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Ouvrage conçu en accompagnement de l’exposition « Mille ans d’écriture dans l’Oise », Archives départementales de l’Oise, septembre 2011-avril 2012. Auteurs Bruno Ricard, conservateur en chef du patrimoine, directeur des Archives départementales de l’Oise. Marie-Françoise Damongeot, conservateur général des bibliothèques, Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France (pages 74-77). Klaus Grübl, magister artium, assistant à la chaire de linguistique romane de l’université d’ErlangenNuremberg – doctorat en cours sur les langues des chartes beauvaisiennes, 1241-1455 (pages 42-45). Christophe Leblan, attaché de conservation du patrimoine aux Archives départementales de l’Oise (pages 120-123, 128-132). Clotilde Romet, conservateur du patrimoine, directrice adjointe des Archives départementales de l’Oise (pages 70-71, 93, 108-113, 116-119). Marie-Émeline Sterlin, étudiante en master d’histoire médiévale à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne – mémoire en cours sur les cartulaires municipaux de Picardie, xiiie-xve siècles (pages104-107). Patricia Stirnemann, historienne de l’art, chargée de recherche honoraire à l’Institut de recherche et d’histoire des textes (pages 72-73). Coordination générale : Bruno Ricard, assisté d’Élise Ducrocq, attachée de conservation du patrimoine, et de Frédéric Giraudet, assistant qualifié de conservation du patrimoine (Archives départementales de l’Oise). Examen matériel, mise à plat et restauration des documents avant reproduction : Magali Laignel, restauratrice (Archives départementales de l’Oise). Photographie : Stéphane Vermeiren (Archives départementales de l’Oise). Nous remercions vivement pour son soutien et son aide Olivier Guyotjeannin, professeur de diplomatique et d’archivistique médiévales à l’École nationale des chartes. Nous remercions également Alexander Bachmann, Vincent Blanchard, Dominique Charlent, Alain Dawson, Marjolaine Perez, Morgane Robquin, Thomas Van de Walle et Franck Viltart.
Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Conception graphique : Loïc Lévêque Fabrication : Michel Brousset, Béatrice Bourgerie, Julie Dalle-Ave Contribution éditoriale : Jacques Stibler Suivi éditorial : Laurent Lempereur © Somogy éditions d’art, Paris, 2011 © Archives départementales de l’Oise, Beauvais, 2011 ISBN 978-2-86060-030-9 (Archives départementales de l’Oise) ISBN 978-2-7572-0503-7 (Somogy) Dépôt légal : septembre 2011 Imprimé en Italie (Union européenne)
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SCRIPTURAE Trésors médiévaux des Archives de l’Oise
Bruno Ricard Avec la participation de Marie-Françoise Damongeot, Klaus Grübl, Christophe Leblan, Clotilde Romet, Marie-Émeline Sterlin et Patricia Stirnemann Introduction d’Olivier Guyotjeannin Photographies de Stéphane Vermeiren
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Aux générations d’archivistes qui ont classé et inventorié les fonds médiévaux des Archives de l’Oise et aux chercheurs, historiens, philologues, paléographes, diplomatistes, sigillographes… qui les ont étudiés. À tous ceux, également, qui les préserveront et les étudieront à l’avenir.
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Sommaire
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Préface Introduction
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Des clés pour comprendre
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Les très riches archives médiévales de l’Oise Les « chartes » L’écriture Les langues de l’écrit Supports et techniques
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Ouvrez la porte du trésor…
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983 – La plus ancienne charte des Archives de l’Oise 1077 – Le plus ancien acte royal 1081 – Aux origines du prieuré de Saint-Leu d’Esserent 1098 – La plus ancienne bulle pontificale 1118 – Une calligraphie exceptionnelle 1130 – La charte à sceau plaqué d’un évêque de Beauvais xiie siècle – La charte d’une abbesse de Fontevraud pour un prieuré du Valois Vers 1149-1162 – Le feuillet détaché d’une très belle bible enluminée 1165 – Un chirographe non séparé 1172 – Une charte de l’évêque de Paris bâtisseur de Notre-Dame 1173-1174 – La « charte de commune » de Senlis 1197 – Les sceaux de l’abbé et de l’abbaye Saint-Corneille de Compiègne 1202 – Le sceau équestre d’un comte de Clermont mort en Orient 1241 – Le plus ancien texte en ancien français 1250 – Une bulle pontificale et son sceau de plomb 1255 – Une langue française presque contemporaine 1276 – Une charte en ancien picard xiie-xvie siècles – Le plus riche manuscrit des Archives de l’Oise xiiie-xive siècles – Le Livre enchaîné de Senlis xive-xve siècles – Le luxueux cartulaire de l’abbaye d’Ourscamp 1304 – Lettres patentes et sceau de majesté du roi Philippe le Bel 1319-1320 – Un support rare : les tablettes de cire de la ville de Senlis Fin xive siècle – Un terrier recouvert de peau de loup xve siècle – Les Coutumes de Beauvaisis de Philippe de Beaumanoir 1475 – Un incunable enluminé 1499 – Une châsse pour les reliques de sainte Godeberthe 1499-1500 – Rien ne se perd…
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Notes Quelques pistes pour aller plus loin
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Préface Yves Rome Président du Conseil général de l’Oise
L’Oise est riche d’un patrimoine architectural exceptionnel. Ses villes millénaires, ses cathédrales gothiques, ses châteaux et manoirs, son patrimoine rural en font une destination privilégiée des amateurs d’art et d’histoire. Mais l’Oise possède aussi d’innombrables trésors cachés, comme les milliers de documents médiévaux des Archives départementales. De l’an 983 – date du plus ancien document – à 1500, chartes sur parchemin, bulles des papes, cartulaires à la calligraphie somptueuse, rarissimes tablettes de cire ou traités de droit enluminés forment des collections scripturaires de tout premier ordre. Provenant des trois anciens évêchés et chapitres cathédraux de Beauvais, Noyon et Senlis, d’une centaine d’abbayes et de prieurés, de seigneurs ou de communes, la plupart de ces documents sont conservés aux Archives départementales depuis 1796, date de création de cet établissement, en pleine Révolution française. Depuis le xixe siècle, ils ont été étudiés par des générations de chercheurs venus du monde entier, mais n’avaient encore jamais été publiquement révélés. Le Conseil général, auquel les Archives départementales sont confiées depuis 1986, a souhaité que les habitants de l’Oise puissent découvrir ces trésors discrets, les admirer et en percer les mystères. Telle est l’ambition de cet ouvrage qui présente une sélection des pièces les plus exceptionnelles. Sa lecture vous plongera au cœur de l’écrit médiéval, de l’histoire de l’Oise et de l’histoire de France dont notre département a écrit certaines des pages les plus décisives. En remerciant les spécialistes érudits qui redonnent ainsi vie à ces richesses insoupçonnées, je vous souhaite un agréable voyage dans le temps.
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Introduction Olivier Guyotjeannin Professeur à l’École nationale des chartes
Le trésor de documents – actes en forme et documents de gestion, manuscrits et incunables aussi – à la reconnaissance duquel nous invite, après une sélection inspirée, Bruno Ricard, séduit l’œil et excite l’imagination. Choisis parmi les plus anciennes pièces des collections des Archives départementales, ils procèdent dans leur nombre et leur variété du grand bond en avant économique et démographique, urbain et politique, culturel et scolaire, qui se manifeste aux alentours des xie et xiie siècles. Démultiplié, indispensable même dans un contexte de décloisonnement des communautés et de judiciarisation des rapports sociaux, progressivement plus accessible à des semi-lettrés, l’écrit pragmatique de ce demi-millénaire n’est pas encore routinier ni proprement stéréotypé ; mobilisant des savoirs prestigieux, participant du mystère des Écritures saintes qui contiennent le monde de l’alpha à l’oméga, il demeure un produit d’artisanat toujours unique où l’application la plus attentive du formulaire le plus prévoyant laisse subsister une marge de variation qui fait l’ornement, et la valeur, du texte. Concessions à des besoins sans cesse accrus au fil des siècles, l’écriture peut se faire rapide, le rédacteur pressé ou moins qualifié ; l’attention portée au choix et au montage des formules, à la clarté de la langue demeure pourtant. Et lorsque surgit le vernaculaire, ce n’est ni par méconnaissance du latin, qui le soutient et l’enrichit de multiples emprunts, ni pour un résultat maladroit : le français qui apparaît dans les chartes est déjà fort d’une riche expérience, quand bien même ses incertitudes graphiques montrent qu’il n’est pas encore langue de grammaire. C’est que, sous couvert de reproduction, de réitération des legs de la tradition, les rédacteurs d’actes médiévaux n’ont cessé d’innover, par petites touches le plus souvent ; ainsi voit-on progressivement évoluer l’acte royal dans sa combinaison de quotidienneté et de solennité ; ainsi peut-on lire les expérimentations comme celles du chirographe ou, plus durable et massive, la diffusion du sceau, dont le succès illustre cette constatation générale que l’image médiévale, loin d’être le livre des illettrés, a accompagné et soutenu les progrès de l’écrit. Ainsi voit-on évoluer jusqu’au statut et aux fonctions de l’acte : tourné d’abord vers la consignation du don, de l’échange, vers la notation des rapports sociaux et spirituels noués ou renoués, il devient autour des xiie et xiiie siècles plus précis dans les désignations des parties (qualificatifs, onomastique…), dans la localisation et la description des terres, dans la qualification des négoces. Il se multiplie, gagne toutes les couches de la société, devient un enjeu de pouvoir et un objet économique. Ce trésor que nous recueillons aujourd’hui est aussi, dans sa conservation, le produit complexe, souvent difficile à démêler, d’une suite d’opérations de cristallisation et de décantation, de sédimentation et de ruptures, d’un mélange de volontarisme et de hasard dont les phases et les agents portent à leur tour témoignage. Témoignage unique de cet acte épiscopal de 983, qui laisse supposer un recours diffus à l’écriture pour des contrats sortant des pratiques coutumières, et une pratique non moins maîtrisée de la conservation de l’acte chez des laïcs le temps du bail – ici deux
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Des clés pour comprendre
Extrait du cartulaire de l’abbaye d’Ourscamp. Notice p. 108-113.
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Les très riches archives médiévales de l’Oise
L’écrit médiéval est extrêmement diversifié : les textes historiques (histoires, chroniques, annales, récits de voyage…), les vies de saints, les textes liturgiques et autres ouvrages relatifs au culte, les écrits juridiques ou littéraires côtoient les «actes de la pratique», que sont nos «chartes», et les «documents de gestion» (comptabilité, dénombrements…). Sauf exceptions, seules ces deux dernières catégories de documents sont présentes dans les services d’archives. Dès lors qu’elles sont en mains publiques, les autres productions écrites trouvent plutôt leur place dans les bibliothèques. Des documents relevant donc d’un périmètre circonscrit, mais en quel nombre ! Les Archives départementales de l’Oise détiennent en effet des milliers de documents médiévaux, de plus en plus nombreux au fil du temps. Ils pèsent pourtant peu, en volume, comparés aux archives produites après 1500, borne supérieure de notre étude. La lente diffusion de l’écrit à l’ensemble de la société, le développement continu des administrations publiques et la récente mécanisation de l’écriture expliquent la progression spectaculaire des métrages linéaires conservés : quelques centaines de mètres linéaires d’archives médiévales (après mise à plat des chartes dotées de sceaux), 2,5 kilomètres linéaires d’archives des xvie-xviiie siècles, 24 kml, en accroissement constant, depuis la Révolution, et des dizaines de téraoctets de données électroniques en perspective. Pour la seule Oise. Gardons-nous cependant de comparer ces volumes respectifs. Plusieurs milliers de documents médiévaux forment un fonds de tout premier ordre. Cette valeur est renforcée par l’ancienneté des documents conservés : le plus ancien original, charte d’un évêque de Senlis, date de 983, écrit avant l’accession au trône d’Hugues Capet. Le suivant dont l’authenticité est certaine a été écrit en 1064. Neuf actes datent du xie siècle, puis le rythme s’accélère fortement, comme partout dans le royaume de France. Actes millénaires ou bientôt millénaires, relativement récents néanmoins si on les rapproche du plus ancien original occidental conservé en France (324, bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg) et a fortiori des plus anciennes formes d’écriture (3 300 ans avant Jésus-Christ en Égypte et Mésopotamie). Ajoutons que c’est de 688 que date le plus ancien original conservé établi dans une ville de l’Oise (Compiègne) ; diplôme sur parchemin du roi mérovingien Thierry III, il est conservé aux Archives nationales. Le premier document original isarien date donc de 983, mais quelques textes plus anciens nous sont parvenus sous forme de copies, notamment dans le cartulaire du chapitre cathédral de Noyon dont le premier acte transcrit, un diplôme de Charles le Chauve, date de 841. Cette richesse des Archives de l’Oise est la conséquence de la centralisation, pendant la Révolution française, des « titres » et « papiers » des institutions et établissements ecclésiastiques spoliés de leurs biens, puis supprimés. Il y eut certes des destructions, en particulier de chartriers seigneuriaux, mais l’essentiel fut sauvé. Les révolutionnaires,
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Les « chartes » Documents de loin les plus représentés parmi les archives médiévales des Archives de l’Oise, les « actes » méritent un exposé particulier. Actes ou chartes ? Le terme « charte », le plus connu, ne devrait s’appliquer qu’à certains types de documents authentifiés antérieurs au xiiie siècle. Mais il est souvent employé de manière extensive dans un sens générique (à la place d’«acte»), désignant un vaste ensemble d’actes royaux, épiscopaux, seigneuriaux… de toutes périodes médiévales. Nous utiliserons les deux termes dans leurs significations respectives. Les actes sont évolutifs, dans leur forme, leurs matières, leurs langues. On assiste aussi à leur diversification au fur et à mesure que se développent les administrations royale, pontificale, princières, épiscopales... Prenons l’exemple de la chancellerie royale française : elle ne produit au xie siècle que deux types d’actes, les actes solennels et les actes non solennels, tous considérés comme des diplômes (on trouve cette même distinction à la chancellerie pontificale, avec les « grandes » et « petites » bulles). Sous Philippe Auguste (1180-1223), les actes sont répartis en diplômes (souvent désignés par le terme carta, charte), lettres patentes (de plusieurs types selon leur degré de simplicité) et lettres closes (envoyées fermées, contenant des renseignements confidentiels ou de la correspondance privée). Aux xive et xve siècles, on trouve des lettres patentes en forme de chartes, des grandes lettres patentes, des petites lettres patentes, des mandements, et, émanant directement du roi, des lettres closes, des lettres missives, des lettres de sceau plaqué (ou ordres du roi).
Quatre actes, dont trois scellés, réunis par une attache, relatifs à la vente d’une terre par Eudes de Gannes à l’abbaye de Froidmont, septembre-octobre 1237 (fonds d’archives de l’abbaye de Froidmont, H 4535). Dim. du premier acte : H. 15 ; L. 19 cm. La terre vendue se situe à Legniviler, entre Quincampoix et Brunvillersla-Motte. Les sceaux conservés sont ceux d’Hugues de Maignelay (écu portant une quintefeuille), de Jean de Gannes (écu papelonné – champ formé de rangées d’écailles – portant quatre losanges en bande) et de l’officialité de l’archidiacre de Sully (lion rampant), tous trois ayant confirmé et approuvé la vente. Le sceau d’Eudes de Gannes est absent.
S’ils sont évolutifs et multiples, les actes sont en revanche des écrits généralement simples, contrairement aux textes littéraires ou juridiques. Destinés à régler des intérêts et à consigner des droits, ils sont rédigés de manière à les rendre le plus intelligibles possible et à éviter toute équivoque. Pour cela, et en raison de la répétition d’affaires de même nature (donations, confirmations…), ils utilisent des expressions récurrentes, voire des phrases toutes faites, dans une structure « normalisée ». Cette structure normalisée est divisée en plusieurs parties, qui ne sont pas toutes toujours présentes, selon le caractère solennel ou non des actes, la chancellerie, l’époque... En voici la forme la plus complète. En début d’acte se trouve le protocole initial. Il est composé ainsi : L’invocation, en tête des documents, place généralement la charte sous le patronage de Dieu et se présente sous forme figurée (une croix ou le monogramme grec XP du Christ, dit aussi chrismon) ou verbale (par exemple In nomine sancte et individue Trinitatis, Au nom de la sainte et indivisible Trinité). Les actes étant l’objet d’une lecture publique, l’invocation appelle l’attention des auditeurs et conforte le caractère solennel de l’acte. Très présente au début du Moyen Âge, elle tend à disparaître à partir du xiie siècle.
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L’écriture Les textes des xe-xve siècles des Archives de l’Oise s’inscrivent dans le temps long de l’histoire de l’écriture. Ils utilisent l’alphabet latin qui, issu de l’alphabet grec par l’entremise de l’alphabet étrusque, s’est stabilisé au ier siècle avant notre ère dans la forme que nous lui connaissons encore aujourd’hui. Pour l’époque romaine, cette écriture est surtout connue par les inscriptions sur matériau dur que nous observons dans les vestiges et les musées des villes antiques. Elles sont gravées en « capitale élégante ». Néanmoins, l’écriture sur parchemin et papyrus, la plus répandue, mais la moins conservée en raison de la fragilité des supports, n’employait pas cette graphie, sinon marginalement. L’écriture romaine la plus usuelle était une capitale cursive 5 de petite taille. Appelée « écriture commune », elle change substantiellement au ier siècle de notre ère, en raison, selon le paléographe Jean Mallon, d’un changement de l’angle d’écriture 6. Naît alors une « nouvelle écriture commune », de plus en plus cursive au fil des siècles, caractérisée par des courbes et des ligatures. Un autre type d’écriture, utilisé du ive au ixe siècle, est célèbre : l’onciale. Comme la capitale élégante, c’est une écriture de luxe, calligraphiée et non cursive. Ayant servi à la transcription de nombreux manuscrits, elle a rempli un rôle culturel considérable. La forme de certaines lettres lui est spécifique, comme le « m » minuscule, formé de trois jambages formant deux arceaux, comme si le « M » capital s’était arrondi. Une autre écriture, dite semi-onciale en raison de sa parenté avec l’onciale, destinée au même usage, est utilisée à partir des iiie-ive siècles et ne disparaît complètement qu’au ixe siècle. Mais les écritures les plus utilisées à l’époque mérovingienne sont réunies sous l’appellation d’« écritures précarolines ». Très variées, elles sont les héritières de l’écriture latine dans ses différentes formes que sont la capitale, la semi-onciale et la nouvelle écriture commune. On distingue la précaroline des livres (ou livresque) de la précaroline des actes et chartes (dite aussi précaroline diplomatique), cette dernière étant plus verticale, plus irrégulière, plus ligaturée 7. L’allongement des hastes 8 et des hampes 9, qui donne sa verticalité à l’écriture, distinguera pendant tout le Moyen Âge l’écriture des livres et celle des chartes.
Extrait d’une charte de Raoul, archevêque de Reims, pour l’évêque de Beauvais, 1118 (H 24, no 2/4). Notice p. 66-67.
La star de l’écriture occidentale médiévale est cependant sans conteste la « caroline », créée à l’initiative de Charlemagne (Carolus Magnus), qui lui donna son nom, ou de son entourage. Sur son origine, on laissera s’exprimer Charles Higounet : « Si la nouvelle écriture du ixe siècle est bien une écriture caroline, c’est-à-dire carolingienne, c’est parce qu’elle a pris naissance dans les scriptoria des pays d’entre Rhin et Loire qui étaient le cœur de la Francia carolingienne durant le grand règne de Charlemagne (768-814)… Les grands scriptoria n’ont pas chômé dans le dernier quart du viiie siècle. Cette fièvre a été d’autant plus favorable à la recherche graphique qu’elle lui a donné un but : une écriture normalisée, comme nous dirions aujourd’hui, en vue de produire assez rapidement et économiquement des textes de lecture agréables à l’œil.» 10
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Les langues de l’écrit Les textes médiévaux des Archives de l’Oise sont écrits en trois langues : le latin, l’ancien français d’Île-de-France et l’ancien picard.
Le latin Si le premier texte connu en langue romane (dite aussi « vulgaire » ou « vernaculaire ») date de 842 (ce sont les serments de Strasbourg, prononcés par Charles le Chauve et Louis le Germanique en tudesque – ancien allemand – et en « roman »), le plus ancien acte des Archives de l’Oise écrit en ancien français date de 1241 (notice p. 90-91). Tous les textes antérieurs sont en latin. Ce latin n’est pas celui de Cicéron, et évolue au cours du Moyen Âge. À l’époque mérovingienne, le latin écrit est profondément atteint par des transformations phonétiques et la dégénérescence des formes grammaticales. Écrit par des scribes peu instruits, il subit alors l’influence de la langue parlée, qui n’est plus du latin mais y ressemble encore. Au ixe siècle, deux facteurs ont permis une nette amélioration du latin écrit : d’une part l’étude du latin classique a été restaurée dans des écoles fondées par Charlemagne, d’autre part les langues parlées avaient achevé de se dégager du latin pour devenir des langues nouvelles. On observe donc l’usage d’un latin plus correct et moins soumis à l’influence des langues romanes dès le règne de Charlemagne, et surtout sous celui de ses proches successeurs. Une nouvelle dégradation, plus profonde encore que celle de l’époque mérovingienne dans certaines provinces, s’observe aux xe et xie siècles, conséquence des troubles politiques et de la décadence de l’enseignement. La charte de l’évêque de Senlis Constance, de 983, en fournit l’illustration (notice p. 58-60). La correction du latin s’améliore de nouveau, et définitivement, à partir de la fin du xie siècle.
Extrait de la charte en ancien picard du chevalier Guy de Porquéricourt, 1276 (H 4231). Notice p. 96-97.
Il ne s’agit pas pour autant du latin classique, même lorsque les règles grammaticales sont respectées. Le latin médiéval demeure une langue quasi vivante, dont la syntaxe et le vocabulaire sont imprégnés par les langues parlées, romanes comme germaniques. Sa première caractéristique est son enrichissement continu. Dans le cadre de la refonte du dictionnaire de latin médiéval de Charles du Fresne, sieur Du Cange, une étude a révélé que sur les 3 506 mots de l’initiale «M», seuls 2 250 sont attestés en latin classique. Parmi les nouveaux venus, figurent notamment de nombreux mots d’origine germanique latinisés, qui désignent des concepts inconnus à l’époque romaine. Tel est le cas de feodum, feudum (fief). Le sens de certains termes latins a également changé : sous peine de commettre de fâcheux anachronismes, miles ne doit pas être traduit par « soldat » mais par « chevalier » et dominus signifie « seigneur » et non plus « maître ». Autre cas de figure, plusieurs mots peuvent entrer en concurrence
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Supports et techniques Papyrus, parchemin et papier Dans leur immense majorité, les documents médiévaux des Archives départementales de l’Oise sont en parchemin, c’est-à-dire en peau d’animal. Le papyrus (roseau d’Égypte, également cultivé en Sicile), s’il a été utilisé à la curie pontificale jusqu’au xie siècle, a cessé de l’être au palais des rois mérovingiens aux alentours de l’an 675, vraisemblablement en raison de sa fragilité et de difficultés d’approvisionnement. Les Archives de l’Oise ne conservent aucun document sur papyrus. Comme le papyrus, le parchemin existe depuis l’Antiquité. Il tire son nom de la ville de Pergame, dont un roi en aurait, au iie siècle avant notre ère, fait un usage intensif et amélioré la qualité. Il est issu du traitement de la peau d’animaux, soumise à l’action de la chaux vive, au lavage et au grattage. Cette préparation est destinée à rendre la peau fine, souple et apte à recevoir l’encre. Le mouton, la chèvre et le veau sont les principaux pourvoyeurs de peaux à parchemins. Le vélin, le plus blanc et le plus fin des parchemins, réservé aux ouvrages de luxe, provient de la peau de veaux mort-nés. La qualité des parchemins utilisés est fonction de la richesse de l’auteur des documents et de l’importance qu’il leur accorde. Le parchemin destiné aux actes diplomatiques est généralement de bonne facture, mais d’autres manuscrits sont composés de feuilles de parchemin de qualité médiocre, de taille et d’épaisseur variables. Ils présentent même parfois des déchirures et des trous.
Fragment de la Somme des cas de conscience, traité de droit canonique composé en 1317 par le théologien Astesanus de Ast. Copie du 3e quart du xive siècle (Jp 3388). Notice p. 77. 1 et 2 Détails du cartulaire du chapitre cathédral de Noyon (G 1984). Notice p. 98-103. 1
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Ouvrez la porte du trésor...
Initiale « S » historiée, fragment de bible (Épîtres de saint Jean), xiie siècle (Jp 3362). Notice p. 72-73.
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983 La plus ancienne charte des Archives de l’Oise Charte de Constance, évêque de Senlis, 15 avril 983. Fonds d’archives de l’évêché de Senlis (G 7781). Langue : latin. Original sur parchemin. Dim. : H. 50 ; L. 30 cm. L’évêque de Senlis concède à un certain Rothard (quidam vir nomine Rothardus), pour lui, sa femme et un seul héritier, une terre appartenant aux chanoines de Saint-Rieul de Senlis située à Bray (Braio) dans l’actuelle commune de Rully, contre le paiement d’un cens annuel. Il s’agit d’un bail à deux vies. Cette charte, de loin la plus ancienne des Archives de l’Oise (le document immédiatement postérieur conservé date de 1063), a été rédigée par un certain Bernard (dernière ligne : S[ignum] Bernardi levite et notarii qui hanc cartam scripsit). Elle présente une écriture propre à cette époque, soignée, « tracée d’une main assez lente » (L. Carolus-Barré). Le texte est animé par certains éléments graphiques : les boucles en forme de vrille des « g » et « s », les petits traits sinueux en forme de « s » qui annoncent des abréviations, les ligatures « st » et « ct », la verticalité traditionnelle des lettres hautes (« d », « h », « l ») ou plongeantes (« p », « q »), appuyée par la descente dans l’interligne des « r » et du dernier jambage des « m » et par les apex (pointes verticales) qui surmontent certains « o » et « c ».
L’acte est caractérisé par l’emploi d’un latin décadent, la dégradation de la langue latine étant commune en cette fin du xe siècle, déjà éloignée de la brillante renaissance carolingienne. Dans notre cas, le rédacteur ignore certaines règles grammaticales élémentaires (accord de l’épithète : in pago Silvanectensis), écorche certains mots (clericoraum et aobtineat, gauchement corrigés, contraditione, karitas…) et choisit mulier (femme) au lieu d’uxor (épouse), influencé par l’ancien français molier.
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1098 La plus ancienne bulle pontificale Bulle du pape Urbain II, 1098. Fonds d’archives de l’abbaye Saint-Quentin de Beauvais (H 122). Langue : latin. Original sur parchemin, sceau perdu. Dim. : H. 25 ; L. 26 cm. Urbain II (1088-1099) confirme la donation à l’abbaye Saint-Quentin de Beauvais, par Guillaume Ier de Montfort, évêque de Paris, d’une terre située à Arnel. Cette terre appartenait à l’abbaye Saint-Germain-l’Auxerrois de Paris qui a reçu en contrepartie une prébende au chapitre Notre-Dame de Paris. L’abbaye Saint-Quentin de Beauvais (dont les bâtiments abritent la préfecture de l’Oise depuis le xixe siècle) a été fondée en 1067 dans le cadre de la réforme grégorienne. Elle disposait d’un ensemble important de possessions autour de Gournay-sur-Aronde, dans la partie orientale du diocèse de Beauvais. Arnel, qui n’existe plus, se trouvait à proximité de l’actuel bourg de Moyenneville. La bulle pontificale a perdu son sceau dont ne subsistent que les lacs de soie. Par opposition aux « grandes bulles », il s’agit d’une « petite bulle », moins solennelle, plus simple, sans monogramme ni rota. Elle présente une première ligne aux lettres allongées. Cette caractéristique, qui n’est pas propre à la chancellerie pontificale, s’observe depuis l’époque mérovingienne et existait même antérieurement dans l’administration provinciale du Bas-Empire romain. La suscription (Urbanus, episcopus, servus servorum Dei = Urbain, évêque [de Rome], serviteur des serviteurs de Dieu) est caractéristique des actes pontificaux. L’acte a été établi au palais du Latran, à Rome (Data Laterani). Notons également des capitales décoratives, dont un « Q » en forme de crosse. Transcription du début de l’acte URBANUS, EPISCOPUS, SERVUS SERVORUM DEI, DILECTO FILIO GUALONI, PREPOSITO /2 ecclesię Sancti Quintini quę Belvaci sita est, salutem et apostolicam benedictionem [...].
Pour aller plus loin… Dumont (Céline), L’Abbaye de Saint-Quentin de Beauvais, XIe-XIIIe siècles, thèse d’École des chartes, dact., 1991 (AD Oise : 2 BH 858). Rendu (Armand), Inventaire analytique des chartes des de Beauvais, Beauvais, 1880 (AD Oise : 1 BH 209).
XIe, XIIe, XIIIe
siècles de l’abbaye Saint-Quentin
Chartes originales antérieures à 1121 conservées en France, Cédric Giraud, Jean-Baptiste Renault et Benoît-Michel Tock, éds, Nancy : Centre de médiévistique Jean Schneider ; éd. électronique : Orléans : Institut de recherche et d’histoire des textes, 2010. http://www.cn-telma.fr/originaux/charte255/. Première version : 10 juin 2010.
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1241 Le plus ancien texte en ancien français Charte de Roger, abbé de Saint-Lucien de Beauvais, et de Jean de Gannes, 22 juillet 1241. Fonds d’archives de l’abbaye Saint-Lucien de Beauvais (H 1250). Langue : ancien français. Original sur parchemin, autrefois scellé de trois sceaux, dont un seul, mutilé, subsiste. Dim. : H. 13,4 ; L. 23 cm. L’abbé de Saint-Lucien de Beauvais et le chevalier de Gannes décident de s’en remettre à des tiers arbitres, Philippe Baudouin et Henri de Lihus, avec faculté de s’adjoindre, en cas de désaccord, Baudouin de Reuil, pour régler leur différend concernant la succession de Jean de Thieux, qui avait légué le cinquième de ses terres à l’abbaye Saint-Lucien. Jean de Gannes, neveu du défunt, contestait la validité de ce legs. Il s’agit du plus ancien texte conservé dans les fonds des Archives de l’Oise écrit en langue « vulgaire », langue « vernaculaire », langue « d’oïl » (par opposition à langue « d’oc », selon la manière de dire « oui »), ou « ancien français ». Vraisemblablement écrite à l’abbaye Saint-Lucien de Beauvais, elle présente les caractères propres à l’ancien français d’Île-deFrance (ou « francien ») alors que Beauvais se situe en terre de langue picarde, comme toute la moitié nord de l’actuel département de l’Oise. L’Oise constitue une « marche linguistique », c’est-à-dire une zone de confrontation et d’interpénétration des langues «française » et picarde. Sceau : seul subsiste le sceau très abîmé de Jean de Gannes, sceau rond de cire crème. Diam. 3,6 cm. Le sceau de Jean de Gannes, dont un exemplaire est conservé par ailleurs, représente un écu papelonné (champ formé de rangées d’écailles) portant quatre losanges en bande. Légende : + S’ JOHENNIS DE GAUNES (Sigillum Johennis de Gaunes = sceau de Jean de Gannes). La tache brune a vraisemblablement été causée par la pression du sceau de cire replié sur l’acte. Le texte maculé, illisible à l’œil nu, a été déchiffré par Louis Carolus-Barré grâce aux rayons ultraviolets. Transcription du début de l’acte Sachent tot cil qui verrunt ces letres ke, comme contens fust entre l’abé et le couvent de Saint Lucien de Biauvés, de une partie, et mesire Jehan /2 de Gaunes, chevalier, d’autre partie, seur le lais du quint de tote la terre mesire Jehan de Tieuz, l’oncle au devantdit Jehan de Gaunes [...]. Pour aller plus loin…
Autre sceau de Jean de Gannes conservé, acte de 1237 (H 4535). Diam. 4,4 cm.
Carolus-Barré (Louis), Les plus anciennes chartes en langue française, tome 1 : Problèmes généraux et recueil des pièces originales conservées aux Archives de l’Oise, 1241-1286, Paris, Klincksieck, 1964 (AD Oise : 1 BH 2226).
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xiie-xvie siècles Le plus riche manuscrit des Archives de l’Oise Cartulaire du chapitre cathédral de Noyon, rédigé du xiie (?) au xvie siècle, contenant des copies d’actes depuis 841. Fonds d’archives du chapitre cathédral (G 1984). Langues : essentiellement latin, mais quelques textes sont en ancien français. Registre de 355 folios de parchemin (soit 710 pages). Reliure en veau, sur ais de bois (chêne), xive ou xve siècle, restaurée en 1986. Dim. : H. 24 ; L. 18 ; Ép. 9 cm. Le cartulaire du chapitre cathédral de Noyon (assemblée des chanoines) est le document des Archives départementales de l’Oise le plus riche en informations historiques. Il contient la copie de 594 chartes et autres documents du chapitre cathédral, depuis un diplôme de Charles le Chauve de 841 jusqu’à des textes du xive siècle (le dernier date de 1388). Le cartulaire n’a ensuite été complété qu’en deux endroits : la liste des archevêques de Reims a été prolongée jusqu’au xve siècle et celle des évêques de Noyon, jusqu’au xvie. Diplômes des empereurs et des rois, bulles pontificales, chartes d’évêques, d’abbés, de seigneurs laïques… délivrent une part importante de l’histoire, non seulement du Noyonnais mais de toute la Picardie orientale (Saint-Quentin, Chauny, Ham, Péronne… appartenaient au diocèse de Noyon) et de la Belgique, le diocèse de Tournai ayant été uni à celui de Noyon de 532 à 1146. Si le contenu du cartulaire est exceptionnel, sa composition matérielle, sa mise en page et sa calligraphie le sont un peu moins. Les parchemins employés sont de qualité inégale, parfois troués, déchirés et réparés (avant usage). Le cartulaire ayant été élaboré sur plusieurs siècles, plusieurs mains se sont succédé, attachant une importance variable à la beauté des formes. Le premier tiers du cartulaire présente une écriture et une mise en page soignées et de belles lettrines rouges et bleues. Ce cartulaire est aussi caractérisé par la reproduction de monogrammes royaux et de Bene Valete et rota pontificaux. On remarque aussi la présence de maincules, mains signalant de leur index pointé un passage du texte.
Monogramme de Charles le Simple (KAROLUS), copie d’un diplôme de 902.
Manicule
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xiiie-xive siècles Le Livre enchaîné de Senlis Cartulaire municipal de Senlis, rédigé aux xiiie et xive siècles, contenant des copies de documents de 1156 à 1376. Fonds d’archives de la ville de Senlis, déposé aux Archives départementales de l’Oise (EDT 1/AA9). Langues : latin et ancien français. Registre de 100 folios de parchemin (soit 200 pages). Reliure en peau sur ais de bois. Dim. : H. 26 ; L. 17 ; Ép. 5 cm. Le Livre enchaîné de Senlis est le plus ancien cartulaire élaboré à l’instigation d’une ville qui nous soit parvenu dans les territoires de l’actuelle région Picardie. Outre cette importance chronologique, il se distingue par le soin particulier qui a été porté à sa fabrication. Dans la première moitié notamment, le texte, d’une petite écriture gothique régulière, est orné de délicates initiales filigranées bleues et rouges. Cette recherche de préciosité, qui transparaît de la même manière sur la reliure ornée de cabochons en forme d’étoiles, montre que ce recueil a été conçu comme un manuscrit de prestige. Quatre-vingt-huit documents de natures diverses y ont été copiés : privilèges, procès-verbaux, accords, ou encore listes des tonlieux, cet impôt qui, prélevé sur les marchandises circulant dans la ville, constituait la principale ressource financière de la municipalité senlisienne. En somme, les autorités municipales ont rassemblé en un seul registre les documents faisant état des franchises et des privilèges fondateurs de la puissance de Senlis, créant ainsi une sorte de mémorial des droits communaux. Si ce manuscrit a eu une réelle valeur symbolique, il n’en n’a pas moins été conçu comme un véritable outil, destiné à optimiser la consultation des archives de la municipalité. Pour cela, un classement rigoureux a été mis en place dans le cartulaire : aux privilèges octroyés par le roi succèdent les chartes des tractations avec les institutions ecclésiastiques. Viennent ensuite les listes des tarifs de tonlieux. Par ailleurs, afin d’augmenter l’efficacité de la recherche dans le recueil, des titres à l’encre rouge annoncent chaque document. Lorsque ceux-ci sont de langue latine, ils sont suivis de leur traduction en ancien français, pour assurer une lecture plus facile. D’autres preuves de l’utilisation du cartulaire se trouvent sur la reliure : les cabochons, d’une part, avaient une fonction esthétique mais aussi pratique puisqu’ils limitaient l’usure de la peau en évitant les frottements. D’autre part, la chaîne qui donne son nom au Livre enchaîné servait à le fixer au bureau de la grand-salle de l’hôtel de ville. C’était une façon de le protéger contre le vol, ce qui suppose qu’il était consultable par un nombre important de personnes.
Pages suivantes : double page du Livre enchaîné de Senlis, portant les monogrammes de Philippe Auguste (PHILIPPUS, à gauche) et de Louis VIII (LUDOVICUS, à droite), copie suivie de la traduction en ancien français d’une charte de Louis VIII de 1223-1224, confirmant, sous forme de vidimus, une charte de Philippe Auguste de 1202.
On distingue plusieurs parties au sein du cartulaire. Celui-ci a en effet été réalisé en plusieurs fois, et complété en fonction des nécessités du moment. Ainsi, dans le dernier tiers du recueil, la belle mise en page du début et le classement sont abandonnés. La nature des documents évolue avec l’irruption de listes de bourgeois admis dans la commune. Ces textes sont désormais transcrits au fur et à mesure, avec des mains toutes différentes. À ce moment-là, on ne cherche plus à créer un mémorial mais seulement à garder une trace des documents que l’on copie. Cet aspect évolutif complique la datation du manuscrit. Néanmoins, il est possible de situer la première étape de rédaction peu avant le milieu du xiiie siècle. Le cartulaire a ensuite été successivement complété jusqu’à environ 1318. Puis quelques actes ont été copiés sur les feuillets restés blancs : le plus récent étant de 1376, sa copie dans le recueil est forcément postérieure. Pour aller plus loin… Flammermont (Jules), Histoire des institutions municipales de Senlis, Paris, F. Vieweg, 1881 (AD Oise : 1 BH 179). 105
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1319-1320 Un support rare : les tablettes de cire de la ville de Senlis Tablette de cire de la ville de Senlis contenant une analyse des comptes des dix années précédentes, rédigée en 1319-1320. Fonds d’archives de la ville de Senlis déposé aux Archives départementales (EDT 1/CC46/2). Langue : français. Âme de bois évidée en son centre sur moins d’un millimètre d’épaisseur pour accueillir une fine couche de cire noire. Dim. : H. 39 ; L. 17 ; Ép. 0,5 cm. Cette tablette, portant le no 8, est issue d’un ensemble de treize tablettes : douze sont aujourd’hui conservées aux Archives départementales de l’Oise, la treizième se trouve au département des manuscrits occidentaux de la Bibliothèque nationale de France (français 12014). La première tablette ne comporte pas de cire sur un de ses côtés pour servir de reliure (plat supérieur). Il devait exister au moins une tablette supplémentaire qui servait de plat inférieur. Les tablettes étaient reliées entre elles par des languettes de parchemin pour former un codex ; des traces de fermoirs sont encore visibles. Les tablettes de cire étaient utilisées comme support pour la prise de notes, comme brouillon pour des actes qui étaient ensuite rédigés au propre sur du parchemin. En France, elles ont été largement utilisées jusqu’au xive siècle, date à laquelle le papier commence à se diffuser, pour quasiment disparaître au xve siècle quand le papier s’est imposé. Le support étant devenu obsolète, et puisqu’il s’agissait de notes ou de brouillons, elles ont souvent été détruites. Seuls treize « livres » de tablettes françaises sont connus, dont celui de Senlis. Le tracé est réalisé grâce à un stylet qui permet d’écrire sur la cire alors qu’elle n’est pas encore complètement durcie. Pour les réutiliser, il suffisait d’effacer le tracé en aplanissant ou « raclant » la cire et de les cirer à nouveau si nécessaire. Une poudre blanche a été passée sur la cire noire, bien après la rédaction, pour révéler le texte par contraste et faciliter la lecture. En 1173, Louis VII octroie à Senlis, ville royale depuis le xe siècle, une charte de commune : c’est la mise en place d’une institution municipale puissante. Mais en 1319, la majorité des habitants demande au Parlement de Paris la suppression de la commune. Le Parlement ordonne une enquête qui est confiée à Pierre Ponce, chantre de Notre-Dame de Senlis, et à Jean Robert, conseiller du roi : la commune nuit-elle aux intérêts des bourgeois et de la ville ? Comment les dépensiers de la ville ont-ils géré les finances ? Les deux commissaires royaux analysent les comptes des dix dernières années (1309-1319). Les tablettes ne renferment donc pas les comptes municipaux à proprement parler mais une analyse rétrospective des dix précédentes années de gestion. À la suite de cette enquête, la commune est supprimée par le roi en 1320.
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Fin xive siècle Un terrier recouvert de peau de loup Terrier de la châtellenie de Trie commencé en 1384. Fonds de la châtellenie de Trie (1 Ep 33/31). Langue : français. Registre de 123 folios de papier numérotés (245 pages écrites) renforcés ultérieurement par endroits. Reliure en peau de loup sur ais de bois. Dim. : H. 29 ; L. 21 ; Ép. 6,5 cm. Ce registre consigne l’ensemble des droits et usages en vigueur dans la châtellenie de Trie. Il donne le détail des redevances perçues tant en argent qu’en nature par le seigneur ou encore la liste des habitants chargés de corvées. Le papier utilisé comporte trois motifs différents de filigranes, marques de fabrique des papetiers. Le plus représenté est constitué de deux croissants adossés traversés verticalement par un trait terminé en croix à l’une des extrémités. Ce type de dessin se retrouve sur des papiers datant de la fin du xive et du début du xve siècle.
Les folios 31 et 32, qui consignent la liste, par paroisse, des habitants tenus de faire le guet au château de Trie, forment un seul cahier orné d’un filigrane composé d’une ancre accompagnée en bout de tige d’une croix patentée. À en juger par les marques de piqûre et les pliures du papier, ce cahier provient d’un autre registre. Deux tables de noms de personnes figurent en fin de registre aux folios 121 à 123 sur un papier ayant pour filigrane un écu de France couronné auquel pend la lettre « F » (reproduction p. 49). Ce papier est plus fin et moins cassant que celui qui a été utilisé pour le reste du registre et similaire à celui qui a été utilisé pour les consolidations. Ce filigrane se retrouve également au sein d’un registre de la châtellenie de Trie daté de 1475 (1 Ep 33/22). Constitué de trois papiers d’origine différente, le registre, tel qu’il se présente aujourd’hui, a été recomposé, restauré, folioté et relié après 1384, sans doute au xve siècle. Pour aller plus loin… Briquet (Charles Moïse), Dictionnaire historique des marques du papier, dès leur apparition vers 1282 jusqu’en 1600, 2e édition, New York Hacker Art Books, 1966, 4 vol. (AD Oise : 2 BH 651/1 à 4).
Filigrane
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