cruel et fascinant marchand qu’Hagenbeck peut incarner pour certains. Il n’en demeure pas moins que l’homme a dû développer une empathie exceptionnelle avec les bêtes. Mais Eggenschwyler n’est pas qu’un artiste fantasque. Après l’inauguration du zoo en 1907, Hagenbeck lui propose de rester de manière permanente pour édifier et entretenir tous les enrochements du parc ; l’artiste refuse, de même quand la famille Hagenbeck annonce sa volonté d’apposer une plaque de bronze à son image sur l’un de ses rochers. Car ses rapports avec le directeur du parc sont parfois tumultueux. Il doit ainsi revendiquer la paternité de sa technique, comme il l’explique en 1909, quand il est consulté pour l’organisation d’un zoo à Zurich : « Comment pourrait être organisé un jardin zoologique à Zurich ? Eh bien, d’après mes récentes expériences de Hambourg, où Carl Hagenbeck me demanda comment établir un jardin zoologique à Rome, selon SON système mais selon MA technique4… » Il insiste également sur le rôle thermique de ses rochers, qui servent de protection contre les vents froids comme de réservoir de chaleur quand ils prennent la forme de plateaux horizontaux, et précise également la nécessité de renouveler les sables formant la litière extérieure afin qu’ils sèchent plus rapidement.

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Diplodocus en béton, zoo de Stellingen, vers 1925, carte postale.

On doit enfin reconnaître en lui le père des rochers du zoo moderne, même si ce qui reste en place aujourd’hui, par exemple à Saint-Gall, évoque parfois des formes nettement anthropocentristes, avec faux balcons, fausses portes, etc. Les effets géologiques sont tantôt irréalistes, tantôt bien rendus : lits rocheux, plis, failles. On verra que les rochers de Vincennes s’éloigneront de cette volonté quelque peu naïve de copier les formes naturelles pour présenter un aspect beaucoup plus abstrait, « nerveux », typique des années 1930. Citons également le sculpteur Josef Pallenberg (1882-1946). Il fréquente l’Académie des arts de Düsseldorf à partir de 1899 et travaille assez vite pour le zoo de Berlin, où il réalise un grand nombre de sculptures d’animaux. Par ailleurs, il dote sa propre maison de Düsseldorf d’un petit zoo privé. C’est vers 1906 qu’Hagenbeck fait appel à lui pour les bronzes de l’entrée principale du parc de Stellingen. À partir de 1915, en particulier suite à ses voyages aux États-Unis, il commence à étudier les animaux préhistoriques, sculptant de grands dinosaures de béton qui viendront orner le parc de Stellingen, cent ans avant Jurassic Park ! Il en réalisera également pour les zoos de Detroit et de Cincinnati. L’essentiel de son œuvre en Allemagne sera détruit par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. En excellent metteur en scène, Hagenbeck développe ici son idée initiale d’un « paradis des origines » où tous les animaux auraient leur place, même les dinosaures !

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Quel modèle pour Vincennes ?

5. Il s’agit d’un fossé sec continu autour d’un jardin servant de clôture. Il assure la vue sur le paysage extérieur sans coupure, tout en interdisant le passage des animaux.

L’origine des rochers du zoo moderne, de ceux de Vincennes en particulier, n’est donc pas tant à chercher chez leurs cousins des jardins paysagers du XIXe siècle, mais bien dans les décors populaires des théâtres forains et des panoramas d’histoire naturelle. De même, le fossé des enclos a peu à voir avec le « haha5 » des jardins anglais, mais plutôt avec la fosse d’orchestre séparant le spectateur des animaux-comédiens évoluant sur leur plateau – un mot toujours en usage au zoo. Cette origine populaire du zoo moderne, issu du monde du cirque, reste mal acceptée par le milieu scientifique qui y travaille. Ce double caractère, ludique et festif, d’amusement et de savoir, parcourt cependant toute l’histoire de l’animal captif. Le Tierpark de Stellingen est loin de susciter une admiration unanime lors de son ouverture en 1907, même chez les Allemands, car il provoque jalousies et ruines. Ainsi, le vieux jardin zoologique de Hambourg fermera ses portes peu après. Pourtant, malgré le boycott de nombreux directeurs de ces établissements, Stellingen devient un modèle reproduit dans le monde entier, de manière plus ou moins avouée, pendant près de trente ans, poussant les responsables de parcs à se fournir largement en animaux auprès d’Hagenbeck tout en voulant l’ignorer. Le zoologiste Gustave Loisel, qui visite le site en 1912, cherche apparemment à être objectif, mais il n’y parvient guère. S’il décrit les principales nouveautés

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À gauche : le rocher des fauves du jardin zoologique de Berlin avant l’intervention d’Hagenbeck, vers 1900, carte postale. Avec sa pente trop raide, le rocher est peu adapté : il emmagasine moins bien la chaleur et ne permet pas aux animaux de s’y allonger. Les fossés n’ont pas encore fait leur apparition. À droite : l’enclos de liberté des lions du jardin zoologique de Berlin après l’intervention d’Hagenbeck, vers 1940, carte postale.


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Le panorama de la steppe africaine, zoo de Stellingen, 1910, carte postale.

de la présentation sans commentaires, il regrette que les cages servant d’abris soient trop petites, en particulier celles des lions, qui justement se déplacent la nuit. Que dire alors de celles des fauves de la ménagerie du Jardin des Plantes ? Loisel est surtout admiratif de la réussite de l’acclimatation des autruches sous le climat de Hambourg, les résultats concernant les nombreuses autres espèces restant incertains. Il termine son rapport en reconnaissant non sans ironie qu’Hagenbeck « nous apparaît vraiment comme le plus grand et le plus habile importateur d’animaux sauvages qui ait jamais existé depuis le temps des Romains ». Mais que propose Loisel comme « ménagerie idéale » lorsqu’il participe, avec l’architecte Désiré Bessin, au Salon de l’architecture de 1908 ? Deux grands palais très « beaux-arts », riches en colonnes, bossages, jets d’eau, arcs et vestibules, formant les deux extrémités d’un vaste hall donnant sur les cages des animaux carnivores. L’ensemble est surmonté d’un énorme jardin en terrasse formant une colline qui « donne de l’air, de l’espace et du soleil aux animaux, les force à se mouvoir, à sauter et à courir, à exercer leurs muscles et leur activité cérébrale ». Le tout prend la forme d’un grand rectangle ceinturé d’eau, limité par une belle clôture de jardin public. Ce modèle est radicalement périmé. Entre 1907 et 1931, la liste des parcs qui désirent au moins un « enclos de liberté », un Freianlage conforme à la nouvelle méthode, est impressionnante :

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Elberfeld (1905-1912), près de Wuppertal, est l’un des premiers, en même temps que Rome (1907-1911), Milan et Anvers (1909), le zoo Hellabrunn de Munich (1908-1911), puis Nuremberg (1912), l’archipel de Brioni dans l’Adriatique (1911-1913) et Berlin (1909-1912). Après la Première Guerre mondiale, le succès s’étend aux États-Unis : Denver (1918), Saint Louis (1919-1922), Detroit (1928), Chicago (1931), Cincinnati (1933). Puis c’est de nouveau l’Allemagne, avec Düsseldorf (1924-1930), Berlin de nouveau (1931), Chemnitz (1926) et Leipzig (1927) ; puis Ceylan (1928) et Paris (1931). Ajoutons New Delhi (1956) et bien d’autres zoos, pour lesquels l’influence des Hagenbeck n’est pas toujours facile à discerner. En effet, l’intervention de la firme allemande peut aller du simple conseil à la fourniture clés en main de tout ou partie des aménagements (enrochements surtout) en passant par l’approvisionnement en animaux. Un silence massif pèsera sur cette paternité encombrante, qui ne sera levé que très récemment. Le nom d’Hagenbeck réapparaît vers 1960, au début de la crise des zoos, sous l’impulsion d’architectes et de directeurs de zoos anglo-saxons qui cherchent à refonder la profession dans son histoire. Dans le même temps,

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Vue du bassin des flamants du zoo de Vincennes, in L’Illustration, 28 mars 1936. Si les ongulés sont présents derrière les oiseaux aquatiques, comme à Stellingen, les lions sont cachés par les rochers. Ils apparaîtraient d’ailleurs beaucoup trop petits pour être visibles. L’effet spectaculaire du rapprochement des fauves et de leurs proies perceptible à Stellingen n’est pas visible à Vincennes malgré la similitude de disposition.


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de nouvelles pistes sont lancées avec le mouvement de la deep ecology ; le concept d’« immersion dans le paysage » se développe à partir de 1973, mis en pratique en 1976 au Woodland Park de Seattle par les paysagistes Jones & Jones. La suppression des barreaux, la nécessité d’exercices pour les animaux, même à des fins d’acclimatation vite jugées utopiques, leur présentation dans un cadre supposé être le leur, tous ces principes prônés par Hagenbeck sont repensés et réadaptés aux nouvelles exigences environnementales. Ainsi, le zoo de Vincennes naîtra sans paternité lors de son ouverture en juin 1934 : on ne dira mot de Stellingen ni de son créateur allemand qui l’a inspiré. En effet, deux mois plus tard, Adolf Hitler accède aux pleins pouvoirs.

LE ZOO DE L’EXPOSITION COLONIALE DE 1931, UN SUCCÈS RETENTISSANT

La position complexe du Muséum : entre intérêt, méfiance et désengagement

« Le tour du monde en un jour », affiche de l’Exposition coloniale internationale, Desmeures, 1931.

Le petit zoo aménagé dans le bois de Vincennes lors de l’Exposition coloniale internationale et des pays d’outre-mer de 1931 constitue l’un des jalons majeurs de la mise en œuvre des projets d’extension de la ménagerie du Jardin des Plantes, concrétisés par la création du parc zoologique de Vincennes, mais qui va emprunter bien des chemins détournés. L’idée de réaliser à Paris une telle exposition remonte à l’année 1913. Le projet, ajourné avec la Première Guerre mondiale, est repris dès 1918 : il s’agit d’organiser une manifestation de propagande destinée à présenter de manière spectaculaire les bienfaits et les résultats techniques, économiques et culturels de la colonisation française et européenne. L’exposition doit offrir aux visiteurs l’illusion d’« un voyage autour du monde en un jour » grâce aux multiples pavillons s’inspirant d’architectures indigènes et à de véritables répliques de monuments originaux, tel le temple cambodgien d’Angkor Vat. Afin de dynamiser les quartiers populaires à l’est de Paris, il est décidé en 1920 que l’exposition se tiendra dans le bois de Vincennes : l’ensemble devra se développer sur cent dix hectares autour du lac Daumesnil. Après plusieurs reports, la loi du 22 juillet 1927 fixe les règles nécessaires à la réalisation de l’établissement. Le commissariat général de l’exposition est symboliquement confié au maréchal Lyautey (1854-1934), haut personnage de l’histoire de la colonisation, officier pendant les guerres coloniales puis premier résident général de France au Maroc durant le protectorat.

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Double page précédente : Exposition coloniale internationale – Paris – 1931. Plan officiel à vol d’oiseau. Dressé et dessiné par G. Peltier, Éditions Ed. Blondel La Rougery, Paris 9e, 1931. Le jardin zoologique de trois hectares conçu par la société Hagenbeck est implanté à l’extrémité sud-est de l’Exposition coloniale, au-delà du pavillon de la Palestine.

Édouard Bourdelle, photographie. Édouard Bourdelle (1876-1960) est vétérinaire et zoologiste. Après avoir été professeur d’anatomie à l’École vétérinaire d’Alfort, il poursuit sa carrière à partir de 1926 au sein du Muséum national d’Histoire naturelle, en tant que professeur titulaire de la chaire de zoologie. Il dirige à ce titre, de 1926 à 1936, la ménagerie du Jardin des Plantes, associée à cette chaire. Il établit le programme du zoo de Vincennes et assure le suivi de sa réalisation.

En 1929, Albert Aupetit, directeur des services financiers de l’exposition, émet l’idée de présenter en même temps un jardin zoologique moderne. Des contacts sont immédiatement pris avec le Muséum d’Histoire naturelle pour lui demander une participation financière visant à créer un parc zoologique permanent, mais aussi le prêt de grilles et d’animaux le temps de l’événement. Si l’assemblée des professeurs « estime que le Muséum ne doit pas perdre de vue l’organisation de cette exposition », elle ne souhaite alors pas s’y impliquer, préférant engager des travaux de modernisation de la ménagerie du Jardin des Plantes. Cependant, durant toute la période de préparation de l’Exposition coloniale, en 1930-1931, le Muséum se tient régulièrement informé de l’avancement du programme, craignant la concurrence que cette manifestation pourrait faire à ses différents départements. Ainsi, en janvier 1930, le botaniste Louis Mangin (1852-1937), son directeur, obtient l’assurance qu’aucune serre ne sera installée dans l’enceinte de l’exposition, et que seules celles du Jardin colonial de Nogent seront utilisées. De même, Mangin se voit confirmer que le palais permanent de l’exposition ne présentera pas de produits coloniaux pouvant concurrencer les collections du Muséum. Par ailleurs, Édouard Bourdelle, directeur de la ménagerie du Jardin des Plantes, est officieusement dépêché pour obtenir des renseignements sur le futur jardin zoologique. S’il n’est pas envisagé par les organisateurs de la manifestation d’établir ce zoo au Jardin des Plantes, on propose au Muséum de récupérer les « cadavres des animaux qui pourraient mourir pendant la durée de l’exposition », et peut-être aussi « certains animaux vivants à la fin de celle-ci ». Marcel Olivier, ancien gouverneur général de Madagascar et directeur adjoint de l’Exposition coloniale, suggère également à Bourdelle que le Muséum, en s’associant le concours de la Ville de Paris ou de l’État, demande à ce que ce zoo devienne permanent et qu’il en assure la gestion. L’assemblée des professeurs trouve cette idée intéressante mais la rejette dans un premier temps, souhaitant que toute participation du Muséum dans l’entreprise de l’Exposition coloniale soit faite de manière globale et officielle. Une demande formelle lui est donc adressée en octobre 1930, mais elle est de nouveau rejetée par l’assemblée des professeurs, ces derniers jugeant cette invitation officielle trop tardive pour pouvoir envisager une collaboration efficace ! Chaque professeur a néanmoins l’autorisation d’intervenir à titre personnel. Par trop de méfiance, le Muséum reste ainsi à l’écart de l’aventure de l’Exposition coloniale et de son jardin zoologique ; cependant, les bases administratives qui donneront naissance au zoo de Vincennes ont été posées.

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La création du « petit zoo » de la Coloniale par la société Hagenbeck

6. Henry Thétard, Des hommes, des bêtes. Le zoo de Lyautey, Paris, La Table ronde, 1947. 7. Le Charivari, 9 mai, 6 juin et 13 juin 1931 ; Paul Boulineau, Les Jardins animés, étude technique et documentaire des parcs zoologiques, Limoges, Edmond Desvilles, 1934.

De son côté, Lyautey prend conseil auprès d’Henry Thétard (1884-1968), journaliste, écrivain animalier et dompteur amateur formé auprès de ménageries foraines, qui a servi sous ses ordres au Maroc. Celui-ci lui recommande de faire appel à la célèbre firme allemande Hagenbeck, implantée dans la banlieue de Hambourg, pour mettre en œuvre son projet de zoo au sein de l’Exposition coloniale6 . Des pourparlers sont immédiatement engagés avec la société, alors dirigée par Heinrich et Lorenz Hagenbeck, les fils de Carl Hagenbeck, mort en 1913. Au terme d’un accord définitif établi en juin 1930, l’entreprise s’engage à établir les plans d’un jardin zoologique moderne et de toutes les infrastructures qui le composent, à fournir les animaux qui y seront présentés et à mettre à disposition des organisateurs de l’Exposition coloniale le personnel technique nécessaire à la réalisation et au bon fonctionnement de ce projet. La décision de faire appel à la célèbre firme allemande, sans mise en concurrence, pour créer ce zoo et fournir les animaux devant y être présentés suscite des contestations dans la presse, dans le contexte de climat anti-germanique de l’entre-deux-guerres7. En réponse à ces critiques, le commissariat général de l’exposition indique s’être « trouvé dans l’obligation de traiter avec la seule firme spécialisée dans la création des parcs zoologiques de plein air et capable de fournir à jour dit tous les animaux prévus en état de parfaite acclimatation », pour être certain de pouvoir ouvrir le parc à la date fixée.

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Couvertures de pochettes de cartes postales, Braun et Cie Éditeurs, 1931. La firme Braun, établie à Paris, s’est vu accorder le monopole de la fabrication et de la vente de cartes postales par la société organisatrice de l’Exposition coloniale. Différentes pochettes de cartes ont ainsi été éditées, consacrées à l’exposition ou au zoo exclusivement.


LE PARC ZOOLOGIQUE DE PARIS

Transport d’un éléphant ; Carl Hagenbeck et un lion ; une girafe, Moritz Pathé graveur, 1934, gravures, in Der Tierfreund reist…, Paul Eipper, Berlin, 1934. Le journaliste Paul Eipper, qui a réalisé un reportage radiophonique sur le zoo de l’Exposition coloniale de 1931, publie en 1934 un ouvrage consacré à Carl Hagenbeck, Der Tierfreund reist…, dans lequel figure notamment l’épisode du zoo de la Coloniale. Scènes de chasse, de transport et de présentation animalière ayant rythmé l’aventure Hagenbeck y sont richement illustrées à travers les gravures expressionnistes de Moritz Pathé, peintre et dessinateur animalier.

Le voyage des animaux La société Hagenbeck s’engage à présenter 134 singes hamadryas, 14 lions, 8 zèbres, 15 antilopes, 194 oiseaux de nombreuses espèces (grues, cigognes, pélicans, flamants, marabouts, etc.), 2 girafes, 12 autruches et 4 éléphants. Pour ce faire, elle obtient des autorisations de chasse dans les colonies françaises et britanniques. L’Exposition coloniale n’ayant pas reçu le soutien financier escompté de la Ville de Paris et du Muséum d’Histoire naturelle, il est décidé que seuls des animaux d’Afrique y seront montrés. À l’exception des éléphants, qui sont d’une espèce asiatique et qui ont été achetés à un cirque allemand, presque tous les individus qui peuplent le parc viennent d’Afrique de l’Est, les autres étant issus d’Afrique occidentale : vingt autruches, huit grues, des girafes et des antilopes sont ainsi exportées par bateau à vapeur depuis le Nigeria britannique en octobre 1930. Les animaux capturés sont d’abord envoyés à Hambourg, siège d’Hagenbeck, afin d’être acclimatés. Deux semaines avant l’inauguration de l’Exposition coloniale le 6 mai 1931, le consul général de France à Hambourg écrit au ministre des Affaires étrangères à Paris au sujet du convoi des animaux du zoo, précisant qu’il formera un train de quinze wagons. Des caisses spéciales ont été construites pour permettre aux bêtes de supporter sans dommage un assez long voyage, et une dizaine d’employés de la maison Hagenbeck les accompagnent pour leur prodiguer les soins

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nécessaires. Le convoi quitte Hambourg le 25 avril au soir et arrive à Paris, en gare de Reuilly, le 29 avril. Le journaliste allemand Paul Eipper, ami des Hagenbeck et auteur de plusieurs livres sur la vie des animaux, arrive à Paris en même temps, missionné pour réaliser un reportage sur le zoo de l’Exposition coloniale pour les chaînes de radio de son pays. Le sujet doit aussi être diffusé en France et auprès de toutes les radios coopérant avec Berlin et Paris (Pologne, Suisse, Hollande, etc.). Ce reportage, effectué par un journaliste spécialisé dans le monde animal, assurera une publicité importante au zoo de l’Exposition coloniale, renforcée par sa large diffusion. Une présentation novatrice en France Parallèlement à sa recherche d’animaux, la société Hagenbeck élabore les plans du zoo en étroite concertation avec Albert Tournaire (1862-1958), architecte en chef de l’Exposition coloniale. Le jardin zoologique doit être implanté dans une clairière de trois hectares du bois de Vincennes, à la pointe sud-est de l’exposition, entre l’avenue de Gravelle et la route de Saint-Mandé. Sa composition s’articule autour de cinq plateaux dotés de six faux rochers-abris : le rocher des lions, la steppe africaine, la plage des oiseaux aquatiques, l’enclos des éléphants, l’enclos des girafes et le rocher des singes. Le cahier des charges conçu pour la sélection des entreprises auxquelles sera confiée la réalisation du parc précise en préambule l’effet de composition recherché : « Les concurrents devront avoir pour principal objectif la réalisation d’un ensemble donnant non seulement l’aspect aimable d’un parc mais aussi le caractère particulier des horizons coloniaux. Les abris réservés aux animaux devront se présenter sous forme de masses de rochers ou rocailles formant des plateaux étagés ou des silhouettes pittoresques auxquelles des plantations appropriées chercheront à donner le caractère local devant provoquer l’illusion de la nature. » En complément des prescriptions techniques, la firme Hagenbeck met à la disposition des entreprises une série de plans de situation et de plans de détail des différents enclos et des structures qui les composent, dont les rochers et les fossés, ainsi qu’un ensemble de maquettes au 1/100e et au 1/40e. Le journaliste Henry Thétard, à qui la direction du parc zoologique a finalement été confiée en 1930, décrit ainsi les lieux une fois l’exposition ouverte : « L’exécution fut confiée à la maison Lajoinie pour les terrassements et constructions et à la maison Truffault pour la partie extérieure des rochers, sous la surveillance des ingénieurs techniciens d’Hagenbeck, MM. Kip et Pallenberg. Il y avait six rochers-abris situés sur les cinq plateaux d’habitat, ceux des lions, des éléphants, des singes, des girafes,

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« Ensemble au parc zoologique de l’Exposition de 1931 à Paris : antilopes, buffles, gazelles et autruches devant la terrasse des lions qui semblent guetter leur proie », in L’Illustration, 10 octobre 1931.

8. Henry Thétard, Des hommes, des bêtes. Le zoo de Lyautey, Paris, La Table ronde, 1947.

avec deux dans la savane africaine. Un septième rocher s’élevait à l’autre extrémité du plateau des lions et constituait une sorte de garde-corps pour pénétrer sur ce plateau s’il devenait nécessaire d’y entrer pour séparer les fauves ou les chasser dans leur abri. En outre des cinq plateaux d’habitat précités, un étang devait servir à la présentation des flamants et un autre à celle des oiseaux aquatiques8. » Aucune mention d’abri grillagé visible par le public n’apparaît dans ces descriptions – c’est bien là que réside la modernité des zoos de type Hagenbeck : à la place des cages telles que celles de la ménagerie du Jardin des Plantes, les différents enclos, séparés par de larges fossés, sont pourvus d’abris imitant des rochers. Les animaux sont ainsi montrés dans un état de liberté apparente, un mode de présentation encore inédit en France. Ainsi, les fossés du plateau des lions mesurent huit mètres de large et cinq mètres de haut, et le fond est rempli d’eau sur une profondeur de quatre-vingts centimètres ; des plans inclinés sont aménagés de telle sorte qu’un fauve tombé dans le fossé puisse regagner son plateau. Pour les autres animaux, moins bons sauteurs, les fossés de protection sont de moindres dimensions. Cette impression de voir des animaux sauvages en liberté est renforcée par une mise en scène précise des différents plateaux. Celui des lions domine l’enclos des zèbres et des antilopes, qui sont séparés par un large fossé dissimulé par un

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Page de gauche : Exposition coloniale internationale de Paris 1931. Parc zoologique. Plan général. Tierparkbau Carl Hagenbeck, Fritz Kieb architecte, 7 juin 1930, encre sur papier.


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chemin de ronde permettant aux visiteurs de se promener entre les animaux. L’agencement général donne le sentiment que se côtoient dans un même espace les espèces de la steppe africaine, rapprochant ainsi les carnassiers et leurs proies selon un effet spectaculaire spécifique à Hagenbeck, que Thétard, en France, est sans doute l’un des rares à l’avoir compris et à vouloir l’appliquer. Les faux rochers constituent une autre composante importante des zoos conçus par Hagenbeck. Ils sont utilisés pour structurer l’espace, évoquer les paysages des zones géographiques restituées et servir d’abris pour les animaux. Conçus pour une durée limitée, ceux du jardin zoologique de l’Exposition coloniale sont construits à partir d’une simple charpente en bois renforcée de fers profilés, cette structure étant revêtue de quatre mille mètres carrés d’enduit de ciment modelé sur des formes en treillage céramique. Le décor final est réalisé au moyen d’un bain de ciment coloré, l’ensemble donnant une parfaite illusion de la réalité. Ces rochers sont en effet traités de manière très naturaliste, laissant voir les failles de la « roche », et sont différents d’un enclos à l’autre, illustrant les variétés géologiques de l’Est africain. Ainsi, le rocher des lions restitue le grès flysch, ceux des animaux de la steppe et des oiseaux aquatiques le grès érodé, celui de l’enclos des éléphants un schiste argileux et celui des girafes le calcaire dolomitique. Le rocher des babouins hamadryas, qui vivent dans les montagnes d’Abyssinie, reçoit un traitement particulièrement soigné afin de reproduire l’amas de granit sur lequel le naturaliste allemand Alfred Edmund Brehm aperçut pour la première fois, au XIXe siècle, un groupe de ces singes à museau de chien. Vue du plateau des lions, 1931, photographie.

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Ci-contre : l’enclos des éléphants, 1931, photographie. Ci-dessous, à gauche : l’enclos des girafes et des autruches, 1931, photographie. Ci-dessous, à droite : vue du rocher des singes dominant le parterre de flamants roses, 1931, photographie.

9. Henry Thétard, Des hommes, des bêtes. Le zoo de Lyautey, Paris, La Table ronde, 1947.

Henry Thétard commente en termes élogieux cette composition du zoo9 : bien que de petites dimensions, « il rév[èle] aux Français la vraie manière de présenter des animaux captifs dans un cadre qui n’ait point l’aspect d’une prison ». Il juge « ses perspectives harmonieuses, avec ses rochers encadrés de bouquets d’arbres et habilement proportionnés à la stature des animaux ». Il regrette seulement que, pour restituer de manière encore plus réaliste le paysage africain, on n’ait pas « planté davantage d’arbres exotiques, palmiers, agaves, aloès, cactus, etc., pour encadrer et dissimuler certaines parties des rochers et border les allées », comme le préconisait Carl Hagenbeck.

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Ci-dessus : détail du rocher des singes, 1931, carte postale, Braun éditeur. Ci-dessous : la foule des visiteurs se pressant dans les allées du zoo de l’Exposition coloniale, 1931, photographie.

Le petit zoo de Vincennes connaît un véritable succès dès son ouverture et devient l’attraction la plus appréciée de l’Exposition coloniale. Du 10 mai au 15 novembre 1931, plus de cinq millions de visiteurs se pressent ainsi dans ses allées. Dès les premières semaines, son directeur demande que celles-ci soient élargies pour pouvoir mieux accueillir le public venu admirer, pour la première fois en France, ce spectacle d’animaux sauvages présentés dans un état de liberté apparente. Ce succès retentissant agit comme un véritable déclencheur auprès des communes limitrophes du bois de Vincennes, de la Ville de Paris et du Muséum d’Histoire naturelle, qui souhaitent alors créer un parc zoologique moderne permanent selon les mêmes principes de présentation.


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Le Luna Park

1. Archives départementales de l’Indre-etLoire, fonds Chaussemiche.

Entre 1909 et 1942, le Luna Park de la porte Maillot, à Paris, rassemble des attractions les plus diverses, des tristement célèbres nains béarnais à la Water Chute de vingt-cinq mètres de haut en passant par le dévoreur de serpents ou le Scenic Railway, une variante du Grand Huit franchissant les faux rochers du massif de Pikes Peak. Il présente en son centre une vaste organisation directement inspirée de Stellingen, avec abris de faux rochers et plateaux et fossés remplis d’animaux marins et carnivores. Une attraction nommée « le Pôle Sud » présente une dizaine d’ours polaires sur une fausse banquise animée de chutes d’eau ; des pingouins s’y entassent, dont certains sont visiblement en mauvaise santé. Si le végétal est ici totalement absent et si la ville a du mal à se faire oublier, il n’en demeure pas moins que cette attraction a du succès, comme en témoignent les attroupements des visiteurs. Il n’est pourtant pas étonnant qu’architectes et directeurs de zoos s’effrayent d’une possible assimilation de leurs propres rochers avec de tels lieux. En 1930, l’architecte François-Benjamin Chaussemiche, pressenti pour la création du zoo de Vincennes, viendra cependant y réaliser un cliché panoramique1 qu’il utilisera pour son projet d’installation de fauves en plein air à la ménagerie du Jardin des Plantes, tandis que les tractations pour la création du parc zoologique sont en cours ; ce projet ne sera pas retenu. Aujourd’hui, le Palais des congrès se dresse à la place de ce lieu étrange, détruit en 1942.

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Ci-dessus : le public devant le plateau des ours « en liberté », vers 1920, carte postale. Ci-dessous : vue panoramique d’une partie du Luna Park, vers 1920, carte postale.



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