© Somogy éditions d’art, Paris, 2013 Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Conception artistique de l’ouvrage : Philippe Arnault Conception graphique : Agathe Hondré Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie et Mélanie Le Gros Contribution éditoriale : Karine Forest Suivi éditorial : Emmanuelle Levesque et Marianne Joly ISBN 978-2-7572-0599-0 Dépôt légal : mars 2013 Imprimé en Italie (Union européenne)
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Roger Plin, dessiner, sculpter
Roger Plin (1918-1985) dessiner, sculpter Frédéric Plin Philippe Arnault Texte de Lydia Harambourg
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Roger Plin, dessiner, sculpter
Ars longa, vita brevis.
L’Art est long, la vie est courte.
Totem Bronze 26 x 4 x 4 cm
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Roger Plin, dessiner, sculpter
Les Marches Bronze 26 x 8 x 8 cm
Sommaire 8
Itinéraire d’une postérité Préface par Frédéric Plin
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Un livre pour Roger Plin par Philippe Arnault
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Exposition Roger Plin, galerie Paul Cézanne, 1961 par Gaston Bachelard, philosophe
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Roger Plin par Lydia Harambourg
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Le bestiaire
54, 122, 154
Le paysage
60, 74, 136, 164 66, 110, 148
Le nu La composition
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Les musiciens
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Les gravures
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La sculpture
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Le portrait
130
Les natures mortes
132
Les médailles
170
Les monuments
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Roger Plin, Réflexions sur l’art et sur la vie
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Recommandations écrites de Roger Plin, reçues par Philippe Arnault lors de son séjour à la Casa de Velázquez entre 1982 et 1984 Biographie
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Roger Plin et l’enseignement
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Remerciements
Sommaire
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Itinéraire d’une postérité Préface par Frédéric Plin
Une trentaine d’années se sont écoulées depuis le décès de mon père, Roger Plin. Son œuvre est restée longtemps à dormir sous les lambris de notre maison de Saint-Maurice, épisodiquement visitée par quelques initiés, artistes, écrivains, philosophes, professeurs, anciens élèves, parfois accompagnés de leurs propres élèves. J’ai été, à plusieurs reprises, circonvenu par des bonnes âmes et de charitables prétendus mécènes, qui par ruse, qui par cautèle, qui par politique, ont tenté péremptoirement de me « soulager de ce fardeau », de cette œuvre que censément je n’étais certainement pas en mesure de conserver ni de pérenniser, et qui, imbus de je ne sais quelle légitimité, allaient vociférant que seuls ces zélateurs sauraient ressusciter... Tout enjôleurs et agités qu’ils fussent, ils n’avaient cependant même pas le premier sou pour entreprendre la fonte d’un petit pois... Les plus beaux discours thuriféraires et apologétiques sont éphémères, tout comme le plâtre, la terre ou le papier. Ni les uns ni les autres, associations, fondations, musées, institutions, etc., ne disposaient alors, et ne disposeront jamais, des énormes moyens financiers indispensables à la réalisation de fontes, encadrements, restaurations, à l’aménagement de locaux de présentation de centaines de dessins et de centaines de sculptures, ni de publications, ni d’expositions prestigieuses.
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Roger Plin, dessiner, sculpter
Depuis un lustre, ma moitié Monique et moi avons consacré inexorablement quelques centaines de milliers d’euros à cette entreprise, en grande partie maintenant réalisée. Les plâtres friables sont devenus des monuments d’airain ; seul un authentique sculpteur pouvait définir les priorités, voire les urgences, des fontes, choisir les fondeurs, et surveiller la subtile réalisation des patines. Philippe Arnault, sculpteur et professeur, que mon père m’avait autrefois présenté comme son « élève le plus doué de tous » (pardonné, me raconta-t-il, à ce titre d’avoir maladroitement endommagé une statue, en 1975), a spontanément assumé ces tâches difficiles et chronophages durant ces dernières années. La quasi-totalité des dessins a été encadrée, mois après mois. Par ailleurs, il m’a exhorté avec opiniâtreté à entreprendre la publication du présent ouvrage, dont il a assumé l’essentiel de la réalisation avec l’un des éditeurs d’art les plus prestigieux de la place de Paris. Enfin, un « Espace Roger PLIN » a été créé sur la totalité du second étage de notre maison, où une centaine de dessins et autant de sculptures sont exposés, où l’atelier de l’artiste a été en partie reconstitué, où des « réserves » de plusieurs centaines de dessins sont accessibles. Chaque ami, ancien élève ou visiteur y sont naturellement bienvenus, individuellement ou en groupe. L’endroit, en lisière du bois de Vincennes, à quelques pas de Paris, est aisément accessible, et plus chaleureux et convivial que tel ou tel improbable musée de province en possible devenir, un jour visité peutêtre par quelque voyageur égaré loin des grands itinéraires de la culture.
Pour éclairer ceux qui n’ont pas connu Roger Plin, quelques mots : Tout d’abord, résistons à la tentation de lui tresser d’habituelles et conventionnelles louanges dithyrambiques, par respect pour sa modestie et sa discrétion. La postérité retiendra – a déjà retenu en fait – deux aspects fondamentaux du personnage : le créateur et l’enseignant. Cette dualité est exceptionnelle dans l’histoire de l’art récente. L’artiste a eu un parcours multidisciplinaire, pratiquant successivement ou alternativement céramique, dessin, gravure, sculpture, médailles, monuments..., toujours en perpétuelle évolution d’inspiration, sans jamais s’arrêter à telle ou telle recette de facilité commerciale. Il était d’ailleurs « hors commerce », conscient que le commerce et l’art relevaient de mondes différents. Il avait choisi le sien. Nous aussi.
Peu nous chaut ce souci de reconnaissance des marchés financiers ; notre but est de transmettre à la postérité une œuvre immense, nous en avons les moyens. L’enseignant, Philippe Arnault y reviendra infra en témoin privilégié, a suscité de très nombreuses vocations parmi plusieurs générations d’élèves qui lui vouent une reconnaissance enthousiaste. Qui, à leur tour, s’efforcent de transmettre l’héritage aux générations suivantes. Le site Internet en témoigne, assorti de quelques témoignages de leur parcours avec Roger Plin. Saint-Maurice, novembre 2012
Alors, de prétendus « héritiers spirituels » ne vontils pas répétant à l’envi que son œuvre « n’ayant pas de cote n’a donc aucune valeur ». Et qu’ils accepteraient nonobstant avec bienveillance de bien vouloir la recevoir en héritage, afin de lui assurer la place qu’elle mérite au firmament de leur galaxie imaginaire ! C’est là leur maître mot : la cote ; laissons-les aller à glousser urbi et orbi leur lancinante litanie : cot... cot... cot...
Préface
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Sous-Bois Mine graphite 65 x 50 cm
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Roger Plin, dessiner, sculpter
Un livre pour Roger Plin par Philippe Arnault
Près de trente ans après le décès de Roger Plin, le besoin se fit de plus en plus pressant de mettre en lumière l’œuvre de ce très grand artiste par l’intermédiaire d’un livre, véritable point d’orgue d’un gros travail de conservation et de pérennisation d’une œuvre fragile et sans assises iconographiques véritables, la disparition brutale de l’artiste ne lui ayant pas laissé le temps de s’y consacrer, si toutefois il en eut le désir, l’énergie et les moyens… Mais revenons en arrière si vous voulez bien, et pensons que cette mise en lumière se fit tout d’abord il y a déjà une bonne dizaine d’années avec la mise en valeur des sculptures du maître, grâce à la première campagne de fontes en bronze qu’entreprit Frédéric Plin, fils de l’artiste, extrêmement attaché à l’œuvre de son père. Cette tâche qu’il a prise pour devoir par la suite, la pérennisation de l’œuvre de son père, Frédéric Plin la poursuit sans relâche, aiguillonné en permanence par votre serviteur qui sait qu’une sculpture en terre cuite ou en plâtre – encore pire – n’a aucune pérennité, et ne fait que se déliter au fil du temps. La sculpture et sa valorisation sont des domaines d’un traitement guère aisé et il fallait sans doute être de la profession pour savoir, d’une part ce que signifiait la conservation et la diffusion de ses sculptures, deux actions indispensables pour la reconnaissance d’une œuvre, et d’autre part l’ampleur de l’entreprise à laquelle il fallait s’atteler, son coût, et avec quelle constance il fallait poursuivre l’effort pour que tout ceci ne soit pas balayé par le temps. Un galeriste venu à Saint-Maurice pour découvrir Plin, fils de sculpteur lui aussi, nous mit sur la piste en nous avertissant qu’il y en avait pour dix ans pour pérenniser l’œuvre…
Il y avait donc une première urgence à traduire le plus rapidement possible l’ensemble de ces œuvres dans l’airain, avec, souvent, nombre de restaurations ; ceci est en partie fait ; il reste à présent encore des bustes, certaines terres cuites fort compliquées et de grandes pièces onéreuses à fondre. Cette mise en valeur se fit aussi par la mise à jour et l’édition d’un certain nombre de petites pièces des débuts du maître, alors inspiré par les grands décorateurs de l’époque (Mayodon, SaintSaëns…), mais aussi par l’art religieux, roman en particulier ; ces pièces de dimensions réduites, mais originales, élégantes et importantes, préfigurent le Roger Plin qui suivra. Heureusement l’atelier, et pas simplement des collectionneurs, possédaient nombre de ces sculptures « décoratives » que l’artiste avait un peu oubliées, tendu vers son œuvre de maturité et vers l’enseignement. Cette mise en valeur se réalisa encore par l’encadrement de beaucoup de dessins dormant au fond de ses nombreux cartons, ces derniers étant de véritables icebergs et mines de la création dessinée de l’artiste. Les exhumer, les sélectionner avec le concours de plusieurs personnes comme ce fut le cas pour l’exposition à la galerie Peinture fraîche fut un privilège. Roger Plin en son temps avait su mettre en valeur – sans doute aussi grâce au discernement de son maître bien-aimé Jacques Zwobada et inversement dans des installations d’expositions de Zwobada, selon les dires de Roger Plin – quantité de ses dessins, bien sûr, mais beaucoup de ces encadrements avaient vieilli, et il restait tant de merveilleuses études à montrer que, cette entreprise, Frédéric et moi-même continuons de l’assumer semaine après semaine.
Un livre pour Roger Plin
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Cette mise en valeur se fit également par la création d’un site Internet, moment fort, qui fut une première approche de ce que serait un livre. Mais, entre le rêve de l’élaboration d’un livre et sa réalisation il y avait un pas… le plus dur à franchir ! C’est ainsi que, ne renonçant pas à la dépense, Frédéric Plin, en véritable gardien du temple connaissant, en bon latiniste et helléniste, les ravages que Cronos inflige à toute construction humaine, accepta sans hésiter ma proposition : assumer la création d’un livre sur l’œuvre de son père ! Un livre qui resterait, même si l’œuvre se dispersait. Donc, gloire à lui pour cette sage et belle décision ! Je trouvai l’éditeur Somogy qui accepta de publier notre livre. À présent, nous pouvons enfin vous présenter cet ouvrage attendu par beaucoup, nous l’espérons, et qui nous a fait tant souffrir dans sa réalisation ; il sera sans doute très imparfait, avec de mauvais choix, avec plein de lacunes, des erreurs sans doute, dont nous présentons nos excuses à l’avance, mais il aura au moins le mérite d’exister. Car, pour ma part, j’avais le désir, mais aussi peur de créer ce livre ; trop de travail et de responsabilités allaient m’incomber. Mais j’avais tant envie de faire connaître l’œuvre de mon « Patron », les nombreuses facettes, qui n’en font qu’une au final, de la création de Plin : à la fois « austère » et « charnelle », « minimaliste » et « exubérante », avec des débuts tellement personnels aussi ; après tous les différents obstacles que j’avais dû surmonter, celui-là, je décidai de m’y attaquer également !
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Mais Roger Plin, comme je le disais, n’était pas monolithique : déchiré sans doute entre deux penchants qui lui étaient naturels, entre deux manières d’appréhender le monde, à la fois religieux et païen, à la fois esprit d’anachorète et esprit d’hédoniste. Il fallait montrer tout cela : Il fallait montrer ses thèmes de prédilection qui étaient nombreux. Il fallait ne pas oublier ses monuments. Ne pas oublier non plus quelques maximes, qui étaient si nombreuses. Et il ne fallait pas oublier l’enseignant, et quel enseignant ! C’était tout cela créer le livre ! Mais c’était surtout photographier quantité d’œuvres, leur donner un titre pour beaucoup, donner leur matière, les mesurer, régler une foule de détails et trouver des montagnes de documents dispersés. Nous espérons que dans cette tâche considérable qu’est la création d’un livre d’art – que Plin méritait depuis si longtemps –, nous avons été à la hauteur de l’attente de tous et de certains pour évoquer une haute et sympathique figure de l’art d’hier et de toujours, celle d’un Plin tour à tour intime, puissant, imaginatif, caressant, raboteux, cassant, parfois injuste, intéressé, fantaisiste, doux, attentionné. Un Roger Plin à la fois monumental et humain ; pas une machine à fabriquer, mais un créateur, un chercheur totalement désintéressé : « la production a tué la création » avait-il l’habitude de dire.
Il œuvra pour lui et pour quelques-uns, fidèle à ses maîtres et à ses idéaux pour un temps présent et pour des temps futurs ; sans beaucoup d’illusions, la gloire n’étant pas là. Et la gloire n’est pas un vain mot disait Delacroix – c’est peut-être cela qui lui manqua dans ses derniers jours –, car il savait que l’art était bien plus grand que lui, qu’il était un passeur et un passant, et j’ose croire qu’il pensait que tout ceci ne disparaîtrait peut-être pas totalement… Nous espérons aussi que cet ouvrage sera un vecteur pour faire découvrir l’œuvre de ce maître bien-aimé au grand public, ce que malheureusement il n’eut pas l’occasion de faire à une assez grande échelle de son vivant, et que nous ne soyons ainsi, mettant son œuvre à l’abri de l’oubli, qu’à l’aube de la « renaissance » d’une œuvre immense qu’il fallait déployer comme les ailes d’un oiseau ! Pour nous qui fûmes ses élèves, son souvenir et ses enseignements continuent et continueront de vivre.
Nous tenons à remercier aussi tous ceux qui de près ou de loin ont travaillé et travaillent à ce que l’œuvre de notre maître perdure ; des temps de turbulences ne nous ont pas permis de conjuguer nos efforts ; il en va ainsi de tous les héritages. La bataille pour la reconnaissance de notre « Patron » n’est pas terminée et la route sera encore longue pour que Plin trouve une place parmi les siens, chaînon manquant artistiquement et alphabétiquement entre Picasso et Poncet… dans l’ouvrage de Michel Seuphor La Sculpture de ce siècle, par exemple. Enfin, je tenais à dire combien je suis heureux et fier d’avoir œuvré à honorer mon maître qui m’a tellement apporté ainsi qu’à tant d’autres. Si le labeur a été rude, la route était pourtant joyeuse, et s’il fallait recommencer, je recommencerais car Roger Plin le méritait. Je continuerai à lui rendre hommage car il le mérite toujours. Et je crois qu’il ne faudra jamais relâcher les efforts, parce qu’une telle œuvre est magnifique et doit être éternelle !
Nous souhaitons encore que cet ouvrage trouve un écho et apaise quelques esprits critiques et chagrins sans justifications, quand la tâche de valorisation de l’œuvre a plutôt été ardue, s’étalant sur des années, que nous ne nous sommes pas ménagés, et que nous n’avons pas ménagé notre entourage non plus… Je tiens donc à associer tout particulièrement dans mes remerciements mon épouse Cristina de Mateo, toujours présente et active à l’ordinateur, et dispensant ses conseils perspicaces et pleins de justesse.
Un livre pour Roger Plin
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Le Philosophe Gaston Bachelard Pointe-sèche 26,5 x 21 cm
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Roger Plin, dessiner, sculpter
Exposition Roger Plin, galerie Paul Cézanne, 1961 par Gaston Bachelard, philosophe L’artiste du dessin n’est pas seulement un homme des contours. Il a plus à faire qu’à enfermer une belle forme dans ses justes lignes. Le crayon lui aussi, pour avoir toutes les ressources du pinceau, doit résoudre le problème de l’équilibre des ombres et de la lumière. Roger Plin va au fond de ce difficile problème. Qu’il dessine un paysage ou le corps d’une femme, il veut, avec son crayon, placer des lueurs, susciter des nuances de lumière, éveiller toutes les résonances qui retentissent dans la contemplation d’une œuvre d’art assez sûre d’elle-même pour se passer des privilèges de la couleur. En fait, ces résonances sont si fines, si bien associées, que si l’on rêve un peu devant un dessin de Plin, on se sent en attente d’une coloration. Le schéma de la rêverie a été si bien dessiné par l’artiste que notre rêverie nous redonne le réel dans toute sa splendeur. Oui, restez un peu longuement devant tel dessin où la mer se repose entourée de collines. Le ciel est immense et la mer est tranquille. Mais l’immensité du ciel n’est pas vide. Ce n’est pas du papier blanc. Ce n’est pas un espace qui a refusé le crayon. Ce ciel sur la mer de Honfleur, Roger Plin en a saisi la valeur, la juste valeur opposée à la valeur d’une eau moutonnante, murmurante. Et devant un si grand spectacle, je me souviens d’un grand vers de Francis VieléGriffin : « Le ciel est léger, floconnant et tendre. » Pour moi, un paysage saisi par un grand artiste est toujours un poème. Un clocher, une rue, ce n’est pas simplement en dessiner la géométrie. Il faut faire régner des clartés, faire trembler aussi des ombres, belle manière de dire la douceur d’habiter. Car un dessinateur de maisons heureuses doit nous transmettre une invitation à entrer. Roger Plin aime tant ce qu’il dessine que toutes les demeures ont le grand signe de l’hospitalité. La maison peut être lointaine, elle
peut n’être vue qu’à travers un rideau d’arbres qui offrent leurs ombres au touriste. De loin quand même elle accueille, elle appelle. J’aime ce dessin où des arbres droits et noirs laissent entrevoir un site où il ferait bon vivre, une maison où l’on aimerait être attendu. Et me voici repris par ma folle rêverie d’habiter toutes les demeures où l’on rêve d’être bien. Bien entendu, comme tous les dessinateursnés, Roger Plin veut dessiner « l’objet essentiel », la plus belle des formes : la femme. La femme nue est la gloire des courbes bien associées. Dans une épaule surprise par Plin, rien ne finit et tout commence. Un philosophe bergsonien verrait des promesses de danseuse dans la grâce immobile de ces corps dessinés. Mais pour Plin, le corps d’une femme n’a pas besoin de légendes. Ce corps est si concentré sur soi-même qu’il n’a pas besoin de cadre, pas besoin d’atmosphère et surtout pas besoin de ces paysages où des peintres nous donnent la femme nue dans les prés. Le crayon de Roger Plin respecte si bien la netteté d’une chair, sous des tons doux et chauds, qu’il semble que le corps féminin puisse vivre dans une atmosphère toute proche, dans une chaleur immédiate... Quand on voit de telles réussites, on se convainc que c’est en dessinant le corps d’une femme qu’il faut apprendre à dessiner. On comprend aussi qu’un dessinateur chevronné revienne souvent, revienne sans cesse, à l’origine de la beauté féminine, d’une beauté qui est un des sommets de la vie. Quand un dessinateur quitte le crayon pour le ciseau, quand il sculpte des formes au lieu de les dessiner, il veut faire face à une résistance franche. Sans doute, il savait bien que la forme à dessiner a je ne sais quelle résistance. On ne la domine pas d’un premier coup d’œil. Le modèle Exposition Roger Plin
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Nu couché Sépia 32 x 24 cm
ne se livre pas en première ébauche. Pour mieux sentir ces résistances dessinées, Roger Plin a voulu lutter contre des résistances palpables, il s’est fait modeleur, il s’est fait sculpteur. Sans le suivre dans ce dramatique travail, nous allons commenter rapidement deux œuvres singulières. Rêvons d’abord devant les nuages modelés. On sait bien que les nuages qu’on dessine sont des formes éphémères. II faut les surprendre dans un équilibre instable du paysage. Roger Plin a voulu leur donner l’être même de leur isolement. 16
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Il a pétri ce que l’on ne touche pas, ce que l’on ne touchera jamais. Les nuages de plâtre, grâce à lui, les voici dans mes mains. Mon doigt court sur leurs fissures. J’ai l’impression de connaître leur gonflement. Être nuageux, être un nuage, c’est tout de même avoir un être. Avec un objet comme celui-là sur sa chaire de professeur, un philosophe ne s’arrêterait pas de parler. Quelle nostalgie d’enseignement Roger Plin me donne avec ses nuages modelés. À un autre pôle de la résistance, au lieu de la résistance molle du
Assoupie Pierre noire 63,5 x 48 cm
plâtre, Roger Plin a travaillé la résistance robuste d’un arbre. II a retrouvé en son élan incroyable la grande flamme rouge qui anime un tronc d’acajou. Cette flamme est écrasée par le rabot de l’ébéniste. Il faut aller au centre du bois avec des délicatesses de main, pour retrouver le travail du feu primitif. Novalis disait que tout grand arbre est une flamme végétale. La sculpture de Plin le prouve. De cette flamme sculptée, un poète en ferait un hymne, il nous en ferait entendre le tressaillement, tous les sursauts vers la hauteur.
Cette flamme n’est-elle pas un prestigieux dessin réalisé, matériellement réalisé ? Elle peut nous servir de symbole de l’activité d’un artiste, d’un double artiste qui donne le mouvement à l’immobile, une vie cosmique à des mondes dessinés.
Exposition Roger Plin
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Roger Plin à 25 ans
La Famille Plin en 1957
Frédéric Plin à l’âge de 8 ans
Lucienne et Roger Plin en 1953
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Roger Plin par Lydia Harambourg Membre correspondant de l’Institut, Académie des Beaux-Arts Lequel du sculpteur ou du dessinateur prédomine chez cet artiste dont l’œuvre profondément humaniste attend encore sa légitime reconnaissance ? Chez Roger Plin, les deux activités sont complémentaires et expriment l’engagement dans lequel l’artisan et l’artiste servent le créateur d’un espace poétique. Si l’œuvre tend à l’intemporalité, l’homme reste profondément attaché à sa terre natale. Ce Briard y puise la sève nourricière pour un art authentique enraciné dans la mémoire géologique perpétrée par des hommes dont il a hérité la main et l’esprit. La terre champenoise est gardienne d’un patrimoine élargi à d’autres territoires qui dépassent nos frontières géographiques. Roger Plin revendique une filiation qui ne surprendra pas chez lui. Tourné vers les grands exemples du passé autant que vers l’avenir, il tend à un langage universel sans se couper de la souche originelle. Ses modèles ne sont jamais de simples prétextes à entreprendre, il essaye de les comprendre et de les approfondir pour en extraire ce qu’il y a d’unique et de caractéristique et en tirer les leçons, nécessaires à cet homme sincère et vrai. Sa connaissance, son profond respect et son admiration pour les sculpteurs de l’Antiquité, du Moyen Âge, de la Renaissance et de l’âge classique ont contribué à forger sa vision au point qu’il sentit la nécessité de transmettre à son tour ce qui lui avait permis de parvenir à la maîtrise de son art. L’enseignement constitue une part emblématique de son parcours, et affirme une vocation parallèle, celle de faire partager à ses élèves le culte de la beauté, la ferveur, son amour pour l’art débordant de sa vie intérieure. Cette âme ardente, pleine de fougue et de force, loin de s’altérer, a insufflé à son art une dimension transcendante qui s’est fortifiée avec le temps au point de toujours surprendre les ama-
La Mère de l’artiste Mine graphite 11 x 10 cm
teurs méconnaissant l’œuvre. Dans ses sculptures et peut-être plus encore dans ses dessins, s’expriment une vie intense, des tensions dont il tente de dompter les élans à peine refrénés par des mains nerveuses qui modèlent la glaise ou dessinent sous l’emprise d’une pensée concentrée. On retrouve dans ses créations la marque de son geste puissant et la distinction de son esprit cultivé. Sa grâce fut d’être libre. Roger Plin est né en 1918 à Fontenay-Trésigny dans la Brie. Très jeune il dessine. Son père est receveur des postes à Marles-en-Brie, et la famille habite au-dessus du bureau de la poste. L’adolescent pressent-il son avenir ? La sculpture l’attend. À l’âge de quatorze ans, il obtient de ses parents de suivre les cours dans les ateliers de bronziers de l’école Boulle, qui stimulent sa jeune vocation. Celle-ci se fortifie des leçons formaRoger Plin
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Sirène Bronze 18 x 10 x 4 cm
trices au travail du bois, de la pierre et du métal à l’École Supérieure des Arts Décoratifs à Paris, avant d’entrer dans l’atelier de sculpture de Jean Boucher à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts dont il suit les cours de 1938 à 1940. Jean Boucher est un élève de Chapu, de Falguière, et d’Antonin Mercié auquel il succédera en 1919 comme professeur, et dispense à ses élèves un enseignement libéral et généreux, pas toujours compatible avec les commandes officielles dont il est chargé. Nommé membre de l’Institut en 1936, il transmet à ses élèves l’esprit d’une sculpture classique, qu’il oppose à l’académisme stérile, surnommée par Rodin le « classicisme empaillé ». Jean Boucher prône l’observation des traditions qu’il regarde comme inhérentes à l’art même de la sculpture. Une des spécificités de son enseignement tient dans la place privilégiée qu’il réserve à l’étude du dessin. Plin, l’impétrant, trouve dans cet exercice quotidien une discipline qui lui révèle au-delà de sa passion innée de dessiner, l’exigence d’un art auquel rien ne peut être concédé. Il se soumet avec ardeur à ses lois les plus sévères et comprend que c’est le prix à payer pour laisser filer sa sensibilité au seul prétexte de servir la vérité. Une vérité qui n’empêche pas de se hausser au style. Cette intense préparation à la sculpture par des esquisses dessinées lors de séances de dessin d’après l’antique et le modèle vivant, coïncide chez Roger Plin avec l’apprentissage du modelage pratiqué d’après le modèle vivant. Le bienfait d’une méthode n’est point dans les contraintes. Il en découvre les conséquences fécondes dont la première est que le dessin est l’expression de l’artiste la plus immédiate, la plus intime, la plus complète dans sa simplicité. Qu’il permet la plus incroyable diversité au sein d’une technique à laquelle recourent tous les arts. « Je ne sais pas 20
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d’art qui puisse engager plus d’intelligence que le dessin », écrit Paul Valéry dans son ouvrage Degas, Danse, Dessin. Ses années fertiles d’apprentissage, Roger Plin les revivra dans quelques décennies en les partageant avec ses nombreux élèves sensibles à l’art de leurs devanciers, comme il l’était à leur âge. Roger Plin prend conscience que sans métier, il ne fera rien qui exprime une valeur infinie s’il ne maîtrise les moyens techniques jusqu’à l’éclosion d’une ébauche qui procède de la conscience et de la profondeur d’examen. Son impatience d’apprenti à recourir à toutes les formes d’expression, à se doter de toutes les capacités matérielles, est étayée par une curiosité insatiable qui lui fait fréquenter l’École nationale de l’enseignement technique à Paris et le Conservatoire des arts et métiers. Ainsi préparé, il peut prétendre à l’essentiel : réaliser une œuvre pour un dialogue ininterrompu. Un tempérament bien trempé lui fait éviter l’écueil d’une sclérose artistique, et lui permet d’échapper ainsi aux dangers d’un engourdissement qu’il combat en sauvegardant la fraîcheur de l’émotion née de sa prédisposition pour la nature, complice constante de son art. C’est bien naturellement qu’on le retrouve à Montparnasse, à la Grande Chaumière. Les ateliers libres sont fréquentés par des artistes venus de tous les horizons chercher ce qui ne se trouve qu’à Paris : la liberté de travailler auprès des maîtres, trouver à leurs côtés une stimulation, des réponses sinon des certitudes aux attentes qui ne manquent pas d’engendrer des luttes, des doutes quant à l’avenir de l’art et aux exigences de sa véritable signification. Le principe libéral des ateliers permet aux élèves de travailler d’après le modèle vivant. Roger Plin fréquente l’atelier d’Auricoste et de Zadkine.
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Wassen en Suisse, Pierre noire 32 x 49 cm 1951
Du premier, il reçoit l’héritage de Bourdelle, et il partage avec le second l’amour de la vie et l’élan créateur transposés dans l’exubérance des formes. Une phase initiatique qui lui révèle la vie singulière de l’objet animé ou neutre. Zadkine évoque dans ses souvenirs cet épisode pédagogique en précisant : « ... C’est avec un mot incendié et logique que je devais guérir, c’est-à-dire placer les jeunes rendus nus et neufs devant la respiration silencieuse et pourtant si éloquente de l’objet. » (Le Maillet et le ciseau, 1968, Albin Michel) Roger Plin fut-il sensible à ces propos drastiques ? Il écoute, regarde, médite. Une rencontre déterminante l’attend. En 1944, à l’École normale supérieure de l’enseignement technique, il fait la connaissance de Jacques Zwobada dont il rejoint un an plus tard l’atelier à l’académie Julian, rue du Dragon, où le sculpteur enseigne la composition et le dessin de 1948 à 22
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1952. Impossible de ne pas déceler dans cette nouvelle étape un signe du destin. La reconnaissance élective entre l’aîné – Zwobada est né en 1900 – et Roger Plin, son cadet de dix-huit ans, déclenche chez celui-ci une remise en question radicale. Il se trouve au carrefour d’esthétiques électives aussi diversifiées que fédératrices de la sculpture dont on ne prévoit pas encore les changements profonds de langage. Aucune rupture ne vient interrompre la longue histoire de la sculpture française depuis l’époque romane, une référence fondatrice pour Plin. C’est autour de Rodin que les premières transformations apparaissent. Parmi les dépositaires des leçons du maître figure un de ses praticiens, Charles Despiau, dont le goût de l’indépendance le conduit à s’affranchir de son influence. Il est le maître de toute une génération de jeunes sculpteurs. C’est par lui que se perpétue la tradition du modelage pratiqué par un groupe d’artistes indépendants surnommé « la bande à Schnegg », tous animés de la volonté de s’émanciper de l’art rodinien pour « rompre le charme du maître ». Au décès du chef de file, Despiau s’impose comme la figure de référence pour une sculpture nouvelle. Il n’a pas formé d’élèves par manque de dispositions pour l’enseignement, mais sa sculpture fait autorité. Avec Rodin, Bourdelle et Maillol, il ouvre la voie à la nouvelle génération. À sa suite, Charles Malfray est un de ceux qui contestent l’École des Beaux-Arts en se battant pour une sculpture libre, construite géométriquement et non plus anatomiquement, respectant proportions et mesures. Décédé brutalement en 1940, il devient une référence pour la jeune génération. La forme vivante naît de la conscience de la forme pure, de l’étude passionnée de l’être humain dans son mystère. La leçon de Malfray a été
Matosinhos au Portugal Mine graphite 46 x 31,5 cm Premier dessin connu de Roger Plin, 1938
Roger Plin
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Étude de fonts baptismaux Pierre noire 41 x 29,5 cm
entendue. Zwobada la médite à travers le dessin auquel il accorde une place essentielle. Sur ce terrain, Plin ne pouvait qu’être en parfait accord avec lui, perpétuant une discipline que Malfray et Maillol plaçaient au premier rang de leur art. Une étape intermédiaire retarde chez Plin l’apparition de la sculpture. En 1945, il loue un atelier rue des Boulets dans le onzième arrondissement. La présence d’un four l’incite à expérimenter la céramique. Le modelage de la terre, ultérieurement émaillée à partir d’oxydes pour une polychromie inédite chez lui, relance un désir de dessiner dans l’espace. Sous ses mains réveillées par un imaginaire fantasque naissent des objets usuels, un bestiaire, des nymphes que n’eurent pas désavoués Bernard Palissy et les Italiens importés d’Italie par François Ier pour constituer 24
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l’école de Fontainebleau. Ce classicisme mâtiné de baroque n’est pas pour déplaire à Plin. L’éclectisme de ses sources emprunte à l’Antiquité hellénique et moyen-orientale, égyptienne, au monde roman autant qu’aux arts primitifs. « L’exploration des musées », selon son expression, Plin l’a pratiquée toute sa vie. Elle est à mettre en relation avec son attente d’embrasser la vastitude d’horizons multiples pour un univers intemporel. Il croit à l’abolition des séparations entre les époques et les styles, tout en revendiquant ses racines profondes pour « un monde cohérent et actif » selon Henri Focillon. L’historien de l’art développe une vie des formes dont les métamorphoses lui permettent d’extraire les secrets en pointant l’importance créatrice des techniques. Une méthode en phase avec la pensée de Plin. Comme l’a écrit son ami l’abbé Perrin dans un texte qu’il lui consacre : « On ne chante bien que dans les branches de son arbre généalogique. » Ses ancêtres lui répondent dans un territoire étroit, entre Marles, Verdelot, Tigeaux, Pommeuse, Faremoutiers, et Dammartin-surTigeaux où en 1951 il installe son nouvel atelier qu’il ne quittera que pour aller enseigner le dessin à l’École des Arts appliqués à l’Industrie où il retrouvera providentiellement Zwobada, et à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris où il est nommé chef d’atelier en 1968. Une fonction qu’il occupera jusqu’en 1983. Dessiner. Un exercice obsessionnel depuis son adolescence. Enjeu d’une mystique et d’une éthique que le temps n’altérera pas. Le dessin l’accompagne, fait corps avec sa pensée. Une passion dévorante, qui absorbe tout, et qui renaît sans cesse sous ses mains mutantes. Car dessin et sculpture sont deux expressions qui cheminent chez lui au pas de l’amble pour construire une œuvre d’essence spirituelle et d’une monumen-
talité sans relation avec « l’échelle », mais davantage avec l’illusion nécessaire pour percevoir le monde comme norme universelle. Qu’il s’agisse de dessin ou de sculpture, rien ne se mesure sans la prégnance du regard. « Je réalise beaucoup de petites choses que je pense à grande échelle. Il faut mettre dans les petites choses toutes les ressources de monumentalité qu’elles peuvent contenir ; c’est cette magie qui est la condition essentielle de la création artistique », a confié Plin. Avec véhémence, avec tendresse, avec certitude et détermination, animé d’une rare appétence inaltérable, il s’approprie ce qui l’entoure et au-delà, tant il est convaincu par la forme qui contredit l’identité qu’elle déclare et l’imagination toujours embusquée. C’est au rythme d’un balancier que l’œuvre de Plin se construit. Ses études de nus réalisées dans les académies inaugurent les déclinaisons des positions demandées au modèle. Pour Paul Valéry, il s’agit de « joindre deux voluptés dans un acte sublime ». Ses premières petites terres cuites (fondues ultérieurement) se ressentent des sculptures de Despiau, à travers Malfray. Les formes sont pleines et leur composition s’inscrit dans un parti architectural. Il s’en dégage une puissance dans la petitesse de la sculpture et s’ensuit un élan de vie qui caractérise toute sa sculpture, habitée d’une volupté grave. C’est par le modelage, le développement en volume du dessin dans l’espace, que Plin cherche un mode d’expression qui ne soit ni académique, ni cubiste. Il procède avec la terre, à la manière de Carpeaux, pour trouver la cohérence d’une échelle, d’une stabilité. Il les trouve avec le portrait de Nardone. Modelé dans la terre, celui qui servit de modèle au Balzac de Rodin et qui posa régulièrement pour Germaine Richier est un
Aux fromages de Brie Bronze Ø 83 cm
Bonjour Friquet Mine graphite 10,5 x 14 cm
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Roger Plin, dessiner, sculpter
Les Amantes Bronze 14 x 18 x 2 cm
Le Musicien médiéval Bronze 18,5 x 11 x 17 cm
L’Enfant au poisson Plâtre patiné 102 x 22 x 22 cm
homme âgé de plus de quatre-vingts ans. Assis, les mains posées sur les genoux à la façon de monsieur Bertin par Ingres, bedonnant, la tête tournée, le regard fuyant, il est présent. Une construction du plan sans ornement. La communion simple et toute humaine avec le modèle subjugue. Les volumes définissent sans faiblesse les grandes lignes toujours pleines et dessinées par une poussée intérieure qui donne vie au modèle. Roger Plin répond au vœu de Baudelaire : « Créer à hauteur humaine », en sachant que « la simplicité embellit la beauté ». Autant de préceptes auxquels Plin adhère. Fidèle « à l’étude de la nature », titre de sa conférence au Congresshalle de Berlin dans le cadre du IXe Congrès de la Fédération internationale pour l’éducation artistique, il n’oublie jamais de la spiritualiser. Il s’empare de la forme en magnifiant ses données les plus pures, celles dont il sait pouvoir tirer une plénitude des volumes. Son évolution s’accomplit vers l’expression de plus en plus vraie d’un équilibre humain, et de ce qu’un être porte en lui de plus indéfinissable. La question du dessin ne le quitte jamais. Elle n’est pas une alternative à la sculpture. Nommé professeur à l’École des arts appliqués à l’industrie, rue Dupetit-Thouars, en 1951, il anime un atelier personnel depuis 1950. Son intégrité s’exerce avec une égalité et une constance que ne dément pas sa jouissance évidente à passer du dessin à la sculpture. Avant d’énoncer toute proposition figurative, le trait appartient à l’espace. Le dessin poursuit son aventure, et le modelage la sienne. L’un et l’autre conquièrent l’instant, le suspendent jusqu’à la capture de la dimension formelle selon laquelle l’expression visuelle devient autonome. Dessin et modelage sont emportés par un dessein qui convoque le geste, le mouvement et le déploiement du sujet. Celui-ci se réinvente à la faveur de
la mémoire et de l’imagination nourries d’une culture classique dont il ne faut jamais oublier le rôle fécond dans une œuvre qui ne cesse d’entretenir un dialogue constant avec les anciens. Les grands modèles lui dispensent une image finie et fortuite de la nature, une image de la création comme genèse de son propre travail. La diversité de ses sujets – nus, paysages, animaux, musiciens – témoigne d’un plaisir vécu au quotidien à capturer la vie, à saisir l’élan de la forme jusqu’à son état final et qui est toujours un nouvel élan pour un recommencement. Études, esquisses, croquis de sculpteur, dessins pensés comme œuvre pleine, parachevée et autonome, se succèdent avec une variété des médiums qui renouvellent l’expressivité. Le dessin se plaît à sa propre impulsion et la terre à ses poussées internes. Avant de reporter les lignes, de marquer les contours, il faut épouser un mouvement. Entre le regard et le toucher s’installe une complicité dont l’issue est l’appropriation du modèle. La figure tutélaire de Rodin resurgit avec cette affirmation du maître : « Ma sculpture n’est que du » Avec sa dessin sous toutes ses dimensions. compréhension intuitive d’un monde qui dépasse la représentation des choses, Plin est à même de comprendre le signe et d’en saisir la signification. Alors que le dessin révèle ce qui se cache sous la réalité, la sculpture instrumentalise la forme vivante. Son inclination lyrique lui fait sentir le mouvement dans l’immobilité. De ses figures féminines modelées ou dessinées se dégage une synthèse des volumes, des plans et de la lumière, témoignages d’une liberté acquise qui conserve la permanence de l’humain. Dans les années 50, ses liens avec Zwobada se resserrent. Ils dessinent côte à côte animés d’une Roger Plin
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Nu aux seins blancs Mine graphite 32 x 24 cm
stimulation libératrice. Ils se retrouvent au Jardin des Plantes où les ont précédés Delacroix et Barye. La sûreté du geste créateur permet au regard de ne pas oublier la forme. Sa vélocité est garante d’une justesse pour représenter les fauves dans leur identité profonde. Le dépouillement ne relègue pas la réalité. Pour Paul Valéry « Il faut vouloir pour voir et cette vue voulue a le dessin pour fin et pour moyen à la fois » (Degas, Danse, Dessin). Pour Plin, le dessin s’accomplit dans la représentation. Par sa disposition naturelle au trait, son plaisir spontané et son désir s’emparent de son esprit qui conduit sa main. Soucieux de rythmes harmonieux, il tend aux formes accomplies tout en prenant quelque distance avec les critères traditionnels menacés de répétitions. À la suite de Léonard de Vinci et de Rubens, il réalise une série de dessins au fusain sur le thème des centaures, des chevauchées, des bacchanales. La mythologie n’est qu’un prétexte pour exprimer différemment la réalité de l’homme et nourrir en profondeur l’imagination. L’intensité de vie se traduit par une plénitude des volumes modelés par la lumière. Les effets de contrastes sont soulignés par des noirs profonds qui unifient la composition d’un classicisme sans faille. Plin y introduit la spontanéité d’une sensibilité active. Il dédouble le trait, accentue les profils de ces créatures mi-homme, mi-cheval. Plin reprend ce thème dans plusieurs dessins d’une virtuosité stupéfiante. Il l’associe à la chute des damnés, aux corps entremêlés dans leur précipitation. Sa nervosité graphique sied à la pointe du graveur qui dessine des enlèvements, des corps en contorsions, des enlacements vus chez Mantegna, Pollaiuolo, et qui donneront naissance aux grappes d’hommes nus des monuments de Melun. Dans les dessins, la plume vibre soudainement pour exprimer ce chaos originel. Le che28
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val est un autre de ses thèmes familiers qui occupe une place dans son œuvre. Il le dessine, le modèle dans la terre comme ce Bucéphale aux allures de percheron, dont l’archaïsme volontaire a ses origines dans l’Antiquité. Conscient, comme Zwobada, de l’urgence d’un renouveau, il revient aux lois fondamentales servies par une observation aiguë et découvre que regarder une chose et regarder en la dessinant n’est pas pareil. Avec ses figures puissantes, Plin passe d’une technique à l’autre. La mine graphite ou la sépia accompagne le souple contour d’un nu féminin, animé de subtiles variations par le rendu tactile suivant le médium employé. Il le célèbre dans sa fragilité corporelle. Femmes assises, allongées, debout, elles révèlent la noblesse du corps dans son indolence. Par sa densité, la sanguine a la faculté de modeler l’anatomie par une estompe riche et ductile. Célébrée dans son intime et rayonnant abandon, la beauté du corps nu de la femme se pare de l’éclat du vrai. L’artiste exprime la douceur de l’épiderme, la chaleur de la chair pénétrée par la lumière. Vérité et beauté, Gaston Bachelard les louent dans sa préface à l’album de Dessins de nus de Roger Plin, publié en 1961 à l’occasion de son exposition à la galerie Paul Cézanne. Plin réalise une pointe-sèche représentant le philosophe, de profil, en train d’écrire. Cette technique servie par un outil formé d’une tige d’acier dont la pointe est enfoncée dans un manche en bois ne creuse pas, mais griffe le métal et laisse sur les bords des barbes qui donnent un moelleux spécifique, en écho au velouté de la sanguine et du fusain. Cette tactilité particulière au flou mystérieux renforce la ressemblance du modèle par une rare présence psychologique et cela malgré l’imprécision de la physionomie. Avec la pratique ponctuelle de cette technique, Plin se montre
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Frédéric Plin enfant Pierre noire 9,5 x 12,5 cm
Frédéric, fils de l’artiste Mine graphite 45 x 35 cm
Portrait de Frédéric Plin Bronze 34 x 44 x 15 cm
l’égal des plus grands interprètes de pointesèche, de Rembrandt à Villon, et Rodin avec ses portraits de Victor Hugo. Entre ses doigts, le crayon sert la forme. Une forme qu’il débusque dans la matière brute, malléable, à laquelle il insuffle une étrange mobilité dans sa retenue discrète. On perçoit bien le passage du dessin au volume avec le portrait de son fils Frédéric enfant. Délaissant toute anecdote, il privilégie la simplicité naturelle. La pierre noire, médium fervent, dérobe le profil du visage dont il retient ce qui l’individualise, transposé dans un classicisme intemporel. Mutine, rieuse, la tête de l’enfant est rendue avec un modelé sensible qui sied à un visage en devenir. Un naturalisme qui est cher aux sculpteurs florentins du Quattrocento, et plus précisément à Donatello. L’intimisme se sous-tend des empreintes de doigts laissées apparentes sur la terre et conservées par la fonte en bronze. Plin aborde le nu féminin dans sa plénitude. Premier constat, il met en place des volumes perceptibles par le sens du toucher. Solidement planté dans le sol, le Nu debout sacrifie l’anatomie, qu’il ne méconnaît pas, à l’expression. Les sensations allusives de la vie prévalent sur une beauté froide, qu’il traite avec une exceptionnelle maîtrise des moyens. L’image de la femme n’est pas en soi une copie de la réalité, dont il cherche d’abord les consonances, les équivalences, mais l’exaltation de l’épanouissement charnel des formes et le choix d’attitudes non conventionnelles. Isolée, sa sculpture doit pouvoir s’incorporer à l’espace, son complément logique, comme la colonne d’un temple grec. Ainsi la sculpture remplit-elle sa mission en faisant corps avec la lumière du jour, qui exprime la vie des formes et l’occupation de l’espace comme en architecture. 30
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Vierge à l’Enfant Bronze 18 x 6 x 9 cm
Le Nu déhanché présente une cadence statique transcrite avec une justesse confondante. La ligne part de la chevelure pour suivre la douce inclinaison de l’épaule, dessine le bras ramené sur le bas du ventre et continue sur la cuisse, puis sur la jambe pour finir sur le pied. Elle dessine dans l’espace une arabesque sans altérer les volumes. Un mouvement sinueux sans commencement ni fin ordonné dans un sens vertical où le rythme plan est respecté. Ce naturalisme vibrant caractérise ces nus. Sa curiosité le conduit à une longue quête de la vérité des profils et de l’harmonie des masses, avec ses tâtonnements et ses trouvailles. Ainsi, il maintient l’émotion que suscite le contact avec le modèle et le transforme en une œuvre proche et éloignée de la nature dans son désir de style. Cet émerveillement de la forme, Plin le retrouve avec 32
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une sanguine légèrement différente. Le modèle incline la tête, les bras derrière le dos et les jambes plus écartées. Les masses ombrées répondent aux inflexions de la lumière en relation avec la sculpture, dont on devine la cristallisation par la pensée. La flexibilité d’un corps, la générosité d’un beau volume et son altération débouchent sur des formes appelées à la métamorphose. Nageuse céleste s’étire selon un mouvement fluide, dans l’héritage de l’Ève d’Autun par Gilbertus. L’hybridation se borne à un jeu de formes dont le sculpteur s’enchante. Avec cette figure ondulante, il expérimente le fait plastique comme une suite d’événements nés de son imaginaire. Le mouvement est intégré à la plénitude des formes dont l’ampleur prend un caractère monumental dans une sculpture de petite dimension (36 cm de long), une constante chez lui. Les courbes larges, les plans légèrement renflés, aux poussées intérieures soulignées, suggèrent l’ondulation naturelle, évoquée par des tensions lentes et étirées. L’harmonie résulte de l’articulation des volumes qui s’engendrent les uns dans les autres pour créer une impression de torsade se déroulant dans l’espace, sans commencement ni fin, en apesanteur dans une attitude conquérante. Cette sculpture exprime un lyrisme très particulier dans l’œuvre de Plin que l’on retrouve avec Aphrodite, au corps vrillé, étiré verticalement. Les formes plantureuses des cuisses et du ventre, leur exagération volontaire rapprochent cette sculpture des déesses mères du paléolithique. Il faut y voir l’héritage du musée imaginaire de l’artiste et de celui, éponyme, d’André Malraux qui à la fin de son ouvrage écrit que « les langages de l’art ne sont pas semblables à la parole, mais frères secrets de la musique ». Une musique qui se retrouve dans les constructions sculptées de Plin.
Ce n’est pas un hasard si la musique est partie prenante de sa vie. Amateur, il compte de nombreux musiciens interprètes et compositeurs parmi ses amis : Pablo Casals (auquel il consacre une médaille), Rostropovitch dessiné sur le vif en train de travailler son violoncelle. Nombreux sont les dessins réalisés lors des répétitions de l’Orchestre National de France au théâtre des Champs-Élysées. À l’encre, la plume incisive et rageuse dissèque chaque pupitre de l’orchestre jusqu’à la vision arachnéenne et d’une apparence brouillonne, exigeante dans sa lecture, mais juste. D’autres sculptures sont à mettre en relation avec des modèles du passé, duquel il ne tire aucune théorie, mais dont il guette une respiration, un souffle fécondant. Il en est ainsi de l’Étreinte ou Couple dont l’enlacement en spirale est un hommage discret à la statue colonne romane pour laquelle le sculpteur médiéval était prisonnier d’un ensemble de structures. Inscrits dans les limites imposées par la bille de bois, les membres resserrés symbolisent une union indéfectible. Plin développe cet allongement anthropomorphe dans des variations où la présence humaine se dissout dans des formes fiévreuses jusqu’à la fusion. La métamorphose déclenche chez Roger Plin une aventure créatrice avec laquelle il établit la liaison entre le visible et l’occulté. Ainsi en est-il de plusieurs sculptures que certains pourront qualifier d’abstraites par l’absence d’une identification précise mais dont les traits, caractéristiques d’une vitalité organique, sont spécifiques d’une vie secrète, chaude et sensuelle. L’Élan (bronze) et L’Envol (bronze), au fort pouvoir métamorphique, sont des signes silencieux issus d’une mémoire ancestrale. Porteurs de mythe, La Méduse (bois) et La Flamme (bois) appartiennent à une série de sculptures ascensionnelles.
La sculpture de Roger Plin est indissociable d’un humanisme incarné surtout lorsqu’il s’aventure à la frontière de l’abstraction à laquelle il se refusera toujours, rejetant tout ce qui n’a pas l’intensité du vécu et la recherche de l’humain. D’où viennent ces formes organiques tourmentées, sortes de grottes verticales percées d’orifices, taraudées d’irrégularités ? Ces habitacles anxieux, ces labyrinthes pour une mémoire mythique abritent les forces de l’inconscient. Ils nous introduisent dans un monde imprévisible et secret constitué de niches, de volumes éventrés. Cet expressionnisme inhabituel surprend chez celui qui tout en puisant aux sources, qu’elles fussent archaïques ou médiévales, introduit une dissonance dans une figuration néomaniériste qu’il veut transgresser. La suggestion remplace la représentation figurative. Avec Le Couple caillou, nous sommes devant la synthèse du classique et de l’informel, sans le faire renoncer aux problèmes de la condition humaine pour un renouveau du langage plastique. Lovée (bronze de 10 cm) est un minuscule corps féminin, membres repliés, tenant dans la main, tel un caillou poli par l’écume. Plin est momentanément tenté par la forme pure dans son aspiration à réaliser l’unité du spirituel et du sensible. Avec Les Nuées, la croissance de la forme entraîne le principe de mutation. La métaphore baudelairienne revêt une veine poétique très personnelle. Vénus (bronze) est la transposition onirique d’un corps de femme d’expression baroque, dans laquelle le mouvement s’intègre à la plénitude du volume. Cette sculpture qui n’est pas sans évoquer Roger Plin
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Nu déhanché Mine graphite 21 x 27 cm
Nu bras dans le dos Mine graphite 24 x 32 cm
Henri Laurens, garde son intégrité dense, limpide, dans une allusive mythologie familière à l’artiste qui se livre au plaisir que peut lui procurer l’exercice d’un immense talent naturel.
D’autres sculptures recourent à la métaphore. Le bois intitulé La Nuit n’appartient pas au langage de l’architecture et cependant il s’inscrit dans l’héritage de la sculpture médiévale. Un personnage pris dans le fût hiératique de la colonne, dont les membres se plient au cadre imposé, rappelle l’Étreinte. De Provins à Saint-Loup-deNaud jusqu’à Souillac, la filiation est pertinente comme elle l’est avec la série de ses christs briards destinés aux églises de Dammartin et de Pommeuse. La position assise et repliée de la figure La Nuit rappelle aussi celle de Gudea dans la sculpture assyrienne. De la même veine, Le Couple, dégrossi dans le bois, est un exemple de ses sculptures en taille directe, déjà évoquées. Une technique à laquelle Plin s’est essayé, dans la logique d’un engagement irréversible qui n’en a négligé aucune. La taille directe était alors considérée comme l’alternative à la tradition académique du modelage. Les partisans des deux
Les mouvements des nébuleuses et ceux de l’eau sont des prétextes à s’interroger sur la mimésis, celle-ci n’étant pas autre chose que la mise en rythme d’une image dans laquelle on croit connaître ou reconnaître une forme. Naïade (bronze) est de la même famille que Nageuse céleste dont il a été question plus haut. Avec Ondine, la vision de l’entité marine prend la forme d’un nu féminin. Elle allie le lyrisme à la volupté, l’épanouissement de la forme à la sobriété du langage, la sensibilité à la robustesse et à la calme solidité de ses masses. Les plans larges, simples et dépouillés, projettent la lumière. Cette sculpture tout en retenue est d’une expression humaine, fondatrice de l’œuvre de l’artiste. 34
Roger Plin, dessiner, sculpter
Nu incliné Mine graphite 24 x 32 cm
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pratiques s’opposent, bien que l’École des Beaux-Arts n’enseigne pas la taille directe. Pour Plin, cette pratique le rapproche de Gauguin et de l’art primitif, mais aussi de Brancusi à travers les solutions qu’ils apportent pour une solide structure, la densité et la puissance du bois. Rudimentaire dans ses volumes ébauchés et ramassés à l’extrême, la sculpture se réclame d’un audacieux primitivisme à la fois élémentaire et mystérieux. La dimension spirituelle de l’œuvre est visible aussi bien dans l’intensité de la matière que dans la recherche persévérante du signe. Le couple en tant qu’expression de l’esprit humain est entièrement tourné sur ses interrogations, sur l’existence et l’essence de l’Univers. Avec la Pietà, la dimension mystique prend tout son sens. Plin n’a pas oublié l’exemple de Zadkine qui, à un moment de sa vie, « dégoûté de la glaise », expérimente la taille directe qu’il avait pratiquée avec le travail du bois comme ornemaniste. Plin impose à sa pensée la masse informe, dont il interroge le poids avant d’agir du dehors et du dedans. Il lui faut enlever, sortir le matériau de son silence. La main est indispensable à l’élaboration progressive des formes en devenir. Les outils 36
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changent et modifient le geste. Avec les ciseaux arrondis, aplatis, avec des dents, il cherche à sculpter la lumière. Le Couple caillou présente des formes très structurées. Les volumes fermes et pleins s’emboîtent pour une architecture robuste qui ne délaisse jamais le champ de l’organique. Le dynamisme s’accorde à un symbolisme érotique qui exalte la vie dans sa plénitude charnelle. On retrouve la courbe fluide, les ondulations sensuelles de corps enlacés aux replis secrets, aux creux accueillants qui captent l’ombre complice de l’élan. La masse informe de Prométhée se donne comme le symbole d’une force terrassée. Pris dans le magma de la matière, celui qui voulut défier les dieux s’affaisse, chute sur un genou, vaincu, confronté à sa fin proche, dont Plin exprime plastiquement le côté transcendant. Il y a là une capacité de l’artiste à aborder son sujet de façon à lui donner une tout autre visibilité que celle du mythe traditionnel. À regarder la multitude de petites sculptures modelées destinées à être fondues et dont un très
Village Huile 16 x 26 cm
grand nombre l’a été depuis la disparition de Roger Plin, on entre plus avant dans son processus créateur. Passer du dessin au modelage c’est opérer de petits déplacements dans les plans, des mouvements souples dans les volumes, tout un jeu dansant de lignes et de volumes. Le nu d’atelier ou d’académie tracé à la mine graphite, au fusain et à la pierre noire présente l’être dans sa vérité. La franchise des pulsions se reporte sur les ébauches en terre. Vénus et Iris expriment l’élan du mouvement, le volume et le poids d’un corps, suggérant le velouté de l’épiderme, l’élasticité de la chair. Il enveloppe davantage ses volumes et assouplit son modelé qu’il transpose en doublant la ligne dans ses dessins. La sûreté de sa main ne s’est jamais mieux exprimée que dans ses études enlevées avec une rapidité qui lui permettait de préserver l’enthousiasme de l’émotion première. Il s’enchante de la pureté de l’arabesque d’un dos ou bien, pensant volume, il casse la ligne pour souligner la structure initiale. À l’opposé de ses Formes, indifféremment nommées, on trouve ses œuvres religieuses. Ses christs ascétiques, au schématisme formel exsangue, sont la part méditative d’une œuvre double. Les figures de saint Jean-Baptiste, de saint Fiacre et de saint Martin sont dans l’héritage roman, pour une « vie des formes » selon Focillon, qui traverse les âges. Roger Plin a garde d’enfermer son dessin dans la représentation du corps. La nature offre à son émerveillement les sujets animaliers, les paysages dont la tradition est aussi ancestrale que la figure humaine. Les rythmes y sont perçus largement. Ses fréquents séjours à Trouville lui inspirent des vues dans lesquelles l’espace s’ouvre sur un horizon infini où les lignes scandent la pro-
fondeur. La pierre noire et le fusain rehaussés de craie blanche sont utilisés dans leur juste tonalité, fluide et diaphane, pour les ciels nuancés de ses plages d’une grande douceur. Tout différents sont le port de la Lieutenance à Honfleur et ses chalutiers, les vues du Havre. Ces dessins comptent parmi les plus puissants de son œuvre graphique. Les forts contrastes dispensent une lumière qui donne à la nature toute sa résonance en opposition aux noirs d’une obscure impavidité que l’on retrouve dans les natures mortes, comme cette vanité dans la pure tradition des « bodegones » du xviie siècle espagnol et les Bœufs écorchés d’inspiration rembranesque. Il compose toujours avec une grande sûreté. Les concepts deux fois millénaires ne lui font pas ignorer les acquis contemporains. Sensible à l’esprit de la vie, son œuvre dessiné et sculpté est celui d’un homme à deux visages, d’un Janus, bifrons. Cet humaniste, pétri de culture, à la personnalité forte et complexe, puise aux sources et laisse parler son tempérament. La sensualité saine et forte des corps enlacés de ses couples debout, accroupis, couchés, d’une poésie charnelle exprimée avec fougue est à chercher du côté de Michel-Ange et de Verrocchio. Dessin, gravure, sculpture, céramique, médaille, Plin, à l’instar des maîtres de la Renaissance, exerce les arts majeurs et les arts dits mineurs, réunis sous le terme plus exact d’arts appliqués. C’est dans la pure tradition de la Renaissance que Roger Plin aborde l’art de la médaille. Noblesse oblige, il se tourne vers Pisanello, le maître. Notre sculpteur reprend tout à la base. Il étudie le plan, l’ombre et la lumière sur cet espace circulaire imposé, retrouvant les modalités d’une conception architecturale. L’échelle est réduite et exige un langage concis, la ténuité de l’écriture pour dire Roger Plin
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Autoportrait de Jacques Zwobada Mine graphite 50 x 32 cm
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Portrait dans l’atelier, sculptant le monument du groupe scolaire de Tournanen-Brie, vers 1976
l’essentiel d’un portrait. Chaque médaille est coulée, reprise individuellement pour la gravure, et patinée. Sa première médaille en 1963 est celle du poète Étienne Jodelle, poète de la Pléiade que l’on retrouve sur la partie haute du monument qu’il lui a dédié à la Houssaye-en-Brie. Deux ans plus tard, il réalise celle de Saint Martin. Suivent celles de Saint Fiacre (1967), patron de la Brie et des jardiniers à l’occasion de son XIIIe centenaire, Jehan de Brie (1968), dit le Bon Berger, intendant de Charles V, et Saint Faron (1968), évêque de Meaux et fondateur de son abbaye. La terre de Brie est célébrée dans son identité profonde. D’autres médailles verront le jour comme témoins d’un métier auquel Plin s’est fait un devoir de redonner ses lettres de noblesse.
C’est animé du même esprit qu’il répond aux commandes de monuments à Faremoutiers, Crécy-la-Chapelle, Tournan-en-Brie, Melun. Il renoue alors avec la tradition des chantiers du compagnonnage. L’universalité de Roger Plin est à chercher du côté d’un héritage dont il s’est attaché avec une passion indéfectible à transmettre à son tour les richesses humanistes et spirituelles.
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Nu appuyé Sanguine 65 x 50 cm
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Nu de trois quarts dos Sanguine 26 x 34 cm
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BucĂŠphale Bronze 60 x 36 x 19 cm
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