Sensations. On aura tout vu (extrait)

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CitĂŠ internationale de la dentelle et de la mode de Calais


Cet ouvrage accompagne l’exposition « SensationS, on aura tout vu », créée et présentée à la Cité internationale de la dentelle et de la mode de Calais, du 12 juin au 31 décembre 2014.

Commissariat scientifique / Scientific curator

This book accompanies the exhibition SensationS , on aura tout vu produced by and held at the International Centre for Lace and Fashion, Calais, from 12 June to 31 December 2014.

Commissariat général / General curators

Nous exprimons toute notre reconnaissance à la maison de Couture on aura tout vu et à ses créateurs Livia Stoianova et Yassen Samouilov qui ont apporté leur soutien à la réalisation de cet ouvrage et à cette exposition. Nos remerciements vont également aux dentelliers calaisiens qui ont activement collaboré à la mise en œuvre de l’exposition : entreprises Codentel, Desseilles et Noyon ; ainsi qu’aux équipes de la Cité internationale de la dentelle et de la mode et de la ville de Calais ; et à Romain Alès, Marie-Claude Beaud, Chantal Evrard, Wichien Khaochoo, Narumon Khumphairan, Virginie Linxe, Emmanuel Maria, Lidia Martinez, Alizée Mosses, Jean-Yves Rivière, Antigone Shilling, Gavin So, Christine Suppes, Dolores Vincea Guyot, Joseph Voillemin. We would like to extend our thanks to fashion house on aura tout vu and its founders, Livia Stoianova and Yassen Samouilov, for their support in producing this book and this exhibition. We are also grateful to the Calais lacemakers who actively contributed to the exhibition, Codentel, Desseilles and Noyon; as well as the teams of the International Centre for Lace and Fashion and the City of Calais, and to Romain Alès, Marie-Claude Beaud, Chantal Evrard, Wichien Khaochoo, Narumon Khumphairan, Virginie Linxe, Emmanuel Maria, Lidia Martinez, Alizée Mosses, Jean-Yves Rivière, Antigone Shilling, Gavin So, Christine Suppes, Dolores Vincea Guyot and Joseph Voillemin.

Lydia Kamitsis, historienne de la mode, auteur et curateur indépendant / fashion historian, author and independent curator

Shazia Boucher, responsable du service des collections et des expositions à la Cité internationale de la dentelle et de la mode de Calais / Head of Collections and Exhibitions Department at the International Centre for Lace and Fashion, Calais Anne-Claire Laronde, directrice de la Cité internationale de la dentelle et de la mode de Calais / Director of the International Centre for Lace and Fashion, Calais Direction artistique / Artistic direction Livia Stoianova & Yassen Samouilov (on aura tout vu) Recherches et suivi documentaires / Documentary research and follow-up Anthony Cadet, documentaliste à la Cité internationale de la dentelle et de la mode de Calais Reference Librarian at the International Centre for Lace and Fashion, Calais Traduction / Translation Cabinet Hancock Hutton, Bordeaux Ouvrage publié sous la direction de Lydia Kamitsis et Anne-Claire Laronde. This book is edited by Lydia Kamitsis and Anne-Claire Laronde. Ouvrage réalisé sous la direction de Somogy éditions d’art Work carried out under the direction of Somogy Éditions d’Art Coordination et suivi éditorial Editorial coordination Clarisse Deubel Conception graphique / Graphic design Florine Synoradzki Contribution éditoriale pour le français Copy editor (French) Dominique Crebassol

© Somogy éditions d’art, Paris, 2014 © Cité internationale de la mode et de la dentelle, Calais, 2014 ISBN : 978-2-7572-0828-1

Contribution éditoriale pour l'anglais Copy editor (English) Bronwyn Mahoney Fabrication / Production Michel Brousset, Béatrice Bourgerie, Mélanie Le Gros


– Cité internationale de la dentelle et de la mode de Calais –


L’appellation Dentelle de Calais® est une marque déposée et protégée, exclusivement réservée à la dentelle fabriquée sur des métiers Leavers par les dentelliers de Calais et de Caudry, selon un procédé unique de nouage entre la chaîne et la trame, datant du début du xixe siècle. Cette marque est propriété de la Fédération française des dentelles et broderies. The name Dentelle de Calais® is a protected trademark, reserved exclusively for lace manufactured on Leavers machines, according to a unique procedure of knotting warp and weft, that dates from the early nineteenth century. This brand belongs to the Fédération française des dentelles et broderies.


Avant-propos Natacha Bouchart Maire de Calais et sénateur du Pas-de-Calais Mayor of Calais and senator of Pas-de-Calais

La Cité internationale de la dentelle et de la mode est un lieu vivant, au service du rayonnement des industries du luxe. En premier lieu, elle promeut la dentelle dans son utilisation pour la mode. Depuis son ouverture en 2009, des expositions de grande envergure attirent un public croissant d’amateurs, de professionnels et d’étudiants d’écoles spécialisées. Ainsi alternent expositions monographiques et thématiques qui interrogent divers phénomènes de mode et leur influence sur notre société contemporaine. La Cité internationale de la dentelle et de la mode fête ses cinq ans en 2014. Cette date est pour nous l’occasion de réaffirmer la politique engagée par la ville de Calais : être un véritable centre de ressources et de valorisation pour la profession dentellière, développer les réseaux nationaux et internationaux à travers projets européens, coproductions et échanges d’expositions. Première place mondiale de l’industrie de la dentelle mécanique depuis le début du XXe siècle, l’histoire de la ville de Calais est indissociable de celle de son industrie dentellière. La Dentelle de Calais® séduit aujourd’hui les plus grands créateurs. À l’occasion de cet anniversaire, nous avons convié la jeune maison de mode on aura tout vu, séduits par le savoir-faire, l’inspiration débordante et la capacité d’autodérision de Livia Stoianova et Yassen Samouilov. Ils nous amènent, avec beaucoup d’esprit et un brin d’irrévérence, dans leur joyeux univers baroque dont la richesse de création est inouïe. Leurs œuvres, étonnantes et quelque peu déconcertantes, se prêtent aux lectures multiples. Et c’est en fin artificier que Lydia Kamitsis, commissaire de l’exposition, déploie ses talents pour créer une mise en scène qui éblouit tous nos sens à travers une explosion de couleurs, matières, techniques, effets tactiles, sonorités, jeux d’optique et toujours, à profusion, de magnifiques Dentelles de Calais®. The International Centre for Lace and Fashion is a vibrant venue and an exemplary showcase for the luxury goods industry. One of its primary roles is to promote lace and its use in fashion. Since it opened in 2009, the museum’s high-calibre exhibitions have attracted increasing numbers of visitors, both from the general and professional publics, as well as students from specialist schools. Monographic events have alternated with themed exhibitions, addressing a variety of fashions and their influence on contemporary society. In 2014 the International Centre for Lace and Fashion is celebrating its fifth anniversary. This is an opportunity for us to reaffirm the city of Calais’s policy commitment: to act as a promotional hub and a resource centre for the lacemaking profession, and to develop national and international networks through European projects, co-productions and exhibition exchanges. As the world’s leading city for mechanical lacemaking since the start of the twentieth century, Calais’s history is inseparable from that of its industry. Dentelle de Calais® now features prominently in the work of the greatest fashion designers. For this anniversary we have invited the young fashion house on aura tout vu. We have been enchanted by the skill, breathtaking inspiration and penchant for self-mockery of its founders, Livia Stoianova and Yassen Samouilov. With a truckload of wit and a dash of irreverence, they lead us through their wonderfully baroque, stunningly creative universe. Their works are astonishing and somewhat disconcerting, and are open to numerous interpretations. With the deft touch of a pyrotechnic artist, exhibition curator Lydia Kamitsis brings all her talent to bear in setting the stage for this show, dazzling all five of our senses with this explosion of colours, materials, techniques, tactile effects, sounds, optical illusions, and of course an abundance of magnificent Dentelle de Calais®.

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était je me souviens un homme couleur de feu ses pieds dans un feu de paille flambaient comme un soleil couchant et ses mains inaltérables étranglaient la dernière sœur de la dernière vierge D’un arbre naît la femme l’impénétrable aux yeux feuilles qui lui demande de s’endormir Il sait bien que s’il s’endort il ne sera plus que flamme que dis-je fumée et son étreinte se resserre autour du cou qui brille comme un miroir Le miroir voudrait être le cou Il n’y a pas de désir qui tienne Une goutte d’eau tombe sur ma tête et j’en suis ébloui. 6

I remember a man the colour of fire his feet in a straw fire were alight like a blazing sunset and his unmoveable hands strangling the last sister of the last virgin of a tree born of a woman the impenetrable, with leaf eyes, asking him to sleep he knows that if he falls asleep he will be a mere flame, nay, mere smoke and his grip tightens around the neck that shines like a mirror the mirror that would be the neck desire cannot last a drop of water falls on my head and I am dazzled. Benjamin Péret, 1928


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Préface / Foreword Anne-Claire Laronde Directrice de la Cité internationale de la dentelle et de la mode Director of the International Centre for Lace and Fashion

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Exposer on aura tout vu est un choix enthousiasmant. Cette maison de Couture parisienne assume un univers créatif audacieux, dans lequel la Cité internationale de la dentelle et de la mode de Calais découvre une multitude de propositions artistiques et vestimentaires qui font écho à l’un des rôles fondamentaux des musées : élargir le regard des visiteurs, proposer des partis pris esthétiques et culturels alternatifs. Dans un contexte créatif et industriel fragilisé par la crise économique et un rééquilibrage des influences culturelles à l’échelle mondiale, on aura tout vu est une maison de Couture qui a trouvé sa place en proposant un regard poétique et spectaculaire, critique et ironique sur notre société contemporaine. Esthétiquement, on aura tout vu est toujours en équilibre instable entre un ancrage solide dans la tradition de savoir-faire qu’elle maîtrise et des partis pris esthétiques facilement outranciers. La maison aime cultiver l’art de bousculer les codes du bon goût. On retrouve là une certaine résonance avec l’esthétique de la dentelle de Calais, à qui l’amour et le désamour cycliques font jouer un numéro d’équilibriste entre profusion et discrétion. Son amour pour la dentelle, on aura tout vu l’a toujours manifesté. Dès ses premières collections, la maison lui fait une place de choix dans ses créations, l’utilisant comme une étoffe structurant le vêtement, donnant forme à des vestes, des leggings, de fins caracos. Cette fidélité à la dentelle est peu fréquente, bien que son emploi se soit développé à la

faveur d’un récent retour en grâce. Si la dentelle est une étoffe très présente dans les créations de ce collectif, c’est bien l’ensemble des gestes techniques les plus complexes de l’art de la couture qu’on aura tout vu s’efforce d’exploiter. Cette curiosité, cette générosité et virtuosité s’accompagnent d’autant de libertés plastiques, de profusion de formes et de techniques qui caractérisent cette maison. on aura tout vu s’est donc forgé une identité généreuse qui a séduit la Cité internationale de la dentelle et de la mode de Calais, mais aussi les dentelliers de Calais. Le temps de la collection couture automne-hiver 2014-2015, tous se sont portés volontaires pour jouer le jeu de la collaboration entre les couturiers, notre musée et la filière de production. Au sein de l’exposition et de cet ouvrage, l’historienne de la mode Lydia Kamitsis nous propose de regarder le travail des créateurs de la maison on aura tout vu (Livia Stoianova, Yassen Samouilov et André de Sà Pessoa, décédé en 2005) sous l’angle du plaisir et des sensations. La délectation, le sensoriel, sont des notions rarement assumées avec autant de fougue que celle d’on aura tout vu. Lydia Kamitsis démontre combien ces créateurs nous offrent une mode qui ose, qui dérange souvent, qui introduit l’énergie de la créativité populaire dans l’univers du luxe et de la couture. Avec, toujours, un regard décalé et peut-être ironique sur notre monde contemporain, leurs créations invitent à une délectation qui a parfois le goût du soufre, du sucré ou du salé. À chacun de se faire son idée.


The choice of on aura tout vu for an exhibition is certainly an exciting one. This Paris fashion house has concocted a deliberately bold creative universe, and in it the International Centre for of Lace and Fashion has discovered numerous propositions surrounding both art and clothing that clearly echo one of the museum’s fundamental roles: to broaden the visitor’s perspective and offer alternative aesthetic and cultural viewpoints. Against a backdrop of fragile creative and industrial output due to the economic crisis and a rebalancing of cultural influences worldwide, on aura tout vu is a fashion house that has truly found its own niche, a poetical, spectacular collective casting its critical, ironic gaze on contemporary society. Aesthetically speaking, on aura tout vu always walks the thinnest of tightropes between a solid grounding in the traditional know-how that they master to perfection and their aesthetic choices that border on the outrageous. They have cultivated the art of subverting the codes of good taste. In this respect they resonate somewhat with the aesthetic popularity of Calais lace, for which the age-old cycle of success alternating with disenchantment has resulted in a permanent balancing act between abundance and circumspection. The love that on aura tout vu harbours for lace has always been manifest. From their earliest collections, this material has been given pride of place, using it as a fabric to structure garments, lending shape to jackets, leggings and delicate camisoles. This loyalty to lace is uncommon, although admittedly the

fabric has been used more extensively since its recent return to favour. While lace itself is prominent in on aura tout vu’s creations, the fashion house also attempts to exploit all the most complex technical gestures in the art of couture. Their technical inquisitiveness, generosity and virtuoso skills underpin the artistic liberties they take, the profusion of forms and techniques that so characterizes this fashion house. The identity on aura tout vu has successfully forged appealed not only to the International Centre for Fashion and Lace, but also to the Calais lacemakers. Throughout the 2014-2015 Autumn-Winter couture collection, collaboration was the name of the game and everyone concerned made a strong contribution to the partnership between the couturiers, our museum and the lace producers. In the exhibition and in this book, fashion historian Lydia Kamitsis offers up the work of on aura tout vu (Livia Stoianova, Yassen Samouilov and André de Sà Pessoa, who passed away in 2005), with the emphasis firmly on pleasure and sensations. Delectation and sensory indulgence have rarely been addressed with such ardour. Lydia Kamitsis shows just how daring fashion can be in the hands of these creators; a fashion that often disturbs, a fashion that injects the energy of primary creativity into the universe of luxury and haute couture. They always offer an idiosyncratic insight and, perhaps, an ironic take on our contemporary world, inviting us to savour creations that may have a bitter, sweet or salty flavour. Taste them and see.

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Fernando Pessoa


on aura tout vu : Sensation S Lydia Kamitsis Commissaire de l’exposition Exhibition curator

Le merveilleux est toujours beau, n’importe quel merveilleux est beau, il n’y a même que le merveilleux qui soit beau.

The marvellous is always beautiful, anything marvellous is beautiful, in fact only the marvellous is beautiful.

André Breton, 1924

Un monde insolite

An offbeat world

Un futur antérieur exclamatif en guise de nom, une expression qui marque la surprise, sinon l’indignation : « on aura tout vu » dit bien le projet de Livia Stoianova, Yassen Samouilov et André de Sà Pessoa. Né de l’association de trois tempéraments iconoclastes formés aux beaux-arts et aux arts appliqués, à Sofia, Lisbonne, New York, Versailles ou Paris, les uns bulgares, l’autre portugais, tous trois viscéralement parisiens, le collectif on aura tout vu trace une voie singulière dans l’univers de la mode. Installée depuis 1998 au Palais-Royal, leur maison de Couture (car il faut bien la caractériser, même si elle ne saurait se réduire exclusivement à l’activité vestimentaire) poursuit une aventure créative multiforme, échappant volontairement à l’étiquette au double sens du terme. Ni couturiers, bien qu’ils en exercent pleinement le métier, ni suiveurs de tendance, bien qu’ils en maîtrisent parfaitement les codes. Depuis leur quartier général qui, autrefois, abrita Le Grand Mogol, l’illustre enseigne de Rose Bertin, toute puissante « ministre des modes » de la reine Marie-Antoinette, les on aura tout vu résistent au conformisme, explorant avec la plus grande liberté diverses expressions plastiques. Broderie, peinture, sculpture, soudure, couture, participent ainsi indifféremment à la création de textures inédites, faites de mélanges, juxtapositions, superpositions, hybridations. La méthode, appliquée aussi bien aux bijoux et accessoires qu’aux vêtements, objets technologiques, sculptures textiles, boîtes,

In French the name is an exclamation of surprise, bordering on annoyance: “on aura tout vu”, which roughly translates as “you think you’ve seen it all”, neatly sums up the project of Livia Stoianova, Yassen Samouilov and André de Sà Pessoa. An association of three iconoclasts trained in the fine and applied arts in Sofia, Lisbon, New York, Versailles and Paris, two of them Bulgarian and the other Portuguese, but Parisians through and through, the on aura tout vu collective has carved out a unique niche in the fashion world. Installed in the Palais Royal since 1998, their couture house (since it must be defined even if it can’t be reduced to an activity exclusively centred on clothing) is a multiform creative adventure that deliberately eschews labels, in both senses of the word. They are not couturiers, although they know all the tricks of the trade; nor are they fashion followers, although they master the medium perfectly. Ensconced in their headquarters – formerly Le Grand Mogol, the famous dressmaker’s shop run by Rose Bertin, the all-powerful “Minister of Fashion” to Queen Marie-Antoinette – on aura tout vu have managed to resist the downward drag of conformism, freely exploring a variety of artistic expressions. Embroidery, painting, sculpture, welding and sewing all play a part in the creation of original textures that are made out of mixtures, juxtaposition, superposition and hybridization. Their method applies just as well to jewellery and accessories as it does to clothing, techno-

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flacons ou mobilier, s’apparente à une recherche jubilatoire, un défi permanent aux dogmes du bon goût. Le style est maximaliste, foisonnant de couleurs, de matériaux, de techniques, de traitements, d’idées, de tout ce qu’il est possible de manipuler… Insolite à plus d’un titre, l’œuvre déroute par l’ambiguïté de ses messages, l’étendue de ses réalisations et même par l’éclectisme de ses références. Difficile, en effet, de l’agréger à l’univers illustre d’un grand maître de la mode, qui servirait de mètre-étalon en pareil cas. Si filiation il y a, elle est à chercher davantage du côté des surréalistes et de Dada. C’est qu’ici l’inspiration ne se nourrit pas de l’histoire des styles, les collections se construisant plutôt à partir de métaphores, d’évocations poétiques du monde, d’observations critiques et néanmoins amusées de la société contemporaine. La mode selon on aura tout vu n’est jamais re-création de modes passées, aucune nostalgie ne motive son élan. Une touche surréaliste, un solide sens de l’humour, une pointe de dérision, un goût certain pour les jeux de mots et d’esprit, un amour inconditionnel du travail artisanal, du fait main, sont les ingrédients qui pimentent le récit diffusé par chacune de leurs collections. Un des thèmes de prédilection de ces globe-trotters impénitents, le voyage, explore par exemple toutes les modalités, réelles et virtuelles, du déplacement. Par avion (une carte d’embarquement en guise d’invitation pour la collection hiver 2003), téléportation ( avec cybercasques étincelants de strass, automne-hiver 2004-2005), par la route (collection Fous du volant, été 2003, avec panneaux de signalisation revisités en broderie), mais aussi par l’envol (Flying Dreams, été 2011, avec la plume comme motif récurrent). Pour la collection C’est dans l’air (automne-hiver 2006-2007), l’invitation, presque tautologique, qui se présente sous la forme d’un ballon blanc à gonfler pour y faire apparaître les coordonnées exactes du lieu du défilé, est accompagnée d’un mode d’emploi stipulant entre autres : « […] vous pouvez vous rendre par les airs, en prenant votre jet privé, hélicoptère, montgolfière ou tapis volant. Par l’eau, en sous-marin, yacht, pédalo ou tuba et palmes. Par voie routière, en limousine, taxi, tracteur, véhicule amphibie et tout autre objet de design à une, deux, trois, quatre ou cinq roues. De préférence aéroglisseurs ou tout simplement à pied en

logical artefacts, textile sculptures, cases, bottles and furniture, and comes across as a jubilant exploration, a permanent challenge to the dogma of good taste. The style is maximalist, vibrant; it brims over with colours, materials, techniques, treatments, ideas, anything and everything that can be manipulated. Offbeat in every respect, their work overwhelms by the ambiguity of its messages, the sheer extent of its productions, the eclecticism of its frames of reference. Indeed, it would be wrong to assimilate their work with that of a great fashion designer, the usual standard. If there is an affiliation, then it is more likely to be found with the surrealists and the Dadaists. Their inspiration is not drawn from the history of styles. Instead their collections are built on metaphors, poetical evocations of the world, critical yet amused observations of contemporary society. Fashion according to on aura tout vu is never a re-creation of bygone modes, as the momentum inherent to their work is not driven by nostalgia. A dash of surrealism, an undertow of humour, a hint of derision, a taste for wordplay and wit, and an unconditional love of the artisanal, the handmade. These are the ingredients that spice the message sent out by each of their collections. For example, one of these incorrigible globetrotters’ favourite themes, travel, explores all the real and virtual forms of transport. Aircraft (the invitation to Winter 2003 was a boarding pass), teleportation (with sparkling rhinestone cyber-headsets, AutumnWinter 2004-2005), road (Reckless drivers collection, Summer 2003, with road signs revisited in embroidery), as well as flight (Flying dreams, Summer 2011, with the feather as the recurring motif). For the Up in the air collection (Autumn-Winter 2006-2007), the almost tautological invitation is a white balloon which only shows the exact address of the fashion show when it is inflated, and is accompanied by user instructions which stipulate, among other things, “… you can come by air in your private jet, helicopter, hot-air balloon or flying carpet. By water in a submarine, yacht, pedalo or with snorkel and flippers. By road in a limousine, taxi, tractor, amphibious vehicle or any other designer object with one, two, three, four or five wheels. We would prefer hovercrafts or, more


vous promenant du côté des jardins du Palais-Royal […] Il est indispensable le jour de ce rendez-vous d’être muni du ballon indiquant votre nom. Gardez sur vous votre bonne humeur, ou un livre de poésie, de préférence en rapport avec l’insoutenable légèreté de l’être… ». La poésie, omniprésente, est une référence clairement revendiquée par on aura tout vu. Moteur de l’univers féerique qu’ils créent autant par les mots que par les objets, elle a toute sa place dans la communication des idées, intentions et émotions. Dès lors, la présence de « messages poétiques » intégrés dans la présentation des collections, sous une forme ou une autre, contribue à en faire des performances singulières. Il est tout sauf anodin, par exemple, que la collection été 2006, présentée après le décès brutal d’André de Sà Pessoa, emprunte à Paul Éluard les vers de sa Poésie ininterrompue comme une ode au disparu composée par chaque modèle : « nue effacée ensommeillée », « barrée gardée contradictoire », « surprise dénouée rompue »… Plus tard seront convoqués Anna Akhmatova, Roland Barthes, Balzac (collection Message des êtres et de lumière, été 2007) ou encore, dans une juxtaposition surprenante, Baudelaire, Verlaine, Barbara Cartland, la comtesse de Ségur, Érasme, Fernando Pessoa, Le Journal officiel, Blog inconnu, Lewis Carroll, Le Figaro économie, Charles Gounod, à l’occasion d’un mémorable « one woman couture show » assuré par Emmanuelle Rivière pour la collection Me, Myself & I (été 2008). L’actrice, mannequin d’un jour, interprétait à tour de rôle différentes facettes de la femme contemporaine, chacune dans une tenue appropriée, introduite par le texte adéquat. Aussi, les mots des poètes, écrivains ou philosophes qui ponctuent les pages de cet ouvrage, loin d’être anecdotiques, entrent naturellement en résonance avec l’œuvre d’on aura tout vu. La juxtaposition n’est pas simple manœuvre d’ouverture, le dialogue qui s’instaure ici entre vêtements et évocations littéraires est réel, troublant même dans ce qu’il révèle de cette correspondance1.

simply, for you to come on foot by walking through the gardens of the Palais Royal … It is essential to come with the balloon bearing your name. Bring either a good mood or a poetry book, preferably about the unbearable lightness of being …” Poetry is omnipresent, a frame of reference clearly asserted by on aura tout vu: shaping their fairy-tale world as much through objects as through words, poetry is a leitmotif that runs through their communication of ideas, intentions and emotions. The presence of “poetic messages” integrated into their collections in one way or another contributes to their transformation into unique performances. It is not insignificant, for example, that each model in the Summer 2006 collection, presented after the sudden death of André de Sà Pessoa, borrows verses from Paul Eluard’s Poésie ininterrompue (Unbroken poetry) as an ode to the departed: “naked and retiring in sleep”, “barred, guarded and contradictory” or “surprise revealed and broken”… Later there are instances of Anna Akhmatova, Roland Barthes, Balzac (A message from beings and light collection, Summer 2007) and, in striking juxtaposition, Baudelaire, Verlaine, Barbara Cartland, the Countess of Ségur, Desiderius Erasmus, Fernando Pessoa, Le Journal officiel, the Unknown Blog, Lewis Carroll, Figaro économie and Charles Gounod, during a truly memorable “one-woman fashion show” by Emmanuelle Rivière for the Me, myself & I collection (Summer 2008). The actress and model-for-a-day acted out various facets of the contemporary woman, each in suitable attire, each introduced by the appropriate text. The words of poets, writers and philosophers that pop up in the pages of this book are therefore far from anecdotal, but instead resonate naturally with the work of on aura tout vu. This juxtaposition is not simply an opening move. The dialogue that forms between clothes and literary evocations is very real, and what it reveals about this connection is actually quite eye-opening.

Manufacture of sensations

As has probably become clear, the singularity of on aura tout vu goes beyond the mere characteristics La fabrique de sensations La singularité d’on aura tout vu, on l’aura sans of a defined, easily recognizable style; it lies in their doute déjà compris, au-delà des caractéristiques d’un adoption of an approach that is rarely acknowledged

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style bien défini et reconnaissable entre tous, repose bien sur une approche peu assumée par les créateurs de mode, bien que constitutive du vêtement : la fabrique de sensations. Cette esthématopée (du grec « esthéma », sensation, et « poïa », fabrication), concept analytique fondé par Pierre-Yves Balut2 notamment pour rendre compte de l’art contemporain, a servi de manière exemplaire à étudier le mécanisme de l’abstraction dans la mode, à propos de Paco Rabanne3 dont l’œuvre, il est vrai, se voulait par essence hors de la problématique habituelle des tendances et nettement du côté des mouvements d’art contemporain. Dans le cas d’on aura tout vu, la fabrication de sensations est un fil conducteur revendiqué, perceptible à tous les niveaux de la création, depuis la conception même des collections (l’inspiration, le thème) jusqu’à leur présentation et communication (le défilé, le dossier de presse, le carton d’invitation), en passant bien évidemment par le détail de leur réalisation. Si la production de sensations visuelles ou tactiles paraît évidente dans la création textile et vestimentaire, ici elle est poussée à son paroxysme : combinaison de techniques différentes pour un même effet, telle cette cape de l’été 2012 qui combine impression numérique, broderie de pierres et fourrure de renard, toutes trois reproduisant l’image d’un feu d’artifice ; ou obtention d’effets différents à partir d’un même matériau, à commencer par la dentelle qui est tantôt souple ou rigide, lisse ou rugueuse, sans parler de cette étonnante version en bois articulé de la collection Forêt enchantée de l’automne-hiver 2005-2006. Il arrive qu’un sens, de préférence le moins prévisible, devienne le thème principal d’une collection. C’est le cas du goût, dont le défilé de l’automne-hiver 20072008 met en scène le sucré, le salé, l’acide ou l’amer avec force imprimés évocateurs, napperons de pâtisserie et couverts de pique-nique, mais aussi amandes fraîches en broderie comestible… « Prenez le sel de la sagesse », « rire amer », « ironie acide », le jeu de mots n’est jamais trop loin pour détourner avec humour la traditionnelle dénomination des modèles présentés. « L’odorat est un bizarre sens de la vue » : faisant écho à Fernando Pessoa, on aura tout vu assemble les éléments propices à la fabrique d’infinies sensations… Feuillage des arbres du jardin du Palais-Royal tout proche de la maison de Couture, branchages pré-

by fashion creators, even though it is part and parcel of clothing: the manufacture of sensations. This “esthematope”, a neologism derived from the Greek esthema (sensation) and poïa (fabrication), is an analytical concept founded by Pierre-Yves Balut.2 Among other things it aims to account for contemporary art, and has been exemplary in a study of the abstraction mechanism in fashion with respect to Paco Rabanne,3 whose work, admittedly, was by definition removed from the usual concern of trends and was far closer to contemporary art movements. With on aura tout vu, the manufacture of sensations is a common thread that is present in each and every level of their creation, from the very design of collections (inspiration, theme) through to their presentation and promotion (fashion show, press pack, invitation card), and obviously in the details of their production. While the realization of visual and tactile sensations is a given in the creation of fabrics and clothing, here it is pushed to its very limits: the combination of different techniques to achieve the same effect, for example the cape in the Summer 2012 collection which combines digital printing, stone embroidery and fox fur, with the three techniques producing the image of a firework display, or the achievement of different effects with the same material, starting with lace, a material that is in turn supple or rigid, smooth or rough, not to mention the astonishing articulated wooden version of the Enchanted forest collection for Autumn-Winter 2005-2006. One of the five senses, and preferably the least obvious one, sometimes becomes the main theme of a collection; this was the case of the sense of taste, showcased in the Autumn-Winter 2007-2008 show with sweet, salty, acidic and bitter, with evocative prints, tablecloths and picnic cutlery, but also fresh almonds in an edible embroidery – “The salt of wisdom”, “laughing bitterly”, “acid sarcasm” – wordplay is never far away, subverting the traditional names given to the models presented. “Smell is an odd sense of sight”: echoing Fernando Pessoa, on aura tout vu assembles elements to manufacture infinite sensations. Leaves from the trees in the garden of the Palais Royal next to the fashion house, and twigs taken from the Château de Vincennes


levés au château de Vincennes (Nature et Artifice, automne-hiver 2009-2010), deviennent support de fiction olfactive. Fourreaux de sirènes brodés en écailles de fil argenté ou body en vison éjarré à tiges « jet d’eau » font refluer des effluves marins (Fishing for Compliments, automne-hiver 2010-2011), alors qu’une inquiétante odeur de brûlé accompagne imprimés « volutes de fumée » et broderies rouge feu en cristal (High Light Fire, été 2012). « L’art des bruits tirera sa principale faculté d’émotion du plaisir acoustique spécial que l’inspiration de l’artiste obtiendra par des combinaisons de bruits. »4 Cliquetis, tintinnabulements, craquements, sonneries de téléphone, tic-tac de montre, voix humaine, gazouillis, bruits de percussion sur métal, plastique, bois, porcelaine… Ces effets sonores, produits par certaines créations estampillées on aura tout vu et que ne renieraient pas les futuristes, prouvent, si besoin est, à quel point la démarche artistique est ici affirmée. Fabrique de sensations, l’œuvre présenté ici questionne les limites du réel, de la perception et, repoussant les barrières du genre, s’attache à explorer d’autres dimensions imaginaires. Dans cette quête d’émotions et de plaisirs inédits à partager, la créativité débordante du duo iconoclaste on aura tout vu, Livia Stoianova et Yassen Samouilov, sollicite consciemment, délibérément et avec constance, tous les sens pour autant d’effets produits (visuels, tactiles, auditifs, olfactifs, gustatifs), sans oublier le sixième sens, celui de l’imaginaire, pour des sensations paradoxales, auquel on est tenté d’ajouter un dernier, un septième sens, celui du sublime…

(Nature et artifice, Autumn-Winter 2009-2010) become a medium for olfactory fiction. Sheath dresses embroidered with scales of silver thread and a plucked mink bodysuit with “water jet” tubes release marine odours (Fishing for compliments, Autumn-Winter 2010-2011), while an alarming smell of burning accompanies “puff of smoke” prints and fire-red crystal embroideries (High Light Fire, Summer 2012). “The ability of the art of noises to produce emotion comes from the special acoustic pleasure derived from the artist’s inspiration in combining sounds …”4 Rattles, clinks, crackles, ringtones, ticking watches, human voices, birdsong, tapping on metal, plastic, wood, porcelain, etc. These sound effects manufactured by some of the on aura tout vu creations would not be out of place among the works of futurists and prove once again, if indeed proof was necessary, the extent to which their artistic approach is firmly established. Manufacturing sensations, the work presented here challenges the limits of the real and of perception, and, pushing the boundaries of the genre, attempts to explore other imaginary dimensions. In this quest for new emotions and pleasures to be shared, the overflowing creativity of Livia Stoianova and Yassen Samouilov, the iconoclastic duo forming on aura tout vu, deliberately, knowingly and consistently triggers all five senses, producing as many effects (visual, tactile, auditory, olfactory, gustatory) – not forgetting the sixth sense, that of the imaginary, for paradoxical sensations; to which we are tempted to add a seventh: the sense of the sublime …

Notes

Endnotes

1. Cette première partie est une reprise partielle du texte publié dans le catalogue de l’exposition du Nouveau Musée national de Monaco : Looking up/on aura tout vu présente la collection de Galéa, 2011, éditions du Rocher, p. 10-16.

1. This text is a partial reproduction of that published in the exhibition catalogue of the Nouveau Musée National de Monaco for Looking Up/on aura tout vu présente la collection de Galéa (Paris: Rocher, 2011), pp. 10-16.

2. Pierre-Yves Balut, « La sensation et le non-sens, essai sur le mouvement contemporain des arts », R.A.M.A.G.E. 10, Paris, 1992, Presses universitaires Paris-Sorbonne, p. 7-29.

2. Pierre-Yves Balut, “La sensation et le non-sens, essai sur le mouvement contemporain des arts”, RAMAGE 10 (1992): pp. 7-29.

3. Pierre-Yves Balut, « De la quadrature d’un revêtement, ou Paco Rabanne en art », Paco Rabanne, catalogue de l’exposition du musée de la Mode de Marseille, juin-octobre 1995, p. 17-31. 4. Luigi Russolo, « L’art des bruits », Manifeste futuriste, Milan, 11 mars 1913.

3. Pierre-Yves Balut, “De la quadrature d’un revêtement, ou Paco Rabanne en art”, Paco Rabanne, exhibition catalogue, Musée de la Mode in Marseille, June–October 1995, pp. 17-31. 4. Luigi Russolo, “The Art of Noises”, Futurist manifesto, Milan, 11 March 1913.

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Le regard il imprime, capture comme par magie, il emprisonne la beauté à jamais… il garde et transforme la mémoire du moment pour célébrer cette sensation visuelle propre à chacun The eye it freezes the image of beauty, captures it as if by magic, imprisons it forever … it holds and transforms the memory of the moment in order to celebrate that eminently personal visual sensation on aura tout vu



18

Jane Austen, 1818



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out cristal nous guette. Si entre les quatre Murs d'une chambre se trouve un miroir, Je ne suis plus seul. Un autre est là, le reflet Que dispose dans l'aube un théâtre secret. Tout est événement et rien n’est souvenir Dans ces laboratoires cristallins Où, comme de fantastiques rabbins, Nous lisons les livres de droite à gauche. The crystal spies on us. If within the four Walls of a bedroom a mirror stares, I am no longer alone. There is someone there. In the dawn reflections mutely stage a show. Everything happens and nothing is recorded In these rooms of the looking glass, Where, magicked into rabbis, we Now read the books from right to left. Jorge Luis Borges, 1960


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24


Jean Cocteau, 1930


entir tout de toutes les manières, Vivre de tous les côtés, Être la même chose de toutes les façons possibles en Même temps, Réaliser en soi toute l’humanité de tous les moments En un seul moment diffus, profus, total et lointain. 26

Feel everything in every way, Live from all sides, Be the same thing in every possible way at the same time, Realize in oneself all the humanity of every instant in one single diffuse, profuse, total and distant moment. Fernando Pessoa, 1923



Claquement de la défragmentation de la lumière chuchotement de l’opacité de l’ombre… le cri de la transparence soufflement de précieux on ferme les yeux et on entend le sublime et l’inattendu The snap of defragmentation of light the whisper of darkness … the cry of transparency the whoosh of the precious close your eyes and hear the sublime and the unexpected on aura tout vu



30

ThĂŠophile Gautier, 1852



32


a grue crie D’une voix à déchirer Le bananier a crane cries that shriek will surely tear the banana leaves Matsuo Bashô, 1689


34


llô ! Qui est-ce ? C’est maman ? Maman ! Votre fils a une splendide maladie ! Maman ! Il a le feu au cœur. Hello! Who’s speaking? Mamma? Mamma! Your son is gloriously ill! Mamma! His heart is on fire. Vladimir Maïakovski, 1915


36



un objet à la mode, on dit qu’il fait fureur. Mais n’y a-t-il pas quelque chose de furieux, de vraiment furieux dans la mode ? Pas seulement de furieux, d’ailleurs, mais aussi de bruyant, de très bruyant, de tonitruant. Ça n’a aucun respect pour le silence, la mode : ça casse les oreilles. 38

A fashionable item is said to be all the rage. But does not fashion itself rage, really rage? And it does not just rage, incidentally; it is loud, thunderous. Fashion has no respect for silence: it is deafening. Georges Perec, 1976



ISBN 978-2-7572-0828-1

25 造


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