Rhodes, une île grecque aux portes de l'Orient (extrait)

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Cet ouvrage accompagne l’exposition

c o m m i s s a r i a t d e l ’e x p o s i t i o n

« Rhodes, une île grecque aux portes de l’Orient.

anne coulié

x v e – v e siècle avant J .- C . »,

conservateur en chef, musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines

présentée à Paris, au musée du Louvre, du 14 novembre 2014 au 9 février 2015.

melina filimonos-tsopotou directrice émérite de la 22 e éphorie des Antiquités préhistoriques et classiques, Rhodes avec la collaboration de sophie padel-imbaud documentaliste scientifique, musée du Louvre, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines vassiliki patsiada directrice du département des Sites archéologiques, des monuments et de la recherche archéologique, 22 e éphorie des Antiquités préhistoriques et classiques, Rhodes

Cette exposition bénéficie du généreux mécénat de

la Fondation Stavros Niarchos et de Louis Vuitton

ainsi que du soutien de

l’entreprise Ipsen

Le papier de cet ouvrage est fabriqué par

L’édition de ce catalogue a été rendue possible

Arjowiggins Graphic et distribué par Antalis.

grâce au soutien de LA FONDATION A. G. LEVENTIS

© musée du Louvre, Paris, 2014 www.louvre.fr © Somogy éditions d’art, Paris, 2014 www.somogy.fr i s b n musée du Louvre : 978-2-35031-489-1 i s b n Somogy : 978-2-7572-0883-0 imprimé en Italie (Union Européenne) dépôt légal : novembre 2014

illustrations de couverture Rhyton conique orné d’un poulpe, Paris, musée du Louvre [cat. 9–1] Pendentif avec pendeloques, femme nue surmontée d’une tête de panthère et de deux têtes de femmes, Paris, musée du Louvre [cat. 6–1]

En application de la loi du 11 mars 1957 (art. 41) et du Code de la propriété intellectuelle du 1 er juillet 1992, toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre.


2,

e re.

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Rhodes

une île grecque aux portes de l’Orient x v e - v e s i è c l e a v a n t j.-c.

sous la direction de a n n e c o u l i é et

melina filimonos-tsopotou

avec la collaboration de

s o p h i e p a d e l - i m b a u d et v a s s i l i k i p a t s i a d a


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Musée du Louvre Jean-Luc Martinez président-directeur Hervé Barbaret administrateur général Françoise Gaultier directrice du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines Vincent Pomarède directeur de la Médiation et de la Programmation culturelle

direction de la médiation et de la programmation culturelle Michel Antonpietri et Aline François-Colin adjoints au directeur sous-direction de la présentation des collections Fabrice Laurent sous-directeur Soraya Karkache chef du service des Expositions Anne Gautier coordinatrice d’exposition

édition Musée du Louvre sous-direction de l’édition et de la production Laurence Castany sous-directrice Violaine Bouvet-Lanselle chef du service des Éditions Camille Sourisse coordination et suivi éditorial index Virginie Fabre collecte de l’iconographie

Karima Hammache chef du service Suivi de projets Émilie Langlet adjointe au chef de service

Somogy éditions d’art Nicolas Neumann directeur éditorial

Catherine Arborati scénographe

Frédérique Cassegrain coordination éditoriale

Delphine Prévost conducteur de travaux

Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros fabrication

Aline Cymbler chef du service des Ateliers muséographiques

sous-direction de la médiation dans les salles Marina Pia-Vitali sous-directrice Clio Karageorghis chef du service Signalétique et Graphisme Marcel Perrin graphisme Carol Manzano et Stéphanie de Vomécourt coordination

Tauros / Christophe Ibach conception graphique et mise en pages Anne Chapoutot contribution éditoriale Jean-Pierre Pirat cartes


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remerciements

Un catalogue d’exposition est une œuvre collective. Je tiens, en premier lieu, à remercier la direction du musée du Louvre : Jean-Luc Martinez, président-directeur, qui m’a laissé toute liberté de choisir le thème d’une exposition sur la Grèce antique, en relation avec les collections du musée ; Françoise Gaultier, directrice du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, pour le soutien et la confiance qu’elle m’a accordés tout au long de l’intense phase de travail qui accompagne la préparation d’une exposition ; et Vincent Pomarède, directeur de la Médiation et de la Programmation culturelle, qui sut intervenir à point nommé pour régler les problèmes restés en suspens. Je m’unis à Melina Filimonos-Tsopotou pour exprimer notre gratitude aux nombreuses personnalités grecques qui nous ont témoigné leur intérêt et leur soutien : Lina Mendoni, secrétaire général du ministère de la Culture, Maria Vlazaki, directrice générale des Antiquités, Maria Lagogianni, directrice des Musées et des expositions, ainsi que Maria Michaelidou, directrice de la 22 e éphorie des Antiquités. Ce beau projet n’aurait pu se réaliser sans le soutien fidèle et convaincu de la Fondation A. G. Leventis pour le catalogue, ainsi que celui de la Fondation Stavros Niarchos, principal mécène, de Louis Vuitton et de l’entreprise Ipsen pour l’exposition; nous n’oublions pas non plus l’ambassade de Grèce en France. Il nous semble essentiel de mentionner la qualité des partenariats établis avec les principaux musées prêteurs, le Musée archéologique de Rhodes, le British Museum à Londres et le Musée national du Danemark à Copenhague, dont la générosité et l’implication scientifique doivent être soulignées. Nous remercions, de façon plus large, l’ensemble des organismes prêteurs : la Bibliothèque nationale de France et les Staatliche Museen à Berlin, qui ont contribué aux notices du catalogue, ainsi que le musée Unterlinden à Colmar, le musée d’Aquitaine à Bordeaux, la bibliothèque de l’Institut de France et la Bibliothèque centrale des musées nationaux. Nous remercions aussi, pour leur soutien amical, Emanuele Greco, directeur de l’École italienne d’Athènes, Mario Iozzo, directeur des collections antiques du Musée archéologique de Florence, et le département Asie, Afrique et Méditerranée de l’université de Naples « L’Orientale » ; ainsi que les collègues conservateurs du musée du Louvre, qui ont contribué à la réussite de cette exposition : Sophie Descamps, responsable de l’orfèvrerie rhodienne, Geneviève Pierrat-Bonnefois, Élisabeth Fontan et Vincent Blanchard, qui ont tous facilité le dialogue entre les différents départements archéologiques du musée. Nos remerciements les plus chaleureux vont à Catherine Arborati, architecte-scénographe, qui a su traduire avec élégance et finesse, en vertu des qualités d’écoute qui la caractérisent, l’esprit de cette exposition ; à Marcel Perrin, pour avoir su extraire de nos discussions foisonnantes les germes d’une signalétique à la fois maîtrisée et pleine de créativité ; à Clio Karageorghis, chef du service Signalétique et Graphisme, pour la compréhension immédiate d’une exposition qui a parlé d’emblée à sa sensibilité ; à Carol Manzano pour avoir coordonné les multiples réunions qui ont jalonné la mise en œuvre du projet. Nous témoignons toute notre reconnaissance à Anne Gautier, coordinatrice de l’exposition, à Delphine Prévost, conducteur de travaux, à Xavier Guillot, pour ses suggestions judicieuses concernant les matériaux utilisés dans l’exposition, notamment la mousse choisie pour le sol des contextes funéraires, qui, tout en rendant palpable l’univers des tombes, permet de disposer le mobilier naturellement

et sans montage, dans des espaces creusés à la taille des objets. Nous saluons aussi l’ensemble des ateliers muséographiques, et notamment la performance des ateliers chargés de la menuiserie et de l’éclairage, les réalisations élégantes de Pascal Gouget et de son équipe concernant le montage des objets, ainsi que la cellule Planification, Cédric Breton, Soraya Karamo et Franck Poitte. De la vie éphémère d’une exposition il demeure une trace : le catalogue. La mise en page du présent catalogue est l’œuvre d’un artiste, Christophe Ibach, qui a su magnifier les objets dans une présentation vivante et libre, sans perdre de vue le propos archéologique de l’exposition. Nous remercions très chaleureusement Camille Sourisse, responsable de la coordination et du suivi éditorial, pour son grand professionnalisme et son infatigable disponibilité ; Virginie Fabre, pour sa remarquable efficacité dans la collecte de l’iconographie, ainsi que Violaine Bouvet-Lanselle, chef du service des Éditions, qui sait réunir autour d’elle les compétences et susciter l’enthousiasme ; aux éditions Somogy, Nicolas Neumann pour son implication dans le projet, et Michel Brousset pour son œil expert ; Anne Chapoutot pour sa relecture attentive ; Jean-Pierre Pirat pour la fabrication des cartes ; les traducteurs Claire Vajou, Jean-François Allain, Jean Pietri, Anne Guglielmetti et Lydie Échasseriaud ; et tous les auteurs du catalogue, ceux dûment cités au fil du texte, mais aussi les travailleurs de l’ombre, dont le nom n’apparaît pas toujours dans les signatures : Sophie Padel-Imbaud, qui a rédigé l’essentiel des lemmes concernant les objets du Louvre et dont l’assistance fut précieuse tout au long de la préparation de l’exposition ; Vassiliki Patsiada pour le travail de coordination accompli au musée de Rhodes ; Andras Marton pour sa mise à jour de la documentation « corinthienne » du musée du Louvre ; Gérard Nicolini pour sa relecture de l’essai sur l’orfèvrerie rhodienne ; Bruno D’Agostino, dont les recherches ont nourri celles de Matteo D’Acunto ; Julien Zurbach pour ses relectures de la chronologie mycénienne ; Christian Mazet pour l’établissement de la bibliographie ; Arnaud Trochet pour ses conseils au sujet d’une référence bibliographique. Nos dernières pensées vont aux restaurateurs : Stéphanie Nisole, Christine Verwaerde et Christine Merlin pour la restauration ou le nettoyage de plusieurs vases du Louvre ; Dimitrios Kouyios et Nectaria Dassakli, pour le musée de Rhodes ; aux photographes, à Tony Querrec pour le montage du tombeau A et à George Kassiotis, qui a photographié les objets du Musée archéologique de Rhodes ; aux équipes techniques et scientifiques du C 2 RMF : Elsa Lambert et Jean Marsac, radiologues ; Quentin Lemasson, Laurent Pichon, Brice Moignard et Claire Pacheco, ingénieurs de l’équipe AGLAE , Christel Doublet, ingénieur d’étude, et Nathalie Gandolfo, assistant ingénieur. anne coulié


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auteurs

Véronique Arveiller

Maria Michalaki Kollia

(VA)

Chargée de recherche, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, musée du Louvre, Paris

Mathilde Avisseau-Broustet

(MAB)

Conservateur en chef, département des Monnaies, médailles et antiques, Bibliothèque nationale de France, Paris

Kalliope Bairami

(KB)

Archéologue, 22 e éphorie des Antiquités préhistoriques et classiques, Rhodes

Maryse Blet-Lemarquand

(MBL)

Ingénieur de recherche au CNRS, Institut de recherche sur les archéomatériaux – Centre Ernest-Babelon, UMR 5060, CNRS – université d’Orléans

Anne Bouquillon

(GB)

Assistant de recherche postdoctorant A. G. Leventis, Medelhavsmuseet, Suède

Cecilie Brøns

Bodil Bundgaard Rasmussen

(BBR)

Directrice du département de la Recherche et des Collections, Ancient Cultures of Denmark and the Mediterranean, Musée national du Danemark, Copenhague (CC)

Conservateur, département des Monnaies, médailles et antiques, Bibliothèque nationale de France, Paris

Anne Coulié

(AC)

Conservateur en chef, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, musée du Louvre, Paris

Matteo D’Acunto

(MDA)

Maître de conférences en archéologie classique, département Asie, Afrique et Méditerranée, université de Naples « L’Orientale »

Frédérique Duyrat

(FD)

Conservateur en chef des bibliothèques, directrice du département des Monnaies, médailles et antiques, Bibliothèque nationale de France, Paris

Eleni Farmakidou

(EF)

Directrice du département des Musées, des expositions et des programmes éducatifs, 22 e éphorie des Antiquités préhistoriques et classiques, Rhodes

Melina Filimonos-Tsopotou

(MFT)

Directrice honoraire de la 22 e éphorie des Antiquités préhistoriques et classiques, Rhodes

Anne Haslund Hansen

(SH)

Professeur d’archéologie classique, Université de Lorraine, E A 1132 H I S C A N T - M A

Violaine Jeammet

(VJ)

Conservateur en chef, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, musée du Louvre, Paris

Efthymia Karantzali

(EK)

Archéologue, 14 e éphorie des Antiquités préhistoriques et classiques, Lamia

Nota Kourou

(NK)

Professeur émérite, département d’Archéologie, université d’Athènes

John Lund

(JL)

Directeur de recherche, Ancient Cultures of Denmark and the Mediterranean, Musée national du Danemark, Copenhague

Toula Marketou

(TM)

Archéologue, 22 e éphorie des Antiquités préhistoriques et classiques, Rhodes

Aurélia Masson

(SPI)

Documentaliste scientifique, département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, musée du Louvre, Paris

Vassiliki Patsiada

(VP)

Directrice du département des Sites archéologiques, des monuments et de la recherche archéologique, 22 e éphorie des Antiquités préhistoriques et classiques, Rhodes (GPB)

Conservateur en chef, département des Antiquités égyptiennes, musée du Louvre, Paris

François Poplin

(FP)

Directeur honoraire de l’ U M R 7209 Archéozoologie, archéobotanique : sociétés, pratiques et environnements, Muséum national d’Histoire naturelle, Paris (DR)

Chef de travaux d’art, chargé des métaux archéologiques, Centre de recherche et de restauration des musées de France, Paris

Cécile Scailliérez

(CS)

Conservateur en chef, département des Peintures, musée du Louvre, Paris

Stine Schierup

(SS)

Conservateur assistant, Ancient Cultures of Denmark and the Mediterranean, Musée national du Danemark, Copenhague

Agnès Schwarzmaier

(ASch)

Chercheur associée, Antikensammlung Altes Museum, Staatliche Museen zu Berlin – Preußischer Kulturbesitz

Andrew Shapland

(ASh)

Conservateur, département des Antiquités grecques et romaines, The British Museum, Londres

Pavlos Triantafyllidis

(PT)

Archéologue, directeur de l’Institut archéologique des études égéennes, directeur assistant de la 22 e éphorie des Antiquités archéologiques et classiques, Rhodes

Alexandra Villing

(AV)

Conservateur, département des Antiquités grecques et romaines, The British Museum, Londres

Photeini Zervaki

(PZ)

Archéologue, 22 e éphorie des Antiquités préhistoriques et classiques, Rhodes

Julien Zurbach

(JZ)

École normale supérieure, département d’histoire U M R 8546 A O R O C , Paris

traducteurs

Jean-François Allain Traduction de l’anglais vers le français des textes de Cecilie Brøns, Bodil Bundgaard Rasmussen, John Lund, Toula Marketou, Stine Schierup

Lydie Échasseriaud Traduction de l’allemand vers le français des textes d’Agnès Schwarzmaier

Anne Guglielmetti Traduction de l’italien vers le français des textes de Matteo D’Acunto

Jean Pietri Traduction de l’italien vers le français des textes de Matteo D’Acunto et Maria Chiara Monaco

Claire Vajou Traduction du grec vers le français des textes de Kalliope Bairami, Giorgos Bourogiannis, Eleni Farmakidou, Melina Filimonos-Tsopotou, Nota Kourou, Toula Marketou, Vassiliki Patsiada, Pavlos Triantafyllidis, Photeini Zervaki

(AM)

Conservateur, département des Antiquités grecques et romaines, British Museum, Londres

Christian Mazet

Sophie Padel-Imbaud

(AHH)

Conservateur assistant, Ancient Cultures of Denmark and the Mediterranean, Musée national du Danemark, Copenhague

Sandrine Huber

(MCM)

Professeur, département des Sciences humaines, université de la Basilicate, Potenza

Dominique Robcis

(CB)

Doctorante, Ancient Cultures of Denmark and the Mediterranean, Musée national du Danemark, Copenhague

Cécile Colonna

Maria Chiara Monaco

Geneviève Pierrat-Bonnefois

(AB)

Ingénieur de recherche, Centre de recherche et de restauration des musées de France, Paris

Giorgos Bourogiannis

(MMK)

Directrice honoraire du département des Musées, des expositions et des programmes éducatifs, 22 e éphorie des Antiquités préhistoriques et classiques, Rhodes

(CM)

Doctorant en histoire de l’art et archéologie classique, École pratique des hautes études, Paris

abréviations AGER : département des Antiquités grecques, étrusques et romaines (musée du Louvre) AE : département des Antiquités égyptiennes (musée du Louvre) AO : département des Antiquités orientales (musée du Louvre)


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préfaces des mécènes

La Fondation Stavros Niarchos est fière d’apporter son soutien à l’exposition « Rhodes, une île grecque aux portes de l’Orient », qui révèle la richesse d’un patrimoine archéologique méconnu. En effet, cette exposition temporaire réunit pour la première fois des pièces d’une importance majeure, datables du xv e au v e siècle avant J .- C ., conservées dans de prestigieux musées européens tels que le Musée archéologique de Rhodes, le musée du Louvre, le British Museum et le Musée national du Danemark à Copenhague. Le parcours de l’exposition s’attache à mettre en lumière la dimension orientalisante de l’art grec, de l’âge du bronze à l’époque archaïque, telle que l’ont révélée les fouilles effectuées sur l’île de Rhodes. La Fondation Stavros Niarchos accompagne depuis plusieurs années les projets du musée du Louvre et cette exposition est l’occasion de célébrer le patrimoine et l’histoire de la Grèce, dans la continuité de l’exposition qui s’est tenue au musée en 2011, « Au royaume d’Alexandre le Grand. La Macédoine antique ». Toutes ces initiatives s’inscrivent dans la ligne inaugurée par son fondateur, le regretté Stavros S. Niarchos, qui éprouvait un attachement profond pour le musée du Louvre. La Fondation Stavros Niarchos est une organisation philanthropique internationale qui soutient des projets dans des domaines tels que l’éducation, le sport, la santé, l’action sociale, ainsi que l’art et la culture. Elle finance des institutions et de nombreux projets à travers une action pérenne d’une grande ampleur. De 1996 à nos jours, la Fondation Stavros Niarchos a accordé d’importants financements à des organismes à but non lucratif dans cent dix pays à travers le monde. Actuellement, la Fondation finance la construction à Athènes d’un centre culturel dont l’ouverture est prévue en 2016, The Stavros Niarchos Foundation Cultural Center. Le bâtiment, conçu par le grand architecte Renzo Piano, abritera les nouvelles installations de la Bibliothèque nationale de Grèce et de l’Opéra national grec et englobera le parc Stavros Niarchos. Ce projet d’envergure témoigne de l’engagement de la Fondation pour l’avenir de son pays. Le conseil d’administration fondation stavros niarchos


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Engagé de longue date dans le domaine du mécénat culturel, Ipsen participe activement à la conservation et à l’enrichissement du fonds du musée du Louvre. Après avoir rendu possible l’acquisition par l’État, pour le bénéfice du musée, d’un papyrus médical égyptien du Nouvel Empire en 2007, après le soutien à l’exposition « Méroé, un empire sur le Nil » en 2010, après la participation à l’exposition des feuillets exceptionnels des Belles Heures du duc de Berry en 2012, Ipsen s’associe une nouvelle fois au musée du Louvre à l’occasion de l’exposition « Rhodes, une île grecque aux portes de l’Orient ». Cette exposition nous invite à découvrir, entre Égée et Orient, l’histoire et la richesse artistique de l’île de Rhodes, nourrie de cultures grecque, levantine, égyptienne et anatolienne. Fidèle mécène du musée du Louvre, Ipsen partage ainsi avec cette prestigieuse institution, universellement reconnue, une même politique d’ouverture sur le monde, ainsi que des valeurs identiques d’innovation, de créativité et de diffusion des connaissances. L’adhésion d’Ipsen au Cercle Louvre Entreprises lui permet de soutenir les grandes missions du musée en matière patrimoniale, éducative et sociale. marc de garidel Président-directeur général Ipsen


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L’exposition « Rhodes, une île grecque aux portes de l’Orient » rassemble pour la première fois des objets archéologiques provenant des fouilles effectuées depuis le xix e siècle sur l’île de Rhodes par des archéologues français, anglais, danois, italiens et grecs. L’histoire de ces fouilles, qui ont enrichi les collections des plus grands musées, contribue au renforcement de l’esprit européen et constitue à ce titre un chapitre essentiel de cette exposition. Par sa richesse et la qualité des objets exposés, l’exposition organisée au musée du Louvre offre un véritable panorama de l’art et de la civilisation de cette île orientale de la mer Égée, de l’âge du bronze à l’époque archaïque. En raison de sa position géographique, elle a joué un rôle important dans la genèse de la civilisation grecque. En effet, du fait de sa position de relais avec le Proche-Orient, Rhodes a assimilé les influences culturelles orientales et élaboré un art grec original empreint d’un certain goût pour la fantaisie dont nous reconnaissons aujourd’hui la parenté avec celui des cités d’Asie Mineure. Cette exposition met en lumière le caractère européen et international de Rhodes. Célèbre dès le Moyen Âge grâce à la présence des Chevaliers de Saint-Jean et, plus récemment, grâce à sa fameuse céramique, le foyer rhodien se situe au carrefour de nombreuses civilisations. La Fondation A. G. Leventis se réjouit tout particulièrement d’avoir pu contribuer à l’organisation de cette exposition, qui éclaire d’un jour nouveau une période charnière de la civilisation grecque. anastasios p. leventis Président de la Fondation A. G. Leventis


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préface de dr maria michaelidou Directrice de la 4 e éphorie des Antiquités byzantines Directrice par intérim de la 22 e éphorie des Antiquités préhistoriques et classiques

Tout au long de son histoire, Rhodes a été un point important à la croisée de plusieurs civilisations. Grâce à sa situation au sud-est de la mer Égée, tout près des côtes de l’Asie Mineure, elle a joué dès les temps préhistoriques, et jusqu’à nos jours encore, un rôle de premier plan au carrefour de grandes routes maritimes. C’est ce caractère particulier de l’île, fruit des échanges entre la Grèce, l’Orient et l’Égypte, que met en lumière l’exposition « Rhodes, une île grecque aux portes de l’Orient », présentée au musée du Louvre du 14 novembre 2014 au 9 février 2015. Dès la seconde moitié du xix e siècle, alors que l’île faisait encore partie de l’Empire ottoman, des objets trouvés lors des premières fouilles menées sur son territoire sont allés enrichir les collections du Louvre, du British Museum et du Musée national du Danemark, ce qui a contribué à la reconnaissance internationale de l’archéologie rhodienne. Grâce à cette exposition sont regroupés pour la première fois des objets sortis de l’île dès le xix e siècle et d’autres mis au jour depuis sur les mêmes sites, dans les mêmes sanctuaires et dans les mêmes nécropoles. Fait exceptionnel, deux fragments appartenant probablement à la même tête d’une idole chypriote trouvée à Camiros sont présentés simultanément, l’un provenant du British Museum et l’autre du musée de Rhodes. Preuve s’il en était besoin de la nécessité de poursuivre les recherches dans les archives des fouilles du xix e siècle, notamment dans celles conservées au British Museum. Ce vaste projet d’une grande complexité n’aurait pu se réaliser sans la collaboration enthousiaste de plusieurs musées européens et de nombreux scientifiques, grecs et étrangers. Nous voudrions en premier lieu exprimer nos remerciements les plus chaleureux au ministère grec de la Culture et des Sports, qui nous a autorisés à exporter un grand nombre d’objets provenant du Musée archéologique de Rhodes. Nous remercions également le directeur du musée du Louvre, M . Jean-Luc Martinez, qui a soutenu l’initiative de M me Anne Coulié à chacune des étapes de l’opération. Nous voulons de même remercier M me Melina FilimonosTsopotou, directrice émérite des Antiquités, qui a coorganisé l’exposition avec une équipe d’archéologues et de conservateurs dévoués. Nos remerciements les plus cordiaux s’adressent enfin à nos collègues archéologues, Pavlos Triantafyllidis, directeur de l’Institut archéologique des études égéennes, Vassiliki Patsiada, Toula Marketou, Photeini Zervaki, Eleni Farmakidou, Maria Michalaki, Kalliope Bairami, Efthymia Karantzali, aux conservateurs Dimitris Kouyo et Nektaria Dasakli et au photographe George Kassiotis. Pour conclure, nous formons tous nos vœux pour que cette exposition, fruit d’un effort scientifique important, soit accueillie à Rhodes, une manière de récompenser les institutions qui ont prêté des objets, et surtout un présent à la société rhodienne, laquelle a d’emblée exprimé son intérêt pour cette éventualité.


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préface de françoise gaultier Directrice du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, musée du Louvre

Nous nous réjouissons de voir présentée au musée du Louvre l’exposition « Rhodes, une île grecque aux portes de l’Orient », un projet porté dans l’enthousiasme et gravé ici dans les pages d’un magnifique catalogue, mais dont la genèse fut longue et complexe, à la mesure de l’histoire des fouilles de Rhodes. L’idée d’une exposition dédiée à Rhodes avait été caressée par Dyfri Williams, alors qu’il était à la tête du département des Antiquités grecques et romaines du British Museum, dont la collection rhodienne, l’une des plus riches au monde après celle du Musée archéologique de Rhodes, réunit plusieurs milliers d’objets ; mais ce projet était resté sans suite. Il a repris vie en 2008, de façon aussi inopinée que spontanée, dans le cadre d’une collaboration entre le musée Goulandris d’Art cycladique à Athènes et le musée du Louvre : Rhodes, qui avait fait l’objet d’études comparatives portant sur les échanges entre l’Égée et la Méditerranée orientale, une thématique chère au musée Goulandris, était aussi au cœur des recherches menées au Louvre sur la collection d’Auguste Salzmann, une figure trop peu connue de l’archéologie du xix e siècle. L’histoire européenne des fouilles et la très grande dispersion des collections rhodiennes poussèrent Nikos Stampolidis, directeur du musée d’Art cycladique, à envisager un programme de recherche européen réunissant, outre la Grèce, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne – les musées de Berlin abritent aussi de riches collections rhodiennes acquises au xix e siècle –, le Danemark, dont le Musée national conserve le matériel archéologique mis au jour entre 1902 et 1914 lors de l’exploration de Lindos et de son territoire ; l’Italie, en raison de sa participation aux fouilles de Rhodes dans l’entre-deux-guerres et de la présence de collections rhodiennes au Musée archéologique national de Florence ; la Turquie enfin, avec le Musée archéologique d’Istanbul, qui, en vertu de la législation ottomane, a reçu une part importante des antiquités exhumées par les archéologues danois. Les difficultés économiques rencontrées par la Grèce sonnèrent rapidement le glas de cet ambitieux projet, qui fut repris sur un mode simplifié, et sous la direction d’Anne Coulié et de Melina Filimonos-Tsopotou, en partenariat avec les musées européens fortement impliqués dans l’histoire des fouilles menées à Rhodes depuis le xix e siècle. Ainsi s’explique l’octroi de prêts aussi nombreux qu’exceptionnels, dont les plus importants sont ceux du Musée archéologique de Rhodes, avec près de cent cinquante objets, parfois inédits, dont beaucoup sont présentés en contexte ; ceux du British Museum, avec quelque quatre-vingts pièces, dont les magnifiques parures qui ont fait la renommée de l’orfèvrerie rhodienne ; ceux du Musée national du Danemark, avec plus de trente œuvres, issues pour une part des riches dépôts votifs de l’acropole de Lindos. Au musée du Louvre, cette exposition a été l’occasion de remettre en contexte, grâce à un important travail accompli sur les archives, les œuvres exhumées lors des premières fouilles, conduites à Camiros, dont plus de cent sont présentées ici. Ce projet, qui doit beaucoup à la générosité de l’ensemble de nos partenaires et à la qualité de leurs contributions scientifiques, n’aurait toutefois pu voir le jour sans le soutien du ministère grec de la Culture et de nos fidèles mécènes la Fondation Stavros Niarchos, Louis Vuitton, Ipsen et la Fondation A. G. Leventis.


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sommaire

Introduction anne coulié

16 melina filimonos-tsopotou

L’histoire des fouilles Les fouilles franco-britanniques au

XIXe

siècle

24

anne coulié

Les fouilles clandestines au

et au début du

XIXe

XXe

siècle

36

maria chiara monaco

Fouilles et explorations danoises à Rhodes bodil bundgaard rasmussen

john lund

42 stine schierup

L’archéologie italienne à Rhodes m a t t e o d ’a c u n t o

52

melina filimonos-tsopotou

Les fouilles grecques

63

melina filimonos-tsopotou

toula marketou

Rhodes, terre d’échanges Rhodes, un important carrefour en Méditerranée orientale

76

nota kourou

La faïence dans le monde grec archaïque, témoin privilégié de la complexité des échanges en Méditerranée orientale geneviève pierrat-bonnefois

anne bouquillon

89

anne coulié

Les ateliers locaux L’orfèvrerie rhodienne orientalisante maryse blet-lemarquand

anne coulié

93 christian mazet

dominique robcis

La faïence et le verre

100

pavlos triantafyllidis

La céramique rhodienne photeini zervaki

104

giorgos bourogiannis

anne coulié

alexandra villing

CATALOGUE

Rhodes dans l’imaginaire collectif

122

notices 1 et 2

L’histoire des fouilles Les fouilles franco-britanniques au

XIXe

siècle : essai de contextualisation

124

notices 3 à 11

Les fouilles danoises notices 12 à 15

162


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Les fouilles italiennes

172

notices 16 à 18

Les fouilles grecques

184

notices 19 à 22

Rhodes, terre d’échanges Les offrandes égyptiennes ou égyptisantes

198

notices 23 à 33

Les orientalia ou objets orientalisants

206

notices 34 à 55

Les importations occidentales

226

notices 56 à 58

Grecs et Orientaux : une mixité culturelle

228

notices 59 à 72

Les importations grecques

238

notices 73 à 100

Les ateliers locaux L’orfèvrerie rhodienne

260

notices 101 à 125

La faïence et le verre

276

notices 126 à 149

L’os

288

notices 150 à 154

La céramique

290

notices 155 à 186

La terre cuite

316

notices 187 à 189

cartes anne coulié

christian mazet

sophie padel-imbaud

320 melina filimonos-tsopotou

chronologie

325

sophie padel-imbaud

glossaire

326

sophie padel-imbaud

objets antiques découverts à Rhodes et appartenant au musée du Louvre

328

sophie padel-imbaud

bibliographie

343

index des noms propres

354


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Introduction

anne coulié et melina filimonos-tsopotou

Mondialement célèbre grâce au souvenir de son Colosse [cat. 1], l’une des sept merveilles du monde antique, et de la présence des chevaliers de Saint-Jean à l’époque médiévale [cat. 2], Rhodes est une île dont le seul nom évoque tout un imaginaire. Bien qu’assez peu connu du grand public, son patrimoine archéologique fut lar gement présenté dans les musées européens dès le xix e siècle, un phénomène qui s’explique par l’histoire précoce et très particulière des fouilles menées sur ce petit territoire.

l’archéologie rhodienne Au xix e siècle, Rhodes, qui faisait partie de l’Empire ottoman, a attiré un grand nombre d’archéologues, de voyageurs et d’amateurs d’antiquités, qui ont minutieusement décrit leurs périples dans des publications riches de précieuses informations. Ludwig Ross visita l’île en 1843 1 ; dix ans plus tard, Charles Newton la parcourut à son tour 2 , tandis que Victor Guérin s’y rendait l’année suivante 3 . C’est en 1859 que débutèrent à Camiros (fig. 1) les fouilles franco-britanniques conduites par Auguste Salzmann et Alfred Biliotti. Si ces dernières ont aussi alimenté des collections privées d’amateurs d’antiquités, elles ont surtout enrichi les collections publiques de certains grands musées européens. Laissons parler quelques chiffres : plus de trois cents œuvres, actuellement au Louvre, proviennent des fouilles programmées par A. Salzmann et A. Biliotti entre 1859 et 1868 4 ; plusieurs milliers 5 de pièces conservées au British Museum ont la même provenance ou ont été acquises à l’occasion de fouilles ultérieures, conduites en 1868, 1870, 1871 et dans les années 1880 par A. Biliotti seul. De ces dernières fouilles sont également issues les quelque quatre cents pièces 6 acquises par le musée de Berlin en 1881 et 1885. Les fouilles clandestines qui se développèrent parallèlement et se poursuivirent jusqu’au début du xx e siècle, comme celles organisées à l’initiative du marchand grec Arapidès, un 16


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fig. 1 Le site de Camiros aujourd’hui. 17


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1 2 3 4

5

personnage influent à Rhodes, expliquent la présence des collections rhodiennes sur le marché de l’art et leur large diffusion en Europe et hors d’Europe (voir cartes

6

p. 321-324). Quant aux découvertes des fouilles danoises conduites au début du xx e siècle, elles ont été partagées, conformément à la législation ottomane alors en vigueur, entre Copenhague et Istanbul 7 . L’un des objectifs de cette exposition est justement de réunir pour la première fois des œuvres disséminées dans différents musées

7

alors qu’elles proviennent d’un même contexte, voire d’un même objet [cat. 53].

8 9

En revanche, et à de très rares exceptions près, comme ces collections exhumées en 1912, au moment de l’occupation par les troupes italiennes du Dodécanèse, et conservées au musée de Florence 8 , les découvertes archéologiques issues des fouilles

10

italiennes de l’entre-deux-guerres sont restées à Rhodes. Depuis son installation en 1947 dans le Dodécanèse, le Service archéologique grec, désormais seul responsable des fouilles à Rhodes, a considérablement enrichi les collections du Musée archéologique, qui abrite aujourd’hui plus d’un siècle de découvertes. En 2005, près d’un siècle après sa fondation, le musée déploya ses collections en ouvrant une section consacrée à la préhistoire dans une aile supplémentaire du bâtiment, où furent exposées pour la première fois les toutes nouvelles découvertes des riches tombes mycéniennes de Pylona [cat. 19 à 21]. Un musée épigraphique a également vu le jour dans une autre aile du musée, qui retrace, à partir des inscriptions, l’histoire de Rhodes, seul endroit après Athènes à avoir livré un aussi grand nombre d’inscriptions. En dépit de sa richesse, l’archéologie rhodienne reste mal connue. L’exposition organisée au Louvre est la première au monde à être consacrée exclusivement à Rhodes 9. Aussi convient-il de remercier chaleureusement la direction du musée du Louvre, Henri Loyrette et son président actuel, Jean-Luc Martinez, d’avoir soutenu d’emblée ce projet très ciblé, qui, tout en faisant partager au grand public la joie des archéologues, se démarque des approches plus généralistes souvent préférées par les institutions muséales. Le cadre chronologique, de la fin de l’âge du bronze à la fin de l’archaïsme (xve-ve siècle avant J.-C.), permet de mesurer l’ampleur des échanges entre l’Orient, l’Égypte et la Grèce. La limite inférieure respecte une césure importante de l’histoire de Rhodes : le synœcisme intervenu à l’époque classique, en 408-407 avant J.- C., qui a transformé l’organisation territoriale de l’île, désormais unifiée autour

d’une seule cité, Rhodes. À l’époque qui nous intéresse, les cités de la tripolis, Camiros, Ialysos et Lindos (fig. 2), se partageaient le territoire. Cette évolution politique souligne la coupure entre l’époque classique, hellénistique et romaine, d’une part, et les périodes hautes, d’autre part. Par ailleurs, la rupture souvent invoquée entre l’âge du bronze et l’âge du fer est peu marquée à Rhodes, comme le prouve l’existence d’une phase mycénienne tardive du xie siècle, qui plus est étonnamment riche [cat. 22]. Le thème de l’exposition répond à une actualité scientifique. Le renouvellement constant des études chypriotes et, plus généralement, l’intérêt pour les échanges en Méditerranée orientale ont relancé la recherche sur les lieux de culture mixte, comme Naukratis, un port de commerce ouvert aux Grecs en Égypte 10 . Rhodes offre introduction

18

11

Ross 1843-1845 ; Ross 1852. Newton 1865. Guérin 1856. Voir en annexe du présent ouvrage, p. 328 ; les collections du Louvre proviennent plus marginalement des fouilles menées en 1867 et 1868. Sur les collections du Louvre, voir Coulié 2014. Le décompte précis n’est pas facile à faire en l’absence d’une étude très poussée du matériel : certains lots peuvent réunir jusqu’à un millier d’objets. Nous remercions Alexandra Villing pour cette information. Nous remercions Agnes Schwarzmaier de nous avoir communiqué des chiffres précis concernant les acquisitions en 1881 (197 petits objets et 2 sculptures) et 1885 (17 petits objets comprenant des œuvres en métal, des gemmes, des coquillages et des perles de verre ; 154 vases et 29 terres cuites). Mille trois cents objets sont conservés à Copenhague. Paoletti 2012, p. 16. Rhodes est le plus souvent abordée dans un cadre géographique plus large : voir l’exposition présentée au Metropolitan Museum of Art (New York) à l’automne 2014 : « From Assyria to Iberia: Crossing Continents at the Dawn of the Classical Age ». Sur ce programme de recherche piloté par le British Museum, voir www.britishmuseum.org/research/ research_projects/naukratis_the_ greeks_ in_egypt.aspx. Voir p. 34 et 152 du présent ouvrage.


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de ce phénomène un visage très particulier, et plus spécifiquement grec. Notre choix de nous focaliser sur une seule île, prise dans ce riche réseau d’échanges, se double d’une plongée dans le temps, celle de l’histoire des fouilles, qui suscite une vraie curiosité de la part du public et constitue la première section de l’exposition.

l’organisation de l’exposition L’exposition s’organise selon trois axes. Le premier touche à l’histoire complexe et à la dimension européenne des fouilles. La découverte en 1859 de Camiros (fig. 1), premier site archéologique à avoir été identifié, nous plonge surtout dans l’univers des nécropoles, même si l’acropole fut explorée dès 1861 et de façon plus approfondie en 1864. Les fouilles franco-britanniques ont livré des trésors d’orfèvrerie et un mobilier d’une très grande diversité qu’il est possible, au moins partiellement, de replacer dans leur contexte. Cette section aborde également la question de la découverte du Mycénien qui remonte au moins à 1868, dix ans avant les fouilles de Heinrich Schliemann à Mycènes 11 . introduction

19

fig. 2 Vue de l’acropole de Lindos (expédition danoise à Rhodes, 1902-1914).


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Avec les fouilles danoises, l’archéologie rhodienne entre dans une nouvelle ère : celle des publications scientifiques et des explorations systématiques qui cessent de s’intéresser prioritairement aux tombes pour explorer les cités de façon plus générale. Conduites de 1902 à 1914, les fouilles de l’acropole de Lindos (fig. 2), la cité la plus importante de l’île avant la fondation de Rhodes en 408-407 avant J .- C ., ont livré de nombreuses offrandes. Deux autres sites ont été explorés sur le territoire de Lindos. Celui d’Exochi a surtout révélé des tombes ; et celui de Vroulia, fouillé en 1907-1908, une petite ville, avec un habitat, des sanctuaires et une nécropole.

fig. 3 et 4 Kouroi lacunaires Découverts à Camiros, dans le sanctuaire des autels des dieux, près de l’autel du Soleil. atelier de Paros, vers 540-520 avant J .- C . marbre des îles à gros grains h. max. conservée 1,14 ; l. 0,53 m Fouilles italiennes, 1930 rhodes, musée archéologique,

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atelier de Naxos, vers 550-540 avant J .- C . marbre des îles (Naxos ?) à gros grains h. max. conservée 1,15 ; l. 0,53 m Fouilles italiennes, 1930 rhodes, musée archéologique,

introduction

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Au moment de l’occupation italienne, de nouvelles campagnes ont été menées sur les sites de Camiros et de Ialysos, entraînant des découvertes d’une importance majeure, comme les kouroi de Camiros (fig. 3 et 4) ou le dépôt votif du sanctuaire d’Athéna à Ialysos, dont certaines pièces encore inédites sont présentées ici. La publication soignée de nombreux contextes funéraires mis au jour dans l’entredeux-guerres a permis, à terme, d’établir ou d’affiner les chronologies. Depuis 1947, le Service archéologique grec a pris en charge la sauvegarde et l’investigation des antiquités à Rhodes et dans le reste du Dodécanèse. Les opérations

introduction


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menées par ses soins étaient essentiellement des fouilles de sauvetage, destinées à protéger et documenter des antiquités qui se trouvaient menacées par des constructions modernes. Le premier éphore du Dodécanèse, Ioannis Kondis, s’est concentré sur la cité de Rhodes, qui se développait à un rythme rapide. Plus récemment, les contrôles systématiques effectués à Ialysos et dans le reste du territoire ont eu pour résultat de déclencher des fouilles, qui ont considérablement renouvelé le champ de nos connaissances pour les périodes hautes, notamment l’époque mycénienne, et en particulier sur ses dernières étapes. Le deuxième axe de l’exposition s’intitule « Rhodes, terre d’échanges ». L’île a accueilli un nombre impressionnant d’importations égyptiennes et surtout orientales : la Syrie, la Phénicie, la Jordanie, la Phrygie (au nord de l’actuelle Turquie), l’Urartu (l’Arménie) et Chypre figurent parmi les régions bien représentées. Point d’orgue de l’exposition, une large vitrine centrale présente, dans une muséographie aérienne, une mosaïque de petits objets précieux, les orientalia et egyptiaka de Rhodes, qui inspirèrent parfois l’artisanat local et qui furent trouvés pour la plupart dans les trois sanctuaires d’Athéna à Camiros, Ialysos et Lindos. D’autres vitrines s’attachent à montrer que Rhodes est une terre de culture mixte, ouverte à la circulation des objets, mais aussi des hommes : l’étude de la céramique et des inscriptions, grecques et phéniciennes [cat. 71], parfois associées sur un même objet [cat. 72], laisse penser qu’une population phénicienne s’est installée à Ialysos. L’exposition souligne, par ailleurs, la diversité des importations en provenance de l’ensemble du monde grec et du lointain Occident. Le dernier axe de l’enquête porte sur les ateliers actifs à Rhodes. Si certains domaines, comme la coroplathie ou encore le travail de l’ivoire, de l’os et des métaux, notamment du bronze 12 , restent mal connus, d’autres, comme l’artisanat de la faïence, la poterie ou l’orfèvrerie, ont fait l’objet d’approches renouvelées. L’exposition présente plusieurs traces d’activités artisanales : des déchets de cuisson, ainsi que des outils d’une grande rareté, comme un tour de potier inédit du II e millénaire [cat. 156] et surtout un jeu de loupes, daté du viii e ou du vii e siècle, qui

témoigne de l’existence d’un artisanat de précision [cat. 101]. Ce dernier est magnifiquement illustré par l’orfèvrerie, qui compte parmi les créations les plus originales et les mieux maîtrisées de l’art rhodien. L’étude de l’iconographie, qui comprend des maîtresses des animaux, des centaures, des griffons, des femmes-abeilles [cat. 106 à 123], témoigne de l’orientalisation d’un atelier qui se définit par des pratiques artisanales spécifiques, radicalement différentes de celles adoptées pour les émissions monétaires des cités à la fin du vi e siècle avant J .- C. [cat. 102 à 105], que nous avions été tentés, un temps, de leur comparer. L’existence de ratés de cuisson témoigne d’une production locale de verre dès le xiii e

siècle avant J .- C . Assuré par la découverte d’ateliers de l’époque hellénistique,

l’artisanat de la faïence semble remonter au moins à l’époque archaïque. La technique orientale de la faïence a pu être introduite à Rhodes par des artisans levantins, peut-être installés près de Ialysos à la fin du viii e siècle avant J .- C . Cette hypothèse introduction

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12 Triantafyllidis 2013, p. 61-62, fig. 2, 4 et 5. 13 Voir p. 117 du présent ouvrage.


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se fonde sur l’évolution de la céramique locale, fortement influencée par des modèles chypriotes et phéniciens, ainsi que sur la présence d’offrandes inscrites en alphabet phénicien. Les premiers objets en faïence, scarabées et amulettes, sont inspirés d’une culture largement diffusée en Méditerranée orientale. L’évolution des productions, qui inclut au fil du temps, à partir du vii e siècle avant J .- C ., des vases de forme typiquement grecque, comme l’aryballe [cat. 144], témoigne de l’hellénisation des ateliers en contexte grec. Quant à l’activité des potiers rhodiens, elle est attestée sur toute la période, de l’époque mycénienne à l’époque archaïque. Des analyses archéométriques ont mis en évidence une forte teneur en magnésium. Cette signature rhodienne 13 permet d’exclure des productions locales l’essentiel des plats de Doride de l’Est [cat. 3–1 et 7–28], et confirme la participation de Rhodes au commerce du parfum depuis la fin du viii e siècle. Les vases du style de Vroulia se distinguent, au vi e siècle, par l’originalité de leurs décors gravés, qui témoignent de l’influence de modèles métalliques phéniciens ou phénicisants. Plus que les coupes, les situles, inhabituelles en contexte grec, montrent l’infléchissement de la production au bénéfice d’une clientèle établie en Égypte. On attribue également à Rhodes la fabrication de grands pithoi à reliefs, dont les exemplaires les plus impressionnants avoisinent les deux mètres de hauteur. Ces vases de stockage ont souvent été réutilisés en contexte funéraire pour des inhumations d’enfants.

bilan et perspective Cette synthèse se veut un hommage à l’archéologie rhodienne, dont l’histoire est ancienne et dont les fouilles les plus récentes ne cessent de démontrer la vitalité. Tout en présentant un bilan provisoire des études rhodiennes, elle souligne l’importance du travail qui reste à accomplir sur les ateliers ou encore sur les archives. Si les archives danoises et italiennes, qui continuent d’être exploitées, sont bien localisées, à Copenhague et à Rhodes, celles des premières fouilles, très partiellement conservées au British Museum, témoignent de l’ampleur du naufrage des sources, que cette exposition et son catalogue contribueront peut-être à faire réapparaître. Pour lacunaire qu’elle soit, la documentation permet malgré tout de revenir sur des points de chronologie et de topographie qui constituent l’un des apports résolument nouveaux de cet ouvrage.

introduction

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l’histoire des fouilles

Les fouilles franco-britanniques au xixe siècle anne coulié

La découverte du site de Camiros en 1859 et les campagnes de fouilles qui s’y succé-

anne coulié

dèrent depuis le printemps de cette même année jusqu’à l’automne 1868 coïncidèrent avec une actualité scientifique : elles intervinrent en effet à point nommé pour nourrir le débat alors ouvert sur le rôle de l’Orient dans l’évolution de l’art grec 1 . Elles révélèrent une culture orientalisante, assimilée dans un premier temps à de l’art phénicien, encore largement inconnu. La richesse des tombes, dont le mobilier fut présenté dans de nombreux musées, dès les années 1860 à Londres et à Paris, puis à Berlin 2 , Athènes 3 et Florence 4 , contribua au rayonnement de Rhodes dans l’Europe du xix e et du début du xx e siècle. En dépit de l’intérêt suscité par la richesse des nécropoles, ces fouilles demeurent mal connues : les études qui les mentionnent fourmillent d’erreurs, en partie imputables à l’insuffisance des publications. L’un des fouilleurs, Alfred Biliotti, viceconsul britannique à Rhodes, n’a rien publié. Le second, Auguste Salzmann, un Alsacien, ne cessa, faute de fonds, d’ajourner la parution de son livre 5 . Du fait de sa mort prématurée en 1872, son journal de fouilles, publié par les soins de son frère, se réduit à un atlas in-folio de soixante-deux planches 6 , qui n’est accompagné d’aucun texte. Si ses premiers articles 7 souffrent d’affirmations erronées, dans la mesure où elles reflètent des croyances alors en vigueur, comme celle qui fait de Camiros une cité phénicienne, l’un d’eux fournit cependant des informations de tout premier plan, qui, une fois croisées avec celles d’un livre d’entrées du musée du Louvre, ont permis de reconstituer un contexte funéraire [cat. 7 et fig. 5]. En l’absence de publications décisives, l’enquête ne pouvait faire l’économie d’un travail sur les archives. Le British Museum conserve des lettres de Biliotti, ainsi que la copie de précieux journaux de fouilles sur les campagnes menées à Camiros, du 26 octobre 1863 au 25 juin 1864 (fig. 7), et à Ialysos, du 16 février au 16 avril 1870 8 . Ignorés au xix e siècle, car ils dérangeaient les chronologies en vigueur, ces journaux largement inédits n’ont jamais été pleinement exploités. La correspondance 24

1 Sur le rôle de Longpérier dans la promotion de l’art assyrien, voir Gran-Aymerich 1998, p. 90. 2 Furtwängler 1886. 3 La collection Arapidès, notamment l’œnochoé du même nom MN 12717 ; voir Coulié 2013, p. 167, fig. 155. 4 Paoletti 2012, p. 17. 5 Coulié 2014, p. 33. 6 Salzmann 1875. 7 Salzmann 1861 ; Salzmann 1863. 8 Nous ignorons où se trouvent les carnets des premières fouilles de Camiros ; ceux des fouilles conduites par Biliotti dans les années 1880 sont mentionnés dans les publications (Smith 1884, p. 220 ; Smith 1885, p. 371 ; Furtwängler 1886, p. 133). 9 Une transcription de ces fonds est consultable sur le site internet du musée du Louvre (« la recherche scientifique »). 10 Coulié 2014, p. 34. 11 Salzmann 1867.


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de Salzmann constitue une seconde source d’un intérêt exceptionnel. Deux fonds ont été principalement étudiés : les lettres adressées à l’académicien Félix de Saulcy, qui peuvent être consultées à la bibliothèque de l’Institut de France ; celles écrites à Charles Newton, directeur du département des Antiquités grecques et romaines du British Museum, où elles sont conservées 9 . Enfin, quelques lettres destinées à Wilhelm Froehner, aujourd’hui aux archives de Goethe et Schiller à Weimar, complètent cet ensemble. Cette correspondance permet de mesurer le naufrage des sources. Des carnets de fouilles de Salzmann 10 , il ne subsiste qu’un extrait paru en 1867 dans la première et unique livraison du Bulletin archéologique du musée Parent 11 , du nom du mécène qui finança les dernières fouilles de l’archéologue 25

fig. 5 Découvertes provenant du contexte de la tombe A à Camiros [cat. 7].


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fig. 11 Œnochoé du style des chèvres sauvages vers 615-600 avant J .- C . argile h. 33 cm Achat Milani, 1900 florence, musée archéologique, 78993

Les fouilles clandestines au xixe et au début du xxe siècle

Durant la seconde moitié du xix e siècle, en Italie et particulièrement à Florence, les

maria chiara monaco

milieux académiques discutaient avec passion du problème posé par l’origine des Étrusques, qu’une partie des sources antiques situait en Orient. Cet état de fait, auquel s’ajoutait la forte imprégnation positiviste de la recherche historique et archéologique de l’époque, permet de comprendre pourquoi Luigi Adriano Milani, directeur depuis 1882 du Musée archéologique de Florence, tint à établir au sein de l’institution dont il avait la charge une double section comparatiste, dite des confronti, où les domaines italique et égéen étaient mis en regard. « Compte tenu des rapports existant depuis toujours entre l’Étrurie, l’Asie Mineure et l’Orient grec, il est du plus grand intérêt scientifique de pouvoir confronter directement aux plus anciens objets manufacturés d’Étrurie, non seulement les produits spécifiques antérieurs de la civilisation égéenne et mycénienne, mais en outre ceux de la civilisation pré-mycénienne d’Anatolie et des îles grecques, ainsi que les produits proto-grecs de Rhodes et de Chypre, dont les relations commerciales avec l’Étrurie sont indu bitables dans les temps historiques 1 . » À cette fin, le directeur s’employa à rassembler à Florence des matériaux archéologiques provenant de l’aire concernée. En 1889, par l’entremise de Federico Halbherr, alors directeur de la Mission archéologique italienne de Crète, et d’un antiquaire maltais opérant à La Canée, Milani entra en contact avec un certain Élias Arapidès. Sur ce singulier personnage, qui joua un rôle de premier plan dans l’histoire des fouilles clandestines à Rhodes entre la fin du xix e et le début du siècle suivant, les Archives de la Soprintendenza Archeologica de Florence ne fournissent que de maigres renseignements. Un peu plus tard, quelques informations transparaissent des notes rédigées en 1904 par Karl Frederik Kinch et Christian Blinkenberg. Arapidès, longtemps directeur de l’Eastern Telegraph Company Ltd., une société implantée à Rhodes, avait l’habitude de suivre les archéologues danois dans leurs explorations et d’acheter aux paysans des céramiques issues de fouilles clandestines. Dans les campagnes de l’île, le même Blinkenberg avait vu l’histoire des fouilles

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1 Milani 1912.


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fig. 12 Calice chiote 2 e quart – milieu du vi e siècle avant J .- C . argile h. 14,2 cm Achat Milani, 1900-1901 florence, musée archéologique, 79244

des vases dont il ne put faire l’acquisition, les paysans les ayant promis à Arapidès, qui se réservait leurs découvertes en les payant d’avance 2 . En 1900, ayant manqué l’achat d’un sarcophage de Clazomène provenant de la nécropole de Camiros, le directeur du Musée archéologique acquit auprès d’Arapidès une œnoché du style des

fig. 13 Jarre piriforme mycénienne à trois anses début de l’Helladique récent IIIA 2 argile h. 36,1 cm Don Arapidès, 1903 florence, musée archéologique, 81705

chèvres sauvages (fig. 11) et un plat décoré d’une panthère 3 , tous deux mis au jour dans la même zone de sépultures. De 1901 date l’arrivée à Florence du premier lot important d’objets antiques à avoir quitté l’île avec la complicité d’Alfred Biliotti, alors vice-consul britannique à Rhodes. Ces vingt-huit vestiges de l’âge archaïque avaient tous été retrouvés dans la nécropole de Kéchraki : œnochoés du style des chèvres sauvages, boîtes à onguent ornées de figures en relief, un calice de Chios (fig. 12), une coupe du style de Vroulia 4 , un lot bien fourni de céramiques corinthiennes, et une série de terres cuites, de boîtes à onguent et de figurines de faïence. Ces découvertes s’inséraient entre celles des dernières fouilles conduites à Camiros par Salzmann et Biliotti 5 en 1868 et celles, postérieures, des campagnes régulières entreprises par les archéo logues italiens à la suite de l’occupation de l’île. À partir de 1903, les contacts entre Arapidès et Milani se firent plus nombreux. Désormais, les

2 Wriedt Sørensen et Pentz 1992, p. 109, 111, 113. 3 Inv. 78994. 4 Inv. 79245. 5 Voir p. 24-35 du présent ouvrage.

fig. 12

l’histoire des fouilles

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fig. 13 les fouilles clandestines au xixe et au dÊbut du xxe siècle

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Fouilles et explorations danoises à Rhodes

bodil bundgaard rasmussen et john lund

L’expédition archéologique danoise à Rhodes (1902-1914) fut la première grande mission de terrain menée par des Danois en Méditerranée après les investigations pionnières conduites par Peter Oluf Brøndsted (1780-1842), à Karthaia, sur l’île de Kéa, au cours de l’hiver 1811-1812 1 . Si l’on excepte quelques architectes et artistes 2 , assez rares furent les Danois à se rendre en Grèce dans les décennies qui suivirent la révolution (1824 à 1831). L’un d’eux fut Johan Louis Ussing (1820-1905), qui avait été l’élève de Brøndsted et qui lui succéda en 1842 comme professeur de philologie et d’archéologie à l’université de Copenhague. En 1886, Ussing entra à la direction de la fondation Carlsberg, institution qui, depuis sa création en 1876, soutenait activement les recherches danoises dans les domaines scientifiques et dans les humanités. Un groupe d’archéologues et de philologues, ces derniers menés par le professeur de philologie Johan Ludvig Heiberg (1854-1928), sollicita une aide financière auprès de la fondation pour lancer un grand projet archéologique danois, « quelque part dans les pays des civilisations classiques ». Ussing joua un rôle important dans l’obtention du soutien de la fondation à ce projet 3 . L’intérêt des chercheurs se porta d’abord sur le site de Cyrène, en Libye, proposé par l’archéologue danois Karl Frederik Kinch (1853-1921), élève de Ussing, qui avait beaucoup sillonné la Turquie et la Grèce du Nord, où il avait étudié les sites et les monuments antiques sur la péninsule de Chalcidique, en Macédoine et à Salonique 4 . À l’époque, la Libye faisait partie de l’Empire ottoman, et Kinch passa beaucoup de temps, à Istanbul comme à Benghazi, à essayer d’obtenir l’autorisation de travailler à Cyrène, mais il dut abandonner l’idée, car le gouvernement turc n’autorisait pas les étrangers à mener des fouilles en Afrique du Nord 5 . En quête d’une autre option, Kinch consulta les archéologues allemands Alexander Christian Leopold Conze et Wilhelm Dörpfeld à Pergame et, sur leurs conseils, choisit Lindos (fig. 15). L’autorisation officielle de fouiller à Rhodes lui fut accordée par un télégramme envoyé de Constantinople le 18 février 1902 6 , car l’île fit partie de l’Empire ottoman l’histoire des fouilles

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Lund 2008. Haugsted 1996. Ussing 1906, p. 227-229. Voir Kinch 1890 ; Dyggve 1943, p. 149-150. Dyggve 1960, p. 13-14. Søren Dietz, dans Wriedt Sørensen et Pentz 1992, p. 7.


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jusqu’en 1912, date de l’occupation du Dodécanèse par les Italiens, avant d’être rattachée à la Grèce en 1947, en même temps que les autres îles du Dodécanèse. Dans ses mémoires, Ussing résume les arguments qui motivent son choix de Lindos : « Les principales fouilles menées durant le dernier demi-siècle dans les centres culturels doivent apparaître d’une façon non seulement plus claire et plus complète mais aussi, à de nombreux égards, sous une lumière entièrement nouvelle. L’archéologie doit jouer sur ce point un rôle déterminant ; c’est elle qui a posé les fondations du nouvel édifice que la science est en train d’ériger. Après avoir soigneusement pesé les différentes possibilités, nous avons choisi Lindos qui, au vii e et au vi e siècle avant J .- C ., a été la principale ville de Rhodes. Située sur la côte est, et constituant l’avant-poste sud-est de la Grèce, l’île joua dans l’Antiquité un rôle fouilles et explorations danoises à rhodes

43

fig. 15 L’Acropole de Lindos par Helvig Kinch, artiste accompagnant l’expédition danoise de 1903 huile sur toile h. 21,5 ; l. 41,5 cm copenhague, musée national du danemark


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L’archéologie italienne à Rhodes

entre archéologie et politique

matteo d’acunto

En 1912, se substituant à la domination séculaire de l’Empire ottoman, les troupes italiennes occupèrent Rhodes et les îles du Dodécanèse. Ces territoires demeurèrent formellement sous contrôle italien jusqu’en 1947 (dans les faits, jusqu’en 1943), soit pendant la Première Guerre mondiale, à l’époque du traité de Lausanne (qui ratifia en 1923 l’occupation italienne de la Libye et du Dodécanèse), durant les deux décennies du fascisme, pendant la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à l’immédiat aprèsguerre, lorsque le Dodécanèse, en 1947 (après le protectorat anglais de 1945-1947), fut officiellement rattaché à la Grèce. Au cours de cette période, l’Italie réserva à ces possessions d’outre-mer une attention particulière en matière de sauvegarde, de fouilles archéologiques et d’étude des Antiquités préhistorique, classique et médiévale (à quoi vint s’ajouter un vaste programme de travaux publics et privés) 1 . À Rhodes, comme il arrive quand l’archéologie n’est pas dénuée d’arrière-pensées, les archéologues italiens entrèrent en action peu de temps après l’occupation militaire, ce qui répondait au souci politique de donner une façade culturelle et une justification à la décision des armes. Dès le début de l’année 1913, Luigi Pernier, directeur de l’École archéologique italienne d’Athènes, effectua avec ses élèves une première reconnaissance archéologique de l’île qui eut pour effet de placer Ialysos et Camiros au centre des investigations à venir. Début 1914 fut instituée officiellement la Mission archéologique italienne de Rhodes, qui fut confiée au jeune Amedeo Maiuri jusqu’en 1924. Au cours de la même année 1914, le directeur de la mission danoise, Karl Frederik Kinch, quittait Rhodes définitivement, scellant ainsi la mainmise de l’Italie sur l’île, y compris dans le domaine archéologique. Deux programmes ont marqué la première période de la présence italienne : l’assainissement et la restauration de la vieille ville de Rhodes datant du temps des chevaliers, travaux menés à bien par le corps du génie (1914l’histoire des fouilles

52

1 Sur l’histoire de l’archéologie italienne dans le Dodécanèse, voir Beschi 1986 ; Petricioli 1990, p. 149-167, 200-206 ; Livadiotti et Rocco 1996.


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1918) ; l’installation du musée de Rhodes dans le grand hospice des chevaliers récem ment restauré et divisé en trois sections, archéologique, médiévale et ethnographique (inauguré en 1915). En 1927, la mission de Rhodes devint la surintendance des Monuments et des Fouilles et fut placée jusqu’en 1934 sous la direction de Giulio Jacopi, qui travailla en étroite collaboration avec Mario Lago, le gouverneur des îles italiennes de l’Égée. En 1928, la F E R T fut fondée à Rhodes, un institut d’études historiques et archéologiques du Dodécanèse et du Levant doté de bourses d’études et d’une grande bibliothèque spécialisée. Dans ce cadre, deux collections éditoriales virent le jour, « Clara Rhodos » et les « Memorie dell’Istituto F E R T », destinées à accueillir la publication des découvertes archéologiques et des monuments résultant de l’intense activité des archéologues italiens dans le Dodécanèse. En 1934, la surintendance passa sous la responsabilité de Luciano Laurenzi. En 1936, Cesare Maria De Vecchi devint gouverneur. Il avait notamment participé, 53

fig. 21 Les restaurations italiennes sur l’acropole de Lindos, montrant les travaux de l’aile est de la stoa hellénistique, 1938-1939. rhodes, archives de l’institut d’archéologie (archives photographiques italiennes, no 1801)


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Les fouilles grecques

Les îles du Dodécanèse, une fois libérées de l’occupation italienne (1912-1945),

melina filimonos-tsopotou

furent rendues à la Grèce après une période transitoire de deux années sous adminis-

et toula marketou

tration anglaise (1945-1947). En juin 1947 entrait en fonctions le premier éphore des Antiquités grec, Ioannis Kondis, qui reçut de façon exemplaire des mains du dernier éphore italien, Luigi Morricone, la direction de l’éphorie des Antiquités et de tout le patrimoine archéologique, à l’exception des bijoux en or qui avaient disparu pendant la guerre. Kondis s’attela immédiatement à l’organisation de l’éphorie, secondé par deux jeunes épimélètes des Antiquités, Georges Dontas et Pavlos Lazaridis. En très peu de temps, il répara les dégâts de la guerre, rendant à la ville médiévale de Rhodes son ancien éclat grâce à la restauration des murailles médiévales du grand port et de l’édifice du Musée archéologique, où il organisa la première exposition. Il inaugurait en même temps d’intenses recherches archéologiques et scientifiques dans la cité antique de Rhodes. Ses études fondamentales sur le plan hippodamien de la ville hellénistique constituèrent une base solide pour la reconstitution de la trame urbaine 1 . Pendant les décennies qui suivirent, son œuvre fut poursuivie par ses successeurs, Gregorios Konstantinopoulos, Eos Zervoudaki, Christos Doumas et Ioannis Papachristodoulou. En ce qui concerne les fouilles proprement dites, l’éphorie des Antiquités s’est concentrée sur l’actuelle ville de Rhodes, qui occupe toujours la même position privilégiée, à l’extrémité nord de l’île, depuis la fin du v e siècle avant J .- C . Le fort développement touristique et immobilier de la ville a été à l’origine de centaines de fouilles de sauvetage. Quant aux sites de l’acropole et de la nécropole de Rodini, ils ont été intégrés dans des zones protégées, déclarées non constructibles, et préservés en vue de fouilles futures. Cette intense activité de fouilles, qui a pour objet la protection et la documentation scientifique des antiquités menacées par les travaux de construction et autres projets « utiles au bien public », a eu comme résultat la découverte de la ville classique 63

1 Kondis 1958.


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et hellénistique : des maisons, des rues, des bains, des ateliers 2 , des installations portuaires, les aménagements hydrauliques, l’enceinte fortifiée 3 , mais aussi sa nécropole étendue 4 . Outre les sanctuaires et les édifices publics de l’acropole, mis au jour pendant l’occupation italienne, ont été fouillés de nombreux édifices intégrés à l’ancien tissu urbain : le sanctuaire de Déméter 5 , celui de tous les dieux (le Panthéon) 6 , celui d’Asclépios (l’Asclépiéion) 7 , le Gymnase du bas (le Ptolémaion) 8 , le temple d’Isis (l’Iseion) 9 . Rhodes est peut-être aujourd’hui un exemple unique de ville contemporaine densément peuplée, riche d’une vie ininterrompue pendant deux mille cinq cents ans, dont nous puissions reconstituer avec certitude le plan hippodamien 10 . Les résultats des fouilles de sauvetage de la ville ont montré que l’extrémité nord de l’île avait été occupée à différentes époques de la préhistoire, ce qui semble raisonnable eu égard à la situation stratégique du lieu et à l’existence de ports naturels exceptionnels 11 . L’hypothèse de l’installation d’un habitat organisé dans les parages de Ialysos dès avant la fondation de la cité de Rhodes en 408-407 avant J .- C . avait été formulée environ un siècle plus tôt, lors de la découverte de la stèle funéraire de Charonidas, qui remonte au début du v e siècle avant J .- C . 12 Cette hypothèse a été confirmée en 2001 avec la mise au jour de deux tombes à fosse, datant de la première moitié du vi e siècle avant J .- C . 13 (fig. 55). Ces tombes, découvertes dans la partie méridionale de la ville, entre le mur d’enceinte hellénistique et l’avant-mur (proteichisma), devaient faire partie d’une nécropole organisée, en activité au moins jusqu’en 300 avant J .- C ., date à laquelle elle fut détruite, en raison de l’extension de la ville vers le sud et de la construction du rempart hellénistique 14 . Les fouilles menées par l’éphorie ajoutèrent de nouvelles données aux résultats des recherches plus anciennes, et permirent de compléter l’historique de la topographie de l’île depuis le Néolithique jusqu’à la période mycénienne. Les fouilles effectuées dans les grottes attestaient l’implantation progressive des premiers habitants sur la partie orientale de l’île, et sporadiquement sur sa partie occidentale, au Néolithique moyen et récent (5300-3400 avant J .- C .) 15 . L’absence de données sur le

2 3 4 5 6 7 8 9 10

Bronze ancien 16 fut comblée par les fouilles d’Asômatos près de Krémasti, qui révélèrent le plus ancien centre proto-urbain de l’île, datant de la période des premières cités, avec ses grands édifices en forme de mégaron, indice de liens avec le nord-est de l’Égée, ainsi qu’avec le littoral d’Asie Mineure et son arrière-pays 17 . Par ailleurs, l’éphorie a défini à Ialysos des zones archéologiques protégées, et surveille sévèrement les activités de construction. Ainsi a-t-on pu découvrir des vestiges disséminés de l’âge du bronze récent IA , et, s’étendant au moins jusqu’à l’aéro18

port, l’épaisse couche de cendres provenant de l’éruption du volcan de Santorin . Les dizaines de fouilles entreprises à Trianda19 avaient comme objectif de décou-

11 12 13 14 15 16 17

18 19

Monaco en 1935-1936 avaient révélé l’existence20. Elles ont apporté des données nou-

20 21 22 23 24

velles sur la structure urbaine du site à chacune de ses phases cruciales, depuis le

25

Bronze moyen jusqu’au Bronze récent IIIA 2/ IIIB 1 (2050-1900 – 1400 avant J .- C .).

26

vrir le site minoen et mycénien dont les fouilles menées par l’archéologue Giorgio

l’histoire des fouilles

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Zimmer et Bairami 2008. Filimonos-Tsopotou 2004. Patsiada 2013. Zervoudaki 1988 ; Giannikouri 1999. Kantzia 1999. Papachristodoulou 1999 ; Fantaoutsaki 2004. Filimonos et Kontorini 1989. Fantaoutsaki 2011. Konstantinopoulos 1990 ; Papachristodoulou et al. 1993 ; Hoepfner et Schwandner 1994, p. 51-67 ; Filimonos-Tsopotou 2003. Dreliossi-Herakleidou 1999. Maiuri 1916a, n o 27, p. 150-151 ; Fraser 1977, n o 20, p. 8. Triantafyllidis 2007. Filimonos-Tsopotou 2004, p. 128. Sampson 1987. Dietz 1974 ; Marketou 2013, p. 178. Marketou 1990a ; Marketou 1997 ; Marketou 2010, p. 776-777 ; Marketou 2013, p. 177-178. Doumas 1988 ; Marketou 2009a, p. 90. Papazoglou-Manioudaki 1982 ; Marketou 1988 ; Marketou 2010, p. 779-786. Monaco 1941 ; Furumark 1950. Marketou 1998a. Marketou 2009a, p. 88. Marketou 1988 ; Marketou 1990b. Marketou 2009a, p. 82-92 ; Marketou 2010, p. 779-786. Marketou 1990a ; Marketou 1997 ; Marketou 2009a, p. 73-82. Marketou 2013.


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La bonne conservation des vestiges architecturaux de la ville, protégés par la couche de cendres volcaniques, les polythyra et les édifices ornés de fresques murales rivalisant avec celles d’Akrotiri à Santorin ou avec celles des palais et des cours princières de Crète, la céramique minoenne importée, les tables à offrandes peintes et les figurines d’orants 21 montrent que Rhodes était peut-être la première porte de la mer Égée vers la Méditerranée orientale et les côtes de l’Asie Mineure au Bronze récent IA 22 . Avec une superficie de plus de 18 hectares, c’était l’une des villes protohistoriques les plus importantes de la mer Égée, et, vers 1630-1610 avant J .- C . 23 , elle était devenue une escale commerciale de premier plan sur la route de la Méditerranée 24 . La découverte la plus surprenante n’en est pas moins celle d’un vaste complexe d’habitations du Bronze moyen, situé en dehors des limites de la ville du Bronze récent, et qui s’étendait sur la partie nord-est de l’île 25 . Ce grand ensemble architectural du Bronze moyen, doté du plus ancien polythyron connu à ce jour en mer Égée, ainsi que la couche de destruction découverte plus à l’ouest, avec des prochoi (cruches rituelles) et deux cents défenses de sanglier dorées à la feuille et décorées d’ornements 26 (fig. 25), indiquent que Rhodes, dès avant l’expansion minoenne, avait développé une civilisation remarquable, marquée par des caractéristiques locales. Les tremblements de terre, l’éruption du volcan de Santorin et la pluie de cendres eurent de lourdes conséquences sur la vie paisible des habitants. La pauvreté de la

les fouilles grecques

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fig. 25 Trianda (Ialysos). Site d’habitation du Bronze moyen. Couche de destruction contenant des cruches rituelles et des défenses de sanglier.


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fig. 26 Four de potier mycénien et vestiges de métier à tisser du secteur sud-est du site d’habitation préhistorique de Trianda (Ialysos).

nécropole de Ialysos, située au bord de la mer, avec ses sépultures à même la terre ou en jarres, témoigne de l’ampleur des désastres subis par le site 27 . La vie y continua malgré tout à la période mycénienne. Dans la partie nord-ouest du site, on construisit des digues pour affronter les inondations provoquées par les catastrophes naturelles 28 . C’est là que furent découverts des édifices rectangulaires et les traces d’une rue datant du Bronze récent IIIA 2 29 . Des digues protectrices contre les inondations furent aussi édifiées aux phases ultérieures de l’occupation du site, jusqu’à la dernière inondation, qui fut la cause de son abandon définitif à la fin de la période IIIA 2/ IIIB 1 du Bronze récent 30 . C’est de cette même époque, celle de l’abandon du site, que date le four de potier 31 (fig. 26) découvert dans sa partie nord-est. À l’intérieur du four se trouvaient des vases et seize pesons discoïdes de métier à tisser. Un peu plus au nord, on a découvert dix-huit exemplaires similaires, disposés par paires, qui accompagnaient les restes d’un métier à tisser. Les deux ateliers, situés à une certaine distance des autres habitations du site mycénien de l’époque, furent scellés à jamais par les alluvions que charriaient les fleuves en crue lors de l’ultime inondation qui transforma la région en marécage inhabité. La vie continua cependant à Ialysos jusqu’à la fin de la période mycénienne, comme en témoignent ses nécropoles, mais à un autre emplacement, toujours non identifié. Il est possible que ce nouvel emplacement ait été le sommet de la colline de Philérimos, où se trouve le sanctuaire d’Athéna Ialysia, l’un des trois principaux sanctuaires de l’île. La présence d’objets mycéniens dans le riche dépôt votif du sanctuaire, comme une plaque d’ivoire à reliefs [cat. 73], va dans le sens de cette hypothèse. Les objets mis au jour par les fouilles, ainsi que les précieuses offrandes funéraires, laissent entendre que le site cessa désormais de vivre en économie fermée l’histoire des fouilles

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27 Marketou 1998b, p. 60-61 ; Marketou 2010, p. 783-784. 28 Marketou 1998b, p. 61-62 ; Marketou 2007. 29 Papazoglou-Manioudaki 1982, p. 145-149 ; Benzi 1988b ; Marketou 1988, fig. 9 ; Karantzali 2005 ; Marketou 2007. 30 Monaco 1941, p. 139-149, fig. 98-107 ; Marketou 2007. 31 Marketou 2004. 32 Marketou, Karantzali et al. 2006. 33 Marthari, Marketou et Jones 1990. 34 Karantzali 2005 ; Marketou, Karantzali et al. 2006, p. 31-55, fig. 4-13. 35 Karageorghis et Marketou 2006 ; Marketou 2009b. 36 Maiuri 1923-1924 ; Jacopi 1930-1931 ; Mee 1982, p. 8-47 ; Benzi 1988c ; Benzi 1992. 37 Charitonides 1963, p. 133-134. 38 Charitonides 1963, p. 135-140. 39 Karantzali 2009a, p. 229, 252-262. 40 Karantzali 2001. 41 Karantzali 2009a. 42 Dietz 1984, p. 67-74 ; Karantzali 2009a, p. 262. 43 Konstantinopoulos 1972 ; Mee 1982, p. 74 ; Benzi 1992, I , p. 448-449.


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ii

rhodes, terre d’échanges

Rhodes, un important carrefour en Méditerranée orientale

La situation géographique de Rhodes, à l’extrême sud-est de la mer Égée, juste

nota kourou

en face de l’Asie Mineure et à proximité immédiate de Chypre et de la Crète, en fit dès l’origine un carrefour décisif, où les hommes et les cultures de la majeure partie de la Méditerranée orientale, de la mer Égée et parfois de la Méditerranée centrale entraient en contact. À la croisée de toutes les routes maritimes reliant l’Orient et l’Occident, Rhodes devint rapidement un centre important favorisant les rencontres harmonieuses entre civilisations.

à l’âge du bronze : les liens avec la crète minoenne Dès l’âge du bronze, Rhodes était la porte par laquelle on passait de la mer Égée à la Méditerranée orientale, ainsi qu’une escale obligée sur tout parcours allant de la Méditerranée orientale et de Chypre vers l’Occident. Pour les Minoens, qui naviguaient jusqu’au nord-est de la mer Égée et jusqu’à la mer Noire, probablement en quête de matières premières, c’était une halte obligatoire sur l’itinéraire maritime de leur « thalassocratie ». C’est pourquoi les liens de Rhodes avec la Crète minoenne protopalatiale sont peut-être les plus anciens de son histoire, et surtout les plus décisifs. Les fouilles menées par des Italiens en 1925 à Philérimos, l’acropole de Ialysos, ont mis au jour auprès d’une muraille de l’âge du bronze une céramique minoenne d’usage domestique modelée à la main et datant de l’époque protopalatiale, ainsi que d’autres objets caractéristiques de la civilisation minoenne, comme un bouchon en serpentine ou un peson ovoïde de métier à tisser. Ces objets, ainsi que plusieurs récipients en pierre et des céramiques modelées à la main découverts dans d’autres sites de l’île, ont conduit nombre de chercheurs à supposer que de petites colonies minoennes s’étaient installées à Rhodes dans la période du Minoen moyen I et II 1 . Cette hypothèse, qui s’inscrit dans la théorie de l’expansion minoenne en Égée, 76

1 2 3 4 5

Voir Niemeier 1998, p. 29-30. Marketou 1998a, p. 59-63, fig. 7-11. Momigliano 2005, p. 221. Karantzali 2001. Karantzali 1998, p. 91, fig. 5-7.


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cadre bien avec la route que suivaient les exportations minoennes vers la Méditerranée orientale, lesquelles, à l’âge du bronze moyen, constituaient les seules exportations depuis la mer Égée vers Chypre et les grands lieux de peuplement de la côte syro-palestinienne, comme Byblos ou Ougarit. La variété des importations minoennes se maintient à Rhodes à la période néopalatiale (Minoen moyen III – Minoen récent I ). La céramique de style maritime (Minoen récent IB ) trouvée à Ialysos et associée à des vases caractéristiques de la Crète orientale, comme un rhyton ovoïde et un récipient sans anses, témoignerait de la présence de visiteurs minoens, originaires de diverses régions de Crète et pas seulement de Cnossos. L’abondance et la large diffusion des importations minoennes confirment l’idée d’une implantation minoenne à Rhodes ; de plus, des cornes votives en calcaire découvertes à Ialysos, et quatre figurines minoennes d’adorants en bronze (une masculine et deux féminines trouvées à Ialysos (fig. 35), ainsi qu’une masculine à Kalamona2), toutes découvertes dans des maisons, indiquent bien que des conceptions et des pratiques religieuses de la Crète minoenne avaient été introduites à Rhodes. Parallèlement se développent des styles locaux de céramiques, inspirés de modèles minoens (peinture claire sur fond sombre, et sombre sur fond clair). Des vases rhodiens de ces styles-là ont également été découverts en face de l’île, sur le littoral d’Asie Mineure, principalement à Iasos, associés à des céramiques rhodiennes modelées à la main, semblables à celles que l’on rencontre à Ialysos 3 . Cela incite à envisager l’existence d’une petite implantation rhodienne à Iasos, mais l’hypothèse d’un simple lien donnant lieu à des échanges entre l’île et la côte reste possible. Les recherches récentes ont montré que les échanges interrégionaux étaient la norme en Méditerranée, et c’est pourquoi peu de sites seulement sont aujourd’hui reconnus comme des « comptoirs commerciaux » importants ; Ialysos en était cependant un.

La période mycénienne À la période de l’Helladique récent III , la présence mycénienne à Rhodes semble éclipser la présence minoenne en ce qui concerne les importations et les influences, peut-être parce que les Minoens se tournent vers l’Égée, tandis que les Mycéniens développent des liens avec la Méditerranée orientale. Les importations crétoises à Rhodes se limitent essentiellement à des dagues minoennes cruciformes provenant des ateliers de Cnossos, comme l’une de celles qui furent découvertes dans le tombeau mycénien de Pylona 4 [cat. 20–2], avec le célèbre rhyton mycénien 5 (fig. 36). À l’époque mycénienne, Rhodes était le principal centre mycénien du sud-est de la mer Égée, avec un nombre considérable d’importations de vases mycéniens 77

fig. 35 Statuette féminine d’adorante Minoen récent I (xvi e siècle avant J .- C .) bronze h. 6,8 cm Fouilles Marketou, 1987 rhodes, musée archéologique, m 1069


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provenant en majorité d’Argolide [cat. 75 à 78]. Si ces importations entraient dans le cadre des voyages et des routes commerciales des Mycéniens vers la Méditerranée orientale, Rhodes était manifestement une destination ciblée. Sur le plan stylistique, les vases rhodo-mycéniens de fabrication locale s’alignent fidèlement sur les productions de la Grèce continentale et Rhodes devient un centre important de production de céramique à l’époque mycénienne. À Ialysos et dans d’autres sites, les nécropoles reprennent la pratique des tombes à chambre collectives de type mycénien 6 ; de plus, les dagues mycéniennes ou de type mycénien découvertes sur l’île laissent penser que Rhodes avait pleinement adopté la culture mycénienne. La référence homérique aux « intrépides Rhodiens » (Iliade, II , 654) et à leur participation à la guerre de Troie avec neuf bateaux sous le commandement de Tlépolème n’est donc pas arbitraire. Parallèlement, la Rhodes mycénienne conservait des liens avec le littoral d’Asie Mineure, ainsi qu’avec son arrière-pays (l’Anatolie), comme le montrent quelques échantillons de céramique grise et de bucchero 7 découverts à Rhodes. Les ateliers locaux de l’île étaient aussi parfois influencés par ces céramiques importées, ainsi que l’atteste par exemple un vase à double col découvert à Ialysos, lequel rappelle énormément certains vases de Troie. Il arrive souvent qu’une tombe contienne plus d’un objet provenant de l’Anatolie, comme par exemple la tombe 17 de Ialysos, dans laquelle se trouvaient un sceau cylindrique et une amphorisque de bucchero gris 8 . Les objets hittites ne sont évidemment pas absents de la Rhodes mycénienne, comme le sceau de serpentine portant des signes hittites de la tombe 33 de Ialysos 9 . Certains traits des coutumes funéraires des nécropoles de Ialysos révèlent la forte influence de l’Anatolie et du littoral de l’Asie Mineure, d’où l’on peut conclure à la présence à Ialysos d’un groupe d’habitants originaires d’Anatolie 10 . Les importations égyptiennes semblent elles aussi avoir été assez importantes à Rhodes à l’époque mycénienne ; elles consistaient principalement en vases de verre et en scarabées. Il se trouvait parfois plus d’un scarabée dans certaines tombes mycéniennes de Ialysos, comme dans la tombe 9, où l’on en a découvert trois 11 . Cela dit, on ne connaît pas bien la provenance de tous les scarabées en faïence : on les identifie parfois comme originaires de Syro-Palestine ou de Chypre. On rencontre aussi des sceaux mycéniens à Rhodes [cat. 8–4], ainsi que des sceaux de provenance hittite ou mésopotamienne, probablement apportés par des navires mycéniens ou chypriotes, car des sceaux provenant de la côte syro-palestinienne, soit de fabrication locale, soit importés sur le littoral depuis des contrées lointaines comme le royaume de Mitanie 12 , se rencontrent dans des tombes de Rhodes en association avec des objets chypriotes comme des lamelles de verre ou des ivoires, telle la pyxide de la tombe 31 de la rangée IIIA 1 à Ialysos 13 . La même tombe contenait également un rhyton exécuté à partir d’un œuf d’autruche et une figurine chypriote de taureau en céramique de type Base Ring.

6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16

Les importations chypriotes sont particulièrement abondantes à Rhodes à l’époque mycénienne 14 : des vases de type White Painted I , de type Base Ring, et des rhodes, terre d’échanges

78

17 18

Girella 2005. Benzi 1996, p. 956. Maiuri 1923-1924, p. 126, n o 60. Lambrou-Phillipson 1990, p. 390-391, n o 588, pl. 62. Girella 2005. Jacopi 1930-1931, p. 256. Lambrou-Phillipson 1990, p. 387, n o 572, pl. 15. Sakellarakis 1971, p. 222-223, pl. 48-49. Åstrom 1988. Karageorghis et Marketou 2006. Par exemple la tombe 59 (une coupe et un flacon) ou la tombe 86 (une cruche [prochous] et un cruchon) à Ialysos. Lambrou-Phillipson 1990, p. 393. Lambrou-Phillipson 1990, p. 390.


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vases à engobe rouge poli ont été découverts à Ialysos, où l’on a également trouvé des imitations d’origine locale 15 . Dans deux tombes de Ialysos, les céramiques étaient même exclusivement chypriotes, ce qui a permis de faire des hypothèses sur l’installation d’une petite communauté chypriote sur le site. On peut considérer que cette idée est corroborée par le fait que l’on rencontre fréquemment plusieurs objets chypriotes dans la même tombe 16 , ou bien dans la même maison, comme dans la « Maison I » de Ialysos, où l’on a découvert deux coupes de type White Painted I et une coupe à engobe rouge poli 17 . Les figurines chypriotes de taureaux en terre cuite de style Base Ring sont des trouvailles intéressantes qui vont dans le sens de cette hypothèse, ainsi que quelques armes chypriotes mises au jour dans les tombes mycéniennes de Ialysos 18 .

rhodes, un important carrefour en méditerranée orientale

79

fig. 36 Rhyton de Pylona Helladique récent IIIA 2 (fin du xiv e siècle avant J .- C .) argile h. 35 cm Fouilles Karantzali, 1986-1987 rhodes, musée archéologique, 17964


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La faïence dans le monde grec archaïque, témoin privilégié de la complexité des échanges en Méditerranée orientale

« La faïence dans le monde grec archaïque : un matériau atypique » : tel était le titre

geneviève pierrat-bonnefois,

d’un chapitre du catalogue de l’exposition « Faïences de l’Antiquité » organisée

anne bouquillon, anne coulié

au musée du Louvre durant l’été 2005, où s’affichait l’interrogation légitime de l’archéologue devant des productions qui détonnent au sein de l’art grec des vii e et vi e siècles 1 . À ce jour, aucun atelier de faïence de cette époque n’a été mis au jour à Rhodes, mais les découvertes y sont nombreuses, et si des objets analogues ont été repérés ailleurs (Méditerranée, Égypte et Proche-Orient), c’est sur cette île que certaines séries sont présentes en plus grand nombre. Le matériau surprend, tant il semble attaché à l’Égypte : afin de rendre acceptable l’éventualité d’ateliers de faïence à Rhodes, Friedrich von Bissing avait imaginé l’intervention d’Égyptiens qui en auraient été les initiateurs 2 . Cette illusion a été corrigée depuis, et il est reconnu que la faïence est une technique largement partagée entre l’Orient et l’Égypte depuis ses origines.

objets d’égypte Il faut mettre de côté quelques objets réellement rapportés d’Égypte, sans doute à la faveur d’échanges ponctuels qui ne témoignent pas de contacts culturellement significatifs. C’est le cas du scarabée au nom du pharaon Amenhotep III [cat. 8–3], vraisemblablement contemporain de ce roi (vers 1391-1353 avant J .- C .), de la rosette d’incrustation probablement recueillie parmi des milliers d’autres sur les ruines du palais de Ramsès III à Tell el-Yahoudiyeh [cat. 18–14], du scarabée au sphinx et à la déesse Maât [cat. 22–13], que l’on peut dater de l’époque ramesside (xiii e -xii e avant J .- C .) 3 , du scarabée au cartouche de « Menkhéperrê » (Thoutmosis III ) [cat. 25], un

modèle représenté dans le Delta assez tardivement 4 , de l’amulette en forme de déesse Sekhmet [cat. 29], présente en abondance sur des sites égyptiens 5 , et pour le 89

1 Jeammet 2005. 2 Bissing 1912. 3 Dans un contexte de fouilles récentes : Bakr et Braudl 2010, p. 142-143, b. 4 Selon Jaeger (1982), l’époque ramesside constitue un terminus pour de nombreux types de scarabées « Menkhéperrê » en pierre. L’examen de l’ensemble de leur iconographie incite à dater ceux-ci plutôt de la XXV e dynastie. Ils sont courants parmi les scarabées de Naukratis : Petrie 1888, pl. 37, n os 61-78. 5 Dans un contexte de la XXII e dynastie à Ellahun : Petrie 1923, pl. L .


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scarabée en stéatite glaçurée au nom de Khéops [cat. 7–30] de Basse Époque. Les incrustations délicates, aujourd’hui décolorées ?, aux noms du roi Nékao de la XXVI e dynastie [cat. 23], sont les vestiges d’un mobilier disparu de qualité, sans

doute un cadeau diplomatique. Les faïences décrites plus loin sont bien représentées dans l’île, voire dans d’autres sites archéologiques de Méditerranée 6 datant de la même époque, mais quasiment pas en Égypte, Naukratis exceptée. Dans cette cité portuaire concédée à des Grecs, les fouilleurs ont exhumé des figurines, soit de personnages nus, soit de musiciens, parfois accompagnées d’animaux, des faucons, ressemblant à ceux de Rhodes mais distincts par certains côtés 7 [cat. 136 et 137]. Plutôt qu’une quelconque influ ence égyptienne, on peut y voir l’empreinte de la statuaire votive chypriote [cat. 44, 45 et 46]. Attestés sur les deux sites aussi, mais différents quoique proches, les scarabées. William M. Petrie a découvert à Naukratis les indices sûrs d’une fabrique de scarabées (moules, pâte) 8 . Certains motifs comme les lions ou les bouquetins associés à un disque (l’association animal passant et rosette ?, comme sur les céramiques orientalisantes) les rapprochent de scarabées de Rhodes, ainsi que de ceux d’autres sites grecs. Les différentes productions pourraient être identifiées grâce à la couleur de leurs glaçures, plutôt jaunes à Naukratis, bleues à Rhodes, et bientôt grâce aux résultats des analyses 9 .

6 Les deux ouvrages de référence sur les faïences en Méditerranée sont Webb 1978 et Skon-Jedele 1994. 7 Communication orale d’Aurélia Masson, Project Curator, British Museum : « Naukratis, the Greeks in Egypt ». La mise en ligne prochaine des faïences de ces séries, ainsi que la collaboration entre le British Museum Laboratory (Andrew Meek) et le C 2 RMF (Anne Bouquillon et Patrice Lehuédé) pour l’analyse d’objets de Naukratis de Londres et d’Oxford, en mars 2014, permettront de nouvelles avancées sur ces questions. 8 Petrie 1888, p. 36-38, pl. 2, 37-38. 9 Voir supra, note 7. 10 Les boucles sont dites abusivement « hathoriques », et demeurent au Proche-Orient des attributs virils, selon Bouillon [à paraître]. 11 Londres, British Museum, EA 1939, 0324.105.a = EA 65242, acheté en 1939. 12 Il convient de distinguer des types différents de glaçure monochrome selon les analyses : le type Rhodes 14646, et le type Louvre, AGER , NIII 2409, de style plastique différent. Ce qui est confirmé par l’analyse de la glaçure de Louvre, AGER, NIII 2409 (communication orale d’Anne Bouquillon, C 2 RMF ). 13 Les analyses des pâtes sur celles de Naukratis pourront peut-être déterminer au moins un lieu, en relation avec la fabrique de scarabées, voir supra, note 7. Cependant, les analyses des gourdes du Louvre (au C 2 RMF , en cours) ont démontré dans un premier temps l’hétéro généité de ce groupe, sur le plan des glaçures. Un grand programme d’analyses des faïences tardives du Louvre est en cours depuis 2005, piloté par Anne Bouquillon ( C 2 RMF ) et Geneviève Pierrat-Bonnefois (Louvre, AE ). Il concerne les faïences du I er millénaire conservées dans les départements d’antiquités du Louvre. 14 Deux exemples célèbres : les situles au nom du pharaon Bocchoris, vers 710 avant J .- C ., découvertes à Tarquinia et à Motya ; voir Ridgway 1999, fig. 1b.

des fabrications rhodiennes ? Ialysos se distingue par une grande quantité de scarabées en « bleu égyptien », une pâte homogène sans glaçure [cat. 27]. Il semble qu’à certains sanctuaires du monde grec aient été associées des fabriques de scarabées de faïence ou de « bleu », en dehors de toute ingérence égyptienne, en dépit de l’usage répété de signes hiéroglyphiques. De même, les types qui suivent ne sont manifestement pas liés à l’Égypte, Naukratis comprise. Les plus communs sont les vases qui empruntent la forme de personnages assis, singe ou homme barbu, personnage indéterminé à la coiffure à boucles 10 , présentant une jarre bouchée par une grenouille [cat. 139], un type largement diffusé (à Samos, Perachora, Carthage, en Étrurie, à Chypre, etc.) (fig. 41). Ce n’est sans doute pas un hasard si le Bès [cat. 30 et fig. 42] partage la physionomie peu amène, la bouche close, la barbe courte et ronde, les oreilles et les narines percées, d’un vase en forme de Bès assis présentant une jarre 11 (fig. 40), une formule peutêtre rhodienne. De conception voisine sont les vases en forme de femmes à genoux, leur enfant dans un sac à dos, tenant devant elles un bouquetin, une offrande fréquente sur les statues chypriotes. Les aryballes sphériques au corps strié ou quadrillé [cat. 144], comme nombre d’aryballes plastiques de Rhodes, présentent une palette chromatique jaune/bleu, ou deux bleus d’intensité différente, rehaussés de points noirs. Ce même jeu de couleurs est employé sur les vases aux personnages assis à la jarre, sur certaines femmes avec bouquetin 12 , ainsi que sur les petits vases à décor gravé décrits plus bas. rhodes, terre d’échanges

90

fig. 40


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iii

les ateliers locaux

L’orfèvrerie rhodienne orientalisante

Découverts à Camiros dès le printemps 1859 1 , les bijoux rhodiens s’imposèrent

maryse blet-lemarquand, anne coulié,

d’emblée comme des trouvailles exceptionnelles et furent rapidement mentionnés

christian mazet, dominique robcis

2

dans les publications . Pendant longtemps, leur étude a été reléguée aux catalogues de collections des musées et aux manuels généraux sur l’orfèvrerie antique 3 . L’ouvrage de Robert Laffineur, publié en 1978, reste à ce jour la monographie de référence sur le sujet 4 . Son corpus recense près de deux cent cinquante objets, comprenant des diadèmes, des boucles d’oreilles, des bagues, des bracelets, des colliers, des pendentifs et des plaquettes à figures, qui présentent un répertoire orientalisant riche en figures hybrides 5 . C’est sur cette dernière catégorie, la plus importante et la plus emblématique de la production, que nous concentrerons cette étude 6 qui privilégie l’approche technique, peu abordée par R. Laffineur 7 , mais bien représentée par Gérard Nicolini, auquel nous empruntons le vocabulaire et la méthode 8 . De nouvelles découvertes archéologiques et l’avancée des investigations scientifiques sur les objets antiques permettent de renouveler la réflexion sur les techniques de fabrication, la question des ateliers et les contextes d’utilisation des bijoux rhodiens.

de la feuille au produit fini : les étapes du travail On retrouve dans la production rhodienne les grandes techniques caractéristiques de l’orfèvrerie antique 9 , notamment la prédominance de la plaque et du fil, alors que les procédés de fonte à la cire perdue, pourtant bien connus des artisans du bronze, ne semblent guère utilisés que pour la fabrication des matrices indispensables à la confection de pièces en volume, telles que les protomés et animaux en ronde bosse [cat. 6–2 et 121]. Puisque les techniques de feuilles et de fils exigent moins de métal que la fonte, le facteur économique a souvent été évoqué, mais il convient de nuancer au vu d’une évolution générale selon laquelle la bijouterie, plus lourde à l’âge 93

1 Voir p. 30-34 du présent ouvrage. 2 Salzmann 1861, p. 471-472 ; Bertrand 1862, p. 268. 3 Fontenay 1887 ; Marshall 1911 ; Pottier 1915 ; Becatti 1955 ; Coche de la Ferté 1956 ; Higgins 1961 ; Greifenhagen 1970. 4 Laffineur 1978 ; Laffineur 1980a ; Laffineur 1980b. Depuis cette étude fondamentale, certains bijoux continuent d’être sporadiquement cités dans des catalogues de musées ou d’expositions : Paris 1979 ; New York 1979-1980 ; Deppert-Lippitz 1985 ; Musti 1992. 5 Sphinx, griffons, centaures maîtrisant des quadrupèdes, maîtresse des animaux ailée, femmes-abeilles, figure ailée les mains à la poitrine ou les avant-bras levés. On note aussi quelques figures féminines aptères et de nombreux visages de face. 6 Cette contribution, qui porte essentiellement sur les bijoux du Louvre, sera complétée par un article plus important : Blet-Lemarquand, Coulié et al. [à paraître]. 7 Laffineur 1978. 8 Nicolini 1990 ; Nicolini 2010. 9 Sur les techniques de l’orfèvrerie antique, voir Nicolini 1990.


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du bronze, devient plus légère en Grèce au I er millénaire, une évolution également visible en Égypte à l’époque hellénistique. L’orfèvrerie rhodienne, comme celle des Étrusques, insiste sur la finesse des éléments décoratifs et donc sur la virtuosité technique. Les œuvres sont en effet techniquement complexes. Ainsi, la rosette au griffon du Louvre [cat. 121] est constituée de plus de soixante-dix éléments, tandis que les pendentifs [cat. 6–1 et 6–2] en comptent respectivement plus de cent et de cent cinquante 10 . Les techniques d’assemblage mises en œuvre reposent essentiellement sur le procédé de soudure par diffusion au sel de cuivre. Le recours aux brasures est très rare, et semble cantonné aux seuls domaines des réparations d’usage [cat. 111–1] ou des remaniements [cat. 6–1 et 6–2]. Des examens précis en microscopie optique 3D ont permis de retrouver des traces d’outils et de détailler les étapes de la fabrication. Des feuilles ont tout d’abord été obtenues par martelage et planage, jusqu’à atteindre une épaisseur de 100 à 200 µm 11 . Elles ont dû être portées à haute température (de l’ordre de 600 à 700 ° C ), afin d’acquérir la malléabilité indispensable aux étapes suivantes du travail. Un tracé à la pointe-mousse, encore clairement visible (fig. 43), situe les emplacements des plaquettes sur la feuille en tenant compte des tubes de suspension, et délimite la disposition des principaux éléments du décor, tels que les bandes torsadées de l’encadrement. On note d’ailleurs que ces tracés sont sommaires et que le décor final ne suit qu’approximativement les lignes initiales. La feuille a ensuite été positionnée sur un matériau malléable (cire, bitume, cuir, etc.) susceptible d’absorber les déformations plastiques. On envisage alors la phase principale de réalisation du décor, en plusieurs étapes. L’élément central, le centaure [cat. 113] ou la figure féminine [cat. 109 à 112], a été exécuté à l’aide d’un poinçon 12 en relief, qui a été frappé sur le revers de la feuille. En effet, la présence d’arêtes vives et d’un décor extrêmement net au revers désigne la surface en contact avec l’outil, qu’il faut donc restituer en relief et non en creux, comme cela avait été avancé 13 . En revanche, sur l’avers, surface en

fig. 43 Tracés préparatoires délimitant l’emplacement des principaux éléments de composition du décor [cat. 111-1]. fig. 44 Détail d’une fleur au revers de la plaque [cat. 111-2].

contact avec le matériau malléable, le modelé est souple, avec un passage insensible d’un plan à l’autre, comme l’avait d’ailleurs noté R. Laffineur sans l’interpréter 14 . Les éléments secondaires du décor (oves, perles ou fleurs) ont été obtenus à l’aide de ciselets frappés au revers. L’examen des fleurs des plaquettes [cat. 111–1 à 111–4] permet même de préciser l’ordre d’exécution des motifs. La frappe du cœur à l’aide d’une bouterolle a précédé celle des pétales, qui a nécessité un ciselet de forme allongée : on remarque la déformation du cercle du cœur, liée à la frappe ultérieure des pétales (fig. 44). Le nombre et la disposition des pétales diffèrent selon les fleurs, ce qui confirme l’utilisation répétée d’un même ciselet et non d’un poinçon portant le décor complet. Pour les cordées d’encadrement, on a également procédé en frappant des éléments allongés, d’une taille supérieure à celle des plaquettes. R. Laffineur et G. Nicolini pensent à des fils ouvragés, mais on peut également imaginer qu’il s’agissait d’outils à motif cordé très large. On constate que ces encadrements se croisent et se poursuivent au-delà dans les extrémités, jusqu’au bord de la plaque, ce qui indique que les ateliers locaux

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10 Les granulations ne sont pas comptées et les chaînettes juste pour une unité. 11 L’épaisseur importante des feuilles utilisées à Rhodes avait déjà été notée : Nicolini 1990, p. 84, n. 102. 12 Nicolini 1990, pl. 218 b. 13 Laffineur 1978, p. 23-26. 14 Laffineur 1978, p. 15. 15 Cowell, Hyne et al. 1998 ; Cowell et Hyne 2000. 16 De manière générale, voir Nicolini 1990. Pour les ors phéniciens de Gadir, OrtegaFeliu, Gómez-Tubío et al. 2007, p. 332 ; Perea et Hunt-Ortiz 2009, p. 162. D’Alicante : Perea et Garcià 2010. Pour Chypre, Guerra et Rehren 2009, p. 154 ; Flourentzos et Vitobello 2009, p. 148, fig. 6. 17 Melcher, Schreiner et al. 2009. 18 Elle peut toutefois s’expliquer par les fortes teneurs en argent.


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La faïence et le verre fig. 50

Le verre et la faïence sont connus à Rhodes dès la période du Bronze récent, surtout à partir des

xiv e -xiii e

pavlos triantafyllidis

siècles avant J .- C . Des vases précieux en verre façonnés sur

noyau, des plaquettes et des perles de colliers et de diadèmes, de formes diverses, en verre [cat. 8–5] ou en faïence moulée, ont été découverts dans des tombes mycéniennes : celles des nécropoles de Ialysos et de Camiros 1 , ainsi que celles de sites du sud de l’île, comme Pylona, Gennadi, Apsaktiras et Passia, près de Vati 2 . La plupart de ces objets en verre semblent provenir d’un atelier égéen, exception faite de quelques vases d’importation égyptienne. L’existence d’un travail du verre à Rhodes au xiii e siècle avant J .- C ., à l’origine d’une production de perles plates de colliers et de diadèmes, coulées dans des moules et souvent recouvertes d’or (fig. 50), est attestée par les récentes trouvailles issues des fouilles effectuées sur le site d’habitation mycénien de Trianda 3 , parmi lesquelles se trouvaient des moules de stéatite et des rebuts de verre (fig. 51) possédant des composantes chimiques proches de celles du verre de Mésopotamie 4 . Avec la chute des centres mycéniens au xii e siècle et les troubles politiques qui s’ensuivirent jusqu’au ix e siècle, le travail du verre à Rhodes, comme dans l’ensemble de l’espace helladique, décline. Contrairement à ce qui s’est produit en Eubée 5 , où le développement de l’île a donné une impulsion nouvelle à la diffusion de la faïence aux x e et ix e siècles avant J .- C ., c’est surtout aux viii e et vii e siècles que le travail du verre et de la faïence connaît son plein essor à Rhodes 6 . Des marchands orientaux, parmi lesquels des Phéniciens, et des artisans mésopotamiens et égyptiens s’installent en Égée et probablement à Rhodes, où ils multiplient les échanges avec la population locale. Parallèlement, grâce à la situation géographique de Rhodes sur les routes maritimes commerciales en direction de l’Occident et de la Méditerranée sudorientale, les marchands rhodiens ainsi que les artisans itinérants découvrent les réussites techniques obtenues avec les matières exotiques apparentées au verre, dont le travail se développe alors en Égypte, en Syrie du Nord et en Mésopotamie. les ateliers locaux

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1 Triantafyllidis 2002a, p. 22-24 ; Triantafyllidis 2002b, p. 41-43 ; Triantafyllidis 2008c, p. 296, fig. 3-4. 2 Triantafyllidis 2002a, p. 23 ; Triantafyllidis et Karatasios 2012, p. 25-27, fig. 1-4 ; Triantafyllidis 2012b, p. 453-456, fig. 2-4 (avec bibliographie). 3 Sur le travail du verre à Rhodes à l’époque mycénienne et la présence de rebuts en verre témoignant de l’existence d’un atelier mycénien de verrerie, voir Triantafyllidis et Karatasios 2012, p. 27-32, fig. 5-8. 4 Karatasios et Triantafyllidis 2014. 5 Par Levkandi, voir Nightingale 2007, p. 423-424. 6 Triantafyllidis 2006, p. 257. 7 Triantafyllidis 2002a, 24-26 ; Nenna 2012, p. 61. 8 Bernardini 2006, p. 74-75, pl. XVII , XXVIII ; Triantafyllidis 2006, p. 257. 9 Triantafyllidis 2002a, p. 25 ; Triantafyllidis 2002b, p. 42-43 ; Triantafyllidis 2009, p. 34-36, fig. 10a-10b.


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fig. 50 Trois perles en verre bleu, décorées de motifs à trois feuilles en relief, chacune recouverte d’une rosette et d’un disque en or Découvertes à Rhodes, Ialysos, tombe 31/29 Helladique récent IIIA1-IIIA 2 h. 4,9 cm Fouilles italiennes, 1923-1924

Les objets de verre et de faïence sont surtout représentés à Rhodes par les trouvailles issues des fouilles des dépôts des grands sanctuaires de l’île 7 , comme ceux d’Athéna (à Ialysos, Lindos et Camiros), où ils servirent d’offrandes votives pendant une longue période, du début du viii e siècle jusqu’au v e siècle avant J .- C . Parmi les objets exotiques orientaux témoignant des liens que Rhodes a entretenus au viii e siècle avant J .- C . avec la Syrie du Nord, la Mésopotamie et la Phénicie, figure une série d’incrustations transparentes ou opaques recouvertes d’une feuille d’or, très rares dans l’espace helladique, qui ont été découvertes dans le dépôt d’offrandes votives de Ialysos (fig. 52), où elles avaient probablement le même usage que les incrustations d’ivoire et de verre que l’on rencontre sur certaines pièces de mobilier phénicien. On note également la présence de minuscules incrustations en verre opaque, exécutées selon la technique du cloisonnement, sur une pièce de mobilier

rhodes, musée archéologique, 3558

fig. 51 Rebut de verre Découvert dans l’habitat mycénien de Trianda xiv e -xiii e siècle avant J .- C . h. 2,6 ; l. 2,1 cm Fouilles grecques, 1984 rhodes, musée archéologique, y 937

fig. 52 Incrustations de verre recouvertes d’une feuille d’or Découvertes dans le dépôt votif du sanctuaire d’Athéna à Ialysos viii e -vii e siècle avant J .- C . h. 1,1 ; l. 1,1 cm Fouilles italiennes, 1923-1926 rhodes, musée archéologique, y 1019

en bronze, unique à ce jour, découverte dans le dépôt du sanctuaire de Camiros 8 . Il faut encore rattacher aux productions mésopotamiennes de vases précieux en verre façonnés sur noyau des viii e -vii e siècles avant J .- C . un groupe de huit alabastres polychromes provenant de Camiros (fig. 54) et de Ialysos, qui appartiennent à la sphère de l’atelier dit « rhodo-mésopotamien » 9 . Les productions de cet atelier, fondé par des verriers mésopotamiens installés à Rhodes, ont marqué de leur empreinte les alabastres méditerranéens de technique similaire qui apparaissent à Rhodes à la fin du vi e siècle avant J .- C . Les influences orientales sur la tradition rhodienne de verrerie et de faïence à Rhodes vers la fin du viii e siècle, mais surtout aux vii e et vi e siècles, transparaissent dans une série de perles de colliers transparentes ou opaques de formes diverses, et plus rarement dans des tessons de vases précieux. Parmi ces objets se distinguent de nombreuses (six mille) perles de verre transparentes, sphérique ou cylindriques, et, plus rarement, des perles opaques polychromes, en forme d’oiseaux, ou bien triangulaires et ornées d’un œil, des chatons de bagues gravés sertis d’argent, mais aussi des perles discoïdales ou biconiques en faïence. Il faut également rattacher à la production de verre monochrome le groupe de très rares tessons transparents de vases précieux du vii e siècle avant J .- C . d’origine assyrienne découverts à Camiros et à Vroulia. fig. 52

fig. 51

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La céramique rhodienne

la céramique à l’époque mycénienne

photeini zervaki

La céramique est, depuis le xix e siècle, notre seul moyen de reconstituer la structure de la société et les événements historiques marquants de l’île dans la seconde moitié du II e millénaire avant J .- C . Toutefois, l’étude des objets mis au jour est obérée par les problèmes liés au contexte de leur découverte : la majorité d’entre eux proviennent non pas d’habitats stratifiés, mais de tombes, qui plus est massivement pillées 1 . La typologie et la datation se fondent donc obligatoirement sur les critères stylistiques de la céramique établis pour la Grèce continentale 2 . Or, tout récemment, nos informations ont été considérablement enrichies par les fouilles de certains secteurs du site de Ialysos 3 , qui présentent des couches stratifiées de l’Helladique récent IBIIIB . La céramique de cette époque continue à être étudiée sur la base des contextes

funéraires et de critères stylistiques, grâce aux parallèles fournis par la céramique crétoise et par celle des sites stratifiés de la Grèce continentale. Ces dernières années, des analyses chimiques ont permis de mettre en lumière les caractéristiques locales de l’argile et d’évaluer le pourcentage de vases importés sur l’île, ainsi que leur provenance 4 , de préciser leur degré de conformité ou au contraire de résistance à la tradition existante, et d’établir la chronologie comparée de l’évolution des techniques en Grèce continentale, en Crète et en mer Égée orientale. De nombreux sites ont été identifiés sur l’île 5 , mais le seul site stratifié fouillé à ce jour est le site d’habitat de la côte nord-ouest de Ialysos, qui révèle, dès le Minoen moyen III , des éléments minoens nettement marqués. L’Helladique récent IB - IIA (soit le xv e siècle avant J .- C .) y est en droite continuité du Minoen récent IA , époque à laquelle Ialysos, comme d’autres sites de la mer Égée, était une escale sur le réseau maritime des Minoens, au style de vie desquels elle avait emprunté certains aspects. Les ateliers de potiers locaux produisent des vases vernis sans décor ou à décor monochrome, suivant la tradition de la mer Égée orientale et de l’Asie Mineure, avec des influences minoennes marquées en ce qui concerne le décor et la technique de cuisson. les ateliers locaux

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1 Sur les fouilles de Biliotti à Ialysos, voir Furtwängler et Loeschcke 1886 ; Forsdyke 1925. Sur les fouilles de la Mission archéologique italienne dans les nécropoles de Ialysos, voir Maiuri 1923-1924 ; Jacopi 1930-1931 ; Mee 1982. Sur les fouilles menées par Kinch dans les alentours de Lindos, voir Dietz 1984. 2 Furumark 1950 ; Mee 1982, p. 9-10 ; Benzi 1988b, p. 53. 3 Marketou 1988, p. 28 ; Marketou 1998b, p. 62 ; Karantzali 2005, p. 141-142. 4 Jones et Mee 1978 ; Jones et al. 1986 ; Karantzali et Ponting 2000 ; Marketou, Karantzali et al. 2006. 5 Hope Simpson et Lazenby 1973. 6 Karantzali 2005, p. 146 ; Karantzali 2009b, p. 355-356. 7 Marketou 1988, p. 31 ; Karantzali 2005, p. 146, pl. 26 ; Karageorghis et Marketou 2006. 8 Karantzali 2009b, p. 359-364. 9 Marketou 2004.


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C’est à cette période qu’on localise les premières importations de céramique mycénienne de la Grèce continentale 6 , ainsi que des importations en provenance de la Crète, de Cos et, en moindre nombre, de Chypre, de l’Asie Mineure et du littoral syropalestinien, tandis que les ateliers locaux imitent les modèles crétois et chypriotes 7 . Les quantités abondantes de vases importés de l’Argolide datés de l’Helladique récent IIIA 1-2 (fin xv e – xiv e siècle avant J .- C .) sont dues au fait que Ialysos était à cette période l’escale la plus importante du réseau commercial des Mycéniens vers Chypre et la Syro-Palestine. Cette céramique importée représente la quasi-totalité des vases funéraires : vaisselle de banquet [cat. 77 et 78], et, en proportion moindre, vases à destination rituelle [cat. 9–1 et 76, et fig. 36] et vases de transport [cat. 8–2 et 75], probablement importés pour leur contenu. De même, certains modèles rhodomycéniens, comme les vases à trois pieds en forme de corbeilles [cat. 160 à 162, et fig. 56], les encensoirs et les askoi en forme d’animaux ou d’oiseaux, ne se rencontrent qu’en contexte funéraire. Les ateliers de potiers resteront en activité tant que Ialysos sera habité, de l’Helladique récent IIIA 1 à IIIB 1 8 (fin xv e – 1 re moitié du xiii e siècle avant J .- C .). Des vases sans décor en argile locale ont été trouvés in situ, à l’intérieur d’un four de potier, au sud-est du site d’habitat 9 . En ce qui concerne la céramique à usage domestique, en revanche, celle d’origine locale est beaucoup plus abondante à Ialysos que la céramique importée, et elle conserve son ancien caractère, qui évoque plutôt le

fig. 56 Vase tripode et encensoir Helladique récent IIIA 2 argile h. 31 et 12,3 ; d. du rebord 8 et 7,8 ; l. max. 19 cm Collection Akavi et fouilles Maiuri 1923-1924 à Ialysos (tombe 23) rhodes, musée archéologique,

Π

19779 et 3053

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12 Elpida Skerlou fait actuellement sa thèse sur Cos à l’époque archaïque. 13 Filimonos-Tsopotou 2011. 14 Villing et Mommsen [à paraître] (British Museum, GR 1864,1007.1349 ; GR 1864,1007.1582 ; GR 1860,0404.9) ; CVA British Museum 11, p. 58, n os 190-191, pl. 59, 194. 15 Villing et Mommsen [à paraître].

Ce type de plat est attesté dans le matériel de Cos en cours de publication 12 . D’autres cités doriennes ont pu participer à la production de ces plats à segments, comme Nisyros 13 ou encore Rhodes, de façon marginale, ainsi qu’en témoigne un exemplaire d’un style très particulier attribué à une production locale [cat. 186], qui relève du même groupe chimique que des céramiques rhodiennes géométriques 14 (fig. 65). Les analyses d’argile ont permis d’associer également des terres cuites du v e siècle, dont une protomé (fig. 64), à un échantillon d’argile de la ville de Rhodes 15 .

fig. 64 Protomé féminine vers 450 avant J .- C . terre cuite h. max 26,5 cm Fouilles Biliotti, acquis en 1885 londres, the british museum, gr 1885,1213.41

fig. 65 Cratère 730-710 avant J .- C . argile h. 31,8 cm Fouilles Salzmann et Biliotti à Camiros, acquis en 1860 fig. 64

londres, the british museum, gr 1860,0404.9

les ateliers locaux

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fig. 65 la cĂŠramique rhodienne

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