RÉTROSPECTIVE
RIK WOUTERS
< Couverture : cat. 62, détail
Dame en bleu devant une glace
Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’Art Directeur éditorial : Nicolas Neumann Responsable éditoriale : Stéphanie Méséguer Coordination et suivi éditorial : Mathilde Senoble Conception graphique : T’ink, Bruxelles Traduction du néerlandais vers le français : Anne-Laure Vignaux Contribution éditoriale : Claude Fagne Fabrication : Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros
Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique Coordination générale du catalogue : Laurent Germeau, assisté de Lola Vandenbussche Auteurs : Olivier Bertrand, Stefaan Hautekeete, Frederik Leen, Inga Rossi-Schrimpf, Herwig Todts, Francisca Vandepitte Catalogue des œuvres : Sophie Van Vliet
© Somogy éditions d’Art, Paris, 2017 © Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, 2017
ISBN 978-2-7572-1280-6 Dépôt légal : mars 2017 Imprimé en Union européenne
Photogravure : Quat’Coul, Toulouse Cet ouvrage a été achevé d’imprimer par Leporello en février 2017
Les légendes apparaissant dans la partie catalogue reprennent les formulations fournies par les institutions prêteuses, qui sont parfois différentes des titres utilisés dans le catalogue raisonné de Rik Wouters (Bertrand 1995). Les numéros du catalogue raisonné sont indiqués par les initiales C.R. dans les légendes et les notes.
RIK WOUTERS RÃ&#x2030;TROSPECTIVE
< cat. 56, détail
Rik à la blouse bleue
table des matières Préface
7
Michel Draguet
9
Manfred Sellink
Une douce avant-garde 13
I n statu nascendi. L’œuvre en devenir et la vie inachevée de Rik Wouters Frederik Leen
Peintures
33 Rik Wouters, peintre de la couleur et de la lumière Stefaan Hautekeete
Œuvres sur papier
129 Ligne, forme et couleur. Introduction à une sélection d’œuvres sur papier Inga Rossi-Schrimpf
Sculptures
203 La sculpture impressionniste de Rik Wouters, à l’aube d’une nouvelle époque Francisca Vandepitte
Wouters et le monde de l'art
253 Entrer dans le canon de l’art. La réception de l’œuvre de Rik Wouters
267 Rik Wouters et Georges Giroux : l’artiste et le galeriste
Herwig Todts
Olivier Bertrand
Annexes
279 Biographie, Olivier Bertrand
293 Bibliographie
298 Index
<
cat. 36, détail
La Dame au collier jaune
Préface MICHEL DRAGUET Directeur général Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique
Après Ensor, Khnopff, Spilliaert, Magritte, Delvaux ou Alechinsky, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique poursuivent leur exploration monographique des phares de l’art belge moderne et contemporain. Plus d’un siècle après la mort de l’artiste, les peintures de Rik Wouters ont conservé cette sensation hédoniste qui traduit la force de son amour pour Nel. Pour ce modèle permanent qui donna sens à une vie en même temps qu’à son œuvre. Cette quête se transforma rapidement en obsession. Comme si l’homme qui se tenait derrière le peintre avait très vite ressenti la brièveté de la trajectoire qui allait être la sienne. Fulgurance de l’existence que prolonge celle du geste. Assomption de l’inachevé qui met en abîme une vie trop brève. L’urgence du bonheur que traduit la peinture de Wouters va au-delà de l’anecdote biographique. Elle participe d’une esthétique générale qui se révèle singulière au sein des avant-gardes historiques. Assignant à la couleur une valeur expressive dégagée de la seule notation impressionniste, Wouters contribue à un mouvement général d’émancipation de la représentation inféodée à l’observation. Ainsi, lorsqu’il peint La Dame en bleu, il lie l’assomption jubilatoire de l’instant amoureux à l’atomisation de la représentation. De là son goût pour le motif du tableau dans le tableau qui lui permet – sans devoir se frotter à la délicate question de la mort du sujet – de laisser sa peinture esquisser le terme même de sa recherche : paysage ou figure, l’image accrochée au mur et captée dans le reflet du miroir se dénoue en pur jeu plastique. La sensualité de cette abstraction n’interdit pas la rigueur formelle. Ainsi, derrière le visage de Nel, Wouters note le dialogue de deux formes pures, l’une rouge, l’autre bleue, sur un fond immaculé qui évoque – sans les connaître – les icônes suprématistes que Kasimir Malevitch n’a pas encore peintes. À cette présence immuable que magnifie la peinture, le visage de la femme répond en un instantané sensuel. À la rencontre de son propre visage fragmenté, elle décrit une trajectoire qui du corps à son reflet, esquisse un baiser. Promesse de fusion instantanée et d’effusion simultanée qui détermine l’ordre même de la peinture. Un acte d’amour et de joie.
Comme Matisse, Wouters fait de la lumière un vecteur hédoniste dégagé du prétexte scientifique du néo-impressionnisme. Érigée en geste, celle-ci ouvre de nouveaux horizons à la modernité. Marginalement de celle du XXe siècle qui, de l’abstraction déduira d’abord une acception conceptuelle vouée à la disparition de la peinture par la peinture elle-même : constructivisme, productivisme d’un côté ; minimal et conceptuel de l’autre. Peut-être Wouters esquisse-t-il davantage une modernité qui marquera notre siècle actuel. Modernité de l’après radicalisme qui liant plaisir et désir ouvrira d’autres horizons. Qui sait si la présente exposition qui associe les équipes des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique à celles du Koninklijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen n’y contribuera pas de manière décisive. Les quelque deux cent œuvres réunies ici – dont certaines jamais montrées – témoignent de la richesse de l’œuvre de Wouters en même temps que celle du patrimoine conservé dans nos musées belges. Leur mise en récit sous la forme double d’une exposition et d’un catalogue est le fruit d’une collaboration étroite entre nos deux institutions. À une époque si propice aux divisions et aux exclusions, nous nous réjouissons de voir nos équipes travailler de concert pour offrir au public belge et international cette ode à l’intimité partagée qui rend compte aussi de la valeur d’un artiste qui, jusqu’à aujourd’hui, a surtout bénéficié d’une gloire nationale. La présente exposition entend montrer la qualité de son œuvre et l’intégrité d’une démarche qui, tout en jouant avec les codes d’une modernité désormais instrumentée en avant-garde, est parvenue à exposer les valeurs d’une personnalité singulière. Un moment de joie dans la grisaille d’un monde sans utopie. Un monde trop loin du simple bonheur et de ses couleurs.
7
<
cat. 46, détail
Femme lisant
Préface Prof. Dr. MANFRED SELLINK Directeur principal – conservateur en chef Koninklijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen
Il n’est guère habituel de voir les deux plus grands musées des beauxarts belges unir leurs forces dans un projet commun. Même si les contacts mutuels entre directions et équipes scientifiques ont toujours été excellents, il faut remonter à 1992 et à L’Avant-garde en Belgique (1917–1929) pour trouver une exposition organisée conjointement par les deux institutions. C’était il y a (trop) longtemps… Cette rétrospective de l’œuvre de Rik Wouters permet de faire apparaître de manière éclatante le bénéfice à tirer de la mise en commun des collections, des recherches et de l’expertise de deux musées de stature européenne. Ensemble, les deux institutions possèdent un fonds exceptionnel de cet artiste – l’un des principaux talents (inter) nationaux de sa génération – qu’une mort prématurée a empêché de tenir pleinement ses promesses. Wouters a néanmoins acquis une réputation presque mythique en Belgique et plus particulièrement en Flandre, où il reste aujourd’hui encore l’un des artistes préférés du public. Et à juste titre. Les deux musées peuvent se targuer l’un et l’autre d’une longue tradition de recherche, et donc d’une grande expertise, sur l’art belge du XXe siècle. La demande émanant des Musées royaux des BeauxArts de Belgique de mettre sur pied une rétrospective commune consacrée à Rik Wouters ne pouvait mieux tomber pour le Koninklijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen. Le musée anversois est en effet provisoirement fermé dans l’attente d’un espace neuf et entièrement rénové, qui ouvrira ses portes au public à l’automne 2019. Notre collection est donc plus que jamais disponible pour des projets d’envergure et scientifiquement significatifs. Ces deux dernières années, Rik Wouters a été au centre d’une activité singulière. Notre musée a organisé trois expositions avec des établissements partenaires belges et étrangers : Kleur ontketend. Moderne kunst in de Lage Landen (1885–1914) (Gemeentemuseum, La Haye, du 3 octobre 2015 au 3 janvier 2016), Zot geweld / Dwaze maagd (Hof van Busleyden à Malines, du 26 août au 11 décembre 2016) et Rik Wouters & l’utopie privée (MoMu, à Anvers, du 17 septembre 2016 au 26 février 2017). Dans ce cadre, tant le contexte artistique et culturel historique que la surprenante actualité de l’art de Wouters ont été étudiés et éclairés d’un jour nouveau. Fait remarquable, l’exposition de La Haye a réussi à (re)présenter Rik Wouters à un large public néerlandais en tant que maître incontestable. Enfin, l’ensemble de ces manifestations – et a fortiori la rétrospective bruxelloise – sont essentielles à nos yeux
car elles nous permettent de réfléchir à la future mise en valeur de nos collections au sein des bâtiments rénovés. Il est d’ores et déjà établi que Rik Wouters est appelé à devenir, aux côtés de James Ensor, l’un des points d’ancrage de notre fonds du XXe siècle. La collection d’œuvres de Wouters rassemblée par le Koninklijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen n’est pas seulement importante, elle est aussi particulièrement étendue : vingt-six toiles, dix-neuf sculptures et pas moins de soixante-trois dessins et aquarelles. Très rapidement après le décès de Wouters et la fin de la Première Guerre mondiale, le musée a commencé à collectionner activement ses œuvres. Pratiquement tous les conservateurs en chef ont ajouté des pièces à l’ensemble : Paul Buschmann, Arthur Cornette, Ary Delen (ami de l’artiste), Walther Vanbeselaere, sans oublier Lydia Schoonbaert. Mes prédécesseurs ont ainsi pu obtenir des dons et des legs auprès d’amateurs et de collectionneurs du cercle artistique anversois Kunst van Heden (1905–1950), en l’occurrence Frans et Charles Franck, ainsi qu’Enrique Mistler. Plus tard, en 1989, l’importante donation du baron Ludo Van Bogaert-Sheid (Sheid étant le nom de son épouse) a représenté un jalon essentiel ; elle comprenait entre autres treize toiles, dont des œuvres emblématiques comme Le Ravin A et l’Autoportrait au bandeau noir. Le Koninklijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen se réjouit de cette collaboration. Au nom de la direction et de l’ensemble de mes collaborateurs, je souhaite remercier et féliciter chaleureusement Michel Draguet et son personnel. Je remercie tout spécialement Frederik Leen et Herwig Todts, qui ont respectivement assuré la direction scientifique du projet à Bruxelles et à Anvers. Mais, bien entendu, d’innombrables personnes ont été impliquées au sein des deux musées : je tiens à leur adresser à chacune un immense merci. Les prêteurs privés et institutionnels qui ont accepté d’enrichir temporairement nos collections de leurs œuvres si précieuses méritent également de chaleureux remerciements. Le Koninklijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen espère que cette collaboration est annonciatrice d’autres projets qui permettront au patrimoine artistique et aux possessions muséales de nos deux institutions d’être mieux étudiés et mis en valeur. Notre public a tout à y gagner.
9
Une douce avant-garde
U N E D O U C E AVA N T- G A R D E <
cat. 26, détail
La Repasseuse
In statu nascendi
L’œuvre en devenir et la vie inachevée de Rik Wouters
FREDERIK LEEN
« Car l’expérience nous apprend que toutes les choses qui sont vues de loin, qu’il s’agisse de peintures, de sculptures ou de tout autre élément semblable, expriment une fierté et une force plus grandes si elles se limitent à une belle esquisse que si elles sont finies ». Giorgio Vasari, 1550 1
Une avant-garde en douceur En mars 1914, Sander Pierron écrit à propos de Rik Wouters dans L’Indépendance belge : « Il change sans cesse de motif et d’outil, lâchant une peinture à peine esquissée pour entreprendre une sculpture, qu’il laissera à l’état d’ébauche pour se mettre à graver une eau-forte »2. En dépit des remarques piquantes qui ponctuent son texte, Pierron, un observateur alerte et critique de l’art de son temps, est bien disposé vis-à-vis de Wouters. Malgré ces propos, son article reste l’une des synthèses contemporaines les mieux documentées sur le travail de Wouters. Hormis les flèches décochées en douce à James Ensor, Jean-Louis Forain, Paul Cézanne, Édouard Vuillard, Vincent Van Gogh et Paul Gauguin – dans une seule et même phrase ! – Pierron se concentre en réalité sur les qualités intrinsèques de l’art de Wouters.
1
Vasari 1998, p. 74. Trad. française : Giovanni Previtali, La Fortune des primitifs : de Vasari aux néoclassiques, trad. M. Guglielmi-Peretti, Gérard Monfort, 1997, p. 31.
2
Pierron 1914, p. 3, repris en traduction dans Bertrand 2000, p. 326.
13
Peintures
PEINTURES <
cat. 23, détail
Femme dans un intérieur [Intérieur A]
Rik Wouters, peintre de la couleur et de la lumière*
S T E FA A N H AU T E K E E T E
Un siècle après sa mort, la plupart des aspects de l’œuvre de Rik Wouters ont été traités dans quantité de publications. Ces dernières années, Olivier Bertrand, Kurt De Boodt et Eric Min ont encore mis en lumière de nombreux détails biographiques1. Néanmoins, une série de questions resteront à jamais ouvertes. Pourquoi, par exemple, Wouters suit-il aux académies de Malines (de 1897 à 1901) et de Bruxelles (de 1900 à 1905) des cours de sculpture, mais pratiquement pas de peinture, une forme artistique qui le fascine pourtant tout autant et qui constitue le thème principal de cet article ? À 17 ans, Wouters apprend le « dessin d’après modèle vivant » auprès du directeur de l’académie de Malines, Jan Willem Rosier. Peintre lui-même, Rosier laissait toute liberté à ses étudiants aussi bien pour peindre que dessiner. Peut-être donne-t-il également à ses élèves quelques conseils techniques généraux. Portrait d’homme (1899– 1902, cat. 3) et Kobe de Malines (1899–1902, cat. 2) sont des études de têtes prometteuses, que Wouters réalise durant cette période. D’une facture traditionnelle, elles témoignent déjà d’un certain talent. Kobe est alors un vagabond malinois bien connu qui pose pour des artistes locaux, dont le sculpteur Théo Blickx, de sept ans l’aîné de Wouters. Le père de ce dernier, un fabricant de meubles qui a accueilli Blickx dans son atelier, lui demande d’épauler son fils pendant ses études à l’académie. Rik se rend volontiers dans l’atelier de Blickx pour
* Cet article s’inspire en grande partie de mon ouvrage Rik Wouters. Développement et portée de son œuvre peint, Anvers, 1997, dans lequel tous les aspects de l’œuvre pictural de Wouters sont traités plus en détail. Les dates reprises dans cette contribution sont issues de ce même livre, elles diffèrent parfois des dates indiquées dans les légendes du présent ouvrage. 1
Voir Bibliographie, pp. 293-297.
33
Ĺ&#x2019;uvres sur papier
ŒU V R ES S U R PA P IER <
cat. 109, détail
Cavalcade sur le Hoogbrug à Malines
Ligne, forme et couleur. Introduction à une sélection d’œuvres sur papier
INGA ROSSISCHRIMPF
Et si l’on considérait le peintre et sculpteur Rik Wouters comme un dessinateur et un aquarelliste à part entière ?1 Au moment où Wouters entame sa carrière, l’expérimentation artistique sur papier par le biais de techniques sèches ou humides a cessé d’être subordonnée à la pratique picturale ou sculpturale. Dès le XIXe siècle, le dessin et la gravure ont subi des changements qui ont progressivement estompé les frontières entre peinture et arts graphiques. La perception traditionnelle qui fait du dessin un simple travail préparatoire et, de la gravure, un art essentiellement de reproduction est de moins en moins acceptée. Vers 1900, certains grands noms de l’art belge travaillent principalement, ou au moins essentiellement, « sur papier ». Il suffit d’évoquer Félicien Rops, Fernand Khnopff, Jean Delville, William Degouve de Nuncques ou, un peu plus tard, Léon Spilliaert. La carrière internationale de James Ensor, un autre peintre souvent associé à Wouters, a même démarré grâce à la diffusion en Europe de ses nombreuses estampes. À partir de la fin du XIXe siècle, le dessin et la gravure s’imposent en tant que formes d’art autonomes et trouvent leur place dans des expositions nationales et internationales. Ils s’immiscent dans les galeries, les collections privées et les institutions publiques ne tardent pas à en acquérir pour enrichir leurs collections. Il n’est donc guère surprenant que, dès 1906, l’œuvre de Rik Wouters comprenne, à côté des études et des dessins purement préparatoires, des œuvres sur papier mises sur un même pied que les peintures, par exemple des pastels (cat. 74). Par ses choix techniques et esthétiques, Wouters se rallie à ses prédécesseurs belges, avant de ranger le pastel pour quelques années pour se consacrer principalement à la plume et au fusain.
1
Rik Wouters a réalisé d’innombrables dessins, aquarelles, pastels et eaux-fortes. Son œuvre est pourtant généralement abordé comme celui d’un peintre et/ou d’un sculpteur. Voir à ce sujet la bibliographie, pp. 293-297.
129
Sculptures
SCULPTURES <
cat. 191, détail
Femme au soleil
La sculpture impressionniste de Rik Wouters, à l’aube d’une nouvelle époque
FR A N C IS C A VA N D E PI T T E
Dans l’épilogue de sa contribution à Lust for Life, Herwig Todts analyse avec prudence une thèse tombée dans l’oubli et selon laquelle Rik Wouters plutôt qu’avoir été à l’origine d’un développement artistique majeur et de longue durée aurait plutôt été à son terme1. L’œuvre vivifiant de ce doux avant-gardiste serait en réalité bien davantage un couronnement de l’impressionnisme du XIXe siècle que l’impulsion rafraîchissante, innovante, d’un art plastique belge spécifique né à l’aube du XXe siècle et auquel il doit son renom. Dans cet article, nous proposons une analyse critique de l’œuvre sculpté de Wouters en le confrontant au contexte socioculturel dominant des deux décennies qui ont précédé la Première Guerre mondiale. Notre objectif sera de mieux cerner sa signification historique, mais aussi d’éclairer plus finement, à partir de la théorie de l’art, la relation complexe entre sa peinture et sa sculpture.
1
Todts dans Malines-Anvers 2016–2017, p. 81.
203
SCULPTURES
211
SCULPTURES
fig. 33
Émile-Antoine Bourdelle, Pénélope Pénélope,, 1907, bronze, 240 x 84 x 71 cm, Paris, Musée Bourdelle, inv. MB br.1852
215
RIK WOUTERS
196
La Vierge folle, folle, (1912), bronze, 195 x 115 x 130 cm, Bruxelles, Musée d’Ixelles, inv. CC1251
244
Wouters et le monde de lâ&#x20AC;&#x2122;art
W O U T E R S E T L E M O N D E D E L’A R T <
cat. 51, détail
Le Ravin A
Entrer dans le canon de l’art. La réception de l’œuvre de Rik Wouters
HERWIG TODTS
La fortune ou la notoriété En 1902, Rik Wouters étudie à l’académie de Bruxelles. Il y fait la connaissance d’Hélène Duerinckx. Dans ses souvenirs rédigés près de quarante ans plus tard, « Nel » raconte comment, jeune fille de 16 ans notoirement libérée, elle a rencontré après une petite fête le jeune étudiant de l’académie et lui a fait la cour. Le jour suivant, lors d’une promenade, ils se sont embrassés. Rik a expliqué à son amie que malheureusement, il était sans le sou, mais qu’il voulait devenir un grand peintre et un grand sculpteur. Était-elle prête à mener une vie misérable faite de sacrifices ? N’allait-elle pas se lamenter lorsque la faim frapperait à la porte ? Car, aurait-dit Rik, « Avant que je sois un grand artiste, nous devrons endurer bien des choses »1. Hans Abbing, professeur émérite à l’université d’Amsterdam et artiste plasticien, a mené une étude approfondie en tant qu’économiste afin de comprendre pourquoi les artistes modernes occidentaux optaient massivement et volontairement pour la pauvreté. Il a publié ses résultats en 2002 dans Why Are Artists Poor ? The Exceptional Economy of the Arts2. L’ouvrage part du principe que, par rapport à toute autre catégorie sociale, un nombre
1
Min 2011, pp. 47-48. L’anecdote est tirée des Souvenirs inédits de Madame Wouters (1917–1952), dont le manuscrit est conservé à la Bibliothèque royale de Belgique à Bruxelles. Elle a par ailleurs été publiée dans Wouters 1944.
2
Hans Abbing a étudié les arts plastiques à la Gerrit Rietveld Academie d’Amsterdam et l’économie à la Rijksuniversiteit Groningen. Avant d’enseigner à Rotterdam et à Amsterdam, il a longtemps travaillé comme fonctionnaire au ministère de la Culture, où il a appris à connaître au plus près la politique de subvention de l’art plastique et des plasticiens.
253
W O U T E R S E T L E M O N D E D E L’A R T <
fig. 40, détail
Copie d’époque ou brouillon du contrat Giroux-Wouters
Rik Wouters et Georges Giroux : l’artiste et le galeriste
OLIVIER BERTRAND
Le renouveau du marché de l’art en Belgique Plus d’un demi-siècle après sa fermeture, en 1960, la Galerie Georges Giroux, du nom de son fondateur1, reste une référence dans le monde académique et sur le marché de l’art. La Galerie Giroux a en effet joué un rôle essentiel dans la vie culturelle bruxelloise, prenant une part non négligeable dans l’éclosion d’un véritable marché en Belgique. Elle est inaugurée le 16 mars 1912, dans la rue Royale, par un Français résidant à Bruxelles. Au sein de ce premier groupe d’artistes assez hétérogène, on retrouve notamment Auguste Oleffe, Marcel Jefferys, Willem Paerels et Louis Thévenet. Et Rik Wouters bien entendu, qui a exposé pour l’occasion des sculptures, dont La Vierge folle (fig. 37), des dessins, des eaux-fortes et quelques peintures, comme Les Champignons (cat.22). Au fil des années, en défendant leur œuvre, la Galerie Georges Giroux a influencé l’existence même de plusieurs artistes – tel Rik Wouters – tout en participant à la « petite » histoire de l’art en Belgique, notamment par le biais du fameux « fauvisme brabançon » (fig. 38). Ses expositions et ses ventes publiques ont également permis à de nombreux collectionneurs belges et aux musées nationaux de s’enrichir de pièces de toute première qualité. Nous avons ainsi recensé plus de 50.000 sculptures et œuvres picturales qui ont transité par les seules ventes publiques organisées de manière régulière par la Galerie Giroux entre 1915 et 1960. Il convient d’y ajouter des milliers d’autres, présentées lors d’expositions individuelles et collectives tout au long de près d’un demi-siècle d’activités.
1
Antoine Philibert Giroux, plus communément appelé Georges Giroux, est né le 25 août 1868 à Mâcon, en Saône-et-Loire. Il est décédé, à Bruxelles, le 30 septembre 1923.
267
Annexes
A N N E X E S - Biographie
Biographie RIK WOUTERS (1882–1916) OLIVIER BERTRAND
De la formation aux premiers concours (1899–1907) Né à Malines, le 21 août 1882, Henri (dit Rik) Wouters commence sa formation artistique à 12 ans auprès de son père, fabricant de meubles, un secteur qui fait alors la réputation de la ville. Aux côtés d’Ernest, Ferdinand et Frans Wijnants, également apprentis dans l’atelier de son père, Rik réalise des éléments d’ornementation. Après trois années d’apprentissage, sa vocation pour la création artistique en général, et pour la sculpture en particulier, le décide à donner à sa formation une orientation plus artistique. Il s’inscrit en 1897 à l’Académie des Beaux-Arts de Malines, où il suit jusqu’en 1901 l’enseignement de Théo Blickx, un artiste malinois avec qui il se liera d’amitié. En 1900, sur les encouragements de son mentor, Wouters s’inscrit à l’Académie de Bruxelles où il suit notamment le cours de « sculpture d’après nature » de Charles Van der Stappen, un professeur et artiste réputé. À cette époque, manquant encore d’inspiration, le jeune étudiant reste enfermé dans les contraintes académiques et les sujets allégoriques des concours. En 1902, enrôlé dans l’armée au sein de la Compagnie universitaire, il bénéficie du privilège de pouvoir poursuivre sa formation académique en cours du soir tout en participant le jour aux exercices militaires.
L’arrivée de Nel En 1904, il rencontre Hélène Duerinckx, âgée de 16 ans et qu’on surnomme déjà Nel. Elle pose pour des artistes réputés tels Philippe Wolfers et Jacques de Lalaing. Wouters fait alors la connaissance de Ferdinand Schirren, Edgard Tytgat, Anne-Pierre de Kat et Jean Brusselmans. Rik et Nel se fréquentent : elle pose pour le jeune artiste dont elle devient la muse (fig. 43). Ils se marient le 15 avril 1905 et s’installent à Watermael, en banlieue bruxelloise. Leurs conditions d’existence sont à ce point misérables qu’ils n’ont d’autre choix que de s’en aller vivre à Malines chez le père Wouters. Ce retour à la case départ est vécu comme une humiliation. Nel devient la servante de la famille et Rik, disposant d’une partie de l’atelier de son père, ne parvient pas à réaliser ses ambitions. Durant ce séjour de quinze mois à Malines il participe à sa première exposition, au cercle artistique De Distel, en février 1906. Il y expose une douzaine d’œuvres de techniques différentes : peinture à l’huile, fusain, pastel et sculpture. Le succès n’est pas au rendez-vous. Seule sa grande figure La Nymphe (fig. 44), une première tentative de s’affranchir des lourdeurs académiques, entamée à Watermael, survit à la destruction mais il l’abandonne inachevée à Malines.
fig. 42
Rik Wouters devant Le Papillon, 1915, Amsterdam, collection privée
279
Remerciements Les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique tiennent à remercier particulièrement le Professeur Dr. Manfred Sellink, directeur général du Koninklijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen, son D épartement des Collections ainsi que son Département Marketing, Communication et Éducation, pour l’exceptionnelle générosité de leurs prêts à cette exposition, leur disponibilité et leur chaleureuse collaboration. Nous tenons à remercier vivement tous les prêteurs, collectionneurs et directeurs des institutions p ubliques et privées pour leur aimable collaboration, qui a permis la réalisation de cette exposition : Amsterdam, Rijksprentenkabinet, Jane Turner, Hoofd Rijksprentenkabinet Amsterdam, Stedelijk Museum, Beatrix Ruf, directeur Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten Antwerpen, Prof. Dr. Manfred Sellink, directeur Anvers, Museum Plantin-Moretus, Patrimoine mondial de l’UNESCO, Iris Kockelbergh, directrice Belfius Art Collection, Bénédicte Bouton, Head of Culture Olivier Bertrand BNP Paribas Fortis, Dominique Van Hove, Head of Arts Collection & Historical Archives Bruges, Musea Brugge, Groeningemuseum, Till-Holger Borchert, directeur Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Patrick Lefèvre, directeur général Bruxelles, Musée et Jardins van Buuren, Isabelle Anspach, directrice Bruxelles, Musée communal d’Ixelles, Claire Leblanc, conservatrice-directrice Deurle, Museum Dhondt-Dhaenens, Joost Declercq, directeur Gand, Museum voor Schone Kunsten, Catherine de Zegher, directrice Musées de la Ville de Liège, Jean-Marc Gay, directeur Liège, Musée des Beaux-Arts de La Boverie, Régine Rémon, 1ère conservatrice Malines, Stad Mechelen – Musea & Erfgoed, direction : Anouk Stulens et Sigrid Bosmans Palais des Beaux-Arts de Lille, Bruno Girveau, directeur Paris, Centre Georges Pompidou – Musée national d’Art moderne, Bernard Blistène, directeur The Louis & Evelyn Franck Collection The Phoebus Foundation, Katharina Van Cauteren, Stafchef Ainsi que tous ceux qui ont souhaité garder l’anonymat. Nous remercions également toutes les personnes qui ont facilité les recherches et dont le concours a été précieux pour la mise en œuvre de l’exposition et la réalisation du catalogue : Stefan Campo, Anne Carre, V eerle De Meester, Cynthia De Moté, Liesbeth De Ridder, Vincent Fierens, Judith Goris, Marijke Hellemans, Martine Hollenfeltz, Patricia Kolsteeg, Olga Makhroff, Dominique Marechal, Wenke Mast, Moniek Nagels, Birgit Pluvier, David Ryser, Muriel Sacré, Bettina Steg, Bart Stroobants, Martial Trouillez, Nadia Vangampelaer, Joris Van Grieken, Fleur van Paassen. Ainsi que Recyclart-Fabrik.
RIK WOUTERS RÉTROSPECTIVE Immense artiste, révélation météorique, Rik Wouters, né à Malines en 1882, est réputé pour sa peinture et sa sculpture, mais il fut aussi un dessinateur et graveur de grand talent. Son œuvre est éclatant et coloré, loin des drames qui ont marqué son existence jusqu’à sa disparition prématurée en 1916, à l’âge de 33 ans. Traditionnellement considéré comme la figure de proue du fauvisme brabançon, Rik Wouters manie avec bonheur une abondance de couleurs et des sujets authentiques, simples, touchants. Son style est cependant d’avant-garde, tout en rappelant Ensor, Cézanne ou Renoir. Son talent fulgurant a marqué plusieurs générations d’artistes et nous laisse un héritage fascinant, celui d’un maître incontournable de l’Art moderne en Belgique.
978-2-7572-1280-6
39 €